Plaidoyer pour la pluralité des voix

Plaidoyer pour la pluralité des voix

Par Pascale St-Onge

L’auteure est présidente de la Fédération nationale des communications de la CSN. 

Je suis inquiète pour l’avenir de l’information. Je suis inquiète pour la démocratie. Je suis inquiète pour les progrès qui ont marqué le dernier siècle en termes d’ouverture aux différences et d’avancées pour les droits de la personne. Les médias, les artistes et le milieu culturel ont indéniablement participé à faire connaître à la majorité des réalités méconnues et des situations d’injustices vécues par tant de personnes et de groupes opprimés et vulnérables. L’émergence, la solidité, l’abondance et la notoriété d’une presse libre et indépendante dans les pays occidentaux pendant cette période a incontestablement participé aux débats qui ont mené à l’émancipation des femmes, pour ne nommer que cet exemple probant, et à l’inclusion dans nos chartes québécoise et canadienne d’articles qui rejettent la discrimination en fonction de l’orientation sexuelle, du genre, de la race, de la religion, etc.

Cet article a été publié dans le recueil (in)visibilités médiatiques de L’Esprit libre. Il est disponible sur notre boutique en ligne ou dans plusieurs librairies indépendantes.

Je suis inquiète parce que les bases économiques qui soutiennent les médias qui nous ont tant renseignés-es, éclairés-es et informés-es sur le monde sont fragilisées au point où le tiers des emplois dans la presse écrite a disparu en cinq ans (de 2010 à 2015), que la télévision traditionnelle et généraliste a amorcé un déclin qui entraîne de nombreuses restructurations et pertes d’emplois, et que la plupart des radios ont depuis longtemps délaissé ou rationalisé leurs vaillantes salles de nouvelles afin de diminuer leurs coûts de production.

Un événement inédit au Québec s’est produit au printemps dernier. La Fédération nationale des communications (FNC-CSN) a organisé en partenariat avec la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), le Conseil de presse du Québec (CPQ) et le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval (CEM), un colloque qui a réuni dans une même salle des patrons-nes de presse, des journalistes, des syndicalistes, des chercheurs et chercheuses en journalisme et en communication, des étudiants-es et même des représentants-es du gouvernement afin de faire le point sur la situation et de discuter de pistes de solutions. Au terme de ce colloque, dans les semaines et les mois qui ont suivi, plusieurs voix, incluant celles de dirigeants-es de syndicats et d’entreprises réputées, ont réclamé des gouvernements provincial et fédéral des allégements fiscaux afin de permettre aux entreprises de la presse écrite de se sortir la tête de l’eau. Jamais de telles démarches n’ont été faites par le passé, car la presse écrite a toujours été jalouse de son indépendance face aux pouvoirs publics. Entendez-vous le signal d’alarme?

Je suis inquiète, car l’information a perdu une grande part de sa valeur commerciale et que, jusqu’à aujourd’hui, ni les gouvernements, ni les annonceurs, ni le public ne semblent massivement disposés à préserver leurs organes de presse. En fait, je ne crois pas que nous soyons tous et toutes pleinement conscients-es de la valeur du service public que ces derniers garantissent en surveillant les pouvoirs officiels (exécutif, législatif et judiciaire). Par conséquent, je m’inquiète pour l’avenir de l’information, pour la démocratie et pour les avancées sociales et humaines, car dans l’obscurité et le silence, l’imputabilité n’existe pas.

À la défense de nos médias d’information

Nos médias ne sont pas parfaits et ne l’ont jamais été. Sont-ils équitables dans leur façon de couvrir des sujets qui touchent certaines minorités? Engagent-ils suffisamment de personnel représentatif de la diversité de nos communautés? Accordent-ils la parole autant aux plus démunis-es et vulnérables de nos sociétés qu’aux élites? Sont-ils toujours justes dans leur façon de traiter des sujets explosifs ou accordent-ils plus d’importance aux points de vue qui semblent partagés par la majorité de leur public et qui plaisent aux annonceurs? À mon avis, il est sain de se poser ces questions et de tenter d’y répondre (ce que je ne me risquerai pas à faire dans le cadre de cet article). Cependant, quelques notions sont à considérer avant toute chose.

Tout d’abord, on ne peut imposer à un seul média, aussi grand et réputé soit-il, le fardeau de représenter toutes les réalités, tous les points de vue et toutes les opinions imaginables. Le plus grand danger qui guette une presse libre et indépendante est le monopole et la concentration entre trop peu de mains de nos organes d’information. La pluralité des sources d’information et la diversité des voix sont essentielles pour que les médias se complètent, se défient, se regardent, se critiquent. Avec l’addition des sources, le public peut se faire une idée globale du monde qui l’entoure plutôt que de ne connaître que la vision d’un seul média ou d’un-e unique journaliste qui présente des sujets choisis et abordés selon ses valeurs, ses idées, ses critères. Une lanterne isolée n’éclaire qu’une petite partie à la fois d’une vaste chambre. Un ensemble de lanternes peut illuminer la pièce tout entière et permettre d’y découvrir tout ce qui s’y trouve. 

Ensuite, la capacité d’un média de couvrir en profondeur l’actualité, de chercher la vérité même lorsqu’elle est habilement camouflée par de puissants intérêts ou qu’elle requiert des semaines d’enquêtes pour être découverte, de s’intéresser à la fois à ce qui est près et loin de nous, d’amener à notre attention des réalités qui nous sont totalement étrangères, dépend autant de sa solidité financière que de la volonté des propriétaires et de ses artisans-es. Produire de l’information de qualité coûte cher.

L’industrie de l’information, depuis sa naissance, a évolué vers une presse professionnelle, avec de rigoureux critères journalistiques, des codes de déontologie contraignants, des formations spécifiques à la profession. Le Québec s’est même doté d’un tribunal d’honneur, le Conseil de presse du Québec, qui reçoit les plaintes du public sur la couverture journalistique, et d’organismes de réglementation tels que le CRTC. Comme société, nous nous sommes donné des médias publics, privés, communautaires, scientifiques, spécialisés, de niches, etc. En somme, malgré l’opinion qu’on peut avoir d’un média ou d’un autre, nous avons un univers médiatique de grande valeur, crédible et varié qu’il nous est permis de critiquer et dont nous pouvons exiger ce qu’il y a de mieux.

Cet univers médiatique est devenu possible entre autres parce que l’information avait une valeur commerciale. Concrètement, les médias produisent de l’information et l’offrent à un public. Les médias vendent ensuite aux annonceurs du temps d’attention de leurs lecteurs-trices aux entreprises. Ces annonceurs paient d’ailleurs beaucoup d’argent pour annoncer leurs produits et services à ce public, dont l’esprit est disponible grâce à l’intérêt suscité par la nouvelle. En puisant leurs revenus de deux principales sources, soit les abonnements et la publicité, tant que cela a été rentable, les médias ont pu se constituer des salles de nouvelles remplies de journalistes, de professionnels-les de l’information et de nombreux autres types d’employés-es qui, grâce à leurs conditions de travail décentes, ont pu consacrer leur carrière professionnelle à creuser et à raconter des histoires d’intérêt public.

À cette étape-ci, il m’est nécessaire de rappeler que le métier de journaliste n’a pas toujours été glorieux. Au tout début, la paie était tellement maigre que nombre de « nouvellistes » (on les appelait comme cela à l’époque) arrondissaient leur fin de mois en acceptant des enveloppes brunes d’entreprises, de politiciens ou autres, pour rédiger des papiers favorables. Ou encore, elles et ils occupaient d’autres emplois qui pouvaient miner leur indépendance et n’accordaient pas autant de temps et d’énergie à fouiller des histoires. Pour les femmes, dès qu’elles se mariaient, elles devaient quitter leur travail qui, de toute façon, les avait confinées à la presse dite « féminine ». Par exemple, on pouvait leur demander de rédiger un texte sur le nouveau modèle de malaxeur! De plus, les journalistes étaient soumis-es à l’arbitraire du patron qui, parfois, brandissait des menaces de congédiement pour orienter les articles et les sujets selon ses propres intérêts.

Exaspérés-es de vivre dans la précarité et de voir leur autonomie professionnelle constamment sous pression, les journalistes se sont organisés-es en syndicats. Au fil d’épiques luttes syndicales teintées à l’occasion de violences, de grèves et de lockouts, elles et ils ont peu à peu réussi à améliorer leurs conditions de travail et leurs clauses professionnelles afin de protéger leur indépendance et l’éthique journalistique. Ce fut le cas pour les journalistes syndiqués-es, à tout le moins, puisque la situation est tout à fait déplorable pour une large majorité de pigistes, contractuels-les et journalistes indépendants-es, dont les tarifs au feuillet ont cessé d’augmenter depuis plus de 30 ans, alors que le coût de la vie, lui, grimpe toujours. Cela est sans parler de leurs droits d’auteur-e et moraux qu’elles et ils sont de plus en plus contraints-es de céder aux employeurs et employeuses, les privant ainsi des recettes de leurs œuvres. Il est d’ailleurs grand temps que le gouvernement accède à la demande de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), soit de les doter d’une loi similaire à celle sur le Statut de l’artiste qui leur permettrait de négocier des conditions de pratiques minimales et décentes.

Aujourd’hui, ces gains qui ont permis aux médias d’exister et d’être viables sont de plus en plus menacés. Avec l’avènement d’Internet, des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et autres plateformes de diffusion, le public s’est habitué à trouver de tout gratuitement. Il est donc de moins en moins enclin à payer pour être informé. Du côté des annonceurs, l’univers numérique a provoqué l’éclatement des possibilités publicitaires et ils peuvent aujourd’hui rejoindre leur clientèle sur d’autres plateformes efficaces et économiques.

En effet, les Facebook, Google, Twitter et autres géants mondiaux du Web, américains pour la plupart, ont développé des outils très précis pour aider les annonceurs à cibler et à rejoindre leur clientèle. Ces compagnies ne développent aucun contenu (ou presque pas et encore moins en matière d’information), ne connaissent aucune frontière physique géographique et possèdent une structure de coût d’exploitation minime par rapport au potentiel de revenus. Elles ont fait chuter dramatiquement le coût de la publicité en offrant des prix avec lesquels les médias traditionnels ne peuvent rivaliser, eux qui sont limités par la taille de leur marché et par leurs coûts de production très élevés. Donc non seulement ces applications reproduisent-elles gratuitement le contenu produit à grands frais par d’autres, mais en plus, elles empochent le pactole en termes de revenus publicitaires. Pour ajouter à la problématique de l’argent que ces compagnies engrangent chez nous, elles n’en redonnent à peu près pas à nos communautés, car elles emploient peu de gens chez nous, ne retournent pratiquement aucune taxe et ne paient aucun impôt.

Ceci étant dit, on n’arrêtera pas le progrès! Les médias doivent composer avec cette réalité contemporaine et ils doivent trouver des solutions. Rien n’indique cependant que la majorité d’entre eux sont à l’aube de trouver une nouvelle façon de rentabiliser leurs activités. Certains expérimentent de nouveaux modèles, mais aucune nouvelle source de revenus n’a été mise en place. Au contraire, certains médias dépendent aujourd’hui plus que jamais des revenus publicitaires ayant rendu leur contenu gratuit, et d’autres, ayant de moins en moins d’annonceurs, dépendent de plus en plus de la générosité de leur public prêt à payer pour être abonné ou à faire des dons de charité.

C’est ainsi que depuis au moins deux décennies, nous assistons à des rondes de restructurations, à des ventes, à des rachats, à des mises à pied, à des reculs dans les conditions de travail, à la précarisation des emplois, à la disparition de certains métiers et de certaines expertises. Certains médias en sont désormais à l’étape de fermeture. Dernièrement, nous avons vu disparaître au Québec des médias régionaux, plusieurs médias communautaires, spécialisés et de niches. Pensons au Canal Argent du Groupe TVA, la seule chaîne spécialisée en économie, ou encore à plusieurs journaux hebdomadaires qui ont fermé leurs portes à la suite du rachat par Transcontinental des propriétés de Québecor, etc. Jusqu’ici, nos gros piliers ont été épargnés, mais pour combien de temps encore si rien ne change? Et qu’en est-il de la diversité avec la disparition de voix alternatives?

On me dira que la nature a horreur du vide et que de l’hypothétique mort de nos médias traditionnels naîtra autre chose. Cette autre chose m’effraie. Les médias se sont structurés ainsi car ils doivent avoir les reins solides pour exposer les côtés les plus sombres de nos sociétés, et parfois les plus lumineux, et ainsi les faire évoluer. Parler librement demande une indépendance économique et une capacité à se défendre devant les tribunaux en cas de poursuite. (Pensons par exemple à la publication satirique Le Journal de Mourreal qui est impuissant pour se défendre face à l’empire Québecor.) Ce ne sont pas les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui feront ce travail. Ce n’est pas leur mission. De toute manière, voudrait-on confier à des entreprises américaines le soin de nous informer chez nous?

Ce n’est pas non plus le public qui « s’auto-informera », car malgré les nombreuses occasions pour la population générale de s’exprimer et de se raconter sur le Web, il ne peut remplacer le travail d’un-e journaliste qui y consacre sa vie professionnelle. Qui a le temps, l’argent et l’énergie nécessaires pour débusquer et mettre à jour les grands scandales de notre époque? Bien que certains événements ponctuels peuvent être rapportés par les membres du public et que cela a certes une valeur informative, seuls des médias de masse avec d’importantes ressources économiques ont pu, par exemple, enquêter sur la corruption et la collusion dans le monde de la construction et ont forcé le gouvernement à mettre sur pied la Commission Charbonneau. D’autant plus que comme ces médias monopolisent en grande partie l’espace médiatique, ces informations cruciales pour la vie démocratique risquent de demeurer dans l’ombre si elles étaient révélées par de petits médias. En ce sens, le rôle des médias est sans doute appelé à changer et à aller toujours plus vers l’enquête et l’analyse plutôt que le scoop ou l’événementiel, mais encore une fois, cela coûte cher. Il est paradoxal de constater que la tendance actuelle est plutôt à l’inverse car les médias cherchent encore le scoop et le sensationnel pour obtenir le plus de clics possibles. 

Je mentionnais plus tôt l’importance de la pluralité des voix. Si peu s’indignent des fermetures récentes de médias, je me dois de rappeler qu’à chaque fois que l’un d’entre eux s’éteint, ce sont des histoires qui ne seront jamais racontées. C’est une portion de la réalité qui ne sera jamais connue par d’autres que celles et ceux qui la vivent. C’est une prise de conscience collective d’une injustice, une réparation et un changement qui n’auront pas lieu. Bref, c’est un brin de démocratie qui s’envole.

Le salut par les réseaux sociaux et Internet?

Les plus récentes études démontrent que les citoyens-nes trouvent de plus en plus leurs informations en ligne, sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherches. Les statistiques indiquent que les jeunes particulièrement ont adopté massivement ces habitudes de consommation. Analysons un peu plus ce que cela veut dire.

D’une part, l’information qui se retrouve sur ces réseaux est en majeure partie celle produite par nos médias traditionnels et c’est encore à cette information que le public fait le plus confiance. Même s’ils la découvrent sur d’autres plateformes, les gens se réfèrent encore aux marques qu’ils respectent. Par contre, les études démontrent également que sur ces réseaux, les gens distinguent difficilement l’information véritable des rumeurs, opinions, commentaires, parodies, publicités ou contenus commandités. Cela attise peut-être un certain cynisme ou scepticisme envers les médias.

D’autre part, l’information qui est présentée aux usagères et aux usagers de ces réseaux sociaux apparaît sur les fils d’actualité à la suite d’algorithmes programmés par ces géants du Web. En plus d’être la plupart du temps secrets ou sinon incompréhensibles pour le commun des mortels, ces algorithmes existent non pas pour servir l’intérêt public, mais d’abord et avant tout pour servir l’intérêt commercial de ces entreprises. Grâce aux données que ces applications accumulent sur leurs usagères et usagers, elles peuvent cerner de façon toujours plus précise leurs intérêts, leurs habitudes de consommation, de vie et d’information et les gaver toujours plus de ce qui les intéresse déjà.

En effet, les médias sociaux servent à conforter les gens et non pas à les exposer à des choses qu’ils ne connaissent pas ou qui les amèneraient à remettre leurs croyances en question. Le terme le dit : réseaux sociaux. Donc des endroits qu’on choisit pour socialiser, pour être entre amis-es. Ce ne sont pas des médias d’information avec des règles et une mission démocratique. Si les médias traditionnels ont réussi à exposer des masses à des réalités particulières, on peut douter que les réseaux sociaux remplissent cette fonction parce que leur objectif est avant tout d’être rentables financièrement; leur mission n’est pas reliée à informer les utilisatrices et utilisateurs.

En plus de poser de sérieux défis aux concepts de vie privée et de sécurité, on est en droit de se demander jusqu’à quel degré ces réseaux sociaux participent à la polarisation des idées. Alors que de plus en plus de gens disent s’informer uniquement par les réseaux sociaux dont les algorithmes ne favorisent pas la diversité des points de vue, on voit actuellement de grandes portions de la population s’ancrer dans leurs positions. Sans oublier que n’importe qui dit à peu près n’importe quoi sur ces plateformes. La liberté d’expression à son meilleur et à son pire.

Des pistes de solution?

D’immenses efforts doivent être mis du côté de l’éducation populaire et une importante mobilisation de l’industrie médiatique est à bâtir. Les médias d’information doivent mieux expliquer, défendre et promouvoir leur rôle. Les journalistes doivent constamment rappeler l’importance de leur travail et démontrer en quoi il est à la base de nos sociétés modernes. Nous ne pouvons présumer que tous et toutes sont familières et familiers avec ces concepts et nous avons trop à perdre du déclin de nos médias. À la modestie doit substituer la fierté de participer à rendre nos sociétés plus aptes à faire des choix collectifs éclairés. 

De surcroît, la population doit mieux connaître le fonctionnement des réseaux sociaux et le rôle des algorithmes. Elle doit être en mesure de distinguer le vrai du faux, de savoir que ce qu’elle voit sur ses fils d’actualité n’est qu’une petite partie du monde, qu’une facette d’elle-même et de son environnement immédiat. Le milieu scolaire a certainement un rôle à jouer là-dedans. L’école sert aussi à former des citoyens-nes capables de comprendre la société dans laquelle elles et ils évoluent, pas seulement des travailleuses et des travailleurs. Les médias d’information devraient faire partie des outils intégrés au cursus scolaire. Il devrait également y avoir une formation de base sur le rôle des médias et sur leur fonctionnement pour que les élèves puissent s’en servir pour élargir leur apprentissage, développer l’habitude de s’informer chez les professionnels-les de l’information, et former leur esprit critique par rapport à ce qui est rapporté. 

Les médias ont aussi la responsabilité de trouver leur place dans l’univers numérique. Ils doivent se réinventer pour aller rejoindre leur public là où il se trouve, tout en préservant ce qui fait d’eux des références respectées. En quelque sorte, ils ont la difficile mission de trouver la recette entre la flexibilité technologique des nouvelles entreprises du Web tout en préservant les principes, l’éthique et la rigueur des médias traditionnels. Pas évident quand l’information n’a plus la valeur commerciale pour attirer les revenus qu’elle a eus par le passé. 

En ce sens, je crois que les médias doivent apprendre à travailler ensemble, et vite, pour assurer leur avenir, car les développements technologiques nécessitent d’importants investissements qui ne sont pas à la portée de tous et de toutes. Si chacun de son côté continue d’engloutir des sommes colossales dans la conception de nouvelles applications et plateformes, que reste-t-il pour le contenu? Je pense que si les médias doivent mettre en commun quelques ressources pour s’entraider, c’est sur la technologie, la distribution numérique de leurs contenus. Qu’arrivera-t-il lors de la prochaine grande avancée technologique? Qui aura les moyens de faire un nouveau La Presse+ en réalité virtuelle par exemple?

Les gouvernements doivent aussi agir et sans tarder. Comme ils l’ont fait par le passé pour favoriser l’émergence d’une culture québécoise et canadienne, ils doivent mettre en place des mesures fiscales et réglementaires qui permettront à nos industries de survivre malgré la forte compétition mondiale. Ils ont entre les mains plusieurs pistes de solution qui leur ont été présentées par nombre de joueurs de l’industrie. La FNC-CSN a soumis plusieurs mémoires et études qui démontrent que des mesures fiscales transitoires qui garantissent la séparation entre l’État et les médias sont nécessaires. La plus importante consisterait en la mise en place d’un crédit d’impôt sur la masse salariale. Cela permettrait aux entreprises de maintenir leurs effectifs et peut-être même de les augmenter.

Nos gouvernements ont aussi le pouvoir de dompter les géants du Web qui ne participent en rien à l’économie de notre pays et qui ne contribuent aucunement au foisonnement de notre industrie. Il s’agit d’avantages fiscaux illégaux dont ne bénéficie pas notre industrie qui, elle, paie ses taxes, ses impôts et qui est fortement réglementée. Comment pouvons-nous espérer sauver nos entreprises dans ce contexte ?

Enfin, une grande part de la solution est entre les mains du public. L’information n’est pas gratuite. Si on ne paie plus au moyen des abonnements ou encore par l’achat de publicité dans nos médias locaux, alors, il faudra accepter de payer autrement, que ce soit par le biais de taxes ou de redevances. C’est le coût d’une société démocratique. Un pays sans médias, sans information produite par des sources indépendantes, est une dictature.

Comme je l’ai mentionné d’entrée de jeu, on doit se questionner sur la représentation et la place des groupes et des idées minoritaires dans les médias de masse, mais ce qui participe en quelque sorte à une plus grande variété dans nos médias est la pluralité des voix. Alors que notre industrie est grandement fragilisée, que les signaux d’alarme ont été lancés, que des solutions ont été proposées, je suis inquiète du manque d’empressement à les mettre en place. Je suis inquiète pour notre ouverture sur le monde. Je suis inquiète pour la place au débat, pour l’exposition aux idées contraires. Je suis inquiète pour nos droits acquis et pour les injustices qui restent à dénoncer. Je suis inquiète pour l’avenir de l’information. Je suis inquiète pour notre démocratie. 

CRÉDIT PHOTO: Revue L’Esprit libre – Caroline Chéadé 

Financement des ONG : Actrices ou désoeuvrées face à la néolibéralisation du développement?

Financement des ONG : Actrices ou désoeuvrées face à la néolibéralisation du développement?

Par Annie-Claude Veilleux

Certains événements marquent parfois l’imaginaire collectif. En 2012, deux événements en particulier sont venus influencer l’idée faite des ONG et de leur financement ;  le constat fait sur les millions de dollars de l’aide internationale perdus pour la reconstruction d’Haïti à la suite du tremblement de terre, et le cyberphénomène Kony 2012, aujourd’hui relayé comme symbole d’un nouveau slacktivism*. L’opinion populaire face aux ONG est très vacillante ; le premier cas venu de fraude est rapidement médiatisé, et le scepticisme envers les « humanitaires » grandissant. Que savons-nous, et qu’est-il possible de savoir vis-à-vis des rouages financiers de ces organismes, parfois petits et localisés, parfois immenses et présents sur toute la surface du globe?

En 2012, un an après le tremblement de terre, on découvre que des millions de dollars ramassés aux quatre coins du monde pour aider à la reconstruction d’Haïti ont été perdus, mal investis, ou tout simplement accaparés. Des 2,4 milliards de dollars acheminés par le gouvernement américain pour l’aide internationale, par exemple, seulement 1% a été destinés au gouvernement haïtien lui-même et 0,4% à des ONG haïtiennes, alors que plus de 486 millions avaient été remis à la Croix-Rouge américaine, pour ne nommer que ces chiffres (1). On connaît aujourd’hui les déboires qu’a connus Haïti suite au tremblement de terre et toutes les critiques qui furent formulées aux projets de secours et de développement déployés. « Kony 2012 » est quant à lui un événement international organisé par l’ONG américaine Invisible Children. Cet événement visait, via une solide vidéo publiée sur le web appelant à une cybermobilisation de masse et à l’accrochage de tags, l’arrestation d’un seigneur de guerre ougandais connu pour ses massacres commis par l’enrôlement d’enfants soldats, Joseph Kony.

La campagne fut fortement critiquée, comme quoi le scénario hollywoodien de la vidéo présentait une vision faussement dramatique de la réelle situation politique et sécuritaire de l’Ouganda et passait sous silence les actions du dictateur ougandais Yoweri Musevini. La gestion des finances de l’ONG fut aussi mise à mal : l’argent récolté par la campagne aurait servi d’abord et avant tout à rembourser la production très onéreuse, et uniquement 32% des dépenses réalisées par l’ONG durant l’année 2011 auraient véritablement servi sur le terrain (2). La plupart d’entres nous avons également ressenti ce sentiment de scepticisme ; il semble par exemple grandissant vis-à-vis des jeunes gens à dossard coloré bloquant le chemin des métros ou des grandes artères urbaines pour nous convaincre de donner pour telle ou telle organisation (ou que nous devrions nous sentir coupables de ne pas le faire, selon la réaction). Qui n’a jamais demandé à l’un ou l’une de ceux-ci ou celles-ci la légendaire question « [m]ais quel pourcentage de mon don se rend réellement aux populations visées?! » ? Au vu et au su de ces suspicions parfois partagées à l’égard des finances des organisations caritatives et autres ONG de ce monde, cet article ne cherchera pas à ausculter les faits et méfaits d’Invisible Children ou des déboires d’USAID en Haïti (puisque vous pouvez déjà trouver pour tous les goûts sur le sujet), mais peut-être un peu plus simplement d’analyser l’environnement et l’univers dans lequel les ONG évoluent avant de porter un jugement certain sur la moralité de leur financement et de leur applicabilité sur le « terrain ». Qu’est-ce qui distingue l’action des ONG d’autres organisations? Comment opèrent-elles pour mener à bien leurs actions, dans leur pays d’origine et ailleurs?

ONG, OSI, OI, ONGI…

Il faut d’abord se mettre d’accord sur ce dont on parle lorsqu’il s’agit « des ONG ». Première grande division, les ONG vis-à-vis des organisations internationales (OI) ou des fondations. Les ONG se définissent par le fait qu’elles sont des organisations indépendantes de leur gouvernement ou de tout gouvernement, dont les membres sont des individus ayant foi en la mission poursuivie par celles-ci. Les membres d’organisations internationales, quant à eux, sont essentiellement les représentant-es d’États, regroupé-es selon divers critères. En cela, l’ONU ni aucun de ses organes n’est une ONG, pas plus qu’USAID ou l’Agence canadienne de développement international : la gestion de leurs actions et de leurs finances relève du pouvoir public (3). Les fondations, ensuite, se définissent comme une masse de biens individualisée mise au service d’une cause fixée par la donatrice ou le donateur. La fondation, de plus, ne comporte pas vraiment de membres, mais un conseil d’administration. Par exemple, les fondations Paul-Gérin Lajoie et David Suzuki fonctionnent selon les fonds alloués par M. Lajoie et M. Suzuki (4).

Plusieurs subdivisions peuvent ensuite exister à l’intérieur des ONG. En 2012, l’union des associations internationales estime qu’il existe environ 38 000 ONG à travers le monde (5). Toutes ces ONG peuvent être classées par divers critères, mais le principal relevé par Marie-Pierre Goisis, auteure de nombreux essais sur l’action des ONG et des mouvements sociaux, est la nature des actions menées par l’organisation. De ce critère, on relève trois principales catégories. Il y a d’abord les ONG se disant d’appui humanitaire, les plus célèbres étant l’organisation de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Médecins sans Frontières ou encore Médecins du Monde, qui apportent chacune une aide urgente et nécessaire aux populations victimes de catastrophes ou de crises.

Ces organisations n’orientent donc pas l’essentiel de leur programme sur des projets à long terme au sein des populations touchées ; c’est là davantage l’œuvre des organisations de développement, ou d’appui au développement local, qui font des interventions d’ordre économique, social ou culturel au niveau micro et local, comme le fait Oxfam, Action contre la Faim ou, plus près de nous, des ONG comme SUCO ou Développement et Paix. Nous avons enfin les ONG disant mener des actions d’appui aux luttes sociales, qu’elles soient de nature politique, écologique, religieuse ou autres, via un appui financier ou organisationnel, des pressions politiques, de la recherche et des analyses, ou encore de la formation et de la représentation internationale. On peut compter dans ces organisations Greenpeace, Alternatives, Amnistie Internationale, etc.

De cette subdivision peuvent s’en créer encore deux autres, soit d’abord les ONG d’appui aux luttes sociales qui se définissent comme faisant de la solidarité internationale, et préférant s’appeler OSI (Organisation de solidarité internationale) plutôt qu’ONG. Cette appellation vient préciser l’origine des actions soutenues dans les Suds ou au Nord, comme quoi elles viennent soulever des initiatives ou des enjeux du bas vers le haut, à partir de revendications populaires (6). Autre subdivision : les ONGI, ou les organisations non-gouvernementales internationales. Celles-ci se définissent par leur caractère transnational et leur présence véritablement internationale. Non qu’elles soient simplement présentes à l’étranger, de nombreuses ONG le sont aussi. Mais bien qu’elles possèdent une présence, une réputation ou encore un statut plus lourd et plus internationalisé que d’autres organisations. Une comparaison simple serait celle à faire avec les compagnies multinationales : les ONGI sont présentes presque partout, avec différents sièges dans le monde, et des filiales tout aussi répandues. Oxfam International, Médecins sans Frontières, Caritas, Croix et Croissant-Rouge : ONGI (7). Ces distinctions faites, on pourrait se dire qu’il reste de nombreux groupes à classer, comme le Forum Social Mondial, le mouvement Occupy ou BDS. Ceux-ci ne sont pas des organisations à proprement parler, mais bien des mouvements. Les mouvements se distinguent des ONG de par leur organisation beaucoup moins définie et leur spontanéité, faisant d’eux des représentants plus directs de la société civile selon certains experts (8).

Concurrence, bailleurs, marketing direct : écosystème du financement caritatif

Le financement de chaque ONG est devenu, année après année, plus complexe et ardu avec leur multiplication. Si elles sont aujourd’hui 38 000, elles n’étaient que 45 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’augmentation de ce nombre est substantielle durant la période post-guerre froide ; les efforts nécessaires à la reconstruction de l’Europe de l’Est, l’après-décolonisation, l’émergence de nombreux conflits armés complexes dans les Suds et les glorieuses années de l’interventionnisme américain sont tous des vecteurs de cette multiplication (9). Cela place donc les ONG d’aujourd’hui dans un marché du développement et de l’humanitaire saturé et hautement concurrentiel. Elles sont en constante compétition les unes avec les autres pour capter les diverses sources de financement à leur portée ; et cela avec toutes les contradictions que leurs démarches peuvent amener. Mme Goisis, encore une fois, présente le public, l’État et les autres ONG comme ces principales sources de financement (10).

Le financement recueilli par les ONG auprès du public consiste, en résumé, aux dons perçus auprès d’individus ou d’entreprises. Le nombre croissant d’ONG les pousse donc à développer des outils de plus en plus performants afin de convaincre leur public cible que leur cause défendue est aussi la leur. Pour en arriver là, il s’est d’abord construit un véritable marché de la collecte de fonds. Le tout commence au milieu des années soixante-dix avec les fundraisers américains, dont le modèle de marketing direct se généralise à l’ensemble de l’Occident au cours des années quatre-vingt. Leur organisation était très simple : elle se limitait à l’idée d’avoir à l’intérieur de l’organisation un certain (petit) nombre de salarié-es permanent-es spécialisé-es en collecte de fonds et en marketing en milieu caritatif. C’était là une véritable révolution, puisqu’à l’époque, le salariat à l’intérieur des milieux militants et humanitaires n’en était qu’à ses balbutiements. Quelques organisations reprirent les premières l’idée, voyant l’indépendance financière d’une ONG comme nécessaire à l’atteinte d’une véritable indépendance politique. L’argument fut fortement appuyé à l’époque par l’efficacité de la chose : dès la première année de sa fondation, en 1980, Médecins du Monde récolte 20 millions de fonds en collecte, puis 40 millions, puis 60 millions la troisième année en levée de fonds (11)! C’était le début du marketing direct et de tous ses outils ; mailing, phoning, e-marketing à l’arrivée d’internet. Bref, la naissance du Charity Business.

C’était également le début d’un nouveau débat éthique très lourd à l’intérieur des ONG et de la société civile : quelle place accorder aux salarié-es professionnel-les dans une organisation qui se veut en tout premier lieu militante, politisée et dont le fonctionnement est basé sur un processus démocratique où chacun se doit d’avoir une voix égale? La segmentation de celle-ci entre salarié-es professionnel-les et bénévoles convaincu-es avant tout par la mission de l’organisation ne vient-elle pas briser celle-ci au cœur même de ses idéologies et valeurs? Débat qui a pris encore de l’ampleur avec le temps. Aujourd’hui, le scepticisme grandissant du public à l’égard du financement des ONG les pousse à se professionnaliser davantage afin de montrer patte blanche et de répondre à toujours plus d’exigences au niveau de la transparence. À titre d’exemple, Oxfam-Québec s’est récemment doté d’un code de conduite basé sur des valeurs de solidarité, de partenariat et de transparence. Tous les chiffres sur les opérations de l’organisation sont disponibles. Mais toutes ces démarches déployées pour convaincre les donateurs-trices de la bonne gestion de l’organisation et du bien-fondé de sa mission nécessite de nouveaux professionnels, autrefois étrangers au milieu militant de l’organisation : comptables, gestionnaires, agent-es de communication, analystes. Ce sont là toutes et tous des professionnel-les qui exigent un salaire décent pour leur travail ; rien ne les empêche d’aller voir ailleurs sur le marché du travail, puisque ceux-ci et celles-ci sont recruté-es pour leurs compétences, et non plus uniquement sur la base de leur militantisme. Les ONG se doivent alors également de devenir plus compétitives sur le marché de l’emploi (12). La logique de la fameuse question « est-ce que mon don va directement sur le terrain » est donc plutôt malheureuse, puisque pour prouver à tout un chacun que c’est bien le cas, une organisation doit augmenter ses dépenses à l’interne. Sur ce sujet, le tollé provoqué par Kony 2012 en est un excellent exemple. L’une des critiques adressées à l’ONG Invisible Children après les événements porta sur les dépenses de l’organisation. On lui reprocha d’avoir dépensé 1,7 millions de dollars américains, dans l’année précédent la publication de la vidéo, en salaires pour ses 115 employé-es, ce qui fait environ 14 800$ en salaire annuel (13) (soit environ le seuil de pauvreté en 2011 aux États-Unis pour un couple) (14). C’est un caractère important du débat entourant la professionnalisation des ONG : comment reprocher à une organisation caritative de vouloir être compétitive dans un marché qui est résolument compétitif? Les exigences et les critiques sont grandes, mais les moyens ne le sont pas. On voudrait une ONG efficace et transparente, aux missions et projets concrets, mais elle ne devrait pas payer ses employé-es plus qu’un salaire de misère. Comment, de cette façon, attirer des femmes et des hommes compétent-es qui sauront donner une telle image au travail de l’organisation?

Sous-traitance de l’État et néolibéralisme : la fin de l’indépendance politique?

Le deuxième bailleur de fonds des ONG (et probablement le plus important pour la majorité d’entre elles) est l’État. Alors que dans la deuxième moitié du XXe siècle se sont créées les différentes agences étatiques d’aide publique au développement (USAid aux États-Unis, ECHOS pour l’Union européenne, l’ACDI au Canada), elles subissent une métamorphose importante au cours des années quatre-vingt-dix sous l’impulsion du projet néolibéral, matérialisé par les exigences des politiques d’ajustement structurel (PAS) dans les pays du Sud (15). L’État cherche alors à privatiser de plus en plus ses politiques d’aide publique au développement, soit l’ensemble des transferts en argent, techniques et savoirs se faisant d’un État à un autre pour en favoriser le développement social. Si autrefois, ces transferts étaient mis en branle par des fonctionnaires de l’État, ces opérations sont aujourd’hui privatisées et sous-traitées à des entreprises ou des organismes spécialisés en développement. Les ONG de développement, les ONG humanitaires et autres OSIs, puisqu’elles possèdent une expertise et une expérience de longue date sur le terrain et le réseau de contacts nécessaires à l’accomplissement de telles tâches, se sont vues naturellement visées par cette nouvelle sous-traitance de l’État. Ce revirement de situation est intervenu au bon moment, puisqu’il coïncidait avec une certaine forme de saturation au niveau de la collecte de fonds auprès du public (le concept n’était plus aussi nouveau, les individus étaient sur-sollicités et donnaient moins) (16). Les fonds en provenance de l’État et de ses institutions étaient donc plus que bienvenus. Cette nouvelle façon de faire a toutefois aussi apporté son lot de complications au niveau fonctionnel d’abord, et politique ensuite.

Au niveau fonctionnel puisque, d’un coup, les ONG se devaient de rapporter leurs moindres faits et gestes auprès de leur nouveau bailleur public, l’État devant s’assurer que les fonds publics mis à leur disposition étaient utilisés adéquatement. Les organisations doivent donc maintenir une courroie de communication permanente en son sein entre le terrain et l’État, par la rédaction standardisée de rapports de missions, de correspondances officielles avec les partenaires sur le terrain, de documents présentant les divers projets demandant subventions, etc. Nécessairement, les ONG se sont mises à compétitionner entre elles pour obtenir les fonds, tout comme elles le font pour les dons issus du public, d’autant plus qu’année après année les budgets alloués au développement international sont réduits. Pour mettre toutes les chances de leur côté, la plupart des organisations engagent de nouveaux professionnels pour faire le travail de rédaction, de communication, de gestion, autant de nouveaux salaires à payer! Cette façon de faire est relayée par une certaine forme de pragmatisme encouragée par le bailleur de fonds publics, au détriment d’une innovation peut-être un peu plus naturelle aux ONG. Ce pragmatisme les pousse à toujours se spécialiser davantage d’un point de vue technique, afin de répondre plus adéquatement à certaines demandes et à certains créneaux du bailleur en matière de projets de développement (17). C’est pourquoi, dans certaines organisations, se propage de plus en plus un attrait pour un management de type entrepreunarial au détriment de la mission et des idéaux démocratiques et solidaires qui les firent naître.

Complications au niveau politique ensuite, puisqu’une certaine forme de standardisation des projets de développement est maintenant demandée par le bailleur. Comme l’attribution des subventions de l’État ressemble de plus en plus à une sorte d’appel d’offres où chaque organisation présente et vend ses divers projets, une forme plus standard de projet est devenue nécessaire pour favoriser l’obtention de fonds. Par exemple, il est plus profitable pour le bailleur que le projet soit d’une durée favorisant un retour rapide des actions menées ou d’une forme permettant une évaluation constante, puisque celui-ci peut alors plus rapidement juger de la pertinence de celui-ci, et décider d’un budget à l’autre si la subvention est maintenue ou pas. Les ONG sont donc indirectement forcées d’abandonner des projets à long-terme, qu’ils soient nouveaux ou déjà en cours, au profit de projets à court terme pour capter davantage de subventions (18). Ce qui vient contredire leur volonté d’assurer un réel développement, qui serait plus durable et plus adapté aux besoins d’une population que des projets plus éphémères. La pression exercée par le bailleur année après année vient aussi nuire au fonctionnement même des ONG, et par-delà les complications politiques rejoignent les complications fonctionnelles : comment planifier des projets ou gérer une équipe de travail qualifiée si d’une année à l’autre, on peut couper les vivres?

L’indépendance politique des organisations est également mise à mal : lorsque les fonds sont alloués au bon gré de l’État, le choix fait est forcément politique. Les années Harper fournissent à ce sujet un cas d’école. En 2012, Stephen Harper allouait un budget spécial de 13,4 millions de dollars à l’Agence du revenu du Canada pour faire des vérifications auprès des organismes de bienfaisance. Ces vérifications cherchaient notamment à ausculter l’application de la règle du10 %, voulant que pas plus de 10% des ressources d’une organisation ne servent à l’activisme politique, auquel cas ces organisations se verraient couper leurs fonds. Il en retourna finalement que les enquêtes menées visaient plus clairement des organisations se présentant en défaveur des politiques conservatrices : organisations écologistes, de défense des droits des Palestinien-nes, de plaidoyer syndical. Bref, les organisations les plus progressistes (19), (20). Comme quoi la position des ONG vis-à-vis de cette source de financement, faisant d’elles de réelles sous-traitantes de l’État, fragilise leur position par rapport à ce dernier puisque les projets développés outre-mer doivent dorénavant s’aligner sur la politique étrangère de l’État et parce que la sécurité d’emploi des militant-es salarié-es est maintenue sous tension à chaque nouveau budget.

Les multinationales de l’humanitaire

Troisième et dernière principale source de financement, un peu moins importante que les deux autres, les autres ONG. Cette relation d’ONG à ONG s’apparente un peu à la relation entretenue entre une ONG et l’État, puisque dans cette situation, une ONG plus grande et plus vaste sous-traite ses projets à une autre ONG. Cela se produit plus fréquemment d’une ONGI à une ONG plus petite, mais qui sera peut-être plus spécialisée en un certain domaine ou mieux implantée dans une région. Dans le cas d’ONG locales, c’est le plus souvent une ONG du Nord qui sous-traite ou appuie, via un appui monétaire ou matériel et technique, un projet à une ONG du Sud bien implantée sur le terrain. Façon de faire parfois mieux vue et reçue par les communautés locales, puisqu’elles développent alors elles-mêmes les projets destinés à leur propre développement social ou économique. Toutefois, un effet pervers de ce genre d’appui (et il est le même dans une situation de sous-traitance d’une ONGI du nord à une autre ONG du nord) est le système quelque peu hiérarchique qui se crée alors entre une organisation plus grande et plus vaste, capable de lever des fonds plus importants à moindres frais, et l’organisation plus petite choisie par la première qui se voit parfois sans détour assigner des projets (21). Les ONGI dominent et sous-traitent aux plus petites, l’ONG-mère dicte aux ONG cadettes le chemin à suivre. On peut toutefois garder en tête que d’une organisation solidaire et démocratique à une autre, les projets visent peut-être les mêmes idéaux et les mêmes valeurs.

Les alternatives en présence

Ces constatations et analyses faites, nous sommes maintenant mieux capables de saisir les contradictions qui peuvent influencer le financement et l’organisation des ONG selon leur source. Que ce soit la segmentation entre salarié-es et militant-es bénévoles ou la tendance à opter pour un mode de gestion se rapprochant davantage de l’entreprise privée que de l’organisation politisée, certaines façons de faire éloignent peut-être aujourd’hui ces organisations de leur mission de base. L’effritement de leur indépendance politique vis-à-vis du bailleur de fonds étatique vient également jouer sur ces valeurs pourtant intrinsèques à la définition même des ONG. Tout cela nous amène toutefois aussi à saisir la complexité de l’action de ces organisations, et à réfléchir à cette question : ces organisations sont-elles des actrices coopératives d’un système leur induisant ces contradictions, ou des démunies sans alternative réelle pour continuer leur travail? La réflexion appartiendra à chacun-e la prochaine fois qu’il ou elle croisera « la fille de l’ONG » sur la rue. La décision n’a pas non plus à être unilatérale ; comme n’importe quoi dans la vie, il n’y a pas que du blanc ou du noir, il suffit de s’informer, de gratter, d’aller voir.

Face à cela, on serait aussi tenté-e d’observer les alternatives en présence. Quels autres acteurs de développement ou de secours humanitaire peut-il exister? Nous en avons déjà parlé, il y a les organisations internationales, l’État, les mouvements sociaux. Les organisations internationales sont assurées de la dépendance politique, puisqu’elles représentent les intérêts des États. Elles peuvent toutefois servir d’importants forums, d’importants espaces d’échanges et de communications uniques pour assurer une coopération multilatérale efficiente. L’État, quant à lui, peut voir son action modulée au gré des gouvernements et des politiques, et il est loin d’être à l’abri du gaspillage et du néo-colonialisme, s’il n’est pas le mieux placé pour l’être (à ce sujet certain-es voudront peut-être lire Le gaspillage de l’aide publique de Sylvie Brunel, ancienne tête d’Action contre la Faim, pour un portrait tout à fait déprimant de l’action publique française en Afrique, notamment). Les mouvements sociaux, finalement, peuvent présenter une alternative plus solide, en ce qu’ils présentent une forme résolument politique (moins de chichis sur l’indépendance), préférant l’action directe et concrète et la concertation citoyenne, mais qui peut s’avérer moins efficace à l’échelle plus globale. Il faut concéder quelque chose : les ONGs sont là, concrètement, et agissent. Un rapide tour d’Internet nous donne les chiffres sur l’action du Secours islamique, de Human Rights Watch, du Mouvement des Sans-Terre, d’ATTAC, d’Amnistie et des autres. Dans l’état actuel du monde, une autre question est de savoir si l’on peut réellement faire l’économie de ces organisations.

* : Activisme considéré comme paresseux relayé par l’action superficielle des individus sur les réseaux sociaux et sur le Web

(1) Bill Quigley, Amber Ramanauskas. « Haïti : Mais où diable est passé l’argent de la reconstruction? » Courrier International (En-ligne) 12 janvier 2012 http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/12/mais-ou-diable-e…

(2) Nick Thompson. « ‘’ Kony 2012 ‘’ viral video raises questions about filmmakers » CNN (En-ligne) 12 mars 2012 ttp://www.cnn.com/2012/03/09/world/africa/kony-2012-q-and-a/

(3) Diane Éthier. « Introduction aux relations internationales » Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2010, p.90 et 130

(4) Agence du revenu du Canada. « Types d’organismes de bienfaisance enregistrés (désignations) » Agence du revenu du Canada (En-ligne) http://www.cra-arc.gc.ca/chrts-gvng/chrts/pplyng/trcd-fra.html consulté le 26 juillet 2016

Desbornes, Anouk. « L’argent donné aux ONGs est-il bien utilisé ? » Exigence partielle pour mémoire de maîtrise, Université de Genève, mai 2012, p.15

(5) Sadagattoulla Sarifa. « Oxfam-Québec : une Organisation Non Gouvernementale d’aide au développement ou l’expression d’un pouvoir politique transnational » Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, mai 2012, p.16

(6) Marie-Pierre Goisis. « Les ONG : instruments du projet néolibéral ou base solidaire des alternatives populaires? » chap. in Les ONG : Instruments du néo-libéralisme ou alternatives populaires? Sous la dir. François Houtard. Paris : L’Harmattan, p.8-9

(7) Samy Cohen. « Les ONG sont-elles altermondialistes ? » In Les mobilisations altermondialistes (rapport de colloque)(Paris, 3-5 décembre 2003) sous la dir. GERMM-AFSP. Archives ouvertes Science Po Paris, 2004

(8) Ibid no.7

(9) Ibid no.7

(10) Ibid no.6, p.8-9

(11) Sylvain Lefèvre. « Mobiliser les gens, mobiliser l’argent » Paris : Presses universitaires de France, 2011, p.30-36

(12) Ibid no.5, p.44

(13) Simon Rogers. « Kony 2012 : The numbers behind Invisible Children » The Gardian (En-ligne) 12 mars 2012 http://www.theguardian.com/news/datablog/2012/mar/12/kony-2012-infographic

(14) United States Census Bureau. « Poverty Tresholds by size of Family and Number of Children – 2011 » En-ligne http://www.census.gov/data/tables/time-series/demo/income-poverty/histor…

(15) Anne Le Naëlou « Pour comprendre la professionnalisation dans les ONG : quelques apports d’une sociologie des professions » Revue Tiers-Monde no.180, oct.-déc. 2004, p.773-774

(16) Ibid no.110, p.53

(17) Ibid no.154, p.773-774

(18) Ibid no.6, p.25-26

(19) La Presse canadienne. « Le gouvernement Trudeau met fin aux vérifications politiques des organismes de bienfaisance » Radio-Canada (En-ligne) 20 janvier 2016 http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2016/01/20/003-gouverneme…

(20) Nafi Alibert. « L’aide canadienne au développement sous les feux de la critique » Le Journal des Alternatives (En-ligne) 1er février 2013 http://journal.alternatives.ca/spip.php?article7145

(21) Ibid no.6, p.25-26

CRÉDIT PHOTO: Hervé Cheuzeville

Financement intact pour une population autochtone grandissante

Financement intact pour une population autochtone grandissante

La population autochtone, toutes identités confondues, est appelée à connaître une augmentation démographique marquée sur l’ensemble du territoire canadien, mais le financement aux communautés risque d’être inchangé, laissant planer une inquiétude quant aux enjeux auxquels elle doit déjà faire face.

Ils sont minoritaires sur un territoire qu’ils étaient les premiers à occuper. Leur poids politique est maigre. Ils éprouvent de la difficulté à se trouver des emplois en ville ou à se loger dans le confinement de leurs réserves. Un récent rapport de Statistique Canada prévoit une croissance démographique importante de cette population autochtone dans les prochaines années. Selon ces projections, leur poids démographique pourrait passer de 1 502 000 habitants en 2011 à 2 633 000 en 2036 [1].

Le haut taux de natalité serait la cause principale de cette « explosion démographique », d’après le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APN), Ghislain Picard. En effet, beaucoup de femmes deviennent mères très jeunes dans les communautés. Cette tendance est également corroborée par Carole Lévesque, directrice du réseau DIALOG de l’Institut national de recherche scientifique (INRS). « Les grossesses chez les adolescentes autochtones sont 18 fois plus élevées que chez les femmes canadiennes », soutient-elle. L’éducation sexuelle n’est pas accessible dans les communautés et les discours sur la contraception sont peu répandus, faute de budget.

D’après la présidente de l’organisation Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, les grossesses chez les adolescentes ne viennent pas uniquement du manque d’éducation à la sexualité ; des manquements dans le foyer familial peuvent jouer eux aussi. Il n’est pas inhabituel de constater des relations familiales fracturées par des enfances difficiles et des environnements peu propices au développement des jeunes. « C’est un héritage qui vient d’un vécu traumatisant dans les pensionnats, explique-t-elle. Les enfants y sont placés sans consentement pendant 15 ans, alors quand ils reviennent dans leur famille, il y a une coupure. Ces relations familiales ne sont pas saines et certaines choses ne se transmettent pas du parent à l’enfant ». Comme l’enfant est longuement privé de vie familiale, il est coupé d’une éducation qui devrait lui être transmise par ses parents. Et ces valeurs manquantes continuent de l’être de génération en génération.

Le recensement de 2011 tient également compte de la réinscription de 45 000 personne au registre des Indiens d’après la loi C-3 entrée en vigueur la même année [2]. Ce sont donc 45 000 personnes de plus qui, à partir de l’adoption de la loi, ont pu bénéficier des avantages relatifs au statut d’Indien. La Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens a permis aux descendances de femmes ayant perdu leur statut d’Indienne suite à un mariage avec un non-Indien d’être dès lors admissible au statut d’Indien. Cette loi a été longuement remise en question par les autochtones des communautés restreintes qui craignaient perdre le peu d’avantages que leur attribuait leur inscription au registre au profit de ces nouvelles inscriptions.

Le tiers monde canadien

Comme ces familles sont nombreuses et que le seuil de pauvreté élevé est un véritable fléau pour elles, se loger devient un problème épineux, particulièrement dans la mesure où les logements adéquats font défaut. Les ménages pourraient être plus nombreux,  « entre 191 000 et 208 000 d’ici 2036 » dans les réserves uniquement, d’après les projections du rapport [1]. Les logements, déjà rares pour une population estimée à 120 000 personnes lors du recensement de 2011 (les prochaines données seront disponibles en 2016), risquent de l’être davantage dans les années à venir. Les communautés sont déjà surpeuplées de sorte que deux familles peuvent s’entasser dans un même logement de taille insuffisante.  D’après Ghislain Picard, pour contrer cette pénurie il faudrait « doubler les logements dès demain », projection irréaliste qui demanderait un grand financement et une volonté des gouvernements fédéraux et provinciaux de répondre à l’aide d’actions concrètes aux problèmes que leur soumettent les chefs des différents groupes autochtones. 100 000 nouveaux logements seraient nécessaires pour pallier au problème de surpopulation [3].

Les effets de cette croissance démographique n’affectent pas que les réserves, mais aussi la proportion d’autochtones qui habitent en milieu urbain. « Plus de 60 % de la population autochtone au Québec ou au Canada vit dans les villes, explique Carole Lévesque. C’est sûr qu’il y a des pénuries de logements et qu’il y a plus de jeunes en âge de travailler qui n’ont pas d’emploi, mais ça implique aussi qu’il va y avoir plus de jeunes qui vont poursuivre des études collégiales ou universitaires. Ça crée une nouvelle classe de professionnels ». Mais à l’intérieur des collectivités des Premières Nations, seulement 35% des autochtones obtiennent un diplôme d’études secondaires [3].

Chaque année, la population autochtone augmenterait de 1,1 % à 2,3 %. Cette hausse démographique est plus importante que celle des populations non autochtones qui augmente de 0,9 % annuellement [1]. Elle a également un effet social important, car avec un poids démographique plus important, les autochtones pourraient obtenir plus d’influence politique. « En Saskatchewan, par exemple, ils représentent 15 % [de la population] donc c’est clair qu’il y a une influence politique », estime le chef régional de l’APN. Mais dans l’ensemble du Canada, les autochtones ne représentent que 4,6 % à 6,1 % de la population des différences provinces. Pour Carole Lévesque, ça reste trop peu pour voir un changement politique concret et global avant plusieurs décennies même avec un taux de croissance plus rapide.

Les enjeux majeurs qui ressortent de cette augmentation sont tous reliés à une seule et même problématique : le manque de financement du fédéral envers les communautés autochtones. Chaque communauté détient un budget pour subvenir à ses besoins. Un budget bien mince qui ne varie pas en fonction du nombre d’individus et qui doit pourtant couvrir les services de santé, les accès aux logements, l’éducation; des services qui sont tous sous-développés. « Le problème, c’est que les communautés vivent déjà en survivance économique, se désole Viviane Michel. Une population croissante va créer une problématique du côté du financement parce que celui-ci reste tel quel même si la population augmente ». D’après elle, ce n’est pas une hausse de population qui aggraverait des enjeux tels que la pénurie de logements, mais bien le sous financement. « Ça ne dérange pas le système s’il y a une plus grande population, affirme-t-elle. Les impacts sont économiques ».

Pour améliorer la situation des autochtones sur le territoire canadien et faire en sorte qu’elle ne s’aggrave pas avec la croissance démographique annoncée, « il va falloir investir davantage, ça prend un bon gouvernement et des mesures concrètes », pense Ghislain Picard. Mais les revendications passent sous le radar parce que le financement vient du fédéral et les communautés ne sont que peu entendues.

[1] http://www.statcan.gc.ca/dailyquotidien/150917/dq150917b-fra.pdf

[2] http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/LegislativeSummaries/40/3/40-3-c3-f.pdf

[3]http://www.afn.ca/fr/nouvelles-et-medias/dernieres-nouvelles/le-budget-f… 2015-une-occasion-ratee-pour-les-premieres-nations-et-le-canada-selon-le-chef-  national-de-lassemblee-des-premieres-nations