Capture d’écran de l’appel avec Shane, depuis sa chambre à Tampa, en Floride.

Lorsque Shane décroche à l’appel vidéo, les rayons du soleil de Floride illuminent immédiatement l’écran. Canadien par sa mère, Shane habite avec ses parents près de Tampa, dans le sud des États-Unis. Devant le mur bleuté de sa chambre, le jeune homme aux cheveux longs affiche une mine assez grave. Étant trans, Shane est particulièrement inquiet dans le contexte politique actuel, marqué par la réélection de Donald Trump et la série de mesures anti-LGBTQ+ qui s’en est suivie. 

Alors que nous l’interrogeons sur son état général, Shane prend une respiration avant de répondre : « Ça ne va pas super bien, honnêtement ». Le vingtenaire évoque alors une « situation effrayante, surtout en Floride, qui est l’un des États les plus à risque pour les personnes trans et LGBT ». Sa mère Johanne, qui lui succède dans l’appel vidéo, confie en riant qu’elle a « besoin de tranquillisants ». Les derniers événements politiques lui causent beaucoup de stress, notamment en raison de la transidentité de son fils.

Les personnes trans dans le viseur de Trump

Lors de sa campagne, Donald Trump a multiplié les attaques contre la communauté trans, promettant de « mettre fin au délire transgenre » et de ne reconnaître que deux genres. À la suite de son investiture, le nouveau président a adopté une série de décrets visant à limiter les droits des personnes trans, avec la suppression des aides publiques pour les traitements de transition de genre des mineur·es ou l’inscription du sexe assigné à la naissance sur les documents officiels du gouvernement.

Lorsque Shane a entendu parler de ces mesures, il a « couru faire renouveler son passeport », craignant ne pas pouvoir obtenir un document de voyage avec le bon marqueur de genre. Lors de la demande, il a dû indiquer si son genre était celui qui lui avait été assigné à la naissance, ce à quoi il a répondu non. L’idée de recevoir un passeport avec l’inscription « F » le rend très anxieux, confie-t-il. Au-delà de la négation de son identité, Shane s’inquiète surtout pour sa sécurité, craignant vivre des discriminations si son apparence ne correspond pas à celle sous-entendue par ses papiers d’identité. « La prochaine étape », nous dit sa mère Johanne, « c’est de demander le passeport canadien » afin d’obtenir la mention de genre adéquate. 

Lorsque nous appelons François*, le soleil de Floride laisse place à la nuit du Wisconsin. Né à Montréal, le jeune de 15 ans a rejoint l’État du Midwest des États-Unis avec sa famille il y a une dizaine d’années. Aux côtés de sa mère Chantale*, originaire de Laval, le jeune homme trans raconte avec satisfaction avoir récemment obtenu un passeport avec la bonne mention de genre, grâce à une demande faite « juste avant qu’il ne signe les décrets ». 

« L’autre stress », ajoute Chantale, concerne l’hormonothérapie, que l’administration Trump souhaite prohiber pour les personnes mineures, au même titre que l’ensemble des traitements de transition de genre. Pour continuer à obtenir les doses de testostérone dont il a besoin, François et sa mère s’approvisionnent autant que les ordonnances leur permettent, pour parer à d’éventuelles restrictions supplémentaires.   

Depuis sa chambre d’adolescent décorée d’affiches colorées, François explique qu’il trouve toutes ces mesures « déshumanisantes ». Sans savoir comment expliquer cette volonté de nuire aux minorités de genre, il estime que les personnes trans, au même titre que d’autres groupes marginalisés, sont victimes d’une « haine qu’il fallait diriger quelque part ». 

L’ensemble de la diversité menacée

Si les personnes trans sont les premières à être visées par ces mesures anti-LGBTQ+, le reste de la communauté l’est aussi. Dans la lancée de ses premières signatures, le président républicain a révoqué des textes adoptés par son prédécesseur Joe Biden, notamment celui combattant les discriminations basées sur le genre et l’orientation sexuelle. Dans le même temps, les programmes de diversité, équité et inclusion (DEI) ont été supprimés dans toutes les sphères du gouvernement fédéral, et les entreprises ont été encouragées à le faire également, sous peine de s’exposer à des enquêtes.

Originaire de Saint-Bruno, Ann a rejoint la Californie en 2002, où elle vit aujourd’hui avec sa compagne. Si en tant que lesbienne elle se sent moins menacée que la communauté trans, elle demeure lucide sur les intentions du nouveau président : « Là, c’est les personnes trans qu’il attaque, mais ça va être nous autres après ». Un rappel qu’elle veut également adresser aux « groupes gays qui soutiennent Trump » : « Si on pense que ça va juste être les personnes trans, on se trompe fortement ». Pour elle, toutes celles et ceux qui ne sont pas « blancs, cisgenres et hétéros » sont ou seront dans le collimateur des politiques trumpistes. 

Capture d’écran de l’appel avec Ann, dans sa maison en Californie.

Une intolérance banalisée

Le contexte politique amène les personnes LGBTQ+ rencontrées à se méfier davantage au quotidien. Si elle se considère chanceuse d’habiter en Californie, un État historiquement démocrate, Ann porte toutefois une attention particulière aux États dans lesquels elle voyage. « C’est certain que je n’irais pas dans des États où les lois me sont défavorables », dit-t-elle en nommant la Floride, fleuron trumpiste, où elle aurait aimé se rendre. 

Shane, lui, habite en Floride, qu’il décrit comme l’État « le plus à risque pour les personnes trans et LGBT » avec le Texas. Bien que les habitant·es de sa ville et les client·es du café où il travaille soient assez « détendu·es », le jeune homme vit tout de même des moments d’anxiété. Comme lorsqu’il fait face à des client·es qui portent des casquettes avec l’inscription Make America great again, le slogan trumpiste. « Je ne suis pas en sécurité avec ces personnes, je ne peux pas être moi-même en leur présence », relate-t-il, confiant adopter une voix plus grave pour ne pas que sa transidentité ne paraisse. 

De son côté, François estime que l’attitude de ses ami·es et camarades a changé depuis le retour de Trump dans la sphère politique et médiatique. À son école secondaire, François a remarqué « plus de regards bizarres », ainsi que des propos discriminatoires auxquels il n’était pas habitué. Il évoque également un ami « convaincu par Trump », faisant des remarques transphobes alors qu’il était « d’accord avec sa transition » quelques mois auparavant. « Je trouve ça fou de voir à quelle vitesse les gens ont été influencés », rapporte le jeune de 15 ans. 

Un retour possible au Canada

Touchée par le récit de son fils, Chantale confie avec un sourire triste que « le plan B, c’est de retourner au Canada ». Bien qu’un déménagement soit contraignant sur de nombreux plans, la mère de famille « ne risquera pas la vie de [son] enfant pour rester aux États-Unis ». François croit que si cette décision devait être prise, il serait probablement triste, car même si le Canada lui manque, il aime beaucoup son école et a grandi ici. 

Shane est confronté au même dilemme, se préparant à la possibilité de déménager au Canada, sans le vouloir réellement : « Je ne veux pas avoir à fuir ma maison. Je veux un avenir où je peux prendre mon temps pour déménager, après avoir trouvé un partenaire et l’endroit parfait pour m’installer. » Le Canado-Américain se considère toutefois privilégié d’avoir la possibilité de quitter le pays en cas de nécessité, contrairement à ses ami·es queer qui n’ont pas la double nationalité. 

Quant à Ann, le sujet est aussi « sur la table », notamment après que sa fille de 17 ans lui a dit ne pas vouloir « rester dans ce pays ». Le retour est cependant difficilement envisageable pour elle, sa compagne et ses beaux-enfants n’ayant pas la nationalité canadienne. Elle se retrouve alors entre les deux pays, sa fille et son cœur au Canada, et sa compagne et sa vie aux États-Unis. Quant à son bras, il est tatoué d’une fleur de lys et d’une feuille d’érable, comme elle nous le montre à l’écran avant de raccrocher.

*Ces personnes ont souhaité conserver l’anonymat.

Auteur

  • Charline Caro est journaliste à L'Esprit Libre, où elle couvre divers sujets de société à travers des reportages. Diplômée en science politique, elle aime mettre en lumière les réalités sous-représentées dans les médias.

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