Étienne Perrault-Mandeville, chercheur au CREMIS, à la station Place des Arts lors de l’entrevue – Charline Caro

La Société de transports de Montréal (STM) a annoncé le 13 mars dernier une obligation de circuler dans les stations de métro. Cette mesure s’adresse en particulier aux personnes en situation d’itinérance, qui ne pourront plus flâner dans le métro. Jusqu’au 30 avril, les constables spéciaux pourront ainsi expulser des personnes itinérantes sans motif valable, si ce n’est qu’elles stationnent dans les couloirs. La STM prévoit également de suspendre l’accès à de nombreux espaces communs, où les personnes sans-abris peuvent avoir l’habitude de s’installer. 

Étienne Perreault-Mandeville est chercheur au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS). Il a consacré son mémoire à l’étude de la mendicité et la question du flânage et de l’obstruction des personnes en situation d’itinérance. L’Esprit Libre a recueilli son point de vue sur les mesures de la STM. 

L’Esprit Libre : Qu’est-ce que représentent les stations de métro pour les personnes en situation d’itinérance ?

Étienne Perreault-Mandeville : Lorsque les personnes en situation d’itinérance se retrouvent à la rue, il y a un brouillage entre l’espace public et privé qui s’opère. N’ayant plus d’endroit où aller, ces personnes vont dans les lieux qui leur sont accessibles, comme les stations de métro. L’espace public devient alors leur espace privé. Il y a donc plein de raisons pour lesquelles les personnes itinérantes vont se réfugier dans les métros, car c’est le dernier espace qu’elles ont. 

Quelle est la volonté principale derrière les mesures annoncées par la STM ?

L’objectif de cette mesure, il est très clair : on veut déloger ces gens-là du métro, les expulser en dehors du dehors, tout en adoptant une architecture qui leur est hostile. C’est même plus qu’hostile, c’est une forme de violence. On le voit avec les murs, les palissades, les miroirs et les caméras qu’ils sont en train d’installer. Cela traduit une logique de sécurisation de l’espace public, et non plus de cohabitation, comme le revendiquait la Ville de Montréal. 

La STM invoque des enjeux de sécurité pour justifier l’obligation de circuler. Qu’en 

pensez-vous ?

Je peux le comprendre, car comme on le voit, il y a certaines personnes qui consomment des drogues, qui urinent, ou qui ont des comportements erratiques. Mais ça reste une minorité de personnes en situation d’itinérance. Le problème, c’est que les nouvelles mesures de la STM mettent tout le monde dans le même bateau, et justifient l’expulsion de tous en raison de certains comportements dérangeants. 

Selon un sondage réalisé par la STM, un voyageur sur deux ne se sent plus en sécurité dans le métro. Comment concilier avec le malaise grandissant des usagers ?

Je pense qu’il y a l’insécurité et la perception d’insécurité. Est-ce qu’une personne qui crie met ta vie est en danger ? Il faudrait remettre en question cette question d’insécurité chez les usagers, notamment à travers un travail de sensibilisation. Ces gens-là ne sont pas seulement en situation d’itinérance, ils ont aussi une trajectoire de vie, une histoire, et ont connu des embûches qui les ont amenés dans la rue.

Pourquoi les personnes itinérantes dérangent même si elles n’ont pas toutes des comportements problématiques ?

Parce qu’on a peur de ces gens-là. C’est comme si cette personne ne faisait plus partie de la société parce que la façon dont elle occupe l’espace public, dont elle est habillée, son hygiène…diffèrent des codes sociaux. On voit donc notre concitoyen dégringoler l’échelle sociale, mais on ne peut rien faire pour l’aider. Souvent, c’est plus de l’inconfort que de l’insécurité que l’on ressent. 

Comment intervenir face aux comportements de certaines personnes itinérantes qui demeurent problématiques ? 

C’est sûr que certains comportements ne sont pas acceptables dans une station de métro. Mais est-ce que la solution, c’est de renforcer l’architecture hostile et d’expulser tout le monde ? Ou est-ce que c’est de cibler ces gens-là avec des interventions psychosociales ? Le gouvernement a choisi la première option, qui est celle de la facilité. Plutôt que de renforcer le tissu communautaire et les intervenants, il construit des murs pour repousser le problème. Je ne pense pas que ce mode d’intervention répressif soit très utile. 

Quelle place ces mesures accordent-elles aux personnes itinérantes dans l’espace public ?

On exige d’elles de se fondre dans le décor et de se mettre en retrait de l’espace public, elles ne doivent pas obstruer le passage des « citoyens ordinaires ». Ainsi, sous prétexte qu’elles ne respectent pas l’injonction à la mobilité dans les stations de métro, on les expulse. On les relègue encore une fois à la marge de l’espace public. Mais il faudrait prendre en compte qu’il y a différents types de populations qui occupent le métro et l’espace public, comme les personnes en situation d’itinérance dont c’est le lieu de vie, et même de survie.

À quel statut sont renvoyées les personnes itinérantes à travers ces mesures ?

C’est une vision politique qui fait des personnes itinérantes non plus des êtres humains, mais des objets urbains, que l’on déplace parce qu’ils dérangent. Jamais, on ne parle d’inégalités sociales, de rapports sociaux ou de précarité. C’est une déshumanisation et une dépolitisation totale de ces personnes, qui sont pourtant des citoyens à part entière.

Auteur

  • Charline Caro est journaliste à L'Esprit Libre, où elle couvre divers sujets de société à travers des reportages. Diplômée en science politique, elle aime mettre en lumière les réalités sous-représentées dans les médias.

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