L’Algérie nouvelle : le nouveau slogan de la dictature algérienne

L’Algérie nouvelle : le nouveau slogan de la dictature algérienne

Par Raouf Bousbia

Cet article est d’abord paru dans notre recueil imprimé Les voix qui s’élèvent, disponible dans notre boutique en ligne.

Choc, indignation et colère : tels sont les sentiments qu’éprouvent les journalistes et militant∙e∙s pour la liberté d’expression et la démocratie en Algérie. Le 15 septembre 2020, le journaliste indépendant Khaled Drareni a été condamné en appel à deux ans de prison ferme pour avoir couvert une des manifestations de la révolte populaire algérienne, connue sous le nom de Hirak ou encore de Révolution du sourire et qui a provoqué la chute de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. Énormément d’espoir animait alors le peuple algérien pour la construction d’une nouvelle république et d’un État de droit. C’était sans compter la crise de la COVID-19, qui a frappé de plein fouet la mobilisation et la régularité des manifestations hebdomadaires, ce qui a permis au régime algérien de reprendre la main et d’imposer, petit à petit, une chape de plomb sur toute critique ou initiative individuelle des militant∙e∙s algérien∙ne∙s.

Après la démission d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019, les élections présidentielles prévues initialement le 18 avril ont été reportées au 4 juillet de la même année. Pendant cette période et selon les dispositions de la constitution algérienne, le président du conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, devait assurer l’intérim au poste de chef de l’État algérien. Période qui a été prolongée à cause de l’intensification des revendications de la rue, qui sont passées du refus d’une énième présidence d’Abdelaziz Bouteflika à l’exigence du départ de toutes les figures du régime algérien et à la chute du système qui régit le pays depuis son indépendance en 1962.

Très vite, les Algérien∙ne∙s ont compris qu’Abdelkader Bensalah, sans charisme ni pouvoir décisionnel, n’était qu’une façade civile du pouvoir militaire algérien et que le véritable homme fort du pays n’était autre que le chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah. Le vieux général, un des derniers fidèles du clan Bouteflika, intervenait chaque semaine à la télévision d’État pour annoncer des mesures afin de protéger, selon ses dires, le pays des attaques de la main étrangère et des ennemis de la nation.

L’état-major de l’armée, le tenant du pouvoir algérien

Toutes les forces de sécurité, qu’elles aient été sous la tutelle du ministère de l’Intérieur (les services de police) ou du ministère de la Défense (la gendarmerie nationale), réagissaient immédiatement aux annonces du chef d’état-major, souvent avec zèle et excès de violence. C’est ainsi que l’arrestation massive de manifestant∙e∙s arborant l’emblème identitaire berbère a été opérée le lendemain d’un discours du chef d’état-major de l’armée dans lequel ce dernier proclamait l’interdiction de tout étendard autre que le drapeau algérien dans les manifestations[i]. Bizarrement, l’interdiction n’a pas été suivie d’arrestations en Kabylie, où l’emblème berbère était brandi autant que le drapeau algérien. Cette situation a été perçue par les Algérien∙ne∙s comme une nouvelle manipulation du régime et de ses services visant à diviser le peuple et à donner l’impression que la poursuite de la contestation n’était l’œuvre que d’une minorité sécessionniste voulant déstabiliser le pays[ii]. La contestation et la dénonciation des mesures arbitraires n’ont été que plus fortes par la suite, portées par des militant∙e∙s de plus en plus déterminé∙e∙s, alors que nombre d’entre elles et eux ont été arrêté∙e∙s et condamné∙e∙s à de lourdes peines de prison pour l’accusation, propre aux dictatures, d’« atteinte à l’intégrité du territoire national[iii] », et cela pour la seule raison qu’elles et ils avaient porté un emblème identitaire. D’autres accusations ont été prononcées contre des militant∙e∙s. La plus invraisemblable a été l’« atteinte au moral de l’armée »C’est celle qui a été portée contre les militants Karim Tabbou et Lakhdar Bouregaa, condamnés à de lourdes peines de prison après avoir dénoncé les interventions du général Gaïd Salah et son implication flagrante dans les décisions politiques du pays qui a fait dévier complètement le rôle constitutionnel de l’armée algérienne[iv].

L’ampleur de la poursuite de la contestation dans tout le pays a surpris le régime, qui s’attendait à un essoufflement et de ce fait, il n’a pas pu organiser les élections prévues le 4 juillet 2019. La constitution algérienne prévoit, en cas de démission du chef de l’État, l’obligation de la tenue d’élections présidentielles dans les 90 jours suivants. En dépassant ce délai, pour beaucoup d’Algérien∙ne∙s, le gouvernement en place est devenu illégitime. Gaïd Salah, impatient et ayant constaté que la situation lui échappait, a rejeté la politique d’apaisement entreprise par Abdelkader Bensalah, qui a procédé à la libération de plusieurs détenu∙e∙s d’opinion. Le 2 septembre 2019, le général a annoncé la tenue d’élections présidentielles le 12 décembre suivant, menaçant quiconque s’opposerait ou essaierait d’interrompre le processus électoral.

Élections présidentielles : la dictature militaire se trouve une « façade civile »

Comme l’écrivain et journaliste Slimane Zeghidour l’a dit, « ce que le régime veut, ce n’est pas forcément un président populaire, ce n’est pas non plus un président démocratiquement élu. Ce qu’il veut d’abord, c’est un président, en clair, une façade civile, un retour à la normale [v]».

Le 17 novembre 2019, la campagne électorale est lancée. En lice, cinq candidats : Azzedine Mihoubi, Abdelkader Bengrina, Abdelmadjid Tebboune, Ali Benflis et Abdelaziz Belaïd. À part Belaïd, tous ont été ministres sous le régime du président déchu Abdelaziz Bouteflika. Des manifestations de soutien pour la tenue des élections se sont organisées à travers le pays[vi] et les candidats se sont déplacés sous escortes policières et n’ont rencontré leurs partisans et partisanes que dans des salles fermées. Tenus quasiment à huis clos, leurs discours visaient plus à inciter la population à aller voter qu’à présenter leur programme présidentiel. En parallèle, le Hirak a continué de manifester chaque vendredi et chaque mardi (le mardi étant la journée consacrée aux manifestations des étudiants). La répression et les arrestations de militant∙e∙s se sont poursuivies, mais rien n’a fait reculer le pouvoir. Cette fois-là, les élections ont bien eu lieu.

Pour la diaspora algérienne dans le monde, l’opération de vote a commencé le 7 décembre. À Montréal, des centaines de manifestant∙e∙s se sont rassemblé∙e∙s devant le consulat général d’Algérie[vii]. Parmi elles et eux, un groupe qui comptabilisait le nombre de personnes qui accédaient au bureau de vote, afin de déterminer par la suite le taux de participation qui aurait pu être manipulé par le pouvoir algérien. Les votant∙e∙s ont été conspué∙e∙s et les insultes fusaient des deux bords de la rue Saint-Urbain : d’un côté, les opposants aux élections, et de l’autre, ceux qui tenaient à accomplir leur devoir civique envers leur pays d’origine. Des scènes qui démontraient la division qui commençait à régner au sein de la population. Une Algérie qui ne voulait plus faire allégeance à une instance de pouvoir qui manipulait et continuait de fonctionner avec les mêmes méthodes et mécanismes, celles d’un État autoritaire et incompétent. Une autre Algérie, qui voyait en cette élection l’aboutissement de la crise politique et un moyen de retrouver la stabilité.

Le 12 décembre, la plupart des bureaux de vote ont ouvert dans le pays, mais la participation a été tellement faible que le pouvoir n’a même pas osé gonfler le taux de participation. Le soir, à la fermeture des bureaux de vote, le taux de participation s’est élevé à 39,88 %, soit dix points de moins que lors de l’élection présidentielle de 2014 qui a réélu Bouteflika pour un quatrième mandat. Le lendemain, l’autorité nationale indépendante des élections a proclamé Abdelmadjid Tebboune nouveau président de la République algérienne démocratique et populaire, avec 58,13 % des voix, soit 4 947 523 votant∙e∙s des 24 464 161 que compte le corps électoral algérien.

Abdelmadjid Tebboune, pur produit du régime algérien

Premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika en 2017, Abdelmadjid Tebboune a toujours été considéré comme un proche du chef d’état-major Gaïd Salah. Il a toujours occupé des postes de responsabilité au sein des institutions gouvernementales algériennes[viii]. Il a d’abord été secrétaire général dans les wilayas (préfectures) d’Adrar en 1977, puis de Batna en 1979 et de M’sila en 1982. En 1983, il a été promu au poste de wali (préfet) à Adrar, un poste qu’il a occupé de nouveau à Tiaret de 1984 à 1989 et à Tizi-Ouzou de 1989 à 1991. Par la suite, il a fait son entrée au gouvernement mis en place le 18 juin 1991 en tant que ministre délégué chargé des collectivités locales auprès du ministre de l’Intérieur. Huit mois plus tard, il a quitté le gouvernement pour une retraite anticipée. Lorsqu’Abdelaziz Bouteflika a été porté au pouvoir en 1999, Tebboune a été appelé par ce dernier à prendre en charge le poste de ministre de la Communication et de la Culture, et ensuite le poste de ministre délégué chargé des Collectivités locales pour le remaniement des walis. En 2001, il a été nommé ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme. Il a quitté le gouvernement en 2002 pour effectuer des missions diplomatiques à l’étranger pour Bouteflika, notamment en Iran et en Syrie. En 2012, il a été nommé encore une fois ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme. Il a conservé ce ministère jusqu’en 2017, alors que Bouteflika l’a nommé premier ministre. Il a été évincé quelques mois plus tard à la suite de luttes de clans gravitant autour du président malade.

Propulsé chef du plus grand État africain et méditerranéen, Tebboune est entré en fonction le 19 décembre 2019 et, en guise de premier geste en tant que président, il a décerné au chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, et à l’ex-président par intérim Abdelkader Bensalah, l’ordre du Mérite national, un prestigieux symbole de reconnaissance algérien qui récompense les services éminents rendus au pays, pour avoir contribué à rehausser son prestige. Malade, Abdelkader Bensalah n’a pas repris son poste de président du Conseil de la nation et il a démissionné de son poste de sénateur en juin 2020. Ahmed Gaïd Salah, quant à lui, est décédé le 23 décembre 2019 des suites d’une crise cardiaque, selon la version officielle. Un deuil national de trois jours a été décrété et des funérailles dignes d’un chef d’État ont été organisées par le régime.

Lors de ses allocutions, Tebboune a rendu hommage au vieux général et n’a pas non plus tari d’éloges envers le Hirak, en le qualifiant même de « Hirak béni » qui a libéré le pays. Il a aussi annoncé l’avènement d’une nouvelle Algérie pleine d’espoir pour la liberté, les droits de la personne et la dignité humaine. Un discours conciliant envers les manifestant∙e∙s, mais qui était complètement en opposition avec la réalité de la répression envers celles et ceux qui ont rejeté l’élection de Tebboune et qui ont ridiculisé son image lors des manifestations, en mettant en scène des caricatures le montrant consommer de la cocaïne. Ces caricatures faisaient référence à l’implication, en mai 2018, de son fils Khaled Tebboune dans un trafic de drogue mis au jour par la saisie record de 700 kilogrammes de cocaïne au port d’Oran, un événement qui a déclenché une enquête de grande envergure et qui a entraîné dans son sillage l’arrestation du fils du nouveau président algérien. Lors de son procès en février 2020, le fils du président a été totalement blanchi et a regagné sa liberté. Une liberté confisquée à d’innombrables militant∙e∙s et activistes du Hirak, ce qui a démontré, une fois de plus, que la justice algérienne est aux ordres des politiciens et que l’abus de pouvoir allait continuer à être le moteur du règne de Tebboune

Le SRAS-CoV-2, l’allié ultime de la répression

« Le Hirak est une idée et une idée ne meurt pas. Mais les êtres que nous perdons ne reviennent jamais. » C’est le message[ix] qu’ont lancé le 16 mars 2020 à Alger 25 professeur∙e∙s de médecine et membres de professions médicales aux Algérien∙ne∙s afin qu’elles et ils prennent conscience de la dangerosité de la COVID-19, qui se propageait dans le pays. À la suite de cet appel, les manifestations ont été suspendues malgré l’entêtement et le déni de certaines figures emblématiques du Hirak, telle Samira Messouci, militante active et élue du rassemblement pour la culture et la démocratie et ex-détenue d’opinion, qui s’attira de vives critiques après avoir nié l’existence même du virus. Par la suite, elle est revenue sur ses déclarations et a fait son mea-culpa. Sonné par les multiples arrestations et les procès expéditifs, le Hirak allait être frappé de plein fouet par cette crise sanitaire qui allait donner au régime une énième occasion de consolider ses appuis et d’étouffer la révolution.

N’ayant plus d’opposition dans les rues, le régime algérien a mis sa machine répressive en marche. Les arrestations ciblées de militant∙e∙s, à présent isolé∙e∙s, ont repris de plus belle. Des journalistes indépendant∙e∙s ont été arrêté∙e∙s pour la simple raison d’avoir couvert les manifestations ou relayé des informations sur les réseaux sociaux; le cas du journaliste Khaled Drareni est emblématique de cette situation. D’autres journalistes croupissent en ce moment même dans les geôles du régime, dans l’indifférence totale de la communauté internationale. Tel est le cas pour le journaliste et militant pour les droits individuels Abdelkrim Zeghileche, incarcéré depuis le 24 juin et condamné à plusieurs années de prison pour « outrage à la personne du président ».

Contactée par L’Esprit libre, le 1er octobre 2020, Lynda Nacer, journaliste indépendante et ancienne cheffe du bureau régional de l’Est du quotidien Liberté en Algérie, a fait état du harcèlement que subissent les professionnel∙le∙s du journalisme dans son pays et déclare:

Il y a une montée dangereuse de la répression contre la liberté de la presse et d’expression. L’intimidation et le harcèlement contre les journalistes indépendant∙e∙s notamment ont atteint une dimension effrayante, au point où des accusations aussi fallacieuses qu’infondées – comme l’offense au président, l’atteinte à un corps constitué ou encore l’atteinte à l’unité nationale – pendent au nez de tou∙te∙s celles et ceux qui osent porter un regard critique sur la politique totalitaire du pouvoir en place.

Critiquées et sans assise populaire légitime, les autorités algériennes ont organisé un référendum constitutionnel pour appeler la population à se prononcer sur une révision de la constitution le 1er novembre 2020. Une date très symbolique étant donné que c’est le 66e anniversaire du déclenchement de la révolution armée qui avait mené à l’indépendance de l’Algérie. Les appels au boycott du scrutin ont eu grand écho dans la population et seulement 23,4 % du corps électoral s’était déplacé pour voter[x]. C’est finalement le camp du oui qui a remporté le référendum avec un taux de 66,80 %. Des résultats annoncés en l’absence du chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, atteint de la COVID-19 et hospitalisé en Allemagne depuis le 28 octobre 2020.

Ghanem-Yazbeck, politologue de l’institut Carnegie à Beyrouth au Liban dit à propos de ce référendum : « Cette claque pour le régime est aussi une claque pour le Hirak. Cette Constitution vise à casser le mouvement du 22 février en se le réappropriant[xi]. » Car effectivement, à la télévision d’État et dans les médias acquis au régime, on fait abstraction du taux de participation en présentant ce référendum comme une victoire écrasante du oui et comme la satisfaction aux revendications populaires.

Des membres du Hirak refusent que le régime leur confisque la révolution comme il a toujours su le faire, elles et ils savent la nécessité de réinventer leur mouvement et de trouver des moyens de pression plus efficaces que quelques heures de manifestations par semaine. Fatiha Ghazi, activiste pour la démocratie en Algérie et militante pour les libertés individuelles, a confié à L’Esprit libre que la révolution n’est pas morte et qu’elle est en train d’évoluer. Elle a précisé : « La révolution avait commencé par des revendications de ce que nous ne voulons pas, en l’occurrence : la candidature de Bouteflika, un régime militaire, un pouvoir politique corrompu. À présent, nos revendications parlent de ce que nous voulons : un État de droit, une société plurielle. » Fatiha Ghazi sait que concrétiser toutes les attentes et tous les espoirs prendra du temps, mais elle reste confiante et enthousiaste quant à l’issue de cette révolution qu’elle chérit tant. Par ailleurs, Messaoud Leftissi, lui aussi militant pour la démocratie, les droits de la personne et l’environnement, a été emprisonné pendant six mois pour ses opinions et a vu sa vie professionnelle complètement brisée. Il ne partage plus la ferveur de Fatiha et demeure convaincu que le Hirak n’aboutira sur rien de concret et déclare : « Contrairement aux révolutions tunisienne et soudanaise, en Algérie, les corporations syndicales qui étaient mobilisées au début ne le sont plus à présent. Nous sommes dans un état de faiblesse, car l’adhésion initiale qu’il y a eu en 2019 n’est plus là. »

Jusque-là, le pouls de la révolution du sourire était donné par ses manifestations populaires qui donnaient un aspect concret au mécontentement et aux revendications de la population algérienne. Des rassemblements de millions de personnes qui ont dû se soumettre aux règles de confinement et de distanciation sociale que la pandémie de la COVID-19 a imposées au monde entier. Ce Hirak a peut-être arrêté de battre le pavé pour un temps, mais il continue d’être nourri par les débats au sein de la société algérienne sur la justice et la tolérance, des valeurs universelles qui se reconnaissent dans la démocratie à laquelle aspire le peuple algérien depuis son indépendance. 

Crédit photo : David Peterson, Pixabay, https://pixabay.com/fr/photos/drapeau-banni%C3%A8re-nation-embl%C3%A8me-…

[i] Marc Daou, « Interpellations pour port du drapeau berbère en Algérie : « une volonté de briser le mouvement » », France 24, modifié le 13 juillet 2019. https://www.france24.com/fr/20190702-algerie-arrestations-drapeau-berbere-amazigh-manifestations-bouregaa.

[ii] Mohamed Mouloudj, « Emblème amazigh : les détenus font le procès de l’accusation », Liberté, 23 octobre 2019. http://www.liberte-algerie.com/actualite/embleme-amazigh-les-detenus-font-le-proces-de-laccusation-326574.

[iii] Ahmed Benchemsi, « Algérie : Répression de manifestations à l’approche de l’élection présidentielle », Human Rights Watch, 6 décembre 2019. https://www.hrw.org/fr/news/2019/12/06/algerie-repression-de-manifestations-lapproche-de-lelection-presidentielle

[iv] Farid Alilat, « Algérie : l’opposant Karim Tabbou incarcéré pour « atteinte au moral de l’armée » », Jeune Afrique, 13 septembre 2019. https://www.jeuneafrique.com/828929/politique/algerie-lopposant-karim-tabbou-incarcere-pour-atteinte-au-moral-de-larmee/.

[v] Slimane Zeghidour & Matthieu Vendrely, « En Algérie, entre le Hirak et l’armée, l’impossible dialogue », TV5 Monde, modifié le 25 novembre 2019. https://information.tv5monde.com/afrique/en-algerie-entre-le-hirak-et-l-armee-l-impossible-dialogue-333265.

[vi] « Manifestation de soutien à la Présidentielle à Alger-centre », Algérie Eco, 9 décembre 2019. https://www.algerie-eco.com/2019/12/09/manifestation-de-soutien-a-la-presidentielle-a-alger-centre/.

[vii] Michel Marsolais, « Manifestation au centre-ville de Montréal contre la présidentielle algérienne », Radio-Canada, 8 décembre 2019. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1423709/algerie-election-manifestation-consulat-diaspora-canada.

[viii] Ambassade algérienne, Biographie Tebboune, s.d., https://algerianembassy.ug/biographie-tebboune/.

[ix] Madjid Zerrouky, « Coronavirus : en Algérie, des figures du Hirak appellent à la suspension des manifestations », Le Monde, 17 mars 2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/03/17/coronavirus-en-algerie-des-figures-du-hirak-appellent-a-la-suspension-des-manifestations_6033402_3212.html.

[x] Frédéric Bobin, « Le référendum censé fonder une « nouvelle République » en Algérie massivement boycotté », Le Monde, modifié le 2 novembre 2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/01/a-alger-un-referendum-sans-engouement-populaire_6058113_3212.html.

[xi] Marie Verdier, « En Algérie, le régime en pleine régression », La Croix, 3 novembre 2020. https://www.la-croix.com/Monde/En-Algerie-regime-pleine-regression-2020-11-03-1201122754.

Un an de crise, un an de contestation

Un an de crise, un an de contestation

Le 23 mars 2020, le gouvernement caquiste annonçait l’imposition d’un confinement d’au moins trois semaines, premier pas d’une série de mesures sanitaires qui ponctuent depuis l’actualité – et le quotidieni. Au Québec et ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées contre une réponse politique jugée, entre autres, « liberticide ». Alors que les feux sont braqués sur les antimasques, antivaccins ou carrément coronasceptiques, d’autres formes de contestation se mettent en place.  

« Plus l’état d’urgence avance, plus la légitimité du gouvernement doit être questionnée », prévenait le juriste et professeur Louis-Philippe Lampron durant un webinaire organisé par la Ligue des droits et libertés (LDL) du Québec, le 24 février 2021ii.  

Au Québec, l’état d’urgence est reconduit depuis le 13 mars 2020, en vertu des articles 118 et suivants de la Loi sur la santé publiqueiii. Aux dix jours, décrets et arrêtés ministériels se succèdent pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, sans consultation du parlement.  

« Un très petit nombre de personnes exerce le pouvoir exécutif actuellement. Ce nombre restreint de personnes prend des décisions majeures relatives aux droits fondamentaux des gens, sans qu’il y ait délibération ou discussion sur le bien-fondé de ces décisions », écrivait Christian Nadeau, professeur de philosophie politique à l’Université de Montréal, dans un communiqué de la LDL paru le 28 avril 2020iv. Près d’un an plus tard, le gouvernement de François Legault maintient une gestion de la pandémie sur le mode de la « crise », une gestion de plus en plus critiquée. Le couvre-feu, en vigueur depuis le 6 janvier dernierv, compte parmi les mesures pointées du doigt, à droite comme à gauche.  

« Financer la santé, pas les policiers »vi  

Alors que le premier ministre affirmait sur les réseaux sociaux qu’« avec le couvre-feu, on a réduit le nombre de cas », il n’existe aucune preuve du lien entre cette mesure et la diminution des tests positifs, constatée depuis sa mise en vigueurvii. Le manque d’appui sur des conclusions scientifiques est une des choses que reproche Pascalviii au gouvernement : « le couvre-feu n’est pas seulement inutile, mais il est aussi dangereux », soutient le militant du collectif Pas de solution policière à la crise sanitaire, qui a préféré témoigner anonymement.  

Il rappelle le cas de Raphaël André, 51 ans, décédé à la mi-janvier à Montréal après avoir passé la nuit à quelques mètres d’un refuge ferméix. Sa mort avait suscité de nombreuses critiques sur l’application du couvre-feu aux personnes en situation d’itinérancex, finalement exemptées temporairementxi

« On s’oppose au couvre-feu, mais aussi à l’ensemble des mesures autoritaires et policières à la crise sanitaire », poursuit Pascal, citant à titre d’exemple la distribution de contraventions, ou encore l’augmentation du budget de la police. En date du 18 février 2021, 6 557 constats d’infractions à la Loi sur la santé publique avaient été distribués au Québec, le montant des amendes récoltées totalisant plus de 9,7 millions de dollarsxii.  

Le collectif, qui a organisé deux manifestations les 16 janvier et 7 février dernier dans les rues de la métropole, s’inscrit dans une mouvance de gauche extraparlementaire. Il se distingue fortement des opposants aux mesures sanitaires d’inspiration conspirationniste. Les antimasques et les antivaccins n’étaient d’ailleurs pas les bienvenu·e·s dans les rassemblements qu’a organisés le collectif, où on a invité les quelques centaines de participant·e·s à respecter les gestes barrières.  

Pour les militant·e·s du collectif, qui est suivi par près d’un millier de personnes sur Facebook, la pandémie est avant tout un problème sanitaire, qui doit se résoudre à l’échelle sanitaire.  

Pascal dénonce le manque d’investissement dans le système de santé public : « une des raisons pour lesquelles la Covid-19 est mortelle, c’est parce que depuis trente ans les gouvernements caquiste, libéraux et péquistes ont coupé dans le système de santé, ce qui fait qu’il va beaucoup plus vite qu’autrefois et nous rend très vulnérables à une pandémie », explique-t-il àL’Esprit libre.  

Parmi les revendications du collectif, on trouve le désinvestissement dans les services de police, dans la foulée du mouvement Defund the police. Le militant croit que la crise sanitaire est plutôt une occasion de « mettre de l’avant des solutions d’entraide et de solidarité, des alternatives qui mettraient de l’avant un réinvestissement massif dans le filet social et les services sociaux ». Il se désole de constater une réponse inverse du gouvernement, qui adopte selon lui une approche individualiste de l’endiguement de la crise, tout en favorisant l’économie au détriment de l’intégrité physique et psychologique d’une partie de la population.   

Il n’y aura pas d’avant pour les arts vivants 

Avec la réouverture des écoles et des commerces, les rues de Montréal ont retrouvé un semblant de normalité. Mais certains secteurs d’activités sont encore profondément affectés par les restrictions sanitaires. C’est le cas des arts vivants comme le théâtre ou la danse, privés quasi intégralement de leurs lieux d’exercice depuis le début de la pandémie.  

Aux lendemains de l’annonce du premier confinement, en mars 2020, l’auteur et metteur en scène Hugo Fréjabise et certain·e·s de ses collègues ont tout de suite cherché à s’organiser pour continuer à créer, confiné·e·s. Il se souvient avoir rapidement pris conscience que, pour lui, le théâtre ne pouvait pas exister surZoom ou Facebook Live, qu’il lui fallait un public en chair, en os et en masques. S’est alors entamé un processus de réflexion, dont la conclusion est sans équivoque : « le théâtre n’a pas été bouleversé par l’épidémie, mais l’épidémie a révélé ce qu’il y avait de problématique dans les arts vivants », affirme M. Fréjabise, joint par téléphone.  

Même si les artistes en arrêt de travail ont pu toucher les aides financières d’urgence, il s’inquiète que rien n’ait été fait pour assurer la survie des arts vivants en tant que tels. « On s’est vite rendu compte qu’il fallait agir par nous-mêmes et ne pas faire de motions pour le gouvernement, les grands théâtres, le Conseil des Arts et tout ça, qui n’ont rien fait pendant un an », poursuit-il, évoquant une « perte de confiance totale » vis-à-vis des institutions supposées représenter et défendre les intérêts des artistes, et surtout de leurs arts.  

À l’été 2020, M. Fréjabise et ses collègues ont donc pris d’assaut les parcs de Montréal pour y jouer une pièce créée entièrement depuis le début de la pandémie. Aussi, malgré le temps froid, des manifestations-évènements sont organisées ponctuellement dans les lieux publics de la ville par différents collectifs, à défaut d’avoir accès aux salles de théâtres. D’ailleurs, celles-ci demeurent fermées jusqu’à nouvel ordre, malgré l’annonce de la réouverture des cinémas à compter du 26 févrierxiii.  

En parallèle, les mesures proposées par le ministère de la Culture et des Communications sont insatisfaisantes pour M. Fréjabise, qui souligne que les bourses offertes pour la création sont désormais fortement orientées vers le théâtre numérique. « On nous propose de devenir des youtubeurs en puissance », commente-t-il, ajoutant qu’il s’oppose à cette injonction du « réinventez-vous en 2.0 ». 

« Pour nous, ce serait une résistance de dire que le théâtre ça se passe en forêt, ça se passe dans la rue, ça ne se passe pas par écran », insiste l’auteur et metteur en scène, se faisant le porte-voix de dizaines d’artistes avec lesquels il travaille d’arrache-pied pour continuer à créer, en dépit des contraintes sanitaires. Sur l’avenir du théâtre postpandémie, il souhaite échapper à un mouvement qu’il qualifie de gauche réactionnaire qui appellerait à un retour au monde d’avant. Pour lui, en ce qui concerne la place accordée aux arts vivants dans la société québécoise, « l’avant, ce n’était déjà pas terrible ».  

i Olivier Bossé, « COVID-19 : le Québec “sur pause” pour au moins trois semaines », Le Soleil, 23 mars 2020. https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19-le-quebec-sur-pause-pour-au-moins-trois-semaines-video-01afbdb0751d8b91c6be329c812b1057.  

ii « Webinaires », Ligue des droits et libertés. https://liguedesdroits.ca/webinaires/.  

iii Mesures prises par décrets et arrêtés ministériels en lien avec la pandémie de la COVID-19, Gouvernement du Québec. https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/mesures-prises-decrets-arretes-ministeriels/#:~:text=le%2022%20juillet%202020%2C%20du,pand%C3%A9mie%20de%20la%20COVID%2D19%20

iv « Communiqué : Mesures d’urgence et déconfinement – La crise sanitaire réveille de vieilles urgences déjà bien connues », Ligue des droits et libertés, 28 avril 2020. https://liguedesdroits.ca/communique-deconfinement-dh/

v David Rémillard, « “On ne saura jamais” l’impact du couvre-feu sur le nombre de cas de COVID-19 », 24 janvier 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1765499/couvre-feu-efficacite-science-covid19-quebec.  

vi Slogan entendu lors des manifestations organisées par le collectif Pas de solution policière à la crise sanitaire.  

vii Ibid.  

viii Nom fictif.  

ix Thomas Gerbet, « Un itinérant de Montréal est mort après avoir passé la nuit devant un refuge fermé »,Radio-Canada, 18 janvier 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1763930/itinerant-montreal-mort-toilettes-nuit-dehors-refuge-ferme.  

x Maud Cucchi, « L’opposition enjoint au gouvernement Legault d’exempter les itinérants du couvre-feu », Radio-Canada, 25 janvier 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1765712/itinerance-legault-couvre-feu-covid-pandemie-exemption.  

xi Jérôme Labbé, « Les itinérants exemptés temporairement du couvre-feu au Québec », Radio-Canada, 26 janvier 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1766147/suspension-application-couvre-feu-itinerants-cour-superieure.  

xii Marco Bélair Cirino, « Bond des constats d’infraction liés aux règles sanitaires »,Le Devoir, 18 février 2021. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/595383/non-respect-des-consignes-le-nombre-de-contraventions-a-bondi-sauf-a-montreal.  

xiii « La majorité des salles de cinéma rouvriront le 26 février au Québec », Radio-Canada, 19 février 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1772115/reouverture-salles-cinema-26-fevrier-quebec-covid-coronavirus?depuisRecherche=true.   

Témoignage : la prison au temps de la COVID-19

Témoignage : la prison au temps de la COVID-19

Ce texte est d’abord paru dans notre recueil imprimé Les voix qui s’élèvent, disponible dans notre boutique en ligne.

En mai 2020, Robert Langevin meurt à la prison de Bordeaux, des suites de la COVID-19. Un événement qualifié « d’évitable » par la Ligue des droits et libertési. Au pénitencier du nord de l’île de Montréal, près d’une centaine de prisonniersii sont alors atteints. Détenu depuis un peu plus d’un an, Francis Paquet se souvient de la première vague comme d’un « calvaire » lors duquel il a craint pour sa vie, une peur qui ne s’est toujours pas dissipée.


« L’être humain en prison, c’est de la bullshit », lâche M. Paquet. Lorsque la COVID est entrée « en dedans », les détenus ont tous été isolés totalement dans leurs cellules pendant 14 jours. Pendant deux semaines, il est dans le secteur C, qu’il qualifie d’« insalubre », et où la faune intérieure est surprenante : « souris, coquerelles, mouches à fruits ». Pendant ce premier confinement, il relate n’avoir pris aucune douche et ne pas avoir eu accès à de l’eau chaude, en plus de n’avoir pu parler à ses proches qu’après une dizaine de jours.

Craindre pour sa vie

C’est depuis sa cellule de l’aile C que Francis a craint pour sa vie pour la première fois. Il raconte avoir prévenu le personnel qu’il ressentait des symptômes de crise du cœur le 8 mai. « On m’a répondu : « Quand tu seras à terre, on va venir te ramasser » », se souvient-il. Sentant alors que sa vie était en danger, il a continué à interpeller les gardien∙ne∙s en appuyant sur un bouton d’alerte à sa disposition. Au dossier de M. Paquet, rien ne mentionne une condition cardiaque particulière, affirme le prisonnier. « À cause de ça, les gardiens disent qu’ils peuvent rien faire pour moi », explique-t-il.

À ce moment, Francis Paquet avait prévenu sa conjointe lors des quelques minutes de conversation téléphonique permises. Elle tente de faire intervenir le Protecteur du citoyen, cet ombudsman chargé de recevoir les plaintes relatives aux services publics, mais celui-ci lui rétorque qu’il ne peut rien faire tant que son conjoint ne le contacte pas directement. Depuis l’établissement carcéral, Francis tente de rejoindre lui-même cette instance, mais chaque fois qu’il essaie, le numéro semble bloqué. Le détenu demande alors aux gardien∙ne∙s de remplir des feuilles de plaintes. « Elles disparaissent tout le temps! On me dit ne pas avoir vu ça », raconte-t-il après plusieurs tentatives infructueuses d’aviser une quelconque autorité de sa situation. Il mentionne avoir fait envoyer par sa conjointe trois lettres signées par une avocate au directeur de la prison afin d’obtenir la visite d’un médecin. Il obtiendra finalement un rendez-vous le sommant de passer une batterie d’examens, que M. Paquet n’avait toujours pas pu effectuer au début du mois de novembre 2020.

Durant ce premier confinement dans l’aile C, l’état des lieux se détériore, raconte-t-il. Il explique ne pas avoir eu accès à de l’eau courante pendant deux jours. Lorsque les gardien∙ne∙s ont annoncé que le courant allait être rétabli, Francis a tout de suite compris ce que cela signifiait. Craignant un débordement, il décrit : « J’ai vidé ma marde en prenant des sacs à vidanges comme gants. » Sa prévision s’est concrétisée : dans la cellule voisine, il fait état d’un pied d’excréments jonchant le sol. Un dégât que les équipes de nettoyage sont venues laver après 92 heures, spécifie-t-il.

Après ce premier confinement, l’homme de 42 ans est testé positif. Comme près d’une centaine d’autres hommes, il plie bagage pour s’installer à l’aile G où le régime est le même : il demeure enfermé dans sa cellule. Il chiffre à 29 jours entiers son confinement total entre quatre murs.

Lors de notre second entretien, au début novembre, en plein cœur de la deuxième vague, Francis Paquet était toujours dans des déboires administratifs pour obtenir des soins médicaux, cette fois pour effectuer des changements à sa médication, notamment à cause de douleurs au dos. Il en était à deux lettres d’avocat pour obtenir des Tylenol. En prison, l’obtention d’une ressource quelconque relève toujours du défi. Depuis plusieurs mois, M. Paquet réussit toutefois à mettre la main sur quelques acétaminophènes supplémentaires provenant de ce qu’il nomme le « marché interne » : des échanges informels entre prisonniers.

Mesures sanitaires et régime de détention « inacceptables »

Ce que le détenu déplore, c’est également le manque de mesures concernant la circulation entre les ailes où logent des détenus atteints du coronavirus, et celles où aucun cas n’a été décelé. « Au début de la COVID, les gardiens [et gardiennes] arrivaient avec leur linge [uniformes de travail] déjà sur le dos », précise-t-il. Il affirme continuer de se battre pour que les lieux soient davantage désinfectés et que les règles relatives au lavage des mains et au port du couvre-visage soient appliquées correctement.

« Les gardien∙ne∙s font fi de la loi, ça crée des tensions », explique Francis. Outre une application des mesures d’hygiène décrite comme laxiste, il relate des mauvais traitements à l’égard des détenus, une restriction de l’accès au téléphone et des comportements injurieux envers les détenus.

En novembre, Francis décroche pendant quelques semaines un poste de chef de l’équipe de ménage de son aile, seul moyen de « faire changer les choses » selon lui. À la prison de Bordeaux, chaque aile est indépendante et correspond à une des branches qui forme l’imposante architecture en étoile du centre de détention. Il explique avoir réussi à convaincre l’administration de créer un poste de responsable de la désinfection. « Avant ça, les rampes et les portes n’étaient pas nettoyées alors que les gardien∙ne∙s les touchent pas de gants », évoque-t-il. Dès lors, un prisonnier peut s’occuper de cette tâche moyennant un maigre 14 $ par semaine.

Pourquoi revendiquer autant pour la désinfection des lieux? C’est parce que Francis Paquet « a la chienne de repogner [la COVID] pis de mourir icitte [à la prison de Bordeaux] ». L’homme devrait sortir de détention en février 2021.

« C’est quoi la valeur de nos vies? »

Depuis son emprisonnement pour possession de cannabis médical et de résine, Francis se questionne sur l’égalité dans le traitement des individus devant la loi, affirmant que sa parole n’est jamais considérée. « C’est quoi la valeur de nos vies? », répète à plusieurs reprises le détenu. Il croit être l’un des seuls parmi les détenus à pouvoir se faire entendre compte tenu de son « bon dossier »; dans le jargon de la prison, ça désigne quelqu’un qui n’a ni violé ni tué.

Il rapporte qu’avant le décès de Robert Langevin, les prisonniers criaient pour qu’on lui vienne en aide. L’homme de 72 ans avait demandé d’être transféré à l’hôpital 9 jours avant sa mort. Après un séjour à l’infirmerie de l’établissement, on l’a finalement conduit à l’hôpital, où il est décédé. M. Paquet attribue aux gardien∙ne∙s l’entière responsabilité de cette mort.

Depuis, Francis Paquet croit avec difficulté en l’entraide et en l’humanité. Il parle de sa détention en répétant le mot « bataille », celle d’une reconnaissance relative de ses droits. « Au moins, si je meurs en dedans, il va y avoir des lettres d’avocat pour prouver que je me suis battu », lâche-t-il. Sa conjointe, qui préfère garder l’anonymat, avoue se sentir impuissante. « Je prie pour qu’il soit fort et que personne d’autre ne perde la vie par négligence », affirme-t-elle.

Au terme de plusieurs heures d’un témoignage entrecoupé des messages de la prison diffusés à l’interphone, Francis confie appréhender avec peur les prochains mois, « Ce que je vis ici, c’est inhumain » clame-t-il. Ce qui bouleverse actuellement le quotidien est imperceptible à l’œil. L’insidieux virus à l’origine de la COVID-19 rend pourtant visible le décalage des réalités, celui qui existe derrière les portes closes et verrouillées du milieu carcéral.

Crédit photo : Adèle Foglia.

i Ligue des droits et libertés, « Communiqué : Premier détenu décédé des suites de la COVID-19. Cette mort aurait pu être évitée », 20 mai 2020. https://liguedesdroits.ca/communique-prison-deces-covid/?fbclid=IwAR2Exs…

ii La prison de Bordeaux est non mixte. Y sont envoyés des détenus purgeant des peines de moins de deux ans ou des prévenus en attente de procès.

La crise politique du coronavirus

La crise politique du coronavirus

Le présent texte porte sur les implications politiques de la crise du coronavirus. Il ne se veut pas une répétition de ce que les autres médias ont pu affirmer sur la question ni une simple analyse de faits éprouvés. Il vise plutôt à poser un autre regard sur la circulation des discours qui gravitent autour de cette maladie et qui s’aventurent parfois hors des sentiers battus. Au risque de nous tromper, nous cherchons à dégager de nouvelles voies de critique du pouvoir. En effet, il s’agit de profiter d’un moment de crise de l’État afin d’opérer une dissection, en temps normal beaucoup plus difficile à effectuer. Nous abordons la crise du point de vue de l’économie politique critique grâce à une entrevue avec l’économiste Mathieu Perron-Dufour. Ce texte sera suivi d’un autre qui mobilisera une approche distincte relevant du poststructuralisme et de la pensée de Jean Baudrillard.

Pour bon nombre d’économistes, l’humanité serait au bord d’une crise économique mondiale. Le FMI a même annoncé la pire récession depuis le krach boursier des années 19301. Le néolibéralisme a déjà effrité les moyens de contrôle du marché et, ce faisant, a laissé libre cours à de fréquentes crises économiques, dont la crise internationale de la fin des années 2000 (2007-2009). Les politiques néolibérales ont entraîné, au Québec, la dissolution graduelle de l’État providence et la décrépitude notoire de ses systèmes d’éducation et de santé. Ces conditions ont, d’une certaine manière, jeté les bases de la crise économique qui résultera du coronavirus et, d’une manière plus importante, ont suscité la panique face à l’incapacité des structures déjà très fragiles à répondre à la crise. Le philosophe Michel Onfray a d’ailleurs souligné, dans une entrevue avec RT News, à quel point la subordination de l’État au Capital, depuis longtemps normalisé, s’avère maintenant catastrophique : « Emmanuel Macron ne dispose pas d’un autre logiciel que le logiciel maastrichtien qui suppose que le marché doit faire la loi.2 » Or, la situation en Amérique du Nord n’est pas si différente, même si ce sont d’autres accords, dont l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui sont en vigueur. Le résultat est grosso modo le même; la règle d’or est la non-intervention, règle à laquelle on a assez longtemps hésité à déroger.

Par conséquent, et peut-être en apparente contradiction, voilà que l’État redeviendrait temporairement interventionniste. En Europe, malgré le Traité de Maastricht (1992)3, on laisse s’élever le taux d’endettement. Comme l’explique l’économiste Renaud Bouret, ce traité vise à limiter le déficit des pays membres de l’Union européenne à 3 % de leur PIB. Toutefois, face à cette crise inusitée, les gouvernements dépassent déjà largement ce seuil avec des déficits de près de 10 % dans certains cas4. Au Canada, même si la question de la dette avait fait couler beaucoup d’encre et que l’austérité était devenue, pour certains politiciens, une préoccupation primordiale5, voilà que l’on dépense d’énormes sommes pour la prestation canadienne d’urgence (PCU)6. L’objectif des mesures ainsi mises en en place est simple : assurer le maintien d’un pouvoir d’achat, une « solution miracle » qui consisterait en une « planche à billets7 », selon Bouret. Malheureusement, cette méthode fonctionne à condition que puisse se poursuivre la production de biens de consommation, ce qui n’est pas nécessairement le cas en situation de confinement8.

Plus précisément, les mesures prises par les États sont des « assouplissements quantitatifs ». Au Canada, elles consistent en un « rachat massif de titres de dette canadienne avec de la monnaie que la Banque du Canada crée pour l’occasion afin de fournir des liquidités aux marchés financiers ». Le gouvernement dépense ainsi, depuis le 1er avril 2020, 5 milliards par semaine en bons de la Banque du Canada. Le programme devrait durer au minimum un an pour un total d’au moins 250 milliards de dollars9. En conséquence, « la Banque du Canada se retrouve à détenir une bonne partie de la dette du gouvernement. En d’autres termes, une bonne part des nouveaux emprunts du gouvernement se retrouvent à être financés par une émission de monnaie, et une branche du gouvernement détient la dette encourue par l’autre », explique monsieur Perron-Dufour.

La situation actuelle suscite de nombreuses questions. Les États, valets du Capital, prennent des mesures pour assurer la survie de l’économie de marché. Malgré cela, les autorités n’ont pas nécessairement d’idées claires par rapport à ce que nous réserve l’avenir. Dans quelle mesure la crise sera-t-elle comparable à celle des années 1930? À quelles éventualités pouvons-nous nous attendre? Les prochains bouleversements nous feront-ils glisser vers l’austérité, vers la croissance, vers un retour de l’État providence, voire vers l’effondrement du capitalisme? Le Financial Times, par exemple, se fait rassurant et prévoit un retour à la normale en 2021. La Harvard Business Review, de son côté, va jusqu’à annoncer une croissance économique fulgurante à l’occasion de ce retour. La revue Foreign Policy, quant à elle, est plus pessimiste et envisage de nombreuses difficultés, surtout pour les pays du Sud, auxquels le FMI et la Banque mondiale continueront de proposer des ajustements structurels10.

Afin de mieux comprendre les différentes facettes de cette nouvelle crise économique, nous avons interrogé le professeur Mathieu Perron-Dufour, économiste à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Nous lui avons demandé dans quelle mesure il serait possible d’affirmer que la crise actuelle pourrait prendre les proportions de celle des années 1930. Pour lui, il y a lieu de nuancer. Il souligne d’abord les différences qui séparent les crises les unes des autres et la difficulté de prévoir les conséquences qu’elles auront à long terme. Malgré leurs divergences, ces analyses ont en commun d’offrir une réflexion exempte de toute critique à l’endroit du système capitaliste, dont les faiblesses se font de plus en plus évidentes. Monsieur Perron-Dufour fait référence à un billet de blogue de Pierre Beaudet, sociologue à l’UQO, qui affirme que la crise pourrait bien être une excuse pour sabrer encore davantage les dépenses publiques. Aussi, selon Beaudet, il est important, plus que jamais, de comprendre que la situation actuelle est en grande partie le résultat d’une précarisation des services publics11. Cet appauvrissement n’a pas cessé de s’approfondir dans les dernières décennies12. Au Québec, comme l’affirme Beaudet, l’Institut économique de Montréal propose d’aider les entreprises en offrant des exemptions de taxes, ce qui signifie que la population paiera la note, et ce, pendant longtemps13.

Cela dit, alors que Bouret annonce une austérité nécessaire pour éponger ces dettes14, monsieur Perron-Dufour réfute d’emblée cette position. Pour lui, « pas besoin d’austérité future pour couvrir les emprunts du gouvernement ». En d’autres mots, le fardeau des 704 167 000 000 $ en date de mars 2020 ne pèse pas sur nos épaules15. Pour lui, même s’il est fort probable que les gouvernements mettent en place des mesures d’austérité après la crise, il s’agit d’un choix politique et non d’une absolue nécessité pour ces derniers. En somme, cela n’a rien à voir avec cette idée de « vivre selon nos moyens16 ». D’une part, les investissements de l’État sont partiellement récupérés au moyen de taxes. D’autre part, un État n’a pas vraiment à rembourser ses dettes, rappelle M. Perron-Dufour, puisqu’un État a une durée théorique indéfinie, et ce, même si les institutions financières internationales cherchent à faire pression sur les gouvernements à cet égard. En effet, chaque fois qu’un prêt vient à échéance, l’État peut tout simplement réemprunter. De plus, le Canada emprunte à un taux d’intérêt inférieur à l’inflation et au taux de croissance économique (moins de 1 %17), ce qui ne devrait pas être un problème, à condition de penser à long terme. Même en ne payant pas les intérêts, la dette impayée continuerait donc de diminuer. Enfin, comme la dette du Canada est en dollars canadiens, le pays garde le plein contrôle sur cette dernière18.

Il pourrait être envisagé, contrairement à ce que l’Institut économique de Montréal propose, de taxer plutôt les multinationales pour payer la note, mais il y a fort à parier que l’élite néolibérale ne prendra même pas en considération cette avenue. Nous avons aussi abordé avec monsieur Perron-Dufour l’attitude de Donald Trump et de Jair Bolsonaro, qui tentent d’en faire le moins possible dans la gestion de la crise, c’est-à-dire en limitant toute intervention qui pourrait ralentir les activités économiques. En effet, il est dans l’intérêt des classes dirigeantes de faire en sorte que l’économie continue de fonctionner à tout prix. Il est également vrai que ces dernières en profitent pour mener en douce ce qui risque de causer le mécontentement de la population. Pour Mathieu Perron-Dufour, il serait difficile d’envisager un retour à l’État providence à long terme. Comme le dit Romaric Godin, après « la crise sanitaire, la crise économique va prendre son autonomie19 ». En effet, la récession qui nous attend n’a pas encore commencé parce que l’État a suspendu le système économique en injectant un simulacre de fonctionnement normal, c’est-à-dire en se substituant au marché, permettant ainsi aux ménages de consommer et aux entreprises de produire aux frais de l’État. Dans les mots de Romaric Godin, on « congèle l’économie » ou on applique un « socialisme temporaire20 ».

Cependant, cette mesure n’empêchera pas les conditions de se détériorer, surtout que même après un déconfinement partiel, certains secteurs comme la restauration et l’industrie du spectacle continueront de faire l’objet de restrictions pendant longtemps21. Deux économistes proches d’Emmanuel Macron, Gilbert Cette et Philippe Aghion, verraient la crise actuelle comme un « un moyen d’accélérer la “destruction créatrice” de l’économie en favorisant sa “numérisation”22 ». Cela se traduirait par une continuation, et même par une accélération de l’application de la pensée néolibérale, par exemple en offrant du soutien aux entreprises d’innovation technologique et en laissant le choix au marché en ce qui a trait aux emplois à éliminer. Selon Godin, c’est sans doute cette stratégie qui sera mise en œuvre, ce qui risquera d’engendrer encore plus de précarisation de l’emploi.

D’ailleurs, avec des mesures qui favorisent les entreprises, les populations laissées pour compte : les régimes politiques rendus plus autoritaires par la crise risquent aussi de provoquer des insurrections de plus en plus fréquentes et de l’instabilité politique23. Nous voyons, depuis un certain temps, des émeutes aux États-Unis en réaction au racisme systémique et à la violence à l’égard des Afro-Américains, et plus particulièrement à la mort controversée de George Floyd24. Plusieurs incidents ont suivi ce dernier, et la réaction du gouvernement de Donald Trump a été des plus hostiles25. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’instabilité en temps de COVID-19.

Enfin, historiquement, les crises économiques ont permis une accélération de la concentration du capital entre les mains d’un plus petit nombre d’entreprises, les entreprises nationales cédant la place aux multinationales26. La crise causée par le coronavirus risque par ailleurs de donner lieu à une concentration du pouvoir économique démesurée et à des régimes plus totalitaires. L’extrême droite pourrait sans doute aussi profiter de la crise, les propos de Donald Trump servant de temps à autre de baromètre pour les groupes d’extrême droite fascistes et néonazis dont il reprend beaucoup les horizons de revendication27. Cette conclusion sera en quelque sorte le point de départ de la deuxième partie du présent texte, qui traitera des relations entre la crise de la COVID-19 et le pouvoir, et ce, au regard de la pensée poststructuraliste et, plus précisément, de celle de Jean Baudrillard.

Al Jazeera, « Pandemic will cause worst recession since Great Depression: IMF ». Al Jazeera, 9 avril 2020, récupéré sur https://www.aljazeera.com/ajimpact/pandemic-worst-recession-great-depression-imf-200409191924374.html (Consulté le 4 novembre 2020).

RT France, « “Le roi est nu” : Michel Onfray tacle la gestion par Macron de la crise du coronavirus », mars 2020, récupéré sur https://francais.rt.com/france/73057-le-roi-est-nu-michel-onfray-tacle-gestion-macron-crise-coronavirus (Consulté le 4 novembre 2020).

Renaud Bouret, « La “planche à billets”, solution miracle à la crise du coronavirus? », 2020, récupéré sur https://rei.ramou.net/doc/sup07-VirusDeWuhan.htm (Consulté le 4 novembre 2020).

4 Ibid.

Hélène Buzzetti, « Trudeau n’envisage pas d’austérité pour éponger la dette », Le Devoir, 1 mai 2020, récupéré sur https://www.ledevoir.com/economie/578096/trudeau-n-envisage-pas-d-austerite-pour-eponger-la-dette (Consulté le 4 novembre 2020).

Radio-Canada, « Fin de la PCU pour tous les Canadiens », 27 septembre 2020, récupéré sur https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1736901/fin-pcu-prestation-canadienne-urgence-assurance-emploi (Consulté le 4 novembre 2020).

Renaud Bouret, Op. cit., note 3.

Ibid.

9 Renaud Bouret, Op. cit., note 3.

10 Pierre Beaudet, « La crise vue d’en haut », Le blogue de Pierre Beaudet, 20 avril 2020, récupéré sur https://www.pressegauche.org/La-crise-vue-d-en-haut (Consulté le 4 novembre 2020).

11 Pierre Beaudet, Op. cit., note 10.

12 Jim Stanford, « Canada joins the QE club: What is quantitative easing and what comes next? », Behind the numbers, 2020, récupéré sur http://behindthenumbers.ca/2020/04/08/canada-joins-the-qe-club-what-is-quantitative-easing-and-what-comes-next/ (Consulté le 4 novembre 2020).

13 Pierre Beaudet, Op. cit., note 10.

14 Renaud Bouret, Op. cit., note 3. 

15 https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1010000201 (Consulté le 4 novembre 2020).

16 Bégin, Alexandre, Mathieu Dufour, et Julia Posca. 2019. « Dette publique canadienne : exploration de quelques idées reçues ». https://cdn.iris-recherche.qc.ca/uploads/publication/file/DF_WEB_IRIS.pdf (Consulté le 4 novembre 2020).

17 https://www.bankofcanada.ca/rates/interest-rates/canadian-bonds/ (Consulté le 4 novembre 2020).

18 Il est à noter que cela pose vraiment problème pour les pays dont la dette est en monnaie étrangère, car ces derniers doivent constamment être à la recherche de ces devises, qu’ils ne contrôlent pas, pour payer leur dette.

19 Romaric Godin, « Quelles politiques face à la crise économique? », Mediapart, 5 mai 2020, récupéré sur https://www.mediapart.fr/journal/france/050520/quelles-politiques-face-la-crise-economique (Consulté le 4 novembre 2020).

20 Ibid.

21 Lecomte, Anne Marie. 2020. « Novembre pourrait voir la fin de 60 % des restaurants au Canada, prédit l’industrie ». Radio-Canada, 27 août 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1729316/fermeture-covid-campagne-chambre-commerce-aide (Consulté le 4 novembre 2020).

22 Ibid.

23 Pierre Beaudet, Op. cit., note 4.

24 Al Jazeera News, « George Floyd: Prosecutors seek tougher sentences for accused cops », Al Jazeera, 29 août 2020, récupéré sur https://www.aljazeera.com/news/2020/08/george-floyd-prosecutors-seek-tou… (Consulté le 4 novembre 2020).

25 Al Jazeera and News Agencies, « Trump denies systemic racism, pushes “law and order” in Kenosha ». Al Jazeera, 1 septembre 2020. https://www.aljazeera.com/news/2020/09/trump-denies-systemic-racism-pushes-law-order-kenosha-200901203137937.html (Consulté le 4 novembre 2020).

26 À cet égard, voir (Perron-Dufour 2012).

27 RT News, « Coronavirus : Donald Trump appelle à “libérer” plusieurs États américains confinés », RT News, 18 avril 2020, récupéré sur https://francais.rt.com/international/74216-coronavirus-donald-trump-appelle-liberer-plusieurs-etats-americains-confines (Consulté le 4 novembre 2020).

Allemagne, Malaisie, Colombie : conjuguer travail, migration et pandémie

Allemagne, Malaisie, Colombie : conjuguer travail, migration et pandémie

Par Adèle Surprenant

La pandémie de la COVID-19, les mesures de confinement et la popularisation du télétravail ont propulsé une réflexion sur le marché du travail et la précarité croissante qu’il connait. Les restructurations dont il fait l’objet pour s’adapter à la crise sanitaire mondiale frappent aussi les secteurs d’activités dits peu qualifiés; des emplois occupés en grande partie, en Occident et ailleurs dans le monde, par des personnes migrantes. Regard sur la situation des travailleur·se·s migrant·e·s en 2020 sur trois continents.  

La migration économique est le déplacement d’une « personne qui change de pays afin d’entreprendre un travail ou afin d’avoir un meilleur futur économique », selon le Conseil canadien pour les réfugiés, qui met en garde contre l’utilisation à l’emporte-pièce du terme, puisque « les motivations des migrant[·e·]s sont généralement très complexes et ne sont pas nécessairement immédiatement identifiables »i. Plusieurs demandeur·se·s d’asile et réfugié·e·s obtiennent un permis de travail dans leur pays d’accueil, devenant alors des travailleur·se·s migrant·e·s. Environ 90 % de la population mondiale dépend des remises d’argent des travailleur·se·s migrant·e·s, qui comptent pour plus d’un dixième du Produit intérieur brut (PIB) d’une trentaine de paysii. Ces revenus essentiels ont chuté de 20 % au cours de l’année 2020, d’après la Banque mondialeiii. Les effets du ralentissement économique provoqué par la pandémie sur les 164 millions de travailleur·se·s migrant·e·siv et leurs familles — bien souvent dépendantes de leur revenu généré en devises étrangères — ne sont pas uniquement économiques : de nombreux rapports font par exemple état d’une augmentation de la xénophobie, des discriminations, de détérioration de leurs conditions de travail ou encore de retours forcés dans leurs pays d’originev. « Les travailleurs migrants [et les travailleuses migrantes] sont souvent les premiers [et les premières] à être licencié[·e·]s, mais les derniers [et les dernières] à avoir accès à des tests ou à des traitements équivalents aux citoyens du pays d’accueil », s‘inquiète l’Organisation internationale du travail (OIT), qui souligne que l’exclusion des travailleur·se·s migrant·e·s de la plupart des politiques gouvernementales de support financier a entraîné une précarisation globale de cette catégorie de travailleur·se·s, déjà vulnérablevi. Une précarisation que n’a fait qu’accélérer la pandémie, dont les racines semblent remonter aux fondements du marché du travail globalisé. La main-d’œuvre bon marché y est souvent priorisée au détriment des droits et conditions de travail des employé·e·s. Préexistants à la COVID-19, donc, les systèmes d’exploitation de la main-d’œuvre migrante se déclinent en plusieurs variantes légales et empiriques. Penchons-nous sur le cas de l’Allemagne, de la Colombie et de la Malaisie.  

Dépendance et démographie en Allemagne  

L’Allemagne est souvent érigée en exemple d’accueil en Europe de l’Ouest, après avoir ouvert ses portes à 1,1 million de réfugié·e·s en 2015vii. Son hospitalité précède la fameuse vague migratoire, avec par exemple l’installation d’une population turque importante à partir des années 1960, ou encore l’introduction de contrats saisonniers temporaires pour l’agriculture et le secteur du BTPviii, vingt ans plus tardix. Avant la pandémie, 300 000 travailleur·se·s en provenance des pays d’Europe de l’Est se rendaient annuellement dans les camps et sur les chantiers allemandsx. La demande de main-d’œuvre étrangère se fait elle aussi croissante pour les emplois hautement qualifiés comme l’ingénierie, la pharmacie, la plomberie ou les soins infirmiersxi. D’après le ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie de l’Allemagne, plus de 60 % des employeurs disaient connaitre une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Cette réalité ne tend pas à s’améliorer, alors que la population âgée de 20 à 65 ans devrait diminuer de 3,9 millions au courant de la décennie, et de plus de 10 millions d’ici 2060xii. En mars 2020, la fermeture des frontières a fait craindre un débalancement du marché du travail allemand, dont certains secteurs sont dépendants de la mobilité des travailleur·se·s saisonnier·ère·s. Des fermier·ère·s ont même averti que cela poserait une possible menace à la sécurité alimentaire nationale, rapporte le New York Timesxiii. En réponse à ces préoccupations, le gouvernement a fait entrave aux mesures sanitaires et a autorisé les fermier·ère·s à faire venir par avion des travailleur·se·s de Bulgarie et de Roumanie, à hauteur de 40 000 personnes par mois, pour avril et mai exclusivementxiv. En date du 18 mai, seulement 28 000 travailleur·se·s avaient atterri en sol allemand, un chiffre à la baisse qui s’explique par le coût important et les défis logistiques qu’impliquait une telle opérationxv, le transport n’étant normalement pas pris en charge par les employeurs. 

Pour les quelques dizaines de milliers de personnes qui ont traversé les frontières pour trouver un emploi, la réalité est loin d’être simple. À la suite du trajet, de nombreuses plaintes ont été recensées quant au manque de mesures sanitaires dans les transports, des critiques réitérées au sujet des logements attribués aux travailleur·se·s, souvent surpeuplésxvi. Sur les lieux de travail, les conditions ne sont souvent pas meilleures : fin juin, plus de 1 500 ouvrier·ère·s — la plupart originaires de Bulgarie, de Roumanie et de Pologne — ont reçu un résultat positif à la COVID-19 dans une usine de traitement de la viande, malgré les avertissements des épidémiologistes visant spécifiquement les abattoirsxvii. Bien que les travailleur·se·s étrangers soient exposés à des risques sanitaires importants, les salaires, eux, sont restés les mêmes. Au salaire minimum de 9,35 €/heure (environ 15 $ CAD) sont souvent soustraits les frais de transport, d’hébergement et d’alimentation, parfois sans que les salarié·e·s en soient informé·e·sxviii. Durant la pandémie, la période durant laquelle les migrant·e·s peuvent travailler légalement sans que leurs employeurs et employeuses soient contraint·e·s à cotiser à la sécurité sociale est passée de 70 à 115 joursxix, faisant croître la précarité des travailleur·se·s tout en favorisant le profit du patronat localxx. Pour beaucoup de travailleur·se·s en provenance d’Europe de l’Est, les conditions de travail précaires et les risques de contamination au virus sont le prix à payer pour survivre, le travail saisonnier étant leur principale source de revenuxxi. L’économie allemande semble dépendre elle aussi de leur contribution, même si la récente Loi sur l’immigration (« Fachkräftezuwanderungsgesetz »), entrée en vigueur le 1er mars 2020, est destinée à favoriser le travail migrant qualifié uniquementxxii. Un choix politique qui ne fait pas l’unanimité, alors que certain·e·s militant·e·s des droits du travail critiquent l’aggravation des inégalités qui touchent la main-d’œuvre peu qualifiée dans le contexte de la pandémiexxiii.  

Malaisie : quand le salaire du travail est l’abus  

En Malaisie, la demande en main-d’œuvre peu qualifiée au sein de l’industrie privée est en constante augmentation depuis les années 1970, favorisant l’entrée de migrant·e·s sur le marché du travailxxiv. Le pays d’Asie du Sud-Est compte aujourd’hui trois millions de travailleur·se·s étranger·ère·s, d’après la Banque mondiale, dont la moitié serait en situation irrégulièrexxv. La Malaisie n’est pas signataire de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, mais elle s’est engagée à protéger leurs droits en vertu de plusieurs standards de l’OITxxvi. Plusieurs expert·e·s soutiennent cependant que l’État a manqué à ses obligations depuis le déclenchement de la pandémiexxvii. Les critiques de négligences et d’abus précèdent la crise sanitaire et s’inscrivent dans un mouvement anti-migratoire plus large, comme l’écrit Pamungkas A. Dewanto : « politiquement, la forte demande en travailleurs [et travailleuses] peu ou moyennement qualifié[·e·]s a inspiré des discours populistes, qui incitent à considérer les travailleurs étrangers [et travailleuses étrangères] comme une nouvelle menace socio-économique pour la société d’accueil. En réponse aux campagnes populistes contre les travailleurs étrangers [et les travailleuses étrangères], les autorités locales ont entamé la « titrisation » de l’afflux de travailleurs migrants [et de travailleuses migrantes] depuis la fin 1991 en imposant des mesures migratoires et des pratiques policières plus fortes à l’encontre des migrant[·e·]s […] xxviii». La gestion gouvernementale des travailleur·se·s étranger·ère·s durant la crise sanitaire témoigne de cette tendance. Depuis mai, près de 20 000 ouvrier·ère·s ont été arrêté·e·s sur leurs lieux de travail respectifs et placé·e·s en centres de détentions surpeuplés, incubateurs du virusxxix. Une descente qui survient après l’annonce que l’accès aux tests serait étendu aux migrant·e·s en situation irrégulière, sans qu’ils et elles aient à craindre de répercussions légalesxxx. Le nombre de travailleur·se·s étranger·ère·s en situation irrégulière a lui-même bondi, même si les chiffres restent imprécis. Le confinement a été accompagné de nombreux licenciements, invalidant les permis de travail de ressortissant·e·s à majorité indonésien·ne·s, népalais·e·s ou bangladais·e·s et les plongeant dans l’illégalitéxxxi. Mohamed Rayhan Kabir, travailleur bangladais de 25 ans, a été arrêté pour enquête le 24 juillet 2020. Peu de temps avant, il aurait critiqué le traitement des migrant·e·s par les autorités malaisiennes dans un documentaire de la chaîne al-Jazeera. Son permis de travail a été révoqué et il a été menacé d’expulsion, malgré l’opposition d’associations comme Human Rights Watch, qui rappelle que « la protection internationale des droits humains s’applique normalement aux non-nationaux aussi bien qu’aux citoyen[·ne·]s, incluant les droits à la liberté d’expression et à une procédure judiciaire régulièrexxxii». Même si certaines industries se portent bien depuis le début de la pandémie, notamment celle des gants en caoutchouc jetablesxxxiii, le Fonds monétaire international (FMI) estime que l’économie malaisienne pourrait se contracter de 6 % en 2020xxxiv. Si l’économie dépend fortement de l’apport du travail migrant, le contexte sanitaire a permis la résurgence de discours anti-migratoires, comme un peu partout sur la planète. Un rapport de la Banque mondiale de 2015 indique cependant que la présence de travailleur·se·s étranger·ère·s en Malaisie a contribué à créer plus d’emplois moyennement ou très qualifiés pour les locaux, faisant mentir la conception répandue selon laquelle les migrant·e·s les en priveraientxxxv. Pour chaque augmentation de 10 % du nombre de travailleur·se·s migrant·e·s, l’économie malaisienne verrait son PIB augmenter de 1,1 %xxxvi

En Colombie, la pandémie nuit à la cohésion sociale  

En Colombie, le statut des travailleur·se·s migrant·e·s est différent : sur les 5,5 millions de personnes ayant fui les troubles politiques et l’effondrement économique au Venezuela depuis 2015, le tiers de ces personnes se sont réfugiées chez leur voisin colombienxxxvii. Bien qu’elles bénéficient pour beaucoup du statut de réfugié·e, elles ne bénéficient pas de protection supplémentaire sur le marché du travail. Avant la COVID-19, les frontières colombiennes étaient ouvertes aux familles vénézuéliennes et plus de 700 000 personnes ont reçu un permis de résidence et de travail, en plus d’avoir accès à l’aide humanitairexxxviii. « Historiquement, la relation entre les deux pays est tissée serrée. La frontière limitrophe est poreuse, il y a toujours eu une migration circulaire, des échanges et des intégrations dans les régions frontalières », explique en entrevue Martha Guerrero Ble de l’ONG Refugees International. Elle rappelle aussi qu’à une époque, de nombreuses et nombreux Colombien·ne·s fuyant la guerre civile se sont installé·e·s au Venezuela, ce qui peut expliquer leur relative hospitalité aujourd’hui.  

En regard du traitement des Vénézuélien·ne·s, la Colombie se distingue des autres pays de la région. Le Pérou, le Chili et l’Équateur se sont désolidarisés bien avant la crise sanitaire et malgré la déclaration de Quito (2018), adoptée afin d’assurer l’accès aux migrant·e·s à une régularisation des statuts, à l’éducation, à la santé et au travailxxxix. Ces pays, où les Vénézuélien·ne·s pouvaient entrer sans passeport en 2019, réclament maintenant pour certains des visas : un moyen de restreindre leur entrée sur le territoire que Bogota n’a pas instauré, un filet social pour accueillir les réfugié·e·s étant déjà en place à cause de l’histoire du pays, qui comptait quatre millions de déplacé·e·s internes en 2012xl. En octobre 2019, les Vénézuélien·ne·s en Colombie gagnaient toutefois en moyenne 30 % de moins que leurs hôtes et étaient pour beaucoup confiné·e·s au secteur informelxli. D’après l’OIT, 46 % des Vénézuélien·ne·s travaillent dans le secteur informel, contre 35 % de Colombien·ne·sxlii, un secteur plus affecté par les restrictions liées à la pandémie. 

Les pressions économiques qui affligent désormais la Colombie, aux prises avec un des confinements les plus stricts au monde, n’ont fait qu’accroitre ces inégalités et alimenter la xénophobie, jusque-là restée un phénomène marginalxliii. « La récession économique n’aide pas du tout à améliorer la cohésion sociale », souligne Mme Guerrero, qui ajoute que « le gouvernement national a vraiment fait tout en son pouvoir pour intégrer les Vénézuéliens à l’économie du pays, mais chaque région a un mode de gestion différent ». Rejointe au téléphone parL’Esprit libre, elle explique comment, outre la capitale et les métropoles comme Medellin ou Cali, de nombreux·ses réfugié·e·s s’installent dans les régions où le marché du travail est déjà saturé en temps normal et se retrouvent donc sans emploi ou avec des emplois encore plus précaires. xliv 

Plus de 100 000 réfugié·e·s sont entré·e·s au Venezuela entre mars et octobre 2020, à défaut de pouvoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches en Colombie. Des 69 % de familles qui consommaient trois repas par jour avant le confinement, seulement 26 % d’entre elles peuvent aujourd’hui se le permettre, parmi celles restées en Colombiexlv.  « Il ne s’agit pas que d’une question économique mais d’une question de survie », commente Mme Guerrero, pour qui il est sans équivoque que les Vénézuélien·ne·s ne travaillent pas en Colombie par choix, mais parce que le salaire minimum mensuel dans leur pays d’origine ne dépasse pas deux dollars américainsxlvi.  

Pourtant, le statut de réfugié·e octroyé aux Vénézuélien·ne·s les protège sur le plan professionnel également, comme l’explique Mme Guerrero : « La plupart des migrant[·e·]s économiques sont invisibles. Pour [celles et] ceux qui n’ont pas accès à la régularisation de leur statut ou à un permis de travail, c’est facile pour les gouvernements de s’en laver les mains. Les Vénézuélien[·e·]s en Colombie subissent des discriminations et des abus sur le marché du travail, mais leur reconnaissance légale et la protection internationale dont [elles et] ils font l’objet est un avantage, parce qu’elles permettent aux institutions de faire pression sur le gouvernement et de prendre action pour améliorer les conditions de vie et de travail des plus précaires ».  

Comme dans le cas des millions de travailleur·e·s migrant·e·s dans le monde, la pandémie a mis en lumière une précarité et des inégalités préexistantes en Colombie. Elle a également contraint une partie de la classe politique à prendre conscience de l’ampleur de la dépendance au travail migrant, et les bénéfices que peut avoir l’intégration au marché du travail formel des migrant·e·s, pour elles et eux comme pour l’économie et les travailleur·e·s locauxxlvii.  

Révision de fond : Catherine Paquette et Any-Pier Dionne

Révision linguistique : Simone Laflamme

i Conseil canadien pour les réfugiés, « À propos des réfugiés et des immigrants : Un glossaire terminologique ». https://ccrweb.ca/files/glossaire.pdf

iiUN News, « Uncertain future for migrant workers, in a post-pandemic world », 19 septembre 2020. https://news.un.org/en/story/2020/09/1072562

iii Ibid.

iv Organisation internationale du travail (OIT), « Protéger les travailleurs migrants pendant la pandémie de COVID-19. Recommandations aux décideurs politiques et aux mandants », mai 2020. https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_protect/—protrav/—migrant/documents/publication/wcms_745197.pdf

v Ibid.  

vi Ibid.  

vii Marcus Kahmann et Adelheid Hege, « Allemagne. Employeurs et réfugiés : l’intégration au service d’une stratégie de long terme », Chronique internationale de l’Institut de recherches Économiques et Sociales (IRES), n.154, 2016. http://www.ires.fr/publications/chronique-internationale-de-l-ires/item/4399-allemagne-employeurs-et-refugies-l-integration-au-service-d-une-strategie-de-long-terme

viii Bâtiment et travaux publics.  

ix Ibid.  

x Melissa Eddy, « Farm Workers Airlifted Into Germany Provide Solutions and Pose New Risks », The New York Times, 18 mai 2020. https://www.nytimes.com/2020/05/18/world/europe/coronavirus-german-farms-migrant-workers-airlift.html

xi Danya Bobrovskaya et Olga Gulina, « Is Germany Encouraging Migrants in Skilled Labour? », Legal Dialogue, 20 janvier 2020. https://legal-dialogue.org/is-germany-inviting-new-labor-migrants

xii Ibid.  

xiii Melissa Eddy, op.cit.  

xiv Ibid.  

xv Ibid.  

xvi Maxim Edwards, « Fruit picking in a pandemic : Europe’s precarious migrant workers », Global Voices, 14 juillet 2020. https://globalvoices.org/2020/07/14/fruit-picking-in-a-pandemic-europes-precarious-migrant-workers/.  

xvii Ibid.  

xviii Ibid. 

xix Ibid. 

xx Paula Erizanu, « Stranded or shunned : Europe’s migrant workers caught in no-man’s land », The Guardian, 16 avril 2020. https://www.theguardian.com/world/2020/apr/16/stranded-or-shunned-europes-migrant-workers-caught-in-no-mans-land.  

xxi Maxim Edwards, op.cit. 

xxii Sertan Sanderson, « Allemagne : une nouvelle loi sur l‘immigration pour pallier le manque de main d‘œuvre », Infomigrants, 28 février 2020. https://www.infomigrants.net/fr/post/23077/allemagne-une-nouvelle-loi-sur-l-immigration-pour-pallier-le-manque-de-main-d-oeuvre.  

xxiii Maxim Edwards, op.cit.  

xxiv Pamungkas A. Dewanto, « Labouring Situations and Protection among Foreign Workers in Malaysia », Henrich Böll-Stiftung, 20 aout 2020. https://th.boell.org/en/2020/08/20/labouring-situations-malaysia.  

xxv Ibid. 

xxvi Eric Paulson, « The need to value, not vilify, migrant workers », FMT News, 3 août 2020. https://www.freemalaysiatoday.com/category/opinion/2020/08/03/the-need-to-value-not-vilify-migrant-workers/.  

xxvii Yen Nee Lee, « Neglect of migrant workers could hurt Malaysia’s economic recovery », CNBC, 4 novembre 2020. https://www.cnbc.com/2020/11/05/covid-19-migrant-worker-neglect-may-hurt-malaysia-economic-recovery.html.  

xxviii Citation originale : « Yet, politically, the high demand for foreign low-to-medium skilled worker has inspired populist claim which considers foreign workers the new social-economic threat for the host society. In response to the populist campaign against foreign labourers, local authorities have been “securitizing” the inflow of foreign workers since late 1991 by imposing stronger immigration and policing practice against irregular migrants […] » (notre traduction). Pamungkas A. Dewanto, op.cit.  

xxix Tan Theng Theng et Jarud Romadan, « The Economic case against the Marginalisation of Migrant Workers in Malaysia », The London School of Economics and Political Science, 1er octobre 2020. https://blogs.lse.ac.uk/seac/2020/10/01/the-economic-case-against-the-marginalisation-of-migrant-workers-in-malaysia/.  

xxx Yen Nee Lee, op.cit.  

xxxiIbid. 

xxxiiCitation originale : « International human rights protections normally apply to non-nationals as well as citizans, including the rights of freedom of expression and due process. » (notre traduction). Human rights watch, « Malaysia : Free Outspoken Migrant Worker », 29 juillet 2020. https://www.hrw.org/news/2020/07/29/malaysia-free-outspoken-migrant-worker

xxxiii Ushar Daniele, « Malaysian employers shocked, angry over fines ruling for overcrowded migrant workers’ lodgings », Arab News, 30 novembre 2020. https://www.arabnews.com/node/1770666/world

xxxiv Yen Nee Lee, op.cit.  

xxxv Pamungkas A. Dewanto, op.cit.  

xxxvi Ibid. 

xxxvii Jennifer Bitterly, « Venezuelan migrants left in the lurch as COVID-19 stalls regional reforms », The New Humanitarian, 15 octobre 2020. https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2020/10/15/Venezuela-Colombia-migrants-legislation-documents

xxxviii Jimmy Graham et Martha Guerrero, « The Effect of COVID-19 on the Economic Inclusion of Venezuelans in Colombia », Refugees International and Center for Global development, 28 octobre 2020. https://www.refugeesinternational.org/reports/2020/10/26/the-effect-of-covid-19-on-the-economic-inclusion-of-venezuelans-in-colombia.  

xxxix Bitterly, op.cit.  

xl UNHCR, « Colombie », 2012.  https://www.unhcr.org/fr/51efd16d0.pdf.  

xli Ibid.  

xlii Jimmy Graham et Martha Guerrero Ble, op.cit.  

xliii Ibid.  

xliv 

xlv Ibid.

xlvi Mariana Palau et Manuel Reda, « Venezuelans once again fleeing on foot as troubles mount », Associated Press, 9 octobre 2020. https://apnews.com/article/virus-outbreak-transportation-medellin-immigration-colombia-98d010ec0c97c02ec7682250b14a50e0.  

xlvii Jimmy Graham et Helen Dempster, « Improving Venezuelans’ Economic Inclusion in Colombia Could Contribute 1$ Billion Every Year », Center for Global Development, 2 octobre 2020. https://www.cgdev.org/blog/improving-venezuelans-economic-inclusion-colombia-could-contribute-1-billion-every-year.