Les banques alimentaires confrontées à l’explosion de la demande d’aide

Les banques alimentaires confrontées à l’explosion de la demande d’aide

Un million de demandes d’aide alimentaire sont comblées chaque mois par les organismes communautaires montréalais. Dans un nouveau rapport publié aujourd’hui, Moisson Montréal révèle des chiffres records sur l’insécurité alimentaire, traduisant la précarisation de la population. Dans ce contexte, les banques alimentaires deviennent la nouvelle épicerie d’un nombre grandissant de Montréalais.e.s.

« Venir ici faire l’épicerie, ça m’aide énormément ». Claude* est un usager régulier de l’épicerie solidaire MultiCaf située dans le quartier Côte-des-neiges. Pour un montant de 7$, il peut se procurer des fruits et légumes, de la viande et des produits laitiers. Originaire du Cameroun, Claude étudie à Polytechnique, tandis que sa femme occupe un emploi. Malgré des revenus réguliers, le couple ne parvient pas à subvenir entièrement à ses besoins alimentaires et à ceux de ses deux jeunes enfants.

Les organismes communautaires montréalais comblent chaque mois près d’un million de demandes d’aide alimentaire. À travers des épiceries solidaires ou des distributions de paniers, ils permettent à une population grandissante de se nourrir. La demande connaît aujourd’hui des sommets records, en augmentation de 76% depuis la pandémie. Cette situation « alarmante » est révélée par Moisson Montréal dans son Bilan-Faim 2024[i], qui compile les données de près de 300 organismes de soutien alimentaire.

Sur le terrain, l’augmentation de la demande est flagrante. « C’est le jour et la nuit », relate Jean-Sébastien Patrice, directeur général de MultiCaf. Avant la pandémie, l’organisme situé à Côte-des-neiges aidait 1200 personnes par mois. Aujourd’hui, c’est plus de 10 000 personnes vulnérables qui s’alimentent au travers de ses services. Même son de cloche du côté du Plateau-Mont-Royal. À la banque alimentaire Vertical, les files d’attente pour récupérer un panier de denrées se sont considérablement allongées. D’un seul jour de distribution, l’organisme est passé à trois, qui ne suffisent pas toujours à combler les besoins, selon le gestionnaire José Alberto Marroquin.

Des bénévoles préparent la distribution des paniers à la banque alimentaire Vertical - crédit Charline Caro

Des bénévoles préparent la distribution des paniers à la banque alimentaire Vertical – crédit Charline Caro

Coût de la vie

Depuis 2019, le nombre de bénéficiaires du dépannage alimentaire a plus que doublé[ii]. Le principal facteur de cette demande accrue serait le coût de la vie, de plus en plus difficile à assumer. « De nombreux ménages peinent à joindre les deux bouts et sont contraints de se tourner vers les banques alimentaires de quartier », peut-on lire dans le rapport de Moisson Montréal. À MultiCaf, les personnes usagères témoignent de cette pression financière. Claude nous confie qu’une fois payés le « loyer et la garderie des enfants, il ne reste plus grand-chose » pour faire l’épicerie. Même pression pour Salma*, qui bénéficie de l’aide sociale : « tu dois payer le loyer, le transport, l’électricité… et après seulement tu dois manger ».

Les budgets serrés n’ont toutefois plus leur place dans les épiceries commerciales. En un peu moins de trois ans, le prix d’un panier d’épicerie équilibré a augmenté de 28%[iii]. « C’est presque un luxe de faire une épicerie adéquate en 2024 », s’indigne Mr. Patrice. Le directeur de MultiCaf pointe du doigt des prix démesurés, en grande déconnexion avec la réalité économique d’une partie de la population. « Il n’y a pas de contrôle sur les prix des produits, c’est le Far West ».

Une diversification des profils

Celles et ceux qui ne peuvent plus assumer les coûts de l’épicerie se tournent ainsi vers les banques alimentaires, qui se démocratisent. « Auparavant, on desservait seulement un noyau dur de mille personnes très vulnérables, qui faisaient face à des troubles d’itinérance ou de santé mentale », se rappelle Mr. Patrice. Ces dernières années, les profils de bénéficiaires se sont grandement diversifiés, avec de plus en plus d’étudiant·e·s, de demandeur·se·s d’asile, et de familles, selon le Bilan-Faim 2024.

L’aide alimentaire s’adresse désormais à des personnes aux situations socio-économiques multiples. « Il y a des gens qui viennent ici et qui travaillent 40 heures par semaine », observe Mr. Marroquin. Le gestionnaire de l’organisme Vertical nous parle à titre d’exemple d’une famille résidant sur le Plateau-Mont-Royal, avec un « bon revenu », qui sollicite tout de même leur aide car « elle n’a plus les ressources pour acheter de la nourriture ». Selon le rapport de Moisson Montréal, une personne sur cinq qui bénéficie l’aide alimentaire occupe un emploi.

L’insécurité alimentaire demeure associée aux personnes très marginalisées, amenant parfois « un sentiment de honte à aller chercher de l’aide », selon Mr. Patrice. Même constat pour Mr. Marroquin : « je connais des personnes qui n’osent pas venir », craignant qu’on pense « qu’elles n’ont pas d’argent ». Pour normaliser la situation, MultiCaf a mis sur pied un dépannage alimentaire qui s’apparente à une épicerie commerciale. « Sélectionner ses produits, aller à la caisse, donner un petit montant », rend la situation plus acceptable selon le directeur. Les organismes cherchent également à créer des lieux d’échanges et de soutien. Les bénéficiaires rencontrés apprécient « l’ambiance » et les « gens sympas », selon les termes de Claude et Salma.

Une usagère à la caisse de l’épicerie solidaire de MultiCaf, située à Côte-des-neiges - crédit Charline Caro

Une usagère à la caisse de l’épicerie solidaire de MultiCaf, située à Côte-des-neiges – crédit Charline Caro

Une solution peu durable

Pour les bénéficiaires, les banques alimentaires ne sont toutefois pas une solution d’alimentation viable sur le long-terme. La contrainte de temps et de déplacement est importante, les bénéficiaires devant parfois se rendre dans plusieurs organismes de la métropole pour se nourrir convenablement. Il y a ensuite une contrainte de consommation, le choix des denrées reste limité et les bénéficiaires ne peuvent pas toujours manger selon leurs préférences alimentaires culturelle. « Les repas d’où je suis originaire me manquent énormément », nous confie Claude, qui irait dans des épiceries africaines s’il en avait les moyens.

Du côté des organismes, il n’est pas non plus envisageable de subvenir durablement au million de demandes d’aide mensuelles. « Présentement, c’est invivable pour des ressources comme la nôtre parce que c’est beaucoup trop gros », alerte le directeur de MultiCaf. Selon lui, les organismes communautaires sont tout autant en « mode survie » que leur clientèle. Durant l’exercice 2023-2024, 11 organismes de soutien alimentaire ont dû fermer leurs portes devant les « défis accrus » apportés par l’explosion de la demande, selon Moisson Montréal[iv]. Parmi les organismes toujours sur pied, un sur trois doit refuser des personnes en raison d’un manque de denrées ou de ressources[v].

Les solutions durables se trouvent au-delà de l’aide alimentaire, qui « n’est que la pointe de l’iceberg », rappelle Mr. Patrice. « Ce n’est pas parce qu’une personne a faim et qu’on lui donne à manger que le problème est réglé ». Les organismes communautaires dispensent en effet une aide d’urgence qui ne peut enrayer profondément les facteurs de la précarisation. L’insécurité alimentaire est davantage un problème structurel, causé notamment par l’inflation, la crise du logement, le marché de l’emploi, ou la crise écologique. Si elles se veulent durables, les solutions doivent s’attaquer aux causes de la pauvreté. Moisson Montréal et ses organismes partenaires réclament ainsi l’augmentation du salaire minimum, du nombre de logements abordables, et du soutien aux nouveaux arrivants.

En attendant, Claude espère pouvoir bientôt « décrocher une job intéressante », qui lui  permettra de subvenir aux besoins de sa famille et de quitter MultiCaf. « Lambiance va me manquer c’est sûr, mais je céderais à ma place à d’autres personnes qui en ont besoin. Parce que je sais qu’il y en a beaucoup ».

*Les prénoms ont été changés pour conserver l’anonymat des personnes fréquentant les banques alimentaires, d’après leurs souhaits.


[i] Moisson Montréal, 2024. « Bilan-Faim 2024 »

[ii] Moisson Montréal, 2024. « Bilan-Faim 2024 »

[iii] Alima, 2024. « Rapport 2023-2024 sur le coût du Panier à provisions nutritif et économique de Montréal ». https://centrealima.ca/media/p1lptjld/ppne_rapportsynthese_2024.pdf

[iv] Moisson Montréal, 2024. « Rapport annuel 2023-2024 ». https://www.moissonmontreal.org/wp-content/uploads/2024/06/RAPPORT_ANNUEL_2023-2024.pdf

[v] Moisson Montréal, 2024. « Bilan-Faim 2024 »

Lutte contre les changements climatiques : sommes-nous surresponsabilisés ?

Lutte contre les changements climatiques : sommes-nous surresponsabilisés ?

Qui peut/doit sauver la planète ?

Le discours sur la décroissance qui se généralise. Les pratiques éthiques, écologiques et responsables se multiplient. Chacun adapte sa façon de vivre et modifie ses habitudes. Une remise en question louable et nécessaire, mais est-ce suffisant ?

Et si on prenait du recul sur la situation du monde pour se rendre compte que tout le monde ne fait pas ses devoirs. Le Canada pollue toujours plus et recycle toujours aussi mal, alors que l’Accord de Paris l’a engagé à des objectifs concrets. Quid des multinationales ultras pollueuses dont l’existence repose sur la croissance et le profit.

Le décalage est étourdissant : acheter bio et local versus augmenter la production de 40% de l’industrie du plastique dans la prochaine décennie.

Tout en restant pragmatique et axés sur les solutions, cet épisode tente de pousser la réflexion sur l’écoresponsabilité. Sommes-nous surresponsabilisés ?

Invité·es :

Sophie Van Neste, professeure-chercheure à l’INRS. Elle travaille notamment sur transition écologique et les actions collectives
Hugue Asselin, membre et coordonateur du Centr’ERE (Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté)
René Audet, sociologue de l’environnement et membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique

Durée : 1 heure 19 minutes

L’équipe

Marine Caleb : coanimation, recherche, communications, technique, montage, coordination
Any-Pier Dionne : technique, recherche, communications

lespritlibre.org/
facebook.com/revuelespritlibre/

Pour aller plus loin :

“Comment les industriels ont abandonné le système de la consigne. Eh bien, recyclez maintenant !”, par Gregory Chamayou, dans le Monde diplomatique

Neoliberalism has conned us into fighting climate change as individuals, par Martin Lukacs, dans The Guardian

L’avion, plaisir coupable de l’écolo voyageur, par Pascale Krémer, sur leMonde.fr

BD de l’illustratrice Emma : Elle parle de la culpabilisation ressentie et explique que notre marge de manoeuvre est très limitée, car la logique marchande domine et la société est construite par un petit nombre de personnes capitalistes. 

Elle y aborde le fait que les petits gestes du quotidien ne sont pas accessibles à tout le monde, de même que cela rajoute du poids à la charge mentale des femmes. Enfin, elle dénonce l’effet loupe. Soit le fait d’avoir l’impression que nos petites actions font la différence. Si on dézoome, c’est loin d’être suffisant. 

Why large-scale activism is the ‘most powerful path out of climate despair’, sur CBC

« Individual action simply can’t get us to zero [carbon] emissions, » he told Tapestry host Mary Hynes. « Ultimately, those efforts are marginal compared to what can be achieved through policy and through politics, and that for me is why we need to focus on those levers. »

« Our whole societies are organized around very high intensive carbon emissions and it is extremely overwhelming to try to think about these issues, to try to think about what we’re up against, » said Norgaard, who explores the subject in her book Living in Denial: Climate Change, Emotions and Everyday Life. She adds that while denial might be « a very natural response » for some, not everyone has this blind spot.

« For communities who have never benefitted, materially or symbolically, from the modern nation-states — Indigenous communities being the most clear of these — it is not so difficult to challenge these [institutions]. »

10 retombées positives de l’action contre les changements climatiques, sur Unpointcinq. Cet article aborde les effets psychologiques, sanitaires et sociaux de ces actions.