Le projet d’inclusion du Nadia, premier bar sportif féminin à Montréal

Le projet d’inclusion du Nadia, premier bar sportif féminin à Montréal

C’est un mardi soir pluvieux, et la rue Jean-Talon Ouest est quasi déserte, si ce n’est quelques voitures et des passant·es pressé·es de rentrer chez eux. Après une succession de commerces fermés et de bars vides, une vitrine illuminée attire le regard. Derrière les grandes fenêtres d’une brasserie, une foule animée, majoritairement féminine, s’affaire autour des tables.

En poussant la porte, un joyeux brouhaha nous enveloppe. Les tintements des verres se mêlent aux éclats de voix, recouverts par la chanson Flowers de Miley Cyrus. La salle est presque pleine, et les dernier·ères arrivé·es patientent pour être placé·es. Des groupes d’ami·es, des couples et des personnes seules occupent les tables et le comptoir, jetant un œil à l’un des cinq écrans de télévision accrochés au mur. Certain·es arborent un chandail de hockey rouge.

Pourtant, ici, ce n’est pas un bar sportif comme les autres. Le Nadia est un espace entièrement dédié à la diffusion du sport féminin. Créé il y a un an par Catherine D. Lapointe et Caroline Côté, le projet, encore nomade, investit différents bars montréalais pour organiser des soirées de diffusion de hockey, de soccer ou encore de basketball féminin. Leur objectif : rendre visible des sports encore « trop souvent marginalisés, sous-financés et invisibles », comme le présentent les fondatrices.

Ce soir, c’est à la Brasserie Harricana que le Nadia prend place pour un match de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) : la Victoire de Montréal affronte les Sceptres de Toronto, respectivement premières et deuxièmes du classement.

Il est 19 h passées quand les écrans s’animent, dévoilant l’entrée des joueuses sur la glace. Assise entre ses parents, une petite fille pointe l’écran du doigt, les yeux pétillants d’excitation. Le coup de sifflet retentit, et la musique s’interrompt pour laisser place aux commentaires. Le public porte alors son attention sur le match, tout en continuant à jaser. 

Le sport féminin peu accessible au public

Aujourd’hui, « aucun espace à Montréal ne garantit un accès constant au sport féminin », déplorent les fondatrices du Nadia. Alors que les matchs des Canadiens, l’équipe masculine, sont retransmis « à chaque pâté de maison », il est bien plus ardu de suivre la Victoire de Montréal, regrette Catherine D. Lapointe. Et pourtant, la demande est là. « Il y a un imaginaire collectif qui ne prend pas en compte le sport féminin, mais sur le terrain, le public est bien présent », relate Caroline Côté, qui rappelle en toute logique que « si l’offre n’est pas disponible, on ne peut pas la consommer ».

Attablée au comptoir, Valérie, une trentenaire au hoodie rouge, attend le début du match un verre à la main. Elle confie ne pas pouvoir suivre la LPHF depuis chez elle, n’ayant pas de télé. Le Nadia lui permet ainsi de suivre le match de ce soir dans une ambiance conviviale, alors qu’aucun bar ne le diffusait à sa connaissance.

Un espace inclusif

Le Nadia ne vise pas seulement à accroître le sport féminin, mais également le public féminin, encore minoritaire dans les espaces de diffusion. Les bars sportifs traditionnels sont souvent des lieux de rassemblements masculins, dans lesquels la présence de femmes est parfois remise en question. Habituées de ces endroits, Catherine D. Lapointe a « toujours été la fille qu’on cruise parce qu’elle est dans un bar », tandis que Caroline Côté s’est souvent fait dire que ses connaissances sportives étaient insuffisantes.

Au-delà d’être un « simple » bar sportif, le Nadia se veut un « espace inclusif et sécuritaire » où tous·tes les amateur·ices de sport pourraient se réunir « sans complexe », comme le décrivent les fondatrices. L’ambiance est « full relax et inclusive », témoigne Valérie, qui ne se reconnaît pas dans l’atmosphère des bars sportifs traditionnels : « Ce n’est pas tant ma vibe. »

Que ce soit sur le plan du genre, de l’âge, ou du niveau de d’expertise, le public du Nadia est « vraiment diversifié », affirment fièrement ses entrepreneuses. Cette mixité contribue à une atmosphère plus détendue et bienveillante. Lorsque des problèmes techniques interrompent la diffusion, Catherine D. Lapointe était étonnée que le public reste calme. Et lorsque l’équipe locale perd, les clients quittent dans la bonne humeur.

Ce soir-là, la Victoire de Montréal semble toutefois bien partie pour l’emporter. Après avoir concédé un premier but, l’équipe montréalaise égalise avant de prendre l’avantage grâce à un tir en pleine lucarne de Marie-Philip Poulin. La salle du Nadia exulte, applaudissant et s’exclamant entre deux bouchées de burger. 

Inspirer les spectacteur·ices 

Assister à de tels moments de joie et de communion dans leur bar ne laisse pas Catherine D. Lapointe et Caroline Côté insensibles. « On pleure beaucoup », avouent-elles en riant. « Le Nadia, c’est un projet qui porte une mission, celle de faire rayonner les femmes à travers le sport », explique l’une d’entre elles. Constater que cela fonctionne semble toucher profondément les fondatrices du projet. 

Les répercussions sur le public semblent d’autant plus grandes lorsque celui est jeune. Toujours aux côtés de ses parents, la petite fille a les yeux rivés sur le match. Son père Jean-François nous explique partager la passion pour le hockey avec sa fille de cinq ans, qui « pense d’ailleurs que le hockey est seulement un sport de femmes ». Son jeune âge l’empêchant de se rendre à l’aréna trop souvent, le Nadia s’est avéré être une belle opportunité pour suivre leur équipe préférée. 

Caroline Côté dit « ne pas avoir de mots » face à de tels récits. « À partir de maintenant, [cette petite fille] a le droit de devenir une Marie-Philip Poulin », se réjouit-elle, les yeux humides. Regrettant le manque de représentation dans son enfance, la co-fondatrice se réjouit de l’impact que peut avoir le Nadia sur les jeunes générations.

Quand le bar définitif ouvrira, dès que possible l’espèrent les fondatrices, Jean-François et sa fille s’y rendront « tous les jours ». En attendant, la soirée au Nadia continue, et le troisième but de la Victoire ne tardera pas à faire chavirer la salle une dernière fois.

CRÉDIT PHOTO: Des spectatrices devant le match Montréal VS Toronto dans le bar du Nadia – Charline Caro

Autodéfense féministe : « C’est exactement ce dont j’avais besoin »

Autodéfense féministe : « C’est exactement ce dont j’avais besoin »

Les cours d’autodéfense féministe sont en expansion à Montréal, remportant l’intérêt de femmes qui veulent apprendre à se défendre contre les agressions. À travers des ateliers d’une journée, le Centre de prévention des agressions de Montréal enseigne des techniques d’autodéfense corporelles et verbales. L’Esprit Libre a participé à l’un de ces cours, et rencontré les participantes.

C’est un samedi matin que certaines attendaient avec impatience. Dans une salle communautaire du Centre-Sud, une douzaine de femmes s’installent sur les chaises qui ont été disposées en cercle. Le Centre de prévention des agressions de Montréal (CPAM) offre ce jour-là l’un de ses cours d’autodéfense par et pour des femmes. Le but est de fournir aux participantes des outils pour se protéger des agressions, qu’elles soient verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles. Dans la salle, des regards intrigués et enthousiastes s’échangent jusqu’à l’arrivée des deux animatrices. Le cours d’auto-défense féministe peut alors commencer.

Lors du tour de présentation, les participantes se présentent, révélant une grande diversité d’âges et d’origines. Pour la coordonatrice du programme Beatriz Muñoz, cela montre que « la violence faite aux femmes arrive partout. » Les participantes expliquent également ce qui les ont motivées à s’inscrire. Certaines sont venues par curiosité, ou par besoin de se sentir plus en sécurité. Elles préparent parfois un voyage, ou alors viennent d’arriver à Montréal. 

D’autres se présentent ici à la suite d’une agression. C’est le cas d’Amanda*, qui a ressenti le besoin d’apprendre à se défendre après avoir subi une tentative d’agression dans un lieu public. Elle s’est mise à la recherche d’un cours pour assimiler les bases de l’autodéfense, « pour ne pas rester comme ça si ça [lui] arrivait une autre fois. » De son côté, Leïla* a été référée par sa travailleuse sociale après une agression physique. « Quand elle m’en a parlé, j’ai tout de suite dit oui. »

Les participantes rencontrées n’avaient jamais entendu parler d’autodéfense féministe auparavant, et entretenaient quelques a priori sur la discipline. Amanda pensait que l’atelier s’adressait avant tout aux victimes d’agressions physiques, ce qu’elle a rapidement déconstruit en voyant que les motivations des participantes étaient diverses. « J’aurais aimé venir sans qu’il m’arrive ce qu’il m’est arrivé », confie-t-elle après coup. De son côté, Leïla avait des appréhensions au niveau physique. Ne s’estimant pas « en très bonne forme », elle ne pensait pas que le cours serait « à la portée de tout le monde. »

L’autodéfense féministe est encore « marginale, même si ça existe depuis très longtemps », rapporte Beatriz Muñoz. La discipline émerge en effet au début du XXe siècle, lorsque les suffragettes s’entraînent au jujitsu pour se défendre des violences policières. Après un temps d’oubli, l’autodéfense est popularisée à nouveau par les mouvements féministes de la deuxième vague. 

Se défendre physiquement

Après un temps de discussion et d’information, les animatrices du cours de samedi invitent les personnes présentes à se lever. C’est le moment de s’entraîner à l’autodéfense physique. Dans un premier temps, les participantes apprennent à donner différents coups avec leur pied, leur talon, leur genou, ou encore leur main. Par la suite, elles prennent connaissance des zones sensibles du corps de l’agresseur à cibler : tibias, parties génitales, abdomen, tempes… En cas d’agression, la loi canadienne prévoit que la victime puisse se défendre avec une « force raisonnable », lui permettant de se mettre en sécurité. 

Pour intégrer les techniques, les animatrices mettent les participantes face à des situations imaginaires. Une personne qui les bloque contre un mur, qui s’allonge sur elles, qui leur tient les bras… Les participantes doivent choisir le coup et la cible les plus efficaces dans le contexte en question, et s’effectuer. Le tout accompagné d’un « cri de pouvoir », visant à créer un effet de surprise et à s’affirmer. Au début timides, les coups et les cris s’affirment progressivement, laissant place à l’enthousiasme ou la colère des participantes.

« On a tendance à penser que les femmes ne sont pas capables d’agir », remarque Beatriz Muñoz. Le CPAM vise justement à montrer à ses usagères que la technique peut primer sur la force, permettant aux victimes de riposter contre des corps plus imposants qu’elles. « Toutes les femmes et les adolescentes sont capables de se défendre, il suffit de développer des moyens », est-il écrit sur le dépliant du programme. De cet apprentissage physique, Leïla retient que « nous, les femmes, on est capables de se défendre. »

Riposter par la parole

Vient ensuite le temps de l’autodéfense verbale. « Quand on parle de se défendre, tout le monde pense à frapper », fait remarquer Beatriz Muñoz. Pourtant, les stratégies verbales sont une « partie essentielle de l’autodéfense féministe », et peuvent servir dans de nombreuses situations de harcèlement ou d’agression. En apparence, cela paraît simple : dire non, faire une scène, nommer le problème ou encore utiliser l’humour. En pratique, peu avaient déjà eu le courage de le faire. « Pourquoi je n’y ai jamais pensé avant ? », se demande Leïla, qui estime que « notre société joue vraiment un rôle là-dedans. » S’imposer pour refuser une situation désagréable va à l’encontre des « affaires intégrées par les femmes », qui veulent que « l’on plaise et que l’on soit douces », corrobore Beatriz Muñoz.

Après avoir listé et illustré les différentes stratégies verbales, les animatrices instaurent des jeux de rôles pour que les participantes puissent se pratiquer. Une blague déplacée lors d’un repas de famille, un collègue qui insiste pour prendre un verre, un inconnu qui les suit dans la rue ou qui les touche dans le métro… Les participantes usent d’une imagination débordante pour contrer ces situations avec les mots, comme en dénonçant la scène publiquement, ou en donnant un ordre autoritaire à l’agresseur. « Juste avec la parole, on peut arrêter une personne », s’enthousiasme Amanda. 

Des agressions de natures multiples

Le cours d’autodéfense du CPAM vise également à sensibiliser les usagères à la diversité des agressions qui existent. Si elles peuvent être physiques et sexuelles, les agressions sont aussi psychologiques et verbales. Banalisées, elles ne sont parfois pas conscientisées comme telles par les victimes, comme les propos discriminatoires, le gaslighting, ou le harcèlement moral. « Lors du cours, j’ai réalisé que certains moments que j’avais vécus étaient en fait des agressions », relate Amanda. L’autodéfense verbale trouve alors toute sa pertinence pour riposter à des situations qui jouent sur l’intégrité psychologique, et non physique, de la victime.

L’imaginaire collectif entretient aussi le stéréotype de l’agression comme étant le fait d’un inconnu armé dans une ruelle sombre, expliquent les animatrices. En réalité, « la majorité des agressions sont commises par des gens qu’on connaît, dans des endroits qu’on connaît », relate Beatriz Muñoz. L’Institut national de santé publique du Québec estime que plus de 8 victimes sur 10 connaissent leur agresseur sexuel. Prendre conscience que les agressions parviennent aussi dans le contexte privé permet de développer le potentiel d’autodéfense des participantes, car « riposter devant quelqu’un qu’on connaît est beaucoup plus difficile. »

Un espace de solidarité

Sur le plan émotionnel, suivre cette formation en autodéfense n’est pas toujours évident pour les femmes présentes. « La nuit suivant le cours, j’ai fait beaucoup de cauchemars », raconte Leïla. Les discussions et les activités peuvent effectivement faire ressurgir des mauvais souvenirs. Les animatrices veillent alors à créer un espace d’écoute et d’empathie, et laissent à chacune le choix de participer. « J’ai trouvé qu’elles avaient les bons mots », remarque Amanda. Même observation pour Leïla, qui a grandement apprécié l’approche employée avec celles qui avaient été victimes d’agressions.

L’empathie émane également du groupe de participantes, qui a développé une solidarité tout au long de la journée. « Les dames qui étaient là, on a l’impression que c’étaient des sœurs », confie Leïla. « On a entendu les récits de chacune, on s’est ouvertes aux autres. » En tant que survivante d’une agression, Leïla souligne la force et la qualité de ce moment partagé.

De cet atelier, les participantes en ressortent avec une confiance décuplée. « Je sais maintenant que je suis capable de me défendre », nous confie Leïla. « Mon agresseur ne peut plus rien faire contre moi. » De son côté, Amanda « encourage toutes les femmes à faire ce cours », pas seulement pour apprendre à se défendre, mais aussi pour écouter les récits d’autres femmes. Après ce samedi formateur, elle poursuivra l’entraînement pour intégrer les techniques apprises. « L’idée est de continuer et de ne jamais arrêter. »

*Les prénoms ont été changés pour conserver l’anonymat des participantes.

Avant les préjugés, les droits des femmes portant le voile

Avant les préjugés, les droits des femmes portant le voile

La discrimination vécue au quotidien par des Québécoises, intrinsèquement liée à une méconnaissance culturelle, nous montre l’importance du dialogue afin de construire un monde plus juste. Sans quoi, par des déductions erronées, les uns discriminent les autres sur un fond de racisme culturel¹. Parlons du voile pour ce qu’il est : un symbole religieux et identitaire auquel l’on accorde trop d’attention. Parlons d’une société valorisant le vivre ensemble plutôt que la division se basant sur la différence entre individus.

Accepter la diversité religieuse constitue encore un grand défi pour certain.e.s Québécois·e·s, dont plusieurs associent la laïcité personnelle à la laïcité étatique. Des propos tenus par une Québécoise à ce sujet vous éclaireront certainement sur l’enjeu. Par le biais d’une implication en participation citoyenne, j’ai rencontré Meriem. Cette chronique vient raconter son point de vue accompagné de réflexions de mon cru. Il ne se veut pas objectif, puisqu’issu d’un vécu : celui de la femme que vous rencontrerez brièvement dans cet écrit. Allons-y. Meriem est une étudiante dans le domaine de la santé se passionnant pour la photographie ainsi que l’implication communautaire. Quel est l’objet de la discrimination qu’elle vit? Le voile couvrant ses cheveux, qu’elle a elle-même choisi de porter pour des raisons qui seront abordées plus bas.

Une discrimination « qui commence dans la rue »

Alors qu’on nous parle des bénéfices de la loi 21 sur la laïcité de l’État de notre province, on désigne le religieux comme son contraire. Or, c’est la religion comme influence dans les décisions étatiques qu’il faut opposer à la laïcité. Alors qu’on fait l’erreur de s’inquiéter de la pratique personnelle de la religion musulmane pour l’état québécois, des femmes en sont victimes. Elles subissent la perpétuation des préjugés à leur égard et à celui du tissu qui couvre leurs cheveux : le voile ou hijab. Les autorités politiques placent un combat théorique avant la liberté de pratique religieuse de ces personnes. Il importe de préciser ici que ce sont majoritairement des hommes² (cisgenre) qui votent une interdiction touchant des femmes (majoritairement cisgenre).

Sans aller dans les détails de ses expériences vécues et de celles qui ont été racontées à Meriem, en discutant avec elle, je comprends que c’est assez commun dans sa communauté d’attirer involontairement une attention négative autour de son voile. « Des fois, tu reçois des regards de travers, des remarques déplacées et ça peut même aller plus loin avec des agressions physiques ou verbales. C’est pas quelque chose qui est rare, même si on voit pas vraiment ça dans les médias » Banaliser ces micro-agressions en ne les dénonçant pas sur la sphère publique, comme ce qui est le cas présentement, signifie de les permettre et de les valider. De la discrimination vécue au quotidien, ces femmes « en parle[nt] beaucoup » entre elles. Celle-ci « marque » et « laisse un impact ». Meriem décrit le contexte pointant du doigt son voile comme « déstabilisant ». On ne respecte pas son droit de s’habiller comme elle le veut et on stigmatise le tissu qui couvre ses cheveux de façon injuste et inutile. Pourquoi le hijab dérange-t-il autant? Pourquoi ne pas revoir notre rapport à la différence? Je suis d’avis que la remise en question de ses croyances personnelles accompagnée d’écoute permet l’ouverture nécessaire à l’acceptation de la différence. Surtout, lorsque cette différence a été stigmatisée en donnant la voix aux mauvaises personnes au sein des médias traditionnels par exemple.

De la compréhension pour l’incompréhension

Selon Meriem, les interrogations à l’égard de son voile sont quand même justifiées. « Je me dis que peut-être que c’est difficile… Si par exemple tu [ne] sais pas pourquoi une femme musulmane le porte, c’est un peu […] difficile [à] concevoir […] Pourquoi une femme voudrait elle-même décider de se couvrir à tous les jours à l’extérieur? » Plusieurs restent dans le jugement de l’autre en assumant les raisons pour lesquelles des femmes portent le voile. La présomption commune que j’entends est celle de la femme soumise. À celle-ci, Meriem répond :« Mais non, je pense, je réfléchis, je suis libre, je fais mes recherches, je suis capable de fonder ma vie sur des valeurs qui me sont propres! » « Vous pensez que l’on me l’impose chez moi, mais quand je sors vous m’imposer de l’enlever [le voile] pour devenir prof […] » Ne trouvez-vous pas que cela évoque bien une peur de l’autre? De peur d’interroger, on ne trouve pas de réponses, alors on s’en imagine. Une remise en question personnelle de notre rapport aux autres semble être de mise. Accorder autant d’importance à un choix personnel qui ne fait de mal à personne reflète des préjugés internalisés qu’il nous faut déconstruire.

Une réponse trop peu diffusée

Dans les médias, on ne permet pas à ces personnes, que l’on accuse de s’attaquer à la laïcité du Québec, d’expliquer leur situation. Pourtant, entendre le point de vue des femmes musulmanes portant le voile permettrait d’informer la population sur ce groupe ouvertement discriminé, notamment concernant la question de la laïcité. « Une femme qui décide de porter un voile ne signifie pas qu’elle veut convertir les autres femmes à ses idées, » affirme Meriem.

Celles qui le portent devraient être les premières à parler de cet accessoire faisant partie de leur quotidien. C’est pourquoi j’ai demandé à l’étudiante, pourquoi elle porte le voile? « À la base, je le fais parce que je suis convaincue que c’est ce qu’il faut que je fasse pour plaire à mon seigneur. C’est devenu une partie intégrante de mon identité. Je me verrais pas sans mon voile. Initialement, je l’avais mis tout simplement parce que la modestie c’est une valeur hyper importante dans l’islam autant pour l’homme que pour la femme. » Jamais je n’avais encore entendu parler de cette valeur alors que le voile était mentionné.

D’ailleurs, souligne l’étudiante, « Dans l’islam, tu ne peux pas convertir les gens. On croit au fait que c’est Dieu qui guide chaque personne et chaque personne doit s’occuper de ses affaires. » Voilà ce qui répond à la peur du hijab liée à l’ignorance à son sujet. En concluant notre discussion Meriem me mentionne l’importance qu’elle accorde à « ne pas avoir peur de demander [les questions qu’on se pose aux personnes concernées], quand même avec un certain tact » si on « ne comprend pas pourquoi il y a des femmes qui portent le voile » Bref, la meilleure solution est de dialoguer.

Les fondements de notre société dans tout cela

La lutte pour l’égalité entre hommes et femmes est un enjeu contemporain d’une grande importance à nos yeux : autant aux miens qu’à ceux de Meriem. Or, « c’est rendu que le contraire [(des pratiques associées à la libération de la femme, comme le fait de se découvrir)] n’est plus accepté parce qu’il représente le passé. Le fondement de la libération est oublié, » souligne Meriem. « Toutes les femmes sont différentes, ont une façon de penser, des envies différentes, » ajoute-t-elle. Laissons-les être. Leur liberté passe autant par leur choix de se couvrir que celui de se dévêtir. Être féministe quant à nous, c’est accepter cela.

La situation entourant la question du voile portée par certaines femmes musulmanes entraîne une polarité d’opinion. Est-ce qu’un vêtement issu d’un choix personnel devrait nous préoccuper autant? Non, et encore plus en ce qui concerne le discours majoritairement erroné l’entourant.

En tant que société, système fonctionnant grâce à ses membres, nous avons la responsabilité d’y inclure celles et ceux qui y contribuent. Ces femmes participent à la vie collective comme n’importe qui. Une remise en question quant à la place du dialogue dans le cadre de situations conflictuelles liées à des différences entre individus devra être mise sur la table. L’acceptation de la différence devra gagner et c’est ainsi que notre société pourra avancer. Il y aura toujours des pratiques distinctes des nôtres, pourquoi ne pas l’accepter dès aujourd’hui?

Le dialogue constitué d’écoute et d’expression de soi afin de mieux se comprendre est la clé de cette situation. Les un·es ont peur, les autres sont ignoré·es. Des droits sont brimés au profit d’un groupe. Par conséquent, les femmes qui choisissent de porter le voile ont à subir les conséquences de préjugés à leur égard.

Commençons à penser au-delà de nous-mêmes, à déconstruire la croyance selon laquelle la différence menace. Éduquons-nous au lieu de rassurer une partie de la population. Nous voulons une société juste et inclusive après tout, non? Une société dans laquelle on est accepté·e·s et embauché·e·s, pour ce que l’on fait et ce que l’on est et non en fonction des vêtements que l’on porte. Il s’agit de se parler, de vouloir mieux comprendre, mieux penser. C’est vivre ensemble en s’enrichissant mutuellement, dans le respect de l’autre. Voilà une belle base sociétale sur laquelle construire un vivre-ensemble juste et équitable.

Pour en apprendre davantage:

https://yaqeeninstitute.org/yaqeen-institute/recent-webinar-behind-the-veil-the-intersection-of-rel igion-politics-culture/?fbclid=IwAR2DT3V4Ctm16n1Uwm7WNhL84uA03TrM-oodibp4dp_mjzVZL-xoEHfWFzo

¹Ministère de l’Immigration, la Francisation et l’Intégration, 26 juin 2020, h ttp://www.quebecinterculturel.gouv.qc.ca/fr/lutte-discrimination/discrimination-racisme.html.

²Assemblée nationale du Québec,«Députés», 1er octobre 2018, h ttp://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/index.html.

Au Liban, les femmes en première ligne de la révolution

Au Liban, les femmes en première ligne de la révolution

Par Adèle Surprenant

Le dimanche 3 novembre dernier, plusieurs centaines de personnes s’étaient donné rendez‑vous devant le Musée national du Liban, à Beyrouth. Une manifestation féministe, en marge du mouvement de contestation populaire toujours en cours, après plus de quarante jours de mobilisation.

Mégaphone au poing, une jeune femme à la voix abîmée par la fatigue s’adresse à la foule. Sur les marches du Musée national, des femmes de partout au pays se sont rassemblées à l’appel d’organisations féministes, cherchant à rappeler leur rôle dans la révolution. Reprenant la mélodie d’un des slogans populaires des manifestations, elles entonnent : « cette révolution est la nôtre / ces rues sont les nôtres / ce moment est le nôtre! »

Une dynamique favorable semble effectivement s’être déployée pour la cause féministe, portée depuis des décennies par la militante et membre fondatrice du « Collective for Research and training on Development Action » (CFTDA), Lina Abou Habib. « C’est énorme le rôle que les femmes sont en train de jouer », s’emballe-t-elle, donnant aussi l’exemple du rôle des femmes dans la récente révolte au Soudan ou encore en Algérie.

La révolution sera féministe où elle ne sera pas

Un rôle d’abord symbolique : au premier jour de la révolution, une vidéo devenue virale montrait une jeune femme repoussant un garde du corps, armé d’un fusil AK-47, d’un coup de pied dans les parties intimes. Ce qui se voulait un geste de légitime défense est vite devenu le symbole de la résistance du peuple au système, la scène ayant notamment été reprise par le graphiste Rami Kanso (voir illustration ci-dessus).

Responsable de ce coup de force, Malak Alaywe Herz est restée, jour après jour, auprès des milliers de femmes qui ont pris la rue. Celles‑ci se sont entre autres illustrées en s’interposant à plusieurs reprises entre les manifestant·e·s et les forces de l’ordre ou des fidèles, que ce soit du Hezbollah ou de Harakat Amal. Une scène que commente Baymara, manifestante de 33 ans originaire du Sud‑Liban, avec ironie : « Nous sommes toujours sur la ligne de front, en train de protéger les hommes et les jeunes, même si on nous a dit toute notre vie que c’était nous qui avions besoin d’être protégées. »

Travailleuse humanitaire engagée dans le mouvement de contestation depuis le premier jour, Baymara se dit féministe, une identité qu’il n’est pas toujours facile d’assumer au Liban.  « Jusqu’à maintenant la plupart des gens ne croyaient pas que les hommes et les femmes sont égaux », commente‑t‑elle, en passant de l’arabe à l’anglais à certains moments, faute d’avoir l’habitude de parler de féminisme dans sa langue, « mais cette révolution a montré à tout le monde que ce n’est pas c’est le cas. »

Baymara appelle cependant à prendre garde à « l’éphémère », trop souvent l’apanage du petit pays moyen-oriental maintes fois détruit et reconstruit[1], rappelant que la bataille pour l’égalité est loin d’être terminée. La parole prise par les femmes dans l’espace public au cours des dernières semaines est de l’ordre du jamais vu, même dans un pays qui se targue d’être le plus libéral du monde arabe.

Quand la démographie l’emporte

Prix du jury au Festival de Cannes, le film Capharnaüm de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki attirait l’an dernier les yeux du monde sur la problématique de l’apatridie au Liban. Avec environ 50 000 apatrides sur son territoire, le petit pays de 6 millions d’habitant·e·s[2] ne permet toujours pas aux femmes de transmettre la nationalité à leurs enfants. Alors que la plupart des pays de la Méditerranée du Sud et de l’Est modifiaient leurs lois sur la transmission de la nationalité dès le début des années 2000, les autorités libanaises sont toujours réfractaires à toute modification législative allant dans ce sens. Selon Lina Abou Habib, cela s’explique par des raisons « hypocrites, politiques, et surtout démographiques » : le Liban est régulé par un système de politique confessionnelle, en fonction duquel les postes exécutifs et législatifs sont répartis proportionnellement entre les 18 communautés religieuses reconnues légalement, division basée sur le dernier recensement officiel datant de 1932. À l’époque, la population chrétienne, toutes confessions confondues, était majoritaire, avec 54 % de la population, une tendance qui s’est inversée : les plus récents chiffres du « World Factbook » élevaient à près de 60 % la part de musulman·e·s au Liban. Un jeu de pouvoir démographique qui est encore complexifié par quinze ans de guerre civile, où différentes factions chrétiennes et musulmanes se sont affrontées entre 1975 et 1990.

À l’héritage de la guerre civile – incluant un tissu social profondément fragmenté et un climat de tensions permanentes – s’ajoute la présence importante de réfugié·e·s de Palestine et de Syrie sur le territoire, faisant du Liban le pays accueillant le plus de réfugié·e·s per capita dans le monde, d’après l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Accorder le droit de transmettre la nationalité aux femmes aurait le potentiel d’accentuer la croissance démographique musulmane puisque la majorité des apatrides de Palestine et de Syrie résidant sur le territoire libanais sont de confession sunnite.

Sur un ton ironique, Mᵐᵉ Habib reprend un discours partagé par la classe politique et une partie de la population. « Tous les problèmes sont la faute des réfugié[·e·]s, donc si les femmes ont le droit de transmettre la nationalité, elles vont se marier à tous les Palestiniens et tous les Syriens et leur donner la nationalité », expose celle qui s’oppose fermement à une telle rhétorique. « Du coup, il y a aura beaucoup plus de musulman[·e·]s que de chrétien[·ne·]s, et voilà, l’identité exceptionnellement fantastique du Liban va disparaître! », conclut‑elle sur un ton doux‑amer.

Le privé est politique

La loi sur la nationalité n’est pas la seule à être jugée discriminante par la militante féministe Lina Abou Habib. À titre d’exemple, elle cite, entre autres, les lois codifiant la Caisse nationale de sécurité sociale, basées sur le principe considérant que l’homme est le chef de la famille. Seul acteur économique jugé valable, « son travail reconnu comme essentiel alors que celui de la femme est exceptionnel », ce qui se traduit par plus de droits financiers, d’après Mme Habib.

À la base de la normalisation de ce précepte patriarcal, les Codes du statut personnel régulent au Liban tout ce qui est de l’ordre du droit civil (le mariage, le divorce, etc.) : les Codes structurant le droit civique libanais sont basés sur l’affirmation de l’autorité de l’homme au sein de la famille, reléguant de ce fait la femme à une citoyenneté de seconde zone. « C’est ça, le système confessionnel, » rappelle Mme Habib, « les instances religieuses ont la mainmise sur l’espace privé et l’espace public. »

Une emprise vacillante dont la force semble désormais être contrebalancée par celle de la volonté populaire. Pour cette universitaire, rencontrée lors de la marche du dimanche, le mouvement en cours ne peut mener qu’à la fin du confessionnalisme politique, et donc à la fin d’une forme légale d’oppression patriarcale. Les épaules recouvertes d’un drapeau libanais, elle affirme que « la reconstruction du pays devra se faire avec les femmes, pour les femmes, car on ne peut construire une nation sans prendre en compte la moitié de sa population ».

L’enjeu de la reconstruction d’une identité nationale, s’invitant sur toutes les lèvres, ne semble pas pouvoir se faire au sein du système pourtant bien rodé de la politique confessionnelle. Un constat auquel Mme Habib ajoute que « ce qui est magnifique dans cette révolution, c’est qu’il y a eu une prise de conscience générale que les pouvoirs religieux ne nous protègent pas, mais qu’ils se protègent eux-mêmes ».

Femmes sans être libanaises

Un des enjeux portés par les organisations féministes et la société civile en générale, bien avant le mouvement de contestation, est celui des travailleuses domestiques : le quart des foyers libanais font appel aux services d’une travailleuse migrante pour accomplir les tâches ménagères, ou parfois même pour s’occuper de leurs parents âgés ou de leurs enfants en bas âge.

Ce sont environ 400 000 femmes venues d’Éthiopie, des Philippines, de Madagascar ou encore d’Afrique de l’Ouest pour accomplir le rêve d’une vie et un salaire plus décent. L’illusion est bien souvent décevante, la résidence et le travail de ces femmes étant soumis à un système dit de kefala, soit une sorte de parrainage contractuel entre une population ouvrière issue de l’immigration et des employeurs locaux.

Exclues du code du travail comme de toute forme d’existence civile et citoyenne, les travailleuses domestiques accumulent les expériences de violences physiques, sexuelles et verbales dans le silence, une dénonciation pouvant mener à un bris de contrat et donc, à terme, à leur expulsion du pays.

Même sur la place des Martyrs de Beyrouth, où sont rassemblés des milliers de personnes pour réclamer un système juste et égalitaire, on peut voir des manifestant·e·s en famille, accompagné·e·s de leur employée de maison. Celle‑ci est là uniquement pour faire son travail : une fonction qui, seule, la définit au sein d’une société libanaise raciste et sexiste, pour qui femme et étrangère sont synonymes de double‑invisibilisation.

Pour Rashda, une des rares travailleuses domestiques migrantes rencontrées en manifestation, tout changement en profondeur au Liban ne peut qu’améliorer de manière significative ses conditions de vie et celles de ses collègues. « Pour une fois, j’ai de l’espoir, car je vois bien que le discours des gens commence à changer », confie-t-elle.

La jeune Malgache de 23 ans, en poste depuis quatre ans chez une famille de la municipalité de Batroun, est optimiste : « J’ai entendu ma patronne parler de féminisme pour la première fois la semaine dernière. Peut-être que la semaine prochaine, elle parlera de racisme aussi, non ? »

Une perspective qui prend forme au fil des semaines et des manifestations, où les femmes sont toujours en première ligne, en dépit des récentes altercations avec les fidèles du Hezbollah et du mouvement Amal.

[1] Notamment lors de la Guerre civile libanaise, de 1975 à 1990, et de la Guerre des 33 jours avec Israël, en 2006.

[2] Estimation de la Banque Mondiale, puisque le dernier recensement officiel remonte à 1932.

Exclusions des femmes et des minorités invisibles dans le champ politique québécois

Exclusions des femmes et des minorités invisibles dans le champ politique québécois

Bien que le Québec soit l’une des sociétés dans le monde où les luttes féministes aient mené aux plus grandes avancées sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes, la parité n’est pas toujours atteinte au niveau politique. Le Conseil du statut de la femme1 explique ce constat par la socialisation qui diffère dès le plus jeune âge filles et garçons, par le partage inégal du travail domestique et familial, par le manque de ressources financières des femmes ou encore par la culture des partis et des institutions politiques qui, comme nous le verrons, ne mettent pas toujours en place les mesures nécessaires pour augmenter le nombre de femmes dans leurs rangs.

Clés historiques et quantitatives

Nous sommes le 25 avril 1940 au Québec et les femmes obtiennent enfin le droit de vote, mais aussi le droit de se porter candidates aux élections. Sept années plus tard, une première femme se présente lors d’une élection partielle, mais ne sera pas élue et il faudra attendre le 14 décembre 1961 pour que l’Assemblée nationale accueille sa première députée. Il s’agit de Claire Kirkland-Casgrain2 qui sera élue sous la bannière du Parti libéral du Québec et à qui on doit notamment la loi 16 qui permit de mettre fin à l’incapacité juridique des femmes mariées. Pendant plus de 12 ans, elle sera la seule femme à siéger comme députée à Québec, entourée par une centaine de collègues masculins.

Selon Élections Québec, qui a réalisé un rapport sur les femmes en politique3, alors que les Québécoises ont obtenu leur droit de vote et de candidature plus tard que celles des autres provinces canadiennes, elles étaient en 2012 en bonne position quant à leur représentation parlementaire avec un taux de 32,8 % de femmes. Pourtant, seulement deux ans plus tard, la situation change et le Québec compte seulement 27,2 % d’élues. Un phénomène qui prouve qu’en matière de luttes pour les causes des femmes, rien n’est jamais acquis. Du côté des Conseils des ministres, les données officielles de l’Assemblée nationale révèlent que la représentation des élues oscille entre 30 % et 34 % depuis les années 2000, à l’exception de la période 2007-2008 sous le gouvernement Charest qui correspond à une parité avec 50 % d’élues, si l’on exclut le premier ministre. L’ensemble de ces chiffres se situe donc loin de l’idéal de parité, et on parle alors d’une sous-représentation persistante des femmes en politique. Cette sous-représentation se manifeste également au niveau de la politique municipale. Selon un rapport du Conseil du statut de la femme datant de 2015, les femmes représentent seulement 17,3 % des mairesses4 du Québec. Mais il est tout de même souligné que dans les villes dont la population est de 100 000 personnes et plus, on trouve la plus forte proportion d’élues, avec une moyenne de 35 %. Plus encore, parmi les 10 plus grandes villes au Québec, quatre ont atteint la zone paritaire, soit Montréal, Québec, Sherbrooke et Longueuil. Un fossé entre petites et grandes municipalités qui s’expliquerait par « la diversité des enjeux, la proximité et les salaires plus élevés des élus des grandes villes » qui permettraient aux femmes de se consacrer à temps plein à leurs obligations politiques tout en restant près de leur famille5.

Un autre phénomène qu’il convient de souligner est que depuis ces deux dernières décennies, la proportion de femmes occupant un siège de ministre est supérieure à celle des députées au sein de l’Assemblée nationale, ainsi qu’en rendent compte les tableaux suivants. Ce constat coïncide avec les résultats de Magali Paquin, agente de recherche à l’Assemblée nationale6.

Tableau 1 : Conseil exécutif
Année de formation du cabinetCabinetNombre de ministres excluant le premier ministreNombre de femmes ministresPourcentage7
2001Landry23730,43
2003Charest24833,33
2007Charest18950
2008Charest261350
2012Marois23834,78
2014Couillard26830,77

Source : Site de l’Assemblée nationale du Québec8

Tableau 2 : Assemblée nationale
DatesSiègesÉluesPourcentage
20031253830,4
20071253225,6
20081253729,6
20121254132,8
20141253427,2

Source : Site de l’Assemblée nationale du Québec9

Quelques facteurs et concepts explicatifs

Appuyée d’une littérature éclairante sur le sujet, Magali Paquin, sans expliquer directement ce phénomène, dresse une liste non exhaustive de facteurs qui influencent l’accès des femmes aux postes exécutifs : il s’agit des conditions socioéconomiques, de la culture politique ou organisationnelle, de l’influence des groupes de pression ou de la communauté internationale, du système électoral et partisan, de l’intensité de la compétition partisane, du cycle électoral, des positions idéologiques des partis et du caractère généraliste ou spécialisé du Cabinet. La sous-représentation politique des femmes peut également s’expliquer par le fait qu’elles soient susceptibles d’être des « agneaux sacrificiels » (sacrificial lambs) selon l’expression utilisé dans la littérature scientifique, c’est-à-dire qu’elles sont davantage nominées dans des circonscriptions dans lesquelles elles sont susceptibles de perdre10. Des spécialistes du sujet comme Melanee Thomas et Marc Bodet ont utilisé des données sur les élections fédérales canadiennes entre 2004 et 2011 qui ont validé cette théorie. Plus encore, leurs recherches indiquent aussi que les places au sein des gouvernements ne sont pas aussi sécurisées pour les femmes que pour les hommes, et que ces deux facteurs expliquent, du moins partiellement, pourquoi les femmes sont sous-représentées dans la sphère politique.

Pourtant, quand on creuse davantage, les données semblent plus nuancées au Québec. Selon Manon Tremblay qui a analysé les élections québécoises entre 1976 et 2003, les candidates féminines n’auraient pas spécifiquement eu moins accès aux forteresses politiques de leur parti que les hommes au Québec. L’autrice ajoute même que, selon ses résultats, « le mode de scrutin majoritaire et uninominal ne peut être décrété comme étant systématiquement hostile aux femmes »11 :  

« […] les femmes qui aspiraient à décrocher un premier mandat de représentation parlementaire ont été candidates dans des circonscriptions compétitives, c’est-à-dire qui, d’un point de vue statistique, offraient le même potentiel de victoire que celles où les hommes se présentaient. Un sous-groupe de candidates fait toutefois exception à cette observation générale, soit les héritières dont le tiers s’est vu léguer des circonscriptions de moindre compétitivité au chapitre de la marge de victoire à l’élection précédente et de la performance passée de leur parti dans les comtés où elles se présentèrent ainsi que du potentiel de victoire défini par l’alternance PLQ/PQ au niveau national.12 »

Dans le même ordre d’idée, selon une analyse réalisée par Radio-Canada, les femmes ont désormais autant de chances d’être élues que les hommes au Québec, et même plus de chances de devenir ministres13. À l’aide d’une compilation de résultats électoraux de l’ensemble des élections générales et partielles depuis le 25 avril 1940, Radio-Canada remonte le fil des élections et non-élections féminines pour relever que « c’est finalement à partir des années 90 que les hommes et les femmes ont les mêmes chances d’être élu[·e]s, soit 1 sur 6. Il n’y a plus d’écart entre les deux sexes »14. Cette affirmation semble surprenante à la vue des chiffres et des études précédemment évoquées, mais leur recherche précise tout de même qu’il y plus d’hommes qui deviennent ministres que de femmes. Plus encore, selon l’analyse d’Allison Harell qui commente cette étude, les femmes accèdent au statut de premières ministres au Canada à des moments spécifiques de l’histoire des partis, c’est-à-dire « quand ils sont en difficulté ou en déclin. L’argument, c’est qu’on cherche une femme pour prendre soin de l’organisation, pour reprendre un langage très genré »15. Harell relève également le fait que les femmes considèrent la politique « comme un environnement hostile », notamment par rapport à la question de la médiatisation et du harcèlement en ligne16.

D’ailleurs, en période d’élections, la question de la couverture médiatique ne peut être mise de côté. Selon les chercheuses du projet Plus de femmes en politique? Les médias et les instances municipales, des acteurs clés!17les politiciennes sont largement sous-représentées dans les médias. Grâce à l’analyse de 1100 articles issus de la presse écrite et de médias communautaires écrits francophones du Québec pendant la campagne électorale municipale entre le 22 septembre et le 6 novembre 2017, les chercheuses ont pu relever que seulement 29 % de la médiatisation a été accordée aux femmes candidates contre 71 % pour les hommes. Plus encore :

« L’appartenance ethnoculturelle, comme le montre Erin Tolley (2016), est un autre marqueur identitaire qui exerce une influence sur le cadrage médiatique associé aux politiciennes. À travers une analyse de la représentation des femmes politiques s’identifiant comme des minorités visibles, Tolley expose la tendance des médias écrits à présenter d’abord l’appartenance ethnoculturelle ou de genre de ces femmes, avant de les introduire comme des actrices politiques18. »

Système politique de l’entre soi

En ce qui concerne spécifiquement le système politique québécois, il faut également prendre en compte le fait que le choix des membres du cabinet revient souvent à la personne élue à la tête du gouvernement, soit le premier ministre. Ainsi, il est avancé par Paquin que « sa décision est teintée de sa personnalité, de ses affinités, de ses préférences personnelles, des objectifs politiques qu’elle s’est fixée et de l’image qu’elle souhaite projeter »19. Cela peut alors impliquer un certain degré de jugement non seulement sur la compétence des femmes, surtout en ce qui concerne les portefeuilles ministériels les plus importants, mais aussi des personnes issues des minorités visibles ou Autochtones20. En effet, tel que souligné par Malinda Smith, qui étudie le cas des universitaires, il subsiste un mythe tenace qui suppose que la diversité implique moins d’excellence ou de mérite21.

Cela se confirme au Québec par un rapide exercice de sociologie visuelle qui nous permet d’émettre un constat : le nombre de femmes n’augmente pas, mais plus encore, les minorités sont invisibles. En effet, en parcourant les photos de groupe des Conseils des ministres de ces deux dernières décennies, le constat est clair : les Conseils des ministres sont très majoritairement masculins et blancs. Et alors que les flux de migration sont « sous le contrôle serré de l’État […], les principaux lieux de prise de décision demeurent encore inaccessibles aux personnes issues de ce flux, même après plusieurs générations »22. Ainsi, l’exercice professionnel de la politique semble encore réservé à une élite sociale, blanche et masculine. Ce constat renvoie au concept de la fabrique de l’entre-soi, qui se définit comme une « production renouvelée d’un ordre du genre toujours fondé sur la différenciation des catégories de sexe qui empêche les entrantes de construire une identité gouvernante et de subvertir les logiques de fonctionnement du champ politique »23.

Les données abordées précédemment illustrent une sous-représentation des femmes qui est également conceptualisée par la littérature avec la notion de plafond de verre (glass ceiling). Ce concept désigne l’inaccessibilité pour certaines catégories de personnes à certains niveaux hiérarchiques. Plus précisément, il s’agit d’une « barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder aux hautes sphères du pouvoir, des honneurs et des rémunérations »24. Dans cette définition, il s’agit spécifiquement des femmes, mais ce concept concerne également les Autochtones, les minorités visibles25, les personnes vivant une situation de handicap ou encore les personnes issues de la communauté LGBTQIA +. Mais précisons tout de même que les femmes ne sont pas un groupe minoritaire dans la société car elles en constituent la moitié.

D’autres autrices comme Farida Jalalzai ont analysé la question du plafond de verre dans un contexte politique. Dans son texte Women Rule: Shattering the Executive Glass Ceiling, l’autrice examine l’ensemble des cas des femmes présidentes et des premières ministres entre les années 1960 et 2007 afin d’explorer les liens genrés entre postes de pouvoir et autorité, entre pouvoir et indépendance. Alors qu’aux États-Unis en 2008 (et plus tard en 2016) une femme nommée Hillary Clinton est plus proche qu’aucune autre femme avant elle d’accéder à la présidence étasunienne, d’autres ailleurs ont déjà brisé le plafond de verre au Libéria, en Allemagne et au Chili26. Pour l’autrice, les facteurs institutionnels sont centraux pour comprendre la représentativité et l’accession des femmes au pouvoir. Les différences entre le poste de président ou de premier ministre ferait en sorte que les femmes ont plus de chance d’être élues lorsqu’elles se présentent pour le second, car « une Première ministre qui partage le pouvoir avec un parti est plus souvent vue comme tolérable »27.

Les idéologies genrées sont alors également à prendre en compte.

Pourquoi vouloir plus de femmes en politique?

Le constat est clair : là où est le pouvoir, les femmes, les minorités visibles et les Autochtones sont sous représenté·es, et la sphère politique se garde bien de montrer l’exemple. Pourtant, des décisions sont prises par le gouvernement en place pour l’ensemble de la population. Ainsi, il semblerait juste que celui-ci soit représentatif du groupe qu’il représente, qu’il s’agisse des questions de sexe et de genre, de l’origine ethnique et de la classe sociale. Il faut également souligner le fait que les femmes ne sont pas un groupe homogène et elles se distinguent à de nombreux égards. Pourtant, certaines politiques publiques touchent l’ensemble d’entre elles (par exemple : l’avortement, l’accès à la contraception, etc), et touchent également directement ou indirectement les hommes. Alors, est-ce que les intérêts des femmes sont mieux représentés quand plusieurs d’entre elles occupent des postes ministériels clés? L’histoire nous montre qu’il est déjà arrivé à des femmes membres de partis politiques différents de s’allier afin de faire voter des lois qui vont dans le sens des revendications des mouvements féministes. Dans un de ses rapports, le Conseil du statut de la femme souligne comme exemple à ce phénomène la Loi sur le patrimoine familial (1989), la Loi sur la perception automatique des pensions alimentaires (1995) et la Loi sur l’équité salariale (1996)28.

Ensuite, alors que l’on parle de sous-représentation, il est aussi question des différents types de représentation. Il y a d’abord la représentation descriptive qui prend en compte les caractéristiques des individus élus et non leurs actes. Ainsi, lorsque l’on parle de parité à 50 %, c’est parce qu’il s’agit du pourcentage moyen de femmes dans la population. Ici intervient alors un argument d’égalité et de justice. Puisque la population québécoise est bien composée à moitié de femmes, il serait juste que celles-ci soient équitablement présentes dans les instances de pouvoir. Ensuite, il y a la représentation substantive des femmes qui réfère « aux opinions exprimées et aux actions posées par les législatrices afin de changer et d’améliorer les expériences collectives des femmes »29. Et qui dit amélioration collective pour les femmes, dit amélioration pour la société québécoise dans son ensemble. Enfin, la représentation symbolique correspond à l’impact que peut avoir une certaine catégorie de personnes élues sur la population. Par exemple, l’hypothèse selon laquelle la présence des femmes dans la sphère politique pourrait encourager d’autres femmes à présenter leur candidature, à s’impliquer politiquement, peut être émise, idem pour les minorités visibles et les Autochtones. 

Alors, à la question « pourquoi plus de femmes en politique? » une réponse simple pourrait être énoncée : pour plus d’équité et de justice sociale. Et il en est de même pour les minorités visibles et les Autochtones. En effet, sans vouloir tomber dans le jeu du débat sur le multiculturalisme qui fait encore rage dans les colonnes de certains journaux, et qui est toujours d’actualité au Québec, les statistiques réalisées au Canada prouvent que le Québec est une société plurielle avec 12,96 % de minorités visibles dans l’ensemble du Québec et 34,18 % à Montréal30. D’ailleurs, les critiques vives et les réactions parfois même racistes suite à la candidature d’Ève Torres, qui aurait été la première femme voilée à se présenter aux élections provinciales si elle l’emportait dans la nouvelle circonscription de Mont-Royal-Outremont, cristallisent le malaise d’une partie de la population québécoise sur la question intersectionnelle entre genre et diversité.

Quelques pistes de solutions ?

À l’exemple de nombreux États dans le monde, des mesures incitatives ont été mises en place au Québec, au niveau gouvernemental, partisan et sociétal. Parmi celles-ci, nous pouvons citer les tentatives de réformes, d’abord en octobre 2002, avec une proposition de la Commission des institutions pour un mode de scrutin proportionnel qui pourrait être le moyen d’avoir davantage de femmes à l’Assemblée nationale31. Également, le Comité directeur sur la réforme des institutions démocratiques qui, lors d’une première tentative de réforme du mode de scrutin dans les années 2000, a publié un rapport contenant plusieurs recommandations pour améliorer la représentation des femmes en politique. On suggère par exemple la création d’un fond privé pour soutenir les femmes dans leur entrée en politique, la mise en place d’un système de remboursement bonifié des dépenses électorales pour un parti qui, suite à une élection générale, compte au moins 30 % de femmes dans sa députation, jusqu’à atteindre 50 % de représentation féminine, et la reconduction du programme « À égalité pour décider » avec l’augmentation de ses ressources financières32. Il s’agit d’une liste non exhaustive de propositions et de tentatives de réformes, et jusqu’à maintenant, seule la prolongation du programme « À égalité pour décider » semble avoir franchi le filet33.

Du côté des partis politiques, des comités de femmes ont été créés afin de favoriser la présence féminine dans les partis. Le Parti libéral du Québec, par exemple, a eu, entre 1950 et 1971, une structure nommée la « Fédération des femmes libérales du Québec », avant que celle-ci vote pour être intégrée à la structure du parti contre 50 % des votes au congrès plénier annuel, et 20 % du vote dans les autres instances du parti34. De son côté, le Parti québécois a eu un comité d’action politique des femmes jusqu’en 2011, et une représentation minimale des femmes est garantie au conseil exécutif du parti par 4 postes de conseillères sur les 8 postes de conseillères et conseillers. Enfin, Québec solidaire assure la parité dans ses instances et tous les organes nationaux du parti doivent être composés de femmes et d’hommes à part égale, idem pour les comités de coordination locale, pour les élections générales, ainsi que pour les porte-paroles qui doivent en tout temps être un homme et une femme.

Au niveau de la société, un des organismes principaux qui travaille sur la représentation des femmes en politique est le Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), dont la mission est notamment l’éducation à la population et à l’action citoyenne et démocratique, ainsi que la promotion d’une plus grande participation des femmes à la vie politique35. Il faut souligner l’existence d’un Secrétariat à la condition féminine, dont le plus récent plan d’action met l’accent sur une plus grande participation des femmes aux instances officielles. De son côté, le Conseil du statut de la femme produit des mémoires sur les questions qui sont déposées en commissions parlementaires, mémoires qui demandent des mesures concrètes pour la représentation des femmes en politique.

La France est le premier pays à avoir mis en place une loi parité, la loi du 6 juin 2000, mais elle ne semble pas être la panacée pour plus d’égalité dans la sphère politique. Tout d’abord, selon l’analyse de Mariette Sineau, l’avènement de la Cinquième République en France en 1958 représente pour les femmes « la fin des grandes espérances politiques et le début d’une longue traversée du désert »36. Elle soulève que les femmes vont être pénalisées par le scrutin uninominal, « un système qui personnalise l’élection et favorise les notables en place »37. Cela se vérifie notamment par le fait que, durant les vingt premières années (1958-1978) de la Cinquième République, les femmes sont une minorité d’environ 2 % à siéger à l’Assemblée nationale38. Et même l’élection d’un parti de gauche socialiste en 1981, après vingt-trois ans de gouvernements de droite, n’inverse pas la tendance et l’Assemblée nationale est toujours à très grande majorité composée d’hommes39. La loi du 6 juin 2000 surnommée « loi sur la parité », bien que ce mot n’y figure pas officiellement, entraîne dans son sillon une augmentation de la proportion totale de candidates qui passe de 23,2 % en 1997 à 39,3 % en 2002, et pourtant, la parité est loin d’être atteinte40. Au niveau des élections législatives, cette loi n’a rien de contraignant, car seulement incitative, et les partis qui ne présentent pas 50 % de candidates se voient alors imputer une retenue financière41. À ce propos, l’autrice souligne que :

« […] dans un mode de scrutin qui privilégie les notables, les grands partis ont préféré payer des amendes, même lourdes, plutôt que féminiser leurs investitures, surtout les « bonnes ». Au terme d’un calcul non dénué de cynisme, ils ont parié que le nombre d’élus obtenu (à partir desquels est calculée la seconde fraction de l’aide publique) rapporterait davantage que ce que coûteraient les pénalités financières pour non-respect de la parité des candidatures42. »

Parce que nous sommes en 2018!

Dans le cadre de l’élection provinciale de 2018, Le Devoir43 avait mis en place une vigie parité afin de vérifier en un coup d’œil le taux de candidatures féminines dans chaque parti. Voici les pourcentages finaux pour un total de 47,2 % de candidates par ordre croissant44 : le Parti québécois avait 40,80 % de candidatures féminines, le Parti libéral du Québec avait 44 % de candidatures féminines, la Coalition avenir Québec avait 52 % de candidatures féminines, une première quand on sait que le parti ne comptait que 23 % de candidates en 2014, et arrivait donc à égalité avec Québec Solidaire qui comptabilise également 52 % de candidatures féminines et une candidature non-genrée45.

Lors de cette élection, 52 femmes ont été élues, ce qui constitue un record dans l’histoire politique québécoise, représentant ainsi 41,6 % des députés avec 28 d’entre elles (pour 74 député·es) sous le drapeau de Coalition avenir Québec, 16 pour le Parti libéral (pour 31 député·es), 5 pour Québec solidaire (pour 10 député·es) et 4 pour le Parti québécois (pour 10 député·es). Un contraste notable quand on sait qu’elles étaient seulement 34 femmes élues à l’Assemblée nationale en 2014. De plus, François Legault avait fait une promesse : s’il était élu, son cabinet serait paritaire. Le 18 octobre 2018, cette promesse est tenue avec un conseil de 26 ministres composé de 13 femmes et de 13 hommes. À noter que c’est une femme, Geneviève Guilbeault, qui est choisie en tant que vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, qui est un portefeuille très important. Le trio économique lui, par contre, est exclusivement masculin.

Bien qu’on soit encore loin d’une représentation fidèle de la société québécoise, ce nouveau gouvernement compte davantage de personnes élues issues de la diversité. Une progression qui est, selon un article du Devoir, dû à « un plus grand nombre de candidat[·e]s de toutes origines dans le bassin des 500 candidat[·e]s présenté[·e]s par les quatre principaux partis »46 avec davantage de minorités visibles que par le passé pour la Coalition avenir Québec. L’autre avancée relevée par Le Devoir est la présence de candidat·es de la diversité dans des circonscriptions en région, ce qui est une nouveauté, notamment les deux candidat·es caquistes Olive Kamanyana, dans Pontiac, et Mathieu Quenum, dans Matane-Matapédia. En contraste, moins de 24 heures après l’annonce de la composition de son cabinet, François Legault s’est emparé du « dossier de la laïcité », s’attirant ainsi les foudres de l’élu montréalais Jim Beis, qui s’oppose au projet d’interdiction des signes religieux dans la fonction publique du nouveau gouvernement47. Il est également à relever que les Autochtones sont absent·es du gouvernement.

Conclusion

Cette dernière élection provinciale semble représenter un avancement, davantage sur la question de la parité que de la diversité en politique. Malgré tout, il est indispensable de rester alerte et de garder l’œil ouvert lors d’éventuels remaniements ministériels, lors des prochaines élections, mais aussi et surtout sur les projets politiques du nouveau gouvernement caquiste majoritaire. Concernant la parité, l’exemple de la France illustre que la mise en place de quotas, bien qu’accompagnée de mesures financières punitives, ne peut être suffisante. Du côté québécois, les efforts sont visibles, mais intègrent davantage les femmes blanches que toute autre catégorie dans ses plus hautes sphères décisionnelles. Et bien que les formulaires de recensement et d’autodéclaration fassent partie de la politique statistique canadienne et québécoise, il n’existe pas de données sur la diversité dans la fonction publique et sur les élu·es. À travers les différents points de cet article, nous avons traversé une partie de l’histoire politique québécoise et un fait semble à retenir : la cause paritaire avance certes depuis les années 1990, mais elle avance encore trop difficilement, et les reculs ne sont pas impossibles, tel qu’illustré par les données quantitatives sur le sujet depuis les deux dernières décennies. Le travail semble alors immense tant il s’agit de changer toute une culture politique qui est bâtie par et pour le masculin, depuis des siècles. Bien heureusement, les mobilisations et les luttes féministes continuent… pour un Québec plus juste et équitable. 

CRÉDIT PHOTO: Ozinoh -FLICKR

1 Julie Champagne et Audrée-Anne Lacasse, septembre 2015, La parité en politique, c’est pour quand?, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec. www.csf.gouv.qc.ca/speciale/femmes-en-politique/

2 Josiane Lavallée, 27 mars 2015, « Claire Kirkland-Casgrain », Encyclopédie canadienne. www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/claire-kirkland-casgrain/

3 Rosalie Readman, 2014, Femmes et politique : facteurs d’influence, mesures incitatives et exposé de la situation québécoise, Directeur général des élections du Québec, Collection Études Électorales, Gouvernement du Québec. www.electionsquebec.qc.ca/documents/pdf/DGE-6350.12.pdf

4 Andrée-Anne Lacasse, Sarah Jacob-Wagner et Félicité Godbout, 2015, Les femmes en politique : en route vers la parité, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec. www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_femmes_et_politique_web2.pdf

5 Ibid.

6 Magali Paquin, 2010, « Le profil sociodémographique des ministres québécois : une analyse comparée entre les sexes », Recherches féministes, vol.23, no.1, pp.123-141. dx.doi.org/10.7202/044425ar

7 Cette section a été ajoutée au tableau original afin de clarifier la comparaison avec le tableau suivant.

8 Les remaniements ministériels survenus entre les élections générales ne sont pas indiqués. Voir le Site officiel de l’Assemblée nationale : www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/ministrescabinets.html

9 Les changements de députation pendant la législature sont précisés sur le Site officiel de l’Assemblée nationale : www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/femmes1.html

10 Melanee Thomas, Marc-André Bodet, 2013, « Sacrificial lambs, women candidates, and district competitiveness in Canada », Electoral Studies, vol.32, no.1, p.163. doi.org/10.1016/j.electstud.2012.12.001

11 Manon Tremblay, 2008, « Des femmes candidates dans des circonscriptions compétitives : l’exemple du Québec », Swiss Political Science Review, vol. 4 no.4, pp.691–714. doi.org/10.1002/j.1662-6370.2008.tb00117.x

12 Ibid, pp.706-707.

13 Naël Shiab, 22 août 2018, « Voici pourquoi plus de femmes devraient se lancer en politique », Radio-Canada. ici.radio-canada.ca/special/2018/elections-quebec/candidatures-femmes-hommes-chances-elues-ministre-politique/index.html

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Ibid.

17 Caterine Bourassa-Dansereau, Laurence Morin, Marianne Théberge-Guyon et Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie, 2018, « Les représentations médiatiques des femmes aux élections municipales », Plus de femmes en politique ? Les médias et les instances municipales, des acteurs clés!, Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal et Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie, Montréal et Longueuil. tcgfm.qc.ca/download/Representations-Mediatiques-Femmes-Elections-Municipales-Rapport

18 Ibid, p.20.

19 Magali Paquin, op. cit.

20 L’article se concentre sur la question du genre mais il semble impossible d’occulter la question de la race (comme construit social), qui est tout aussi primordiale, bien qu’il soit question d’enjeux complexes qui mériteraient bien plus que de partielles citations dans un article. De plus, la binarité femmes-hommes est omniprésente dans la littérature scientifique sur la parité en politique, et il s’agit d’un angle mort qui doit être relevé, et ce, également dans cet article.

21 Malinda Smith, 2017, « Discilipary silences : race, indigeneity, and gender in the social sciences », dans Frances Henry, Enakshi Dua, Carl E. James, Audrey Kobayashi, Peter Li, Howard Ramos et Malinda S. Smith (dirs.) Equity Myth, Racialization and Indigeneity, UBC Press, Vancouver, p.243.

22 Sid Ahmed Soussi, 2011, « Diversité ethnoculturelle et conflictualité sociale. Enjeux identitaires ou politiques? », dans Micheline Labelle, Jocelyne Couture et Frank W. Remiggi (dirs.) La communauté politique en question, Regards croisés sur l’immigration, la citoyenneté, la diversité et le pouvoir, Presses de l’Université du Québec Québec, p.223.

23 Catherine Achin et Sandrine Lévêque, 2014, « La parité sous contrôle: Égalité des sexes et clôture du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no.4, p.119. doi.org/10.3917/arss.204.0118

24 Laure Bereni, Catherine Marry, Sophie Pochic et Anne Revillard, 2011, « Le plafond de verre dans les ministères : regards croisés de la sociologie du travail et de la science politique », Politiques et Management Public, vol.28, no.2. journals.openedition.org/pmp/4141

25 Il est question ici du terme de minorités visibles tel que défini par Statistiques Canada, : « Il s’agit de personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche. Il s’agit de Chinois, de Sud-Asiatiques, de Noirs, de Philippins, de Latino-Américains, d’Asiatiques du Sud-Est, d’Arabes, d’Asiatiques occidentaux, de Japonais, de Coréens et d’autres minorités visibles et de minorités visibles multiples. », sur www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-004-x/def/4068739-fra.htm

26 Farida Jalalzai, 2008, « Women Rule: Shattering the Executive Glass Ceiling », Politics & Gender,  vol.4, no.2, p.206. doi.org/10.1017/S1743923X08000317

27 Ibid, p.210 (traduction libre).

28 Andrée-Anne Lacasse, Sarah Jacob-Wagner et Félicité Godbout, op. cit. p.25. www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_femmes_et_politique_web2.pdf

29 Manon Tremblay, 2007, « Democracy Representation and Women : A Comparative Analysis », Democratization, vol.14, no.4, pp.533-553. doi.org/10.1080/13510340701398261

30 Ces pourcentages ne prennent pas en compte les Autochtones qui sont considérés comme un groupe différent. Statistique Canada, 24 avril 2018, « Minorités visibles », Recensement de la ville de Montréal, Profil du recensement 2016www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/prof/details/page.cfm?Lang=F&Geo1=CSD&Code1=2466023&Geo2=PR&Code2=24&Data=Count&SearchText=Montreal&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=Visible%20minority&TABID=1

31 Rosalie Readman, op. cit.

32 Ibid.

33 Il est à noter qu’aucune information récente sur ce programme n’a pu être trouvée en ligne. Dans un appel à projets en matière d’égalité femmes-hommes pour 2017, le Secrétariat à la condition féminine fait une proposition en continuité des objectifs du programme « À égalité pour décider ».

34 Rosalie Readman, op. cit.

35 Groupe Femmes, Politique et Démocratie, consulté en août 2018, http://gfpd.ca/qui-sommes-nous/le-groupe

36 Mariette Sineau, 2002. « La parité en peau de chagrin ou la résistible entrée des femmes à l’Assemblée nationale ». Revue Politique et Parlementaire, no.10209-1021, p.1.

37 Loc. cit.

38 Ibid, p.10.

39 Ibid, p.1.

40 Ibid, p.2.

41 Pour plus de détails : Journal Officiel de la République Française, 7 juin 2000 : haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/JO_Loi_du_6_juin_2000.pdf

42 Mariette Sineau, op. cit.

43 Le Devoir, 2018, « Vigile parité », Le Devoir, Montréal, consulté le 15 août 2018. www.ledevoir.com/documents/special/18-03_vigile-parite-elections/index2_04-06-18.html

44 Guillaume Bourgault-Côté, 11 septembre 2018, « Vigie parité finale : 47,2 % de candidates », Le Devoir, Montréal. www.ledevoir.com/politique/quebec/536530/vigie-parite-finale-47-2-de-candidates

45 Guillaume Bourgault-Côté, 5 juin 2018, « « Vigie parité « , 12e mise à jour: la candidature non genrée d’Hélène Dubé », Le Devoir, Montréal.  www.ledevoir.com/politique/quebec/529507/ni-candidate-ni-candidat

46 Lisa-Marie Gervais, 4 octobre 2018, « Plus de diversité à l’Assemblée nationale », Le Devoir, Montréal. www.ledevoir.com/societe/538298/elections-plus-de-diversite-mais-pas-enc…

47 Pierre-André Normandin, 9 octobre 2018, « Un élu montréalais dénonce les politiques « racistes » de la CAQ », La Presse, Montréal. www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/201810/09/01-5199549-un-elu-montrealais-denonce-les-politiques-racistes-de-la-caq.php