L’humour queer s’impose depuis peu sur la scène québécoise, porté par des humoristes qui redéfinissent les codes du rire. Une nouvelle offre qui ravit le public LGBTQ+, jusque-là peu représenté dans l’industrie, mais qui attire également un grand public à la recherche de nouveauté.
Lorsqu’iels ont créé le Womansplaining show en 2021, les humoristes Anne-Sarah Charbonneau et Noémie Leduc-Roy ne s’attendaient pas à un tel succès. Depuis, iels ont fait le tour du Québec, avec une trentaine de représentations à leur actif. Le Womansplaining show, c’est un spectacle humour féministe et queer, dont la programmation est composée d’humoristes femmes ou issu·es de la diversité sexuelle et de genre. Le projet est né de la volonté de créer un espace dédié à l’humour des femmes et des personnes queer, qui ne se retrouvent pas toujours dans une industrie aux figures et aux récits encore homogènes.
« Quand j’ai commencé l’humour, c’était vraiment une fille par line-up » se souvient Noémie Leduc-Roy, qui se sentait inconfortable dans le milieu. « Tu te sens seul·e, tu sens la pression à cause du fait que tu sois la seule fille ou la seule personne queer ». C’est le manque d’inclusion des soirées d’humour qui l’a poussé à co-créer le Womansplaining show, afin de faire valoir les artistes sous-représenté·es dans l’industrie.
« Il y a encore full de chemin à faire au niveau de la représentativité », d’après l’enseignant à l’École nationale de l’humour François Tousignant. Celui qui dirige également le Festival Minifest estime néanmoins que de nombreux progrès ont été réalisés sur le plan de l’inclusion, grâce à des humoristes qui sont venus « challenger » l’humour dominant.
Parmi ces challenges, on retrouve l’humour queer, en grande progression au Québec. Selon François Tousignant, c’est au début des années 2010 que « le terrain s’est fait », et que la relève queer « est venue prendre sa part de marché ». Mais c’est autour de 2014 que le tournant arrive vraiment, avec « tout d’un coup, de la représentation queer dans pas mal toutes les soirées d’humour ». Aujourd’hui, on compte des humoristes notables tels que Katherine Levac, Mona de Grenoble, ou encore Coco Belliveau. Et des évènements comme Queer and Friends de ComédiHa! ou le Show Queer du Zoofest. Des spectacles au premier rang desquels se trouve un public LGBTQ+, qui a rapidement adhéré à cette nouvelle offre.
Les personnes queer et l’humour
Pourtant, le public queer « s’intéressait beaucoup moins à l’humour que les hétéros », selon l’humoriste Charlie Morin. L’industrie de l’humour, historiquement masculine et hétérosexuelle, n’a pas toujours rallié les personnes qui sortaient du cadre dominant. « C’est sûr que dans les années 90, le modèle c’était un homme sur scène qui parle de sa blonde, puis qui rit d’elle parce qu’elle est un peu ‘‘nounoune’’. » La réticence du public queer est ainsi davantage imputable à l’offre proposé qu’à un réel désintérêt pour l’humour. « Tout le monde aime rire, c’est juste qu’il n’y a rien qui t’intéresse », soutient Noémie Leduc-Roy.
Les humoristes queer se sont ainsi attaqué·es à un public peu friand d’humour, qui s’est finalement révélé très en demande. Lorsqu’il joue dans des soirées d’humour queer en région, « là où il n’y en a jamais », Charlie Morin fait face à un public euphorique. « Le plafond se lève, les gens ne savent plus sur quel mur se pitcher. » La découverte d’un humour qui leur ressemble est révélateur : « c’est tellement puissant de rire à des blagues dans lesquelles tu te reconnais », admet Noémie Leduc-Roy.
Se reconnaître dans des blagues, c’est aussi voir son vécu queer légitimisé. Dans le Womansplaining show, les humoristes font parfois des blagues sur la LGBTphobie, les agressions, ou le racisme qu’iels ont subi. Un moyen de se réapproprier certaines oppressions, et de soulager le public qui peut en vivre aussi, toujours sur un ton humoristique.
L’humour queer reste de l’humour
L’humour queer peut aussi s’adresser à un public plus large que la communauté LGBTQ+, bien que certain·es soient freiné·es par le caractère explicitement queer du show. « On ne révolutionne pas le cadre, ça reste un show d’humour », rappelle Anne-Sarah Charbonneau. Les humoristes qui participent au Womansplaining show sont aussi « du monde qui jouent au Bordel Comedy Club, et avec les mêmes numéros. » Pour Charlie Morin, l’humour queer est totalement compatible avec le grand public, « les hétéros sont juste intéressé·es à voir de l’humour drôle ».
Les salles des shows d’humour queer sont par ailleurs assez diversifiées. Du côté du Womansplaining show, « il y a beaucoup de filles qui viennent avec leur chum ». De celui de Charlie Morin, il y a même « plus de personnes hétéros que queer. » L’humoriste cherche à inclure « plein de gens », car il juge intéressant de les surprendre et de les amener dans le référentiel queer.
Le grand public s’avère finalement réceptif à l’humour queer, selon les retours des humoristes rencontré·es. « Il y a régulièrement des hommes qui viennent nous voir après le show pour nous dire qu’ils adorent ce qu’on fait, que c’est rafraîchissant », témoignent les créatrices du Womansplaining. Charlie Morin estime lui être le « ‘‘fif’’ préféré des hétéros », qui sont souvent surpris de trouver son humour aussi drôle.
Changer les mentalités
En plus de faire rire le grand public, les humoristes queer le font réfléchir. Les numéros mettent en lumière des réalités LGBTQ+ parfois ignorées, comme le fait Charlie Morin avec l’homoparentalité, ou Anne-Sarah Charbonneau avec la non-binarité. « Mon père vient voir le Womansplaining show et ne comprend pas tout », relate son binôme de scène, « mais ça enclenche de belles discussions. »
« L’humour est vraiment un soft power intéressant pour amener les gens à s’ouvrir un peu plus ». Pour Charlie Morin, faire rire des personnes qui ne pensaient pas rire avec un homme gay est un facteur de changement. L’humour queer serait-il politique ? « Implicitement », oui. Bien que l’objectif soit avant tout d’être drôle, les humoristes LGBTQ+ peuvent aspirer à changer les mentalités par leurs propos, ou même par leur simple présence. Comme le fait remarquer Anne-Sarah Charbonneau, « il manque tellement de représentation que juste d’exister sur scène, c’est déjà très gros. »
Photo à la une : L’humoriste Charlie Morin sur scène – crédit photo Philippe Le Bourdais
Photo 2 : Anne-Sarah Charbonneau et Noémie Leduc-Roy, les humoristes à l’initiative du Womansplaining show – crédit photo Ariane Famelart
Un million de demandes d’aide alimentaire sont comblées chaque mois par les organismes communautaires montréalais. Dans un nouveau rapport publié aujourd’hui, Moisson Montréal révèle des chiffres records sur l’insécurité alimentaire, traduisant la précarisation de la population. Dans ce contexte, les banques alimentaires deviennent la nouvelle épicerie d’un nombre grandissant de Montréalais.e.s.
« Venir ici faire l’épicerie, ça m’aide énormément ». Claude* est un usager régulier de l’épicerie solidaire MultiCaf située dans le quartier Côte-des-neiges. Pour un montant de 7$, il peut se procurer des fruits et légumes, de la viande et des produits laitiers. Originaire du Cameroun, Claude étudie à Polytechnique, tandis que sa femme occupe un emploi. Malgré des revenus réguliers, le couple ne parvient pas à subvenir entièrement à ses besoins alimentaires et à ceux de ses deux jeunes enfants.
Les organismes communautaires montréalais comblent chaque mois près d’un million de demandes d’aide alimentaire. À travers des épiceries solidaires ou des distributions de paniers, ils permettent à une population grandissante de se nourrir. La demande connaît aujourd’hui des sommets records, en augmentation de 76% depuis la pandémie. Cette situation « alarmante » est révélée par Moisson Montréal dans son Bilan-Faim 2024[i], qui compile les données de près de 300 organismes de soutien alimentaire.
Sur le terrain, l’augmentation de la demande est flagrante. « C’est le jour et la nuit », relate Jean-Sébastien Patrice, directeur général de MultiCaf. Avant la pandémie, l’organisme situé à Côte-des-neiges aidait 1200 personnes par mois. Aujourd’hui, c’est plus de 10 000 personnes vulnérables qui s’alimentent au travers de ses services. Même son de cloche du côté du Plateau-Mont-Royal. À la banque alimentaire Vertical, les files d’attente pour récupérer un panier de denrées se sont considérablement allongées. D’un seul jour de distribution, l’organisme est passé à trois, qui ne suffisent pas toujours à combler les besoins, selon le gestionnaire José Alberto Marroquin.
Des bénévoles préparent la distribution des paniers à la banque alimentaire Vertical – crédit Charline Caro
Coût de la vie
Depuis 2019, le nombre de bénéficiaires du dépannage alimentaire a plus que doublé[ii]. Le principal facteur de cette demande accrue serait le coût de la vie, de plus en plus difficile à assumer. « De nombreux ménages peinent à joindre les deux bouts et sont contraints de se tourner vers les banques alimentaires de quartier », peut-on lire dans le rapport de Moisson Montréal. À MultiCaf, les personnes usagères témoignent de cette pression financière. Claude nous confie qu’une fois payés le « loyer et la garderie des enfants, il ne reste plus grand-chose » pour faire l’épicerie. Même pression pour Salma*, qui bénéficie de l’aide sociale : « tu dois payer le loyer, le transport, l’électricité… et après seulement tu dois manger ».
Les budgets serrés n’ont toutefois plus leur place dans les épiceries commerciales. En un peu moins de trois ans, le prix d’un panier d’épicerie équilibré a augmenté de 28%[iii]. « C’est presque un luxe de faire une épicerie adéquate en 2024 », s’indigne Mr. Patrice. Le directeur de MultiCaf pointe du doigt des prix démesurés, en grande déconnexion avec la réalité économique d’une partie de la population. « Il n’y a pas de contrôle sur les prix des produits, c’est le Far West ».
Une diversification des profils
Celles et ceux qui ne peuvent plus assumer les coûts de l’épicerie se tournent ainsi vers les banques alimentaires, qui se démocratisent. « Auparavant, on desservait seulement un noyau dur de mille personnes très vulnérables, qui faisaient face à des troubles d’itinérance ou de santé mentale », se rappelle Mr. Patrice. Ces dernières années, les profils de bénéficiaires se sont grandement diversifiés, avec de plus en plus d’étudiant·e·s, de demandeur·se·s d’asile, et de familles, selon le Bilan-Faim 2024.
L’aide alimentaire s’adresse désormais à des personnes aux situations socio-économiques multiples. « Il y a des gens qui viennent ici et qui travaillent 40 heures par semaine », observe Mr. Marroquin. Le gestionnaire de l’organisme Vertical nous parle à titre d’exemple d’une famille résidant sur le Plateau-Mont-Royal, avec un « bon revenu », qui sollicite tout de même leur aide car « elle n’a plus les ressources pour acheter de la nourriture ». Selon le rapport de Moisson Montréal, une personne sur cinq qui bénéficie l’aide alimentaire occupe un emploi.
L’insécurité alimentaire demeure associée aux personnes très marginalisées, amenant parfois « un sentiment de honte à aller chercher de l’aide », selon Mr. Patrice. Même constat pour Mr. Marroquin : « je connais des personnes qui n’osent pas venir », craignant qu’on pense « qu’elles n’ont pas d’argent ». Pour normaliser la situation, MultiCaf a mis sur pied un dépannage alimentaire qui s’apparente à une épicerie commerciale. « Sélectionner ses produits, aller à la caisse, donner un petit montant », rend la situation plus acceptable selon le directeur. Les organismes cherchent également à créer des lieux d’échanges et de soutien. Les bénéficiaires rencontrés apprécient « l’ambiance » et les « gens sympas », selon les termes de Claude et Salma.
Une usagère à la caisse de l’épicerie solidaire de MultiCaf, située à Côte-des-neiges – crédit Charline Caro
Une solution peu durable
Pour les bénéficiaires, les banques alimentaires ne sont toutefois pas une solution d’alimentation viable sur le long-terme. La contrainte de temps et de déplacement est importante, les bénéficiaires devant parfois se rendre dans plusieurs organismes de la métropole pour se nourrir convenablement. Il y a ensuite une contrainte de consommation, le choix des denrées reste limité et les bénéficiaires ne peuvent pas toujours manger selon leurs préférences alimentaires culturelle. « Les repas d’où je suis originaire me manquent énormément », nous confie Claude, qui irait dans des épiceries africaines s’il en avait les moyens.
Du côté des organismes, il n’est pas non plus envisageable de subvenir durablement au million de demandes d’aide mensuelles. « Présentement, c’est invivable pour des ressources comme la nôtre parce que c’est beaucoup trop gros », alerte le directeur de MultiCaf. Selon lui, les organismes communautaires sont tout autant en « mode survie » que leur clientèle. Durant l’exercice 2023-2024, 11 organismes de soutien alimentaire ont dû fermer leurs portes devant les « défis accrus » apportés par l’explosion de la demande, selon Moisson Montréal[iv]. Parmi les organismes toujours sur pied, un sur trois doit refuser des personnes en raison d’un manque de denrées ou de ressources[v].
Les solutions durables se trouvent au-delà de l’aide alimentaire, qui « n’est que la pointe de l’iceberg », rappelle Mr. Patrice. « Ce n’est pas parce qu’une personne a faim et qu’on lui donne à manger que le problème est réglé ». Les organismes communautaires dispensent en effet une aide d’urgence qui ne peut enrayer profondément les facteurs de la précarisation. L’insécurité alimentaire est davantage un problème structurel, causé notamment par l’inflation, la crise du logement, le marché de l’emploi, ou la crise écologique. Si elles se veulent durables, les solutions doivent s’attaquer aux causes de la pauvreté. Moisson Montréal et ses organismes partenaires réclament ainsi l’augmentation du salaire minimum, du nombre de logements abordables, et du soutien aux nouveaux arrivants.
En attendant, Claude espère pouvoir bientôt « décrocher une job intéressante », qui lui permettra de subvenir aux besoins de sa famille et de quitter MultiCaf. « L’ambiance va me manquer c’est sûr, mais je céderais à ma place à d’autres personnes qui en ont besoin. Parce que je sais qu’il y en a beaucoup ».
*Les prénoms ont été changés pour conserver l’anonymat des personnes fréquentant les banques alimentaires, d’après leurs souhaits.
Le 12 et 13 juin, la Sureté du Québec (SQ), en collaboration avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), a arrêté 13 personnes à la suite de l’opération pancanadienne du 20 juin 2023 en matière de trafic et de fabrication artisanale d’armes à feu. Ce type d’affaires qui était marginal il a y a encore trois ans, devient de plus en plus récurent.
En septembre déjà, la GRC au Nouveau-Brunswick a publié une mise en garde destinée au public concernant les armes dites « fantômes ». Dans le communiqué de presse, la gendarmerie fait part de son inquiétude par rapport à la prolifération à grande échelle de ces armes : « Même si ces armes à feu sont moins nombreuses au Nouveau‑Brunswick, leur présence dans la province correspond aux tendances observées à l’échelle nationale et internationale où des armes à feu fantômes sont utilisées à des fins criminelles. »
En juin 2023, lors d’un coup de filet organisé, en coopération avec la GRC, l’ASFC et d’autres services de sécurités provinciaux, ce sont 440 armes à feu qui ont été saisies à travers le pays. Les autorités ont déclaré que 25 % de ces armes comportent au moins une partie imprimée en 3D. Selon le professeur Werner, expert en science forensique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, la proportion d’armes en 3D saisies par la police représente aujourd’hui environ 15 à 20 % des armes à feu confisquées. Il précise que ce chiffre reste non-officiel.
« Ça risque fortement de changer la criminalité dans les prochaines années. »
Denis WERNER, chercheur au Groupe de Recherche en Science Forensique à l’Université du Québec de Trois-Rivières.
Nouvelle technologie, nouveau cadre.
Dans un communiqué de presse à l’occasion de la journée nationale contre la violence liée aux armes à feu, le ministre de la Sécurité publique du Canada, Dominic LeBlanc, déclare :
Nous agissons notamment en renforçant le contrôle des armes à feu. Le projet de loi C-21 a reçu la sanction royale le 15 décembre 2023 et comprend certaines des lois les plus strictes en matière de contrôle des armes à feu depuis une génération. Il prévoit notamment un gel national de la vente, de l’achat et du transfert des armes de poing, ainsi que des dispositions visant à lutter contre la contrebande et le trafic d’armes à nos frontières.
Nous avons communiqué avec le cabinet du ministre pour qu’il nous explique si cette loi visant à réglementer les armes à feu prévoit de répondre aux nouvelles problématiques qu’amène l’impression 3D.
Selon leur réponse, il est nécessaire de renforcer la répression pénale pour ce type d’acte :
L’ancien projet de loi C-21 a introduit un ensemble de nouvelles mesures pour lutter contre la propagation des armes fantômes. Voici certaines de ces mesures :
la classification de toute arme à feu fabriquée illégalement en tant qu’arme à feu prohibée;
la criminalisation de la fabrication et du trafic de pièces d’armes à feu;
l’augmentation de la peine maximale pour la fabrication ou le trafic illégal d’une arme à feu ou d’une pièce d’arme à feu, laquelle passe de 10 à 14 ans d’emprisonnement;
la création d’infractions pour la possession ou la distribution de plans et d’autres données informatiques portant sur des armes à feu ou des dispositifs prohibés à des fins de fabrication ou de trafic;
la nécessité de posséder un permis d’armes à feu valide pour importer ou transférer au pays certaines pièces d’armes à feu (par exemple, les canons d’armes à feu et les glissières d’armes de poing) afin de garantir que seules les personnes possédant un permis d’armes à feu valide puissent avoir accès à ces pièces, qui sont souvent essentielles à la production d’armes fantômes.
En bref, la Loi C-21 prévoit que toute arme à feu fabriquée sans permis sera considérée comme illégale. Les personnes qui les fabriquent risquent des peines de prison plus lourdes. Enfin, la diffusion de plans d’armes, ou la distribution de matériel dédié à cette fin, sera criminalisée. Leur réponse précise : « Des travaux sont en cours pour mettre en œuvre les mesures restantes de l’ancien projet de loi C-21, y compris les nouvelles exigences en matière de permis pour les pièces d’armes à feu. »
Les armes fantômes, une prolifération facile.
Cette technologie n’a cessé d’évoluer depuis la présentation au public du Liberator par Cody Wilson en 2013, la première arme de poing imprimée en 3D. Cette arme, qui se brisait initialement à chaque usage, a ouvert la voie à la création de multiples armes beaucoup plus abouties. Il est maintenant possible d’imprimer en 3D des fusils d’assauts tout à fait fonctionnels. Comment obtenir un plan complet à cette fin? En quelques clics, il est possible de trouver des sites internet diffusant des plans d’armes, avec les directives de fabrication. Des communautés se forment sur les forums de ces sites et proposent des versions améliorées des divers modèles proposés.
Lors de la perquisition effectuée chez Robert Ripcik, les autorités ont trouvé deux ébauches de récepteur de polymère 80 (P-80). « Polymère 80» est un terme qui désigne les armes dont 80 % des pièces sont achetées légalement, et dont les 20 % des pièces restantes sont imprimées en 3D pour contourner la loi.
Me Desaulniers, directeur des poursuites criminelles et pénales au tribunal de Gatineau, nous explique la facilité à contourner les interdictions : « Ce sont les armes de type P-80que l’on retrouve le plus souvent dans les dossiers ».
Me Desaulniers ajoute : « Ce qui est illégal aux yeux de la Loi c’est le châssis de l’arme, mais pas son mécanisme ». Les personnes qui les fabriquent achètent donc les éléments métalliques comme les ressorts ou le canon en ligne légalement. Puis, il suffit d’imprimer la carcasse de l’arme et d’assembler le tout ensemble. Avec les fichiers viennent souvent des guides comme celui de l’illustration ci-dessus qui comporte 114 pages au total.
« Le gros problème actuellement c’est que ça a ouvert la voie à monsieur madame tout le monde. »
Denis WERNER, chercheur au Groupe de Recherche en Science Forensique à l’Université du Québec de Trois-Rivières.
Un risque qui se confirme petit à petit, selon Me Desaulniers : « On en voit de plus en plus fréquemment au palais de justice. Ce qui m’inquiète, c’est de voir des gens sans antécédents, sans passé criminel. Parce qu’[ielles] ont fabriqué une arme, [ielles] finissent par s’en servir, et commettent soit un homicide, soit une autre infraction aux conséquences très graves. »
L’armement à l’ère du fait maison
Au Québec, une des plus grosses affaires judiciaires concernant l’impression d’armes imprimées en 3D est celle de Tobie Laurin-Lépine. Ce Gatinois dans la trentaine a été reconnu coupable de fabrications de divers modèles d’armes à feu grâce à l’impression 3D. En consultant les photographies prises par les policiers lors de la perquisition, on retrouve également des têtes d’obus fabriqués auxquelles il a attribué des noms de personnalités publiques. On ne sait si ces pièces sont fonctionnelles, mais cette trouvaille illustre bien le progrès constant de l’impression 3D dans le domaine de l’armement. Par exemple, des sites internet étatsuniens comme DEFCAD, qui est une grande base de données techniques de plans d’armes, sont imparables. Maintenant, des communautés se forment pour améliorer l’efficacité et la viabilité de ces engins. Selon le professeur Werner, ces armes ne se fabriquent pas d’une seule pression sur le clavier de son ordinateur. Cependant « n’importe qui qui met un minimum de moyen, et dédie du temps, a tous les outils et conseils pour fabriquer une arme ».
La fin de la traçabilité?
Le manque de traçabilité est le danger principal des armes à feu imprimées en 3D. Pas de numéro de série et moins de pièces métalliques, rendant ainsi les armes plus discrètes aux détecteurs.
Les armes fabriquées, le plus souvent de type P-80, sont toujours traçables grâce aux parties métalliques commandées en ligne.
Une étude, publiée en mai 2023 par la revue Forensic Science International, à laquelle le professeur Werner a collaboré, montre les capacités offensives d’une arme entièrement fabriquée grâce à l’impression 3D. Si certaines armes ne survivent pas au premier tir, d’autres modèles sont plus résistants et ont l’occasion de tirer plusieurs cartouches. Pourtant, le procédé de l’étude utilisait les matériaux les moins solides pour de la fabrication artisanale.
« La question est : est-ce que les gens qui sont censés les détecter en sont capables? Probablement que les douaniers savent que ça existe, mais est-ce qu’ils ont les outils? Non ».
Denis WERNER, chercheur au Groupe de Recherche en Science Forensique à l’Université du Québec de Trois-Rivières
Nous avons également questionné le cabinet du ministre quant à l’utilisation de ces nouvelles technologies par les forces de l’ordre. Nous sommes dans l’attente d’une réponse.
Sur le Web clandestin, certaines boutiques se vantent de faire livrer leurs colis de manière tout à fait intraçable.
« Les cas de vendeurs sur internet sortis de nulle part sont vraiment rares ».
Denis WERNER, chercheur au Groupe de Recherche en Science Forensique à l’Université du Québec de Trois-Rivières.
Les études comme celles du professeur en science forensique visent à développer les moyens techniques permettant de détecter le plastique utilisé pour fabriquer l’arme. Me Désaulniers affirme : « Au même titre que la technologie a évolué pour les criminelles, les services de police eux aussi disposent de nouveaux moyens ».
Monsieur Werner dénonce « un manque d’anticipation pour se doter des bonnes technologies », et ce, en citant par exemple les scanneurs d’aéroport qui ne pourraient pas détecter une arme comme celle présentée ci-dessus.
Laurence Hamel-Roy est candidate au doctorat au Centre for Interdisciplinary Studies on Society and Culture (CISSC) de l’Université Concordia, où elle mène un projet qui retrace l’histoire des transformations législatives de l’industrie de la construction et leurs répercussions sur les trajectoires professionnelles et militantes des travailleur·euse·s de l’industrie. Katia Atif est directrice d’Action travail des femmes (ATF), un organisme de défense des droits des femmes, qui soutient depuis près de 50 ans les démarches des femmes de tous âges et origines pour l’accès à des emplois décents et bien rémunérés, particulièrement dans les domaines dits non traditionnels. Cet article est inspiré de l’avis Le projet de loi no 51 : des solutions mal avisées qui confondent les problématiques conjoncturelles et les inégalités systémiques rencontrées par les femmes. Ce dernier a été déposé au nom d’ATF dans le cadre des consultations relatives au projet de loi 51, Loi modernisant l’industrie de la construction. Elles dénoncent les dispositions de ce projet de loi comme témoignant du rapport instrumental du gouvernement à l’égard des groupes sous-représentés dans l’industrie : les femmes, les personnes autochtones, les personnes immigrantes, de minorité visible ou ethnique et les personnes en situation de handicap. À terme, il risque de nuire à l’atteinte de l’égalité en emploi sur les chantiers.
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L’industrie de la construction constitue un secteur d’emploi majeur au Québec; elle génère directement plus d’un emploi sur vingt1Plan d’action pour le secteur de la construction, Québec : Gouvernement du Québec, Mars 2021.. L’industrie de la construction est par ailleurs au cœur des efforts de relance économique depuis le début de la pandémie de la COVID-19.
Plusieurs initiatives ont ainsi été déployées dans les dernières années afin d’encourager la croissance du secteur et de sa productivité, notamment pour attirer de nouveaux et nouvelles travailleur·euse·s dans l’industrie. À cet égard, les groupes historiquement exclus, dont les femmes, ont fait l’objet d’une attention constante et soutenue, grâce à la mise en œuvre de différents programmes et assouplissements dédiés à faciliter et accélérer leur entrée dans l’industrie. En 2023, Action travail des femmes (ATF) publiait les résultats d’une vaste étude qui documentait ces initiatives et critiquait l’approche utilitaire adoptée envers les femmes. De plus, elle ne tient pas suffisamment compte du problème historique de leur maintien dans l’industrie2Laurence Hamel-Roy, Élise Dumont-Lagacé et Sophie Pagarnadi, Maintien et stabilisation des travailleuses de la construction au Québec : une industrie à la croisée des chemins, Montréal : Action travail des femmes (ATF), 2023..
Le projet de loi no 51, Loi modernisant l’industrie de la construction (PL 51) s’inscrit dans la continuité de ces initiatives. Plusieurs des modifications législatives et réglementaires proposées visent en effet à répondre à la « pénurie de main-d’œuvre », cette fois en facilitant l’accès des « personnes représentatives de la diversité de la société québécoise », soit : « les [A]utochtones, les personnes immigrantes, les minorités visibles ou ethniques ainsi que les personnes handicapées ». Cette attention en apparence vertueuse envers les groupes historiquement exclus de l’industrie de la construction ne doit pas nous confondre. Les intentions du ministre du Travail et son souci pour la productivité des entreprises de l’industrie de la construction sont clairement explicités dans l’analyse des répercussions du règlement effectué par le Ministère :
Les mesures implantées ayant contribué à attirer les femmes dans l’industrie de la construction devraient favoriser l’attractivité de cette industrie auprès des personnes représentatives de la diversité de la société québécoise. L’inclusion de ces nouveaux groupes permettrait d’élargir le bassin potentiel de travailleurs et de répondre à la demande de main-d’œuvre de l’industrie de la construction. Les propositions n’entraîneraient pas de coûts supplémentaires pour les entreprises3Ministère du travail, Analyse d’impact réglementaire : projet de loi modernisant l’industrie de la construction, Québec : Gouvernement du Québec, Janvier 2023, p. 25..
Combinées aux mesures implantées en vertu de l’entente Québec-Ottawa conclue en 2021 qui exemptent les employeurs d’obtenir une évaluation de l’impact sur le marché du travail (EIMT) pour la majorité des métiers de la construction (et donc de faire la démonstration de l’échec de leurs efforts de recrutement au niveau local), les modifications réglementaires prévues par le PL 51 ont cependant tout pour dérouler le tapis rouge du recrutement des travailleur·euse·s temporaires, et surtout, leur exploitation éhontée — au nom de la diversité — sur les chantiers du Québec.
Cette orientation, qui assimile les bénéfices de la diversité à leur rentabilité, est hautement problématique. En effet, elle subordonne les droits fondamentaux en matière d’égalité en emploi des personnes concernées à des impératifs économiques conjoncturels, et, par conséquent, conditionne l’atteinte de l’égalité réelle à des considérations commerciales qui risquent à terme de contribuer au fractionnement des luttes sociales. Les femmes et les autres groupes ciblés par le PL 51 méritent mieux qu’une politique qui les assigne au rang d’armée de réserve.
Après les femmes, les « personnes représentatives de la diversité »…
Jusqu’au dépôt du PL 51, les femmes constituaient le seul groupe à l’égard duquel la Commission de la construction du Québec (CCQ) avait jusqu’alors prévu des normes réglementaires différentes en vertu de l’article 123.1 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (chapitre R-20). Ces dispositions4Particulièrement, celles contenues dans le Règlement sur la délivrance des certifications de compétence (r.5) et dans le Règlement sur le Service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction (r.14.1). font l’objet d’une attention soutenue par ATF depuis plusieurs années en raison de leurs effets inégaux et parfois même contre-productifs sur l’accès à l’égalité en emploi des femmes dans la construction. Pourtant, c’est précisément leur extension systématique aux « personnes représentatives de la diversité de la société québécoise » que le PL 51 propose.
Pour rappel, les femmes constituent, à l’heure actuelle en 2024, moins de 3,8 % de l’ensemble de la main-d’œuvre sur les chantiers de construction5CCQ, « Les femmes plus nombreuses dans l’industrie de la construction », 8 mars 2024, https://www.ccq.org/fr-CA/Nouvelles/2024/journee-des-femmes. Tel que le reconnaît la Commission de la construction du Québec (CCQ), la très lente progression de leur taux de représentativité est directement liée aux problématiques de discrimination et de harcèlement qui font qu’elles sont surreprésentées parmi les travailleur·euse·s qui quittent l’industrie dans les cinq premières années : en 2017, 52 % des femmes qui avaient intégré l’industrie depuis 1997 l’avaient quitté après 5 ans, contre 32 % des hommes6CCQ, Les femmes dans l’industrie de la construction – portrait statistique 2022, 2023..
La majorité des mesures mises en place depuis l’adoption en 1996 du premier Programme d’accès à l’égalité pour les femmes (PAEF) continue cependant d’insister sur l’accès des femmes à l’industrie, sans tenir compte ni de la qualité des emplois, ni des conditions d’exercice qu’elles sont à même d’obtenir une fois qu’elles y sont, ni pour les problèmes de maintien qu’elles y rencontrent.
Pensons, par exemple7Pour plus d’informations sur ces mesures, voir Laurence Hamel-Roy, Élise Dumont-Lagacé et Sophie Pagarnadi, Op. cit., au supposé avantage qui permet aux femmes d’intégrer l’industrie de la construction et d’y exercer le métier de leur choix sans avoir complété un diplôme d’études professionnelles (DEP) sitôt que la disponibilité de main-d’œuvre pour ledit métier dans une région donnée est de 30 % ou moins. Les hommes non diplômés, de leur côté, doivent pour leur part attendre les « ouvertures de bassins » qui surviennent lorsque ce taux est de 5 % ou moins. Une telle mesure a pour effet de détourner la majorité des femmes qui désirent intégrer l’industrie de la poursuite d’une formation professionnelle, alors que le DEP est un facteur de rétention avéré autant chez les hommes que les femmes. LL’augmentation du ratio apprenti/compagnon qui est accordée aux employeurs qui embauchent des travailleuses apprenties a des effets similaires. Mis en place afin de permettre aux employeurs d’augmenter le nombre d’apprenti·e·s sur leurs chantiers, cet assouplissement législatif renvoie une fois de plus les femmes au statut de main-d’œuvre d’appoint, en plus de nuire à la qualité de la supervision et du transfert de compétences. Par la même occasion, cela rend plus difficile la montée en grade et à l’accès au statut de compagnon·gne (et à leur avantage salarial). Enfin, on ne saurait passer sous silence le Carnet référence construction, une plateforme électronique mise en place avec l’intention, certes louable, de promouvoir l’embauche des femmes auprès des employeurs en recherche de main-d’œuvre. Parce qu’il se limite à hypervisibiliser les candidatures des travailleuses sur les listes de références de main-d’œuvre, le Carnet n’offre non seulement aucune garantie aux candidates qu’elles seront embauchées pour des emplois intéressants, mais il contribue de surcroît à entretenir le préjugé selon lequel les femmes bénéficient d’une place privilégiée au sein de l’industrie et à renforcer le sentiment d’hostilité à leur égard.
Ces quelques exemples démontrent que la mise en place d’interventions centrées sur l’accès ne peut, à elle seule, neutraliser les biais systémiques qui font que les travailleuses de la construction peinent à progresser sur le plan professionnel et à se maintenir dans le milieu. Bon nombre de ces mesures ont en outre des effets préjudiciables sur l’intégration des femmes dans les équipes de travail, puisqu’elles alimentent le mythe selon lequel ces dernières bénéficieraient de passe-droits dans l’industrie, et, incidemment, qu’elles n’y mériteraient pas leur place au même titre que leurs confrères masculins. Loin d’avoir fait leurs preuves en matière d’égalité en emploi, ces mesures contribuent donc plutôt au maintien des travailleuses dans la précarité et à leur circulation perpétuelle.
La proposition du PL 51 d’élargir systématiquement la portée de ces mesures originellement pensées pour favoriser la présence des femmes aux « personnes représentatives de la diversité » — en mode one size fits for all et sans diagnostic préalable — soulève donc d’importants enjeux. Tel que l’a dénoncé ATF dans son mémoire soumis à la Commission de l’économie et du travail, cette approche rompt non seulement avec les principes censés guider la mise en place de réelles mesures d’accès à l’égalité (évaluer le système d’emploi relativement à chaque groupe ciblé, identifier les obstacles propres à chacun d’entre eux, déterminer des cibles réalistes et souhaitables, etc.), mais surtout, témoigne du rôle cosmétique qu’accorde le ministre du Travail à la « diversité ». Non seulement à aucun endroit, ni dans le mémoire qu’il a soumis au Conseil des ministres ni dans l’analyse d’impact réglementaire produite par son ministère, les mots « égalité » ou « discrimination » n’apparaissent, mais la motion pour faire entendre l’analyse d’ATF en consultations particulières de l’étude du projet de loi s’est vue fermement refusée par les commissaires de son parti8Étude détaillée du projet de loi n° 51, Loi modernisant l’industrie de la construction, 28 mars 2024. Voir le Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail, Vol. 27, n° 49..
En misant uniquement sur l’intérêt des employeurs à recruter les personnes qu’il assimile à la diversité québécoise pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre, le PL 51 n’offre ainsi aucune garantie pérenne sur leur accès à l’égalité en emploi et leur capacité à affronter les effets des fluctuations économiques de l’industrie. Les mesures « diversitaires » du PL 51 sont en ce sens univoques de l’intention du ministre de pourvoir à l’exploitation d’une main-d’œuvre jetable. Elles visent sciemment à répondre à des besoins ponctuels créés par une surchauffe de l’industrie à laquelle le gouvernement a lui-même contribué — comme l’illustre le développement récent de la filière des batteries9Louis Cloutier, « Filière batterie : la Mauricie manquera de travailleurs de la construction », TVA Nouvelles, 9 décembre 2022, https://www.tvanouvelles.ca/2022/12/09/filiere-batterie-la-mauricie-manquera-de-travailleurs-de-la-construction.
En dérive, l’immigration au secours de la diversité
La vision instrumentale du gouvernement à l’égard de la diversité est rendue d’autant plus évidente qu’il prend soin de spécifier la définition qu’il entend des « personnes immigrantes » faisant partie des « personnes représentatives de la diversité de la société québécoise » : un résident permanent ou ressortissant étranger. Cette définition est, d’une part, restrictive, puisqu’elle exclut les personnes immigrées qui vivent sur le territoire et qui ont été naturalisées, et, d’autre part, extrêmement inclusive puisqu’elle considère comme personne immigrante toute personne relevant d’un autre État qui résiderait sur le territoire canadien. Elle inclut donc les personnes dotées d’un statut d’immigration non permanent, dont celles qui auraient été recrutées par les entreprises via le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET).
Voilà plusieurs années que le ministre du Travail lorgne ce bassin de main-d’œuvre prospectif. Pensons à ses déclarations dans le cadre du lancement de l’Opération main-d’œuvre en 202110Conférence de presse concernant l’Opération main-d’œuvre du premier ministre François Legault, du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration Jean Boulet et de la ministre de l’Enseignement supérieur Danielle McCanne, 20 novembre 2021.). Il n’est donc pas surprenant de voir que le PL 51 prévoit des mesures afin d’aménager la législation conformément aux désirs des entreprises. En faisant implicitement des travailleur·euse·s temporaires des « personnes immigrantes » et, incidemment, des « représentants de la diversité » en vertu de la Loi, le PL 51 abat donc les dernières contraintes législatives qui restreignaient le recours au PTET.
En vertu des modifications réglementaires mentionnées précédemment, ces travailleur·euse·s recruté·e·s à l’international pourront désormais intégrer l’industrie de la construction sitôt que la disponibilité de main-d’œuvre enregistrée par la CCQ sera de 30 % ou moins pour le métier visé, peu importe les qualifications détenues ou leur reconnaissance formelle. Ielles seront aussi plus aisément « déplaçables » à l’échelle de la province, grâce aux dispositions du PL 51 qui prévoient l’octroi de critères de mobilité régionale préférentiels pour les femmes et les personnes représentatives de la diversité — avec tous les risques de ressac que cela suppose.
Le PTET est cependant un programme tristement célèbre en raison de ses effets délétères sur les conditions de vie et de travail qu’il impose aux travailleur·euse·s qui viennent travailler au Canada avec un permis de travail fermé, comme c’est le cas aussi dans le secteur agricole. Tel que le dénoncent des organisations locales de défense des droits comme le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI) depuis de nombreuses années, le fait que le permis de travail soit lié à un employeur unique renforce la vulnérabilité des travailleur·euse·s à différentes formes d’exploitation et de violations des droits que les organisations comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) peinent à endiguer véritablement11Voir par exemple Oona Barret, « Des travailleurs migrants dénoncent du travail forcé dans une usine », Pivot, 1er août 2023, https://pivot.quebec/2023/08/01/des-travailleurs-migrants-denoncent-du-travail-force-dans-une-usine-quebecoise. C’est pour cette raison que, en octobre 2023, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage de l’Organisation des Nations unies (ONU) intimait au gouvernement fédéral de mettre en place un meilleur accès à la résidence permanente12« Canada : Ancrer la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage dans les droits de l’homme, demande un expert ONU », Communiqué de presse du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), 6 septembre 2023, https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2023/09/canada-anchor-fight-against-contemporary-forms-slavery-human-rights-un.
Dans le domaine de la construction plus particulièrement, une étude réalisée par Marie-Jeanne Blain et Lucio Castracani, en partenariat avec la CCQ et la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), démontrait pour sa part l’existence de liens ténus entre la croissance de l’immigration temporaire et l’apparition de « zones grises de l’industrie » où sont refoulé·e·s les travailleur·euse·s sans permis de travail pour effectuer des tâches illégales et dangereuses13Marie-Jeanne Blain et Lucio Castracani, Les obstacles et facteurs de succès à l’intégration et au maintien en emploi des personnes immigrantes dans l’industrie de la construction, Montréal : Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions, Équipe de recherche ÉRASME et Savoirs Partagés, Octobre 2023.. Dans les autres provinces canadiennes, plusieurs cas d’abus graves impliquant des personnes migrantes détenant un statut d’immigration précaire ont ainsi été répertoriés14Michelle Buckley, Adam Zendel, Jeff Biggar, Lia Frederiksen et Jill Wells, Migrant Work & Employment in the Construction Sector, Genève: Bureau international du travail (BIT), 2016., ce qui a permis de justifier la mise en place d’un programme de régularisation pour les travailleur·euse·s de la construction « sans-papiers » dans la région du Grand Toronto par le gouvernement fédéral en 201915Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Politique d’intérêt public temporaire subséquente pour continuer à faciliter l’accès à la résidence permanente pour les travailleurs de la construction sans statut dans la région du Grand Toronto (RGT) – Prorogation, Ottawa : Gouvernement du Canada, 18 décembre 2023, https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/mandat/politiques-directives-operationnelles-ententes-accords/politiques-interet-public/residence-permanente-travailleurs-construction-sans-statut-rgt-prorogation.html.
À l’heure actuelle, les travailleur·euse·s temporaires forment une très faible minorité sur les chantiers du Québec — 0,5 % selon la CCQ — notamment parce qu’ils et elles sont sous-représenté·e·s dans le secteur par rapport aux autres secteurs d’activité18CCQ, Analyse provinciale des données sur les personnes immigrantes et résidents non permanents, recensement 2021 de Statistique Canada, Mars 2024.. Les modifications réglementaires prévues par le PL 51 ont cependant tout pour dérouler le tapis rouge du recrutement des travailleur·euse·s temporaires, et surtout, leur exploitation éhontée — au nom de la diversité — sur les chantiers du Québec. À cela s’ajoute les mesures implantées en vertu de l’entente Québec-Ottawa conclue en 2021, qui exemptent les employeurs d’obtenir une évaluation de l’impact sur le marché du travail (EIMT) pour la majorité des métiers de la construction et, par conséquent, de faire la démonstration de l’échec de leurs efforts de recrutement au niveau local.
Conclusion : des pistes de solution concrètes
« Dernier bastion de la masculinité »19Geneviève Dugré, Travailleuses de la construction, Montréal : Éditions du remue-ménage, 2006. ou encore « forteresse de béton armé »20Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest, Le Québec et les programmes d’accès à l’égalité : un rendez-vous manqué ?, Montréal : Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CETUM), Avril 2013., les métiers et les occupations de l’industrie de la construction forment l’un des secteurs d’emploi les plus homogènes au Québec.
Le PL 51 manque cependant une occasion unique de progresser vers l’égalité de fait dans le secteur de la construction, une opportunité qui, compte tenu du rythme des réformes législatives, pourrait mettre encore plusieurs années à se matérialiser. Selon l’article 126.0.1 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (chapitre R-20), la CCQ est tenue de consulter la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pour l’élaboration de ses mesures visant à favoriser l’accès, le maintien et l’augmentation du nombre des femmes dans l’industrie de la construction. Tel que l’observe ATF depuis plusieurs années, la CCQ adopte cependant une vision étroite de cette obligation, ce qui explique que bon nombre des mesures n’ont pas livré les effets escomptés en matière de représentativité des femmes. Une réforme de l’industrie de la construction axée sur la promotion de l’égalité et de la participation de tous·tes à la mise en œuvre des chantiers de demain devrait donc renforcer les mécanismes de reddition de comptes de la CCQ à l’égard de la CDPDJ. Elle devrait aussi pouvoir assurer la conformité des mesures qui sont mises en place pour les femmes et les groupes nouvellement ciblés aux cadres législatifs en matière d’accès à l’égalité en emploi et de droits de la personne.
L’assujettissement de l’industrie de la construction au Programme d’obligation contractuelle (POC), revendiqué depuis le début des années 1980 par ATF, est par ailleurs la manière qui permettrait au gouvernement d’agir de la façon la plus structurante sur l’accès à l’égalité en emploi dans l’industrie21L’application du POC à l’industrie de la construction fait consensus au sein des cinq organisations syndicales de l’industrie depuis de nombreuses année. Au lendemain du dépôt du PL 51, cet appui avait d’ailleurs été réitéré dans une lettre ouverte demandant au gouvernement Québecois d’intervenir en ce sens. Laurence Hamel-Roy, Katia Atif et Élise Dumont-Lagacé, « Des mesures de diversité qui tombent à plat et rien de plus pour les femmes avec le PL51 », Le Devoir, 14 février 2024, https://www.ledevoir.com/opinion/idees/807865/idees-mesures-diversite-tombent-plat-rien-plus-femmes-pl51. L’introduction d’obligations contractuelles, dans une formule spécifique à l’industrie de la construction prenant en compte la petite taille de bon nombre d’entreprises et les chaînes de sous-traitance qui les lie, obligerait en effet les employeurs et leurs sous-traitants à adopter des pratiques de recrutement et d’embauches justes à l’égard des groupes sous-représentés, sous peine de sanctions en cas de non-conformité. Il s’agit d’un levier d’action effectif qui donnerait au gouvernement le pouvoir d’agir de façon systémique sur le secteur, tout en favorisant l’accès des individus historiquement concernés par la discrimination aux emplois les plus stables et rémunérateurs de l’industrie. En accord avec les principes de la Charte des droits et libertés de la personne, de telles obligations pourraient donc favoriser une vraie représentativité de la société québécoise sur les grands chantiers qui sont financés par l’État, et donc par l’ensemble des Québécois·e·s. Une véritable diversité sur les chantiers ne serait-elle pas le réel signe de l’entrée de l’industrie dans la modernité ?
Le manque de main-d’œuvre et la crise du logement ne devraient en outre pas nous détourner des considérations humanitaires qui sont censées être au cœur d’une politique d’immigration solidaire, inclusive et vectrice de richesses collectives. L’octroi de permis de travail ouverts, la régularisation du statut des personnes migrantes sans-papiers, l’accès facilité à la résidence permanente et la simplification des mécanismes de reconnaissance des qualifications et compétences acquises à l’étranger devraient ainsi apparaître en tête de liste de toute initiative visant à favoriser la présence des travailleur·euse·s issu·e·s de l’immigration sur les chantiers du Québec. Les projets d’infrastructures qui marqueront la prochaine décennie bénéficieront à l’ensemble des personnes qui résident sur le territoire; aucune raison ne justifie que les personnes qui les construisent ne soient pas également reconnues et protégées.
CRÉDIT PHOTO : Flickr/Peter Burka
1
Plan d’action pour le secteur de la construction, Québec : Gouvernement du Québec, Mars 2021.
2
Laurence Hamel-Roy, Élise Dumont-Lagacé et Sophie Pagarnadi, Maintien et stabilisation des travailleuses de la construction au Québec : une industrie à la croisée des chemins, Montréal : Action travail des femmes (ATF), 2023.
3
Ministère du travail, Analyse d’impact réglementaire : projet de loi modernisant l’industrie de la construction, Québec : Gouvernement du Québec, Janvier 2023, p. 25.
4
Particulièrement, celles contenues dans le Règlement sur la délivrance des certifications de compétence (r.5) et dans le Règlement sur le Service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction (r.14.1).
CCQ, Les femmes dans l’industrie de la construction – portrait statistique 2022, 2023.
7
Pour plus d’informations sur ces mesures, voir Laurence Hamel-Roy, Élise Dumont-Lagacé et Sophie Pagarnadi, Op. cit.
8
Étude détaillée du projet de loi n° 51, Loi modernisant l’industrie de la construction, 28 mars 2024. Voir le Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail, Vol. 27, n° 49.
Conférence de presse concernant l’Opération main-d’œuvre du premier ministre François Legault, du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration Jean Boulet et de la ministre de l’Enseignement supérieur Danielle McCanne, 20 novembre 2021.
Marie-Jeanne Blain et Lucio Castracani, Les obstacles et facteurs de succès à l’intégration et au maintien en emploi des personnes immigrantes dans l’industrie de la construction, Montréal : Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions, Équipe de recherche ÉRASME et Savoirs Partagés, Octobre 2023.
14
Michelle Buckley, Adam Zendel, Jeff Biggar, Lia Frederiksen et Jill Wells, Migrant Work & Employment in the Construction Sector, Genève: Bureau international du travail (BIT), 2016.
CCQ, Analyse provinciale des données sur les personnes immigrantes et résidents non permanents, recensement 2021 de Statistique Canada, Mars 2024.
19
Geneviève Dugré, Travailleuses de la construction, Montréal : Éditions du remue-ménage, 2006.
20
Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest, Le Québec et les programmes d’accès à l’égalité : un rendez-vous manqué ?, Montréal : Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CETUM), Avril 2013.
21
L’application du POC à l’industrie de la construction fait consensus au sein des cinq organisations syndicales de l’industrie depuis de nombreuses année. Au lendemain du dépôt du PL 51, cet appui avait d’ailleurs été réitéré dans une lettre ouverte demandant au gouvernement Québecois d’intervenir en ce sens. Laurence Hamel-Roy, Katia Atif et Élise Dumont-Lagacé, « Des mesures de diversité qui tombent à plat et rien de plus pour les femmes avec le PL51 », Le Devoir, 14 février 2024, https://www.ledevoir.com/opinion/idees/807865/idees-mesures-diversite-tombent-plat-rien-plus-femmes-pl51
La clause dérogatoire – parfois appelée clause nonobstant – est-elle réellement dangereuse ou sert-elle plutôt de protection aux intérêts collectifs? Justin Trudeau évoque un renvoi à la Cour Suprême du Canada afin de baliser son utilisation alors que François Legault ne manifeste aucun scrupule à l’utiliser. Le premier ministre québécois qualifie tout encadrement de son utilisation d’attaque à la nation québécoise1« Disposition dérogatoire : Trudeau lance “une attaque frontale” au Québec, dit Legault », Radio-Canada, 21 janvier 2023 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1949974/justin-trudeau-clause-nonobstant-cour-supreme-francois-legault. Son homologue canadien est réticent à ce que la clause soit utilisée de manière excessive2« Disposition de dérogation : Trudeau se défend de mener une attaque contre le Québec », Radio-Canada, 23 janvier 2023 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1950270/clause-derogatoire-nonobstant-constitution-ottawa-quebec-federal-provincial. Dans un contexte où les échanges entre Québec et Ottawa sur le sujet sont pour le moins acrimonieux, il est nécessaire d’établir l’état des lieux en la matière.
La clause dérogatoire, qu’en est-il vraiment ?
Cette fameuse clause dérogatoire figure à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 19823Charte canadienne des droits et libertés, art 33, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html. Il y est indiqué qu’un gouvernement provincial ou fédéral peut faire voter une loi sans prendre en considération les articles 2 ainsi que 7 à 15 de la Charte canadienne4Ibid.. L’article 2 concerne les libertés fondamentales (liberté de conscience, de religion, d’association, etc.) alors que les articles 7 à 15 font référence aux garanties juridiques (droit à la vie, à la sécurité, à la protection contre une fouille abusive, etc.) ainsi qu’au droit à l’égalité5Ibid, aux art. 2 ainsi que 7 à 15.. Notons donc que plusieurs droits, tels les droits à l’instruction dans la langue de la minorité, ne sont pas concernés par la clause nonobstant6Ibid..
Petite histoire
L’idée de la clause dérogatoire est survenue pendant les négociations ayant lieu entre 1980 et 1982 lors de ce qui a été dénommé le « rapatriement constitutionnel »7Laurence Brosseau, Marc- André Roy : La disposition de dérogation de laCharte, Division des affaires juridiques et sociales et Service d’informations et de recherche parlementaire de la Bibliothèque du parlement, Publication numéro 2018-17-F, à la page 2. https://lop.parl.ca/staticfiles/PublicWebsite/Home/ResearchPublications/BackgroundPapers/PDF/2018-17-f.pdf. Il s’agit du processus entamé par Trudeau père permettant au Canada de dorénavant modifier sa constitution sans intervention du Royaume-Uni8Sheppard, Robert. « Rapatriement de la Constitution. » l’Encyclopédie Canadienne. Historica Canada. Article publié septembre 03, 2012; consulté le 5 mars 2023. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/canadianisation-de-la-constitution. L’idée de consacrer la protection des droits et libertés de la personne au sein de la loi suprême du pays par le biais d’une Charte ne faisant pas l’unanimité, l’adoption d’une clause dérogatoire avait alors pour but de convaincre les adversaires de cette limitation du pouvoir parlementaire9Ibid note 7.. L’entente finale contenant la Charte canadienne que l’on connaît aujourd’hui a été conclue en catimini dans la nuit du 4 novembre 1981 par le Canada anglais, et a été adoptée dès le lendemain, sans l’accord du Québec10Ibid note 7, à la page 4..
Place aux juges… non élu·e·s
La clause dérogatoire est toutefois bien loin d’être une simple disposition législative. Elle représente, pour ses partisan·e·s, la souveraineté parlementaire. Il faut savoir que la Loi constitutionnelle de 1982, à son article 52, indique que la Constitution canadienne est la loi suprême au Canada et qu’elle rend inopérantes les lois qui y sont incompatibles11Loi constitutionnelle de 1982, art 52, constituant l’annexe B de la Loi sur 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c11 https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-12.html#h-39. Les gouvernements ne peuvent donc pas légiférer sans respecter la Charte canadienne. Autrement dit, le cadre constitutionnel canadien limite la souveraineté parlementaire des différentes législatures et il en donne le contrôle, s’il y a lieu, aux tribunaux12Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, au para 89. 2014 CSC 21. https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/13544/index.do.
Les lois adoptées devant être compatibles avec la Constitution canadienne, il revient souvent aux juges de trancher des litiges de nature hautement politique lorsque, par exemple, une loi est contestée. Cette manière de procéder rappelle la théorie du gouvernement des juges. Cette théorie, à connotation plutôt négative, explique que le rôle des juges est initialement d’appliquer la loi, et que ce rôle dérive lorsqu’iels décident du contenu des lois elles-mêmes13Anne-Marie Le Pourhiet, « Gouvernement des juges et post-démocratie. » Constructif, 61, 45-49. 2022, https://doi.org/10.3917/const.061.0045. Le tout est vu comme un possible affront à la souveraineté parlementaire des élu·e·s. La clause dérogatoire permettrait alors de mettre en balance les principes de suprématie parlementaire et de suprématie constitutionnelle. Pour Pierre Elliot Trudeau, premier ministre lors du rapatriement de la Constitution, elle aurait pour mission de donner le « dernier mot » aux assemblées législatives du pays14Ibid, note 7, à la page 5..
Les chartes des droits et libertés de la personne n’ont-elles toutefois pas des objectifs louables? Pourquoi faudrait-il alors laisser les gouvernements y déroger, même au nom de la souveraineté parlementaire? En effet, les chartes concernant les droits de la personne ont eu des effets plus que positifs au sein des démocraties occidentales, et elles sont absolument nécessaires. Le problème, c’est qu’elles ont tendance à consacrer les droits individuels. Cela peut alors entrer en collision avec certains intérêts collectifs qui peuvent être tout aussi importants. Pensons, notamment, à la protection du français au Québec. La clause dérogatoire peut être utile dans une telle situation où un gouvernement souhaite prioriser un intérêt collectif au détriment de certaines libertés individuelles. Par exemple, la loi sur la langue officielle et commune du Québec (Projet de loi 96), qui a reçu application de la clause dérogatoire, interdit aux employeurs d’exiger la maitrise de la langue anglaise comme critère de sélection pour un emploi.
L’alternative de l’article premier
Avant d’affirmer la légitimité idéologique de la clause dérogatoire, il faut rappeler l’existence de l’article premier de la Charte canadienne. En effet, la clause dérogatoire n’est pas l’unique porte de sortie pour les assemblés législatives qui souhaitent affirmer leur souveraineté parlementaire. L’article premier mentionne qu’il est possible pour une loi de restreindre un droit si cette restriction est raisonnable dans le cadre d’une société « libre et démocratique »15Charte canadienne des droits et libertés, art 1, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html. Ces deux mots assez simples renferment en réalité un test juridique établi par les tribunaux, et que doit passer chaque loi contestée pour des motifs de discrimination. Les critères sont les suivants : la loi restreignant un droit individuel doit répondre à un objectif réel et urgent, un degré suffisant de proportionnalité doit être présent entre l’objectif et le moyen utilisé pour l’atteindre, la restriction doit démontrer un lien rationnel avec l’objectif, l’atteinte au droit doit être minimale et, pour finir, il doit exister une proportionnalité entre les effets préjudiciables de la loi et ses effets bénéfiques16Ministère de la Justice du Canada, Article 1 – Limites raisonnables, 2022, Gouvernement du Canada https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/dlc-rfc/ccdl-ccrf/check/art1.html.
Comme nous pouvons le voir, même sans la présence d’une clause dérogatoire, il est possible pour un gouvernement de restreindre un droit individuel pour, par exemple, privilégier un intérêt collectif. Seulement, cette restriction est encadrée. La question se pose donc : souhaitons-nous réellement nous prévaloir de lois qui ne passent pas ce test juridique ? Bien que ce ne soit pas mentionné de manière explicite, la clause dérogatoire est appliquée lorsque le législateur considère que son texte législatif ne pourra répondre à tous ces critères. Pourrait-on y trouver une manière de cacher une forme de discrimination? Si la loi contestée n’est pas discriminatoire, ne devrait-elle pas être en mesure de passer ce test juridique? Initialement, il était établi qu’une utilisation discriminatoire de la clause dérogatoire par un gouvernement serait sanctionnée par le peuple lors des élections puisque la population ne souhaiterait pas le voir réélu17Ibid note 7, à la page 10.. Mais, qu’arrive-t-il lorsque la majorité de la population est en accord avec son utilisation ? Est-ce parce qu’une position est minoritaire qu’elle ne mérite pas d’être défendue? Les Québécois·es francophones, baignant dans une Amérique largement anglo-saxonne, sont plutôt bien placé·e·s pour répondre à cette question.
Et le droit international dans tout ça?
Le droit international, bien que configurant une réalité politique tout autre, semble également aller en ce sens. On retrouve dans plusieurs conventions des clauses dérogatoires. Contrairement à l’article 33 de la Charte canadienne, elles s’assurent quant à elles d’énoncer des critères à respecter dans l’éventualité où un État chercherait à restreindre des droits. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient par exemple une clause dérogatoire à son article 4. La disposition mentionne cependant qu’une dérogation est possible dans « le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation »18Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’art. 4, Entrée en vigueur le 23 mars 1976. https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights. La Convention américaine relative aux droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Charte arabe des droits de l’homme ont aussi une approche semblable en la matière. De fait, la Charte arabe des droits de l’homme mentionne à son article 4 la possibilité de déroger aux engagements de la charte à condition que ceci « n’entrain(e) aucune discrimination fondée sur le seul motif de la race, de la couleur, du sexe, de la langue, de la religion ou de l’origine sociale »19Charte arabe des droits de l’homme, à l’art. 4, Entrée en vigueur le 15 mars 2008. https://acihl.org/texts.htm?article_id=16. Ces clauses dérogatoires correspondent donc plutôt à la manière dont l’article premier a été défini par les tribunaux canadiens. Effectivement, l’article premier permet, tout comme la clause dérogatoire, de restreindre des droits fondamentaux. Il établit toutefois, en conformité avec le droit international, un certain encadrement.
Dissonance à Québec
François Legault allègue qu’un renvoi en Cour suprême du Canada à la demande de Justin Trudeau représenterait une attaque contre la nation québécoise. Ceci pourrait être compréhensible dans l’hypothèse où la clause nonobstant représenterait le dernier rempart de la souveraineté du peuple québécois et que tout type d’encadrement constituerait de facto une limitation. Toutefois, le premier ministre François Legault a-t-il réellement à cœur la suprématie parlementaire du système politique québécois ? Rappelons que la composition actuelle de l’Assemblée nationale est loin de réellement représenter la volonté du peuple québécois. Les élections de l’automne 2022 ont démontré une disproportion si grande entre le vote populaire et le nombre de sièges attribué à chaque parti, qu’elles ont obtenu un indice de Gallagher de 25,720Calcul fait par la Solution étudiante nationale pour un scrutin équitable, publié sur Facebook, publié le 4 octobre 2022. Voir. https://www.facebook.com/ScrutinSENSE/posts/1068906407024417/. Le Québec se classe donc bien loin derrière les autres démocraties occidentales avec l’Allemagne à 3,41, la Belgique à 3,92 ou bien la Suède à 0,6421Michael Gallagher, « Election indices », 2023, consulté le 11 mars 2023, https://www.tcd.ie/Political_Science/people/michael_gallagher/ElSystems/Docts/ElectionIndices.pdf. Lorsqu’il est questionné au sujet de cette situation alarmante, François Legault répond que la réforme du mode de scrutin « n’intéresse pas la population, à part quelques intellectuel[·le·]s »22« Mode de scrutin : Legault accusé de prendre les Québécois “pour des imbéciles” », Radio-Canada, 5 septembre 2022 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911106/reforme-mode-de-scrutin-abandonnee-legault-prend-les-quebecois-pour-des-imbeciles. Est-ce là une manifestation de respect de la volonté du peuple québécois ?
Notre premier ministre s’érige haut et fort en défenseur de la nation québécoise devant Ottawa, mais s’écrase piteusement lorsque sa fronde risque d’entraîner une perte de sièges au Salon bleu. De plus, le gouvernement caquiste actuel ne se gêne pas pour faire adopter des lois « sous bâillon ». La procédure du bâillon permet au parti au pouvoir de limiter le temps de débat portant sur une loi et donc d’accélérer son processus d’adoption23« Bâillon », Encyclopédie du parlementarisme québécois, Assemblée nationale du Québec, 16 mai 2016.. C’est une manière de court-circuiter le processus parlementaire et c’est notamment ce qui a été fait lors de l’adoption du projet de loi 21. Bien qu’il ait fait couler beaucoup d’encre sur la question du port de signes religieux, le projet de loi modifiait également la Charte québécoise des droits et libertés de la personne24Pierre Bosset, « Une inquiétante désinvolture » Le Devoir, 15 mai 2019 https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/554344/une-inquietante-desinvolture. Le premier ministre s’est donc permis de modifier cette charte de nature quasi constitutionnelle sans obtenir le consensus de l’Assemblée, et sans même respecter le processus parlementaire habituel25Ibid.. En d’autres mots, lorsqu’il est question de souveraineté parlementaire, le Québec aura vu bien meilleur·e défenseur·e que François Legault.
Charte canadienne des droits et libertés, art 33, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html
Charte canadienne des droits et libertés, art 1, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c1. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-12.html
Le prix des loyers augmente au Québec. Le Tribunal administratif du logement (TAL) prévoit une augmentation de 2,3 % pour 2023, mais de nombreux propriétaires demandent une somme supérieure à ce taux. Néanmoins, une solution s’offre aux locataires qui jugent leur augmentation de loyer abusive.
Chaque année, la période de renouvellement de bail coïncide avec celle des augmentations du prix des loyers. Dans son calcul de l’ajustement des loyers annuels, le Tribunal administratif du logement (TAL) suggère pour 2023 une augmentation de 2,3 % pour les loyers non chauffés. Ce taux monte à 2,9 % pour tenir compte de l’augmentation des taxes municipales de 5 %. Les logements chauffés, eux, peuvent subir des hausses de 2,8 % pour un système de chauffage électrique, 4,5 % pour un chauffage au gaz ou 7,3 % pour le mazout. Il s’agit d’une augmentation de 56 % par rapport au taux suggéré en 20221TVA Nouvelles,« Ajustement des loyers: voici combien votre propriétaire pourra vous réclamer de plus cette année », 17 janvier 2023, Ajustement des loyers: voici combien votre propriétaire pourra vous réclamer de plus cette année | TVA Nouvelles, ce qui représente la hausse la plus élevée des dix dernières années2Protégez-vous.ca, « Augmentation suggérée des loyers de 2,3% pour 2023 », 24 janvier 2023, Augmentation suggérée des loyers de 2,3 % pour 2023 | Protégez-Vous.ca (protegez-vous.ca).
En tenant compte du prix moyen des loyers pour l’île de Montréal, une hausse de 2,3 % pour un 3 ½ dont le prix moyen est de 1 490 $ équivaut à une augmentation de 34,27 $. Le prix du loyer est donc reconduit à 1 524,27 $. Le ou la locataire d’un 4 ½ qui coûte normalement 1 873 $ doit débourser 1 916 $ à la suite de l’augmentation de son loyer. Pour un 5 ½ de 2 200 $, le prix atteint 2 250,60 $3Appartago, « Statistiques des loyers moyens Province du Québec », 25 avril 2023. Statistiques des loyers moyens Province du Québec | Appartogo.
Une suggestion souvent ignorée
Malgré les recommandations annuelles du TAL, nombreux·euses sont les propriétaires qui exigent de leurs locataires des sommes plus élevées que le taux proposé par le TAL4Op. cit. , note 2.. Pour les locataires, les dollars de plus qu’ils doivent débourser chaque mois peuvent représenter une somme colossale. Ces dernier·ère·s, s’ils jugent subir une augmentation de loyer non raisonnable, peuvent contester. Ils doivent répondre par écrit au ou à la propriétaire dans un délai d’un mois suivant la réception de l’avis de modification du bail remis par celui-ci. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur une augmentation de loyer, le ou la propriétaire peut s’adresser au tribunal afin de faire fixer le prix du loyer. Cette démarche peut prendre jusqu’à dix mois. Le bail sera renouvelé sans modifications en attendant la décision. Le TAL devra analyser les renseignements inscrites au formulaire transmis par le ou la propriétaire afin de fixer le prix du loyer. Les renseignements nécessaires concernent les revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble ainsi que les dépenses applicables à la période de référence, soit ceux de l’année précédente5Tribunal administratif du logement, Fixation_Foire_aux_Questions.pdf (gouv.qc.ca).
Il est important de souligner que des exceptions existent. Le tribunal ne peut intervenir pour fixer le loyer ou pour modifier d’autres conditions du bail lorsque le logement est situé dans une coopérative d’habitations, lorsqu’il s’agit d’un immeuble construit depuis cinq ans ou moins ou dont l’utilisation à des fins résidentielles résulte d’un changement d’affectation depuis cinq ans ou moins6Ibid..
Privilégier la négociation
Le TAL priorise tout de même la négociation entre les propriétaires et les locataires pour arriver à un arrangement. Pour ce faire, un outil de calcul est mis à leur disposition sur leur site internet. Il permet d’établir l’ajustement du loyer en tenant compte de la variation des taxes municipales et scolaires, des assurances, des améliorations majeures, ainsi que de l’ensemble des coûts d’exploitation de l’immeuble. Le ou la locateur·trice indique les données pertinentes à son immeuble puis soumet les résultats à son ou sa locataire dans le but de parvenir à une entente sur l’augmentation du loyer7Tribunal administratif du logement, Tribunal administratif du logement | (gouv.qc.ca).
Cependant, selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), la grille de calcul est surtout utile aux propriétaires : les locataires ne disposent normalement pas de toutes les données qui justifieraient une hausse, comme le coût des rénovations. Ielles peuvent demander à leurs propriétaires de fournir les données liées aux augmentations, mais il ne peut pas les exiger, à moins de faire appel au TAL pour la fixation de son loyer8Le Devoir, « Contester sa hausse de loyer ou non », 4 février 2023. Contester sa hausse de loyer ou non | Le Devoir. De plus, l’outil du TAL ne sert qu’à proposer un montant équitable aux deux parties puisqu’il n’existe aucune limite concernant la hausse du prix des loyers. Si les locataires ne contestent pas, les propriétaires peuvent percevoir le montant qu’il désire9Op. cit. , note 2..
Les locataires hésitent aussi souvent à contester leur hausse de loyer de peur de voir leur nom inscrit dans les dossiers du TAL. Ielles craignent que cela leur cause un préjudice s’ielles devaient chercher un autre logement, et ce, même si le tribunal leur a donné raison. Les recherches pour les cas de contestation sont beaucoup plus faciles depuis 2009 avec la mise en ligne des dossiers et la publication des noms accessibles à tous·tes. Même si l’Association des propriétaires du Québec (APQ) assure que les jugements de fixation de loyers ne devraient pas avoir d’incidence sur le choix d’un·e locataire, le RCLALQ juge que les craintes des locataires sont bien réelles10Op. cit. , note 8..
Des tactiques douteuses
Les propriétaires utilisent également plusieurs tactiques pour que leurs locataires quittent leur logement. Ils espèrent ainsi augmenter drastiquement le prix du loyer. Puisqu’il est très ardu de se départir d’un bon locataire, plusieurs techniques douteuses comme l’intimidation et le harcèlement sont employées au détriment des locataires. Une représentante du Comité logement de la Petite Patrie, Sylvie Lavigne, a affirmé au Journal de Montréal que certains propriétaires qui habitent leur immeuble font usage de tapage nocturne, de commentaires ou même de gestes agressifs pour intimider leurs locataires. Dans ces cas, il est plutôt difficile d’obtenir l’aide du TAL puisque les preuves sont moins perceptibles : « Lorsqu’on intimide quelqu’un, on ne le fait pas devant le grand public, on le fait lorsque la personne est seule, donc ça ne laisse pas vraiment de traces et c’est très difficile pour le [ou la] locataire de le prouver au TAL », ajoute Mme Lavigne, en soulignant que les voisin·e·s coopèrent rarement11Le Journal de Montréal, « On me fait vivre de la torture » : des propriétaires harcèlent leurs locataires pour qu’ils quittent leur logement », 1er mars 2023. «On me fait vivre de la torture»: des propriétaires harcèlent leurs locataires pour qu’ils quittent leur logement | JDM (journaldemontreal.com).
D’autres locataires sont victimes de « rénoviction ». Ce terme est utilisé lorsque des propriétaires se servent du besoin d’effectuer des rénovations majeures pour expulser leur locataire. Ces rénovations ne sont pourtant souvent jamais réalisées et les propriétaires en profitent pour accroître le prix de leur loyer12Le Journal de Montréal, « J’ai perdu 10 livres à cause du stress » : des locataires craignent être victimes de ‘’rénoviction’’ », 6 février 2023. «J’ai perdu 10 livres à cause du stress»: des locataires craignent être victimes de «rénoviction» | JDM (journaldemontreal.com). Une autre méthode consiste à faire signer à la hâte aux locataires un avis sans qu’ils puissent vraiment en tenir compte. C’est ce qui est parfois utilisé pour obtenir la signature sur un avis de résiliation ou pour une augmentation de loyer abusive. Le temps que le ou la locataire se rende compte de son erreur, il est déjà trop tard13la Tribune, « Les locataire doivent connaitre leurs droits, estime Labrie », 3 février 2023. Les locataires doivent connaitre leurs droits, estime Labrie (latribune.ca).
De la pression
Ces situations ne sont pas sans conséquence. Plusieurs locataires confrontés à des évictions acceptent de quitter les lieux sans contester pour limiter le stress14Op. cit., note 12.. D’autres qui vivent du harcèlement sur une longue période voient leur santé mentale se dégrader : « […] on voit souvent les locataires tomber en dépression parce qu’ils se sentent incompris, qu’ils n’ont pas de ressources, qu’ils appellent la police et que lorsque les agents se présentent chez la propriétaire, elle feint d’être couchée », confie Mme Lavigne du Comité logement de la Petite Patrie15Op. cit., note 11..
Pour celles et ceux qui contestent, le harcèlement peut parfois s’intensifier. Des locataires qui ont demandé de l’aide au Comité de logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC) ont vécu des situations pénibles et ont témoigné sous l’anonymat dans le journal communautaire du quartier, le Journal des voisins. Parmi eux, une dame de 83 ans qui demeure au même endroit depuis 28 ans s’est fait dire par son propriétaire qu’il était temps qu’elle aille vivre en résidence alors qu’elle était parfaitement autonome. Elle a vécu pendant des mois la pression de son propriétaire qui ne se gênait pas pour constamment revenir à la charge avec de nouvelles astuces pour intimider sa locataire, et ce, malgré l’implication des tribunaux. Cette histoire a grandement affecté sa qualité de vie16Journal des voisins, « Le harcèlement des locataires s’intensifie : témoignages »,14 juin 2021. Le harcèlement des locataires s’intensifie : témoignages – Journaldesvoisins.com.
L’inflation en cause
La principale raison de l’augmentation marquée du coût des logements selon la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) serait l’inflation de 6,7 % de la dernière année au Québec1798,5 FM, « Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers », 18 janvier 2023, Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca). En entrevue avec Paul Arcand au 98,5 FM, le directeur des affaires publiques et relations gouvernementales de la CORPIQ, Marc-André Plante, a expliqué aux auditeur·trice·s que les propriétaires d’immeubles doivent aussi subir les coûts supplémentaires associés à l’inflation : « Les propriétaires […] sont confrontés comme tout le monde à l’inflation galopante depuis un an »18Le directeur des affaires publiques et relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante, propos recueillis dans « Puisqu’il faut se lever », 98,5 FM, 18 janvier 2023. Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca). Le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, a quant à lui répondu que « les loyers montent beaucoup plus vite que l’inflation » en précisant que « les profits dans l’immobilier n’ont jamais été aussi importants »19Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Martin Blanchard, propos recueillis dans « Puisqu’il faut se lever », 98,5 FM, 18 janvier 2023. Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca).
Un communiqué de presse publié sur le site internet de la CORPIQ en réponse aux grilles annuelles des hausses de loyers du TAL indique que les augmentations de loyer sont « faibles » et que « les propriétaires locatif[·tive·]s devront donc, encore une fois, absorber une part importante de l’inflation […] ». Selon l’organisme, la grille de calcul du TAL est une formule désuète qui devrait subir une réforme20CORPIQ, https://www.corpiq.com/fr/nouvelles/2104-publication-du-tal-sur-les-gril…. En revanche, le RCLALQ croit que des mesures concrètes pour contrôler le prix des loyers doivent être adoptées par le gouvernement du Québec. L’organisme juge que très peu de locataires savent qu’ils peuvent refuser une augmentation de loyer, croyance renforcée par les propriétaires qui n’indiquent que deux choix sur leurs avis d’augmentation : accepter la hausse ou déménager21RCLALQ, Controle-des-loyers-_Version-longue.pdf (rclalq.qc.ca).
Trouver une solution
En 2021, le TAL recommandait une hausse de 0,8 % des loyers. Pourtant, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logements, les locataires québécois ont connu une augmentation moyenne de 3,6 % du prix de leur loyer au cours de la même période22Québec solidaire, « Guide de survie à la crise du logement », 7 février 2022. Guide de survie à la crise du logement (quebecsolidaire.net).
C’est pourquoi dans un communiqué de presse publié sur leur site internet, le RCLALQ demande au gouvernement Legault de rendre obligatoires les taux moyens d’augmentation de loyer du TAL. Il demande également de mettre en place un registre public des loyers pour permettre aux locataires de connaitre avec exactitude l’ancien loyer payé et ainsi « freiner l’augmentation vertigineuse des loyers ». Finalement, l’organisme exige un contrôle obligatoire des loyers puisqu’il juge que les règles en place ne fonctionnent pas et contribuent même à l’explosion des prix23Op. cit., note 21..
Québec solidaire propose également des solutions pour limiter les répercussions de la crise du logement dans son Guide du logement publié sur son site internet. L’une d’elles concerne un projet de loi déposé par leur député responsable en matière de logement, Andrés Fontecilla, en novembre 2021 qui permettrait l’annulation de toute demande d’augmentation pour un an et la suspension du droit du propriétaire d’augmenter le loyer d’un bail de logement privé pour la même durée. Québec solidaire propose aussi un moratoire sur les évictions permises par la loi pour un taux d’inoccupation inférieur à 3 % dans le but de contrer la tendance des « rénovictions », en plus de réclamer un plafonnement des hausses de loyer en fonction de l’indice de fixation des loyers du TAL. Selon eux, « […] il s’agit d’une solution simple et efficace pour mieux encadrer les hausses de loyer »24Op. cit., note 22..
CRÉDIT PHOTO : Unsplash
1
TVA Nouvelles,« Ajustement des loyers: voici combien votre propriétaire pourra vous réclamer de plus cette année », 17 janvier 2023, Ajustement des loyers: voici combien votre propriétaire pourra vous réclamer de plus cette année | TVA Nouvelles
2
Protégez-vous.ca, « Augmentation suggérée des loyers de 2,3% pour 2023 », 24 janvier 2023, Augmentation suggérée des loyers de 2,3 % pour 2023 | Protégez-Vous.ca (protegez-vous.ca)
3
Appartago, « Statistiques des loyers moyens Province du Québec », 25 avril 2023. Statistiques des loyers moyens Province du Québec | Appartogo
4
Op. cit. , note 2.
5
Tribunal administratif du logement, Fixation_Foire_aux_Questions.pdf (gouv.qc.ca)
6
Ibid.
7
Tribunal administratif du logement, Tribunal administratif du logement | (gouv.qc.ca)
8
Le Devoir, « Contester sa hausse de loyer ou non », 4 février 2023. Contester sa hausse de loyer ou non | Le Devoir
9
Op. cit. , note 2.
10
Op. cit. , note 8.
11
Le Journal de Montréal, « On me fait vivre de la torture » : des propriétaires harcèlent leurs locataires pour qu’ils quittent leur logement », 1er mars 2023. «On me fait vivre de la torture»: des propriétaires harcèlent leurs locataires pour qu’ils quittent leur logement | JDM (journaldemontreal.com)
12
Le Journal de Montréal, « J’ai perdu 10 livres à cause du stress » : des locataires craignent être victimes de ‘’rénoviction’’ », 6 février 2023. «J’ai perdu 10 livres à cause du stress»: des locataires craignent être victimes de «rénoviction» | JDM (journaldemontreal.com)
13
la Tribune, « Les locataire doivent connaitre leurs droits, estime Labrie », 3 février 2023. Les locataires doivent connaitre leurs droits, estime Labrie (latribune.ca)
14
Op. cit., note 12.
15
Op. cit., note 11.
16
Journal des voisins, « Le harcèlement des locataires s’intensifie : témoignages »,14 juin 2021. Le harcèlement des locataires s’intensifie : témoignages – Journaldesvoisins.com
17
98,5 FM, « Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers », 18 janvier 2023, Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca)
18
Le directeur des affaires publiques et relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante, propos recueillis dans « Puisqu’il faut se lever », 98,5 FM, 18 janvier 2023. Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca)
19
Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), Martin Blanchard, propos recueillis dans « Puisqu’il faut se lever », 98,5 FM, 18 janvier 2023. Au Québec | L’inflation provoque une hausse importante des loyers — 98.5 Montréal (985fm.ca)