Les cours d’autodéfense féministe sont en expansion à Montréal, remportant l’intérêt de femmes qui veulent apprendre à se défendre contre les agressions. À travers des ateliers d’une journée, le Centre de prévention des agressions de Montréal enseigne des techniques d’autodéfense corporelles et verbales. L’Esprit Libre a participé à l’un de ces cours, et rencontré les participantes.
C’est un samedi matin que certaines attendaient avec impatience. Dans une salle communautaire du Centre-Sud, une douzaine de femmes s’installent sur les chaises qui ont été disposées en cercle. Le Centre de prévention des agressions de Montréal (CPAM) offre ce jour-là l’un de ses cours d’autodéfense par et pour des femmes. Le but est de fournir aux participantes des outils pour se protéger des agressions, qu’elles soient verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles. Dans la salle, des regards intrigués et enthousiastes s’échangent jusqu’à l’arrivée des deux animatrices. Le cours d’auto-défense féministe peut alors commencer.
Lors du tour de présentation, les participantes se présentent, révélant une grande diversité d’âges et d’origines. Pour la coordonatrice du programme Beatriz Muñoz, cela montre que « la violence faite aux femmes arrive partout. » Les participantes expliquent également ce qui les ont motivées à s’inscrire. Certaines sont venues par curiosité, ou par besoin de se sentir plus en sécurité. Elles préparent parfois un voyage, ou alors viennent d’arriver à Montréal.
D’autres se présentent ici à la suite d’une agression. C’est le cas d’Amanda*, qui a ressenti le besoin d’apprendre à se défendre après avoir subi une tentative d’agression dans un lieu public. Elle s’est mise à la recherche d’un cours pour assimiler les bases de l’autodéfense, « pour ne pas rester comme ça si ça [lui] arrivait une autre fois. » De son côté, Leïla* a été référée par sa travailleuse sociale après une agression physique. « Quand elle m’en a parlé, j’ai tout de suite dit oui. »
Les participantes rencontrées n’avaient jamais entendu parler d’autodéfense féministe auparavant, et entretenaient quelques a priori sur la discipline. Amanda pensait que l’atelier s’adressait avant tout aux victimes d’agressions physiques, ce qu’elle a rapidement déconstruit en voyant que les motivations des participantes étaient diverses. « J’aurais aimé venir sans qu’il m’arrive ce qu’il m’est arrivé », confie-t-elle après coup. De son côté, Leïla avait des appréhensions au niveau physique. Ne s’estimant pas « en très bonne forme », elle ne pensait pas que le cours serait « à la portée de tout le monde. »
L’autodéfense féministe est encore « marginale, même si ça existe depuis très longtemps », rapporte Beatriz Muñoz. La discipline émerge en effet au début du XXe siècle, lorsque les suffragettes s’entraînent au jujitsu pour se défendre des violences policières. Après un temps d’oubli, l’autodéfense est popularisée à nouveau par les mouvements féministes de la deuxième vague.
Se défendre physiquement
Après un temps de discussion et d’information, les animatrices du cours de samedi invitent les personnes présentes à se lever. C’est le moment de s’entraîner à l’autodéfense physique. Dans un premier temps, les participantes apprennent à donner différents coups avec leur pied, leur talon, leur genou, ou encore leur main. Par la suite, elles prennent connaissance des zones sensibles du corps de l’agresseur à cibler : tibias, parties génitales, abdomen, tempes… En cas d’agression, la loi canadienne prévoit que la victime puisse se défendre avec une « force raisonnable », lui permettant de se mettre en sécurité.
Pour intégrer les techniques, les animatrices mettent les participantes face à des situations imaginaires. Une personne qui les bloque contre un mur, qui s’allonge sur elles, qui leur tient les bras… Les participantes doivent choisir le coup et la cible les plus efficaces dans le contexte en question, et s’effectuer. Le tout accompagné d’un « cri de pouvoir », visant à créer un effet de surprise et à s’affirmer. Au début timides, les coups et les cris s’affirment progressivement, laissant place à l’enthousiasme ou la colère des participantes.
« On a tendance à penser que les femmes ne sont pas capables d’agir », remarque Beatriz Muñoz. Le CPAM vise justement à montrer à ses usagères que la technique peut primer sur la force, permettant aux victimes de riposter contre des corps plus imposants qu’elles. « Toutes les femmes et les adolescentes sont capables de se défendre, il suffit de développer des moyens », est-il écrit sur le dépliant du programme. De cet apprentissage physique, Leïla retient que « nous, les femmes, on est capables de se défendre. »
Riposter par la parole
Vient ensuite le temps de l’autodéfense verbale. « Quand on parle de se défendre, tout le monde pense à frapper », fait remarquer Beatriz Muñoz. Pourtant, les stratégies verbales sont une « partie essentielle de l’autodéfense féministe », et peuvent servir dans de nombreuses situations de harcèlement ou d’agression. En apparence, cela paraît simple : dire non, faire une scène, nommer le problème ou encore utiliser l’humour. En pratique, peu avaient déjà eu le courage de le faire. « Pourquoi je n’y ai jamais pensé avant ? », se demande Leïla, qui estime que « notre société joue vraiment un rôle là-dedans. » S’imposer pour refuser une situation désagréable va à l’encontre des « affaires intégrées par les femmes », qui veulent que « l’on plaise et que l’on soit douces », corrobore Beatriz Muñoz.
Après avoir listé et illustré les différentes stratégies verbales, les animatrices instaurent des jeux de rôles pour que les participantes puissent se pratiquer. Une blague déplacée lors d’un repas de famille, un collègue qui insiste pour prendre un verre, un inconnu qui les suit dans la rue ou qui les touche dans le métro… Les participantes usent d’une imagination débordante pour contrer ces situations avec les mots, comme en dénonçant la scène publiquement, ou en donnant un ordre autoritaire à l’agresseur. « Juste avec la parole, on peut arrêter une personne », s’enthousiasme Amanda.
Des agressions de natures multiples
Le cours d’autodéfense du CPAM vise également à sensibiliser les usagères à la diversité des agressions qui existent. Si elles peuvent être physiques et sexuelles, les agressions sont aussi psychologiques et verbales. Banalisées, elles ne sont parfois pas conscientisées comme telles par les victimes, comme les propos discriminatoires, le gaslighting, ou le harcèlement moral. « Lors du cours, j’ai réalisé que certains moments que j’avais vécus étaient en fait des agressions », relate Amanda. L’autodéfense verbale trouve alors toute sa pertinence pour riposter à des situations qui jouent sur l’intégrité psychologique, et non physique, de la victime.
L’imaginaire collectif entretient aussi le stéréotype de l’agression comme étant le fait d’un inconnu armé dans une ruelle sombre, expliquent les animatrices. En réalité, « la majorité des agressions sont commises par des gens qu’on connaît, dans des endroits qu’on connaît », relate Beatriz Muñoz. L’Institut national de santé publique du Québec estime que plus de 8 victimes sur 10 connaissent leur agresseur sexuel. Prendre conscience que les agressions parviennent aussi dans le contexte privé permet de développer le potentiel d’autodéfense des participantes, car « riposter devant quelqu’un qu’on connaît est beaucoup plus difficile. »
Un espace de solidarité
Sur le plan émotionnel, suivre cette formation en autodéfense n’est pas toujours évident pour les femmes présentes. « La nuit suivant le cours, j’ai fait beaucoup de cauchemars », raconte Leïla. Les discussions et les activités peuvent effectivement faire ressurgir des mauvais souvenirs. Les animatrices veillent alors à créer un espace d’écoute et d’empathie, et laissent à chacune le choix de participer. « J’ai trouvé qu’elles avaient les bons mots », remarque Amanda. Même observation pour Leïla, qui a grandement apprécié l’approche employée avec celles qui avaient été victimes d’agressions.
L’empathie émane également du groupe de participantes, qui a développé une solidarité tout au long de la journée. « Les dames qui étaient là, on a l’impression que c’étaient des sœurs », confie Leïla. « On a entendu les récits de chacune, on s’est ouvertes aux autres. » En tant que survivante d’une agression, Leïla souligne la force et la qualité de ce moment partagé.
De cet atelier, les participantes en ressortent avec une confiance décuplée. « Je sais maintenant que je suis capable de me défendre », nous confie Leïla. « Mon agresseur ne peut plus rien faire contre moi. » De son côté, Amanda « encourage toutes les femmes à faire ce cours », pas seulement pour apprendre à se défendre, mais aussi pour écouter les récits d’autres femmes. Après ce samedi formateur, elle poursuivra l’entraînement pour intégrer les techniques apprises. « L’idée est de continuer et de ne jamais arrêter. »
*Les prénoms ont été changés pour conserver l’anonymat des participantes.