par Rédaction | Avr 30, 2021 | Analyses, International, Societé
Par Hermann Habib-Kibangou
Né le 15 juillet 1974 à Thiès, Ousmane Sonko est un homme politique sénégalais. Expert fiscal sorti de l’École nationale d’administration (ENA), il intègre la fonction publique en 2001, comme Inspecteur principal des Impôts et des Domaines. Après plusieurs années de travail, il se voit radié de l’administration publique par le décret N°2016-1239 de l’actuel président Macky Sall. Motif : « manquement au droit de réserve ». Il lui est en effet reproché de critiquer le gouvernement et d’accuser l’État sénégalais d’anomalies fiscales et budgétaires. Ces critiques sont mal perçues par le pouvoir en place. Grâce à un discours antisystème, Sonko arrive à séduire la jeunesse sénégalaise ce qui lui vaut la troisième place lors des élections présidentielles de février 2019. Considéré comme l’étoile montantei de la politique sénégalaise, il se présente comme un révolutionnaire. Deux ans après son exploit, l’homme politique, député depuis 2017, auteur de deux ouvrages, dont Solutions pour un Sénégal nouveau (2018) et Pétrole et gaz au Sénégal (2017), fait l’objet d’accusations de viols et de menaces de mort.
La date du 5 mars 2021 marquera sans doute d’une empreinte indélébile les annales de la politique sénégalaise pour ce qui est désormais connu comme « l’affaire Sonko ». Du nom du jeune parlementaire casamançais, leader du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), arrêté quarante-huit heures plus tôt.
Tout commence en début février 2021, lorsque le principal opposant à l’actuel chef d’État sénégalais fait l’objet d’une plainte de la part d’une employée d’un salon de massage qui l’accuse de viols et de menaces de mort. L’homme politique se rendait dans ce salon de massage pour y soulager ses maux de dos. Aussitôt rendues publiques, ces accusations vont prendre une proportion assez étonnante, voire inquiétante pour l’accusé : le 26 février 2021, il voit son immunité parlementaire être levée par l’Assemblée nationale.
Les causes « floues » d’une arrestation
Le 3 mars 2021, l’homme de quarante-six ans est mis en garde à vue. Si au départ, il ne voulait pas se rendre au commissariat pour répondre aux faits qui lui sont reprochés, il va par la suite changer d’avis. En route pour le Tribunal – accompagné de ses partisans – pour répondre aux deux premières accusations portées contre lui, Ousmane Sonko est mis aux arrêts pour deux nouvelles accusations : « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée ». Du point de vue de l’opposant incriminé, ces accusations semblent injustifiées, d’autant plus qu’aucun incident n’avait été signalé ce 3 mars 2021. De l’avis des forces de l’ordre, la présence des manifestants qui accompagnaient leur leader perturbait la circulation. L’affaire, qui était au départ privée, va devenir une affaire publique. Mais si un homme politique, où qu’il soit, quel qu’il soit, a droit à une vie privée, où peut-on situer la frontière entre sa vie privée et sa vie d’acteur politique? Telle est la question que l’on peut se poser au regard des causes de l’arrestation d’Ousmane Sonko.
La prolongation de la garde à vue
Après deux jours passés au commissariat, Sonko voit sa mise en garde à vue prolongée. Nous sommes le 5 mars 2021. Cette arrestation prolongée est à l’origine des manifestations et des affrontements entre les jeunes et les forces de l’ordre; avec malheureusement des pertes en vies humaines. Il reçoit le soutien du front de l’opposition qui comprend des partis politiques et des mouvements de la société civileii. Pour l’accusé, sorti troisième lors de la présidentielle de 2019, il n’y a pas l’ombre d’un doute que c’est le président sénégalais qui est derrière cette affaire et qui veut l’écarter de la présidentielle de 2024, comme cela a été le cas, avant lui, avec les opposants Karim Wadeiii (fils de l’ancien président Abdoulaye Wade) et Khalifa Salliv (ancien maire de Dakar). Il sied de signaler que des manifestations d’une telle ampleur remontent à juin 2011, lorsque le président Wade ambitionnait de réviser la Constitution dans le but de promouvoir son fils Karim au poste de Président de la République. Résultat : face à la pression populaire, il renonça à son projet et évita au pays de sombrer dans la violence et le chaos. Quant à Ousmane Sonko, il sera libéré après cinq jours de détention. Sa libération était la condition avancée par les manifestants pour mettre un terme aux violences. À sa sortie de détention, bien que resté sous contrôle judiciaire, il demande à ses partisans de poursuivre la « mobilisation pacifiquement ». De son côté, le chef de l’État, Macky Sall, sort de son mutisme après trois jours de manifestations, appelant ses concitoyen·ne·s au calme et à la sérénité. « Taisons nos rancœurs et évitons la logique de l’affrontement qui mène au pire »v, renchérit-il, dans son adresse à la nation. Aussi n’a-t-il pas hésité d’alléger le couvre-feu de minuit à cinq heures du matin, de promettre l’aide de l’État aux familles endeuillées et de faciliter l’accès aux soins des personnes blessées. Si les raisons des émeutes de 2011 sont connues, à savoir le projet de modification de la Constitution et le népotisme, celles de 2021 soulèvent toutefois des interrogations et cachent quelques zones d’ombre.
Des questions persistantes et des zones d’ombre
L’analyse de la situation sociopolitique au Sénégal donne lieu à certaines questions : comment l’accusation de viols présumés d’un leader politique peut-elle justifier ce que le monde entier a vu, à savoir : les manifestations violentes, les pillages de structures commerciales d’enseignes françaises ou d’organes de presse proches du pouvoir, la suspension de chaînes de télévision (proches de l’opposition?) ayant fait circuler des images desdites manifestations, la perturbation des réseaux sociaux, l’interdiction de la circulation des deux-roues motorisés, et le décès d’une dizaine de personnes, dans un pays démocratique, alors qu’on se serait attendu à voir ici et là des mouvements de condamnation de viols présumés? En outre, qu’est-ce qui justifie l’arrestation d’Ousmane Sonko, alors qu’il se rendait, quoique accompagné par ses partisans, à la convocation d’un juge d’instruction pour les faits qui lui sont reprochés? De même, pourquoi accuser ensuite de « trouble à l’ordre public » et de « participation à une manifestation non autorisée » un opposant qui se rend au tribunal? Dans la même perspective, pourquoi le nom de la supposée victime est-il resté secret pendant plusieurs semaines?
Ces interrogations sont l’expression d’une situation complexe aux allures d’un film de police « Made in Senegal », tant les zones d’ombre sont nombreuses et persistantes. Nous en retenons principalement trois. Primo, le nom de la supposée victime, à l’origine de la plainte, a été dévoilé au grand public seulement après des pertes humaines et matérielles. Y aurait-il une raison sur le plan juridique qui empêcherait de révéler au grand public l’identité d’une plaignante, fût-elle une adulte? Secundo, l’affaire Sonko laisse planer un doute, quant à la forme, sur les éventuels mobiles cachés. Ces mobiles sont visibles et lisibles dans les manifestations et les affrontements entre les partisans de Sonko (y compris des jeunes militants appartenant à d’autres formations politiques) et les forces de maintien de l’ordre du Sénégal. Tertio, une autre zone d’ombre non moins importante est celle qui concerne les circonstances ayant conduit à la rapide levée de l’immunité du parlementaire, de surcroit opposant principal au régime. On pourrait ajouter que les associations féministes ou le collectif des droits des femmes sénégalaises ne se sont pas assez fait entendre, même si elles ont mis en garde la classe politique sénégalaise contre « une inégalité de traitement ».
Cette situation, toutes proportions gardées, rappelle l’affaire du Sofitel de New York où l’on voit un homme politique accusé de viol par une femme de chambre. Elle a opposé l’ancien directeur du Fonds Monétaire International (FMI) Dominique Strauss-Khan à l’ex-femme de chambre Nafissatou Diallo, en mai 2011. Sur le fond comme sur la forme, les deux situations se ressemblent, mais à l’envers, pourrait-on dire. Pour le Sofitel de New York, l’accusatrice parle à visage découvert, alors que pour l’affaire du salon de massage de Dakar, l’accusatrice est restée anonyme du début à la fin des émeutes. Sur le fond, il s’agit dans les deux cas d’une accusation de viol portée par deux femmes (presque inconnues du grand public) contre deux hommes politiques qui cherchent à briguer la magistrature suprême dans leurs pays respectifs. Si dans l’affaire opposant Dominique Strauss-Khan à Nafissatou Diallo, il y a eu accord entre les deux parties (accord dont les termes restent confidentiels même si l’accusé nie les accusations de viol), dans celle opposant Sonko à la femme dont le nom était jusque-là inconnu, Adji Sarr, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, il n’y a pas eu de confrontation, à notre connaissance, entre l’accusatrice et l’accusé.
Les réponses et les non-réponses à ces questions portent à croire que la gestion dont « l’affaire Sonko » a été l’objet relève davantage de la sphère politique que de la vie privée. La preuve : les réactions violentes de la part des jeunes qui ont secoué le pays, et qui ont cessé avec la libération de l’opposant inculpé, montrent d’une part l’image d’un pays en crise. D’autre part, suite à l’affaire Sonko, la Tribune,vi rédigée par le collectif d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs sénégalais, est la preuve que le pays de la Teranga (l’hospitalité) qu’est le Sénégal vit une crise aux multiples facettes. « L’affaire Sonko » a été sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Ce que cache la violence des jeunes
Comme il a été dit plus haut, on se serait attendu à des manifestations de dénonciation de viols de femmes ou encore de rassemblements pour l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Curieusement, la capitale Dakar et d’autres villes du pays ont vu des jeunes se livrer à des actes dignes d’une guérilla urbaine, après cinq jours de garde à vue de l’opposant Ousmane Sonko. Conséquences : cinq à onze personnes tuées, des organes de presse détruits, la vie quotidienne tournée au ralenti, menaçant ainsi la stabilité nationale.
Mais que cache une telle violence? Selon un documentaire de Sarah Sakho et Elimane Ndaovii, les jeunes du Sénégal souffrent de plusieurs problèmes parmi lesquels la précarité, le manque d’emploi, l’inadéquation entre la formation et les besoins du marché du travail, l’injustice sociale et économique, etc. Ces maux déjà présents ont été aggravés par la pandémie de COVID-19, conduisant à leur paroxysme le malaise déjà présent chez les jeunes. À ces maux s’ajoutent ceux d’ordre continental, comme la sortie du franc CFA (considérée comme une monnaie coloniale) et son corollaire, qui est l’indépendance économique des pays qui partagent le franc CFA, etc.
En somme, c’est le refus d’un système politique qui est remis en cause. Ousmane Sonko, par son discours antisystème, arrive à séduire cette jeunesse sénégalaise. C’est sans doute dans ce contexte que ces paroles de l’économiste togolais prennent toute leur signification :
« Aujourd’hui, écrit-il, ce sont les jeunes qui se sont emparés du sujet, dans des manifestations, des échanges sur les réseaux sociaux, etc. Le Printemps africain se lève et ce sont les peuples qui aujourd’hui, harassés par des gouvernements autoritaires et corrompus, par des conditions de vie indécentes, aspirent à ce sursaut démocratique. Et dans les démocraties – même si les démagogues sont légion – c’est le peuple qui est souverain. L’actuel président français a affirmé il y a peu que la démocratie, ce n’est pas la rue; mais, dans les pays où la parole est trop souvent confisquée, celle-ci est un baromètre d’opinion que l’on ne peut négliger », dixit Kako Nubukpoviii.
Des paroles qui trouvent un écho plus vaste dans la tribune des intellectuel·le·s sénégalais·es qui, ayant mal à leur pays, ont dans une analyse fort intéressante donné suite aux émeutes du 5 mars 2021.
Le diagnostic des citoyen·ne·s responsables
Dans leur tribuneix publiée par Jeune Afrique le 15 mars 2021, ces journalistes, entrepreneur·e·s ou responsables associatifs « mettent des mots à la place des maux » pour reprendre l’expression de Françoise Dolto, en donnant un visage à la crise que traverse leur pays. « La crise actuelle, écrivent-ils, est le résultat d’un échec collectif à bâtir, depuis des décennies, une démocratie qui transcende les échéances électorales et les institutions nationales […] ». Pour sortir de cette crise nationale dont l’affaire Sonkox n’est qu’un des corollaires, ils proposent cinq mesures qu’ils qualifient d’audacieuses. La première mesure porte sur la nomination, à la tête des ministères de la Justice et de l’Intérieur, de personnalités issues de la société civile pour l’élaboration de réformes ambitieuses. La deuxième propose de mettre un terme aux institutions budgétivores comme le Conseil économique et environnemental (CESE) et le Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) qui devraient être remplacés par un Conseil d’orientation de la jeunesse pour écouter les jeunes, dialoguer pour la mise en place de recommandations stratégiques. La troisième mesure vise la mise en place d’un référendum d’initiative partagée pour permettre aux député·e·s minoritaires d’avoir le soutien d’une partie de la population afin de permettre aux premiers de « soumettre des propositions, en matière d’organisation des pouvoirs publics et de réformes de la politique économique, sociale et environnementale ». La quatrième mesure porte sur la révision du mode de gestion du budget de l’État alors que la dernière vise l’établissement d’un cadre national de soutien au développement inclusif des villes intermédiaires et zones rurales.
Ces mesures, à n’en pas douter, peuvent sortir le Sénégal de la crise qui la menace, à la seule condition qu’elles soient prises en considération par les dirigeant·e·s actuel·le·s et à venir. Il en va de l’avenir du pays et surtout de l’amélioration des conditions de vie de la population.
Que conclure?
Les mesures louables avancées par ce collectif sont un signe fort qui montre où se situe le mal sénégalais, si mal il y a. En effet, l’ampleur prise par l’affaire Sonko, tout comme les conséquences que cela a provoqué, a montré l’image d’un Sénégal en profonde crise. L’affaire serait sans doute passée inaperçue si le régime en place s’était montré plus discret. Malheureusement, en voulant profiter de s’attaquer à celui qui est désormais considéré par les jeunes comme un modèle, le régime sénégalais a montré ses propres failles et ses propres limites, se mettant ainsi à dos son propre peuple, avec malheureusement la perte de cinq à onze vies humaines. Si ce régime avait réussi, pour une raison ou une autre, à mettre à l’écart des opposants comme Karim Wade ou Khalifa Sall, il n’a pas pu le faire (du moins pour l’instant), avec Ousmane Sonko. Si pour les deux premiers opposants, les accusations étaient basées sur leur gestion de la chose publique, pour le dernier, il est davantage question d’un cas de vie privée. Et si aujourd’hui, l’accusatrice affirme être enceinte de l’homme politique, ses propos donnent tout de même à penser. « Si Ousmane Sonko n’a jamais couché avec moi, dit-elle, qu’il le jure sur le Coran. »xi Finalement, y a-t-il anguille sous roche ou pas? S’agit-il d’une affaire de viol ou d’un consentement, voire d’une histoire de cœur qui aurait mal tourné? Du point de vue de la sphère privée, une chose est sûre : seuls les protagonistes savent du fond de leur cœur ce qui s’est réellement passé. Du point de vue de la sphère publique, on se demande s’il y a eu manipulation ou pas, tout en déplorant la dizaine de morts et les pertes matérielles. Avoir un point de vue tranché sur cette affaire demandera certainement aux un·e·s et aux autres de préciser leur point de départ ou d’arrivée (sphère privée ou sphère publique?). D’autres auront un avis qui regroupe, peut-être, les deux sphères. Toujours est-il que l’enjeu est de taille. Au final, il s’agit avant tout de l’avenir de ce pays de l’Afrique de l’Ouest ; 16 294 270 habitants selon les statistiques de 2018xii, en majorité des jeunes. Ceux-ci n’ont que faire des jeux politiques et veulent des dirigeant·e·s qui se soucient de leurs conditions de vie. À trois ans des élections présidentielles, « l’affaire Sonko » servira sans doute de baromètre aux dirigeant·e·s de la mouvance présidentielle comme à celles et ceux de l’opposition qui seraient tenté·e·s de briguer la magistrature suprême. Un faux pas, dans un camp comme dans l’autre, pourrait être lourd de conséquences. Ces dirigeant·e·s savent désormais que les actes posés dans la sphère privée comme dans la sphère publique peuvent, selon les circonstances, se retourner contre elles et eux ou pas. Sans être forcément des « prophètes », elles et ils doivent savoir lire les signes des temps, dans un monde où la COVID-19 rend plus que jamais difficile le rythme de la vie quotidienne, et surtout dans un pays où le marché de l’emploi est largement dominé par le secteur informel.
D’ici 2024 (année des prochaines échéances électorales), les femmes et hommes politiques sénégalais, de la majorité comme de l’opposition, y compris celles et ceux du centre, savent désormais que les revendications des jeunes inhérentes à « l’affaire Sonko » peuvent encore se reproduire au cas où un autre incident surviendrait. Si dans son discours à la nation, Macky Sall a appelé à l’unité en affirmant : « Nous sommes une seule famille, unie par une histoire qui nous assigne un destin commun », les différents protagonistes ne doivent pas oublier ce proverbe africain (yombe) : « Les calebasses placées sur le palmier pour la récolte du vin de palme s’entrechoquent nécessairement, mais elles ne se cassent pas ». Signification : « En famille, on se dispute souvent comme des calebasses. Mais la famille ne se casse pas pour autant ». À bon entendeur, salut!
Crédit photo : MONUSCO Photos, Flickr, https://www.flickr.com/photos/monusco/8102324506
i Seydina Aba Gueye, “Portrait de candidat: Ousmane Sonko, l’étoile montante”. Voaafrique.com, 8 février 2019.
https://www.voaafrique.com/amp/portrait-de-candidat-ousmane-sonko-l-%C3%A9toile-montante/4778759.html
ii Ndèye Khady LO, “Ousmane Sonko: pourquoi y a-t-il des manifestations au Sénégal?” bbc.com, 5 mars 2021.
https://www.bbc.com/afrique/region-54373601.amp
iii Malick Rokhy Ba, Sénégal : la Cour suprême confirme la condamnation de Karim Wade pour enrichissement illicite » La Presse, 20 août 2015.
https://www.lapresse.ca/international/afrique/201508/20/01-4894049-senegal-la-cour-supreme-confirme-la-condamnation-de-karim-wade-pour-enrichissement-illicite.php
iv Ibrahima Bayo Jr., « Procès Khalifa Sall au Sénégal : le dernier « Appel » du 5 juin » La Tribune Afrique, 05/06/2018
https://afrique.latribune.fr/politique/2018-06-05/proces-khalifa-sall-au-senegal-le-dernier-appel-du-5-juin-780656.html
v Raphaël Kahane, « Sénégal : avis de tempête ?» France 24, 10 mars 2021. https://youtu.be/qj43URwHeWU
vi Collectif d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs sénégalais. [Tribune] Cinq mesures pour sortir de la crise au Sénégal » Jeune Afrique, 15 mars 2021. https://www.jeuneafrique.com/1136248/politique/tribune-cinq-mesures-pour-sortir-de-la-crise-au-senega/
vii Sarah Sakho et Elimane Ndao, « Contestation au Sénégal : une jeunesse désœuvrée et en colère » France 24, 10 mars 2021. https://youtu.be/QPhVy7jnwpw
viii Kako Nubukpo, “Du franc Cfa à l’Euro en Afrique de l’Ouest”. Études-mars 2021 – n°4280 : 19-32.
ix Collectif d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs sénégalais. [Tribune] Cinq mesures pour sortir de la crise au Sénégal », op. cit.
x L’affaire Sonko n’est pas définitivement résolue puisqu’il reste sous contrôle judiciaire. En outre, une commission d’enquête a été lancée par le gouvernement sénégalais. Lire Baidy, « Affaire Sonko-Adji/Emeutes : L’Etat va mettre en place une « commission indépendante pour …» Ndiaffatactu.com, 8 avril 2021. https://www.ndiaffatactu.com/index.php/2021/04/08/affaire-sonko-adji-sarr-emeutes-letat-va-mettre-en-place-une-commission-independante-pour/
xi Zale Ndiaye, « Adji Sarr dit être enceinte de Ousmane Sonko » Dakar-Écho, 18 mars 2021. https://www.dakar-echo.com/adji-sarr-dit-etre-enceinte-de-ousmane-sonko-et-demande-justice/
xii Beck Baptiste, Richard Marcoux, Laurent Richard et Alexandre Wolff (2018). Estimation des populations francophones dans le monde en 2018. Sources et démarches méthodologiques, Québec, Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, Université Laval, Note de recherche de l’ODSEF, p. 35.
par Rédaction | Mar 24, 2016 | Canada, Opinions
Par Alexandra Bahary
Processus judiciaire, victime « idéale » et victim blaming.
« Why couldn’t you just keep your knees together? (1)
Rapportés dans L’actualité en novembre dernier, ce sont les propos que le juge Robin Camp de la cour provinciale de l’Alberta a adressés à une plaignante lors d’un procès pour agression sexuelle sous sa gouverne. Le juge Camp a été réprimandé de manière quasi-unanime par le public canadien, lectorat du Journal de Montréal compris. Ils équivalent à demander à la victime d’un tir par balle pourquoi elle n’a pas esquivé la balle, rappelaient certain-e-s, dont l’humoriste Louis T. à Bazzo.TV (2). « Et pourquoi pas une destitution???? », « comment un homme avec un raisonnement aussi stupide peut-il être juge » (sic), « [d]evrais se faire enculer pis lui demander pourquoi ta pas fermé tes jambes » (sic) proposaient même avec engouement certain-e-s commentateurs-trices dudit Journal de Montréal. Ces paroles ‒ en soi caricaturales ‒ lui ont même valu une caricature du National Post (3). À la suite d’un examen du Conseil canadien de la magistrature, il n’est plus permis au désormais juge de la Cour fédérale de siéger dans un procès en matière d’agression sexuelle. Il a, de surcroît, accepté de participer à un programme de sensibilisation à l’égalité des sexes après avoir présenté des excuses publiques à la plaignante ainsi qu’aux femmes qui auraient été dissuadées de déposer des plaintes pour infractions sexuelles par sa faute. Ce cas de figure illustre parfaitement certains problèmes inhérents à notre système de justice criminelle, en dépit des réformes en la matière. J’estime qu’il met en exergue la conception que notre société, au demeurant moderne, se fait de la « victime parfaite » en matière d’agression sexuelle et du comportement qu’elle devrait adopter face à cette agression.
Or, dès lors que l’on s’écarte d’un exemple précis et flagrant d’injustice comme celui de Robin Camp, comment expliquer la réaction judiciaire et sociale au mieux timide face aux violences sexuelles que subissent les femmes? Comment expliquer que le récit délivré par de nombreuses plaignantes sur leur(s) expérience(s) d’agression(s) sexuelle(s) soit discrédité par ces acteurs? (N’en déplaise à certain-e-s, je réitère d’office le caractère genré de cette violence, considérant qu’en 2013, 83 % des victimes d’agression sexuelle étaient des femmes ‒ la proportion demeurant constante depuis des années ‒ et que 97 % des auteurs d’infraction sexuelle étaient de genre masculin (4).) Comment expliquer le scepticisme du public à l’égard des dénonciations d’agressions sexuelles des femmes autochtones de Val-d’Or par opposition aux témoignages d’autres femmes (5)? Comment expliquer l’indifférence générale de la population face aux meurtres, agressions sexuelles et disparitions de milliers de femmes autochtones au Canada, un véritable féminicide (6)? Pourquoi banalise-t-on les témoignages d’agressions à caractère sexuel lorsque la consommation d’alcool est impliquée?
Pensons notamment à la couverture médiatique du présent procès Ghomeshi. Loin de moi l’idée de nier que la conciliation entre le droit à une défense pleine et entière de l’accusé-e et certaines valeurs féministes puisse présenter de nombreux défis; je n’aurai donc pas la prétention d’offrir des réponses à cette problématique épineuse. La réaction des médias et du public soulèvent néanmoins certaines interrogations. Pourquoi le fait que Lucy DeCoutere, l’une des plaignantes, ait tenté de recontacter l’accusé suite aux évènements qui font l’objet du procès minerait de facto sa crédibilité quant à son absence de consentement?
Certaines juristes féministes abordent ces questions en démontrant l’existence d’une dichotomie entre celle que l’on perçoit comme une « victime idéale » par rapport aux autres survivantes. Selon elles, lorsque qu’une femme n’aurait pas un comportement ou un mode de vie conforme à celui d’une « vraie victime », qui serait crédible et digne de la protection du système de justice, elle serait une « fausse victime » à blâmer pour sa propre agression.
Qui sont ces « mauvaises victimes »?
Les survivantes qui n’ont pas une situation personnelle ou une réaction postérieure à l’agression qui correspond à celles de notre imaginaire populaire, affirme la juriste Melanie Randall (7). Celles qui ne résistent pas physiquement. Celles qui ne subissent pas un « vrai viol », évènement qui se veut éphémère et isolé par rapport aux expériences des autres femmes, réitérant ainsi le caractère exceptionnel de ces violences. En premier lieu, celles qui ont un mode de vie qui ne correspond pas aux normes sociales ou qui sont socio-économiquement marginalisées.
En 1992, suite aux pressions persistantes de certains groupes féministes, le gouvernement avait pourtant mis en place une réforme pour mettre un frein à certains stéréotypes teintant le traitement judiciaire des agressions sexuelles, notamment celui de la femme de « mauvaise réputation ». À cette occasion, on amenda le Code criminel pour introduire des règles de preuve quant à la référence aux comportements sexuels antérieurs de la plaignante. Il s’agissait de limiter la possibilité d’invoquer le nombre de partenaires sexuels ou les comportements sexuels de la plaignante, qui ne sont plus recevables à titre d’argument dans l’unique but de discréditer celle-ci (8). Par exemple, l’accusé-e peut mettre en preuve une relation sexuelle de la plaignante avec un tiers qui aurait eu lieu en même temps que l’infraction alléguée afin de prouver son innocence. Toutefois, cet accusé-e ne peut invoquer les relations sexuelles antérieures qui n’ont aucune incidence sur les faits du procès. Dans la même veine, l’amendement limite l’accès aux documents médicaux et psychiatriques de la plaignante, qui se doit d’être justifié. Cette même réforme limite la défense de croyance au consentement de la victime : elle n’est plus recevable lorsque la croyance de l’accusé découle de l’affaiblissement volontaire de ses facultés, de son insouciance, d’un aveuglement volontaire ou du fait qu’il n’ait pas pris les mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante (9). De cette manière, la notion de consentement devient affirmative et l’absence de « non » ne justifie plus une agression sexuelle.
Malgré ces avancées statuaires, la conception dominante de la privatisation du risque, selon laquelle certaines femmes seraient responsables de leur agression puisqu’elles n’auraient pas pris les précautions pour assurer leur sécurité, persiste – lorsqu’on ne les accuse pas tout simplement de mentir. Les recherches de Barbara Sullivan démontrent que les attitudes sociétales négatives à l’égard des travailleuses du sexe font en sorte qu’elles soient considérées comme moins crédibles, mais aussi qu’elles soient plus souvent exposées à la violence. De fait, la pensée populaire selon laquelle leur consentement à un acte sexuel serait continu et implicite fait en sorte qu’elles ont davantage de difficulté à se présenter comme des « vraies victimes » d’agression sexuelle (10).
Au niveau institutionnel, le Canada possède un historique particulièrement désastreux quant à la prise en charge des agressions sexuelles vécues par des femmes autochtones et des femmes précaires ou aux prises avec un problème de drogue ou d’alcool. Dans la même veine, une étude australienne a examiné le déroulement de procès en matière d’agression sexuelle en portant une attention particulière au traitement subi par les plaignantes autochtones ou racisées dans ce cadre. L’étude a observé que la défense interrogeait plus souvent ces femmes relativement à leur consommation d’alcool ou de drogue que les femmes blanches. Il en allait de même des questions relatives au nombre de relations sexuelles usuel dans leur communauté (11). Or, ces femmes sont plus souvent sujettes à des violences sexuelles. Au Canada, l’on constate que le risque d’agression augmente avec l’interaction de différents systèmes d’oppression (racisme, capacitisme, etc.). À ce titre, 75 % des jeunes filles autochtones âgées de moins de 18 ans ont été victimes d’une agression sexuelle (12) et 40 % des femmes présentant un handicap vivraient au moins une agression à caractère sexuel au cours de leur vie (13).
Ironiquement, à l’opposé du stéréotype véhiculé à l’égard des femmes « au style de vie marginal », Randall expose que l’autre groupe de plaignantes dont la crédibilité est le plus souvent remise en cause serait… celui des conjointes agressées sexuellement par leurs conjoints. Pour pallier ce problème, le Code criminel avait été amendé en 1983 pour mettre fin à l’immunité entre conjoint-e-s en matière d’infractions sexuelles. Cette réforme avait aussi élargi la notion d’infraction sexuelle en remplaçant la notion de viol (soit une pénétration vaginale, anale ou buccale forcée) à celle d’agression sexuelle au sens large (une atteinte à caractère sexuel sans consentement, que ce soit par pénétration ou par attouchements, caresses…) (14). Néanmoins, certain-e-s juges se cramponnent à une notion de consentement implicite et continu résultant du mariage. La « victime parfaite », digne de la protection étatique, serait alors celle qui a un mode de vie socialement acceptable, mais qui est célibataire! Ce mythe populaire est particulièrement pernicieux, puisqu’on recense qu’une femme sur sept a déjà été agressée sexuellement par son conjoint. En outre, sept femmes victimes d’agression sur dix ont été agressées dans une résidence privée (15) et huit personnes sur dix connaissaient la personne qui les a agressées (16). Ces statistiques s’inscrivent en porte-à-faux avec le fameux mythe de la femme agressée par un inconnu dans une ruelle nocturne.
Ces mythes et stéréotypes ne sont pas uniquement présents au niveau du procès, mais également lors de la réception des plaintes par le service de police. Notons que la consommation d’alcool, le milieu de vie de la victime, mais aussi sa façon de réagir après l’évènement ont un caractère déterminant quant à la décision de retenir ou non la plainte. Ainsi, la pensée magique selon laquelle une victime qui ne se serait pas débattue physiquement pour résister à la personne qui l’a agressée serait complice de son agression persiste. Cela est dû à un héritage légal de la plupart des pays occidentaux où l’usage de la violence physique était l’un des critères pour que l’accusation de viol soit fondée. De plus, le procès pour viol avait comme objectif avoué de verser un dédommagement à la famille de la victime qui n’était « plus mariable », dû à sa réputation entachée. Même en cas de résistance, on s’attend à ce que des blessures physiques puissent corroborer le témoignage de la plaignante victime d’un « vrai viol ». Ceci expliquerait notamment l’infime taux de plaintes retenues pour devenir des accusations formelles. En 1999, la Cour suprême avait pourtant tranché que le consentement à une activité sexuelle doit être volontaire et communiqué, ce qui invalide la présomption de consentement implicite à une activité sexuelle. Le « oui » doit donc être clair, enthousiaste et informé.
Ces exemples démontrent que les améliorations statuaires n’ont pas suffi à éradiquer les stéréotypes qui se cantonnent au jugement des acteurs sociaux, mais également des acteurs judiciaires. Randall analyse ce constat en affirmant que la présomption selon laquelle le droit change les mentalités surestime le pouvoir du droit et sous-estime combien les inégalités de genre sont profondément ancrées dans notre société (17). C’est pourquoi les réformes juridiques demeurent une solution partielle à l’évolution des mentalités auxquelles devraient se conjuguer d’autres vecteurs de changement, notamment l’éducation populaire et l’activisme. J’estime qu’à cette occasion, un des champs de bataille principaux demeure la lutte contre l’invisibilisation des personnes à l’origine de l’agression au détriment des survivantes ainsi que la prise en charge collective des violences sexuelles. Ces violences sont fréquemment banalisées et ignorées lorsqu’elles s’insèrent dans un contexte quotidien. Quant à celles qui sont dignes d’attention, soient les « vrais viols de ruelle », on leur confère un caractère de danger inévitable et inhumain, à l’instar d’une catastrophe naturelle. C’est pourquoi, à défaut de se concentrer uniquement sur le contexte social dans lequel évoluent les survivantes, il faudrait davantage se pencher sur celui des personnes qui agressent. Il faut cesser de blâmer les survivantes et cesser de présenter la violence envers les femmes comme un fait isolé, une entité flottante et immuable qui serait dépourvue de toute responsabilité humaine. Puisqu’elle ne l’est pas.
(1) http://www.ctvnews.ca/canada/judge-apologizes-for-keep-your-knees-together-comment-1.2652482
(2) En ligne : https://www.facebook.com/BazzoTV/videos/942227589159316/.
(3) http://news.nationalpost.com/full-comment/gary-clement-why-didnt-the-judge-keep-his-knees-shut-anyway
(4) MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE. Infractions sexuelles au Québec. Faits saillants 2013, gouvernement du Québec, 2015. Sans, évidemment, vouloir exclure la possibilité d’agression sexuelle du fait d’une personne ne s’identifiant pas comme homme, d’où mon choix d’employer un terme neutre.
(5) J’aimerais rappeler à ce titre que la présomption d’innocence s’applique à un processus judiciaire dans le but de protéger l’accusé-e face au pouvoir coercitif de l’État. S’en réclamer autrement équivaut à étendre artificiellement son application. Il ne peut d’ailleurs pas avoir de procès sans plainte qui aurait préalablement été déposée à la police.
(6) À ce sujet lire Emmanuelle Walter, Les sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada. Montréal, Lux, 2014 et Ryoa Chung « Y a-t-il une justice pour les femmes ? » (été 2015) Liberté n°308, en ligne : http://revueliberte.ca/content/y-t-il-une-justice-pour-les-femmes.
(7) Melanie Randall, Sexual Assault Law, Credibility, and « Ideal Victims » : Consent, Resistance, and Victim Blaming dans Canadian Journal of Women and the Law, Volume 22, Number 2, 2010, pp. 397-434.
(8) Pour plus de précisions, consulter le document du CALACS sur l’évolution de la loi relative aux agressions sexuelles. En ligne : http://bv.cdeacf.ca/bvdoc.php?no=1999_05_0013&col=CF&format=htm&ver=old.
(9) Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 272.3.
(10) Barbara Sullivan, : « Rape, Prostitution and Consent » (2007) 40 Australian and New Zealand Journal of Criminology 127 and 137.
(11) Anne Cossins, « Saints, Sluts and Sexual Assault : Rethinking the Relationship between Sex, Race and Gender » (2003) 12 Social and Legal Studies 77.
(12) MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE.Les agressions sexuelles au Québec. Statistiques, Sainte-Foy, Direction de la prévention et de la lutte contre la criminalité, gouvernement du Québec, 2006.
(13) Ibid,
(14) Projet de loi C-127.
(15) Supra, note 3.
(16) Supra, note 11.
(17) Supra, note 6.
par Marie-Claude Belzile | Oct 8, 2015 | Entrevues
Dans le but de faire entendre leurs voix, les chefs des Premières Nations se rassemblent le 9 octobre 2015 au Cabot Square, à Montréal, lieu reconnu pour les rassemblements des autochtones en milieu urbain. L’objectif est de mettre les questions autochtones sur le lieu public pour faire contrepoids au silence concernant celles-ci depuis le début de la campagne électorale fédérale. Ainsi, tous et toutes sont invité.e.s à se joindre à cette rencontre pacifique.
Marie-Claude Belzile de l’Esprit libre a eu la chance de s’entretenir avec Ghislain Picard, Chef des Premières Nations du Québec et du Labrador.
Q. Quelle est l’intention derrière cette rencontre?
R. L’intention est de faire en sorte qu’on puisse affirmer haut et fort que les enjeux ont leur place dans la campagne électorale, à 10 jours du vote. Certains partis ont tendance à penser que la question autochtone n’est pas nécessairement importante. On veut s’assurer que la question demeure à l’ordre du jour.
Q. Selon vous, quelle est l’importance des prochaines élections pour les Premières Nations?
R. On vient de traverser une décennie de pouvoir des conservateurs avec très peu sinon aucun résultat sur beaucoup de questions qui nous préoccupent au niveau populaire et social. On constate que 9 personnes autochtones sur 10 veulent changer le gouvernement actuel. Le processus politique étant ce qu’il est, on veut mettre nos cartes sur table pour le lendemain des élections. On veut savoir comment [on fera] pour se donner un plan, un processus pour y arriver. On veut savoir quelles sont les bases essentielles pour repartir sur un bon pied avec le prochain gouvernement. C’est une question de relation et de retrouver une confiance mutuelle entre Canadien.ne.s et autochtones. Retrouver un cadre entre Premières Nations et Canadien.ne.s. La relation est unique, personne au pays ne peut prétendre avoir à répondre à un cadre spécifique, et pourtant c’est le cas des Premières Nations. On veut un réengagement entre les communautés et le gouvernement fédéral. Il y a énormément de travail et de défis qui se présentent à nous et au gouvernement à venir.
Q. Comment réagissez-vous au silence des chefs des partis sur les questions touchant les Premières Nations?
R. Après le troisième débat [des chefs] on a réagi en disant « est-ce que la question autochtone est si peu importante que le niqab l’emporte sur nos enjeux? ». C’est une façon de provoquer le débat autour des enjeux qui nous intéressent. On a demandé à TVA, pour leur débat télévisé en français, si ce n’était pas possible d’inscrire une question sur les Premières Nations, ils sont restés silencieux, on n’a pas obtenu de réponse. Et des chefs de parti, deux sur cinq vont peut-être annoncer quelque chose dans les heures, les jours qui suivent, mais c’est tout. Il y aussi a le silence des médias. Il y a une responsabilité à ce niveau-là, mais il n’y a jamais de continuité [de leur part]. Les médias sont souvent en déroute sur les questions que nous considérons fondamentales. Qu’est-ce qui fait, en 2015, que nos peuples soient très loin en arrière [de la majorité canadienne] sur le plan socioéconomique? Et personne ne semble scandalisé. On veut ramener ces questions à l’avant plan, et si les médias ne font que les effleurer, [on n’y arrive pas]. Les Canadiens et canadiennes doivent être davantage informé.e.s. On trouve cette réalité injuste et triste, on est forcés de toujours répondre comme si nous étions le fardeau de la preuve. Il faut que les tables soient tournées et que l’odieux de la preuve soit retourné au gouvernement.
Q. Que pensez-vous de la déclaration qu’a fait Gilles Duceppe mercredi dernier en affirmant que « Il est impossible de construire le Québec sans les Premières Nations »?
R. J’ai eu l’occasion de rencontrer M. Duceppe, le seul chef de parti que j’ai rencontré, malgré que nous ayons envoyé un message à tous les chefs de partis… On voulait une place pour nos enjeux dans leur campagne, on a attendu des mois avant d’avoir des réponses de leur part. M. Duceppe est le seul à avoir convoqué une rencontre. Ce que je dénote du commentaire de M. Duceppe, et il y a de plus en plus une opinion généralisée comme quoi le Québec n’est pas prêt à son indépendance, c’est que les autochtones doivent être inclus [dans une démarche vers la souveraineté québécoise]. Pour nous, il doit y avoir un règlement sur la question du territoire, sur la question du titre sur le territoire, sur la place des Premières Nations dans un Québec indépendant, etc. Les Premières Nations auraient-elles la possibilité de déterminer leur propre avenir dans un Québec indépendant? Tout ceci demeure une question non-résolue. Les débats souverainistes ont pris du recul, nous sommes donc moins interpelés par cela qu'[on l’était] en 1995. On veut faire progresser le débat, et laisser savoir que les Premières Nations ont leur place dans l’avenir.
Q. Comment se décrirait un parti engagé auprès des Premières Nations?
R. La condition première c’est qu’on puisse confirmer qu’il ne peut pas y avoir d’engagement sans reconnaissance d’une relation de nation à nation. Une des autres questions est : « est-ce que dans la relation on pourra sortir du contexte législatif duquel on est prisonniers et dont on dépend, et qui impose une façon de faire et une idéologie? Le défi se pose face à la définition qu’on donne à la notion de partenariat. Comment la mettre en pratique? Quelles sont les conditions idéales pour les deux parties? Celui qui méritera la faveur des autochtones, c’est celui qui va en quelque sorte trouver la meilleure façon de favoriser une relation et un engagement immédiat et continu dès le lendemain du vote. La question autochtone doit être incontournable au pays. C’est un processus en continu qui devra donner un plan de A à Z pour redresser la situation socioéconomique de nos communautés.
Q. Quelles sont les plus lourdes conséquences de ces dix dernières années sous le gouvernement Harper?
R. Avant l’ère Harper, on avait les libéraux avec Paul Martin et on se doit de reconnaître qu’il y a eu des efforts lors du mandat de M. Martin. En 2005, l’accord de Kelowna (1) sur les apports financiers pour le logement, la santé, l’éducation, etc., avait été conclu avec tous les représentants autochtones. Du jour au lendemain, les Conservateurs sont arrivés au pouvoir et l’accord de Kelowna est devenu poussière. Rapidement, en quelques semaines, le gouvernement Harper a aussi annulé un programme de soutien aux Premières Nations : 160 millions disparus. C’était un geste qui était sans doute précurseur des années suivantes. Il n’y a pas eu une année depuis Harper où il n’y a pas eu un dossier qui a amené une réaction négative de la part des Premières Nations. La dernière année a été assez tumultueuse, on a critiqué le dernier projet de loi, C-33 (2), d’un bout à l’autre du pays. On a été victimes d’une idéologie paternaliste du gouvernement.
Q. Quel est votre impression sur le vote du 19 octobre prochain en lien avec les Premières Nations?
R. Le vote ira selon les régions à l’échelle du pays. Il y a des questions importantes au sujet du vote, certains veulent voter, d’autres non. Il y a un débat sensible autour de la citoyenneté canadienne et des Premières Nations. Y’a des nations qui ne jurent que par leur souveraineté. C’est difficile de dire quelle sera la participation des autochtones cette fois-ci. La moyenne de participation devrait toutefois être plus importante que les dernières années. Avant c’était autour de 40% de participation, ce devrait beaucoup plus important cette année.
(1) http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/accord-de-kelowna/
(2) https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1358798070439/1358798420982