« Il y a beaucoup de gens qui croient que c’est de la paresse, mais c’est un choix politique. » Tristan et d’autres abstentionnistes ont choisi de plus voter pour contester un système politique qui ne leur convient pas. À l’approche des élections fédérales, ils expliquent leur démarche.
À 24 ans, Tristan n’a voté qu’une seule fois dans sa vie. Il est pourtant « super intéressé » par les élections et diplômé de science politique. Mais depuis le bulletin qu’il a glissé dans l’urne à ses 18 ans, il ne croît plus le système politique actuel capable de réels changements. « C’est l’une des actions politiques les moins efficaces que j’ai faites de ma vie », déplore-t-il.
Félix a 31 ans et habite Saint-Henri à Montréal. Il a lui aussi été rapidement déçu du pouvoir électoral qui lui était conféré : « Ça n’a aucun impact de voter. Ça a plus d’impact de ne pas voter. »
C’est pour contester un système qu’ils jugent insuffisamment démocratique que Tristan et Félix ont choisit de ne plus se rendre aux urnes.
Le pouvoir limité des citoyen·nes
« Une démocratie, c’est quand tout le monde est entendu, mais là on donne juste notre pouvoir décisionnel à quelqu’un pendant quatre ans », regrette Tristan. Il souhaiterait que les décisions soient prises à un niveau beaucoup plus bas, afin que les décisions reflètent davantage la volonté populaire.
L’étudiant met également en cause le scrutin majoritaire canadien, qui ne traduit pas fidèlement la répartition des votes, et amplifie les résultats des grands partis, confisquant davantage leur pouvoir aux électeur·ices.
Pour Félix, le problème n’est pas le vote en soit, mais le fait « de voter seulement une fois aux quatre ans ». Comme Tristan, il souhaiterait que les citoyen·nes soient davantage impliqué·es dans les décisions politiques : « On a accès à internet, on pourrait littéralement voter sur tous les projets de loi. » Il regrette que le processus électoral actuel se résume aux « trois secondes où l’on fait un crochet sur un papier. »
S’il refuse de donner sa voix, Tristan admet que certain·es candidat·es sont pires que d’autres, et qu’iels pourront affecter négativement sa vie. Il maintient toutefois sa volonté de s’abstenir, car le mode de gouvernance qu’il réfute restera le même, peu importe les élu·es en place.
Pour Félix, à partir du moment où quelqu’un se présente pour « prendre des décisions pour les autres », ça ne le rejoint pas.
L’abstention comme choix politique
Choisir de ne pas voter est un acte politique légitime, estime Tristan : « Je pense que c’est une façon de militer. » Dans son cas, l’abstention s’accompagne de discussions et d’actions qui rendent le geste revendicatif. « On ne vote pas pour des raisons politiques, et non pas par lâcheté », se défend-il.
L’abstention a t-elle toutefois des répercussions réelles ? Tristan veut prendre la question dans l’autre sens : « Quel impact aurait le fait que je vote ? »
Quant à Félix, il estime que l’abstention « enlève de la légitimité aux gens qui sont élus […], et montre qu’une partie de la population n’approuve pas ce système-là ». Il reconnaît et déplore toutefois le peu d’attention médiatique accordée à l’abstention, ce qui limite son influence politique : « La question est rapidement évacuée parce que ça semble inutile de parler de ceux qui n’ont pas voté. »
Un devoir citoyen ?
Félix fait parfois face à des critiques et de l’incompréhension de la part de son entourage : « On me dit que c’est très utopique ce que je pense, alors que je veux simplement décider davantage de ce qui se passe dans notre société. » Les réactions sont souvent infantilisantes et on l’estime déconnecté de la réalité, raconte-t-il.
Les abstentionnistes rencontrées se disent également perçus comme des « mauvais citoyens », alors que le vote est considéré comme un devoir. Ils s’estiment pourtant davantage engagées pour la société que les personnes qui défendent le vote et qui leur adressent cette critique.
Au-delà du vote
« J’agis de plein d’autres façons qu’en votant, et je sens que ça a beaucoup plus d’impact », témoigne Tristan. Employé d’une OBNL et engagé auprès de différents groupes militant pour les droits de la personne, l’étudiant veut changer la société en dehors de l’urne. « Pourquoi ça ne pourrait pas passer en dehors de l’électoralisme ? », s’interroge-t-il. Considérant que le changement social ne passerait pas par les élections, il a choisi d’autres moyens d’action politique.
Félix est lui aussi bénévole auprès de plusieurs organismes à Saint-Henri, notamment dans le milieu de l’itinérance. « Je trouve ça drôle parce que j’ai plus d’impact sur l’itinérance que mon premier ministre », ironise-t-il.
S’il ne peut faire barrage à certains candidats dans l’urne, il estime pouvoir le faire autrement, à travers des manifestations et l’engagement social. « Je joue un rôle dans ce système, mais simplement pas à travers le vote », résume-t-il.
Étienne Loiselle-Schiettekatte devant une de ses affiches, dans sa circonscription de Laval – Les îles (Photo fournie)
Alors que la moyenne d’âge au Parlement est de 53 ans, de jeunes candidat·es aux élections fédérales tentent de se frayer un chemin dans les circonscriptions montréalaises. Même si leur jeune âge suscite parfois l’interrogation, certain·es mettent en avant la légitimité de leurs expériences et la nécessité que toute la population soit représentée à la Chambre des communes. L’Esprit Libre est allé à la rencontre de deux d’entre ielles.
À 24 ans, Rose Lessard a déjà eu le temps de décliner plusieurs investitures pour le Bloc Québécois. Cependant, lorsque le parti l’a sollicitée pour la circonscription d’Hochelaga Rosemont-Est, son quartier, elle a accepté. Une surprise pour personne, tant son destin en politique était tracé : petite-fille de l’ancien député du Bloc Québécois Yves Lessard, elle a participé à sa première campagne « dans une poussette », nous dit-elle en riant. Après des études en relations internationales, diverses implications communautaires, et la présidence de l’aile jeunesse du Bloc Québécois, la voilà candidate pour les élections fédérales.
Les racines de l’engagement politique
Depuis son bureau de circonscription de la rue Ontario Est, Rose Lessard nous explique que, si elle a choisi la politique, « c’est pour faire changer les choses ». Durant son implication citoyenne et communautaire, la jeune femme a rapidement compris que le changement dépendait en grande partie de l’action législative des élu·es. Sa motivation est également nourrie par les récits de son grand-père Yves Lessard, député bloquiste à la Chambre des communes de 2004 à 2011 et actuel maire de Saint-Basile-le-Grand. « J’ai grandi en entendant le récit de son implication politique, et des personnes dont il a aidé à améliorer la vie. Quand on grandit là-dedans, on a envie de faire la même chose », raconte-t-elle.
Quand on lui demande quelles sont ses valeurs, Rose Lessard répond de but en blanc : “Moi, c’est sûr que c’est l’indépendance du Québec.” Et si elle a choisi la scène fédérale, c’est pour les relations internationales, et pour “préparer le terrain à l’indépendance”. Parmi les autres causes qu’elle veut mettre de l’avant, elle cite le féminisme, l’environnement, le logement et la culture.
Étienne Loiselle-Schiettekatte est l’un des autres jeunes candidat·es de cette élection. À 25 ans, il se présente dans la circonscription de Laval-Les îles pour le Nouveau Parti Démocratique (NPD). Même s’il ne pensait pas se présenter dès 2025, l’engagement politique était un « rêve depuis longtemps », nous confie-t-il. Ayant grandi dans une famille qui encourage « l’engagement citoyen et la générosité », la politique lui semblait être une bonne manière « d’aider les gens autour de [lui] et les plus défavorisés », explique-t-il. Diplômé d’une maîtrise en science politique, il travaille actuellement pour Moisson Montréal, un organisme qui lutte contre l’insécurité alimentaire. Dès qu’il a eu la chance de se présenter pour un « parti et un programme auquel [il] croyait, [il a] sauté à pieds joints ».
Parmi les enjeux qu’il défend et pour lesquels il a trouvé écho au NPD, le candidat de Laval nomme l’abordabilité du logement et de l’épicerie, les enjeux environnementaux, et la réforme du mode de scrutin.
Une absence de jeunes élu·es
Si leur jeune âge ne les a pas empêché·es de se présenter, il demeure que Rose Lessard et Étienne Loiselle-Schiettekatte demeurent des candidat·es précoces aux yeux des normes actuelles. Les élus de 30 ans ou moins représentent actuellement 2,6% du Parlement, tandis que l’âge moyen est de 53 ans.
Il arrive ainsi que leur jeune âge surprenne les électeur·rices et les proches des candidats. « C’est sûr que je m’attendais à ce qu’il y ait du monde qui porte un jugement, pensant que 25 ans c’est trop jeune », raconte Étienne Loiselle-Schiettekatte. « Avec certains électeurs, c’est un peu délicat », relate de son côté Rose Lessard, qui compense la perception négative de son âge en présentant son parcours et ses qualifications.
Pour les deux vingtenaires, les jeunes candidats sont pourtant aussi légitimes que les autres : « Les personnes dans la vingtaine ont le droit d’être représentées à la Chambre des communes », affirme Étienne Loiselle-Schiettekatte. Rose Lessard rappelle quant à elle que « notre démocratie se doit d’être représentative de toutes les tranches de la population ».
Joindre les jeunes
« Plus on se sent représenté, plus on a envie de s’impliquer et de voter », soutient la candidate d’Hochelaga. Or, aujourd’hui, la démocratie canadienne « n’est pas représentative de la jeunesse », dénonce-t-elle. Pour les candidat·es rencontré·es, l’absence de jeunes élu·es peut expliquer le fort taux d’abstention observé chez les jeunes. Aux dernières élections fédérales, les 18-24 ans se sont abstenus à plus de 53%, contre 37% pour la population générale.
Or, les jeunes ne sont pas désintéressé·es de la politique pour autant. Leur engagement politique prend simplement d’autres formes. Selon Statistique Canada, les 18-30 ans sont les plus susceptibles de signer des pétitions ou de participer à des manifestations. « Les jeunes sont impliqués politiquement », confirme Rose Lessard, s’appuyant notamment sur la mobilisation massive de la jeunesse pour le climat en septembre 2019 à Montréal.
En quoi de jeunes candidats pourraient-ils encourager le vote des jeunes ? Pour Étienne Loiselle-Schiettekatte, c’est tout d’abord une question de modèle. « Les jeunes sont excité·es de voir une personne de leur âge se présenter », témoigne-t-il. Le candidat de Laval a lui-même des amis qui n’ont pas pour habitude de voter, mais qui ont repris confiance en la politique en le voyant se présenter aux élections. « Ça montre aux gens qu’un politicien, ça peut aussi être quelqu’un de bien et de normal », croit-il.
Selon un sondage Léger datant de 2018, 66% des Québécois·es âgé·es de 18 à 34 ans disent ne pas faire confiance aux politicien·nes. Dans le même temps, 82% affirment qu’il faut plus de jeunes en politique.
Au-delà de l’image, les deux candidat·es disent comprendre davantage certaines réalités communément vécues par les jeunes. « On a une expérience différente des politiciens plus âgés, comme celle de la crise climatique ou du coût de la vie », avance Rose Lessard. Son confrère du NPD la rejoint sur ce point : « On vient avec […] des valeurs qui nous parlent, et des inquiétudes qui nous sont propres. »
Rose Lessard dans son bureau de circonscription à Hochelaga (Charline Caro)
Les jeunes électeurs ne sont toutefois pas une catégorie homogène sur le plan politique, et portent des valeurs hétérogènes. Aux dernières élections, le Parti libéral, le Parti conservateur et le NPD obtenaient chacun entre 24 et 28% du vote étudiant, selon les estimations.
Croire en la politique
Interrogée sur la désillusion de certains politiciens entrés assez jeunes en politique, comme Gabrielle Nadeau-Dubois, Rose Lessard fait non de la tête. « Je crois quand même qu’il y a quelque chose à faire en politique », croit-elle. Passée par le communautaire, elle estime que ce sont les élu·es qui sont les principales vecteur·ices du changement, en étant aux premières loges du pouvoir législatif.
Si Étienne Loiselle-Schiettekatte a choisi d’agir par l’intermédiaire d’un parti, il tient toutefois à ne garder que le meilleur du monde politique : « Je ne veux pas être dans la négativité et la discréditation des autres candidats, mais plutôt dans la promotion de ma plateforme électorale. » Une approche qu’il juge davantage positive, centrée sur les besoins de la population et l’efficacité de l’action.
En attendant le 28 avril, les deux jeunes candidat·es poursuivent leur campagne avec beaucoup de plaisir. « C’est une expérience qui m’allume, c’est super enrichissant », se réjouit le candidat de Laval, qui encourage même tout le monde à s’engager en politique. Rose Lessard continuera elle de sillonner les rues d’Hochelaga et de rencontrer des gens. « C’est aussi pour ça que je fais de la politique. »
Les partis libéral, conservateur et vert n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue.
Le discours sur la décroissance qui se généralise. Les pratiques éthiques, écologiques et responsables se multiplient. Chacun adapte sa façon de vivre et modifie ses habitudes. Une remise en question louable et nécessaire, mais est-ce suffisant?
Et si on prenait du recul sur la situation du monde pour se rendre compte que tout le monde ne fait pas ses devoirs. Le Canada pollue toujours plus et recycle toujours aussi mal, alors que l’Accord de Paris l’a engagé à des objectifs concrets. Quid des multinationales ultras pollueuses dont l’existence repose sur la croissance et le profit.
Le décalage est étourdissant : acheter bio et local versus augmenter la production de 40% de l’industrie du plastique dans la prochaine décennie.
Tout en restant pragmatique et axés sur les solutions, cet épisode tente de pousser la réflexion sur l’écoresponsabilité. Sommes-nous surresponsabilisés ?
Invité·es :
Sophie Van Neste, professeure-chercheure à l’INRS. Elle travaille notamment sur transition écologique et les actions collectives Hugue Asselin, membre et coordonateur du Centr’ERE (Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté) René Audet, sociologue de l’environnement et membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique
“Comment les industriels ont abandonné le système de la consigne. Eh bien, recyclez maintenant !”, par Gregory Chamayou, dans le Monde diplomatique
Neoliberalism has conned us into fighting climate change as individuals, par Martin Lukacs, dans The Guardian
L’avion, plaisir coupable de l’écolo voyageur, par Pascale Krémer, sur leMonde.fr
BDde l’illustratrice Emma : Elle parle de la culpabilisation ressentie et explique que notre marge de manoeuvre est très limitée, car la logique marchande domine et la société est construite par un petit nombre de personnes capitalistes.
Elle y aborde le fait que les petits gestes du quotidien ne sont pas accessibles à tout le monde, de même que cela rajoute du poids à la charge mentale des femmes. Enfin, elle dénonce l’effet loupe. Soit le fait d’avoir l’impression que nos petites actions font la différence. Si on dézoome, c’est loin d’être suffisant.
Why large-scale activism is the ‘most powerful path out of climate despair’, sur CBC
« Individual action simply can’t get us to zero [carbon] emissions, » he told Tapestry host Mary Hynes. « Ultimately, those efforts are marginal compared to what can be achieved through policy and through politics, and that for me is why we need to focus on those levers. »
« Our whole societies are organized around very high intensive carbon emissions and it is extremely overwhelming to try to think about these issues, to try to think about what we’re up against, » said Norgaard, who explores the subject in her book Living in Denial: Climate Change, Emotions and Everyday Life. She adds that while denial might be « a very natural response » for some, not everyone has this blind spot.
« For communities who have never benefitted, materially or symbolically, from the modern nation-states — Indigenous communities being the most clear of these — it is not so difficult to challenge these [institutions]. »
10 retombées positives de l’action contre les changements climatiques, sur Unpointcinq. Cet article aborde les effets psychologiques, sanitaires et sociaux de ces actions.
Une nouvelle étape dans le but de rendre le sport plus sécuritaire a été franchie avec l’annonce que le Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC) a été sélectionné pour établir et mettre en œuvre un nouvel organisme pour la sécurité dans le sport. Cette annonce est un pas dans la bonne direction, mais il s’agit d’un problème auquel la communauté sportive mondiale doit faire face.
Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbault, en a fait l’annonce le 6 juillet dernier. Selon le communiqué de presse, le gouvernement du Canada investira un montant de 2,1 millions pendant la période de 2021-2022 pour l’établissement et la mise en œuvre de l’organisme. Cette annonce se faisait attendre depuis plusieurs années alors que plusieurs intervenants dans le milieu sportif réclamaient la création d’un organisme pour recevoir et traiter les plaintes d’abus qui serait indépendant.[i]
Le principal objectif de ce nouveau mécanisme sera de superviser la mise en fonction du Code de conduite universel pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport (CCUMS). Le CCUMS aspirent à ce que le monde sportif soit dissocié d’abus physiques, psychologiques ou sexuels[ii] et cela à tous les niveaux.[iii] Le mécanisme aura particulièrement à l’œil les organismes sportifs qui sont financés par le gouvernement fédéral.[iv]
Avec ce partenariat, le CRDSC se munit d’un autre outil. Marie-Claude Asselin, cheffe de la direction pour le Centre de règlement des différends sportifs du Canada, a annoncé en entrevue avec un journaliste de l’Esprit libre que l’organisme se munira d’une nouvelle branche avec la création du Commissaire à l’intégrité dans le sport. Selon le site Internet du Commissaire, cette nouvelle branche aura comme rôle de traiter les plaintes de maltraitance dans le sport au niveau national. Le Bureau du Commissaire se chargera de superviser le processus de réception des plaintes, de mener les évaluations préliminaires, de commencer les enquêtes complètes et de transmettre les dossiers à des professionnels indépendants ou indépendantes en médiation ou en arbitrage.[v]
Le bureau du commissaire s’ajoute aux services de tribunal (Secrétariat de règlement des différends) et le centre de ressources qui sont déjà disponibles. Avec le nouveau système, des services de soutien aux victimes seront offerts. Des services en santé mentale et de l’assistance pour les victimes seront également implantés. Les abus dans le sport ne datent pas d’hier alors qu’une étude conjointe de CBC News et de CBC Sport avec l’aide de Radio-Canada révèle que 340 entraîneurs du monde sportif amateur au Canada ont été accusés d’un crime de nature sexuelle pendant la période allant de 1998 à 2018.
Les accusations vont de l’agression à la possession et fabrication de matériel pornographique juvénile.
L’enquête a aussi démontré que parmi ces 340 entraîneurs, 222 accusations ont été retenues pour des condamnations.[vi] Un des cas qui a retenu l’attention de l’actualité québécoise et canadienne est celui de Bertrand Charest. L’ex-entraîneur de ski a été reconnu coupable d’avoir agressé de jeunes skieuses âgées de 12 à 18 ans dans les années 90 (1992-1998).[vii]
De plus, le phénomène de la violence dans le sport ne date pas d’hier. Des études sur le sujet ont été publiées depuis plusieurs années. Par exemple, une étude de plusieurs chercheurs et chercheuses de l’Université de Toronto en partenariat avec AthlèteCAN s’est penchée sur la question de la prévalence de mauvais traitements comme la violence physique, psychologique, sexuelle ainsi que bien d’autres comportements nocifs chez les athlètes actuels et passés de l’équipe nationale.
Lors de la création de cette recherche en 2019, 67% des 764 athlètes interrogés et qui étaient actuellement dans l’équipe du Canada ainsi que 76% des athlètes à la retraite depuis au moins une dizaine d’année, se dit avoir été victime d’une forme de comportement négligent.[viii]
Un problème mondial
Le fléau que représentent les abus dans le sport est un problème qu’on retrouve partout dans le monde. En septembre 2016, des allégations d’abus sexuels contre Larry Nassar, un ancien docteur de l’équipe nationale américaine de gymnastique, ont été rendues publiques. Lors de ses années de service au sein de l’équipe américaine, Nassar a agressé plusieurs centaines d’athlètes dont certain-e-s étaient des mineur-e-s.[ix][x][xi]
Dans le but de lutter contre les abus de nature sexuelle, le gouvernement français a lancé un plan de prévention des violences sexuelles ainsi qu’un kit de sensibilisation pour les dirigeants sportifs, les éducateurs, les bénévoles ainsi que les familles des athlètes. L’ensemble de sensibilisation explique les différentes catégories en matière de violences sexuelles, les signaux à repérer chez les possibles victimes. Finalement, le document explique les raisons pourquoi il est nécessaire de signaler.[xii]
Une nouvelle bien accueillie
Sylvain Croteau, directeur général de l’organisme Sport’Aide, applaudit l’initiative prise par le gouvernement canadien : « Je suis très content de voir que la communauté du sport canadien emboîte le pas à ce qui a été fait au Québec » a-t-il dit en entrevue à l’Esprit libre. Sport’Aide se donne comme mission d’offrir des services d’accompagnement, d’écoute et d’orientation pour les jeunes sportifs ainsi que les autres intervenants dans le monde sportif qui sont témoins de violences dans le cadre sportif.[xiii]
Afin d’instaurer la confiance envers les victimes, le gouvernement du Québec avait annoncé, l’an dernier, l’instauration d’un nouveau mécanisme indépendant où les athlètes pourront déposer leurs plaintes plutôt que de faire affaire avec les fédérations.
En ce qui a trait à l’instauration d’un mécanisme pour gérer les plaintes dans le monde sportif, le Québec est légèrement en avance sur le reste du Canada. Depuis février, la province du Québec s’est munie d’un officier indépendant où les athlètes québécois-es sont en mesure de déposer des plaintes lorsqu’ils ou elles sont victimes d’abus ou de harcèlement.[xiv]
Il se réjouit de savoir qu’avec l’instauration de cette entité, le reste du Canada a maintenant une place où les athlètes ou les témoins d’abus peuvent porter plainte. Un des souhaits de M. Croteau est de voir cet outil être fonctionnel et à la disponibilité des victimes ou des individus voulant l’utiliser le plus tôt possible.
Le directeur général de Sport’Aide a des attentes assez élevées pour le projet qui devrait être complété en 2021 ou 2022 : « Qu’il soit totalement indépendant, qu’il ait une culture éthique irréprochable et qu’il place les victimes au premier plan. »
Aller plus loin
Pour M. Croteau, la création de cet organisme indépendant est un pas dans la bonne direction, mais il faut faire attention de ne pas se contenter uniquement de cette étape et pousser plus loin.
« Il ne faut pas s’arrêter là. C’est bien d’avoir un officier indépendant, mais il faut s’assurer d’avoir un levier sur les organisations. ». Le directeur estime que les organisations devront être imputables et qu’elles ont une obligation de mettre les meilleurs efforts pour s’assurer de prévenir et de contrer les différentes formes de violence dans leurs communautés. M. Croteau estime qu’un des moyens les plus importants pour aider à combattre ce problème est d’éduquer, sensibiliser et informer l’ensemble des parties de la communauté sportive.
[v] Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport, « Bienvenue sur le futur site du nouveau Bureau du Comissaire à l’intégrité dans le sport du Canada », consulté le 17 juillet 2021, https://commissaireintegritesport.ca/
[viii] Gretchen Kerr(Ph.D), Erin Wilson (B.Kin) et Ashley Stirling(Ph.D), Prévalence des mauvais traitements chez les athlètes , tant qu’anciens qu’actuels, de l’équipe nationale, Université de Toronto, rapport du 30 avril 2019. https://athletescan.com/sites/default/files/images/prevalence_of_maltrea…
En 2019, l’actualité internationale représentait 7,84 % du contenu des médias québécois, soit près de trois fois moins que la place accordée aux sports 1. De cet espace dédié aux nouvelles de l’étranger, les trois quarts étaient occupés par les pays européens ou les États-Unis 2. Quelle place les médias québécois et canadiens accordent-ils au reste du monde?
Jeudi 27 août 2020. À la une du New York Times 3, un article de la convention républicaine, aussi mise de l’avant dans les pages du journal Le Monde 4, entre un article sur la Covid-19 et les explorations gazières turques en Méditerranée. En première page du Devoir, la rentrée scolaire, les toilettes hors d’usage d’une école montréalaise en réparation, des parents inquiets. La Presse +5 traite aussi d’enjeux liés à la rentrée en temps de pandémie, citation à l’appui : « être en vie, pas en survie ».
La veille, les inondations provoquées par de fortes pluies ont causé la mort de 80 personnes à Charikar 6, en Afghanistan, où 1 300 civil·e·s ont perdu la vie lors d’affrontements armés depuis début 2020, d’après un rapport des Nations Unies 7.
« Lorsqu’il est question des humains derrière ces statistiques, écrivait le mensuel américain The Atlantic, ce ne sont pas toutes les pertes qui sont couvertes équitablement 8», comme en témoigne la relégation des morts afghanes en marge de publications québécoises majeures.
Quelle place pour l’international?
« La première chose qu’il faut noter lorsqu’on parle de l’actualité internationale au Québec, c’est qu’elle n’est pas couverte », déplore Dominique Payette, professeure de journalisme à l’Université Laval, lors d’un entretien avec L’Esprit libre.
Un constat confirmé par les chiffres : parmi les thématiques qui intéressent les médias québécois, l’actualité internationale vient après la météo et juste avant les faits divers, d’après un classement réalisé par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval 9.
Interrogée sur la question, Mme Payette confirme que « [la plupart] des médias reposent entièrement sur l’offre et la demande, donc sur le marché », expliquant notamment la pression financière importante qui pèse sur une industrie médiatique aux prises avec des problèmes économiques majeurs. Le rôle croissant des réseaux sociaux dans la diffusion de l’information et le désintérêt progressif du public pour les médias traditionnels ont sans conteste fait mal aux portefeuilles des médias privés. « La chute des revenus publicitaires, principalement dans la presse écrite, a [également] contraint de nombreux journaux à cesser leur parution ou à opter pour une version en ligne seulement », favorisant le développement de médias spécialisés, pour qui il est plus aisé de trouver des annonceurs. Cela pourrait entraîner « une fracture entre les “ info-riches ” et les “ info-pauvres ”, entre ceux qui disposent des moyens financiers et techniques pour avoir accès à une information diversifiée et de qualité, et ceux qui n’y ont pas accès 10».
Dans les dernières années, journaux, télévisions et radios ont aussi réduit drastiquement leur nombre de correspondant·e·s à l’étranger, faisant de plus en plus appel aux agences de presse 11. Mais « les problèmes économiques des médias n’expliquent pas tout », insiste Mme Payette, pour qui le peu de couverture internationale découle aussi d’un manque de volonté des rédactions.
« Un média privé, tu peux comprendre que pour des raisons financières, parce que les revenus sont vraiment à la baisse, qu’ils réduisent leur nombre de correspondant[·e·]s », explique en entrevue le journaliste et chef du bureau de l’Agence France Presse (AFP) à Jérusalem, Guillaume Lavallée. En référence à la fermeture du bureau de Radio-Canada à l’étranger, il rappelle que « [pour] un média public, à partir du moment où les subventions restent les mêmes… c’est vraiment une question de volonté et [un problème] de définition de comment tu vois l’international ».
Quand un visage vaut mille noms
« Aujourd’hui, on couvre surtout les crises et on n’a plus le temps pour le reste, déclarait au Devoir la journaliste Agnès Gruda. Lorsqu’il y a un attentat, tout le monde se jette sur l’évènement. On va avoir la caméra braquée sur un pays pendant trois semaines et, après ça, on l’oublie complètement 12», ajoute la chroniqueuse de La Presse, spécialisée en actualité internationale.
Cette surreprésentation des crises dans la couverture de l’actualité internationale s’explique entre autres par des raisons logistiques : il est coûteux de suivre des conflits ou des situations à long développement, mais, « à l’inverse, une crise provoquée par un tremblement de terre ou par tout autre phénomène naturel est beaucoup plus facile à couvrir, puisqu’il ne faut regarder que les résultats », confirme Mme Payette. Il est aussi plus difficile d’intéresser le public aux sujets considérés « positifs » comme la croissance économique en Afrique ou le recul d’une épidémie 13, puisque « ça marche de voir que ça va très mal ailleurs », soutient la journaliste et professeure à l’Université Laval. « On dirait que ça nous réconforte, que ça fait de nous le meilleur pays du monde », ajoute-t-elle, faisant référence à la célèbre formule de Jean Chrétien.
Parmi les crises couvertes dans les médias, un autre processus de filtration s’opère, déterminant le lien entre l’attention que les rédactions accordent à un évènement et l’intérêt que le public lui porte 14. Un processus de sélection théorisé par le concept de « mise sur agenda », et qui « dépend d’un certain nombre de facteurs déterminants, tels que les intérêts des élites à l’égard des pays en développement, la proximité de ces pays des centres de pouvoir géopolitique, la fidélité narrative des textes, c’est-à-dire sa cohérence relativement à des conceptions préexistantes du monde et les affinités culturelles » 15.
Par exemple, « quand il y a eu le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014, se souvient Guillaume Lavallée, il y a eu énormément de couverture dans les médias québécois parce que ça leur dit quelque chose », le Québec partageant une trajectoire indépendantiste similaire. Par ailleurs, « Kim Kardashian a certainement plus d’attention [médiatique] globale que les réfugié·e·s soudanais·es 16», syrien·ne·s ou érythréen·ne·s.
Un autre phénomène, cette fois-ci psychologique, explique pourquoi un évènement affectant un plus grand nombre de personnes réduit la compassion des lecteurs et lectrices, qui sont plus porté·e·s à avoir de la compassion pour les individus que pour les groupes 17. Ce que les psychologues nomment « l’effondrement de la compassion » s’est notamment manifesté lorsqu’a circulé dans les médias sociaux et traditionnels la photo du jeune syrien Alan Kurdi, retrouvé mort visage contre terre sur une plage de Turquie. En 2015, sa photographie a attiré l’attention et l’empathie du monde entier sur la vague migratoire en Méditerranée, « parce qu’on ne voit pas le visage de l’enfant [qui] pourrait être n’importe quel enfant sur une plage 18». Et s’ils avaient été cent, visages contre terre?
Du Biafra à Ottawa
Cette façon de « construire le nous-mêmes et le eux-autres », comme le formule Mme Payette, découle d’une façon de couvrir l’actualité qu’elle fait remonter à la Guerre du Biafra, au Nigeria, il y a un demi-siècle. La première représentation médiatique d’une pénurie alimentaire a donné lieu à un type de traitement de l’actualité qu’elle nomme « l’humanitarisme », soit la description biaisée d’une « situation dans laquelle il n’y a pas de coupable, pas de responsable ». En plus d’occulter les causes politiques et environnementales derrière la situation au Biafra, les médias ont introduit pour la première fois au public occidental des images montrant « des enfants avec des gros ventres et des mouches dans les yeux », contribuant à alimenter une vision misérabiliste de l’Afrique et, plus largement, des pays du Sud global.
Le misérabilisme n’est pas un biais réservé à l’actualité étrangère dans les médias québécois et canadiens. Une étude réalisée entre 2012 et 2013 par l’organisme sans but lucratif Journalists for Human Rights (JHR) démontre que sur les 0,46 % du contenu médiatique ontarien dédié aux sujets concernant les Premières Nations, l’écrasante majorité présente une vision négative, voire raciste, de ces dernières 19.
En ce qui concerne « l’autoroute des larmes », une zone de 800 km en Colombie-Britannique où plus 12 jeunes femmes sont disparues depuis 1994, « les familles de ces femmes disparues et assassinées ont longtemps soutenu que les médias accordaient moins de couverture aux autochtones qu’aux femmes blanches 20», par exemple. D’après la journaliste Adriana Rolston, ce n’est d’ailleurs qu’en 2002 que des journaux majeurs comme le Globe and Mail ou le Vancouver Sun ont écrit sur « l’autoroute des larmes », date qui correspond à la disparition de Nicole Hoan, 25 ans, première femme blanche à rejoindre la funeste liste 21.
Le « syndrome de la femme blanche disparue 22», qui renvoie à l’attention variable que les médias accordent à différents évènements selon certains paramètres, n’est donc pas exclusif aux maigres cahiers internationaux des quotidiens canadiens.
Alors qu’en 2020, le Canada figurait au 16e rang de l’index sur la liberté de presse de Reporter sans frontières 23, la professeure à l’Université d’Alberta Cindy Blackstock rappelle qu’« une presse libre a la responsabilité de couvrir les sujets sur lesquels le public a besoin d’être informé, pas uniquement sur ce qu’il veut entendre 24».
Il y a deux ans, Guillaume Lavallée et deux de ses collègues lançaient le Fonds québécois en journalisme international (FQJI), qui attribue annuellement plus de 75 000 $ en bourses à des reporters québécois·es. Une initiative qui répond à une « urgence de trouver des sources de financement qui permettent aux journalistes de témoigner davantage des réalités internationales au public québécois en toute liberté et indépendance 25», à l’heure où la mondialisation lie de plus en plus les réalités d’ici à celles d’ailleurs.