par Julien Forest | Juil 1, 2020 | Analyses
Les rues sont calmes ces derniers mois dans la communauté innue de Pessamit sur la Haute-Côte-Nord. Marie-Louise Picard, une enseignante à la retraite, est assise dans son salon et se désole de ne voir personne à l’extérieur : « Habituellement, j’ai toujours la visite de mes sœurs chez nous. […] Les gens de Pessamit sont très proches. C’est sûr que ça nous manque de sortir. Là, nous sommes bien obligé(e)s de rester [à l’intérieur], c’est pour notre bien-être. Il ne faudrait pas être malade parce que cette maladie-là, c’est quelque chose ».
Tout comme Marie-Louise Picard, le Conseil des Innus de Pessamit est conscient du danger que la pandémie de COVID-19 représente pour la communauté. Des mesures drastiques ont été imposées aux résident(e)s : une guérite a été installée à l’entrée du territoire et, jusqu’à la dernière semaine d’avril, seuls les camions qui amenaient la nourriture pouvaient entrer et sortir. Alors qu’au plus fort de la première vague de la pandémie, la population québécoise allochtone pouvait se déplacer à l’intérieur de régions délimitées par des barrages, la collectivité située à une cinquantaine de kilomètres au sud de Baie-Comeau était cloisonnée du reste du monde.
Un fossé à combler
Dès le début de la crise de la COVID-19, l’administratrice en chef de la Santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a mis en garde1 contre les risques disproportionnés de la pandémie pour les Premières Nations. Celles-ci sont particulièrement à risque face à la pandémie, notamment dû à certaines conditions médicales préexistantes comme le diabète2, qui affecte jusqu’à 26%3 de la population dans certaines collectivités. Devant l’urgence d’agir, le gouvernement fédéral a mis à la disposition de ces communautés 305 millions de dollars pour lutter contre la COVID-19 ainsi qu’un fonds additionnel de 100 millions pour du matériel médical.
Des expert(e)s doutent que cet argent parviendra à combler le fossé entre les services offerts aux populations autochtones et allochtones : « Il y a un problème fondamental de discrimination [envers les peuples autochtones], qui peut être chiffré en fonction des services qui leurs sont accordés comparativement au reste de la population » explique Renée Dupuis, sénatrice indépendante et alliée de longue date des peuples autochtones du Canada. Selon elle, cet écart dans le financement exacerbe les risques de santé pour les Premières Nations face à la COVID-19. La surpopulation « sans commune mesure » des logements fournis par les conseils de bande, qui abritent parfois plusieurs familles sous un même toit, n’est qu’une des conséquences du sous-financement qui aurait un impact sur la propagation du virus.
Quand les chiffres parlent d’eux-mêmes
À titre d’exemple de l’écart de financement des services offerts entre les communautés autochtones et allochtones, un rapport4 publié en 2016 par le directeur parlementaire du budget (DPB), Jean-Denis Fréchette, conclut un déséquilibre de centaines de millions de dollars entre le financement accordé aux écoles autochtones et celui que reçoivent les réseaux provinciaux. Selon la formule de financement de l’Ontario, entre 21 000 $ et 25 000 $ sont accordés pour chacun des élèves, soit le double des 11 500 $ accordés par le ministère des Affaires autochtones du Nord Canada.
« Quand on voit les millions [de dollars] qui sont donnés aux autochtones, on a l’impression qu’ils reçoivent énormément d’argent. L’argent n’est pas donné dans le contexte de développement durable. […] Ces sommes servent à répondre aux besoins immédiats et ne permettent pas aux communautés de penser à long terme », déplore Édith Garneau, experte en gouvernance autochtone depuis plus de 25 ans. Elle pointe du doigt le financement « à la pièce » des infrastructures et des services offerts dans les communautés comme un obstacle à la mise en place de services efficaces et durables.
Des communautés mobilisées
La communauté de Pessamit n’est pas la seule à s’inquiéter des conséquences d’une éclosion du virus parmi ses résident(e)s : « Si jamais le virus entre dans la communauté, en quelques jours, ce serait fatal » , prévient Sipi Flamand, le vice-chef du Conseil des Atikamekw de Manawan. On ne veut pas en arriver là ». Cette inquiétude est alimentée par les conséquences socio-économiques du sous-financement des Premières Nations. Avec un Centre de santé qui n’a pas les ressources d’accueillir en permanence des personnes âgées, il est fréquent que les membres des familles de Manawan agissent comme proches aidant(e)s auprès de leurs aîné(e)s, augmentant les probabilités de contamination communautaire pour cette tranche de la population déjà hautement à risque.
Pour éviter que le virus fasse son entrée à Manawan, la collectivité de 2134 résident(e)s a aussi mis en place une guérite à l’entrée de son territoire pour limiter l’accès aux centres urbains à ses résidents: « Nous devions faire cela pour assurer la sécurité des membres de la communauté. […] Les centres urbains sont un danger pour nous », affirme Sipi Flamand. Les places étant limitées au Centre de santé pour isoler de potentiels cas du reste de la communauté, les autorités de Manawan ont réquisitionné une auberge qui accueille habituellement des touristes. « Pour l’instant, personne n’y est logé », affirme le vice-chef.
Malgré la similitude des mesures mises en place à Pessamit et à Manawan, qui se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres l’une de l’autre, Sipi Flamand explique que toutes les collectivités sont indépendantes de prendre les mesures qui assurent la sécurité de leurs membres. Il précise toutefois que l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) coordonne les discussions entre les différentes communautés quant aux besoins supplémentaires que celles-ci pourraient avoir si la situation s’aggravait.
Informer pour mieux protéger
« Que ce soit dans le cas de la COVID-19 ou d’autres grandes crises, il faut que l’information puisse circuler », affirme Édith Garneau. Celle qui a travaillé avec des Premières Nations à travers le Québec estime que la communication entre les conseils de bande et leurs résident(e)s est inhérente à une gestion efficace de la crise, ce qui n’était pas toujours le cas dans le passé. « Ce qu’on voit maintenant, ce sont des communautés qui font état de la situation à presque tous les jours, explique la spécialiste. La transparence est beaucoup plus impressionnante qu’elle l’aurait été il y a 20 ans ».
Des Premières Nations à travers le Québec confirment les dires de la spécialiste: la communauté innue de Uashat située à Sept-Îles, qui dénombrait quelques cas positifs à la Covid-19 au courant du mois d’avril, diffuse plusieurs fois par semaine sur sa page Facebook des bulletins d’information sur l’évolution de la contagion. À Mashteuiatsh, une collectivité innue située aux abords du Lac St-Jean, le chef Clifford Moar fait le point sur la situation dans un bulletin radiophonique diffusé deux fois par semaine. Même son de cloche du côté de Manawan et de Pessamit, où les médias sociaux servent à tenir les résident(e)s informé(e)s sur les récents développements.
Déconfiner et avancer
La hâte des résident(e)s de Pessamit était palpable le 25 avril dernier lorsque la permission de sortir du territoire a été annoncée à partir de la semaine suivante selon des plages horaires limitées. Quelques minutes avant le début de la première plage horaire, une file de voitures attendait patiemment que la guérite libère le passage, permettant ainsi aux résident(e)s d’aller faire l’épicerie ailleurs que dans les trois dépanneurs de la communauté. Marie-Louise Picard était heureuse d’être allée dans une épicerie pour la première fois depuis des semaines : « Les gens respectaient la distanciation sociale ; je me sentais en sécurité », se réjouit-elle.
Alors que plusieurs5 se questionnent sur les conséquences à long terme de la crise actuelle, la sénatrice Renée Dupuis la voit comme un possible vecteur de changement pour la situation des communautés autochtones du Canada : « Il faut donner aux interlocuteur(trice)s autochtones les moyens de définir des objectifs à long terme et arrêter de négocier à la pièce. […] Une occasion comme cette crise peut pousser des changements en profondeur. […] L’échec de notre système tel qu’on l’a appliqué est tel que ça prend quelque chose de majeur qui nous donne une direction différente et qui s’accompagne d’un échéancier financier », insiste-t-elle. « Il faut se permettre de sortir de l’échec et donner de l’espoir », conclut la sénatrice.
La stratégie de prévention de la contagion chez les Premières Nations a été efficace jusqu’à présent au Québec : au moment de publier ces lignes, Emma Trapper de Montréal était la seule personne autochtone à être décédée de la COVID-19 et aucun décès à l’intérieur des communautés n’avait été enregistré. Les autochtones du Québec dénombrent 35 cas positifs à la COVID-19, un nombre inférieur aux cas répertoriés chez cette population en Alberta, en Colombie-Britannique, en Ontario et en Saskatchewan. Alors que le Québec est l’épicentre de la pandémie canadienne, les mesures drastiques mises en place par les Premières Nations au Québec semblent avoir bel et bien réussi à limiter la contagion de cette première vague de la pandémie.
CRÉDIT PHOTO: Flickr/ Alanah Heffez
- Kirkup, K. 2020. « ‘Are we a top priority’ : How Indigenous communities are bracing for coronavirus ». Globe and Mail. En ligne, paru le 22 mars 2020. https://www.theglobeandmail.com/canada/article-are-we-a-top-priority-how-indigenous-communities-are-bracing-for/. Consulté le 20 avril 2020.
- « COVID-19 : les risques pour les personnes vivant avec le diabète ». Diabète Québec. En ligne, paru le 7 mai 2020. https://www.diabete.qc.ca/fr/actualites/nouvelles/covid-19-les-risques-pour-les-personnes-vivant-avec-le-diabete/. Consulté le 9 mai 2020.
- B. Harris, S. et autres. 2013. « Le diabète de type 2 chez les Autochtones ». Canadian Journal of Diabetes. En ligne, paru le 1er octobre 2013. https://www.canadianjournalofdiabetes.com/article/S1499-2671(13)00905-2/fulltext. Consulté le 29 avril 2020.
- « Le sous-financement flagrant des écoles dans les réserves autochtones ». Radio-Canada. En ligne, paru le 6 décembre 2016. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1004219/sous-financement-ecoles-reserves-autochtones-directeur-parlementaire-budget. Consulté le 22 avril 2020.
- Champagne, D. 2020. « Aurons-nous la sagesse ? ». Le Devoir. En ligne, paru le 28 mai 2020. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/579723/sortie-de-crise-environnement-aurons-nous-la-sagesse?fbclid=IwAR3HsmN5DzRZkDZLnv4JYDa8QznylB-RUX8_NPMuIy3kQFFLK0SAKDPHRjs. Consulté le 28 mai 2020.
par Alec White | Fév 16, 2017 | Opinions
(LETTRE OUVERTE) N’est-il pas hypocrite qu’au-delà des excuses publiques, des rapports et des enquêtes, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec se targuent de vouloir travailler à une réconciliation avec les Premières Nations, tout en appuyant parallèlement certains projets économiques qui vont à l’encontre de leurs volontés?
Actuellement, le conflit opposant la communauté algonquine du Lac Barrière à l’entreprise minière Copper One Inc est révélateur d’une situation où le gouvernement du Québec aura à choisir entre appuyer l’industrie minière une nouvelle fois, ou bien poursuivre sur la voie de la réconciliation en respectant la volonté souveraine de la communauté de ne pas accueillir de tels projets sur son territoire. En effet, les Algonquin·e·s du Lac Barrière s’opposent depuis longtemps à l’exploitation des ressources minières sur leur territoire que la communauté juge incompatible avec son mode de vie. Cependant, loin d’être opposée à tout type de développement, la communauté tente depuis plusieurs années de mettre en œuvre une entente tripartite négociée en 1991 avec le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Celle-ci visait à établir une cogestion des ressources et du territoire grâce à laquelle les Algonquin·e·s du Lac Barrière pourraient participer au développement de leur territoire dans des secteurs comme la foresterie, l’hydroélectricité, la chasse et la pêche. Bien que l’entente semble n’avoir jamais été appliquée, l’esprit de celle-ci demeure. Or, depuis que Copper One tente d’utiliser ses claims[i] concernant directement le territoire ancestral de la communauté, cette dernière se sent trahie par le gouvernement. Une situation semblable s’était produite en 2011 lorsque les claims de Copper One avaient été suspendus par le gouvernement du Québec à la suite d’une mobilisation des Algonquin·e·s. Cependant, les claims ont été réactivés au courant de l’été 2016 des Algonquin·e·s. Le 25 janvier 2017, lors d’une journée d’information où plusieurs organismes étaient invités à entendre la communauté sur le conflit qui l’opposait à Copper One, plusieurs membres de la communauté étaient clairs : s’il était porté à terme, ce projet minier affecterait fortement la culture de leur peuple, voire le conduirait à sa perte. Pour eux, les impacts environnementaux qu’engendrerait l’exploitation des ressources non renouvelables par Copper One viendraient directement chambouler leur rapport au territoire. L’utilisation du territoire, tout comme la conservation de celui-ci, est directement liée à leur identité culturelle, mais aussi à leur apprivoisement en nourriture. Sur place, un homme nous confiait même qu’un retour à son territoire et au mode de vie qui lui est attaché lui avait permis de guérir en grande partie des blessures causées par les pensionnats autochtones. Il en découle que si le projet minier de Copper One allait de l’avant, loin de se rapprocher d’une réconciliation, le gouvernement mettrait la table pour un nouvel ethnocide. L’ethnocide se définit par la destruction intentionnelle de l’identité culturelle d’un groupe, pouvant se conclure ou non par la mort des membres de ce groupe[ii].
Est-ce que Copper One Inc et le gouvernement du Québec seraient tous deux complices d’un geste de cette ampleur? Il semble que oui, car si la communauté algonquine du Lac Barrière a répété à plusieurs reprises son opposition totale à la présence de l’industrie minière sur son territoire, Copper One ne semble pas respecter à sa juste valeur la volonté des Algonquin·e·s du Lac Barrière. Pire, Scott Moore, président de la compagnie, va même jusqu’à associer ce refus à de la mauvaise foi[iii], rien de moins. Il est à se demander si les gens de l’industrie, à force de baigner dans ce fourre-tout conceptuel qu’est le principe de l’« acceptabilité sociale » – terme qui semble relever beaucoup plus d’un coup de marketing institutionnalisé que d’un réel engagement à respecter les droits des communautés –, ont conscience qu’il est tout à fait légitime qu’une communauté refuse un projet qu’elle juge incompatible avec ses intérêts. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusion. Dans son dernier rapport, « La quête de l’acceptabilité sociale et la maximisation des retombées », le Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société de l’UQAM constatait qu’au Canada, ce concept ne se basait sur aucune assise juridique formelle. Au contraire, sa conceptualisation étant soumise aux rapports inégaux de pouvoir présents dans la société, il se trouve que l’acceptabilité sociale finit par servir l’intérêt des plus puissants et de l’industrie[iv]. On peut d’ailleurs souligner l’honnêteté du ministre des Forêts, Luc Blanchette, sur cette question qui, en plus de spécifier que ce principe n’inclut par un droit de veto, prend soin de nous rappeler que l’acceptabilité sociale, « ce n’est pas une question de consentement ou non, c’est beaucoup plus un rapprochement pour faire du développement de la richesse, mais de façon correcte[v]». Correcte, ni plus ni moins. Pourtant, dans le rapport de la Commission vérité et réconciliation: Appels à l’action, il est écrit que pour travailler à une réconciliation, les entreprises devraient « s’engager à tenir des consultations significatives, établir des relations respectueuses et obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones avant de lancer des projets de développement économique[vi]».
Chose sûre, si le gouvernement du Québec tergiverse dans ce dossier, il serait naïf de croire que l’industrie minière prêchera par l’exemple. Interrogée sur le conflit au Lac Barrière, la directrice générale de l’Association d’exploration minière du Québec (AEMQ), Valérie Fillion, est loin d’aller dans le sens du rapport vérité et réconciliation, expliquant tout bonnement que : « C’est le travail du gouvernement de consulter les communautés autochtones. Le travail des entreprises n’est pas de reconnaître des droits et territoires. Il est malheureux de voir les projets pris en otage[vii]». En effet, le gouvernement doit consulter les Premières Nations, mais cette consultation ne doit pas être simplement l’outil d’une fabrication du consentement permettant à l’industrie d’arriver coûte que coûte à ses fins, elle doit reconnaître le droit au refus, tout comme l’industrie doit apprendre à se conformer à cette volonté. D’ailleurs, il serait bien de rappeler à madame Fillion qu’il n’y a pas que des projets qui sont pris en otage dans ces situations, il y a aussi des peuples.
À l’heure actuelle, où en sommes-nous? Il se trouve qu’à la suite d’une conférence de presse présentée le 26 janvier où la communauté rappelait encore une fois son refus, mais aussi son ambition d’invalider en cour la Loi sur les Mines pour son caractère inconstitutionnel par rapport au respect des droits autochtones, le gouvernement du Québec a suspendu à nouveau les titres miniers de Copper One pour une période indéterminée. De son côté, la compagnie entame présentement des recours juridiques contre le gouvernement afin de contester la suspension de ses claims, mais aussi d’obtenir les permis lui permettant de poursuivre ses activités [viii]. Si Copper One venait à obtenir ses permis, il est à prévoir que des affrontements auront lieu. Les Algonquin·e·s n’étant pas prêts à reculer, l’entreprise n’aura d’autre choix que d’entreprendre ses travaux escortés par la police, nous rappelant ainsi sans artifices le versant colonial de ce régime. Le temps passe et le gouvernement devra bientôt trancher : ou bien il respecte la volonté des citoyen·ne·s du Lac Barrière de s’opposer à la présence de l’industrie minière sur son territoire, ou bien il supporte Copper One et maintient hypocritement l’exploitation des ressources naturelles dans l’angle mort du processus de réconciliation.
L’auteur est étudiant en science politique à l’Université du Québec à Montréal.
L’opinion exprimée dans le cadre de cette lettre d’opinion, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion, ni n’engage la revue l’Esprit libre.
CRÉDIT PHOTO: Émile Duchesne
[i] un claim est un titre minier qui s’obtient par désignation et qui offre un droit exclusif à son titulaire d’entreprendre des travaux d’exploration.
[ii]M.T. Martinez-Dominguez, «Oil Politics in the Amazon: From Ethnocide to Resistance and Survival», p.5.
[iii]Deshaies, Thomas. « Lac Barrière: Copper One envisage des recours juridiques». L’Écho Abitibien ( Val-d’Or), 30 janvier 2017, Web.
[iv]Bonnie Campbell et Marie-Claude Prémont. Mutations de la règlementation multi-niveaux et du rôle des acteurs dans la mise en œuvre des ressources minières et de l’énergie renouvelable : La quête pour l’acceptabilité sociale et la maximisation des retombées. Montréal: CIRDIS, 2016, p.24.
[v]Deshaies, Thomas. « L’État ne défendrait pas assez l’intérêt de la population». L’Écho Abitibien (Val-d’Or), 21 janvier 2017, Web.
[vi]Commission vérité et réconciliation du Canada. «Appels à l’action», Winnipeg, 2012, p.12.
[vii]Deshaies, Thomas. « Lac Barrière: Copper One envisage des recours juridiques». L’Écho Abitibien ( Val-d’Or), 30 janvier 2017, Web.
[viii]. «Suspension des claims de Copper One dans le secteur du lac Barrière: la compagnie appellera de la décision». Radio-Canada, 9 février 2017, Web.
par Rédaction | Déc 16, 2015 | Canada, Idées
Par Sarah Daoust-Braun
« What does Quebec want ? », se demandait-on dans les années 1970. La fameuse question faisait écho à la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme mise sur pied en 1963 et qui devait évaluer le gouffre entre les deux solitudes et les façons d’y remédier. Avec la montée du nationalisme québécois à l’époque, le plus grand enjeu de la Commission Laurendeau-Dunton reposait sur le principe d’égalité entre les deux peuples fondateurs de la Constitution canadienne. Après un rapport final en six volumes et l’adoption en 1969 de la Loi sur les langues officielles, les Canadien-ne-s anglais-es s’interrogeaient toujours sur ce que voulait le Québec, avouant leur incompréhension face au mouvement souverainiste. Une incompréhension qui se transpose aujourd’hui face à une troisième solitude qui rebute les deux premières, celle des Premières Nations, le peuple invisible. « What do Aboriginal People want ? », se demande-t-on en 2015.
Selon les chiffres du Secrétariat aux affaires autochtones, il y avait 98 731 Autochtones en 2012 au Québec, dont 69 900 résidents et 26 667 non-résidents qui vivent à l’extérieur des réserves, réparti-e-s entre les 10 nations amérindiennes et la nation inuite et formant ainsi 55 communautés (1). Ce nombre monte à environ 141 000 personnes lorsqu’on inclue les Métis. À l’échelle du Canada, on compte 1,4 million d’Autochtones, ce qui représente 4,3 % de la population selon Statistique Canada (2). Par ailleurs, l’histoire des Premières Nations est riche et complexe, marquée par des politiques d’assimilation qui ont laissé des blessures profondes. Écarté-e-s petit à petit de leur territoire durant la colonisation en dépit d’alliances conclues avec les Français-es et les Britanniques, puis mis-es sous tutelle et confiné-e-s dans des réserves, les Autochtones veulent aujourd’hui retrouver leur autonomie, et plus particulièrement leur autonomie politique. « Les Premières Nations sont regroupées dans des villages, la grande majorité a moins de 1000 habitant[-e-]s. Donc, est-ce que l’autonomie politique c’est une gouvernance qu’un village se donne, ou c’est une gouvernance à l’échelle de plusieurs villages qui forment une nation ? Il y a certaines populations qui ont des structures politiques à l’échelle de la nation, comme les Cri[-e-]s et les Inuit[-e-]s, mais il y en a beaucoup d’autres [pour qui ces structures sont] strictement à l’échelle du village. Il y a un débat présentement, à savoir s’ils [et elles] doivent faire partie d’un plus vaste ensemble », explique Pierre Trudel, anthropologue et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral s’ingère moins dans les conseils de bande des réserves, qui relèvent de la loi sur les Indiens. En effet, Trudel nous explique qu’après la tentative d’abolir la Loi sur les Indiens en 1969 et l’abolition de « l’agent des Affaires indiennes », un agent de l’ancien ministère des Affaires indiennes présent dans les réserves jusque dans les années 1960, les bandes ont graduellement occupé des responsabilités administratives. Cela permet aux Premières Nations d’administrer davantage de fonds, par exemple. Cependant, les Autochtones ne revendiquent pas seulement l’autonomie administrative, mais la pleine autonomie politique. Sa forme idéale ne fait toutefois pas l’unanimité ni chez les Premières Nations ni du côté des instances gouvernementales. « La reconnaissance d’une gouvernance autochtone est au centre de toutes les revendications des Premières Nations. Cela a un avantage énorme pour [elles et] eux parce qu’avec ce type de revendication là, ça peut couvrir à peu près n’importe quelle revendication particulière, n’importe quel grief, parce que la gouvernance autochtone est un concept abstrait, un concept qui est savamment entretenu par les dirigeant[-e-]s. C’est une utopie », déclare sans détour Réjean Morissette, auteur du livre Les Autochtones ne sont pas des pandas, paru en 2012. Responsable des liaisons gouvernementales auprès des diverses nations autochtones du Québec au Secrétariat des affaires autochtones de 2002 à 2010, ce dernier plaide que la diversité d’intérêts des différentes communautés ne fait que renforcer l’incompréhension des allochtones et même des Autochtones envers ces revendications gouvernementales.
Avant d’arriver à un consensus, Viviane Michel, présidente depuis 2012 de l’organisme Femmes autochtones du Québec (FAQ), croit qu’il faut d’abord reconnaître aux Premières Nations la capacité de s’autodéterminer, c’est-à-dire la capacité d’un peuple à déterminer librement son statut politique, économique et administratif. « On doit s’asseoir, se parler et trouver des solutions ensemble. Il faut une meilleure coopération, une meilleure collaboration des deux côtés, chez nous comme du côté du gouvernement. Si on peut éviter justement le maternalisme ou le paternalisme, et dire qu’on est capables de se gérer, de s’autodéterminer », affirme-t-elle en ajoutant que de nombreuses luttes demeurent vaines. Cette dernière est originaire de la communauté innue d’Uashat mak Mani-Utenam située sur la Côte-Nord, tout près de la ville de Sept-Îles. Elle est impliquée depuis plus de dix ans au sein de FAQ et a œuvré longtemps comme intervenante auprès des femmes violentées. Le droit à l’autodétermination est par ailleurs garanti dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée à majorité en 2007. Le Canada est toutefois l’un des quatre pays, avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, a avoir voté contre son adoption.
Les droits ancestraux
L’autonomie revendiquée par les Premières Nations est également de nature économique, et pour gérer, exploiter et mettre en valeur les ressources naturelles du territoire qu’elles et ils occupent et ainsi favoriser le développement économique, les Autochtones font valoir depuis des décennies les droits ancestraux qu’elles et ils possèdent sur le territoire. « L’histoire territoriale est si méconnue qu’à un certain moment, on s’aperçoit que ce que les Autochtones revendiquent est tellement loin dans l’inconscience collective qu’on tombe des nues !, rappelle Pierre Trudel. Depuis 150 ans, on a réduit la superficie des réserves à cause des pressions urbaines, et des fois cela s’est fait illégalement. » Selon l’Encyclopédie canadienne, les droits ancestraux des peuples autochtones réfèrent aux « droits inhérents et collectifs, découlant de l’occupation ancestrale du territoire qui est maintenant le Canada et de l’ordre social antérieur à l’arrivée des Européen[-ne-]s ». Ces droits sont d’ailleurs reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, à l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés et dans la résolution de l’Assemblée nationale du 20 mars 1985 sur la reconnaissance des droits des Autochtones.
« Le gouvernement canadien a reconnu depuis les années 1970 qu’il a un litige territorial avec les Autochtones. Sur les 650 bandes indiennes au Canada, il y en a des centaines qui sont présentement en négociation avec le fédéral quant à la superficie des réserves », indique l’anthropologue. Des discussions sont par exemple toujours en cours à Kahnawake, une réserve mohawk située en Montérégie en bordure de l’autoroute 30 près de la ville de Châteauguay, au sud de Montréal. Les Mohawks revendiquent le territoire de l’ancienne Seigneurie de Sault Saint-Louis, qui regroupe les municipalités de Candiac, Delson, Saint-Catherine, Saint-Constant et une partie de Saint-Philippe et de Saint-Mathieu, et une compensation financière s’y rattachant. « Il y a des centaines de milliers de gens qui habitent dans ces municipalités-là. Ils ont de la misère à comprendre qu’il y a des litiges qui ne sont pas réglés et qu’il y a des négociations là-dessus présentement. C’est facile de caricaturer, de développer des préjugés sur les Autochtones lorsqu’ils [et elles] vont faire reconnaître leurs revendications », commente le spécialiste des questions autochtones.
Pour faire valoir leurs droits ancestraux sur les territoires qu’elles revendiquent, les Premières Nations engagent des négociations avec le gouvernement, mais le processus est parfois très long, laborieux et dispendieux. « Des fois, pour mieux négocier, il faut aller chercher un jugement en cour, donc [elles et] ils [les Autochtones] vont chercher un premier jugement, mais le gouvernement ne veut pas assez négocier. [Elles et] ils sont alors obligé[-e-]s d’aller en Cour suprême et ça prend des années », précise M. Trudel. La signature historique de la Paix des braves en 2002 entre le gouvernement du Québec et les Cri-e-s mettait justement fin à une longue saga juridique qui opposait les deux groupes. La nation crie, qui rassemble neuf communautés situées dans le nord-ouest de la province, était insatisfaite des dispositions de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975. Elle avait alors intenté des poursuites de plusieurs millions de dollars contre le gouvernement et exigeait réparation. « Une des raisons pour lesquelles les Cri[-e-]s ont signé la Paix des braves, c’était pour mettre leur énergie en dehors du juridique parce que ça prend beaucoup d’énergie, d’argent et d’avocat[-e-]s », ajoute le professeur.
La quête de reconnaissance
Au-delà des diverses revendications politiques et territoriales, les Premières Nations cherchent aussi, et surtout, la guérison de leurs blessures. Pour qu’il y ait guérison, elles veulent reconnaissance de leur identité et réparation des préjudices qu’elles vivent ou ont vécus au cours de l’histoire. « Pour développer une réconciliation, il faut qu’il y ait une reconnaissance des torts qui ont été faits à nos peuples. On va pouvoir ensuite entreprendre un vrai dialogue et travailler ensemble pour la création d’une meilleure société », estime Mélodie Jourdain-Michel, porte-parole depuis trois ans pour le Réseau jeunesse des Premières Nations. La jeune femme d’origine innue, également originaire d’Uashat mak Mani-Utenam, a quitté son coin de pays à l’âge de 17 ans pour entreprendre des études postsecondaires et a complété un baccalauréat en sexologie en 2013. Elle a ensuite travaillé un an dans sa communauté puis a effectué en janvier dernier un retour aux études en gestion de la santé et des services sociaux. Même si elle est une Autochtone vivant en milieu urbain, Mélodie Jourdain-Michel reste très engagée auprès des jeunes de sa communauté et s’implique dans de nombreux événements et comités comme le Conseil national des jeunes de l’Assemblée des Premières Nations.
Les différentes politiques d’assimilation et les pensionnats, où plusieurs enfants ont subi des sévices physiques et psychologiques lors du siècle dernier, ont laissé de lourdes marques qui peinent à se cicatriser dans les communautés autochtones. « Le niveau de violence dans les communautés est vraiment élevé, et c’est important qu’on comprenne d’où vient cette violence-là. Il y a des violences systémiques en arrière de tout ça, les pensionnats et les tentatives d’assimilation des peuples autochtones. Il y a une blessure qui est profonde dans les communautés et cette violence prend beaucoup d’ampleur dans les familles », signale Viviane Michel.
Des événements majeurs comme le scandale des femmes autochtones assassinées ou disparues, ou dernièrement les allégations, révélées à l’émission Enquête, d’agressions physiques et sexuelles envers des femmes autochtones par des policiers de la Sûreté du Québec de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, ont mis de l’avant, aux yeux de tou-te-s, la précarité des conditions de vie et le niveau de violence qui sévit actuellement chez les Amérindien-ne-s et les Inuit-e-s. Pénurie de logements, accès difficile aux soins de santé, malnutrition, mortalité infantile élevée, la liste des enjeux est longue, et tout semble prioritaire. « Le Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador [Ghislain Picard] s’était fait poser la question justement par un journaliste et il répondait que tout était prioritaire, qu’il y avait tellement de choses qu’il ne savait pas où mettre la priorité. Probablement que la priorité est d’investir dans de meilleurs programmes qui visent à réduire la misère sociale, et de faire en sorte que l’éducation progresse », soutient Pierre Trudel.
Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, paru en 1996, sonnait déjà l’alarme quant aux conditions socio-économiques difficiles dans les communautés autochtones, signalant les besoins criants entre autres en santé, en éducation et dans le domaine de l’emploi. « Je pense que la pauvreté et l’isolement sont des enjeux importants. Il y a beaucoup de problématiques dans les communautés autochtones, mais en même temps, je pense que je fais partie de la nouvelle génération de jeunes qui veulent changer les choses et faire entendre leur voix, et qui veulent apporter du développement dans leur communauté », assure Mélanie Jourdain-Michel. Le défi passera certainement par l’éducation et la formation. « Il est essentiel de donner aux jeunes la volonté de terminer leurs études si l’on veut améliorer la situation économique des collectivités autochtones. Les jeunes ont besoin d’une solide formation traditionnelle et des aptitudes utiles à la société contemporaine. [Celles et] ceux qui possèdent ces aptitudes et contribuent au progrès de leurs collectivités et de leurs nations doivent être considéré[-e-]s comme les équivalents modernes des grands chasseurs et chefs d’autrefois », écrit-on dans le rapport de la Commission (3). Or, le sous-financement du système d’éducation et le manque de ressources dans les communautés posent problème. « L’éducation est quelque chose qui me touche beaucoup parce que je suis moi-même étudiante et je trouve cela dommage qu’on ne nous donne pas les mêmes outils, les mêmes ressources pour que les jeunes puissent s’instruire et réussir », dénonce la jeune femme de 27 ans. Selon l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada, 48,4 % des Autochtones de 25 à 64 ans détenaient un titre d’études postsecondaires en 2011, comparativement à 64,7 % de la population non autochtone du même groupe d’âge. Toutefois, ce chiffre augmente chez les plus jeunes. Parmi les 35 à 44 ans, 68 % des Autochtones possèdent un diplôme d’études secondaires, contre 88,7 % chez les non-Autochtones (4).
Les espoirs se tournent alors vers le nouveau gouvernement de Justin Trudeau, qui s’est engagé à verser 2,6 milliards de dollars sur quatre ans pour garantir un meilleur accès à l’éducation pour les Premières Nations, entre autres dans l’aide à l’apprentissage. Une somme supplémentaire de 500 millions sur trois ans est promise pour la construction et la réfection des écoles dans les communautés. La question de l’éducation populaire, autant chez les Autochtones que chez les non-Autochtones, doit aussi être considérée. « Je pense que c’est important de rééduquer les populations, dans le sens de raconter la vraie histoire. L’histoire du Canada qu’on apprend dans les livres, c’est vraiment autre chose. Raconter l’histoire qui est vraie, raconter les impacts. Raconter, sans être dans la victimisation, c’est aussi comment maintenant on peut cohabiter, comment maintenant on peut avoir de meilleures relations, tout en faisant tomber la barrière des préjugés », lance avec conviction Viviane Michel. C’est cela qu’ils [et elles] veulent, les « Aboriginal People ». Être compris, tout simplement.
(1) SECRÉTARIAT AUX AFFAIRES AUTOCHTONES. Statistiques des populations autochtones du Québec 2012, [en ligne], http://www.autochtones.gouv.qc.ca/nations/population.htm (page consultée le 3 décembre 2015).
(2) CANADA, ENQUÊTE NATIONALE AUPRÈS DES MÉNAGES. Les peuples autochtones au Canada : Premières Nations, Métis et Inuits, Statistique Canada, 2011, [en ligne], http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-011-x/99-011-x2011001-fra.cfm (page consultée le 3 décembre 2015).
(3) CANADA, COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES. À l’aube d’un rapprochement : Points saillants du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), Ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, [en ligne], http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100014597/1100100014637 (page consultée le 21 novembre 2015).
(4) CANADA, ENQUÊTE NATIONALE AUPRÈS DES MÉNAGES. Le niveau de scolarité des peuples autochtones au Canada, Statistique Canada, 2011, [en ligne], http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-012-x/99-012-x2011003_3-fra.cfm (page consultée le 3 décembre 2015).