Du Plateau-Mont-Royal à Rivières-des-Prairies, des petits médias fournissent une information locale rare aux résident·es des quartiers montréalais. Malgré les difficultés financières, ces médias locaux assurent un journalisme de proximité indispensable à la vie démocratique.
Résidente du Mile End, la journaliste Gaëlle Engelberts s’est rapidement rendue compte que l’information sur le quartier était difficilement accessible. « Ce n’est pas qu’elle n’existait pas, c’est plus qu’elle était éparpillée », raconte-t-elle. Pour savoir ce qu’il se passe dans le quartier, les résident·es devaient jongler entre les sites de l’arrondissement, de la ville, des organismes communautaires, ainsi que les réseaux sociaux et les grands médias.
Lorsque son congé maternité est arrivé, la journaliste s’est alors mise à collecter l’information qui concernait le Mile End, en allant la chercher sur ces différents médiums. Elle rassemble le tout dans une infolettre, un « format efficace, qui vient directement à nous », estime-t-elle. C’est ainsi qu’a débuté Mon Plateau, à l’origine une infolettre hebdomadaire, et aujourd’hui un média hyperlocal en ligne, composé d’une éditrice et d’un journaliste.
« Le focus médiatique est parfois concentré sur le centre-ville ou sur certains arrondissements où il y a plus d’effervescence », regrette Justine Aubry, rédactrice en cheffe de l’EST MÉDIA Montréal. C’est pour répondre à ce désert médiatique que le journaliste André Bérubé crée en 2018 un média en ligne destiné à couvrir les arrondissements de l’est de Montréal, qui emploie aujourd’hui six personnes.
Au-delà de ces deux médias, on retrouve d’autres titres locaux comme Nouvelles d’ici, qui couvre les arrondissements du sud, ou le Journal des Voisins, qui officie à Ahunstic-Cartierville
Ces médias locaux sont souvent les seuls à couvrir leur territoire, fournissant une information rare sur leurs quartiers et leurs arrondissements. L’EST MÉDIA Montréal est l’unique média local grand public à couvrir ce secteur, pourtant immense. Du côté du Plateau, Gaëlle Engelberts estime que sans Mon Plateau, la couverture locale du quartier serait inexistante.
« C’est important de parler des États-Unis etc., mais qu’est-ce qui se passe ici maintenant ? Il y a des enjeux très importants dans les municipalités, et il faut en parler aussi », plaide Justine Aubry.
Un traitement long
Ce n’est en effet pas les enjeux locaux qui manquent. L’est de Montréal est un territoire en plein développement, traversé par des enjeux immobiliers, industriels, d’emploi et de mobilité, que l’EST MÉDIA Montréal couvre à travers des nouvelles et des reportages.
« On est plus dans le style magazine que dans l’actualité day-to-day », explique la rédactrice en cheffe. Être un média local n’empêche pas de fournir des textes étoffés, au contraire : « Pour certains sujets locaux, les gros journaux vont parfois faire une couverture plus large, tandis que nous, on va vraiment en profondeur dans les enjeux qui concernent nos territoire, […] par exemple en faisant le suivi d’un même projet au fil des ans. »
Le journalisme local est un journalisme de terrain, avance Justine Aubry : « Je ne sais pas si les gros médias ont la chance d’avoir cette proximité avec les personnes du terrain ; nous ça nous permet d’être au devant de la scène. »
L’EST MÉDIA Montréal met ainsi en lumière des acteur·ices et des réalités différent·es des médias mainstream. « On va aller chercher des gens qui ont pas nécessairement le micro », raconte la rédactrice en cheffe. Dans le cas d’un article sur la crise du logement, le média va par exemple s’entretenir avec le comité logement de Rivières-des-Prairies plutôt qu’un regroupement d’organismes plus central.
Une couverture hyperlocale
Le média Mon Plateau traite quant à lui d’une échelle encore plus réduite, celle de l’hyperlocal. Gaëlle Engelberts estime qu’au-delà de l’arrondissement, il est essentiel d’avoir une couverture médiatique par quartier. « La réalité de la personne qui habite dans le Mile End est différente de celle qui habitesur Papineau ou de celle qui habite à Milton Parc. » Son média propose ainsi des infolettres différentes pour chacun des trois secteurs identifiés sur le Plateau.
En plus de l’infolettre, Mon Plateau publie des articles de nouvelles, « au départ très pratico-pratiques », selon l’éditrice, avec des informations sur les chantiers en cours, les services offerts ou les fermetures de commerce. Puis, la couverture s’est élargie à la vie démocratique, avec la couverture des conseils d’arrondissements ou la mise en avant des organismes communautaires.
Comme son confrère de l’est, Mon Plateau tire son information « à 100% » du terrain. En recrutant un journaliste, Gaëlle Engelberts avait d’ailleurs comme critère qu’il habite l’arrondissement. « C’est vraiment un emploi qui lié à la communauté », soutient l’éditrice, et l’équipe du média gagne à en faire partie.
Un journalisme d’impact
Depuis son congé maternité où elle a commencé l’infolettre, Gaëlle Engelberts s’est lancée à temps plein dans le développement de Mon Plateau. Elle dit avoir « l’impression de faire une plus grande différence dans la vie des gens » que lorsqu’elle travaillait pour de grands médias nationaux, en raison de la proximité avec son public. C’est également une fierté pour elle « d’avoir pu contribuer comme résidente du Plateau à ramener un média local dans l’arrondissement », dit-elle.
Quant à Justine Aubry, c’est le traitement long de la couverture locale qui lui a particulièrement plu en tant que journaliste. « On va prendre le temps de vraiment trouver la réponse à nos questions, de soulever l’enjeu, de trouver un angle, d’appeler les gens », apprécie-t-elle. Le tout entourée d’une « petite équipe passionnée ».
Une constante fragilité financière
Bien qu’essentiels, les médias locaux demeurent fragiles en raison d’un contexte économique difficile pour les médias – d’autant plus pour les plus petits d’entre eux. Gaëlle Engelberts évoque à ce titre la fermeture du journal Métro en 2023 pour des raisons financières, « ce qui restait de la presse locale » sur le Plateau selon elle.
« C’est sûr que ce n’est pas facile au niveau financier pour les médias », admet Justine Aubry, « il faut être très créatif pour trouver des moyens d’être rentable ». Les responsables des médias locaux travaillent alors à chercher des subventions, des partenaires publicitaires, des abonnements et des dons, afin de diversifier leurs sources de revenu et de limiter les risques.
Malgré cela, les personnes à la tête de ces médias disent rester optimistes et redoubler d’efforts. « Tout ça pour continuer notre mission », rappelle Justine Aubry, celle de « fournir un journalisme local de qualité ».
Marc Bourcier dans son bureau, après la première réunion de la matinée.
À travers sa série Portraits d’élu·es, L’Esprit Libre suit des élu·es municipaux·les le temps d’une journée, pour retracer leur parcours et raconter leur quotidien. Pour cet article, nous nous sommes rendus à Saint-Jérôme, pour rencontrer le maire Marc Bourcier, né ici et élu en 2021.
En arrivant dans son bureau en ce lundi matin, le maire de Saint-Jérôme Marc Bourcier affiche un grand sourire, comme si l’hôtel de ville lui avait manqué pendant la fin de semaine. Casquette des Canadiens de Montréal vissée sur la tête, il s’empresse d’enfiler son veston rose de travail qui l’attendait dans un placard.
Au fond de sa pièce de travail trône les drapeaux du Québec et de St Jérôme, au milieu desquels est encadrée la photo d’équipe de la saison 1955-56 des Habs. Outre les nombreuses références à sa grande passion pour le hockey, on repère un imposant dictionnaire placé au milieu de son bureau, une figurine du cow-boy de Toy’s Story, et des cartes de Star Trek.
Son adjointe administrative Annie Larouche passe alors une tête à travers la porte et l’enjoint à se diriger dans la salle de réunion adjacente pour planifier les événements à venir. Elle nous apprend alors que cette journée est typique d’un lundi. Après l’agenda et les correspondances matinales s’en suivront une entrevue pour un média local, un dîner avec un élu, une réunion avec le service des communications, et une rencontre avec les conseillers municipaux.
Une vie dédiée à Saint-Jérôme
Si M. Bourcier a attendu ses 56 ans pour se lancer en politique, Saint-Jérôme n’a rien de nouveau pour lui, comme il nous l’explique après la réunion matinale. Né ici, il y a également vécu toute ses vies. Il a tout d’abord consacré 35 ans de carrière d’enseignant aux élèves de sixième année de l’école Notre Dame de Saint-Jérôme. Il prend sa retraite prématurément en 2013, pour vivre d’autres choses, dit-il. Il se présente alors comme conseiller municipal, et est élu avec la troisième plus grande majorité pour un conseiller cette année-là. Il s’implique en politique pour « être sur le terrain et changer les choses », notamment en améliorant la vie des enfants de son ancienne école, qui résident dans un quartier défavorisé.
Le nouvel arrivé en politique fait ensuite un passage par le provincial. En 2016, le député péquiste de la ville Pierre Karl Péladeau démissionne, et M. Bourcier est élu pour le remplacer. Cette expérience de deux ans entre Québec et Saint-Jérôme est très formatrice, et lui permet d’acquérir une vision politique plus globale et des contacts qui seront utiles par la suite en tant que maire, juge-t-il.
C’est la force des choses qui le fait revenir au municipal, lorsque le maire de l’époque Stéphane Maher est reconnu coupable de fraude électorale, et est destitué de ses fonctions en 2021. « Je l’ai vécu assez tough […]. Les gens de Saint-Jérôme avaient honte, moi aussi », raconte M. Bourcier. L’ancien enseignant a alors senti le besoin de s’impliquer de nouveau aux affaires municipales pour « essayer de réparer la ville », après un épisode qui a ébranlé la confiance des citoyens et la réputation de Saint-Jérôme. Il se présente alors aux élections de 2021, et obtient 42,58% des voix. Son parti, Avenir St-Jérôme, remporte 10 sièges sur 12 au conseil municipal.
Le maire donne une entrevue à un journal local.
Rendre la ville agréable à vivre
Ses trois ans et demi de mandat ont eu pour objectif de rendre les résident·es heureux·ses et fier·ères d’habiter à Saint-Jérôme. Cela après que l’affaire Maher ait créé un « climat de défiance », mais aussi que la réputation de la ville n’ait jamais été très bonne, confère le maire depuis son bureau. Encore aujourd’hui, la ville est parfois attaquée dans les médias ou sur les forums pour son centre-ville insécuritaire ou son manque d’intérêt.
M. Bourcier se lève alors et sort sur la terrasse du troisième étage, qui surplombe la place de la Gare et la cathédrale Saint-Jérôme. L’attrait de la ville, dit-il, repose notamment par la programmation culturelle et la mise en valeur du patrimoine. Il pointe alors du doigt l’ancienne gare et l’amphithéâtre Rolland où prennent place de nombreux événements culturels. « On a une programmation estivale gratuite, il y a parfois 10 000 personnes qui viennent. Il y a aussi des activités pratiquement tous les jours dans les quartiers », relate-t-il fièrement. St Jérôme est la capitale régionale des Laurentides, comme le rappelle le maire, et « se doit de l’assumer » en attirant des visiteur·ses et ses propres résident·es.
Le maire désigne ensuite le kilomètre zéro du réseau cyclable du P’tit train du Nord, qui trouve son départ au pied de l’hôtel de ville. C’est un endroit qu’il affectionne particulièrement, et qu’il a mis en valeur à travers plusieurs projets depuis le début de son mandat. Ce parc linéaire contribue, avec les 125 autres parcs de la ville et la rivière qui la traverse, à faire de Saint-Jérôme la ville la plus verte au Canada depuis deux ans. « Il fait bon vivre à St Jérôme. Une partie des habitant·es disent que c’est la ville avec les attraits de la campagne, et une autre partie disent que c’est l’inverse », s’amuse-t-il.
De retour dans son bureau, M. Bourcier attire notre attention sur la photo d’une patinoire, peut-être l’accomplissement dont il semble le plus fier. Il s’agit de la patinoire tricolore des Canadiens, située dans le quartier de son ancienne école, pour laquelle il a milité pendant plus de 14 ans, raconte-t-il : « Pendant des années, j’écrivais à la Fondation des Canadiens pour qu’ils viennent [installer une patinoire] et que nos jeunes défavorisés puissent bouger. » Aujourd’hui, la patinoire accueille 18 000 visiteurs par an selon les données de M. Bourcier, et attire des amateur·rices venu·es de toutes les Laurentides.
Le sport est l’un des vecteurs sur lesquels s’appuie M. Bourcier pour développer l’attractivité de la ville, et en faire une « cité des sports ». Son administration a également conclu une entente avec l’équipe de football des Alouettes de Montréal pour qu’elle installe son camp d’entraînement à Saint-Jérôme pendant trois ans, qui s’accompagne d’une programmation sportive et festive destinée aux citoyens.
Faire le bilan
À quelques mois de la fin de son mandat, M. Bourcier estime avoir « remis la maison en ordre ». Des défis persistent toujours, liés notamment à la densification de la ville, aux enjeux d’itinérance et aux attraits du centre-ville.
Le maire quittera toutefois ses fonctions à la fin de son mandat, comme il l’avait prévu. Autant par principe que pour prendre du temps pour lui et sa famille, explique-t-il. « J’ai un livre sur le sport à écrire, puis je veux faire de la musique », ajoute-t-il. Un retour à des occupations plus « normales », après dix ans d’engagement politique pour Saint-Jérôme, dont quatre ans en tant que maire de la ville.
M. Sabourin lors de la Commission du développement du territoire et de l’habitation, dont il est le président – Charline Caro
À travers sa série Portraits d’élu·es, L’Esprit Libre suit des élu·es municipaux·les le temps d’une journée, pour retracer leur parcours et raconter leur quotidien. Pour cet épisode, nous nous sommes rendus à Gatineau, pour rencontrer le conseiller municipal Louis Sabourin, qui a choisi de ne briguer qu’un seul mandat.
À 9 h du matin, l’Hôtel de ville de Gatineau est encore calme, malgré le passage de quelques fonctionnaires. Situé à la frontière du Québec et de l’Ontario, l’édifice surplombe la rivière des Outaouais, de l’autre côté de laquelle se trouve la colline parlementaire d’Ottawa. Loin de l’agitation fédérale, nous restons sur la rive québécoise, pour passer une journée avec un conseiller municipal de la Ville de Gatineau.
C’est au quatrième étage que nous avons rendez-vous avec le conseiller Louis Sabourin, élu lors des dernières élections municipales de 2021 pour le parti d’Action Gatineau. M. Sabourin a accepté ce reportage après notre appel à volontaires aux conseiller·ères du Québec, dans le but de montrer les aspects positifs de la fonction d’élu municipal et de « donner envie aux gens de se lancer ».
Les bureaux des conseillers se succèdent le long d’un couloir, jusqu’à celui de M. Sabourin. Pas de chance pour notre hôte du jour, le tirage au sort l’a fait hérité d’un local sans fenêtre. L’élu s’affaire derrière son ordinateur, en compagnie de son agent de recherche et assistant Gautier Chardin. Derrière lui se trouve une carte du district de Limbour, à Gatineau, qu’il habite depuis vingt ans et dont il est le conseiller municipal depuis trois ans.
M. Sabourin dans son bureau, avec une carte de son district de Limbour en arrière – Charline Caro
M. Sabourin n’avait jamais fait de politique auparavant. Lorsque nous lui demandons des précisions sur sa carrière professionnelle, son assistant et lui échappent un rire. L’élu déballe alors son curriculum vitae : « J’ai été infirmier quand même assez longtemps, puis enseignant au primaire moins longtemps. J’ai aussi été courtier immobilier, puis inspecteur en bâtiment. J’ai eu plusieurs entreprises dans des domaines différents, et me suis impliqué dans le communautaire. » Le conseiller explique alors aimer changer de travail régulièrement, « tous les quatre ans en moyenne », afin de vivre de nouvelles expériences.
Il reconnaît toutefois un fil conducteur à cette carrière très diversifiée : « C’est le service à la personne, le fait de voir du monde et d’aider les gens », croit-il. La politique municipale lui apparaît ainsi comme une « suite logique ». En 2021, il se présente alors aux élections municipales, avec comme motivation principale d’apprendre de cette nouvelle expérience, et est élu.
L’expérience du terrain
À 10 h, le conseiller et son assistant M. Chardin quittent l’Hôtel de ville pour se rendre au premier rendez-vous de la journée. Dans la voiture qui nous y mène, M. Sabourin dit être « content de [s’être] lancé en politique maintenant, et pas avant ». Les expériences professionnelles qu’il a multipliées jusqu’ici lui sont très utiles dans son quotidien d’élu, juge-t-il. Sa fonction le place notamment en relation directe avec les citoyen·nes, qui lui adressent de nombreuses requêtes. Alors que tous ces « gens fâchés » peuvent parfois éreinter certain·es élu·es, lui estime avoir l’habitude de gérer et de comprendre les plaintes : « Quand j’étais infirmier, les gens attendaient huit heures dans une salle d’urgence avant de voir un médecin, on peut se dire qu’ils étaient très fâchés. »
Sa matinée est d’ailleurs dédiée aux requêtes qui lui ont été adressées par les citoyen·nes de son district. Après dix minutes de voiture, nous arrivons au centre de services de Gatineau, où M. Sabourin doit rencontrer le directeur territorial, en charge des services municipaux. Une réunion hebdomadaire dans laquelle le conseiller municipal fait remonter les plaintes des citoyens concernant les services de la ville : un déneigement mal effectué sur un trottoir, un nid de poule à reboucher, ou des bus trop nombreux sur une rue. Dans une ambiance conviviale, MM. Sabourin et Chardin reprennent un à un les signalements qui leur ont été faits, et envisagent des solutions avec le directeur territorial et son assistante.
MM. Sabourin et Chardin au centre de services de Gatineau, où ils rencontrent le directeur territorial et son assistante pour traiter les requêtes des citoyens.
Le choix d’un seul mandat
Après une heure de réunion, l’élu et son assistant se rendent dans un café avoisinant le centre de services de Gatineau. Ils s’installent au fond de la salle, latte et sandwich à la main. En guise de compte-rendu de la réunion, M. Sabourin raconte que son travail est assez routinier : « en hiver, c’est le déneigement, au printemps les nids de poule, et en été le gazon ». Un mandat de quatre ans revient selon lui à faire « quatre fois le même tour du jardin », et c’est suffisant. Son assistant sourit, connaissant l’aversion de son conseiller pour la routine.
Son expérience politique n’échappera pas à la règle : elle durera quelques années seulement, comme ses précédentes expériences professionnelles. Le conseiller confie entre deux bouchées qu’il sait « depuis le début » qu’il ne sollicitera pas de deuxième mandat. Un fait rare pour un élu, alors que la quasi-totalité de ses collègues se représentent aux élections municipales de novembre, dont certains pour la troisième ou la quatrième fois.
Après avoir salué le directeur général d’Action Gatineau qui entrait dans le café, M. Sabourin explique qu’au-delà d’être un choix personnel, le mandat unique a des avantages sur le plan politique. « Les décisions que je prends ne sont jamais électoralistes, car les prochaines élections n’ont aucun poids dans la balance », expose-t-il, soutenant que son seul intérêt est le bien commun. En raison de sa courte expérience en politique, il se considère plus comme un citoyen politicien que l’inverse, et davantage connecté aux réalités du terrain. Il n’est toutefois pas le seul politicien à défendre de nobles motivations.
Sachant qu’il n’avait que quatre ans devant lui, M. Sabourin estime également avoir maximisé son implication, en multipliant les dossiers et les commissions dont il a la charge. « Je pense qu’un élu qui sait qu’il n’a qu’un mandat mettra beaucoup plus d’énergie que celui qui en fait deux ou trois », expose-t-il, tout en précisant qu’il respecte les choix de chacun·e. Adepte de sport d’endurance, l’élu tente une comparaison avec la course à pied : « Si je fais 4km, je vais courir vite, mais si j’en fais huit ou douze, je vais y aller plus mollo ».
Il est midi, et c’est le moment de rentrer à l’Hôtel de ville. Dans la voiture, le conseiller et son assistant échangent sur la course à pied, sans métaphore politique cette fois-ci. M. Chardin nous apprend que son élu prépare le marathon de l’île Perrot en mai. Si M. Sabourin veut faire seulement 4 km en politique, il en courra 42 au mois prochain.
À 11h, M. Sabourin et son assistant se retrouvent dans un café avant de retourner à l’Hôtel de Ville.
Apprendre de la politique
Dans l’après-midi, M. Sabourin préside la Commission du développement du territoire et de l’habitation, dont la séance du jour porte sur la mise en œuvre de logements abordables. Le conseiller se rend à la salle Mont-bleu, au premier étage de l’Hôtel de ville, dans laquelle une dizaine de conseiller·ères sont installé·es autour d’une table en U. Les autres membres de la commission, issus du monde politique et des affaires, des secteurs communautaires ou des citoyen·ne·s, ont rejoint la réunion par un appel en visioconférence projeté sur un grand écran.
M. Sabourin avait déjà eu affaire à ces enjeux lorsqu’il était courtier immobilier ou inspecteur en bâtiment. Mais y faire face depuis le côté politique est une toute autre chose, témoigne-t-il. « Cela m’amène à avoir une vision beaucoup plus large du développement d’une ville, et plus globalement de ma façon de voir le monde », relate-t-il. En tant que conseiller municipal et président de commission, M. Sabourin doit prendre en compte une variété de points de vue, à l’image des différent·es représentant·es d’entreprises ou d’OBNL qui s’expriment au cours de la commission.
En tant que citoyen, l’élu estime que c’est une grande chance de « voir l’autre côté de la médaille », et de comprendre les rouages de la prise de décision publique. S’il s’est lancé en politique, c’était d’ailleurs avant tout pour apprendre, comme il en faisait part dans la matinée : « C’est comme un quatre ans d’université […] durant lequel j’ai énormément appris ». À la fin de son mandat en novembre prochain, M. Sabourin redeviendra un citoyen, « mais un citoyen mieux outillé ».
Mais alors, qu’a-t-il compris de la politique ? Après quelques secondes de réflexion, l’élu affirme que « la politique est tout autour de nous ». Il n’est même pas indispensable d’être élu·e pour en faire, car comme l’affirme M. Sabourin avant de finir sa journée, « si tous les chemins mènent à Rome, tous les sujets mènent à la politique ».
C’est un mardi soir pluvieux, et la rue Jean-Talon Ouest est quasi déserte, si ce n’est quelques voitures et des passant·es pressé·es de rentrer chez eux. Après une succession de commerces fermés et de bars vides, une vitrine illuminée attire le regard. Derrière les grandes fenêtres d’une brasserie, une foule animée, majoritairement féminine, s’affaire autour des tables.
En poussant la porte, un joyeux brouhaha nous enveloppe. Les tintements des verres se mêlent aux éclats de voix, recouverts par la chanson Flowers de Miley Cyrus. La salle est presque pleine, et les dernier·ères arrivé·es patientent pour être placé·es. Des groupes d’ami·es, des couples et des personnes seules occupent les tables et le comptoir, jetant un œil à l’un des cinq écrans de télévision accrochés au mur. Certain·es arborent un chandail de hockey rouge.
Pourtant, ici, ce n’est pas un bar sportif comme les autres. Le Nadia est un espace entièrement dédié à la diffusion du sport féminin. Créé il y a un an par Catherine D. Lapointe et Caroline Côté, le projet, encore nomade, investit différents bars montréalais pour organiser des soirées de diffusion de hockey, de soccer ou encore de basketball féminin. Leur objectif : rendre visible des sports encore « trop souvent marginalisés, sous-financés et invisibles », comme le présentent les fondatrices.
Ce soir, c’est à la Brasserie Harricana que le Nadia prend place pour un match de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) : la Victoire de Montréal affronte les Sceptres de Toronto, respectivement premières et deuxièmes du classement.
Il est 19 h passées quand les écrans s’animent, dévoilant l’entrée des joueuses sur la glace. Assise entre ses parents, une petite fille pointe l’écran du doigt, les yeux pétillants d’excitation. Le coup de sifflet retentit, et la musique s’interrompt pour laisser place aux commentaires. Le public porte alors son attention sur le match, tout en continuant à jaser.
Le sport féminin peu accessible au public
Aujourd’hui, « aucun espace à Montréal ne garantit un accès constant au sport féminin », déplorent les fondatrices du Nadia. Alors que les matchs des Canadiens, l’équipe masculine, sont retransmis « à chaque pâté de maison », il est bien plus ardu de suivre la Victoire de Montréal, regrette Catherine D. Lapointe. Et pourtant, la demande est là. « Il y a un imaginaire collectif qui ne prend pas en compte le sport féminin, mais sur le terrain, le public est bien présent », relate Caroline Côté, qui rappelle en toute logique que « si l’offre n’est pas disponible, on ne peut pas la consommer ».
Attablée au comptoir, Valérie, une trentenaire au hoodie rouge, attend le début du match un verre à la main. Elle confie ne pas pouvoir suivre la LPHF depuis chez elle, n’ayant pas de télé. Le Nadia lui permet ainsi de suivre le match de ce soir dans une ambiance conviviale, alors qu’aucun bar ne le diffusait à sa connaissance.
Un espace inclusif
Le Nadia ne vise pas seulement à accroître le sport féminin, mais également le public féminin, encore minoritaire dans les espaces de diffusion. Les bars sportifs traditionnels sont souvent des lieux de rassemblements masculins, dans lesquels la présence de femmes est parfois remise en question. Habituées de ces endroits, Catherine D. Lapointe a « toujours été la fille qu’on cruise parce qu’elle est dans un bar », tandis que Caroline Côté s’est souvent fait dire que ses connaissances sportives étaient insuffisantes.
Au-delà d’être un « simple » bar sportif, le Nadia se veut un « espace inclusif et sécuritaire » où tous·tes les amateur·ices de sport pourraient se réunir « sans complexe », comme le décrivent les fondatrices. L’ambiance est « fullrelax et inclusive », témoigne Valérie, qui ne se reconnaît pas dans l’atmosphère des bars sportifs traditionnels : « Ce n’est pas tant ma vibe. »
Que ce soit sur le plan du genre, de l’âge, ou du niveau de d’expertise, le public du Nadia est « vraiment diversifié », affirment fièrement ses entrepreneuses. Cette mixité contribue à une atmosphère plus détendue et bienveillante. Lorsque des problèmes techniques interrompent la diffusion, Catherine D. Lapointe était étonnée que le public reste calme. Et lorsque l’équipe locale perd, les clients quittent dans la bonne humeur.
Ce soir-là, la Victoire de Montréal semble toutefois bien partie pour l’emporter. Après avoir concédé un premier but, l’équipe montréalaise égalise avant de prendre l’avantage grâce à un tir en pleine lucarne de Marie-Philip Poulin. La salle du Nadia exulte, applaudissant et s’exclamant entre deux bouchées de burger.
Inspirer les spectacteur·ices
Assister à de tels moments de joie et de communion dans leur bar ne laisse pas Catherine D. Lapointe et Caroline Côté insensibles. « On pleure beaucoup », avouent-elles en riant. « Le Nadia, c’est un projet qui porte une mission, celle de faire rayonner les femmes à travers le sport », explique l’une d’entre elles. Constater que cela fonctionne semble toucher profondément les fondatrices du projet.
Les répercussions sur le public semblent d’autant plus grandes lorsque celui est jeune. Toujours aux côtés de ses parents, la petite fille a les yeux rivés sur le match. Son père Jean-François nous explique partager la passion pour le hockey avec sa fille de cinq ans, qui « pense d’ailleurs que le hockey est seulement un sport de femmes ». Son jeune âge l’empêchant de se rendre à l’aréna trop souvent, le Nadia s’est avéré être une belle opportunité pour suivre leur équipe préférée.
Caroline Côté dit « ne pas avoir de mots » face à de tels récits. « À partir de maintenant, [cette petite fille] a le droit de devenir une Marie-Philip Poulin », se réjouit-elle, les yeux humides. Regrettant le manque de représentation dans son enfance, la co-fondatrice se réjouit de l’impact que peut avoir le Nadia sur les jeunes générations.
Quand le bar définitif ouvrira, dès que possible l’espèrent les fondatrices, Jean-François et sa fille s’y rendront « tous les jours ». En attendant, la soirée au Nadia continue, et le troisième but de la Victoire ne tardera pas à faire chavirer la salle une dernière fois.
CRÉDIT PHOTO: Des spectatrices devant le match Montréal VS Toronto dans le bar du Nadia – Charline Caro
« Ouais on n’a pas cours ! » C’est le cri de joie poussé par un élève de 3e secondaire en arrivant dans sa salle de classe en ce mercredi matin. Ses camarades viennent de lui apprendre que le cours d’anglais est remplacé par un atelier « sur les écrans ».
Le Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (CIEL) est un jeune organisme qui cherche à ouvrir la conversation autour des enjeux numériques. À travers des ateliers d’une heure, les intervenant·es du CIEL s’immiscent dans les écoles de Montréal et du Québec pour parler d’écrans avec des jeunes de 9 à 17 ans.
Aujourd’hui, c’est Emmanuelle Parent, doctorante en communication et directrice générale du CIEL, qui est chargée d’animer l’atelier dans cette école de l’Est de Montréal. En arrivant dans la classe, l’intervenante du jour se présente, devant les visages intrigués des élèves, et le regard encadrant de l’enseignante. Après quelques mots d’introduction, elle demande : « Qui pense avoir un problème avec les écrans ? » À la réponse « oui », personne ne se manifeste. Même chose pour le « non ». Puis, lorsque l’intervenante propose l’option « quelque part entre les deux », la majorité lève sa main.
Mais qu’est-ce qu’avoir un problème avec les écrans ? Pour une élève installée au deuxième rang, c’est « quand ton cell est ta seule activité ». Une de ses camarades corrobore timidement : « C’est quand tu fais que scroller. »
L’intervenante demande alors à qui il est déjà arrivé de scroller trop longtemps, en levant elle-même la main. D’abord hésitant·es, tous·tes les élèves ou presque finissent par se manifester.
Un « problème de jeunes »
Emmanuelle Parent a co-fondé le CIEL pour créer un espace de dialogue autour des écrans où les jeunes ne se sentiraient pas jugé·es, nous explique-t-elle en entrevue. Même si les choses s’améliorent progressivement, le discours dominant tend selon elle à culpabiliser les adolescent·es sur leur consommation d’écran. Les ateliers du CIEL sont ainsi une opportunité pour les 9-17 ans de s’exprimer sur ces enjeux qui les concernent, alors qu’« on parle beaucoup des jeunes, mais pas avec les jeunes », dénonce l’intervenante.
Consciente que les élèves savent les stéréotypes dont ils et elles font l’objet, Emmanuelle Parent leur demande : « Est-ce que c’est juste un problème de jeunes ? » Cette fois-ci, pas de temps d’hésitation avant que de nombreux « non ! » s’élèvent dans toute la classe. Un élève appuie : « Ben là, eux aussi ils sont addicts ! », une autre renchérit : « Ils utilisent l’excuse du travail pour être sur leur cell ! »
Comprendre le temps d’écran
C’est l’heure du premier exercice de la séance. Après quinze minutes de discussion, l’intervenante demande aux jeunes de sortir leur cell et de regarder leur moyenne quotidienne de temps d’écran. Une excitation s’empare alors des élèves, pressé·es de dégainer exceptionnellement leur téléphone, et de découvrir leur statistique personnelle.
Chacun·e donne alors son temps à ses ami·es. Un élève déclare 1 h 45. « Oh ça va toi t’es bien ! », déclare son voisin. Une autre affiche 9 h 18. Ses amies rigolent : « En même temps tu te couches à 2h du mat’ ! »
L’intervenante passe dans les rangs, observe les réactions, et discute avec les jeunes dans un joyeux brouhaha. Elle ne réagit toutefois pas aux temps d’écran des élèves, qu’ils passent 1 h 45 ou 9 h 18 par jour sur leur téléphone. Interrogée sur cette approche, elle explique qu’une heure d’atelier n’est pas suffisante pour dire à un jeune que son temps d’écran est trop élevé. « On ne connaît pas leur vie à la maison », appuie-t-elle, « peut-être que leurs parents travaillent le soir, peut-être qu’ils n’ont pas l’argent pour s’inscrire à une équipe sportive, peut-être qu’ils vivent du stress. » Le téléphone est parfois un moyen d’échapper à des problèmes personnels.
Le CIEL veut rompre avec le discours soutenant que « les jeunes sont tout le temps sur leur cell », qui revient davantage à culpabiliser qu’à outiller, selon Emmanuelle Parent. « Imagine; tu as vécu toute ta vie de même, et il y a une madame qui vient te dire que ce n’est pas correct. Je ne vois vraiment pas comment ça peut aider », défend-elle. Pour amener les élèves à adopter de saines habitudes de vie, l’intervenante va plutôt les inviter à se poser les bonnes questions.
Une fois le calme revenu dans la classe, l’animatrice retourne au tableau et demande aux élèves ce qu’ils considèrent comme un temps d’écran idéal. « Trois heures », s’exclament quelques jeunes, tandis que d’autres disent plutôt quatre, cinq heures. En guise de réponse, l’intervenante note au tableau le nombre d’heures disponibles dans une journée, puis le temps occupé par une bonne nuit de sommeil, les cours d’école, et les activités essentielles. À la fin, il reste cinq ou six heures de libres. Rapporté à leur temps d’écran, les élèves en viennent eux-mêmes à la conclusion que leur cellulaire prend potentiellement trop de place dans leur journée.
Le temps d’écran demeure toutefois un indicateur incomplet, car il ne reflète pas la qualité de l’utilisation, nuance Emmanuelle Parent. Il faut aussi se demander comment est utilisé le cellulaire, quel contenu est consommé, et dans quel contexte. Les intervenant·es du CIEL encouragent ainsi les élèves à regarder les applications sur lesquelles ils passent le plus de temps. Lorsque c’est Spotify, pour écouter de la musique, ou Snapchat, pour parler avec des amis, les jeunes l’acceptent bien. Mais lorsque le temps d’écran se concentre sur Tik Tok ou d’autres applications de courtes vidéos, les réactions sont plus négatives, rapporte l’intervenante.
Reprendre le contrôle sur son attention
Les jeunes sont ainsi parfois frustré·es de dépasser leurs limites personnelles, et de passer « une heure au lieu d’une demi-heure sur Tik Tok », relate la directrice du CIEL. Pour leur donner les moyens d’agir, l’animatrice s’attache à expliquer aux jeunes les stratégies employées par les plateformes numériques pour retenir leur attention. Certaines étaient déjà connues des élèves du jour, comme le swipe sans fin sur Instagram, ou la lecture automatique sur Netflix.
Pour compléter le cours de marketing, l’animatrice interroge la classe sur la viabilité économique de ces applications, alors qu’elles sont souvent gratuites. Les élèves ne semblent pas trouver la recette miracle, sauf une, qui lance : « Si c’est gratuit, c’est que c’est toi la marchandise ». Emmanuelle Parent acquiesce, avant de leur expliquer la logique publicitaire de ces entreprises, qui ont intérêt à nous garder le plus longtemps possible en ligne.
« Comprendre comment fonctionnent les médias sociaux est un facteur de protection », analyse après coup l’intervenante. Même si cette partie de l’atelier n’est pas la plus populaire, car plus théorique, elle permet d’outiller les jeunes pour réguler leur consommation d’écran.
Faire le lien avec les adultes
Après une heure de discussions et d’exercices, Emmanuelle Parent demande aux élèves s’ils ont un message à faire passer aux adultes. Les interventions se bousculent : « C’est normal de faire des écrans », « il y a aussi des bienfaits », « on suit l’exemple des adultes », « la plupart du temps c’est pour communiquer avec nos amis ». L’animatrice commence à bien connaître ces revendications, qui reviennent souvent dans les ateliers. En dehors des écoles, la directrice du CIEL se donne pour mission de porter la parole des jeunes dans le monde des adultes. Elle transmettra ainsi les messages de ces 3e secondaire à des journalistes, des politiques et des expert·es, sûrement étonné·es d’apprendre que les jeunes aussi sont critiques des écrans, si l’on en croit son expérience.
Alors que la sonnerie s’apprête à retentir, l’animatrice sollicite l’avis des jeunes sur l’atelier. Tout en rangeant leurs affaires, des jeunes lancent que c’était « fun », « très bien », avant d’applaudir à l’unanimité. Après qu’elles et ils ont quitté la classe, l’enseignante nous confie que « quand c’est plate, les jeunes le disent, ils ne sont pas gênés ». L’intervenante peut alors estimer que l’atelier du jour est réussi.
CRÉDIT PHOTO: image d’illustration fournie par le CIEL – Aline Dubois
Alors qu’en France, le gouvernement envisage de légaliser le casino en ligne, les professionnel·les en dépendance s’interrogent sur la portée préventive d’une telle mesure. Au Québec, ces jeux sont légaux et encadrés par l’État depuis 2010. Une occasion de voir ce qui a fonctionné, ou non.
Au début, c’était le poker. Puis les machines à sous. Mais c’est avec les jeux de casino en ligne que Jonathan*, résidant en Abitibi-Témiscamingue, a développé une addiction au jeu : « C’est vraiment là que je me suis fait le plus de mal », raconte-t-il. La différence, c’est que le casino en ligne était accessible 24h/24 sur son cellulaire. « Je n’avais pas besoin d’aller nulle part, je restais chez nous. » Il se met alors à jouer dans la cuisine, aux toilettes, et en présence de sa famille.
« Les jeux de casino sont ceux qui génèrent le plus de problèmes pour les joueurs », rapporte Sylvia Kairouz, professeure au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia. Lorsqu’ils sont en ligne, ces jeux sont d’autant plus addictifs qu’ils sont disponibles en tout temps et dénués de contrôle social. « Les joueurs se promènent avec le casino dans leur poche », illustre Mme Kairouz.
Face au risque élevé de dépendance au casino en ligne, les États choisissent de l’interdire ou de le réguler. Au Québec, ces jeux sont légaux et régis par le gouvernement provincial, par l’entremise de Loto-Québec. En France, ils restent interdits, mais le gouvernement a annoncé cet automne son intention de les légaliser. Pour évaluer si la légalisation peut permettre un encadrement plus efficace, L’Esprit Libre s’est entretenu avec des expert·es en prévention des deux côtés de l’Atlantique.
France : légaliser pour encadrer
« On sait bien que c’est mieux de réguler que de prohiber », soutient Emmanuel Benoit, directeur général de l’Association de recherche et de prévention des excès du jeu (Arpej). Pour lui, la légalisation des jeux de casino virtuels en France serait un moyen d’encadrer les pratiques des joueurs, qui ont déjà accès à une offre illégale. Selon l’Autorité nationale du jeu (ANJ), entre trois et quatre millions de Français jouent chaque année à des jeux de casino en ligne sur des sites illégaux[1]. Le problème, c’est que « ces sites illicites ne prennent pas soin du joueur, il n’y a pas de prévention ni de réduction des risques », alerte le directeur de l’Arpej.
La création de plateformes agrées par l’État permettrait la mise en œuvre de mesures préventives, comme l’interdiction de jeu aux moins de 25 ans, des sessions qui ne dépassent pas deux heures, ou la possibilité de s’auto-exclure, propose M. Benoit. Des « niveaux de sécurisation », selon ses termes, qui favoriseraient une pratique de jeu plus responsable.
Ces dispositions ne sauront être véritablement efficaces si les plateformes illégales, dénuées de tout contrôle, demeurent. « L’idée, c’est aussi de faire en sorte que ces sites illicites ne puissent plus exercer, en luttant de manière encore plus forte [contre eux] », réclame le directeur de l’Arpej, qui reconnaît néanmoins qu’il sera difficile de les supprimer complètement. « Ce qui est important, c’est que la partie congrue soit la plus faible possible », estime-t-il.
Malgré la persistance très certaine d’une offre illégale, M. Benoit espère que les joueur·ses seront attiré·es par les garanties de sécurité de l’offre légale. Contrairement à leurs concurrents illicites, les sites légaux assurent aux client·es la sécurité de leur compte, de leur identité et du paiement. « Quand un opérateur a une image de fiabilité, ça marche beaucoup mieux qu’un opérateur dont on pense qu’il peut tricher », soutient le Français.
Légaliser sans précipiter
Seul pays de l’Union Européenne, avec Chypre, à interdire les jeux de casino en ligne, la France est allée de l’avant à l’automne dernier, en déposant un amendement en vue de les légaliser. Le gouvernement s’est toutefois heurté à la résistance des organismes en prévention. « C’était un peu la stupéfaction et la colère, parce que si vous voulez, ça a été fait sans préparation », raconte M. Benoit. S’ils sont plutôt favorables à une légalisation, les professionnel·les français de l’addictologie estiment néanmoins que la décision ne peut « s’ouvrir par un simple décret qui tombe comme cela pour faire de l’argent », comme le dénonce le directeur de l’Arpej. Une légalisation pourrait en effet rapporter près d’un milliard d’euros à l’État[2].
À l’image de ses confrères et consœurs en addictologie, M. Benoit appelle à « un temps de préparation, de concertation et d’équipement. » Légaliser une pratique aussi addictive nécessite de mettre la protection du joueur au centre des débats, demandent les organismes et les expert·es. Sans véritable plan d’encadrement, l’ouverture des jeux de casino en ligne risque de renforcer davantage l’addiction plutôt que de la prévenir.
Québec : une légalisation d’abord économique
Si les organismes français en prévention réclament aujourd’hui un processus de consultation, celui-ci n’a pas eu lieu au Québec, lorsque le casino en ligne était légalisé en 2010. « Il n’y en a pas eu, ils faisaient juste élargir leur offre », se souvient Anne Élizabeth Lapointe, directrice générale de la Maison Jean Lapointe, qui traite les dépendances. À l’époque, plusieurs acteur·rices de la société civile critiquent le manque de considérations du gouvernement pour les impacts sur la santé publique, réclamant l’implication d’expert·es dans la mise en œuvre de la politique[3].
Pour la chercheuse à l’Université Concordia Sylvia Kairouz, l’État québécois a offert ces jeux en ligne « pour des raisons économiques. » N’ayant aucun contrôle sur l’offre illégale, la société d’État Loto-Québec a développé sa propre plateforme pour « récupérer une partie de ce marché », estime-t-elle. Le casino en ligne intègre ainsi la gamme des jeux d’argent et de hasard régulés par l’État, comme le loto, les paris sportifs ou les casinos terrestres.
Un manque d’encadrement
L’autre enjeu, la santé publique, a été relégué au second plan par la légalisation québécoise, qui ne s’est pas accompagnée d’une stratégie d’encadrement suffisante, selon les expertes rencontrées. « Au Québec, on a une offre, c’est tout », regrette Mme Kairouz.
Encadrer des pratiques aussi addictives, « ça prend une autorité indépendante », plaide la chercheuse. Contrairement à la France, qui dispose de l’Autorité nationale des jeux, la Belle Province ne s’appuie sur aucune institution indépendante pour réguler l’offre de jeu. Ici, les décisions sont entre les mains de la plateforme elle-même, soit Loto-Québec. Pour illustrer cette situation, Mme Kairouz reprend la métaphore d’une collègue : « Laisser Loto-Québec décider, c’est comme demander à Dracula de surveiller la banque de sang. »
La société d’État affirme toutefois « offrir aux joueurs un environnement de jeu à la fois intègre, divertissant et sécuritaire », grâce à des mesures de commercialisation responsable et des programmes de sensibilisation. Si Mme Lapointe reconnaît les efforts fournis par Loto-Québec pour inciter au jeu responsable, elle estime qu’ils « pourraient en faire plus, évidemment. » Pour Mme Kairouz, ces mesures servent juste « l’image corporative » de la société d’État. De son côté, Loto-Québec n’a pas donné suite aux sollicitations d’entrevue de L’Esprit Libre.
Une offre illégale persistante
En parallèle, les sites de jeux illégaux sont toujours aussi nombreux qu’en 2010, tout comme les joueur·ses qui les fréquentent[4]. « C’est une suite infinie de jeux, il y en a de toutes les sortes, toutes les semaines », témoigne Jonathan, ancien joueur de casino en ligne. Loto-Québec estime capter 50% du jeu en ligne dans la province. L’autre moitié des joueur·ses continue de fréquenter les sites illicites, qui représentent une concurrence importante pour les services de l’État. Gérées par des sociétés privées souvent déclarées à l’étranger, ces plateformes échappent encore majoritairement aux tentatives de blocage.
En présence de ces deux offres, Jonathan admet préférer les sites illicites à Loto-Québec, car plus attractifs. Ces plateformes ne sont en effet soumises à aucune limite, et peuvent inciter les joueurs autant qu’elles le veulent. « Tu reçois des promotions à tout bout de champ, on te dit “Hey, t’as pas joué depuis longtemps, reviens on va te donner de l’argent”», raconte le joueur désormais abstinent.
Finalement, en rendant le casino en ligne légal au Québec, Mme Kairouz ne sait pas « si on a vraiment protégé la population. » L’offre est simplement plus grande, tout comme le nombre de joueur·ses, qui connaît une ascension exponentielle depuis 10 ans[5].
Le Québec, un contre-exemple ?
Si les expertes rencontrées à Montréal ne sont pas défavorables en théorie à la légalisation du casino en ligne, elles estiment qu’au niveau de l’encadrement, « le Québec est l’exemple à ne pas suivre », pour reprendre les termes employés par Mme Kairouz. La Belle Province devrait même selon elle « regarder vers la France », qui dispose d’une autorité indépendante pour réguler le jeu, et qui laisse davantage place au débat dans le cadre de la légalisation.
De son côté, Mme Lapointe appelle le législateur français à « s’assurer qu’il n’y aura pas de débordement et que les gens ne laisseront pas leur peau. Parce que finalement, c’est un peu ça qu’on voit ici, malheureusement. »
*Le prénom a été modifié pour préserver l’identité du témoin.