
Dans les huit dernières années, 2459 lésions professionnelles ont été recensées dans l’usine d’abattage de porcs d’Olymel à Yamachiche, en Mauricie. Un bilan jugé « catastrophique » par des syndicats, et dénoncé par des travailleurs et travailleuses.
L’Esprit Libre a recueilli les témoignages de sept ouvrier.ères travaillant ou ayant travaillé à Olymel Yamachiche. Ils et elles décrivent un rythme de travail difficile, voire excessif, qui ne prend pas suffisamment en compte leurs limites physiques. Les blessures sont très courantes, et l’employeur, selon certain·es, ne prend pas la mesure de la situation.
L’abattoir de Yamachiche n’a toutefois pas toujours été le théâtre de blessures aussi nombreuses. Entre 2012 et 2017, lorsque l’usine appartenait à l’entreprise ATrahan, le nombre de lésions professionnelles oscillait entre 50 et 90 par an. Mais lorsque Olymel fait l’acquisition de l’abattoir en 2017, les blessures sont multipliées par 14 en l’espace de quatre ans. Le responsable syndical de l’usine, Janick Vallières, affilié aux Travailleurs et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), précise que les effectifs ont triplé durant cette période. Il estime toutefois que la flambée de blessures qui s’en accompagne « dépasse cette proportionnalité ».
Les lésions professionnelles passent ainsi de 30 à l’arrivée d’Olymel en 2017, à 489 en 2020, avant de se stabiliser un peu en dessous de ce niveau, selon des données obtenues auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). « Il y a trop de blessures. Quand je regarde ces chiffres, c’est effarant », affirme Serge Monette, vice-président de la Fédération du commerce (FC-CSN), qui représente les travailleur·ses de quatre autres usines d’Olymel.
Jointe par courriel après qu’elle a décliné une entrevue, la directrice des communications d’Olymel, Stéphanie Quintin, affirme que la santé et la sécurité des employé·es est l’une des « plus grandes priorités » de l’entreprise. Elle souligne également une amélioration depuis 2020, avec une baisse du taux d’incidence – soit le rapport entre le nombre de blessures et le nombre d’employés – qui est passé de 0,55 à 0,39 selon les informations d’Olymel.
Une cadence subitement augmentée
Les travailleur·ses de l’usine témoignent toutefois d’une dégradation des conditions de travail depuis l’arrivée d’Olymel. « Il y a beaucoup de choses qui ont changé depuis que c’est Olymel qui a tout racheté », nous confie Valérie*, qui travaille à l’usine de Yamachiche depuis 2012. Comme l’ensemble des salarié·es interrogé·es, elle a constaté une intensification de la charge de travail après l’arrivée du géant de l’agroalimentaire en 2017.
Lors de son entrée en poste en 2012, Valérie estime que le niveau de rendement était fixé à 400 porcs à l’heure. Arrivé dix ans plus tôt, l’ancien ouvrier et responsable syndical Janick Vallières rapporte une cadence similaire, soit autour de 350 à 400 bêtes à l’heure. Aujourd’hui, ce sont plus de 600 porcs qui défilent toutes les heures sur le tapis, selon les témoins. Pour un quart de sept heures, cela représente plus de 4000 répétitions d’une même tâche, qu’il s’agisse de découper une épaule ou de désosser une fesse, si l’employé·e est seul·e à son poste. Le tout dans un environnement froid, humide et bruyant.
Pour plusieurs travailleur·ses, la cadence actuelle est démesurée. « La vitesse est excessive. Aujourd’hui, on a dépecé 600 cochons à l’heure, 4065 en une journée, c’est énorme », nous confie Patrick* d’un ton découragé. Malgré son intérêt pour ce métier, il déplore aujourd’hui la charge de travail qui pèse sur les ouvriers. « Je vais te le dire, ce n’est pas humain. Il faut être très, très fort mentalement et physiquement. »
Pour les responsables syndicaux Janick Vallières et Serge Monette, l’augmentation des cadences sous Olymel est l’une des raisons qui peut expliquer la flambée des blessures. Le rythme de travail conditionne le niveau de répétition des mouvements, à l’origine de nombreux troubles musculo-squelettiques, selon M. Vallières. Parmi les lésions professionnelles survenues depuis 2017, plus de 50 % sont des tendinites, des entorses, des foulures ou des déchirures, que M. Vallières présume être liées en grande partie aux mouvements répétitifs.
« Les gens sont capables de tenir la cadence jusqu’à temps qu’ils se blessent », regrette de son côté Serge Monette. Le haut niveau de lésions professionnelles n’est d’ailleurs pas spécifique à Yamachiche selon lui, Olymel étant un « premier de classe en ce qui concerne les accidents de travail », image-t-il.
De son côté, la directrice des communications d’Olymel, Stéphanie Quintin, soutient que « la cadence a été ajustée en fonction du nombre d’employé·es », passé de 346 en 2017 à 900 en 2024, et que le rythme de travail est « comparable aux autres entreprises dans le marché nord-américain ».
La quête de la rentabilité
Plusieurs témoins ont cependant l’impression que le niveau de production prime sur la santé physique et mentale des travailleurs et travailleuses. « Depuis que c’est Olymel, c’est uniquement business. Ce sont les chiffres qui sont importants, et non pas l’être humain », rapporte Patrick, qui a l’impression que « les animaux sont mieux traités que les employé·es. »
Employé en tant que travailleur étranger temporaire, Jean* admet que le travail à l’usine n’a « jamais été facile », et que les entreprises « sont là pour faire du profit. » Néanmoins, il s’interroge : « Est-ce qu’on a vraiment besoin d’abattre plus de 4000 porcs par jour pour faire du profit ? ». Le salarié estime qu’il « faudrait peut-être un peu s’inquiéter du moral des employé·es. »
Si Olymel a poussé la productivité, c’est pour rentabiliser son investissement de 120 millions de dollars à Yamachiche, estime M. Vallières. Mais aussi pour devenir le « plus grand producteur de porc au Canada », comme le déclarait Denis Trahan à La Presse en 2017. Toutefois, la rentabilité a parfois été priorisée au détriment du bon fonctionnement de l’usine et de la prévention des blessures, comme soutient M. Vallières : « Nous, ce qu’on disait, c’est qu’avant d’apprendre à courir, il faudrait peut-être bien marcher. »
Un milieu de travail pas toujours sécuritaire
Le milieu de travail ne semble pas non plus toujours favoriser la sécurité des employé·es. Depuis 2017, la CNESST a constaté 253 dérogations lors de ses inspections à l’abattoir de Yamachiche, soit autant de situations non-conformes à la loi ou aux règlements, selon un décompte effectué par L’Esprit Libre. Olymel n’est pas en mesure de confirmer ce chiffre, avançant le chiffre de 91 dérogations depuis 2020. Dans la plupart des cas, les infractions présentent « un risque de blessure pour le travailleur », comme une zone de danger non-protégée, des procédures non sécuritaires, ou un manque de formation des employé·es.
Serge Monette estime que le nombre de dérogations constatées en sept ans est « énorme », et démontre qu’Olymel n’en « fait pas assez ». Le responsable syndical relate d’expérience que cet employeur « n’est pas tellement porté sur la santé et la sécurité de ses travailleurs [et travailleuses] ». Dans les quatre usines que la FC-CSN représente, « il y a un peu de la négligence partout », et les dispositions en santé-sécurité sont surtout portées par le syndicat, et non par l’employeur, relate M. Monette.
Olymel affirme toutefois mettre en place des mesures pour garantir la sûreté du lieu de travail. Mme Quintin nomme notamment le programme d’assignation préventive volontaire, la présence de deux préventionnistes et d’un physiothérapeute, ainsi qu’un comité paritaire en santé et sécurité.
Une réaction inadéquate de l’employeur ?
Durant une réunion en novembre dernier, les dirigeant·es auraient signifié aux ouvriers et ouvrières que « les accidents de travail étaient trop élevés, et qu’il y avait un peu d’exagération de la part des employé·es », rapporte Jean ainsi que trois autres ouvriers. Le représentant syndical de l’usine, M. Vallières, avait mis en garde l’employeur sur la façon de passer le message : « Quand vous dites aux gens que ça coûte trop cher, on a l’impression que ça met un peu l’humain derrière et l’argent devant ». Une impression qui n’a pas manqué d’être partagée par les ouvrier·ères, auprès de qui ce discours est « très mal passé », selon Patrick. D’autres, comme Valérie et Rafaël*, estiment que certain·es ouvriers et ouvrières exagèrent parfois leurs blessures. « L’autre jour j’avais mal à une épaule mais je travaillais quand même », appuie Valérie.
Olymel soutient toutefois que la réunion en question « n’était pas une invitation à ne pas déclarer certaines blessures; […] l’objectif était de promouvoir la prévention pour éviter les accidents », selon les propos de Mme Quintin.
Ce n’est pas la seule fois où les ouvriers et ouvrières ont eu l’impression que les lésions professionnelles dérangeaient l’employeur. Selon Patrick, il arrive que l’employeur interroge les salarié·es sur la légitimité de leurs blessures. Le travailleur perçoit cela comme une manière de minimiser l’origine professionnelle de leurs douleurs. Les répétitions et la fatigue ne semblent pas un motif valable, corrobore Jean. « Il y a quelque chose que l’employeur ne comprend pas, c’est qu’il y a l’usure […], mais être brûlé·e n’est pas une raison pour eux ».
Pour Serge Monette, la réaction d’Olymel n’est pas à la hauteur du bilan de blessures « catastrophique » à Yamachiche. La situation devrait selon lui pousser l’employeur à réagir et à prendre les mesures nécessaires pour préserver ses salarié·es. M. Monette poursuit : « Si j’étais employeur et que je voyais ça, je dirais : ‘‘ben voyons, on ne fait pas notre job’’ ».
Les ouvrier·ères rencontré·es soulignent l’utilité sociale de leur métier, qui permet de « nourrir beaucoup de monde », comme le rappelle Janick Vallières. À la fin de la journée, toutes et tous expriment une satisfaction, voire une fierté, face au travail accompli. Toutefois, certain·es estiment que la reconnaissance personnelle ne trouve pas d’écho chez leur employeur, à l’image des conditions de travail « très, très difficiles », selon Patrick, et la « mentalité de production » selon M. Vallières, qui accorde peu de valeur au rôle essentiel des travailleur·ses dans la chaîne de production.
*Les ouvriers et ouvrière ont souhaité garder l’anonymat pour éviter d’éventuelles représailles.
CRÉDIT PHOTO: phantienphat/Pixabay