Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

La communauté algonquine de Lac Barrière (nation algonquine de Mitchikanibikok Inik) tente de forcer le gouvernement du Québec à réformer la Loi sur les mines pour que toute activité d’exploration minière sur son territoire soit précédée d’une consultation en bonne et due forme. Cette contestation juridique est une première au Québec et plusieurs jugent qu’elle pourrait avoir des impacts majeurs sur le régime minier québécois.

La communauté de Lac Barrière a intenté une poursuite en janvier 2020 contre le gouvernement du Québec pour que la Loi sur les mines soit modifiée. « C’est vraiment le régime juridique au complet, dans son essence même, qui pose problème », résume l’avocat de la communauté, Marc Bishai.

Ce qui est en cause : le mode d’attribution des titres miniers (plus communément appelés les claims). Les claimspermettent à une entreprise d’effectuer des travaux d’exploration minière afin de trouver un gisement économiquement rentable et, éventuellement, d’ouvrir une mine. Les entreprises et individus achètent des titres miniers en ligne, via l’interface GESTIM du gouvernement, pour ensuite obtenir l’autorisation d’effectuer des travaux sur le territoire visé.

Pour expliquer ce qu’est un « titre minier », le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) mentionne sur son site qu’il procure « le droit exclusif d’y chercher les substances minérales » et que le « mode d’acquisition est un procédé simple et rapide » . Le régime « s’appuie sur un accès le plus large possible au territoire, un droit de recherche ouvert à tous, sans égard aux moyens des demandeurs », mentionne également le MERN.


« Le principe, c’est la liberté de prospection, ou le free mining, qui permet à quiconque d’enregistrer automatiquement, quasiment, des claims miniers et ce, sans consultation préalable de la communauté autochtone qui occupe déjà le territoire, déplore Me Bishai. C’est, selon nous, inconstitutionnel. »

« Il est dans l’intérêt de tous [et toutes], à mon avis, incluant les acteurs de l’industrie, que le régime minier soit constitutionnel parce que ça accorde une plus grande prévisibilité » — Marc Bishai, avocat 

La loi constitutionnelle de 1982 oblige l’État à consulter les communautés autochtones sur les projets d’exploitation des ressources naturelles qui pourraient se développer sur leur territoire, souligne Me Bishai. C’est sur cette base que la communauté de Lac Barrière a intenté sa poursuite.

Un conflit avec une entreprise d’exploration minière

La récente contestation juridique trouve plus précisément racine dans un conflit qui a opposé, il y a quelques années, la communauté de Lac Barrière au gouvernement du Québec et à l’entreprise d’exploration minière Copper One.

La communauté protestait contre les travaux d’exploration minière aux abords de son territoire. En fait, elle s’opposait surtout à tout possible projet minier puisqu’il serait incompatible avec sa vision de l’occupation du territoire.

Un conflit qui s’est conclu en 2017 par le versement, de la part du gouvernement du Québec, d’une somme de 8 M $ à Copper One pour qu’elle délaisse ses titres miniers. « [La communauté] a alors constaté qu’il y a absence de consultation avant que des transactions aient lieu concernant des claims sur son territoire », explique Me Bishai.

Par voie de communiqué, le chef de la nation algonquine de Mitchikanibikok Inik, Casey Ratt, a déclaré en janvier dernier que la loi est, selon lui, « dépassée ». « Notre territoire comprend plusieurs sites importants d’un point de vue écologique et culturel qui sont essentiels pour assurer notre survie. Nous ferons tout en notre pouvoir pour le protéger des projets miniers risqués », a-t-il souligné.

Un dossier suivi par l’industrie

Au moment d’écrire ces lignes, la position du gouvernement dans cette affaire n’était pas connue. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a décliné notre demande d’entrevue « puisqu’il s’agit d’un dossier judiciarisé ».

L’Association d’exploration minière du Québec (AEMQ), qui représente des entrepreneurs et des minières, a quant à elle accepté de répondre aux questions de L’Esprit libre, en se gardant toutefois de commenter en détail cette affaire.

Le directeur de projet pour l’AEMQ, Alain Poirier, précise que l’obligation de consulter les communautés autochtones est une responsabilité qui incombe au gouvernement et non à l’industrie. Il martèle que cette poursuite concerne donc davantage l’État que l’industrie. « On ne peut pas se substituer au rôle du gouvernement (de consulter). C’est lui le gestionnaire du territoire », explique-t-il.

M. Poirier concède toutefois que la poursuite sera suivie de près par les membres de l’association. « On veut savoir ce qui va en sortir comme jugement, affirme-t-il. Ce sont souvent des causes qui sont portées jusqu’en Cour suprême et les jugements viennent modifier l’approche que les gouvernements vont avoir. »

La Loi sur les mines est peu critiquée, selon l’AEMQ

Les entreprises qui souhaitent procéder à des travaux d’exploration minière aux abords des communautés autochtones recueillent toutefois les préoccupations de celles-ci avant de procéder, assure M. Poirier. « Normalement, tu vas rencontrer la communauté, tu veux les informer, parce que tu veux savoir quelles sont leurs préoccupations et s’il y a des secteurs où il ne faut pas aller », souligne-t-il. Le chargé de projet explique, à titre d’exemple, qu’il n’est pas rare qu’après discussions, des entreprises consentent à paver certaines routes ou à arrêter leurs opérations en période de chasse.

« L’industrie a évolué. L’industrie parle beaucoup plus aux gens des communautés qu’elle ne le faisait il y a 10 ans, 15 ans ou 20 ans, parce que c’est comme cela que ça fonctionne aujourd’hui. » — Alain Poirier, directeur de projet pour l’AEMQ

De son point de vue, les contestations de la Loi sur les mines sont rares au Québec. « La Loi sur les mines a été modifiée à plusieurs reprises et on n’entend pas beaucoup de contestations ni de commentaires négatifs, juge M. Poirier. Il y a [le processus] d’octroi des claimsqui est contesté, mais par une seule communauté pour le moment. »

Seulement 4 % du territoire est claimé, selon l’AEMQ

En ce qui concerne le système d’attribution des claims, M. Poirier ne pense pas que l’industrie a une marge de manoeuvre inappropriée. « Ce n’est pas vrai que parce tu as un claim, tu peux tout faire. Tu ne peux pas exproprier les gens ou faire des travaux qui ont des impacts sur la forêt sans demander de permis », cite-t-il en exemple.

Il mentionne également que 33 % du territoire québécois est visé par une interdiction de travaux d’exploration minière ou sous contrainte. Par contrainte, il cite en exemple la présence d’aires protégées.

Il reconnait cependant que le fonctionnement actuel n’implique pas de consultation préalable avant l’obtention de claim. « À l’heure actuelle, ça ne se fait pas », constate-t-il. « La demande de claim déclenche un processus de validation du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, qui [va] valider avant de donner le droit », avance-t-il. C’est pourquoi, à ses yeux, la contestation de la procédure actuelle concerne d’abord le gouvernement, et non l’industrie.

Il précise cependant qu’il y a « une immense différence entre avoir un claim et une mine ». Seulement 4 % du territoire québécois est actuellement claimé, selon M. Poirier. « Les mines qui ouvrent aujourd’hui ont été découvertes il y a 10, 15, 20 ans, ce qui fait que c’est un processus extrêmement long », ajoute-t-il. Des travaux d’exploration peuvent s’effectuer sur de vastes territoires alors qu’un éventuel projet minier n’est développé que sur une fraction de cette superficie.  

Malgré les réformes de la loi, les problèmes demeurent, selon une chercheuse

La professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Sophie Thériault, est spécialiste des droits des peuples autochtones dans le contexte de l’extraction des ressources naturelles. Elle estime que le régime minier québécois « est structuré de telle manière à rendre impossible la consultation préalable des peuples autochtones avant l’enregistrement du claim. […] L’entrepreneur minier peut obtenir de manière unilatérale un claimsans que l’État exerce un pouvoir discrétionnaire », précise-t-elle.

Cette situation est, selon elle, un enjeu de taille notamment pour les territoires des communautés autochtones non conventionnées et qui n’ont donc jamais été cédés. Les Algonquin·e·s de Lac Barrière font partie de ce cas de figure. « Ils [et elles] peuvent toujours revendiquer l’existence de titres ancestraux, explique Mme Thériault. Un titre ancestral en droit canadien est défini comme le droit exclusif d’occuper un territoire, de l’utiliser et de bénéficier de l’exploitation de ses ressources. »

« Il y a une collision frontale entre le régime de claim minier et le titre ancestral » — Sophie Thériault, professeure de droit à l’Université d’Ottawa

Puisque le territoire n’a jamais été cédé, l’État est dans l’obligation de consulter les communautés lorsqu’une mesure étatique est susceptible d’être préjudiciable aux droits des peuples autochtones, précise Mme Thériault. Plusieurs communautés anishinabées ont tenté par le passé de négocier un traité avec les gouvernements, mais le processus n’a jamais abouti.

« À mon avis, l’enregistrement d’un claim minier sur un territoire potentiellement détenu en vertu d’un titre ancestral devrait donner lieu à une obligation de consultation », tranche Mme Thériault, qui se dit convaincue que certaines dispositions de la Loi sur les mines ne respectent pas les droits constitutionnels des Autochtones.

« L’État au service de l’industrie minière »

Mme Thériault soutient que ces enjeux de non-respect des droits ancestraux sont connus depuis longtemps. Elle émet l’hypothèse que la logique de free mining datant du XIXe siècle a survécu aux différentes réformes de la Loi sur les mines – dont la dernière remonte à 2013 — parce que cette approche est « favorable aux investisseurs miniers ». « Les entrepreneurs [et entrepreneuses] miniers réclament haut et fort l’accès le plus libre possible au territoire pour pouvoir mener des activités d’exploration et augmenter les chances de trouver un gisement rentable », constate-t-elle.

Selon elle, le système minier est à ce point favorable à l’industrie qu’il est reconnu internationalement comme tel par les grandes entreprises minières. « L’enjeu de l’économie politique ici est de dire que l’État est au service de l’industrie minière qu’il promeut également », affirme-t-elle.

Les entrepreneurs qui investissent pour effectuer des travaux d’exploration minière s’attendent d’ailleurs à pouvoir démarrer une mine s’ils trouvent un gisement intéressant. « On s’attend à ce que, s’il y a découverte d’un gisement rentable, on ait le droit de pouvoir exploiter le gisement en question », mentionne-t-elle.

Les fondements de la loi

Les fondements du free mining proviennent des ruées vers l’or du XIXe siècle et des codes miniers qui ont été développés par les prospecteurs eux-mêmes, selon la professeure. « Ils ont fait une pression importante sur les législateurs pour que ces codes miniers servent de base pour les législations étatiques, parce que les mineurs savaient que ces codes étaient favorables à l’expansion de l’industrie minière », explique-t-elle.

Le free mining est devenu une « forme de système de pensée qui est très ancrée dans les cultures minières et dont il est très difficile de faire abstraction », ajoute Mme Thériault, pour expliquer sa non-remise en question par les gouvernements.

Un enjeu aussi pour les allochtones

Selon Mme Thériault, la décision dans l’affaire opposant Lac Barrière au gouvernement du Québec pourrait devenir un « précédent très important et susceptible d’influencer le développement du droit dans d’autres juridictions ».

Elle croit également que cette contestation pourrait être bénéfique pour les communautés non autochtones. « Dans l’éventualité où l’État est forcé de restructurer son régime minier de manière à obliger la consultation avec les communautés autochtones, on va être mieux en mesure d’intégrer des processus décisionnels beaucoup plus ouverts, puis de laisser une place beaucoup plus grande aux démocraties locales », conclut-elle.

Le traitement de cette contestation judiciaire sera retardé en raison de la pandémie.

Photo : Peter B. Carter sur Flickr

Des médias indépendants joignent leur voix aux journaux qui en appellent à un soutien de l’État

Des médias indépendants joignent leur voix aux journaux qui en appellent à un soutien de l’État

Et demandent à être inclus dans le débat

(LETTRE OUVERTE) Nous sommes des médias indépendants, certains imprimés, d’autres en partie numérique, d’autres 100% numériques. Nous appuyons les journaux qui, réunis au sein d’une coalition en septembre, en ont appelé à une aide d’urgence de l’État pour faciliter leur transition vers le numérique. Mais tout en appuyant cette Coalition, nous soutenons que cet appel à l’aide doit être élargi à d’autres médias.

Ce n’est pas parce que, au contraire d’eux, nous avons déjà les deux pieds dans le numérique que nous sommes en bonne santé. Nous sommes de petits médias, indépendants des conglomérats. Nos revenus publicitaires sont maigres et peu d’entre nous avons des abonnés payants. Plusieurs d’entre nous ont développé une formule de membrariat novatrice, mais nous avons également besoin d’un soutien financier pour pérenniser notre approche et permettre l’essor véritable de nos médias.

Les tumultes des dernières décennies ont occasionné une reconfiguration du paysage médiatique et le Québec est toujours l’un des endroits au monde où la concentration et la convergence des médias sont les plus importantes. Ainsi, un petit nombre de propriétaires possèdent presque l’entièreté des médias, ce qui ne peut qu’être un obstacle à l’expression d’une diversité des points de vue. Dans l’état actuel des choses, il est difficile pour les médias alternatifs, indépendants et communautaires de survivre et encore plus d’émerger.

Et pourtant, certains d’entre nous produisons plus de contenu journalistique inédit chaque semaine que certains des médias représentés dans la coalition. Si nous sommes plus que d’accord sur le rôle historique des médias dans nos sociétés, il ne faut surtout pas oublier qu’il est tout aussi important que les lecteurs puissent avoir accès à une diversité de sources de qualité pour mieux s’informer. En effet, tous les médias ont leur ligne éditoriale et une culture particulière qui leur est propre. La multiplicité des médias et de leurs approches journalistiques favorise la diffusion d’une pluralité de points de vue, ce qui est essentiel à tout débat démocratique sain. Il ne faudrait donc pas se contenter d’aider seulement les médias écrits déjà bien établis. Certes, supportons-les dans leur transition, mais n’oublions pas que le paysage médiatique québécois manque de diversité depuis déjà longtemps. Saisissons donc aussi cette occasion pour pallier à un déficit démocratique non négligeable.

Si nous sommes plus que d’accord sur le rôle historique des médias dans nos sociétés, il ne faut surtout pas oublier qu’il est tout aussi important que les lecteurs puissent avoir accès à une diversité de sources de qualité pour mieux s’informer.

Nous appuyons la plupart des demandes, aussi bien celles du Devoir le 25 août que de la Coalition pour la pérennité de la presse d’information le 27 septembre : par exemple, une intervention sur différents domaines comme le crédit d’impôt pour l’embauche de journalistes, une reconnaissance pour avoir accès à des programmes pour la mutation des activités vers le web, la possibilité de faire partie des programmes pour PME (et OBNL) pour le marketing web et la formation numérique du personnel. Bien entendu, la façon dont ces aides seraient distribuées resterait à discuter, afin de ne pas nuire à l’indépendance journalistique des médias. Nous croyons nous aussi que l’État québécois doit reconnaître le rôle distinctif et essentiel des médias dans la culture québécoise. Et nous assistons nous aussi avec inquiétude à la fuite des revenus publicitaires vers Facebook ou Google.

Nous croyons nous aussi que l’État québécois doit reconnaître le rôle distinctif et essentiel des médias dans la culture québécoise.

Mais ces demandes doivent aussi s’appliquer aux médias indépendants de l’écrit et du numérique. Peut-être faudra-t-il établir des critères quant au type de médias qui pourrait se qualifier de journalistique. Mais ces médias «admissibles» ne peuvent pas se retrouver exclusivement parmi les journaux quotidiens et hebdomadaires. Une aide financière d’une durée de cinq ans, comme le suggère la Coalition, nous permettrait d’investir durablement dans le numérique, et surtout de nous concentrer sur ce que nous faisons de mieux : du journalisme.

Gabrielle Brassard-Lecours, Ricochet

Josée Nadia Drouin, Agence Science-Presse

Christiane Dupont et Philippe Rachiele, JournaldesVoisins.com

Mariève Paradis, Planète F

Ainsi que :

Stéphane Desjardins, Pamplemousse.ca

Nathalie Desrape, Ensemble

Nelson Dion, Journal Mobiles

Pierre Dubuc, L’Aut’Journal

Nicolas Langelier, Nouveau Projet

Audrey Miller, L’École branchée

Michel Préville, Québec Oiseaux

Marc Simard, Le Mouton Noir

Emiliano Arpin-Simonetti, Revue Relations

Claudine Simon, Les Alter Citoyens

Thomas Deshaies, L’Esprit Libre

Burkina Faso: bilan d’un coup d’État rejeté par les citoyens-ennes

Burkina Faso: bilan d’un coup d’État rejeté par les citoyens-ennes

Le 17 septembre dernier, le général Gilbert Diendéré, à la tête du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), a instauré un gouvernement provisoire par un coup  d’État, le « Conseil national pour la démocratie ». Face à des pressions de la rue, de la communauté internationale et de l’Armée nationale qui s’est déployée autour de la capitale, les putschistes ont finalement déposé les armes et cédé le pouvoir au Conseil national de transition (CNT). Nous avons rencontré le politologue Issiaka Mandé pour faire le point sur ces événements.

Un rapide retour en arrière s’impose pour bien comprendre les récents événements. Les 30 et 31 octobre 2014, des manifestations d’envergure ont eu lieu pour réclamer le départ du président de l’époque, Blaise Compaoré. Celui-ci souhaitait modifier la constitution afin d’être en mesure de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles. Il avait obtenu le pouvoir en 1987 grâce à un coup d’État ayant mené à l’assassinat du président socialiste de l’époque, Thomas Sankara.

Malgré plusieurs pertes de vies humaines et des destructions matérielles considérables, le dénouement des événements d’octobre 2014 avait surpris les analystes en raison d’un retour au calme relativement rapide et d’un exil sans grande effusion de sang de l’ancien chef d’État, Blaise Compaoré. Les forces en présence avaient alors mis sur pied le Conseil national de transition (CNT), formé de représentant-e-s de différentes sphères de la société civile et des partis politiques. Le parti de Compaoré, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) avait alors été de facto exclu de ce gouvernement provisoire. Michel Kafando fut désigné comme Président intérimaire jusqu’à l’organisation d’élections initialement prévues en octobre 2015, mais qui sont maintenant reportées, compte-tenu de la situation.

De « séquestration » à coup d’État

Le 17 septembre 2015, le RSP séquestre le Président de la transition, le Premier ministre et deux ministres au palais présidentiel de Kosyam. Le RSP exige que son régiment ne soit plus menacé de dissolution.

Ce qui semblait au début n’être qu’une prise d’otages dans le but d’obtenir des gains rapides s’est plutôt avéré être un coup d’État « en règles ». Le matin du 18 septembre, on annonçait la dissolution du CNT et la formation d’un nouveau gouvernement ayant à sa tête le Général Diendéré. Selon le politologue Issiaka Mandé, il est difficile de savoir s’il s’agissait d’un coup d’État réellement planifié : « Est-ce que c’est un coup préparé ou c’est un coup qui a « tourné », été récupéré? Initialement, une des hypothèses, c’est que c’est une simple séquestration en réaction au rapport du Conseil Consultatif sur les réformes politiques qui avaient proposé la dissolution du RSP. » Selon le Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA), qui a réagi par voie de communiqué, il est étrange que les événements se soient déroulés le 17 septembre et ce « à quelques heures de l’audience du juge d’instruction dans l’affaire Sankara. Il avait convoqué le 17 septembre les avocats de la CIJS Campagne Internationale Justice pour Sankara pour leur révéler le résultat de l’expertise balistique et d’ADN. Il est très probable que ceci contribuerait à incriminer le Général Diendéré. Il est notoirement reconnu comme un des membres du peloton d’assassins qui a mis un terme sanglant à l’épisode révolutionnaire du Burkina en 1987. » De pus, le GRILA accuse les membres du RSP de « disposer de confortables rentes dans le secteur minier, le transport et l’immobilier. Ils se sont auparavant enrichis dans les guerres du Sierra Leone et du Libéria, par le contournement des diamants de l’UNITA en Angola, la déstabilisation de la Côte d’Ivoire ou des médiations  ambiguës lors des prises d’otages et l’instrumentalisation terroriste dans le Sahel.»

Des milliers de Burkinabés se sont presque instantanément mobilisé-e-s malgré la répression. Partout au pays, des citoyen-e-s ont érigé des barricades et ont bloqué les grandes routes. Une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec à sa tête Macky Sall, président du Sénégal depuis 2012, mais impliqué en politique avec l’ex-président Abdoulaye Wade depuis la fin des années 1980, ont entamé des pourparlers avec les putschistes. Un accord a été proposé afin d’assurer le retour du gouvernement de transition. Cet accord garantit l’amnistie des putschistes, le report des questions reliées au remaniement de l’armée (dissolution du RSP) et la possibilité pour les candidat-e-s du CDP de Compaoré de se présenter de nouveau aux prochaines élections. L’accord du CEDEAO est fortement décrié par la rue, qui considère les propositions comme étant injustifiées.

Durant la nuit du 20 au 21 septembre, plusieurs corps de l’armée nationale sont entrés dans Ouagadougou pour exiger la reddition du RSP. Le mercredi 23 septembre, le Président Michel Kafando a finalement repris du service et les forces du RSP ont déposé les armes.

Entrevue avec Issiaka Mandé, politologue 

Q. Blaise Compaoré, est-ce l’homme derrière le coup d’État?

R. « Le problème c’est que le RSP est toujours redevable à Blaise Compaoré. Est-ce qu’il y a un lien direct avec ce qui se passe? Il y a des informations qui circulent et qui semblent dire que Blaise Compaoré aurait eu une rencontre secrète avec Diendéré à Abidjan, deux semaines avant le coup d’État. Est-ce qu’il aurait effectivement planifié ce coup? On attend de voir, mais pour l’instant, la direction opérationnelle revient quand même à Diendéré. »

Q. Est-ce que la proposition de sortie de crise de la CEDEAO vous semble appropriée? Que pensez-vous de la proposition d’amnistie pour les putschistes et de celle de la réintégration des candidats du CDP, ancien parti de Blaise Compaoré?

R. « Concernant l’amnistie, c’est une demande qui ne peut pas être prise en compte, qui est vouée à l’échec compte-tenu du contexte politique. Sur la prise en compte ou la non-prise en compte des candidats du CDP dans le processus électoral, on peut avoir une lecture de démocrate qui serait de dire « oui, il faut laisser tout le monde compétitionner et que oui, c’est le peuple qui décide en dernier ressort. Mais il faut aussi tenir compte du contexte et là, si on ne se fie pas uniquement à des considérations purement juridiques, mais si on tient compte d’une analyse politique, la raison d’être de la transition est avant tout pour démanteler l’État Blaise Compaoré. De deux, il y a aussi le sentiment de la population qui est que, des gens qui ont voulu cautionner une forfaiture, c’est-à-dire, modifier un élément fondamental de la constitution, ne sont pas crédibles pour défendre cette même constitution. Donc, la dimension, elle, est multiple. Le contexte du coup d’État remet en jeu aussi la chose. Puisque tout le Parti, et tout l’entourage qui était avec Blaise Compaoré ont cautionné le coup d’État à travers leurs déclarations une nouvelle fois. »

Q. Que pensent les juristes de cette exclusion?

R. «Les juristes et les constitutionnalistes aussi ont une opinion similaire. En fait, puisqu’ils (les députés du CDP) ont été démis, et qu’on ne leur a pas permis de se présenter aux élections présidentielles, ils veulent maintenant passer par un coup d’État pour s’imposer ? Si on leur laissait le droit de se présenter et que ces individus ne gagnaient pas les élections, que feraient-ils? Ils vont massacrer toute la population pour pouvoir s’imposer?  Il ne faut pas oublier que dans ce contexte, c’est le Conseil constitutionnel qui les a disqualifiés, alors comment le Conseil national de transition pourrait revenir sur cette décision ? Il y a un réel problème avec l’accord proposé par la CEDEAO. Il y a plusieurs autres problèmes juridiques en fait. Par exemple, on demande l’amnistie, mais celle-ci est supposée être uniquement accordée par le Président. »

Q. Pourquoi la CEDEAO a-t-elle proposé un accord qui semble aussi « favorable » pour les putschistes?

R. « Selon Macky Sall, qui est l’architecte de cet accord, c’était pour éviter un bain de sang, pour des raisons humanitaires et puis aussi, pour favoriser la cohésion de la société burkinabè. Dans les faits, c’est plutôt l’effet contraire que cela a produit. Cet accord est à l’encontre de tous les principes édictés par l’Union africaine, tous les principes même de la CEDEAO. L’autre interprétation, d’un certain nombre d’analystes, voire de la population burkinabè, c’est que les chefs d’État de la CEDEAO ont peur de la rue, parce que là, c’est la rue qui dit « non ». C’est quand même surprenant de la part d’un démocrate comme Macky Sall. Cet accord bancal, c’est un accord qui remet en cause l’architecture du Comité national de transition, qui remet en cause tout le travail qui a été élaboré et avec des éléments qui ne tiennent pas au niveau juridique. Même la dernière position de la CEDEAO, sortie de la réunion d’Abuja, c’est un recul. Le problème d’amnistie a été remis en cause, le problème de l’inclusion de ces gens, c’est à rediscuter. Ce qu’il faut aussi dire avec la position de la CEDEAO, c’est que ce n’est pas la première fois. La CEDEAO n’a jamais compris la situation du Burkina. À croire qu’il n’y a pas d’analystes au niveau des organisations internationales, parce que déjà, en 2014, quand il y a eu l’insurrection populaire et que le Burkina a demandé l’intervention de la CEDEAO, c’était également des décisions totalement « à côté de la plaque ».»

Q. Est-ce que sans la mobilisation massive des citoyens, le coup d’État aurait pu être un succès?

R. « Le principe même d’un coup d’État en Afrique est quelque chose qui est remis en cause globalement. Les coups d’États ne sont plus réellement « acceptés » par les instances africaines. De deux, la population elle-même, n’est pas prête à accepter les coups d’États. Le besoin de démocratie est quelque chose d’important et surtout quand on sort d’un régime oppressif, tel que cela a été le cas du Burkina avec Blaise Compaoré. D’autant plus que, c’est un coup d’État conduit par une garde prétorienne, il ne faut pas l’oublier. »

Q. L’Armée nationale n’est intervenue que plusieurs jours plus tard, pourquoi?

R. « Ce « discrédit » de ne pas intervenir vient aussi des populations. Est-ce qu’on a affaire à une armée nationale ou à une « armée de majorettes » ? Dans ce cas, il faudrait changer les tenues de cette armée… C’est un peu ça la question qui est posée. Si c’est une armée d’apparat, bien il faut aussi clairement le dire. L’autre chose, c’est qu’il ne faut pas oublier que l’armée est un corps social comme tout autre, qui est traversé par les tensions qui existent à travers la société burkinabè. Les analystes sur le Burkina le disent très clairement aussi. À l’intérieur de l’armée, il y a des jeunes officiers qui veulent aussi le changement. Même si Diendéré se fait un malin plaisir de dire que les Chefs de corps sont tous des amis, qu’ils sont tous des promotionnaires, certes, mais les jeunes officiers et sous-officiers et les hommes de rang, ils ont d’autres aspirations. Ce sont aussi leurs amis qui sont dans les rues. Quand je discute avec mes amis qui sont dans l’armée et que je leur pose la question à savoir s’ils auraient tiré sur la foule lors du soulèvement d’octobre 2014, Ils me répondent que de tirer sur la foule, c’est comme de tirer sur des copains avec qui on sort boire de la bière le soir. Ils savent qu’ils sont sur les barricades. Il y a aussi cet élément qu’il faut prendre en compte. Au Burkina Faso, nous avons affaire à une population jeune moins âgée que le temps de Blaise Compaoré au pouvoir. C’est une population très jeune, et une population avec un avenir plus ou moins sombre, donc on est dans un contexte où ils veulent du changement. »

Comité printemps 2015: Entrevue avec Fannie Poirier

Comité printemps 2015: Entrevue avec Fannie Poirier

L’Esprit libre a rencontré Fannie Poirier, étudiante à la majeure en science politique à l’Université du Québec à Montréal et militante active au sein du comité printemps 2015. Il faut savoir que ce mouvement n’a pas de porte-parole, mais madame Poirier nous a été désignée par les gestionnaires des réseaux sociaux du mouvement comme pouvant répondre à nos questions sur le comité printemps 2015.

Q. Vous êtes impliquée sur le comité printemps 2015 depuis le début?

R. Oui, depuis début septembre. J’ai assisté à toutes les réunions « larges », aux réunions du comité information, puis j’ai participé avec mes collègues, mes camarades, à l’élaboration de nos lignes politiques.

Q. Comment est née l’idée de créer le « printemps 2015 » ?

R. C’était ambiant. C’était quelque chose qui existait avant nous. Avec toutes les mesures qui ont été annoncées depuis l’arrivée au pouvoir de Philippe Couillard, les gens attendaient cela. On n’a pas poussé quelque chose, je pense qu’on a plutôt répondu à quelque chose.

Q. Vous avez donc commencé par convoquer une première réunion ?

R. Il y a eu une première réunion qui a été annoncée et puis la réponse était vraiment grande. Dès le début, les réunions ont été peuplées d’au moins 150-200 personnes. Il y avait énormément de gens qui étaient intéressés et très vite, ça s’est répandu comme une trainée de poudre à travers la province. On sait qu’en région, la réponse est très forte. Cela n’a pas tardé avant que les comités « printemps 2015 » se créént et soient vraiment très participatifs à l’extérieur de Montréal aussi.

Q. Diriez-vous que les « comités printemps 2015 » sont plus mobilisés à l’extérieur de Montréal en ce moment ?

R. Je ne serais pas prête à hiérarchiser. La concentration des richesses, ça se fait malheureusement aussi en ville. À Montréal, on a un avantage politique puisqu’on a une base militante déjà mobilisée. Par contre, ce qui est flagrant dans les régions c’est que les mesures d’austérité ainsi que l’économie du pétrole les frappent de plein fouet. On n’a pas à faire le même effort de mobilisation. Ces gens-là sont comme nous, extrêmement mobilisés et puis inquiets de ce qui se passe parce que ça les concerne directement. Oui, on a fait une mobilisation, on est allés parler aux gens, mais c’était plus pour voir comment ils s’organisaient; comment ça se passe de leur côté. En Gaspésie c’est actif, en Montérégie, en Estrie, en Outaouais… Partout ça brasse!

Q. Combien de personnes s’impliquent activement dans les comités de « printemps 2015 » ?

R. C’est vraiment difficile à dire parce que « printemps 2015 », c’est des étudiants-es, des travailleurs-euses. La taille des réunions varie. Les gens viennent prendre des idées, vont l’appliquer dans leurs milieux à eux. Donc ce n’est pas chiffrable et je pense que c’est à notre avantage. Je pense qu’il y a des gens partout en ce moment qui sont en train de s’organiser sur leurs propres bases de manière autonome. Le fait qu’on ne soit pas relié à une centrale, à un leader politique, à un porte-parole, ça fait en sorte qu’il y a une diversité du mouvement de contestation en ce moment.

Q. Comment fonctionne la coordination du mouvement ? Est-ce qu’il y a un conseil exécutif?

R. Non, il n’y a pas d’instance décisive. En fait, tout marche par table de travail et puis par concertation. On a une façon de fonctionner qui est complètement horizontale. On se base vraiment sur l’initiative personnelle.

Q. Il y a certains étudiants qui ont critiqué le fait que les revendications n’étaient pas assez claires, que c’était peut-être trop « lousse ». Qu’est-ce que vous répondez à cela?

R. Je ne serais pas d’accord pour dire que les revendications ne sont pas claires ou « lousses ». Je pense qu’on a un problème au niveau de la couverture médiatique. On s’attend à ce qu’un porte-parole fixe puisse personnaliser le conflit alors que le conflit est multiple et large. Nos revendications ne sont pas compliquées. On est contre la privatisation de nos biens collectifs essentiels. Cela passe par l’eau potable, par l’air respirable, par l’accès à l’éducation, par l’accès à nos services de santé et aux CPE, par les services sociaux, par nos conditions de travail. Tout cela, ça relève de la propriété collective. C’est ce que notre gouvernement est sensé nous assurer, ce sont des conditions de vie décentes et dignes en échange de notre consentement à son pouvoir puis à la levée de nos impôts. Ce qu’on est en train de voir plutôt, c’est notre argent collectif en train d’aller directement à l’entreprise privée au détriment de l’intérêt commun. Donc, nos revendications, je pense qu’elles ne sont pas lousses, elles ne sont pas floues. Je pense qu’elles sont seulement difficiles à résumer autour d’un seul chiffre. Ça demande un peu plus d’effort de politisation, puis de réflexion. Les gens se disent donc : « Ah c’est pas comme un chiffre, on n’a pas comme 1625$ à réclamer ». C’est parce qu’on est attaqué frontalement de tous les côtés. Donc, ce qu’on décrit, c’est la privatisation de nos propriétés collectives.

Q. Cette grève a été lancée il y a moins d’une semaine. L’objectif est-il de rester en grève le plus longtemps possible? Qu’est-ce qui pourrait mettre fin à cette grève?

R. Il y a trois choses importantes qui se passent ce printemps. Il y a le premier dépôt du budget libéral qui va être décrié. C’est le premier point tournant du printemps qui marque notre momentum. Ensuite, il y a le dépôt pour évaluation ministérielle des projets de Enbridge et de Transcanada, qui va être déposé au Ministère de l’environnement pour évaluation. Ce qu’il faut savoir, c’est que le Ministère de l’environnement compte 1% du budget ministériel, puis pendant ce temps, on continue de couper dans la recherche scientifique et dans tout ce qui concerne la recherche environnementale. Ce que nous disons, c’est qu’il n’y a aucune réelle intention d’évaluer ces projets-là qui sont, de toute façon, déjà en cours. Ce printemps, c’est ce qu’on veut souligner. C’est qu’on est en train de passer des projets pétroliers qui sont néfastes contre la volonté réelle démocratique au Québec. Puis, il y a 400 000 employés de la fonction publique, dont la convention collective arrive à échéance le premier avril. Ce qu’on risque de voir dans les prochains mois, jusqu’au premier mai, c’est énormément de mouvement et d’agitation dans ces milieux. Notre grève a comme premier but d’accueillir un climat de contestation pour que dès le début, on puisse arriver à politiser ce qui se passe pour éviter que les syndicats reprennent cette opportunité de juste négocier leur propre convention collective. Ce n’est pas une question de  quel pourcentage tu vas prendre ton augmentation de salaire mais plutôt de déterminer qu’est-ce qu’on veut pour les prochaines générations. C’est ça le rôle des étudiants-tes, c’est de revendiquer pour l’avenir. On se rend compte en ce moment qu’on se fait vendre un futur qui n’est absolument pas viable.

Q. Espériez-vous que les syndicats soient en grève en même temps que les étudiants-es?

R. Non. On savait que ce ne serait pas possible. On sait qu’il y une marge à la fin des conventions collectives, que les syndicats doivent négocier etc. Ils sont strictement encadrés par le code du travail. C’est donc très compliqué de déclencher une grève. Je pense que c’est d’ailleurs tout à fait néfaste pour la santé de la démocratie au Québec. On enlève, par ces mesures-là, le seul moyen de pression réelle à la classe travaillante, c’est-à-dire, faire la grève. Ce ne sont pas des manifestations gentilles, des parades, puis des pétitions qui vont faire plier un gouvernement. Ce qu’il faut, c’est lui retirer notre consentement et bloquer les rouages de ce système qui ne nous avantage pas. Considérant cela, nous savions que ce serait compliqué d’accueillir les travailleurs-euses dans la rue au même moment que les étudiants-tes. Ce qu’on veut faire, c’est créer un précédent en attendant que les mandats de grève se déclenchent – parce que les travailleurs-euses sont en train de voter des mandats de grève, principalement dans les milieux de l’éducation et de la santé. Ce qu’on veut leur dire, c’est qu’on est solidaires et qu’on ira dans la rue quand ils sortiront aussi. Il n’y a pas de mal à faire des grèves cycliques dans le milieu social.

Q. Un article La Presse laissait sous-entendre que le mouvement printemps 2015 misait beaucoup sur l’entrée en grève des syndicats. Est-ce que les journaux vous ont questionné à ce sujet? Pourquoi ont-ils écrit cela? N’était-ce pas votre objectif dès le début ?

R. Il y a deux choses en jeu ici. Il y a d’abord la réelle capacité des centrales syndicales à représenter l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Personnellement, je me demande dans quelle mesure les centrales corporatives de type syndical comme cela sont en mesure de véritablement prendre la défense des conditions de travail des travailleurs et des travailleuses. Généralement, là où ça brasse, c’est dans les syndicats locaux. Puis, si les centrales syndicales écoutaient leurs syndicats locaux, leurs représentants se rendraient compte qu’il faut bouger beaucoup plus vite. Après, pour ce qui est de la couverture médiatique, en 2012, le Conseil de Presse du Québec a fait une recherche sur l’analyse de fond qui avait été faite par la couverture médiatique pendant le conflit étudiant. Cela allait de 1% au Journal de Montréal, à 7% dans La presse, puis à 13% au Devoir. Ça c’est l’analyse de fond sur le conflit. On peut donc se demander qu’est-ce qui a changé en 2015. Est-ce que la presse cherche plus le sensationnalisme et le Showbizz, qu’autre chose? Nous étions 8 000 manifestants dans les rues il y a quelques jours, mais on a seulement parlé de vitres cassées. S’il y a des individus isolés qui cassent de vitres, il y en a des milliers d’autres qui risquent leur intégrité physique et juridique en sortant dans la rue pour décrier un système qui est injuste. Donc, à quel moment est-ce que la presse fait vraiment son travail et nous offre une tribune qui est égalitaire et réaliste? On part d’emblée avec un désavantage. Ils vont de toute façon remâcher un discours qui lui est déjà connu : les casseurs, les agitateurs, les méchants étudiants. Le Journal de Montréal a sorti cette semaine : « les enfants gâtés ». On s’entend que c’est du déjà-vu. Est-ce que les gens dans les médias réfléchissent à ce qu’ils disent et écrivent? Est-ce qu’ils font vraiment de l’analyse sur ce qui se passe sur le terrain? Moi j’en doute fortement.

Q. Certaines centrales syndicales ont laissé entendre qu’ils pourraient organiser un mouvement de grève à l’automne. Est-ce que vous y croyez?

R. Oui tout à fait. Moi je crois à la contestation tout le temps. Ce gouvernement-là est très entêté et est probablement là pour rester. Nous voulons lui lancer comme message, dès le dépôt de son premier budget que nous aussi on est là pour rester, que nous ne sommes pas dupes, que nous savons nous organiser. On veut lui montrer qu’on est encore capables de grogner bien comme il faut. L’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) est déjà prête à faire une campagne de mobilisation pour l’automne prochain. Nous serons prêts-tes après l’été, fraîchement reposé-e-s afin de continuer.

Q. Ne sera-t-il pas difficile de relancer le mouvement de grève à l’automne?  

R. C’est vrai qu’il faut se méfier du « Backlash », qu’il faut faire attention à l’épuisement militant. Cela dit, les longues luttes sont de longue haleine. Présentement,  ce qu’on est en train de décrier c’est un paradigme dominant qui est mis en place depuis les années 1980 et qui est en train de complètement gagner la palme. Nos élus sont en train de finir leur projet idéologique, de complètement privatiser les services publics pour revenir 50-60 ans en arrière. On est en train de faire face à une répression policière et étatique démesurée et je pense que d’ici quelques mois, une réflexion d’autant plus profonde aura eu le temps de se faire. Je ne peux pas prédire l’avenir. Tout dépend de l’effort militant et de l’entêtement des gens à défendre leurs idéaux, mais je pense qu’il y a un mouvement qui est bien solide et qui est là pour rester. On savait depuis le début que ce printemps, on ne pouvait pas espérer faire tomber le gouvernement, mais on veut lancer un message clair à la population et au gouvernement, leur dire qu’ils n’ont pas fini d’en découdre avec nous s’ils veulent démanteler l’État providence comme cela, comme si de rien était.

Q. Diriez-vous qu’après quelques jours de grève, le travail de politisation est en quelque sorte accompli? Les médias ont abondamment utilisé l’appellation « grève sociale » qui est traditionnellement davantage utilisée dans les milieux militants. Diriez-vous qu’il y a un travail qui est déjà fait et qu’il aura un impact durable ?

R. Je pense que si on a commencé à utiliser le mot « grève sociale », c’est un gain, mais minime. Le travail ne fait que commencer, c’est un travail d’envergure. Il va falloir qu’on s’entête très longtemps avant que les gens comprennent, premièrement, c’est quoi l’utilité d’une grève. Donc on est juste en train de mettre sur pieds les chantiers pour que ça se passe. Nous travaillons à établir un dialogue entre nous et à montrer ces espaces politique et créatif que nous concevons en faisant la grève, en prenant une pause, puis en se donnant le droit en tant que collectivité de discuter de ce qui nous concerne directement. Comme dirait Hannah Arendt, quand un peuple n’a pas assez d’espace politique  pour appliquer sa politique, pour vivre son politique, on doit forcer ces espaces-là à s’ouvrir. C’est ce qu’on est en train de faire en ce moment, c’est dévoiler aux gens autour de nous la nécessité d’ouvrir les espaces politiques qui nous sont propres.

Q. Est-ce qu’il y a un changement dans les stratégies policières? Est-ce qu’il y a un durcissement depuis la grève de 2012? Qu’avez-vous observé?

R. Je pense que la police reprend son travail exactement là où elle avait laissé il y a trois ans. Au même niveau de répression, puis au même niveau de violence. Moi j’en tire deux conclusions. Les policiers ont appris de 2012 qu’ils avaient le droit de tout faire et ils en prennent largement avantage. Ils se permettent effectivement de faire tout ce qu’ils veulent avec nous dans la rue parce qu’ils ont appris qu’ils ne se font pas taper sur les doigts après. Il y a eu la Commission parent, mais qu’est-ce qu’il y a eu vraiment comme sanction auprès du SPVM après 2012? Ça fait depuis 2005 que le SPVM est sur la liste noire et se fait réprimander par la commission des ligues des droits et libertés du Québec. Aucun changement d’attitude, c’est même pire. Nous avons une police qui n’est pas prête à prendre ses responsabilités sociales puis qu’y endosse pleinement son rôle de police politique. Elle est là pour défendre un État qui, visiblement, ne veut absolument pas faire face à un deuxième printemps étudiant. Donc, ce qu’on voit c’est de la répression d’autant plus forte dans les universités, dans les cégeps, mais dans la rue aussi.

Q. Pensez-vous qu’il y aurait un mot d’ordre du gouvernement?

R. Je pense que le gouvernement est vraiment nerveux, mais sûr de lui. C’est-à-dire qu’il  est en train de mener un projet de société qui lui est propre et qu’il est déterminé à mener, même s’il sait que la majorité de population s’y oppose. D’après moi il a préparé son coup et s’attendait à ce que la contestation soit forte. Il était donc prêt à la réprimer, à la juste valeur de ce à quoi il s’attendait. Il est déterminé à nous l’enfoncer dans la gorge et à faire taire la contestation politique.

Ristigouche et GASTEM : Un conflit pour évaluer le pouls de la population québécoise vis-à-vis l’exploration pétrolière?

Ristigouche et GASTEM : Un conflit pour évaluer le pouls de la population québécoise vis-à-vis l’exploration pétrolière?

La municipalité de Ristigouche Sud-Est a récemment lancé une campagne de financement afin de l’aider à se défendre face à une poursuite de la pétrolière GASTEM qui lui réclame 1 494 676,95$ suite à l’adoption d’un règlement municipal pour la protection de l’eau potable. Nous avons rencontré le maire François Boulay et obtenu un entretien téléphonique avec le PDG de Gastem, Raymond Savoie, pour faire le point sur cet événement.

Le projet d’exploration à Ristigiouche Sud-Est a débuté en 2009 et la plate-forme fut construite en 2012. Le 4 mars 2013, la municipalité adopte un règlement municipal afin de délimiter une zone de protection de deux kilomètres à l’intérieur de laquelle toute activité de forage est interdite près des puits artésiens, ce qui inclut le projet de GASTEM. Le maire François Boulay, qui n’était pas encore élu à l’époque, justifie l’adoption d’un tel règlement comme une mesure nécessaire afin de protéger les sources d’eau potable. Il n’y avait en effet aucun règlement provincial légiférant en la matière avant juillet 2014, au moment où le ministre a présenté son nouveau règlement à Gaspé. En août 2013, la ville reçoit une mise en demeure de GASTEM puisque cette dernière affirme avoir dépensé  non loin de 1,5 millions de dollars pour le projet,  qu’ils ont alors dû avorter suite à l’adoption du règlement. Raymond Savoie, le PDG de la pétrolière, estime qu’il s’agissait d’un règlement injustifié puisqu’il avait obtenu un permis du Ministère de l’environnement et que la ville n’avait jusqu’à présent exprimé « aucune objection ». La pétrolière affirme d’ailleurs avoir cherché à obtenir le consentement des citoyennes et citoyens en organisant une rencontre afin de leur expliquer les développements du projet. Aussi, monsieur Savoie s’explique mal pourquoi la ville ne l’a jamais contacté avant l’adoption du règlement. En entretien téléphonique, il semblait par ailleurs fortement irrité par les agissements du maire Boulay et a même affirmé que « La porte a toujours été ouverte chez nous et [qu’on] aurait sans doute pu s’entendre sur quelque chose ».  Le maire Boulay pense quant à lui ne rien devoir à GASTEM, et agit selon la volonté des 168 résident-es de Ristigouche Sud-Est . « Je n’ai rien à dire à monsieur Savoie. » s’est-il exclamé. Pour faire face à cette poursuite, la municipalité de Ristigouche Sud-Est a fait appel aux citoyennes et citoyens afin de récolter 225 000 $ pour assurer les frais juridiques. Il est également à noter que la demande en irrecevabilité a été rejetée en mars dernier par la cours, forçant ainsi la tenue d’un procès et obligeant la ville à trouver des « solutions ».

L’accord du conseil municipal ?

Afin de justifier cette poursuite, Raymond Savoie affirme que : « La municipalité avait donné son accord et [que] le ministère vérifie toujours avant de délivrer un certificat autorisant l’exploration s’il y a une objection de la part de la ville. » Il considère ainsi que c’est une forme de bris de contrat puisqu’ils sont  « revenus sur leur position » et que des dépenses avaient déjà été engendrées. François Boulay affirme quant à lui n’avoir vu aucune trace d’un « accord » dans les résolutions du conseil municipal. Il comprend par ailleurs mal le point de vue de GASTEM puisque selon lui la ville n’a pas le pouvoir d’autoriser ou interdire une exploration pétrolière sur son territoire. Également, plusieurs citoyennes et citoyens étaient inquiets face au projet pétrolier et le maire affirme que c’est suite à la pression populaire que le conseil municipal a adopté le règlement sur la protection de l’eau potable. Afin de déterminer dans quelle mesure les citoyens-nes et la municipalité peuvent influencer le ministère dans l’octroi ou non d’un certificat d’exploration, nous avons contacté le ministère du développement durable, de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques. Il nous apparaît que le consentement municipal est un élément important dans l’argumentaire de GASTEM pour justifier sa demande de dédommagement. Le ministère nous a, dans un premier temps, affirmé que le nouveau règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection : « (…) ne comprend pas de dispositions particulières qui obligent le ministère à consulter les municipalités ou les villes. (Avant de délivrer le certificat) » Cependant, comme le stipule la Loi sur la qualité de l’environnement, celui qui demande un certificat d’autorisation au ministère doit préalablement informer et consulter le public. Il s’agit donc d’organiser une réunion d’information qui sera préalablement publicisée dans un journal « papier » distribué dans la localité. Un rapport de cette réunion de consultation est ensuite produit par l’instigateur du projet et transmis au ministère tout comme à la municipalité. Il faut donc comprendre que la ville n’a aucun pouvoir légal afin de décider si un projet aura lieu ou non. Dans un second temps, même si il y avait une forte opposition face à un projet lors d’une consultation, le ministère pourrait toujours délivrer le permis. La seule obligation qu’avait GASTEM était donc de consulter et d’informer, ce qu’ils ont par ailleurs fait. Le ministère se doit d’exiger la tenue d’une telle consultation, mais rien ne les oblige à prendre en considération, légalement du moins, le rapport produit. La  « non-objection » de la municipalité telle que prétendu par Raymond Savoie est-elle donc réellement significative et importante dans ces circonstances?

 « Parce que je considère que la porte est fermée au gouvernement, nous devions agir » – François Boulay

En juin, la ville de Ristigouche a demandé un entretien avec le ministre de l’environnement afin de trouver des pistes de solution concernant la poursuite. Après avoir eu plusieurs discussions avec des attachés politiques et avoir été transféré au Ministre des affaires municipales, sans recevoir de réponse concrète, le maire Boulay a estimé devoir faire connaître la cause au grand public pour que les choses bougent. Le sujet n’avait alors été abordé que par quelques quotidiens de la région. Avec le lancement de la campagne de solidarité, les médias nationaux ont finalement abordé la question et le ministre a réagi en affirmant qu’un entretien aurait lieu à la fin du mois d’août. Le bureau du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques nous a toutefois fait savoir que : « le ministère ne peut commenter un dossier judiciarisé. » C’est ce sentiment d’abandon ressenti par le maire Boulay qui l’a convaincu de la nécessité de mettre sur pied une telle campagne de financement. De plus, la Mutuelle des municipalités, qui est une sorte d’assurance pour les villes, refuse d’aider financièrement Ristigouche Sud-Est puisque celle-ci aurait été accusée d’agir de « mauvaise foi » dans le dossier.

Menaces pour l’environnement ?

Pour GASTEM, le règlement pour la protection des eaux de Ristigouche Sud-est « bidon et ne tient pas la route » puisque son projet ne présentait aucune menace pour l’environnement. Il faut savoir que plus de 70 municipalités ont adopté des règlements similaires, basés sur le modèle du règlement de Saint-Bonaventure, et monsieur Savoie affirme que celui-ci fut écrit par « 2-3 personnes à Montréal… », laissant sous-entendre qu’ils n’avaient peut-être pas l’expertise nécessaire pour rédiger un tel règlement. Selon lui,  « c’est à Québec qu’est l’expertise » et lors de la délivrance du certificat, ils ont considéré qu’il n’y avait aucun risque environnemental. Autre son de cloche à Ristigouche, où l’on affirme que de nombreux universitaires et experts en la matière croient plutôt qu’on ne peut réellement prévoir comment va réagir l’environnement devant ces explorations et qu’il y a donc bel et bien des risques. La question pour le maire de Ristigouche est de savoir si sa municipalité souhaite réellement prendre un tel risque.

Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection  (RPEP)

En réponse au conflit opposant Pétrolia et Gaspé, Québec a finalement lancé son nouveau règlement sur la protection des eaux. Celui-ci rend  caducs les règlements municipaux et impose certaines normes que devront respecter les entreprises. La localisation d’un site de forage devra se faire à plus de 500 mètres d’un site de prélèvement d’eau potable et il sera également interdit de faire de la fracturation à une distance de moins de 600 mètres de profondeur. Il faut savoir que les nappes phréatiques se trouvent généralement à moins de 200 mètres de la surface du sol. Une étude hydrogéologique sera également exigée. La fédération des municipalités du Québec (FQM) a réagi favorablement à l’annonce d’un tel règlement tout comme plusieurs autres acteurs du milieu. Il vient répondre à une demande d’avoir des normes provinciales claires en la matière. C’est aussi le cas chez GASTEM qui considère qu’il s’agit là de normes très sévères, mais que la population pourra ainsi être rassurée et les compagnies sauront « clairement à quoi s’attendre et pourront s’ajuster ». Pour François Boulay, c’est un petit pas dans la bonne direction mais il affirme que plusieurs recommandations scientifiques démontrent qu’on ne peut pas prévoir comment se comporteront les fissures : « On ne peut pas savoir si avec le temps, cela aura des répercussions sur la nappe phréatique ». En demeurant prudent, il se demande si un tel règlement n’aurait pas un autre objectif sous-jacent, soit celui de légitimer l’exploration pétrolière en rassurant les québécoises et les québécois. Un moyen de laisser croire qu’il n’y a maintenant peu de risques environnementaux grâce à la surveillance de l’État pour calmer la contestation et permettre aux pétrolières de continuer l’exploration?

Une exploration à « Haut risque (financier) »

Comme nous l’affirmait en entrevue Raymond Savoie, l’exploration à Ristigouche Sud-Est était à « haut risque ». C’est-à-dire qu’il n’était vraiment pas certain de trouver quoi que ce soit dans le sol. Sa compagnie avait des raisons de croire que des réserves pétrolières se trouvaient enfouies à cet emplacement, mais il n’avait aucune certitude sur la question. Cela revient également à dire que même si le règlement municipal n’avait pas nui aux opérations de GASTEM, la compagnie courait le risque de dépenser 1,5 millions de dollars sans extraire quoi que ce soit. Certain-es se demandent donc pourquoi GASTEM souhaite être dédommagé ; même si le règlement n’avait pas été adopté, ils n’auraient peut-être jamais pu rentabiliser leur projet.

Un choix de société

De son côté, monsieur Boulay croit que ce qui se passe à Ristigouche Sud-Est concerne l’ensemble du Québec. Selon lui, il s’agira d’un bon indicateur de ce que les citoyennes et citoyens veulent vraiment. Il se demande si le gouvernement actuel est à l’écoute de la population, et pourquoi il veut à tout prix aller vers l’exploitation du pétrole et des hydrocarbures. Après tout, n’est-ce pas la question de fond derrière cet événement? Il n’exclut pas la possibilité de faire front commun avec d’autres municipalités si un tel projet (contre l’exploration pétrolière) voyait le jour.