Du Plateau-Mont-Royal à Rivières-des-Prairies, des petits médias fournissent une information locale rare aux résident·es des quartiers montréalais. Malgré les difficultés financières, ces médias locaux assurent un journalisme de proximité indispensable à la vie démocratique.
Résidente du Mile End, la journaliste Gaëlle Engelberts s’est rapidement rendue compte que l’information sur le quartier était difficilement accessible. « Ce n’est pas qu’elle n’existait pas, c’est plus qu’elle était éparpillée », raconte-t-elle. Pour savoir ce qu’il se passe dans le quartier, les résident·es devaient jongler entre les sites de l’arrondissement, de la ville, des organismes communautaires, ainsi que les réseaux sociaux et les grands médias.
Lorsque son congé maternité est arrivé, la journaliste s’est alors mise à collecter l’information qui concernait le Mile End, en allant la chercher sur ces différents médiums. Elle rassemble le tout dans une infolettre, un « format efficace, qui vient directement à nous », estime-t-elle. C’est ainsi qu’a débuté Mon Plateau, à l’origine une infolettre hebdomadaire, et aujourd’hui un média hyperlocal en ligne, composé d’une éditrice et d’un journaliste.
« Le focus médiatique est parfois concentré sur le centre-ville ou sur certains arrondissements où il y a plus d’effervescence », regrette Justine Aubry, rédactrice en cheffe de l’EST MÉDIA Montréal. C’est pour répondre à ce désert médiatique que le journaliste André Bérubé crée en 2018 un média en ligne destiné à couvrir les arrondissements de l’est de Montréal, qui emploie aujourd’hui six personnes.
Au-delà de ces deux médias, on retrouve d’autres titres locaux comme Nouvelles d’ici, qui couvre les arrondissements du sud, ou le Journal des Voisins, qui officie à Ahunstic-Cartierville
Ces médias locaux sont souvent les seuls à couvrir leur territoire, fournissant une information rare sur leurs quartiers et leurs arrondissements. L’EST MÉDIA Montréal est l’unique média local grand public à couvrir ce secteur, pourtant immense. Du côté du Plateau, Gaëlle Engelberts estime que sans Mon Plateau, la couverture locale du quartier serait inexistante.
« C’est important de parler des États-Unis etc., mais qu’est-ce qui se passe ici maintenant ? Il y a des enjeux très importants dans les municipalités, et il faut en parler aussi », plaide Justine Aubry.
Un traitement long
Ce n’est en effet pas les enjeux locaux qui manquent. L’est de Montréal est un territoire en plein développement, traversé par des enjeux immobiliers, industriels, d’emploi et de mobilité, que l’EST MÉDIA Montréal couvre à travers des nouvelles et des reportages.
« On est plus dans le style magazine que dans l’actualité day-to-day », explique la rédactrice en cheffe. Être un média local n’empêche pas de fournir des textes étoffés, au contraire : « Pour certains sujets locaux, les gros journaux vont parfois faire une couverture plus large, tandis que nous, on va vraiment en profondeur dans les enjeux qui concernent nos territoire, […] par exemple en faisant le suivi d’un même projet au fil des ans. »
Le journalisme local est un journalisme de terrain, avance Justine Aubry : « Je ne sais pas si les gros médias ont la chance d’avoir cette proximité avec les personnes du terrain ; nous ça nous permet d’être au devant de la scène. »
L’EST MÉDIA Montréal met ainsi en lumière des acteur·ices et des réalités différent·es des médias mainstream. « On va aller chercher des gens qui ont pas nécessairement le micro », raconte la rédactrice en cheffe. Dans le cas d’un article sur la crise du logement, le média va par exemple s’entretenir avec le comité logement de Rivières-des-Prairies plutôt qu’un regroupement d’organismes plus central.
Une couverture hyperlocale
Le média Mon Plateau traite quant à lui d’une échelle encore plus réduite, celle de l’hyperlocal. Gaëlle Engelberts estime qu’au-delà de l’arrondissement, il est essentiel d’avoir une couverture médiatique par quartier. « La réalité de la personne qui habite dans le Mile End est différente de celle qui habitesur Papineau ou de celle qui habite à Milton Parc. » Son média propose ainsi des infolettres différentes pour chacun des trois secteurs identifiés sur le Plateau.
En plus de l’infolettre, Mon Plateau publie des articles de nouvelles, « au départ très pratico-pratiques », selon l’éditrice, avec des informations sur les chantiers en cours, les services offerts ou les fermetures de commerce. Puis, la couverture s’est élargie à la vie démocratique, avec la couverture des conseils d’arrondissements ou la mise en avant des organismes communautaires.
Comme son confrère de l’est, Mon Plateau tire son information « à 100% » du terrain. En recrutant un journaliste, Gaëlle Engelberts avait d’ailleurs comme critère qu’il habite l’arrondissement. « C’est vraiment un emploi qui lié à la communauté », soutient l’éditrice, et l’équipe du média gagne à en faire partie.
Un journalisme d’impact
Depuis son congé maternité où elle a commencé l’infolettre, Gaëlle Engelberts s’est lancée à temps plein dans le développement de Mon Plateau. Elle dit avoir « l’impression de faire une plus grande différence dans la vie des gens » que lorsqu’elle travaillait pour de grands médias nationaux, en raison de la proximité avec son public. C’est également une fierté pour elle « d’avoir pu contribuer comme résidente du Plateau à ramener un média local dans l’arrondissement », dit-elle.
Quant à Justine Aubry, c’est le traitement long de la couverture locale qui lui a particulièrement plu en tant que journaliste. « On va prendre le temps de vraiment trouver la réponse à nos questions, de soulever l’enjeu, de trouver un angle, d’appeler les gens », apprécie-t-elle. Le tout entourée d’une « petite équipe passionnée ».
Une constante fragilité financière
Bien qu’essentiels, les médias locaux demeurent fragiles en raison d’un contexte économique difficile pour les médias – d’autant plus pour les plus petits d’entre eux. Gaëlle Engelberts évoque à ce titre la fermeture du journal Métro en 2023 pour des raisons financières, « ce qui restait de la presse locale » sur le Plateau selon elle.
« C’est sûr que ce n’est pas facile au niveau financier pour les médias », admet Justine Aubry, « il faut être très créatif pour trouver des moyens d’être rentable ». Les responsables des médias locaux travaillent alors à chercher des subventions, des partenaires publicitaires, des abonnements et des dons, afin de diversifier leurs sources de revenu et de limiter les risques.
Malgré cela, les personnes à la tête de ces médias disent rester optimistes et redoubler d’efforts. « Tout ça pour continuer notre mission », rappelle Justine Aubry, celle de « fournir un journalisme local de qualité ».
Le Comité autonome des travailleur.ses du sexe souhaite créer des syndicats autonomes dans les salons de massage et les clubs de danse québécois, pour permettre aux travailleur·ses du sexe de défendre leurs droits.
Longtemps, les travailleur.ses du sexe (TDS) ont tu leurs mauvaises conditions de travail par peur que la répression légale et policière soit décuplée. Le travail du sexe étant criminalisé au Canada, les travailleur.ses de ce milieu stigmatisé ne voulaient pas « donner raison aux personnes qui veulent abolir l’industrie ». C’est ce que nous expliquent Adore Goldman et Melina May, membres du Comité autonome des travailleur.ses du sexe (CATS), un collectif de TDS qui milite pour défendre leurs droits.
Le modèle légal en vigueur vise à « protéger les femmes » de l’exploitation sexuelle, selon les TDS rencontrées. Toutefois, ces dernières défendent leur droit à exercer l’activité professionnelle qu’elles veulent. Pour beaucoup, le travail du sexe est un moyen d’améliorer leur qualité de vie, souligne Melina May. C’est un moyen plus rapide et plus flexible de subvenir à leurs besoins, alors que les conditions de vie des femmes, des personnes queer et migrantes sont davantage précarisées. « Notre féminisme à nous prend moins une position morale ou idéaliste, et est davantage centré sur nos conditions matérielles », poursuit Melina May.
Plutôt que de protéger les TDS, la criminalisation participe à produire des conditions de travail précaires et dangereuses, selon les membres du CATS. Les TDS sont ainsi confisqué·es de leurs droits du travail et se retrouvent face à des patrons qui agissent en toute liberté grâce à l’absence de régulation. « On ne peut pas aller aux normes du travail et dire que notre patron ne nous respecte pas, on ne peut pas se syndiquer, on n’a aucun levier car notre travail n’est pas reconnu », dénoncent Adore Goldman et Melina May.
Des enjeux de violence et d’insalubrité
Face au cercle vicieux que représente la criminalisation et les mauvaises conditions de travail, les membres du CATS ont décidé de « prendre le taureau par les cornes », comme l’image Melina May, et de s’organiser pour leurs droits malgré le statut illégal de leur activité.
Le collectif de travailleur·ses du sexe a ainsi réalisé une enquête militante sur les conditions de travail des TDS en salon de massage à Montréal. S’appuyant sur le témoignage de 14 masseuses, l’enquête vise à « collecter de l’information sur nos milieux de travail et de documenter les résistances pour en faire de nouveaux moyens de lutte », relate Melina May. Plutôt que de fournir des histoires sensationnalistes qui nourrissent le discours abolitionniste, le CATS veut montrer que « c’est vrai que ces histoires-là existent, mais que la solution, ce n’est pas la criminalisation », poursuit Adore Goldman.
Si les conditions de travail varient d’une situation à l’autre, les enjeux de violences et d’insalubrité sont récurrents dans les salons de massage. Selon l’enquête, « toutes les personnes interrogées ont déclaré avoir subi une forme de violence – physique, sexuelle, économique ou psychologique » au travail. Celle-ci peut tout d’abord s’exercer de la part de clients violents, à travers des agressions, des gestes non négociés au préalable, des propos discriminatoires, ou des violences économiques. Ces clients problématiques sont souvent tolérés par les patrons de ces salons, qui se rangent de leur côté en vue de maximiser les profits.
Les patrons sont également à l’origine de mauvais traitements. « Ce sont des petits rois, c’est eux qui font les règles », témoigne Adore Goldman. Les gérants imposent ainsi des pratiques interdites par les normes du travail, tels que des quarts de travail plus longs, l’interdiction de sortir à l’extérieur, le harcèlement ou les renvois arbitraires. Les TDS sont aussi généralement tenues d’effectuer le travail ménager de manière gratuite. La répartition des tâches étant assez floue, c’est souvent à elles que revient la tâche de nettoyer les chambres, les douches, et parfois les espaces communs.
Concernant la salubrité, la moitié des répondantes se disent répugnées par les conditions d’hygiène. Il manque régulièrement d’équipements et d’outils de nettoyage, et certains salons présentent des infestations d’insectes nuisibles, des moisissures ou des infiltrations. Dans ce contexte, les plaintes des TDS sont rarement prises en compte par les patrons, et les personnes les plus militantes s’exposent à des renvois arbitraires.
S’organiser pour mieux se protéger
Face à l’absence de protection légale, le CATS vise à s’organiser en mouvement de travailleur·ses, afin de revendiquer des droits auprès des patrons et d’améliorer les conditions de travail, sans attendre la décriminalisation. « Dans un secteur fortement stigmatisé et criminalisé, où nous ne pouvons pas compter sur la direction ou même sur le gouvernement pour assurer notre sécurité, nous devons mobiliser notre force collective contre ces injustices », peut-on lire dans le Manifeste sur l’organisation dans nos milieux de travail, publié par le CATS pour l’occasion.
Cette organisation prendrait ainsi la forme de syndicats autonomes dans les salons de massage et les clubs de danse, gérés par les TDS elleux-même et non-reconnus légalement. À travers eux, les employé·es pourront agir collectivement pour revendiquer l’accès aux mêmes droits que les autres travailleur·ses auprès de leur direction : des conditions de travail sécuritaires, une meilleure rémunération, des congés maladie, ou encore la dénonciation des abus.
Pour y parvenir, le CATS veut employer des actions similaires à celles des syndicats traditionnels : le piquetage, la grève ou les démissions collectives, indique le manifeste. « Ce sont des moyens d’action qui ressemblent pas mal à ce qu’on connaît », souligne Melina May.
Cette syndicalisation des TDS ne serait pas une première. À Los Angeles, des strippers ont obtenu la liberté d’horaire, l’encadrement des renvois et une meilleure protection face aux clients après avoir fait grève pendant un an et demi. Ce genre d’exemple « donne espoir aux gens que c’est possible de se syndiquer dans ces milieux-là », raconte Adore Goldman.
C’est ce qui peut expliquer le succès de la soirée de lancement du mouvement syndical du CATS, qui a réuni une trentaine de TDS intéressé·es par le projet. « Un public quand même gros pour nos activités », s’enthousiasme Melina May, qui décèle un engouement important pour ce mouvement parmi ses collègues.
Vers davantage de reconnaissance
À travers leur mobilisation autonome, les TDS veulent également montrer à l’État qu’elles ont besoin de droits, et que cela passe par la décriminalisation. « On veut forcer la reconnaissance par notre organisation », expliquent les deux membres du CATS. En prenant les devants, le comité de défense des TDS espère pousser le gouvernement à se positionner sur les conflits de travail qui émaneront, et le faire sortir de sa « frilosité » à l’égard du travail du sexe, ajoute Melina May.
Alors que les TDS sont fortement stigmatisées dans la sphère politique, mais aussi sociale, cette mobilisation pourrait contribuer à les « humaniser davantage » auprès des responsables politiques et du grand public, espère Adore Goldman : « On est des travailleur·ses qui luttons pour nos conditions de travail, c’est une cause à laquelle tout le monde peut s’identifier. »
Marc Bourcier dans son bureau, après la première réunion de la matinée.
À travers sa série Portraits d’élu·es, L’Esprit Libre suit des élu·es municipaux·les le temps d’une journée, pour retracer leur parcours et raconter leur quotidien. Pour cet article, nous nous sommes rendus à Saint-Jérôme, pour rencontrer le maire Marc Bourcier, né ici et élu en 2021.
En arrivant dans son bureau en ce lundi matin, le maire de Saint-Jérôme Marc Bourcier affiche un grand sourire, comme si l’hôtel de ville lui avait manqué pendant la fin de semaine. Casquette des Canadiens de Montréal vissée sur la tête, il s’empresse d’enfiler son veston rose de travail qui l’attendait dans un placard.
Au fond de sa pièce de travail trône les drapeaux du Québec et de St Jérôme, au milieu desquels est encadrée la photo d’équipe de la saison 1955-56 des Habs. Outre les nombreuses références à sa grande passion pour le hockey, on repère un imposant dictionnaire placé au milieu de son bureau, une figurine du cow-boy de Toy’s Story, et des cartes de Star Trek.
Son adjointe administrative Annie Larouche passe alors une tête à travers la porte et l’enjoint à se diriger dans la salle de réunion adjacente pour planifier les événements à venir. Elle nous apprend alors que cette journée est typique d’un lundi. Après l’agenda et les correspondances matinales s’en suivront une entrevue pour un média local, un dîner avec un élu, une réunion avec le service des communications, et une rencontre avec les conseillers municipaux.
Une vie dédiée à Saint-Jérôme
Si M. Bourcier a attendu ses 56 ans pour se lancer en politique, Saint-Jérôme n’a rien de nouveau pour lui, comme il nous l’explique après la réunion matinale. Né ici, il y a également vécu toute ses vies. Il a tout d’abord consacré 35 ans de carrière d’enseignant aux élèves de sixième année de l’école Notre Dame de Saint-Jérôme. Il prend sa retraite prématurément en 2013, pour vivre d’autres choses, dit-il. Il se présente alors comme conseiller municipal, et est élu avec la troisième plus grande majorité pour un conseiller cette année-là. Il s’implique en politique pour « être sur le terrain et changer les choses », notamment en améliorant la vie des enfants de son ancienne école, qui résident dans un quartier défavorisé.
Le nouvel arrivé en politique fait ensuite un passage par le provincial. En 2016, le député péquiste de la ville Pierre Karl Péladeau démissionne, et M. Bourcier est élu pour le remplacer. Cette expérience de deux ans entre Québec et Saint-Jérôme est très formatrice, et lui permet d’acquérir une vision politique plus globale et des contacts qui seront utiles par la suite en tant que maire, juge-t-il.
C’est la force des choses qui le fait revenir au municipal, lorsque le maire de l’époque Stéphane Maher est reconnu coupable de fraude électorale, et est destitué de ses fonctions en 2021. « Je l’ai vécu assez tough […]. Les gens de Saint-Jérôme avaient honte, moi aussi », raconte M. Bourcier. L’ancien enseignant a alors senti le besoin de s’impliquer de nouveau aux affaires municipales pour « essayer de réparer la ville », après un épisode qui a ébranlé la confiance des citoyens et la réputation de Saint-Jérôme. Il se présente alors aux élections de 2021, et obtient 42,58% des voix. Son parti, Avenir St-Jérôme, remporte 10 sièges sur 12 au conseil municipal.
Le maire donne une entrevue à un journal local.
Rendre la ville agréable à vivre
Ses trois ans et demi de mandat ont eu pour objectif de rendre les résident·es heureux·ses et fier·ères d’habiter à Saint-Jérôme. Cela après que l’affaire Maher ait créé un « climat de défiance », mais aussi que la réputation de la ville n’ait jamais été très bonne, confère le maire depuis son bureau. Encore aujourd’hui, la ville est parfois attaquée dans les médias ou sur les forums pour son centre-ville insécuritaire ou son manque d’intérêt.
M. Bourcier se lève alors et sort sur la terrasse du troisième étage, qui surplombe la place de la Gare et la cathédrale Saint-Jérôme. L’attrait de la ville, dit-il, repose notamment par la programmation culturelle et la mise en valeur du patrimoine. Il pointe alors du doigt l’ancienne gare et l’amphithéâtre Rolland où prennent place de nombreux événements culturels. « On a une programmation estivale gratuite, il y a parfois 10 000 personnes qui viennent. Il y a aussi des activités pratiquement tous les jours dans les quartiers », relate-t-il fièrement. St Jérôme est la capitale régionale des Laurentides, comme le rappelle le maire, et « se doit de l’assumer » en attirant des visiteur·ses et ses propres résident·es.
Le maire désigne ensuite le kilomètre zéro du réseau cyclable du P’tit train du Nord, qui trouve son départ au pied de l’hôtel de ville. C’est un endroit qu’il affectionne particulièrement, et qu’il a mis en valeur à travers plusieurs projets depuis le début de son mandat. Ce parc linéaire contribue, avec les 125 autres parcs de la ville et la rivière qui la traverse, à faire de Saint-Jérôme la ville la plus verte au Canada depuis deux ans. « Il fait bon vivre à St Jérôme. Une partie des habitant·es disent que c’est la ville avec les attraits de la campagne, et une autre partie disent que c’est l’inverse », s’amuse-t-il.
De retour dans son bureau, M. Bourcier attire notre attention sur la photo d’une patinoire, peut-être l’accomplissement dont il semble le plus fier. Il s’agit de la patinoire tricolore des Canadiens, située dans le quartier de son ancienne école, pour laquelle il a milité pendant plus de 14 ans, raconte-t-il : « Pendant des années, j’écrivais à la Fondation des Canadiens pour qu’ils viennent [installer une patinoire] et que nos jeunes défavorisés puissent bouger. » Aujourd’hui, la patinoire accueille 18 000 visiteurs par an selon les données de M. Bourcier, et attire des amateur·rices venu·es de toutes les Laurentides.
Le sport est l’un des vecteurs sur lesquels s’appuie M. Bourcier pour développer l’attractivité de la ville, et en faire une « cité des sports ». Son administration a également conclu une entente avec l’équipe de football des Alouettes de Montréal pour qu’elle installe son camp d’entraînement à Saint-Jérôme pendant trois ans, qui s’accompagne d’une programmation sportive et festive destinée aux citoyens.
Faire le bilan
À quelques mois de la fin de son mandat, M. Bourcier estime avoir « remis la maison en ordre ». Des défis persistent toujours, liés notamment à la densification de la ville, aux enjeux d’itinérance et aux attraits du centre-ville.
Le maire quittera toutefois ses fonctions à la fin de son mandat, comme il l’avait prévu. Autant par principe que pour prendre du temps pour lui et sa famille, explique-t-il. « J’ai un livre sur le sport à écrire, puis je veux faire de la musique », ajoute-t-il. Un retour à des occupations plus « normales », après dix ans d’engagement politique pour Saint-Jérôme, dont quatre ans en tant que maire de la ville.
M. Sabourin lors de la Commission du développement du territoire et de l’habitation, dont il est le président – Charline Caro
À travers sa série Portraits d’élu·es, L’Esprit Libre suit des élu·es municipaux·les le temps d’une journée, pour retracer leur parcours et raconter leur quotidien. Pour cet épisode, nous nous sommes rendus à Gatineau, pour rencontrer le conseiller municipal Louis Sabourin, qui a choisi de ne briguer qu’un seul mandat.
À 9 h du matin, l’Hôtel de ville de Gatineau est encore calme, malgré le passage de quelques fonctionnaires. Situé à la frontière du Québec et de l’Ontario, l’édifice surplombe la rivière des Outaouais, de l’autre côté de laquelle se trouve la colline parlementaire d’Ottawa. Loin de l’agitation fédérale, nous restons sur la rive québécoise, pour passer une journée avec un conseiller municipal de la Ville de Gatineau.
C’est au quatrième étage que nous avons rendez-vous avec le conseiller Louis Sabourin, élu lors des dernières élections municipales de 2021 pour le parti d’Action Gatineau. M. Sabourin a accepté ce reportage après notre appel à volontaires aux conseiller·ères du Québec, dans le but de montrer les aspects positifs de la fonction d’élu municipal et de « donner envie aux gens de se lancer ».
Les bureaux des conseillers se succèdent le long d’un couloir, jusqu’à celui de M. Sabourin. Pas de chance pour notre hôte du jour, le tirage au sort l’a fait hérité d’un local sans fenêtre. L’élu s’affaire derrière son ordinateur, en compagnie de son agent de recherche et assistant Gautier Chardin. Derrière lui se trouve une carte du district de Limbour, à Gatineau, qu’il habite depuis vingt ans et dont il est le conseiller municipal depuis trois ans.
M. Sabourin dans son bureau, avec une carte de son district de Limbour en arrière – Charline Caro
M. Sabourin n’avait jamais fait de politique auparavant. Lorsque nous lui demandons des précisions sur sa carrière professionnelle, son assistant et lui échappent un rire. L’élu déballe alors son curriculum vitae : « J’ai été infirmier quand même assez longtemps, puis enseignant au primaire moins longtemps. J’ai aussi été courtier immobilier, puis inspecteur en bâtiment. J’ai eu plusieurs entreprises dans des domaines différents, et me suis impliqué dans le communautaire. » Le conseiller explique alors aimer changer de travail régulièrement, « tous les quatre ans en moyenne », afin de vivre de nouvelles expériences.
Il reconnaît toutefois un fil conducteur à cette carrière très diversifiée : « C’est le service à la personne, le fait de voir du monde et d’aider les gens », croit-il. La politique municipale lui apparaît ainsi comme une « suite logique ». En 2021, il se présente alors aux élections municipales, avec comme motivation principale d’apprendre de cette nouvelle expérience, et est élu.
L’expérience du terrain
À 10 h, le conseiller et son assistant M. Chardin quittent l’Hôtel de ville pour se rendre au premier rendez-vous de la journée. Dans la voiture qui nous y mène, M. Sabourin dit être « content de [s’être] lancé en politique maintenant, et pas avant ». Les expériences professionnelles qu’il a multipliées jusqu’ici lui sont très utiles dans son quotidien d’élu, juge-t-il. Sa fonction le place notamment en relation directe avec les citoyen·nes, qui lui adressent de nombreuses requêtes. Alors que tous ces « gens fâchés » peuvent parfois éreinter certain·es élu·es, lui estime avoir l’habitude de gérer et de comprendre les plaintes : « Quand j’étais infirmier, les gens attendaient huit heures dans une salle d’urgence avant de voir un médecin, on peut se dire qu’ils étaient très fâchés. »
Sa matinée est d’ailleurs dédiée aux requêtes qui lui ont été adressées par les citoyen·nes de son district. Après dix minutes de voiture, nous arrivons au centre de services de Gatineau, où M. Sabourin doit rencontrer le directeur territorial, en charge des services municipaux. Une réunion hebdomadaire dans laquelle le conseiller municipal fait remonter les plaintes des citoyens concernant les services de la ville : un déneigement mal effectué sur un trottoir, un nid de poule à reboucher, ou des bus trop nombreux sur une rue. Dans une ambiance conviviale, MM. Sabourin et Chardin reprennent un à un les signalements qui leur ont été faits, et envisagent des solutions avec le directeur territorial et son assistante.
MM. Sabourin et Chardin au centre de services de Gatineau, où ils rencontrent le directeur territorial et son assistante pour traiter les requêtes des citoyens.
Le choix d’un seul mandat
Après une heure de réunion, l’élu et son assistant se rendent dans un café avoisinant le centre de services de Gatineau. Ils s’installent au fond de la salle, latte et sandwich à la main. En guise de compte-rendu de la réunion, M. Sabourin raconte que son travail est assez routinier : « en hiver, c’est le déneigement, au printemps les nids de poule, et en été le gazon ». Un mandat de quatre ans revient selon lui à faire « quatre fois le même tour du jardin », et c’est suffisant. Son assistant sourit, connaissant l’aversion de son conseiller pour la routine.
Son expérience politique n’échappera pas à la règle : elle durera quelques années seulement, comme ses précédentes expériences professionnelles. Le conseiller confie entre deux bouchées qu’il sait « depuis le début » qu’il ne sollicitera pas de deuxième mandat. Un fait rare pour un élu, alors que la quasi-totalité de ses collègues se représentent aux élections municipales de novembre, dont certains pour la troisième ou la quatrième fois.
Après avoir salué le directeur général d’Action Gatineau qui entrait dans le café, M. Sabourin explique qu’au-delà d’être un choix personnel, le mandat unique a des avantages sur le plan politique. « Les décisions que je prends ne sont jamais électoralistes, car les prochaines élections n’ont aucun poids dans la balance », expose-t-il, soutenant que son seul intérêt est le bien commun. En raison de sa courte expérience en politique, il se considère plus comme un citoyen politicien que l’inverse, et davantage connecté aux réalités du terrain. Il n’est toutefois pas le seul politicien à défendre de nobles motivations.
Sachant qu’il n’avait que quatre ans devant lui, M. Sabourin estime également avoir maximisé son implication, en multipliant les dossiers et les commissions dont il a la charge. « Je pense qu’un élu qui sait qu’il n’a qu’un mandat mettra beaucoup plus d’énergie que celui qui en fait deux ou trois », expose-t-il, tout en précisant qu’il respecte les choix de chacun·e. Adepte de sport d’endurance, l’élu tente une comparaison avec la course à pied : « Si je fais 4km, je vais courir vite, mais si j’en fais huit ou douze, je vais y aller plus mollo ».
Il est midi, et c’est le moment de rentrer à l’Hôtel de ville. Dans la voiture, le conseiller et son assistant échangent sur la course à pied, sans métaphore politique cette fois-ci. M. Chardin nous apprend que son élu prépare le marathon de l’île Perrot en mai. Si M. Sabourin veut faire seulement 4 km en politique, il en courra 42 au mois prochain.
À 11h, M. Sabourin et son assistant se retrouvent dans un café avant de retourner à l’Hôtel de Ville.
Apprendre de la politique
Dans l’après-midi, M. Sabourin préside la Commission du développement du territoire et de l’habitation, dont la séance du jour porte sur la mise en œuvre de logements abordables. Le conseiller se rend à la salle Mont-bleu, au premier étage de l’Hôtel de ville, dans laquelle une dizaine de conseiller·ères sont installé·es autour d’une table en U. Les autres membres de la commission, issus du monde politique et des affaires, des secteurs communautaires ou des citoyen·ne·s, ont rejoint la réunion par un appel en visioconférence projeté sur un grand écran.
M. Sabourin avait déjà eu affaire à ces enjeux lorsqu’il était courtier immobilier ou inspecteur en bâtiment. Mais y faire face depuis le côté politique est une toute autre chose, témoigne-t-il. « Cela m’amène à avoir une vision beaucoup plus large du développement d’une ville, et plus globalement de ma façon de voir le monde », relate-t-il. En tant que conseiller municipal et président de commission, M. Sabourin doit prendre en compte une variété de points de vue, à l’image des différent·es représentant·es d’entreprises ou d’OBNL qui s’expriment au cours de la commission.
En tant que citoyen, l’élu estime que c’est une grande chance de « voir l’autre côté de la médaille », et de comprendre les rouages de la prise de décision publique. S’il s’est lancé en politique, c’était d’ailleurs avant tout pour apprendre, comme il en faisait part dans la matinée : « C’est comme un quatre ans d’université […] durant lequel j’ai énormément appris ». À la fin de son mandat en novembre prochain, M. Sabourin redeviendra un citoyen, « mais un citoyen mieux outillé ».
Mais alors, qu’a-t-il compris de la politique ? Après quelques secondes de réflexion, l’élu affirme que « la politique est tout autour de nous ». Il n’est même pas indispensable d’être élu·e pour en faire, car comme l’affirme M. Sabourin avant de finir sa journée, « si tous les chemins mènent à Rome, tous les sujets mènent à la politique ».
« Il y a beaucoup de gens qui croient que c’est de la paresse, mais c’est un choix politique. » Tristan et d’autres abstentionnistes ont choisi de plus voter pour contester un système politique qui ne leur convient pas. À l’approche des élections fédérales, ils expliquent leur démarche.
À 24 ans, Tristan n’a voté qu’une seule fois dans sa vie. Il est pourtant « super intéressé » par les élections et diplômé de science politique. Mais depuis le bulletin qu’il a glissé dans l’urne à ses 18 ans, il ne croît plus le système politique actuel capable de réels changements. « C’est l’une des actions politiques les moins efficaces que j’ai faites de ma vie », déplore-t-il.
Félix a 31 ans et habite Saint-Henri à Montréal. Il a lui aussi été rapidement déçu du pouvoir électoral qui lui était conféré : « Ça n’a aucun impact de voter. Ça a plus d’impact de ne pas voter. »
C’est pour contester un système qu’ils jugent insuffisamment démocratique que Tristan et Félix ont choisit de ne plus se rendre aux urnes.
Le pouvoir limité des citoyen·nes
« Une démocratie, c’est quand tout le monde est entendu, mais là on donne juste notre pouvoir décisionnel à quelqu’un pendant quatre ans », regrette Tristan. Il souhaiterait que les décisions soient prises à un niveau beaucoup plus bas, afin que les décisions reflètent davantage la volonté populaire.
L’étudiant met également en cause le scrutin majoritaire canadien, qui ne traduit pas fidèlement la répartition des votes, et amplifie les résultats des grands partis, confisquant davantage leur pouvoir aux électeur·ices.
Pour Félix, le problème n’est pas le vote en soit, mais le fait « de voter seulement une fois aux quatre ans ». Comme Tristan, il souhaiterait que les citoyen·nes soient davantage impliqué·es dans les décisions politiques : « On a accès à internet, on pourrait littéralement voter sur tous les projets de loi. » Il regrette que le processus électoral actuel se résume aux « trois secondes où l’on fait un crochet sur un papier. »
S’il refuse de donner sa voix, Tristan admet que certain·es candidat·es sont pires que d’autres, et qu’iels pourront affecter négativement sa vie. Il maintient toutefois sa volonté de s’abstenir, car le mode de gouvernance qu’il réfute restera le même, peu importe les élu·es en place.
Pour Félix, à partir du moment où quelqu’un se présente pour « prendre des décisions pour les autres », ça ne le rejoint pas.
L’abstention comme choix politique
Choisir de ne pas voter est un acte politique légitime, estime Tristan : « Je pense que c’est une façon de militer. » Dans son cas, l’abstention s’accompagne de discussions et d’actions qui rendent le geste revendicatif. « On ne vote pas pour des raisons politiques, et non pas par lâcheté », se défend-il.
L’abstention a t-elle toutefois des répercussions réelles ? Tristan veut prendre la question dans l’autre sens : « Quel impact aurait le fait que je vote ? »
Quant à Félix, il estime que l’abstention « enlève de la légitimité aux gens qui sont élus […], et montre qu’une partie de la population n’approuve pas ce système-là ». Il reconnaît et déplore toutefois le peu d’attention médiatique accordée à l’abstention, ce qui limite son influence politique : « La question est rapidement évacuée parce que ça semble inutile de parler de ceux qui n’ont pas voté. »
Un devoir citoyen ?
Félix fait parfois face à des critiques et de l’incompréhension de la part de son entourage : « On me dit que c’est très utopique ce que je pense, alors que je veux simplement décider davantage de ce qui se passe dans notre société. » Les réactions sont souvent infantilisantes et on l’estime déconnecté de la réalité, raconte-t-il.
Les abstentionnistes rencontrées se disent également perçus comme des « mauvais citoyens », alors que le vote est considéré comme un devoir. Ils s’estiment pourtant davantage engagées pour la société que les personnes qui défendent le vote et qui leur adressent cette critique.
Au-delà du vote
« J’agis de plein d’autres façons qu’en votant, et je sens que ça a beaucoup plus d’impact », témoigne Tristan. Employé d’une OBNL et engagé auprès de différents groupes militant pour les droits de la personne, l’étudiant veut changer la société en dehors de l’urne. « Pourquoi ça ne pourrait pas passer en dehors de l’électoralisme ? », s’interroge-t-il. Considérant que le changement social ne passerait pas par les élections, il a choisi d’autres moyens d’action politique.
Félix est lui aussi bénévole auprès de plusieurs organismes à Saint-Henri, notamment dans le milieu de l’itinérance. « Je trouve ça drôle parce que j’ai plus d’impact sur l’itinérance que mon premier ministre », ironise-t-il.
S’il ne peut faire barrage à certains candidats dans l’urne, il estime pouvoir le faire autrement, à travers des manifestations et l’engagement social. « Je joue un rôle dans ce système, mais simplement pas à travers le vote », résume-t-il.