Il y a quelques semaines, les Jeux paralympiques mettaient un coup de projecteur médiatique sur le sport adapté. Une visibilité rare pour les personnes en situation de handicap, qui attendaient cet instant de représentation avec impatience. Retour à la vie normale pour la communauté, après avoir vécu une parenthèse enchantée dont les effets se font encore ressentir.
Il est 11 heures lorsque l’entraînement de boccia bat son plein au Centre Gadbois à Montréal. Accompagnés de leurs entraîneurs, une vingtaine de pratiquant·e·s de tous niveaux s’exercent à ce sport de boules qui s’apparente à la pétanque. Il n’est toutefois plus nécessaire ou presque de présenter ce sport, tant sa couverture médiatique a explosé durant les Jeux paralympiques de Paris 2024.
« Il y a le Super Bowl tous les ans, la Coupe du monde de football tous les quatre ans, mais nous, notre événement, c’est les Jeux paralympiques », nous confie Marc Dispaltro, joueur de boccia et paralympien. La communauté a suivi avec beaucoup d’intérêt la compétition, qui place le sport adapté et les personnes en situation de handicap sur le devant de la scène médiatique mondiale. Au total, 11 millions de Canadiennes et de Canadiens[1] ont suivi les Jeux paralympiques, au cours de 12 jours d’une couverture médiatique en continu. Souffrant habituellement d’un manque de visibilité, les personnes en situation de handicap disposent, le temps de quelques semaines, d’une représentation qui peut leur bénéficier sur le long terme.
Le sport adapté occupe une place très importante dans la vie de celles et ceux qui le pratiquent. Marc Dispaltro le dit clairement, « sans le sport, je serais mort ». L’athlète est atteint de dystrophie musculaire, entraînant la dégénération de sa condition physique. Face à cette maladie, le sport lui a apporté une communauté et un mode de vie salvateurs. Pourtant, l’athlète aurait pu ne jamais se lancer dans le boccia, pensant que la discipline n’était pas faite pour lui, « ça m’a pris six ans avant de vraiment considérer ce sport-là ». La faute à des stéréotypes coriaces et à un manque d’information.
Une vitrine pour le sport adapté
Selon la directrice du Centre d’intégration à la vie active (CIVA) Marine Gailhard, « il y a une méconnaissance des sports qui sont offerts » aux personnes en situation de handicap. Trouver un sport qui correspond à son niveau de capacité demeure en effet difficile, en raison d’un manque de sources d’information. Résultat, de nombreuses personnes concernées ne savent pas que des sports adaptés à leur condition existent.
Les Jeux paralympiques remédient en partie à ce manque d’information, agissant comme un coup de projecteur sur le parasport. « Ça permet d’avoir un bon panel de disciplines, et de voir toutes les possibilités qui existent, faisant parfois naître des vocations » appuie Mme Gailhard. Un effet confirmé par la forte augmentation du trafic sur la plateforme Trouve ton sport durant les Jeux. Le site, géré par le CIVA, répertorie les différents sports adaptés et leurs règles, et a vu de nombreux visiteurs s’informer sur la disponibilité des disciplines à Montréal et sur les niveaux de capacité requis.
Une source d’inspiration
Cette vitrine médiatique bénéficie également à celles et ceux qui pratiquent déjà un sport adapté, et dont les ambitions sont limitées en raison du manque de représentation. « C’est important de se voir parce qu’il y a bien des athlètes en devenir qui ne sont même pas au courant qu’ils pourraient être des athlètes paralympiques », soutient Marc Dispaltro. Avant de participer aux Jeux de 2012, de 2016 et de 2020, le joueur de boccia « n’avait aucune idée » que c’était possible d’atteindre ce niveau de compétition.
Les jeunes joueuses et joueurs du Centre Gadbois le savent désormais, il est possible de rêver des Jeux paralympiques. C’est le cas d’Alexandre Raymond, 22 ans, rencontré à la pause de l’entraînement de boccia. Pour le jeune joueur atteint de paralysie cérébrale, les athlètes observé·e·s à la télévision « démontrent qu’avec un peu de volonté, on peut se rendre assez loin dans ce sport ». Avoir des modèles l’encourage à continuer : « je me dis qu’un jour, ce serait possible que je me rende aux paralympiques ».
Démystifier le handicap
Incubateur d’espoir, les Jeux rompent ainsi avec l’image tragique et négative souvent associée au handicap. Le public peut y voir des « personnes qui se dépassent et qui performent comme n’importe quel·le athlète », se réjouit Mme Gailhard. De son côté, Alexandre Raymond a « surtout ressenti de la fierté » en se voyant représenté de manière positive.
Tout n’est pas rose non plus dans le handicap, mais les Jeux révèlent la résilience de certain·e·s athlètes au destin tragique. À ce propos, Marc Dispaltro se souvient de la paralympienne belge Marieke Vervoort, décédée deux mois après avoir participé aux Jeux de Rio en 2016. Atteinte d’une maladie rare lui paralysant les jambes, elle avait recouru à une euthanasie en raison de l’aggravation de ses souffrances. « Les gens vont se dire ‘‘oh c’est terrible, c’est triste’’, mais elle a réalisé son rêve de participer aux Jeux tout en sachant que ses jours étaient comptés […], il n’y a rien de plus beau », soutient l’athlète montréalais.
Les Jeux s’attachent également à visibiliser la diversité des handicaps qui existent. « Les gens ont souvent une image très stéréotypée du handicap », regrette Mme Gailhard. Dans l’imaginaire collectif, la déficience physique demeure globalement associée au fauteuil roulant, et la déficience mentale à la trisomie 21, selon la directrice. Le spectre des handicaps est pourtant bien plus large, comme en témoigne l’amplitude de la classification paralympique. Les athlètes sont réparti·e·s selon la nature de leur handicap, et ensuite selon leur niveau de déficience, donnant lieu à 549 épreuves pour 22 sports lors des derniers Jeux.
Information, représentation, éducation… Paris 2024 a semblé agir avec une efficacité décuplée sur la visibilité des personnes en situation de handicap. Cependant, les Jeux paralympiques d’été, et la représentation qui vient avec, reviendront seulement dans quatre ans. N’était-ce qu’une parenthèse enchantée? Pour Mme Gailhard, « tout est bon à prendre ». La directrice du CIVA attend de voir si la couverture médiatique retombera complètement, ou si la visibilité gagnée durant les Jeux perdurera. Quant à lui, Marc Dispaltro veut rester réaliste, « c’est sûr que ça serait le fun d’avoir cette visibilité-là à l’année, mais il ne faut pas se créer d’illusions non plus. »
En attendant les prochains Jeux de Los Angeles en 2028, dont Alexandre Raymond sait déjà qu’il regardera tous les matchs, le Centre Gadbois continuera à accueillir les joueuses et joueurs de boccia de Montréal, que Mme Gailhard espère de plus en plus nombreux·se·s.
Un million de demandes d’aide alimentaire sont comblées chaque mois par les organismes communautaires montréalais. Dans un nouveau rapport publié aujourd’hui, Moisson Montréal révèle des chiffres records sur l’insécurité alimentaire, traduisant la précarisation de la population. Dans ce contexte, les banques alimentaires deviennent la nouvelle épicerie d’un nombre grandissant de Montréalais.e.s.
« Venir ici faire l’épicerie, ça m’aide énormément ». Claude* est un usager régulier de l’épicerie solidaire MultiCaf située dans le quartier Côte-des-neiges. Pour un montant de 7$, il peut se procurer des fruits et légumes, de la viande et des produits laitiers. Originaire du Cameroun, Claude étudie à Polytechnique, tandis que sa femme occupe un emploi. Malgré des revenus réguliers, le couple ne parvient pas à subvenir entièrement à ses besoins alimentaires et à ceux de ses deux jeunes enfants.
Les organismes communautaires montréalais comblent chaque mois près d’un million de demandes d’aide alimentaire. À travers des épiceries solidaires ou des distributions de paniers, ils permettent à une population grandissante de se nourrir. La demande connaît aujourd’hui des sommets records, en augmentation de 76% depuis la pandémie. Cette situation « alarmante » est révélée par Moisson Montréal dans son Bilan-Faim 2024[i], qui compile les données de près de 300 organismes de soutien alimentaire.
Sur le terrain, l’augmentation de la demande est flagrante. « C’est le jour et la nuit », relate Jean-Sébastien Patrice, directeur général de MultiCaf. Avant la pandémie, l’organisme situé à Côte-des-neiges aidait 1200 personnes par mois. Aujourd’hui, c’est plus de 10 000 personnes vulnérables qui s’alimentent au travers de ses services. Même son de cloche du côté du Plateau-Mont-Royal. À la banque alimentaire Vertical, les files d’attente pour récupérer un panier de denrées se sont considérablement allongées. D’un seul jour de distribution, l’organisme est passé à trois, qui ne suffisent pas toujours à combler les besoins, selon le gestionnaire José Alberto Marroquin.
Des bénévoles préparent la distribution des paniers à la banque alimentaire Vertical – crédit Charline Caro
Coût de la vie
Depuis 2019, le nombre de bénéficiaires du dépannage alimentaire a plus que doublé[ii]. Le principal facteur de cette demande accrue serait le coût de la vie, de plus en plus difficile à assumer. « De nombreux ménages peinent à joindre les deux bouts et sont contraints de se tourner vers les banques alimentaires de quartier », peut-on lire dans le rapport de Moisson Montréal. À MultiCaf, les personnes usagères témoignent de cette pression financière. Claude nous confie qu’une fois payés le « loyer et la garderie des enfants, il ne reste plus grand-chose » pour faire l’épicerie. Même pression pour Salma*, qui bénéficie de l’aide sociale : « tu dois payer le loyer, le transport, l’électricité… et après seulement tu dois manger ».
Les budgets serrés n’ont toutefois plus leur place dans les épiceries commerciales. En un peu moins de trois ans, le prix d’un panier d’épicerie équilibré a augmenté de 28%[iii]. « C’est presque un luxe de faire une épicerie adéquate en 2024 », s’indigne Mr. Patrice. Le directeur de MultiCaf pointe du doigt des prix démesurés, en grande déconnexion avec la réalité économique d’une partie de la population. « Il n’y a pas de contrôle sur les prix des produits, c’est le Far West ».
Une diversification des profils
Celles et ceux qui ne peuvent plus assumer les coûts de l’épicerie se tournent ainsi vers les banques alimentaires, qui se démocratisent. « Auparavant, on desservait seulement un noyau dur de mille personnes très vulnérables, qui faisaient face à des troubles d’itinérance ou de santé mentale », se rappelle Mr. Patrice. Ces dernières années, les profils de bénéficiaires se sont grandement diversifiés, avec de plus en plus d’étudiant·e·s, de demandeur·se·s d’asile, et de familles, selon le Bilan-Faim 2024.
L’aide alimentaire s’adresse désormais à des personnes aux situations socio-économiques multiples. « Il y a des gens qui viennent ici et qui travaillent 40 heures par semaine », observe Mr. Marroquin. Le gestionnaire de l’organisme Vertical nous parle à titre d’exemple d’une famille résidant sur le Plateau-Mont-Royal, avec un « bon revenu », qui sollicite tout de même leur aide car « elle n’a plus les ressources pour acheter de la nourriture ». Selon le rapport de Moisson Montréal, une personne sur cinq qui bénéficie l’aide alimentaire occupe un emploi.
L’insécurité alimentaire demeure associée aux personnes très marginalisées, amenant parfois « un sentiment de honte à aller chercher de l’aide », selon Mr. Patrice. Même constat pour Mr. Marroquin : « je connais des personnes qui n’osent pas venir », craignant qu’on pense « qu’elles n’ont pas d’argent ». Pour normaliser la situation, MultiCaf a mis sur pied un dépannage alimentaire qui s’apparente à une épicerie commerciale. « Sélectionner ses produits, aller à la caisse, donner un petit montant », rend la situation plus acceptable selon le directeur. Les organismes cherchent également à créer des lieux d’échanges et de soutien. Les bénéficiaires rencontrés apprécient « l’ambiance » et les « gens sympas », selon les termes de Claude et Salma.
Une usagère à la caisse de l’épicerie solidaire de MultiCaf, située à Côte-des-neiges – crédit Charline Caro
Une solution peu durable
Pour les bénéficiaires, les banques alimentaires ne sont toutefois pas une solution d’alimentation viable sur le long-terme. La contrainte de temps et de déplacement est importante, les bénéficiaires devant parfois se rendre dans plusieurs organismes de la métropole pour se nourrir convenablement. Il y a ensuite une contrainte de consommation, le choix des denrées reste limité et les bénéficiaires ne peuvent pas toujours manger selon leurs préférences alimentaires culturelle. « Les repas d’où je suis originaire me manquent énormément », nous confie Claude, qui irait dans des épiceries africaines s’il en avait les moyens.
Du côté des organismes, il n’est pas non plus envisageable de subvenir durablement au million de demandes d’aide mensuelles. « Présentement, c’est invivable pour des ressources comme la nôtre parce que c’est beaucoup trop gros », alerte le directeur de MultiCaf. Selon lui, les organismes communautaires sont tout autant en « mode survie » que leur clientèle. Durant l’exercice 2023-2024, 11 organismes de soutien alimentaire ont dû fermer leurs portes devant les « défis accrus » apportés par l’explosion de la demande, selon Moisson Montréal[iv]. Parmi les organismes toujours sur pied, un sur trois doit refuser des personnes en raison d’un manque de denrées ou de ressources[v].
Les solutions durables se trouvent au-delà de l’aide alimentaire, qui « n’est que la pointe de l’iceberg », rappelle Mr. Patrice. « Ce n’est pas parce qu’une personne a faim et qu’on lui donne à manger que le problème est réglé ». Les organismes communautaires dispensent en effet une aide d’urgence qui ne peut enrayer profondément les facteurs de la précarisation. L’insécurité alimentaire est davantage un problème structurel, causé notamment par l’inflation, la crise du logement, le marché de l’emploi, ou la crise écologique. Si elles se veulent durables, les solutions doivent s’attaquer aux causes de la pauvreté. Moisson Montréal et ses organismes partenaires réclament ainsi l’augmentation du salaire minimum, du nombre de logements abordables, et du soutien aux nouveaux arrivants.
En attendant, Claude espère pouvoir bientôt « décrocher une job intéressante », qui lui permettra de subvenir aux besoins de sa famille et de quitter MultiCaf. « L’ambiance va me manquer c’est sûr, mais je céderais à ma place à d’autres personnes qui en ont besoin. Parce que je sais qu’il y en a beaucoup ».
*Les prénoms ont été changés pour conserver l’anonymat des personnes fréquentant les banques alimentaires, d’après leurs souhaits.
Les jeux de hasard et d’argent soulèvent de nombreuses préoccupations de santé publique au Québec. Sans conséquence pour certains, ils peuvent engendrer une dépendance pour d’autres et avoir des conséquences graves dans leur vie.
Loto-Québec fête cette année ses 55 ans. Sur son site internet, la société d’État indique que sa mission est de « gérer l’offre de jeux de hasard et d’argent de façon efficiente et responsable en favorisant l’ordre, la mesure et l’intérêt de la collectivité québécoise »[1]. Pourtant, de nombreux Québécois et de nombreuses Québécoises se retrouvent avec un problème de dépendance aux jeux de hasard et d’argent, ce qui peut avoir un impact négatif dans leur vie et dans celle de leurs proches.
Une enquête de Katia Gagnon et William Leclerc parue dans La Presse en septembre 2018 porte sur les suicides liés à la dépendance aux jeux de hasard et d’argent. Selon cet article, nommé « Le jeu qui tue », en moyenne 18 joueurs pathologiques se sont enlevé la vie chaque année depuis 1995 au Québec[2]. La période entre 1999 et 2004 est la plus meurtrière avec 28 suicides par an. Elle coïncide avec les années où le nombre d’appareils de loterie vidéo était le plus élevé sur le territoire québécois. Le pic maximal a été atteint durant cette période, c’est-à-dire qu’entre 14 000 et 15 000 machines étaient disponibles dans les bars et casinos au cours de ces cinq années.
De plus, une étude de la Direction de la santé publique de Montréal (DSP) datant de 2016 a révélé que l’accessibilité semble plus grande dans des zones défavorisées sur le plan socio-économique, ce qui fait en sorte que les individus qui sont plus à risque de développer une dépendance aux jeux de hasard et d’argent se retrouvent dans un environnement plus susceptible de déclencher cette dépendance. Les conséquences engendrées par la dépendance aux jeux sont nombreuses : faillite, problèmes familiaux, abus de substances, dépression, anxiété, problèmes d’argent, suicides, etc.
Un accès facile
L’accès aux jeux de hasard et d’argent est facilité avec la place grandissante qu’occupent les technologies dans le quotidien de chacun. En 2024, rares sont ceux et celles qui ne disposent pas d’un téléphone intelligent. Selon l’étude annuelle NETendances de l’Académie de la transformation numérique de l’Université Laval, 84 % des adultes québécois avaient un téléphone intelligent en 2022 et 53 % des adultes québécois affirmaient passer trop de temps devant leurs écrans[3].
Non seulement ces appareils créent eux-mêmes une dépendance, mais ils mettent à la disposition des joueurs un moyen d’accéder facilement et en tout temps à des sites de jeux en ligne. De plus, un document disponible sur le site de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) appelé « Les préjudices liés aux jeux de hasard et d’argent en ligne : de l’identification à l’action de santé publique » révèle des faits alarmants[4].
Parmi les informations essentielles, on apprend qu’en 2018, le nombre de joueurs au Québec était estimé à 4,2 millions. De ce nombre, 2 % sont des individus avec des problèmes de jeux, mais pour les adeptes de jeux en ligne, les chiffres montent à 23 %. Les données font aussi état d’une croissance de 37,5 % des revenus d’Espace Jeux en 2017 et 2018, ce qui témoigne d’un essor dans l’adoption du jeu en ligne au Québec[5].
Les joueurs en ligne sont donc plus susceptibles de développer une dépendance au jeu, mais ils risquent également de dépenser des montants d’argent plus importants. « Les données de prévalence au Québec révélaient en 2012 que le jeu en ligne occasionne des dépenses sept fois plus importantes que les autres types de jeu […]. Le jeu en ligne ne constitue donc pas un divertissement inoffensif. »[6]
Les effets de la pandémie
Ce problème est devenu d’autant plus inquiétant lorsque la COVID‑19 a forcé la fermeture des casinos et des commerces et a isolé les citoyens chez eux. Christophe Miville-Deschênes, coordinateur clinique à la Maison L’Odyssée, a constaté l’effet désastreux qu’a eu la pandémie sur les personnes aux prises avec une dépendance au jeu. Le centre de traitement, fermé lors de la pandémie, a pu accueillir à nouveau des patients en 2022.
À ce moment, M. Miville-Deschênes a remarqué que certaines personnes qui ne jouaient pas avant la pandémie avaient commencé et que d’autres qui jouaient en personne au casino ou dans les bars s’étaient réfugiés sur les sites de jeux en ligne. Une personne, qui avait cessé de jouer pendant de nombreuses années, a aussi recommencé à jouer pendant la pandémie, dit-il.
Une enquête menée par Sylvia Kairouz de l’Université Concordia et Annie-Claude Savard de l’Université Laval montre que la pratique du jeu en ligne a triplé entre 2018 et 2020. L’étude, qui s’intéresse aux effets de la pandémie sur les habitudes de jeu des Québécois et des Québécoises, signale que peu de joueuses et de joueurs ont cessé leur pratique avec la fermeture des lieux de jeu, que certaines et certains ont migré vers les jeux en ligne et que de nouvelles joueuses et de nouveaux joueurs ont commencé à jouer en ligne[7].
Parmi les joueuses ou les joueurs continus (c’est-à-dire celles et ceux qui jouaient avant la pandémie et qui ont continué à le faire lors de celle-ci), 31 % ont déclaré avoir parié plus sur les jeux de hasard et d’argent comparativement à avant la COVID-19. Davantage de joueuses et de joueurs en ligne ont aussi déclaré avoir augmenté la fréquence à laquelle ils s’adonnent aux activités de jeux en ligne que de joueuses et de joueurs qui ont diminué leur fréquence de jeu en raison de la pandémie; les dépenses qui y sont associées et le temps passé à jouer sur ces plateformes sont aussi plus importants. Ces données semblent confirmer celles présentées dans le document de l’INSPQ.
L’étude mentionne également que celles et ceux qui ont avoué jouer davantage durant la pandémie ont affirmé que c’était parce qu’ils avaient plus de temps libre, qu’ils se sentaient seules ou seuls, ou encore qu’ils ne pouvaient pas acheter de billets de loterie en personne ou parce que le jeu les aidait à se détendre. Environ 20 % d’entre eux ont admis jouer plus en raison d’un besoin financier.
Une dépendance qui coûte cher
C’est d’ailleurs durant la pandémie de COVID-19 que la dépendance au jeu de David Fournier-Melançon s’est réellement développée. L’homme, qui avant pariait de petites sommes avec des amis pour le plaisir, a commencé à jouer sans s’imposer de limites. Avec le confinement, il passait inévitablement plus de temps chez lui et il s’ennuyait. Sa vie personnelle allait moins bien à ce moment aussi. Il a donc cherché un moyen de se divertir.
Ce qui le motivait était selon lui l’appât du gain. Il gagnait des petits montants et croyait qu’il allait gagner plus par la suite. De cette façon, il a misé près de 200 000 $ en un an sur Espace jeux, la plateforme de jeux en ligne de Loto-Québec. « En juillet 2022, j’avais dépensé le montant de mon prêt à 34 % et j’étais rendu à aller voir un shylock à 200 % d’intérêt. J’ai compris que j’avais un problème », admet-il. Lorsque sa conjointe l’a su, elle lui a posé un ultimatum : « tu vas en thérapie ou c’est fini! ». C’est à ce moment qu’il s’est rendu à la Maison L’Odyssée pour chercher de l’aide. Au moment de l’entrevue, à la fin de 2023, il fêtait une première année loin de sa dépendance au jeu.
De nombreux coûts sociaux sont associés à cette dépendance : les soins pour les problèmes de santé, les coûts juridiques et judiciaires, les coûts en service policiers et pénaux ainsi que des coûts liés au traitement qui sont utilisés pour la prévention et la recherche.
Mieux vaut prévenir
La société d’État, qui a le monopole sur les jeux de hasard et d’argent au Québec, engendre des profits astronomiques. En 2023, Loto-Québec a rapporté près de 3 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation significative de son revenu comparativement aux années précédentes[8]. Une partie de ces profits est redistribuée en tant que dividendes au gouvernement québécois. Au terme de son exercice 2023-2024, Loto-Québec a rapporté avoir remis 1,5 milliard de dollars à ce dernier, qu’il doit, de son côté, investir en prévention[9].
Pourtant, M. Fournier-Melançon déplore le manque de prévention liée à la dépendance aux jeux de hasard et d’argent. « Le jeu, ce n’est pas quelque chose dont on parle du tout et ce n’est pas quelque chose qui se voit, contrairement à l’alcool ou aux drogues », dit-il. Quant à l’avertissement qui apparaît sur le site de Loto-Québec après une heure de jeu, il croit qu’il n’est pas très utile. « On peut jouer tant qu’on le veut », lance-t-il. Il avoue que lorsque le message apparaissait, s’il avait une bonne journée avec des gains, il ne s’en préoccupait pas : « Il n’y a pas grand-chose qui t’empêche de jouer, à part t’exclure ».
Selon lui, les profits engendrés sont trop importants pour qu’une limite soit imposée : « En arrière de ça, il y a toujours un signe de dollar et personne ne va mettre de limitations tant que l’argent rentre ». M. Fournier-Melançon a pris les choses en main pour s’en sortir en s’excluant du site de Loto-Québec pour une période d’un an et en se tournant vers la Maison L’Odyssée pour de l’aide. Il croit qu’il est fondamental d’arriver en thérapie avec la bonne attitude et le désir de s’en sortir et il aimerait que ceux et celles qui souffrent de cette dépendance soient au courant de l’aide offerte. « Ce serait important que les gens sachent qu’il y a des ressources ». Pourtant, même si près de 41 % des joueurs en ligne disent connaître les services d’aide, seulement 2,4 % d’entre eux avouent les avoir utilisés.[10] Les maisons de traitements sont toutes indiquées pour aider ceux et celles qui souffrent de cette dépendance. La Maison l’Odyssée à Sainte-Marie et la Maison Jean Lapointe à Montréal offrent des traitements liés à la participation excessive aux jeux de hasard et d’argent. Info-Santé peut également offrir du soutien et informer les personnes qui le désirent sur les ressources disponibles.
La mission de la Maison L’Odyssée est de venir en aide aux personnes aux prises avec un problème de dépendance au jeu et de cyberdépendance. Elle offre des thérapies et du soutien à ceux et celles dans le besoin. La prévention est également au programme, puisque « le jeu est à portée de main », l’organisme communautaire s’assure donc de faire de la sensibilisation, entre autres, en informant sur les risques associés à ces dépendances[11]. De son côté, l’ancien joueur est sans équivoque : « ça a changé ma vie pour le mieux », lance-t-il, soulagé. Il travaille dorénavant pour la Maison L’Odyssée et tente d’aider les joueurs compulsifs dans le besoin.
La clause dérogatoire – parfois appelée clause nonobstant – est-elle réellement dangereuse ou sert-elle plutôt de protection aux intérêts collectifs? Justin Trudeau évoque un renvoi à la Cour Suprême du Canada afin de baliser son utilisation alors que François Legault ne manifeste aucun scrupule à l’utiliser. Le premier ministre québécois qualifie tout encadrement de son utilisation d’attaque à la nation québécoise1« Disposition dérogatoire : Trudeau lance “une attaque frontale” au Québec, dit Legault », Radio-Canada, 21 janvier 2023 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1949974/justin-trudeau-clause-nonobstant-cour-supreme-francois-legault. Son homologue canadien est réticent à ce que la clause soit utilisée de manière excessive2« Disposition de dérogation : Trudeau se défend de mener une attaque contre le Québec », Radio-Canada, 23 janvier 2023 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950270/clause-derogatoire-nonobstant-constitution-ottawa-quebec-federal-provincial. Dans un contexte où les échanges entre Québec et Ottawa sur le sujet sont pour le moins acrimonieux, il est nécessaire d’établir l’état des lieux en la matière.
La clause dérogatoire, qu’en est-il vraiment ?
Cette fameuse clause dérogatoire figure à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 19823Charte canadienne des droits et libertés, art 33, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html. Il y est indiqué qu’un gouvernement provincial ou fédéral peut faire voter une loi sans prendre en considération les articles 2 ainsi que 7 à 15 de la Charte canadienne4Ibid.. L’article 2 concerne les libertés fondamentales (liberté de conscience, de religion, d’association, etc.) alors que les articles 7 à 15 font référence aux garanties juridiques (droit à la vie, à la sécurité, à la protection contre une fouille abusive, etc.) ainsi qu’au droit à l’égalité5Ibid, aux art. 2 ainsi que 7 à 15.. Notons donc que plusieurs droits, tels les droits à l’instruction dans la langue de la minorité, ne sont pas concernés par la clause nonobstant6Ibid..
Petite histoire
L’idée de la clause dérogatoire est survenue pendant les négociations ayant lieu entre 1980 et 1982 lors de ce qui a été dénommé le « rapatriement constitutionnel »7Laurence Brosseau, Marc- André Roy : La disposition de dérogation de laCharte, Division des affaires juridiques et sociales et Service d’informations et de recherche parlementaire de la Bibliothèque du parlement, Publication numéro 2018-17-F, à la page 2. https://lop.parl.ca/staticfiles/PublicWebsite/Home/ResearchPublications/BackgroundPapers/PDF/2018-17-f.pdf. Il s’agit du processus entamé par Trudeau père permettant au Canada de dorénavant modifier sa constitution sans intervention du Royaume-Uni8Sheppard, Robert. « Rapatriement de la Constitution. » l’Encyclopédie Canadienne. Historica Canada. Article publié septembre 03, 2012; consulté le 5 mars 2023. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/canadianisation-de-la-constitution. L’idée de consacrer la protection des droits et libertés de la personne au sein de la loi suprême du pays par le biais d’une Charte ne faisant pas l’unanimité, l’adoption d’une clause dérogatoire avait alors pour but de convaincre les adversaires de cette limitation du pouvoir parlementaire9Ibid note 7.. L’entente finale contenant la Charte canadienne que l’on connaît aujourd’hui a été conclue en catimini dans la nuit du 4 novembre 1981 par le Canada anglais, et a été adoptée dès le lendemain, sans l’accord du Québec10Ibid note 7, à la page 4..
Place aux juges… non élu·e·s
La clause dérogatoire est toutefois bien loin d’être une simple disposition législative. Elle représente, pour ses partisan·e·s, la souveraineté parlementaire. Il faut savoir que la Loi constitutionnelle de 1982, à son article 52, indique que la Constitution canadienne est la loi suprême au Canada et qu’elle rend inopérantes les lois qui y sont incompatibles11Loi constitutionnelle de 1982, art 52, constituant l’annexe B de la Loi sur 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c11 https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-12.html#h-39. Les gouvernements ne peuvent donc pas légiférer sans respecter la Charte canadienne. Autrement dit, le cadre constitutionnel canadien limite la souveraineté parlementaire des différentes législatures et il en donne le contrôle, s’il y a lieu, aux tribunaux12Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, au para 89. 2014 CSC 21. https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/13544/index.do.
Les lois adoptées devant être compatibles avec la Constitution canadienne, il revient souvent aux juges de trancher des litiges de nature hautement politique lorsque, par exemple, une loi est contestée. Cette manière de procéder rappelle la théorie du gouvernement des juges. Cette théorie, à connotation plutôt négative, explique que le rôle des juges est initialement d’appliquer la loi, et que ce rôle dérive lorsqu’iels décident du contenu des lois elles-mêmes13Anne-Marie Le Pourhiet, « Gouvernement des juges et post-démocratie. » Constructif, 61, 45-49. 2022, https://doi.org/10.3917/const.061.0045. Le tout est vu comme un possible affront à la souveraineté parlementaire des élu·e·s. La clause dérogatoire permettrait alors de mettre en balance les principes de suprématie parlementaire et de suprématie constitutionnelle. Pour Pierre Elliot Trudeau, premier ministre lors du rapatriement de la Constitution, elle aurait pour mission de donner le « dernier mot » aux assemblées législatives du pays14Ibid, note 7, à la page 5..
Les chartes des droits et libertés de la personne n’ont-elles toutefois pas des objectifs louables? Pourquoi faudrait-il alors laisser les gouvernements y déroger, même au nom de la souveraineté parlementaire? En effet, les chartes concernant les droits de la personne ont eu des effets plus que positifs au sein des démocraties occidentales, et elles sont absolument nécessaires. Le problème, c’est qu’elles ont tendance à consacrer les droits individuels. Cela peut alors entrer en collision avec certains intérêts collectifs qui peuvent être tout aussi importants. Pensons, notamment, à la protection du français au Québec. La clause dérogatoire peut être utile dans une telle situation où un gouvernement souhaite prioriser un intérêt collectif au détriment de certaines libertés individuelles. Par exemple, la loi sur la langue officielle et commune du Québec (Projet de loi 96), qui a reçu application de la clause dérogatoire, interdit aux employeurs d’exiger la maitrise de la langue anglaise comme critère de sélection pour un emploi.
L’alternative de l’article premier
Avant d’affirmer la légitimité idéologique de la clause dérogatoire, il faut rappeler l’existence de l’article premier de la Charte canadienne. En effet, la clause dérogatoire n’est pas l’unique porte de sortie pour les assemblés législatives qui souhaitent affirmer leur souveraineté parlementaire. L’article premier mentionne qu’il est possible pour une loi de restreindre un droit si cette restriction est raisonnable dans le cadre d’une société « libre et démocratique »15Charte canadienne des droits et libertés, art 1, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html. Ces deux mots assez simples renferment en réalité un test juridique établi par les tribunaux, et que doit passer chaque loi contestée pour des motifs de discrimination. Les critères sont les suivants : la loi restreignant un droit individuel doit répondre à un objectif réel et urgent, un degré suffisant de proportionnalité doit être présent entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre, la restriction doit démontrer un lien rationnel avec l’objectif, l’atteinte au droit doit être minimale et, pour finir, il doit exister une proportionnalité entre les effets préjudiciables de la loi et ses effets bénéfiques16Ministère de la Justice du Canada, Article 1 – Limites raisonnables, 2022, Gouvernement du Canada https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/dlc-rfc/ccdl-ccrf/check/art1.html.
Comme nous pouvons le voir, même sans la présence d’une clause dérogatoire, il est possible pour un gouvernement de restreindre un droit individuel pour, par exemple, privilégier un intérêt collectif. Seulement, cette restriction est encadrée. La question se pose donc : souhaitons-nous réellement nous prévaloir de lois qui ne passent pas ce test juridique ? Bien que ce ne soit pas mentionné de manière explicite, la clause dérogatoire est appliquée lorsque le législateur considère que son texte législatif ne pourra répondre à tous ces critères. Pourrait-on y trouver une manière de cacher une forme de discrimination? Si la loi contestée n’est pas discriminatoire, ne devrait-elle pas être en mesure de passer ce test juridique? Initialement, il était établi qu’une utilisation discriminatoire de la clause dérogatoire par un gouvernement serait sanctionnée par le peuple lors des élections puisque la population ne souhaiterait pas le voir réélu17Ibid note 7, à la page 10.. Mais, qu’arrive-t-il lorsque la majorité de la population est en accord avec son utilisation ? Est-ce parce qu’une position est minoritaire qu’elle ne mérite pas d’être défendue? Les Québécois·es francophones, baignant dans une Amérique largement anglo-saxonne, sont plutôt bien placé·e·s pour répondre à cette question.
Et le droit international dans tout ça?
Le droit international, bien que configurant une réalité politique tout autre, semble également aller en ce sens. On retrouve dans plusieurs conventions des clauses dérogatoires. Contrairement à l’article 33 de la Charte canadienne, elles s’assurent quant à elles d’énoncer des critères à respecter dans l’éventualité où un État chercherait à restreindre des droits. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient par exemple une clause dérogatoire à son article 4. La disposition mentionne cependant qu’une dérogation est possible dans « le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation »18Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’art. 4, Entrée en vigueur le 23 mars 1976. https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights. La Convention américaine relative aux droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Charte arabe des droits de l’homme ont aussi une approche semblable en la matière. De fait, la Charte arabe des droits de l’homme mentionne à son article 4 la possibilité de déroger aux engagements de la charte à condition que ceci « n’entrain(e) aucune discrimination fondée sur le seul motif de la race, de la couleur, du sexe, de la langue, de la religion ou de l’origine sociale »19Charte arabe des droits de l’homme, à l’art. 4, Entrée en vigueur le 15 mars 2008. https://acihl.org/texts.htm?article_id=16. Ces clauses dérogatoires correspondent donc plutôt à la manière dont l’article premier a été défini par les tribunaux canadiens. Effectivement, l’article premier permet, tout comme la clause dérogatoire, de restreindre des droits fondamentaux. Il établit toutefois, en conformité avec le droit international, un certain encadrement.
Dissonance à Québec
François Legault allègue qu’un renvoi en Cour suprême du Canada à la demande de Justin Trudeau représenterait une attaque contre la nation québécoise. Ceci pourrait être compréhensible dans l’hypothèse où la clause nonobstant représenterait le dernier rempart de la souveraineté du peuple québécois et que tout type d’encadrement constituerait de facto une limitation. Toutefois, le premier ministre François Legault a-t-il réellement à cœur la suprématie parlementaire du système politique québécois ? Rappelons que la composition actuelle de l’Assemblée nationale est loin de réellement représenter la volonté du peuple québécois. Les élections de l’automne 2022 ont démontré une disproportion si grande entre le vote populaire et le nombre de sièges attribué à chaque parti, qu’elles ont obtenu un indice de Gallagher de 25,720Calcul fait par la Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable, publié sur Facebook, publié le 4 octobre 2022. Voir. https://www.facebook.com/ScrutinSENSE/posts/1068906407024417/. Le Québec se classe donc bien loin derrière les autres démocraties occidentales avec l’Allemagne à 3,41, la Belgique à 3,92 ou bien la Suède à 0,6421Michael Gallagher, « Election indices », 2023, consulté le 11 mars 2023, https://www.tcd.ie/Political_Science/people/michael_gallagher/ElSystems/Docts/ElectionIndices.pdf. Lorsqu’il est questionné au sujet de cette situation alarmante, François Legault répond que la réforme du mode de scrutin « n’intéresse pas la population, à part quelques intellectuel[·le·]s »22« Mode de scrutin : Legault accusé de prendre les Québécois “pour des imbéciles” », Radio-Canada, 5 septembre 2022 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911106/reforme-mode-de-scrutin-abandonnee-legault-prend-les-quebecois-pour-des-imbeciles. Est-ce là une manifestation de respect de la volonté du peuple québécois ?
Notre premier ministre s’érige haut et fort en défenseur de la nation québécoise devant Ottawa, mais s’écrase piteusement lorsque sa fronde risque d’entraîner une perte de sièges au Salon bleu. De plus, le gouvernement caquiste actuel ne se gêne pas pour faire adopter des lois « sous bâillon ». La procédure du bâillon permet au parti au pouvoir de limiter le temps de débat portant sur une loi et donc d’accélérer son processus d’adoption23« Bâillon », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 16 mai 2016.. C’est une manière de court-circuiter le processus parlementaire et c’est notamment ce qui a été fait lors de l’adoption du projet de loi 21. Bien qu’il ait fait couler beaucoup d’encre sur la question du port de signes religieux, le projet de loi modifiait également la Charte québécoise des droits et libertés de la personne24Pierre Bosset, « Une inquiétante désinvolture » Le Devoir, 15 mai 2019 https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/554344/une-inquietante-desinvolture. Le premier ministre s’est donc permis de modifier cette charte de nature quasi constitutionnelle sans obtenir le consensus de l’Assemblée, et sans même respecter le processus parlementaire habituel25Ibid.. En d’autres mots, lorsqu’il est question de souveraineté parlementaire, le Québec aura vu bien meilleur·e défenseur·e que François Legault.
Charte canadienne des droits et libertés, art 33, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html
Charte canadienne des droits et libertés, art 1, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html
Lundi le 19 octobre, les Canadiens apprenaient que leur nouveau gouvernement sera libéral et majoritaire, Justin Trudeau ayant gagné les élections fédérales haut la main, défiant toutes les prévisions électorales. À l’échelle nationale, c’est 184 sièges sur les 338 que le Parti libéral (PLC) a remportés. Avec un écart beaucoup plus grand que prévu, le Parti conservateur (PCC) formera l’opposition officielle avec seulement 99 députés, tandis que le Nouveau parti démocratique (NPD) n’a fait élire que 44 députés. Le Bloc québécois a pour sa part remporté 10 sièges et le Parti vert a conservé l’unique siège qu’il détenait.
L’écrasante victoire du Parti libéral a été une surprise pour bien des experts qui laissaient présager une lutte électorale extrêmement serrée entre libéraux et conservateurs. Plusieurs analystes prévoyaient une victoire libérale, mais l’on ne se doutait pas de l’entrée d’un gouvernement majoritaire.
En début de campagne électorale, les sondages laissaient entrevoir des intentions de vote très partagées. À la fin août, un sondage Nanos Research annonçait par exemple, une quasi-égalité statistique entre le PCC (30.1%), le PLC (29.9%) et le NPD (29.1%), laissant présager une lutte à trois (1), si bien qu’au début de la période électorale, on évoquait toujours la possibilité d’une coalition entre le Parti libéral et le NPD pour renverser le Parti conservateur (2). Un peu plus tard, en fin septembre, un nouveau sondage de la même firme dévoilait que les intentions de vote pour le PCC (31%), le PLC (29.4) et le NPD (29.1) étaient toujours à égalité (3). Puis, dans les derniers jours précédant le scrutin, les sondages révélaient que seuls le PLC et le PCC étaient véritablement dans la course, reléguant le NPD au troisième rang. Un sondage Nanos publié le 1er octobre projetait un appui de 32,8% pour les conservateurs, 31,7% pour les libéraux et 26,1% pour le NPD, suggérant l’émergence d’un combat à deux (4). Le 12 octobre, la firme plaçait les libéraux en tête avec 35,7% des intentions de vote, alors que les conservateurs en récoltaient 28,9% et les néo-démocrates 24,3%(5). L’ultime sondage Nanos Research publié le 18 octobre donnait au PLC 39,1% des intentions de vote, 30,5% au PCC et 19,7% au NPD (6). À la même date, les estimations du sondage Forum donnaient 40% des intentions de vote au PLC, 30% au PCC et 20% au NPD (7). Le dernier sondage Léger donnait pour sa part 38% des intentions de vote au PLC, 30% au PCC et 22% au NPD. (8). Au jour J, le PLC a remporté 39,5% des votes contre 31,9% pour le PCC et 19,7% pour le NPD. Respectivement, cela se traduit par 184, 99 et 44 sièges (9).
Ce que l’on peut observer, c’est que les estimations des derniers sondages sortis à quelques jours du scrutin ont été fidèles aux résultats des élections (10). Ce que l’on remarque cependant, c’est que plusieurs analystes et outils d’analyse utilisés par divers médias (le Signal, le Calcul électoral, Poll Tracker) se sont trompés, plus particulièrement sur le nombre de sièges estimés à chaque parti. Ainsi, le Signal, outil du magazine l’Actualité, donnait 160 sièges aux libéraux et 120 aux conservateurs (11). Le Calcul électoral du Journal de Montréal donnait pour sa part 137 sièges au PLC et 117 au PCC (12), tandis que Poll Tracker répartissait 146 sièges au PLC et 118 sièges au PCC (13). Les résultats des élections remettent en cause la valeur et l’efficacité de ces outils d’analyse (agrégateurs) qu’utilisent certains médias. Sont-ils réellement significatifs? L’assommante victoire des libéraux remportant 184 sièges très loin devant les conservateurs nous permet d’en douter. Claire Durand, professeure titulaire au Département de sociologie de l’Université de Montréal et vice-présidente de WAPOR (World Association of Public Opinion Research), croit que la situation était très complexe pour réussir à prédire quel parti pouvait remporter combien de sièges car on se trouvait dans une lutte à trois. Au total, douze analystes faisaient une prédiction du nombre de sièges et toutes ces personnes ce sont trompées, souligne-t-elle. Parmi eux, le site Too close to call s’était lui aussi égaré dans ses projections, accordant 137 sièges aux libéraux et 120 aux conservateurs, des estimations très éloignées de la réalité (14).
Il est donc important de faire la nuance entre sondages et agrégateurs, les premiers étant menés par des firmes (Léger, Nanos, Forum, Ekos, etc) pour analyser l’opinion publique en terme d’intention de vote, et les deuxièmes étant des instruments créés et utilisés par divers analystes et médias (le Signal, le Calcul électoral, Poll Tracker, Too close to call) qui tiennent compte des plus récents sondages et d’autres facteurs pour faire une prévision des votes par comté électoral et de la répartition des sièges.
Les sondages sont-ils réellement une nuisance à la démocratie?
Bien que les sondages puissent être des outils d’analyse efficaces, certains pensent que ceux-ci vont au-delà de l’analyse, tendent à influencer les intentions de vote et sont, par le fait même, une nuisance à la démocratie. Or, plusieurs experts défont cette présupposition et démontrent que les sondages n’ont pas nécessairement des effets négatifs et qu’au contraire, ils se révèlent plutôt comme des instruments appuyant la démocratie.
Selon Claire Durand, les résultats qu’affichent les sondages peuvent modifier l’intention de vote et entrainer quelqu’un, dans certaines circonstances, à passer d’un vote par conviction à un vote stratégique. « Ce qu’on voit c’est que les gens qui sont des partisans des petits partis, surtout quand la situation est serrée, vont avoir tendance a voter pour un parti qui a plus de chances de prendre le pouvoir quand ils veulent du changement ». Le contraire est possible aussi, pense la chercheure. Si on avait été dans une situation où l’on veut du changement et où la victoire du Parti libéral était absolument évidente au vu des résultats de sondage, probablement que plus de partisans du Parti vert auraient voté par conviction plutôt que par vote stratégique, affirme-t-elle. Les sondages sont utiles puisqu’ils permettent, en éclairant l’électeur sur les intentions populaires, d’orienter le vote, selon elle. Étant la seule information scientifique disponible aux électeurs en campagne électorale, Claire Durand croit que les sondages sont nécessaires pour informer ceux-ci. « Il n’y a aucune autre information qui est scientifique et qui peut être vérifiée par la suite. Dans le cas des sondages, on peut par la suite savoir s’ils ont bien prédit ou mal prédit la situation », ajoute-t-elle.
Bernard Motulsky, titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing de l’UQAM, auteur de plusieurs ouvrages sur les communications et président de la Société québécoise des professionnels en relations publiques (SQPRP), est du même avis. S’il admet que le contenu des sondages a certainement une influence sur les intentions de vote des électeurs, il n’irait cependant pas jusqu’à appeler cela une nuisance. « On ne doit pas désigner les sondages comme coupables, ils permettent d’avoir le portrait de la situation et nous aident à faire des choix […] Ils n’amplifient pas le vote stratégique, ils l’orientent », croit-il. Les gens choisissent de voter en se basant sur une série de facteurs, et les sondages sont un ingrédient dont ils disposent pour faire un choix, pense-t-il.
Dans le même ordre d’idées, François Pétry, professeur titulaire au Département de science politique à l’Université Laval, reconnait que la publication des résultats des intentions de vote a plusieurs effets sur le comportement des électeurs, mais que ces impacts ne sont pas nécessairement négatifs. Parmi eux, il y a l’effet sur la participation et l’effet sur le vote. Dans le premier cas de figure, certains experts affirment que la publication des résultats de sondage contribue à diminuer la participation au vote, d’autres disent exactement l’inverse. François Pétry croit que tout dépend du contexte: «Parfois la publication des résultats va augmenter la participation parce que ça montre un contexte où il y a beaucoup de compétition, les gens vont voter pour départager les partis, parfois au contraire, quand les sondages montrent qu’un parti est très en avance, ça peut décourager certains [à aller voter]». Dans un article publié dans l’État du Québec, le chercheur affirme que : «D’une manière générale les effets mobilisateurs et démobilisateurs de la lecture des sondages s’annulent mutuellement de telle sorte que l’effet net est faible. On a parfois prétendu que la lecture des sondages a démobilisé les électeurs au Québec. La baisse sensible de la participation électorale (93,5% au référendum de 1995 sur la souveraineté, 70.4% aux élections de 2003, 57,4% aux élections de 2008) au moment où les sondages se sont multipliés en serait la preuve. L’argument ne résiste toutefois pas à l’examen des faits. La participation électorale a continué d’augmenter au Québec jusque dans les années 1990, bien après que les sondages aient commencé à prendre de l’essor dans les années 60. En réalité, au Québec comme ailleurs, la participation électorale semble peu affectée dans un sens ou dans l’autre par les sondages» (15). Il observe d’ailleurs que le taux de participation aux élections de 2015 a augmenté par rapport à celui de 2011 alors même qu’il y a eu beaucoup plus de sondages et de couvertures médiatiques des coups de sonde durant la campagne de 2015. «Les gens qui font l’argument que la publication des résultats de sondage est mauvaise pour la démocratie, s’ils utilisent l’argument de la participation électorale, je pense qu’ils ont tort», affirme-t-il. Dans le deuxième cas de figure, le chercheur cite l’effet d’entrainement (aussi appelé le bandwagon) et le phénomène de vote stratégique. L’effet bandwagon décrit la situation où les électeurs se convertissent a un nouveau parti en raison de sa simple popularité dans les sondages, tandis que le vote stratégique implique non pas un changement de préférence, mais un vote tactique et temporaire pour vaincre un parti en particulier. Selon François Pétry, ces deux effets (le bandwagon et le vote stratégique) ont certainement joué dans la campagne cette année. Au Québec, il note un effet d’entrainement en faveur des libéraux. Pour ce qui est du vote stratégique, le candidat qui a fait les frais du vote stratégique contre lui est, selon Pétry, dans bien des circonscriptions, le candidat conservateur. Si le professeur reconnait certains effets de la publication des résultat de sondages sur le vote, il ne croit pas pour autant que les sondages sont des nuisances. Il pense plutôt que l’information prime et que plus les électeurs sont informés, mieux cela vaut pour la démocratie.
Médiatisation des sondages
Plusieurs experts s’entendent pour dire que la médiatisation des sondages dérape souvent. Claire Durand soutien qu’il existe un véritable problème d’éthique lorsque les médias sélectionnent un sondage aux résultats distingués et en font une nouvelle. « On devrait parler de tous les sondages qui sont publiés, on ne devrait pas faire la nouvelle avec un sondage. Pendant longtemps, un sondage qui était différent des autres, on le désignait de mauvais sondage, maintenant on dit que c’est le sondage qui fait la nouvelle parce qu’il est différent des autres », remarque-t-elle.
Pour sa part, Francois Pétry pense que les médias font du mieux qu’ils peuvent lorsqu’ils tentent de rapporter les résultats des firmes de sondages publics, mais il admet qu’il existe certaines lacunes sur le plan de la méthodologie. « Il y a une toute petite minorité de journalistes qui ont une formation en statistiques et qui comprennent ce que c‘est la marge d’erreur. L’idée théorique du journalisme scientifique, d’avoir des journalistes qui possèdent entièrement le domaine qu’ils couvrent, je pense que c’est un idéal qu’on n’atteindra jamais. » Il critique aussi certaines couvertures médiatiques qui prennent la forme d’un horse-race. Le horse-race est le journalisme politique qui met l’accent sur les résultats des sondages, le spectaculaire et la perception populaire plutôt que sur les idées du parti, dans le but d’attirer l’attention du public (16). « Les journalistes ont tendance à rapporter les résultats de sondages comme si c’étaient les résultats du match de hockey, qui gagne qui perd, alors qu’en réalité, ce qui est important surtout, c’est les enjeux », souligne-t-il. Le horse-race s’est illustré à plusieurs reprises durant la campagne de 2015 : « dès que Mulcair monte un peu dans les sondages, on en fait une grande histoire médiatique parce que les journalistes veulent vendre de la copie, et dès que Mulcair descend un petit peu dans les sondages, on en fait de nouveau une grande histoire, alors qu’il me semble que l’histoire la plus importante, c’est qu’est-ce que c’est la position des candidats sur les grands enjeux de société, et ça malheureusement ça passe au deuxième plan », note-il. Il fait aussi remarquer qu’après les débats des chefs, la première question qui s’est posée dans les commentaires journalistiques est « qui a gagné le débat? ». « Ce n’est pas ça la bonne question, la bonne question c’est qu’était le contenu du débat, quels ont été les grand enjeux et comment est-ce que chaque candidat a défendu son point de vue sur ces enjeux » ajoute-t-il.
Proscrire les sondages pendant la campagne électorale?
Bien que la Cour suprême du Canada ait invalidé depuis 1998 une disposition de la Loi électorale du Canada interdisant la publication de sondages plusieurs jours avant le vote pour les motifs de liberté d’expression et du droit du public à l’information (17), plusieurs persistent à croire que, par le fait d’avoir une influence sur les intentions de votes, les sondages devraient être interdits en période électorale.
Claire Durand affirme qu’on ne pourrait pas proscrire les sondages en période électorale parce qu’en alternative, des sondages pourraient être publiés aux États-Unis et, à l’ère d’Internet, il est difficile de les bannir. Pour la professeure, outre le fait que ce serait interdire la seule information scientifique disponible durant la campagne, l’interdiction des sondages entrainerait d’autres problématiques : « ce qui se passe à ce moment là, c’est qu’il y a des gens qui font quand même des sondages et la rumeur remplace les sondages, puis […] on ne peut pas vérifier si le sondage a vraiment été fait, on ne peut pas vérifier comment il a été fait donc c’est bien pire que d’avoir des sondages. »
Les grands partis politiques font leurs propres sondages et adaptent leur stratégie électorale en conséquence des résultats qui en ressortent. Les plus petits partis, moins riches, ne peuvent se payer des sondages privés aussi facilement. L’idée donc d’avoir des campagnes électorales sans sondages publics et où les seuls sondages accessibles aux partis sont des sondages privés autofinancés, serait un désavantage pour les partis moins importants, selon François Pétry. « Finalement, la publication des sondages électoraux, je crois que c’est un élément favorable à la compétition entre les partis politiques, ça rend la compétition plus égalitaire », souligne-t-il.
La loi électorale règlemente les sondages et oblige les sondeurs et les médias à fournir, avec les résultats, une série d’informations telles que le nom du demandeur du sondage, le nom de la personne ou de l’organisation, la date à laquelle ou la période au cours de laquelle le sondage s’est fait, la population de référence, le nombre de personnes contactées et la marge d’erreur. Le diffuseur d’un sondage doit aussi fournir le libellé des questions posées et la façon d’obtenir certains renseignements comme la méthode utilisée (18). François Pétry affirme cependant que la règlementation n’est pas toujours respectée. « C’est certain que le commissaire aux élections n’a pas les ressources pour partir à la chasse des journalistes et des maisons de sondages pour s’assurer à chaque fois que la loi est respectée. C’est un crime sans victime », ajoute-t-il. Claire Durand croit qu’effectivement, au départ, la règlementation n’a pas toujours été respectée, mais qu’aujourd’hui, la situation s’est nettement améliorée, certains sondeurs adoptant eux-mêmes une règlementation propre.
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L’élément principal qui ressort de cette brève analyse est que les sondages électoraux visent d’abord et avant tout à dresser un portrait des intentions populaires et à en mesurer les variations. Ils ont certes un impact sur les intentions de vote des électeurs, mais ne sont pas une nuisance en soi. Au contraire, ils sont d’une grande utilité, voire une nécessité, en campagne électorale, en tant qu’unique source d’information scientifique pour éclairer et orienter le vote. Dans certains cas, ils peuvent être incorrects ou erronés, l’histoire le prouve, mais c’est pourquoi ils doivent être lus, analysés et considérés avec grande prudence (en connaitre la méthodologie, tenir compte de la marge d’erreur, les interpréter globalement et non individuellement). À ce stade, plusieurs médias se sont égarés. En effet, ce seront plutôt les interprétations et les projections que font certains analystes et agrégateurs de ces sondages qui peuvent devenir une nuisance, ou encore le traitement médiatique des coups de sonde (lecture individuelle, sélectivité, horse-race). Ces facteurs peuvent donner une information incomplète ou erronée aux électeurs. Les médias, dont la première mission est d’informer le public le plus justement possible, doivent donc redoubler de prudence lorsque vient le temps de manier les sondages, qui, rappelons-le, n’ont pas la prétention de détenir une exactitude et une véracité absolue.
Le piratage de données informatiques est un phénomène mondial dont personne n’est à l’abri. Pas même les plus grandes célébrités. Et quand ce sont des photos d’elles nues qu’on pirate, la justice se brouille.
Le 31 août 2014, des pirates anonymes se sont emparés de photos intimes de centaines de stars sur leur compte iCloud pour ensuite les publier sur Reddit et 4Chan, des sites de partage de liens et d’images. Ce célèbre Celebgate (1), dont les principaux suspects sont Bryan Hamade, un Américain de 27 ans, et Sergei Kholodovskii, un Russe de 28 ans, remet en question la sécurité informatique du « Nuage ». Le cloud computing est un système qui permet le stockage et l’externalisation de données sur des serveurs liés à Internet. Autrement dit, grâce à l’informatique en nuage, les utilisateurs ont accès à leurs données, telles des photos, n’importe où et n’importe quand. Il suffit d’avoir en main un périphérique branché sur Internet : portable, téléphone intelligent, tablette. L’iCloud est un service de cloud computing pour les usagers d’Apple, mais il en existe d’autres en ligne comme Dropbox ou Google Drive.
En marge du scandale, plusieurs se sont penchés sur la méthode utilisée par les hackers pour obtenir les clichés privés. Quelques hypothèses ont été émises, dont le simple vol des mots de passe des célébrités pour avoir accès à leur compte iCloud grâce à une faille dans l’application « Localiser mon iPhone » d’Apple. Les pirates ont pu utiliser un logiciel pour tester des mots de passe des comptes des stars sans être bloqués, même après un certain nombre de tentatives infructueuses.
Au-delà de l’acte de pirater des données informatiques qui est un crime en soi, c’est le partage de photos de nus, intimes, intrinsèquement personnelles, dont il est question. Les technologies d’aujourd’hui permettent de saisir, parfois avec une facilité étonnante, des données qu’on croyait fermement protégées. L’actrice oscarisée Jennifer Lawrence fut l’une des victimes des pirates informatiques. Des clichés d’elle dénudée, destinés à son copain de l’époque, ont été dévoilés sur la Toile. En entrevue pour le magazine américain Vanity Fair, elle semble révoltée. « Ce n’est pas un scandale, c’est un crime sexuel. C’est une violation sexuelle, soutient-elle. C’est dégoûtant. Les lois doivent changer, et nous devons changer. »
Serait-il vraiment possible de considérer le piratage de photos de nus comme un crime sexuel? Bref, une infraction d’ordre sexuel au même titre que l’agression sexuelle? La question est complexe. Au Canada, aucun article du Code criminel n’y fait directement référence. Si une situation semblable s’était produite au Canada et qu’une victime avait porté plainte, plusieurs types d’accusations auraient pu être portées. D’abord, il y a le volet piratage qui est traité à l’article 342.1 du Code criminel qui rend illégal « l’accès et l’utilisation d’un système informatique par une personne non autorisée » (2). On pourrait également songer à une accusation de vol (ici de photos), mais une décision en décembre 2013 de la Cour d’appel du Québec a infirmé cette idée. « Les choses intangibles, comme des données informatiques, ne peuvent qu’être “détournées”, elles ne peuvent être “prises” puisqu’elles n’ont pas d’existence matérielle. Or, sans prise ou sans détournement qui puisse entraîner une privation pour la victime, il ne peut y avoir de vol » (3).
Ensuite, l’infraction de voyeurisme pourrait être évoquée. C’est-à-dire lorsqu’une personne, d’après l’article 162 du Code criminel, « subrepticement, observe, notamment par des moyens mécaniques ou électroniques, une personne — ou produit un enregistrement visuel d’une personne — se trouvant dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée ». De même, une accusation de corruption des mœurs décrite à l’article 163(1)(a), c’est-à-dire lorsque quelqu’un « produit, imprime, publie, distribue, met en circulation, ou a en sa possession aux fins de publier, distribuer ou mettre en circulation, quelque écrit, image, modèle, disque de phonographe ou autre chose obscène ». Cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de deux ans.
Toutefois, rien n’indique ou n’associe clairement le piratage de photos de nus à une infraction d’ordre sexuel. Ce crime ne peut donc être considéré juridiquement comme un crime sexuel, du moins au Canada. Le fait que Jennifer Lawrence, en tant que femme ayant subi un préjudice moralement irréparable, probablement choquée et oppressée par la façon dont on dispose de son corps, ait associé cet acte à une forme de violation sexuelle est compréhensible. Aux États-Unis, pays d’où provient la majorité des personnalités touchées par le Celebgate, la situation est différente. L’État de Californie a adopté en septembre une loi contre le piratage de photos intimes qui permet un « recours légal contre une personne qui distribue intentionnellement une image ou une vidéo à contenu sexuel d’une autre personne sans son consentement », et « avec intention d’infliger une détresse émotionnelle » (4).
Le piratage de photos intimes, au-delà du discours réducteur selon lequel les victimes n’avaient simplement pas à se photographier ainsi, viole le droit fondamental du respect de la vie privée. Un phénomène similaire, la cybervengeance ou revenge porn, qui consiste en la publication et le partage en ligne d’un document sexuellement explicite sans le consentement de la personne qui figure sur ledit document, s’observe de plus en plus. Des pirates informatiques ou d’anciens partenaires téléchargent par exemple des photos à caractère pornographique de la victime, souvent féminine, et les diffusent sur le web où, on le sait, rien ne peut jamais complètement disparaître. Au Québec, une jeune femme de Victoriaville, Maggy Saint-Martin, poursuit présentement en justice pour un montant de 35 000$ un ancien collègue de travail pour diffusion sur les réseaux sociaux de photos de ses implants mammaires. Douze États américains, dont la Californie, ont adopté des lois pour criminaliser le revenge porn, tout comme Israël et l’Allemagne. Au Canada, le projet de loi C-13, adopté le 9 décembre 2014, permet de condamner la cybervengeance et la cyberintimidation, et ainsi criminaliser le piratage de photos de nus. L’article 162.1 a été ajouté au Code criminel où « Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non » peut être déclaré coupable d’acte criminel et être passible d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. Le projet de loi essuie cependant plusieurs critiques. Selon ses opposants, il faciliterait la surveillance policière et l’accès aux renseignements personnels des Canadiens. Ce qui revoit à l’éternel débat entre la protection des renseignements personnels et le droit d’accéder à ceux-ci au nom de la sécurité nationale, mais il s’agit d’une autre discussion.
Le piratage de données, plus particulièrement de photos de nus privées, est un crime. Difficile cependant de le considérer d’un point de vue juridique comme un crime sexuel. Le développement du phénomène conjugué à l’adoption de plusieurs législations un peu partout dans le monde a toutefois certainement influencé le Canada à revoir son Code criminel sur la question.
(1) Le suffixe gate est utilisé par les médias anglophones depuis le scandale du Watergate dans les années 1970. Il tend à désigner un scandale en lien avec l’autorité politique et gouvernementale. Ici, celeb fait référence aux célébrités touchées par le piratage de données.
(2) Gendarmerie royale du Canada. « Crimes technologiques », Gendarmerie royale du Canada, [en ligne], http://www.rcmp-grc.gc.ca/ns/prog_services/specialized-services-services-specialises/technological-crime-Crimes-technologiques/index-fra.htm (page consultée le 4 décembre 2014).
(3) Cormier c. R., 2013 QCCA 2068 (CanLII)
(4) LE MONDE. « La Californie adopte une loi contre le piratage de photos intimes », Le Monde (1er octobre 2014), [en ligne], http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/10/01/la-californie-adopte-une-loi-contre-le-piratage-de-photos-intimes_4498198_3222.html (page consultée le 4 décembre 2014).