Un colosse aux pieds d’argile : la culture syndicale au Québec (partie 2)

Un colosse aux pieds d’argile : la culture syndicale au Québec (partie 2)

Le Québec est l’endroit en Amérique du Nord où le plus de travailleur‧euse‧s sont couvert‧e‧s par un syndicat, une réalité méconnue, mais toutefois impressionnante. Dans ce cas, qu’est-ce qui rend la culture syndicale du Québec si unique? Bien que l’enjeu semble occuper peu de place dans les médias, il a un impact concret sur la vie de tous les Québécois‧es. Analyse d’un milieu robuste qui repose sur des bases fragiles. 

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Comprenant maintenant que le régime syndical québécois se base en partie sur une histoire unique en Amérique du Nord, il est important de comprendre en quoi cette particularité est également présente dans la structure syndicale actuelle. La question « qu’est-ce qu’y rend la culture syndicale du Québec si unique? » est loin de laisser indifférent les intervenant‧e‧s contactés pour cet article. Faisons le tour de leurs réponses.

Des lois propres au Québec

En 2009, le président étatsunien de l’époque, Barack Obama, cherchait une façon d’encourager le syndicalisme à plus large échelle dans ce pays, qui faisait état d’un taux de syndicalisation de seulement 12%. Or, pour mettre en branle ce projet, qui deviendra ultimement le Employee Free Choice Act, celui-ci aurait demandé à avoir accès à une copie anglophone du Code du travail du Québec[i]. Il voyait donc en la législation québécoise un exemple positif qui permettait d’encourager la syndicalisation.

Concrètement, la disposition qui intéressait le plus Barack Obama concernait la méthode d’accréditation des syndicats québécois.

Ici, la formation d’un syndicat n’est pas sorcier : les salarié‧e‧s qui désirent joindre un nouveau syndicat doivent signer une carte d’accréditation et payer un montant symbolique d’au moins 2$; à partir du moment où 50%+1 de ses employé‧e‧s ont signé leur carte, la demande de formation d’un syndicat est envoyée et ultimement approuvée au Tribunal administratif du travail (TAT); une fois ces deux étapes passées, l’existence du syndicat se voit officialisée[ii].

Cependant, aux États-Unis, et dans plusieurs provinces canadiennes, le processus est légèrement différent. Comme l’officialisation d’un syndicat ne se fait pas par une instance gouvernementale comme le TAT, mais par l’employeur‧euse lui‧elle-même, ce dernier a le droit de demander un vote secret parmi toutes les employées pour s’assurer de la volonté de tout un chacun à mettre en place un syndicat. Ceci mène, majoritairement dans le secteur privé, à des intimidations patronales pour éviter l’instauration d’un syndicat. Selon une étude étatsunienne, ce serait près de 75% des employeur‧euse‧s qui utiliseraient des attaques antisyndicales nécessitant l’aide de firmes d’avocat‧e‧s[iii]. Entre autres, l’entreprise Google a été critiquée pour ses liens avec la firme IRI Consultants, reconnue pour ses activités antisyndicales[iv]. Ainsi, dans la mise en place du Employee Free Choice Act, officialisé en 2016, Barack Obama cherchait à simplifier l’accréditation du syndicat en évitant le vote secret mandaté par l’employeur‧euse.

Pourtant, pour comprendre les lois syndicales propres au Québec, il faut expliciter les influences britanniques du système nord-américain. À ce niveau, avec l’arrivée au Québec des syndicats internationaux au début du siècle, est apparue une structure propre à la Trade Union Congress (TUC) de la Grande-Bretagne[v]. Celle-ci se base sur un « syndicalisme d’entreprise », ce qui signifie globalement que le syndicat est reconnu au niveau d’une entreprise pour négocier directement avec l’employeur‧euse, plutôt que par un‧e salarié‧e directement[vi]. Les grandes lignes de ce système sont d’ailleurs toujours en place aujourd’hui.

Pour ne donner qu’un exemple, la succursale de la Fromagerie Bergeron, située à Saint-Antoine-de-Tilley au Québec, a émis sa demande d’accréditation syndicale le 2 août dernier[vii]. Dans le cas où cette demande sera approuvée par le Tribunal administratif du travail, 100% des salarié‧e‧s admissibles à cet établissement deviendront membres du syndicat, couvert‧e‧s par une convention collective, et devront payer des cotisations syndicales à même leur salaire, et ce, même si seulement 51% des employé‧e‧s de la fromagerie ont signé une carte d’accréditation. Cette méthode est plus communément reconnue comme la formule « Rand ».

« Le Québec dispose d’un régime particulier avec la généralisation de la formule Rand. Cette formule est très logique puisqu’elle lie la nécessité de cotiser au fait que toutes les personnes employées bénéficient des avantages de la convention collective », explique Francis Lagacé, ancien syndicaliste et militant.

En Europe, cette méthode d’accréditation est très différente. Alors qu’au Québec, le taux des travailleur‧euse‧s couvert‧e‧s par un syndicat correspond globalement au taux de travailleur‧euse‧s syndiqué‧e‧s par convention collective d’entreprise, ce n’est pas le cas en France. Ce pays fait état d’un taux de syndicalisation de 11%[viii], alors que plus de 93% de la population est couverte par des accords syndicaux. Cela est dû au fait que l’accréditation syndicale française se fait par branche, comme c’est le cas dans le milieu métallurgique par exemple[ix]. Les employé‧e‧s du secteur métallurgique bénéficient donc de toutes les avantages sociaux négociés (salaires, heures de travail, etc.), et ce, même si leur entreprise n’est pas membre d’un syndicat. En raison de l’omniprésence des syndicats en France, leur pouvoir social est donc bien plus grand qu’au Québec, et ce, malgré un taux de syndicalisation individuel beaucoup plus faible. Leurs assises se voient donc renforcées.

Des grands acteurs sociopolitiques

Concrètement, des études tendent à démontrer que plus le taux de couverture syndicale d’un État est élevé, plus la redistribution sociale de la richesse sera optimale[x]. Notamment, une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui démontre que « les pays dans lesquels l’inégalité des revenus est en moyenne plus faible au cours de la période 1989-2005, tendent à être ceux dans lesquels une plus grande proportion de travailleur‧euse‧s est affiliée à des syndicats »[xi]. Conséquemment, le Québec, qui a un taux de syndicalisation plus élevé que le reste des provinces canadiennes, a également des taux d’inégalités parmi les plus faibles au pays. Ceci mène notamment à la réflexion qui consiste à comprendre si les contestations sociales des syndicats québécois visant à instaurer un filet social fort ont mené à la présence de ce taux d’iniquité plus faible[xii].

Le rôle social du syndicat québécois a d’ailleurs été officialisé par la création du « deuxième front », tel que je l’ai expliqué dans la première partie de mon article « Un colosse aux pieds d’argile » – là où des luttes féministes, d’accès au logement ou d’aide sociale furent portées par ses organisations. Aujourd’hui, les syndicats jouent encore ce rôle sociopolitique très important.

Depuis 2020, le Fondaction de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a mis sur pied « Cultivons pour donner du sens à l’avenir », une initiative qui permet à des jeunes d’écoles primaires défavorisés de cultiver un jardin communautaire à même l’école[xiii]. À la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le « Fonds immobilier de solidarité FTQ », mis en branle par leur Fonds de solidarité FTQ, investit près de 151 millions $ dans la construction et la rénovation de divers logements sociaux[xiv]. Ces initiatives, éloignées du secteur du travail, prouvent la présence importante des syndicats comme acteur de changement sociopolitique dans la société.

« Il y a cette idée qui est répandue dans la société que le syndicalisme n’a rien à faire en politique », explique Thomas Collombat, professeur de science politique au département de sciences sociales à l’UQO. « On dit qu’il faut qu’ils se concentrent sur les relations de travail ». Les opposants à ce rôle plus politique et social des syndicats se font entendre, notamment puisque « le syndicalisme en tant que phénomène vient particulièrement perturber cette idée de séparation entre l’économie et le politique. Il est, par essence, un mouvement qui est impliqué dans les deux sphères ».

Toutefois, pour Thomas Collombat, « tu défends dans les deux cas ce qu’on appelle la classe ouvrière, la classe des travailleurs et travailleuses, d’une façon formelle ou informelle. Mais, quant à moi, tu contribues au même objectif ».

La question nationale : une particularité à prendre en compte?

Pour Mona-Josée Gagnon, sociologue syndicale à la retraite, la spécificité syndicale québécoise est ancrée dans « le fait qu’on est très nationalistes, qu’on veut se distinguer des autres ». Thomas Collombat abonde dans le même sens : « la dimension qu’on ne peut pas exclure, c’est la question nationale. Cette idée que le Québec faisait société […] et donc cherchait à mettre en place un certain nombre d’infrastructures et d’institutions. Il sentait qu’il était en train de bâtir un État autonome et les syndicats concouraient à ça aussi. On les percevait comme des alliés à cet égard. »

Depuis leur création, les centrales syndicales ont toujours démontré leur soutien envers une forme de nationalisme canadien-français. Dans son livre « L’expérience syndicale au Québec », l’historien Jacques Rouillard trace la ligne du temps de cet appui au nationalisme : à la CSN, il y a eu l’appui d’une autodétermination canadienne face à la Grande-Bretagne, puis éventuellement un appui direct à la souveraineté québécoise des années 1980 et 1990. Du côté de la FTQ et des syndicats internationaux, il y a eu deux paradigmes opposants : premièrement, l’opposition au nationalisme canadien-français, qui était lié au clergé au début du XXe siècle, et puis par la suite, un appui aux valeurs nationalistes et indépendantistes québécoises à partir des années 1970.

Ainsi, comme l’évoque Thomas Collombat, « pour se développer sur le plan économique et politique, pour sortir de ce lien colonial avec une certaine bourgeoisie anglophone, il fallait se doter de structures sociales et politiques solides, dont l’organisation syndicale ».

Les syndicats, généralement en faveur d’un plus grand nationalisme québécois, étaient donc prêts structurellement à devenir des acteurs sociaux importants dans un Québec plus autonome ou souverain.

Le Québec comme société de compromis

Dans une lettre d’opinion publiée à La Presse en mai 2015, l’historien George Bouchard fait une remarque sur la société québécoise, où il mentionne qu’« une constante se dégage du passé québécois : le radicalisme n’arrive pas à s’imposer. Ce qu’on observe, c’est une succession de compromis[xv] ». Le Québec comme société aurait toujours eu de la difficulté avec les conflits. Pour Thomas Collombat, cette idée vient du fait que « si on veut se développer comme société, il faudrait mettre de côté certains conflits pour construire ensemble un certain nombre de compromis. Cette image du Québec comme une société de compromis vient vraiment de la racine socio-historique qui sous-tend l’idée de construire un État, de construire une nation ».

Dans ce cas, pourquoi le syndicalisme – qui est généralement associé à une notion de conflits ou de revendications – est implanté de manière aussi importante dans cette « société de compromis »? Pour Thomas Collombat, ce serait dû au fait que « les syndicats québécois, à bien des égards, sont le reflet de la société québécoise. Ils sont très conflictuels quand la société est très en conflit, ils sont prêts à faire des compromis quand la société est dans cette logique-là. Et des fois, ils ne sont pas complètement en phase ».

Or, ces valeurs communes ont aussi un lien avec une grande culture du dialogue et de concertations. Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du Patronat du Québec (CPQ), abonde dans ce sens : « Le dialogue social, ça permet d’apporter des points de vue qui peuvent être différents. Étant donné que nous avons cette capacité, cette possibilité, et surtout cette qualité qui consiste à utiliser davantage ce dialogue social, ça permet de faire des avancées dans le domaine des relations de travail. » Le dialogue social, selon ce dernier, constitue « une particularité qui est propre au Québec, qu’on ne retrouve pas nécessairement dans le reste du Canada ». Certains experts du milieu syndical, dont Stéphane Paquin, auteur du livre Social-démocratie 2.1, s’entendent d’ailleurs pour confirmer le caractère dialogale des relations entre groupes d’intérêts – syndicats, État et patronat[xvi]. « Autant du côté syndical que patronal, ces acteurs font preuve d’une grande présence dans l’élaboration des politiques publiques que dans le reste de l’Amérique du Nord », lit-on dans ce livre[xvii].

Cette culture de la concertation est d’ailleurs visible par la présence syndicale et patronale au sein de nombreuses tables de discussions, sommets économiques et conseils d’administration[xviii]. Entre autres, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) est dirigée par un conseil d’administration composé de 7 membres du milieu syndical et 7 provenant du milieu patronal[xix]. Pour Mona-Josée Gagnon, cette relation donne un rôle important au syndicat sur le paysage québécois, et empêche son effritement rapide, comme ce fut le cas dans certains autres pays qui se basent sur ce même syndicalisme dit « d’entreprise ».

Un monde de défis à venir

« Une ligne de piquetage, par définition, ça bloque quelque chose. On ne va pas faire des lignes de piquetage individuelles devant nos portes de condo », explique en riant Thomas Collombat. La pandémie de COVID-19 a chamboulé la façon de travailler, amenant plus de gens à travailler directement de la maison, une tendance à l’atomisation du travail qui s’enclenche depuis les années 1980[xx]. En entrevue au journal Le Monde, la philosophe Fanny Lederlin disait que « les doctrines managériales n’ont eu de cesse que de « casser » les collectifs en individualisant les relations de travail, à commencer par les négociations salariales. Résultat ? Nous n’avons pas eu de difficulté à travailler sans les autres et à réaliser docilement nos tâches, seuls dans nos domiciles[xxi]».

Le télétravail devient donc un réel défi non seulement pour le monde syndical au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde. Pourtant, pour Karl Blackburn du Conseil du patronat du Québec, le télétravail n’est qu’un avancement dans le monde du travail que les syndicats se doivent de suivre :

« Je pense que le syndicat, comme les entreprises, doivent revoir leur modèle d’affaires. Leur situation a évolué, elle est différente de ce qu’elle était, ce qui devrait nécessiter que les centrales syndicales revoient leur modèle d’affaires. »

Celui-ci note également que la transformation actuelle du marché du travail change le rôle que devrait exercer le syndicat dans ce milieu, notamment puisque « ce qu’on constate, c’est que la transformation de notre économie, qui tend davantage vers une économie tertiaire, vers des travailleur‧euse‧s autonomes, demande moins de syndicalisation que par exemple dans le secteur industriel ». Cette idée s’appuie notamment sur la forme du syndicalisme nord-américain qui se base sur des « conventions [collectives] en petite « shoppes » comme c’était le cas à la fin du +

XIXe siècle », tel l’illustre Thomas Collombat. Ainsi, comme la syndicalisation se fait par établissement et non par branche ou par entreprise, les syndicats des secteurs tertiaires plus décentralisés, comme les travailleurs autonomes ou semi-autonomes (pensons au milieu du jeu vidéo), perdent de leur utilité en sol québécois.

De l’autre côté de la médaille, certain‧e‧s voient une menace dans la fonction même de l’employeur‧euse, un peu comme l’expliquait Fanny Lederlin à Le Monde. À ce niveau, certaines personnes s’inquiètent de la multiplication de certaines attaques patronales, au Québec comme ailleurs[xxii]. Entre autres, il y a la question des dépanneurs Couche-Tard. La CSN avait alors émis des plaintes à la suite de la fermeture de certains dépanneurs Couche-tard qui étaient en voie d’être syndiqués, ou qui venaient d’obtenir leur accréditation syndicale[xxiii]. Pour Thomas Collombat, ces conflits entre patrons et syndicats témoignent pourtant d’un problème bien plus grand : « Le syndicat, quand il entre en conflit, révèle en fin de compte les contradictions et les tensions crées par le système capitaliste. »

Parmi les gens que j’ai contactés dans le cadre de cet article, un défi semblait pourtant émerger du lot : se mettre à jour en ce qui concerne les mœurs et les réalités des travailleur‧euse‧s actuel‧e‧s. Pour Karl Blackburn, « si malheureusement, on se bloque dans les dogmes du passé, sans nécessairement faire face à la réalité d’aujourd’hui, ça ne peut pas nécessairement opérer de façon positive ». Quant à lui, Thomas Collombat espère que les syndicats réussiront à être le portrait de leurs membres : « Il faut ressembler aux travailleurs et travailleuses sur le plan individuel, mais aussi leur faire prendre conscience des liens de solidarité à créer avec les autres. » Le fait de s’adapter aux nouvelles réalités passe également par l’adaptation à la prochaine cuvée de travailleur‧euse‧s, celle qui représente les jeunes. Cette tranche d’âge se voudrait davantage désintéressée par les organisations syndicales, d’où la nécessité pour les organisations de se transformer[xxiv]. Parmi certaines solutions mises en place, il y a le recrutement et l’éducation directement sur le campus, par l’entremise des stages collégiaux et universitaires, la modification de la forme des assemblées générales pour les rendre plus dynamiques et finalement, la création de comités jeunesse au sein des syndicats, qui servent de moyen aux jeunes de créer un sentiment d’appartenance aux activités militantes de leur organisation[xxv].

***

Alors, est-ce que le Québec possède une culture syndicale unique en Amérique du Nord?

La réponse : Oui, mais avec un bémol. « Oui, le Québec se distingue, mais ce n’est pas une autre planète par rapport au reste de l’Amérique du Nord », mentionne Thomas Collombat.

La culture syndicale québécoise s’est développée de manière particulière, tant par l’apparition de syndicats catholiques, que par la Révolution tranquille, deux évènements qui se veulent propres au Québec. Aujourd’hui, des lois considérées comme un modèle en Amérique du Nord, ainsi que le développement d’un sentiment nationaliste, permettent au Québec de se vanter d’une certaine unicité. Pourtant, le système québécois est fortement aligné avec le système dit britannique et étatsunien. De grandes tendances se dessinent, autant au Québec qu’en Amérique du Nord : un taux de syndicalisation qui repose lourdement sur le secteur public, ainsi qu’une tendance générale à la baisse de la présence syndicale (quoique moins prononcée au Québec qu’aux États-Unis et dans certaines provinces)[xxvi].

L’idée du Québec comme « société de compromis » semble avoir des répercussions importantes sur la présence encore importante des syndicats. Bien que devant être prises avec des pincettes, les relations récentes entre acteurs du milieu syndical, parfois houleuses et difficiles, ont toutefois été globalement harmonieuses. En regardant de l’autre côté de la frontière, on a pu constater que les assises du syndicalisme « à la britannique » pouvaient être fragiles. Quelques coups de la part d’un gouvernement antisyndical et la structure s’effondre. Au Québec, ce colosse est encore en place, mais son intégrité structurale réside dans une volonté de tous les acteurs concernés : gouvernements, syndicats, patrons et salarié‧e‧s.

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CRÉDIT PHOTO: Flickr/ Herman.Click

[i] La Presse Canadienne, « Accès à la syndicalisation – Le Code du Québec aurait inspiré Obama », Le Devoir, 15 juin 2009. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/255176/acces-a-la-syndicalisation-le-code-du-quebec-aurait-inspire-obama

[ii] Tribunal administratif du travail, « Accréditation syndicale », 2017, https://www.tat.gouv.qc.ca/relations-du-travail/droits-dassociation-et-de-negociation/accreditation-syndicale

[iii] John Logan, « The labor-busting law firms and consultants that keep Google, Amazon and other workplaces union-free », The Conversation, 24 août 2020. https://theconversation.com/the-labor-busting-law-firms-and-consultants-that-keep-google-amazon-and-other-workplaces-union-free-144254

[iv] Noam Scheiber et Daisuke Wakabayashi, « Google Hires Firm Known for Anti-Union Efforts », The New York Times, 20 novembre 2019. https://www.nytimes.com/2019/11/20/technology/Google-union-consultant.html

[v] https://archipel.uqam.ca/8686/1/M14238.pdf

[vi] Jean-François Amadieu, « Vers un syndicalisme d’entreprise. D’une définition de l’entreprise à celle du syndicalisme », Sociologie du travail, vol. 28, no 3, 1986 : 237 – 250. doi.org/10.3406/sotra.1986.2046.  

[vii] Tribunal administratif du travail du Québec, Requête en accréditation, dossier 1239434, Québec : Tribunal administratif du travail, 2021, https://www.tat.gouv.qc.ca/uploads/tat_registres/Fromagerie_-_Requete.pdf.  

[viii] Statista, Proportion de salariés faisant partie d’une organisation syndicale en France métropolitaine de 1949 à 2016 (consulté le 16 août, 2021). https://fr.statista.com/themes/6947/les-syndicats-en-france/#:~:text=Malgr%C3%A9%20ce%20paysage%20diversifi%C3%A9%2C%20le,des%20ann%C3%A9es%201960%20et%201970.

[ix] Les Éditions Législatives, [Infographie] L’audience des syndicats dans les 50 premières branches professionnelles (consulté le 16 août, 2021). https://www.editions-legislatives.fr/actualite/[infographie]-laudience-des-syndicats-dans-les-50-premieres-branches-professionnelles

[x] Michael Lynk, « Labour Law and the New Inequality », Just Labour: A Canadian Journal of Work and Society, vol. 15, nov. 2009: 125-139. http://www.justlabour.yorku.ca/volume15/pdfs/11_lynk_press.pdf.

[xi] Raymond Torres et al, World of Work Report 2008, Organisation Internationale du Travail, 2008.

[xii] Martine Letarte, « Les syndicats se sont battus et continueront de le faire », Le Devoir, 25 avril 2015. https://www.ledevoir.com/economie/438063/filet-social-au-quebec-les-syndicats-se-sont-battus-et-continueront-de-le-faire.

[xiii] Fondaction, «  Cultivons pour donner du sens à l’avenir », 2021, https://www.fondaction.com/cause-sociale/.  

[xiv] Fonds de solidarité FTQ, « Logement abordable au Québec », 2021, https://www.fondsftq.com/fr-ca/entreprise/logement-social.  

[xv]  Gérard Bouchard, « La culture du compromis », La Presse, 4 mai 2015. https://www.lapresse.ca/debats/nos-collaborateurs/gerard-bouchard/201505/01/01-4866089-la-culture-du-compromis.php

[xvi] Stéphane Paquin, Social-démocratie 2.1: Le Québec comparé aux pays scandinaves, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2016.

[xvii] Ibid.

[xviii] Benoit Rigaud, « La politique économique québécoise entre libéralisme et coordination », L’État Québécois en Perspective, printemps 2008. https://cerberus.enap.ca/Observatoire/docs/Etat_quebecois/a-pp-economie.pdf.

[xix] Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, « Membres du conseil d’administration », 2021, https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/organisation/cnesst/structure-dorganisation/conseil-dadministration/membres-conseil-dadministration.

[xx] Marjorie Cessac et Fanny Lederlin, « Coronavirus : « L’un des risques majeurs du télétravail réside dans l’accélération de l’atomisation des travailleurs » », Le Monde, 13 septembre 2020https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/13/coronavirus-l-un-des-risques-majeurs-du-teletravail-reside-dans-l-acceleration-de-l-atomisation-des-travailleurs_6052017_3234.html

[xxi] Ibid.

[xxii] Mélanie Laroche et Marie-Ève Bernier, « Employeurs et anti-syndicalisme au Canada », Travail et Emploi, vol. 146, avril-juin 1986 : 51-74. https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.4000/travailemploi.6998.

[xxiii] Radio-Canada, « Couche-Tard : l’entreprise justifie sa décision de fermer un dépanneur », Radio-Canada.ca, 7 avril 2011. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/510879/couche-tard-depanneur.  

[xxiv] Marc-Antoine Durand-Allard, « Jeunes et syndicalisme : une intégration réussie? Analyse comparative de deux organisations syndicales du Québec », Thèse de doctorat, Université de Montréal – École de relations industrielles, 2014. https://irec.quebec/ressources/repertoire/memoires-theses/MarcAntoine_DurandAllard.pdf.  

[xxv] Ibid.  

[xxvi] Radio-Canada, « Légère baisse de la présence syndicale au Québec », Radio-Canada.ca, 1 mai 2019. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/510879/couche-tard-depanneur

Un colosse aux pieds d’argile. La culture syndicale au Québec (partie 1)

Un colosse aux pieds d’argile. La culture syndicale au Québec (partie 1)

Le Québec est l’endroit en Amérique du Nord où le plus de travailleur‧euse‧s sont couvert‧e‧s par un syndicat, une réalité méconnue, mais toutefois impressionnante. Dans ce cas, qu’est-ce qui rend la culture syndicale du Québec si unique? Bien que l’enjeu semble occuper peu de place dans les médias, il a un impact concret sur la vie de tous les Québécois‧es. Analyse d’un milieu robuste qui repose sur des bases fragiles. 

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« Ça a mis dans les médias une action spectaculaire! Il y avait 400 grévistes qui avaient occupé le ministère [du Travail] pendant une journée, qui avaient forcé le ministre à venir les rencontrer. C’était Jean Cournoyer du parti libéral à l’époque. Ça avançait l’idée que c’était insoutenable d’avoir des scabs dans presque tous les conflits de travail. » André Leclerc, ancien syndicaliste à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et maintenant président du Centre d’histoire et d’archives du travail (CHAT), raconte avec passion l’occupation du ministère du Travail en 1973, évènement auquel il a lui-même participé. « Dès qu’un conflit commençait, les employeur‧euse‧s faisaient entrer des syndiqué‧e‧s qui ne voulaient pas faire la grève, embauchaient également de la main-d’œuvre extérieure; ça générait beaucoup de violence, alors ça a été dénoncé depuis longtemps par les syndicats », explique ce dernier.  

Cet évènement[i], qui cherchait à faire pression pour instaurer un nouveau Code du travail qui interdirait les briseur‧euse‧s de grève, plus couramment appelés « scabs », n’est qu’une petite partie de l’histoire syndicale. C’est toutefois l’ensemble d’actions telles que celles-ci qui a mené à l’amélioration de conditions des travailleurs et travailleuses partout au Québec. Pour Jacques Leclerc, « c’est l’aboutissement de plusieurs luttes », comme celle de l’occupation du ministère du Travail, qui a finalement mené à cette réforme du Code du travail en 1977. À ce jour, seulement deux provinces canadiennes – le Québec et la Colombie-Britannique – possèdent des lois anti-scabs, une situation que tente de changer le syndicat canadien Unifor depuis plusieurs mois[ii]

En réponse à la question « qu’est-ce qui rend la culture syndicale du Québec si unique? », les différentes personnes contactées dans le cadre de cet article se sont vu octroyer la lourde tâche de résumer un sujet qui fait l’objet de livres et thèses de doctorat. Or, deux axes de réponses sont ressortis de cette question : une à saveur historique, et l’autre à saveur plutôt contemporaine. 

Plongeons alors dans cette première piste de réflexion – dans une histoire de luttes, de justice sociale, de sang et de misère, de conflits, et au bout du compte, de victoires. Ultimement, cela servira à comprendre en quoi l’histoire ouvrière québécoise a rendu la culture syndicale d’aujourd’hui si unique. 

Confessionnalisation des syndicats 

Un peu comme dans le reste de l’Amérique du Nord, le syndicalisme industriel s’est implanté au Québec au début du XXe siècle, amenant avec lui de grands syndicats étatsuniens[iii]. À ce moment-là, concentrées dans la région de Montréal, ces grandes centrales syndicales dites « internationales », liées à la American Federation of Labor, qui fonctionnaient principalement en anglais[iv], favorisèrent l’expansion du syndicalisme dans la Belle Province. De 1900 à 1940, le nombre de syndiqué‧e‧s au Québec serait alors passé d’environ 10 000 à près de 150 000[v]. Toutefois, peu à peu, « on va se retrouver avec un paysage syndical qui va être assez différent de ce qu’on peut voir au Canada ou aux États-Unis. Des syndicats catholiques vont prendre de plus en plus de place », comme l’explique Benoit Marsan, historien et chargé de cours au département des relations industrielles de l’UQO. 

« À l’origine, les syndicats catholiques sont fondés dans une perspective de nationalisme canadien-français, avec toute la question des élites conservatrices [anglophones]. Ils sont donc vus comme un moyen de s’opposer au protestantisme et au socialisme », mentionne M. Marsan. 

Regroupés sous la bannière de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), ces syndicats catholiques, quoiqu’encore minoritaires, vont changer les relations syndicales québécoises. Pour Andrée Leclerc, du Centre d’histoire et archives du travail (CHAT), « cet amalgame de syndicats catholiques, nord-américains, syndicats indépendants, ça n’existait nulle part en Amérique de Nord » sauf au Québec. 

Selon Benoit Marsan, la CTCC, alors un syndicat axé sur la collaboration plutôt que la combattivité, va se transformer tranquillement dans la seconde moitié des années quarante : « Après la Deuxième Guerre mondiale, la CTCC va subir un début de transformation, et va devenir notamment une force d’opposition à Duplessis », ce dernier étant généralement porté à respecter les décisions du clergé. « Ils vont avoir une vision plus libérale, plus humaniste ». Comme de nombreuses institutions dans les années de la Révolution tranquille, les syndicats vont alors se déconfessionnaliser : « Au début des années 60, [la CTCC] va devenir ce qu’on connait maintenant comme la Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui va avoir un caractère assez progressiste. »

Aujourd’hui, la présence de la CSN, organisation nouvellement centenaire, qui couvre près de 20 % des travailleurs et travailleuses du Québec, contribue à la pluralité syndicale unique au Québec : « On se retrouve au Québec avec un pluralisme syndical qui est beaucoup plus important que dans le reste de l’Amérique du Nord. Au Canada anglais, ou aux États-Unis, vous avez essentiellement une centrale syndicale », mentionne Thomas Collombat, professeur de science politique au département de sciences sociales à l’UQO, « la AFL–CIO aux États-Unis ou le CTC au Canada ». Le Québec a, quant à lui, quatre grandes centrales syndicales, la FTQ et le CSN tel que susmentionné, en plus de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD)[vi]

« Moi, j’émets toujours l’hypothèse que cette pluralité-là, elle aide à l’implantation syndicale », avance M. Collombat, « quand un groupe est insatisfait de son organisation syndicale, plutôt que de se « désyndiquer », il peut aller voir dans une autre [organisation] et cette autre-là va être très différente. »

La création d’un « deuxième front » 

Francis Lagacé, syndicaliste à la retraite, a longtemps milité pour de meilleures conditions de travail, mais également pour améliorer les conditions sociales sur un plan plus large. « Le monde du syndicalisme et le monde du militantisme sont intimement liés. Le syndicat est un regroupement de travailleuses et de travailleurs dont l’objectif est de faire respecter leurs droits, d’obtenir de bonnes conditions de travail, non seulement pour eux-mêmes ou elles-mêmes, mais aussi pour l’ensemble de la classe laborieuse », explique-t-il. 

« L’amélioration des conditions de vie d’un groupe est indissociable de l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la société. C’est ce qu’a concrétisé la création du « deuxième front » à la CSN. »

C’est Marcel Pépin, célèbre syndicaliste, qui joua un rôle important dans l’histoire syndicale, menant notamment à la publication du document « Le deuxième front » de 1968. Dans ce discours, Pépin déclare : « Quant à moi, je suis fortement d’avis que le peuple tout entier des travailleur‧euse‧s attend du mouvement syndical défense et protection contre tous ceux qui l’exploitent à la faveur d’un régime économique et social qui le permet et qui, bien plus, encourage [cette exploitation][vii]. » On y voit donc un changement de cap vers une plus grande combattivité sur le plan social et politique, mais également dans la création d’un discours anticapitaliste. 

Pour Pierre-Marc Johnson, ministre du Travail de 1977 à 1980 et premier ministre du Québec en 1985, il y avait bel et bien un double discours dans le monde syndical. « Quand on regarde comment le monde syndical de l’époque analyse ce qu’il a apporté, ça se traduisait par de meilleures conditions de travail, des meilleurs salaires, l’avancement de l’égalité [entre les hommes et les femmes], et la santé et sécurité au travail, mais le discours, c’était un discours de renversement du système capitaliste », explique ce dernier. 

Il va toutefois sans dire que le deuxième rôle à caractère plus social des syndicats a mené à l’amélioration de nombreuses conditions de vie, encore visibles aujourd’hui. Benoit Marsan se permet de nommer quelques exemples de ces changements sociaux influencés par les actions des syndicats, dont « les luttes pour le logement, les luttes pour l’aide sociale » en plus de différentes luttes à caractère féministe : « Il va avoir de plus en plus de femmes qui vont avoir accès à l’éducation, qui vont donc pouvoir participer au marché du travail. Bien évidemment, les syndicats vont donc être influencés par les différents mouvements féministes de l’époque. » 

Pour André Leclerc du CHAT, ses luttes historiques sociales peuvent également être considérées comme une spécificité du régime syndical québécois. « Comme les syndicats ont toujours été très très impliqués dans les luttes sociales, en plus de faire des luttes en milieu de travail, ça aussi ça a donné un caractère plus particulier au syndicalisme québécois », explique-t-il.  

Une révolution (pas si) tranquille

L’avènement de ses diverses luttes sociales est également coordonné avec la période de la Révolution tranquille au Québec, période où se sont vu instaurer de nombreuses réformes sociales, dont la création d’un réseau scolaire interprovincial, d’une assurance-maladie, ou encore de la nationalisation de l’hydroélectricité[viii].

« Beaucoup de lois se [sont vus instaurées], des législations à caractère plus social. C’était revendiqué par des syndicats depuis des dizaines d’années. Ce qu’on appelle aujourd’hui la Révolution tranquille, qui a été un grand bond au niveau de la modernisation sociopolitique du Québec, la plupart des grandes revendications avaient été formulées par les syndicats depuis la fin du 19e siècle, explique André Leclerc. Ils réclamaient l’assurance chômage, ils réclamaient des systèmes de santé et sécurité, ils réclamaient un système de santé publique. »

Pourtant, M. Leclerc ne voit pas la Révolution tranquille, entamée en 1960 à la suite de l’élection de Jean Lesage, comme une transformation instantanée : « Il faut savoir que ces évènements-là ne sont pas tombés du ciel, c’est une suite, de travailleur‧euse‧s qui s’inspiraient des générations précédentes. »

La Révolution tranquille fut également une période de développement de la fonction publique, une branche du travail que Pierre-Marc Johnson considère comme « une locomotive des conditions de travail au Québec ». Concrètement, le taux de syndicalisation au Québec d’environ 40 % est fortement influencé par le syndicalisme dans le secteur public, qui quant à lui gravite aux alentours de 84 %[ix]. Cela dit, la syndicalisation en secteur public n’était pas un acquis avec l’arrivée de Jean Lesage. « Lesage voulait empêcher que les employé‧e‧s du secteur public aient accès à la syndicalisation », explique André Leclerc. Lesage prétextait alors que « la reine ne négoci[ait] pas avec ses sujets », phrase désormais rendue célèbre. Pourtant, « 4 ans plus tard, [Lesage] autorise les fonctionnaires à se syndiquer. Ce n’est pas qu’il a eu une révélation du jour au lendemain, c’est que les syndicats se sont massivement mobilisés pour lui montrer qu’il fallait aller dans ce sens-là », mentionne Thomas Collombat de l’UQO. 

Pierre-Marc Johnson, ministre du Travail sous René Lévesque de 1977 à 1980, a vécu de très près les relations parfois tendues entre le gouvernement et les syndicats. Les décennies qui ont précédé son règne à ce titre ont été houleuses, et ce, malgré les années de la Révolution tranquille. Entre autres, la grève de la United Aircraft de 1974 et 1975, là où des briseur‧euse‧s de grève ont subi de la violence de la part des grévistes, ou encore l’occupation du ministère du Travail en 1973[x]. Le Parti Québécois, ayant une grande influence de la part des syndicats à l’interne, arrivait donc au pouvoir avec la promesse de changer les choses. « Au Parti Québécois, il y avait une très forte proportion des membres du Conseil national du parti », explique Pierre-Marc Johnson, « au moins 30 % étaient des militant‧e‧s syndicaux. Ils étaient très présents dans l’activité politique du PQ ». C’est ainsi que se sont mis sur pied des chantiers afin de réformer le Code du travail : 

« Il y avait une présence très forte [des syndicats] à la fois dans le parti politique aussi bien qu’au niveau de l’agenda qu’avaient les syndicats. Donc, une réforme du Code du travail facilitait la syndicalisation. » 

Les réformes de Johnson ont, selon lui, « absolument » eu un impact sur le paysage de travail actuel, notamment par la création de la Loi sur la santé et sécurité au travail, des lois anti-scabs, mais aussi les lois « closed shop », qui obligent, encore aujourd’hui, les employeur‧euse‧s d’une entreprise syndiquée à engager uniquement des employé‧e‧s syndiqués. 

Pour Thomas Collombat, la Révolution tranquille a donc joué un grand rôle dans la création d’un syndicalisme unique au Québec : « Ces structures-là, elles ont fait en sorte que l’encadrement juridique des relations de travail est devenu encore plus favorable au Québec. »

Le renforcement des lois du travail

« Au Québec, le régime de négociation [collective] va être renforcé, alors qu’aux États-Unis, il va être démantelé peu à peu. [Je pense] notamment, à la loi Taft–Hartley dans le contexte de la guerre froide et de la lutte au communisme », mentionne Benoit Marsan. Ainsi, parmi les différences notables que l’on peut noter entre le système syndical québécois et celui du reste de l’Amérique du Nord, il y a la présence d’un renforcement des normes syndicales et du travail, qu’on ne retrouve pas aux États-Unis, entre autres.

À ce niveau, Benoit Marsan y voit une incongruité : « Il y a un paradoxe parce qu’à l’époque, le régime de négociation collective [québécois] était en retard d’environ une vingtaine d’années par rapport à ce qui va être adopté aux États-Unis, quand on pense à la Wagner Act de 1935 dans le contexte du New Deal. » Cette loi, la Wagner Act, encadrait le droit aux salarié‧e‧s étatsuniens de constituer un syndicat, de créer une convention collective et ultimement, de faire la grève[xi]. La loi a eu un impact instantané, faisant notamment passer le nombre de syndiqué‧e‧s aux États-Unis de 3 millions à environ 8 millions entre 1933 et 1939[xii]. Au Québec, la première loi de ce calibre à voir le jour est la Loi sur les relations ouvrières de 1944, instaurée sous le gouvernement d’Adélard Godbout[xiii]. « À partir de l’adoption de la Loi [sur les relations ouvrières], [les relations de travail] tombent davantage dans le régime public et vont s’intégrer dans une logique étatique », explique Benoit Marsan. Les coutumes ouvrières deviennent alors des normes et des lois codifiées. 

Tout de même, cette fragilité vécue par le syndicalisme étatsunien est un phénomène qui se perçoit plus largement à l’échelle de l’Amérique du Nord et de la Grande-Bretagne[xiv]. Ce syndicalisme dit « d’entreprise » a des assises plus fragiles que le syndicalisme dans le reste de l’Europe, notamment dans certains pays scandinaves, là où environ 70 % de la population est syndiquée[xv]. Un exemple concret de cette fragilité vient des offensives antisyndicales de Margaret Thatcher au Royaume-Uni dans les années 1980, qui ont notamment fait passer le taux de syndicalisme britannique de 52 % en 1980 à près de 30 % en 1998[xvi]. Il en va de même pour la fameuse loi Taft–Hartley de 1947 aux États-Unis, qui a accéléré la régression du syndicalisme étatsunien, par l’instauration d’obstacles à la tenue de grèves légales[xvii]. Pourtant, au Québec, le taux de syndicalisation est quant à lui resté plutôt stable depuis les années 1970, oscillant entre 35 % et 40 %[xviii]. Ce contraste est principalement dû à une meilleure reconnaissance des droits syndicaux par l’État au Québec comparativement à ailleurs : la Révolution tranquille, les nombreuses contestations syndicales des années 1960 et 1970, en plus de gouvernements du Parti Québécois ayant une grande influence syndicale à l’interne[xix]

Le taux de syndicalisation à 40 % est donc un « colosse ». Il reste plus ou moins inchangé depuis des années. Pourtant, le pouvoir d’un syndicat ne réside pas uniquement dans son pourcentage de couverture, mais également dans son influence sociale et sa protection institutionnelle par l’État. Ces deux facteurs se voient alors placés sur des assises « d’argile » pour les années à venir. 

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CRÉDIT PHOTO : flickr: / Gustave Deghilage

[i] Vous savez ça M. le Ministre?, réalisé par Robert Favreau, 1973, Canada, 2021, en ligne. 

[ii] Le Syndicat Unifor, « Unifor lance une campagne nationale pour une loi anti-briseurs de grève », 13 mai 2021, https://www.newswire.ca/fr/news-releases/unifor-lance-une-campagne-nationale-pour-une-loi-anti-briseurs-de-greve-889777376.html.

[iii] Jacques Rouillard, Le Syndicalisme Québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal : Boréal, 2009.

[iv] Ibid. 

[v] Ibid. 

[vi] « Les quatre centrales syndicales s’unissent pour freiner les reculs en santé et sécurité », 10 avril 2021, https://www.csn.qc.ca/actualites/les-quatre-centrales-syndicales-sunissent-pour-freiner-les-reculs-en-sante-et-securite/.

[vii] Marcel Pépin, « Le deuxième front », Procès-verbal, 43ème congrès, Québec, 13-19 octobre 1968.  

[viii] Jacques Rouillard, « Aux sources de la Révolution tranquille : le congrès

d’orientation du Parti libéral du Québec du 10 et 11 juin 1938 », Bulletin d’histoire politique, vol. 21, no 3, 2015 : 125-158. 10.7202/1033397ar

[ix] Alexis Labrosse, La présence syndicale au Québec et au Canada en 2019, Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2020. https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/presence_syndicale/2019.pdf

[x] « Les relations du travail au Québec : des témoins tracent la ligne du temps », École des relations industrielles de l’Université de Montréal, https://lignedutemps.org/#.

[xi] Jacques Rouillard, Le Syndicalisme Québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal : Boréal, 2009.

[xii] Colin Gordon, New Deals: Business, Labor, and Politics in America, 1920–1935, Cambridge: Cambridge University Press, 1994.

[xiii] Jacques Rouillard, Le Syndicalisme Québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal : Boréal, 2009.

[xiv] Carla Lipsig-Mummé, « La crise du syndicalisme nord-américain : éléments d’interprétation », Relations Industrielles / Industrial Relations, vol. 39, no. 2, 1984 : 275-284. https://www.jstor.org/stable/23072235.

[xv] Statista, « Proportion de salariés membres d’un syndicat dans les pays de l’OCDE en 2018 », 11 août 2021, https://fr.statista.com/statistiques/1148080/taux-syndicalisation-monde-ocde/.

[xvi] Andrew Mark Charlwood, « The Anatomy of Union Membership Decline in Great Britain 1980-1998», Thèse de doctorat, London School of Economics and Political Science, 2013. 

[xvii] Urwana Colquaud, Marc-Antonin Hennebert et Lucie Morissette, Relations de travail, Montréal : Chenelière Éducation, 2016. 

[xviii] Jacques Rouillard, Le Syndicalisme Québécois : Deux siècles d’histoire, Montréal : Boréal, 2009.

[xix] Urwana Colquaud, Marc-Antonin Hennebert et Lucie Morissette, op. cit.  

Vivre éloigné, mais en proximité : discussion avec des habitant·e·s du Témiscamingue

Vivre éloigné, mais en proximité : discussion avec des habitant·e·s du Témiscamingue

Huit heures de route séparent Montréal du Témiscamingue, vaste région de l’ouest du Québec. Généralement associé à son voisin au nord, l’Abitibi, le Témiscamingue a pourtant des particularités propres qui le démarque des autres régions. L’Esprit libre est allé à la rencontre de fier‧ère‧s Témiscamien‧e‧s pour comprendre les aspects positifs et négatifs de la vie loin des grands centres urbains.

Même si je ne suis pas né dans une grande ville du Québec, j’ai toujours eu la chance d’être à proximité de certains grands centres urbains, tels Montréal et Sherbrooke. Ceci m’a permis de profiter des avantages de ces villes : restaurants, centres commerciaux, festivals, et j’en passe. Pourtant, en parcourant les routes sinueuses de la traverse de Mattawa, où j’ai dû avaler quelques Gravol au gingembre pour m’assurer de conserver mon sang-froid, une question me revenait constamment à l’esprit : comment et pourquoi vivre aussi loin des grands centres urbains? 

J’ai posé la question à cinq habitant‧e‧s du Témiscamingue impliqué‧e‧s dans leur communauté, et surtout, amoureux de leur région. 

« Quand tu arrives ici, il faut que tu repenses ton mode de vie »

Le Carrefour jeunesse emploi du Témiscamingue (CJET), situé au cœur de la ville de Ville-Marie, ville la plus populeuse de la région, est responsable de l’aide à l’emploi, mais également de l’accueil des nouveaux arrivant‧e‧s au Témiscamingue. Cherchant à faire prospérer leur région natale, ceux-ci misent sur des programmes de promotion de la région, mais également de rétention des habitant‧e‧s. J’ai pu discuter avec deux membres de cette organisation, Guillaume, agent de projet multiculturel et Marion, agente du programme Place aux Jeunes. 

« Moi, je suis arrivé au Québec de la France à 27 ans, j’ai fait 2 ans à Montréal, et là ça va faire 10 ans bientôt que je suis au Témiscamingue, m’explique Guillaume. Ma situation à Montréal, c’était un peu compliqué pour le travail, et là mon amie qui travaillait ici m’a dit « si tu veux, j’ai un emploi pour toi ». J’ai dit go je vais essayer, ça va changer de la dynamique de la ville, je vais essayer de vivre un autre Québec. Et bon, ça fera 10 ans dans deux semaines. » Il ne parle rien de moins qu’une « piqure » pour la région. 

Pourtant, celui-ci n’hésite pas à évoquer le changement de mentalité qu’il a dû faire face en arrivant dans la région :« Quand tu arrives ici, il faut que tu repenses ton mode de vie. » 

De son côté, Marion, originaire du Témiscamingue, le Témis comme disent les locaux, y a vécu toute sa vie et elle ne voit pas cet éloignement des centres urbains comme un obstacle. « On dirait que ça a comme toujours été mon mode de vie, que je n’ai jamais remis ça en question. », explique-t-elle. Quand un‧e nouvel‧le arrivant‧e arrive en ville, le CJET ne fait pas passer sous silence les défis de vivre à une telle distance. « Les gens commencent de plus en plus à réaliser qu’on est une région éloignée des grands centres. On les avertit, on n’a pas un Walmart à cinq minutes de chez nous, il faut voyager pour avoir accès à de grands centres, à de plus grands services. En même temps, on a tout ce qu’il faut pour bien vivre ici », mentionne Marion. 

Les huit heures de distance avec Montréal, les trois heures de Sudbury en Ontario, ou l’heure et demie qui les séparent de Rouyn-Noranda en Abitibi, n’est pas un frein pour les Témiscamien‧ne‧s à profiter des qualités des grandes villes. 

« C’est une sortie! Souvent on va y aller avec des amis, on va se jumeler avec d’autres personnes, finalement on va souper au restaurant. Ça nous fait une belle journée », avance Marion. 

Josée, chef d’équipe au lieu historique national d’Obadjiwan–Fort-Témiscamingue, abonde dans le même sens. « N’importe quand on peut prendre notre auto et aller à Montréal ou à Sherbrooke, rien ne nous en empêche. Tu as le meilleur des deux mondes, explique-t-elle. Parfois ça me pogne, quand il me manque de spectacles, qu’il me manque de restaurants, qu’il me manque de toutes sortes d’affaires. Alors, on va passer quelques jours à Montréal et après ça on revient. » À ce niveau, il faut simplement une plus grande planification, et quelques jours de libre. 

« On vit autrement, et vraiment plus simplement »

Hormis l’accessibilité aux services de commandes en ligne comme Amazon, qui facilitent l’achat de biens précis dans les régions éloignées, cette distance avec les centres commerciaux change également le rapport face à la consommation. Émilise, actuelle députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, remarque que les régions éloignées comme le Témiscamingue, sa région natale, sont moins soumis à la présence publicitaire et commerciale. 

« Je trouve que c’est un lieu qui est formidable parce qu’on n’est pas soumis à des trucs vraiment agressants comme la publicité. Quand on se promène au Témiscamingue, il n’y a pas de panneaux publicitaires, explique-t-elle. On n’est pas confrontés aux grandes chaines des multinationales. Nous, on a un Subway et puis un Hart, c’est pas mal tout ce qu’on a comme bannières. » 

Quand elle n’est pas à l’Assemblée nationale à Québec, Émilise profite de cette simplicité que lui offre la région, notamment en travaillant sur son jardin et ses projets agricoles. 

Guillaume, ayant vécu à Montréal, voit également ce changement de mentalité s’opérer : « Notre rapport à la consommation change dans le sens où maintenant si je vais consommer, c’est avec un but, un objectif. Avant quand j’habitais Montréal, je pouvais aller à toutes les semaines dans les centres d’achat juste pour aller flâner. » Marion explique que cette réduction de la consommation se perçoit par une transformation des intérêts. « On est plus centrés sur autre chose, et cette autre chose-là? La nature. On change la consommation pour un autre bénéfice qui est différent. Au lieu de passer notre temps dans les centres d’achats, on va plutôt faire des balades », illustre-t-elle.  

« La nature et la grosse paix! »

Avec ses 16 000 habitant‧e‧s[i] et son territoire de 16 400 km2, la région du Témiscamingue est l’endroit parfait pour les amoureux de grands espaces et de tranquillité. Ses grandes forêts mixtes, avec la présence de nombreux pins, le différencie la région de l’Abitibi voisine, reconnue pour ses forêts boréales d’épinettes. Dans l’optique de mettre en valeur ses grands espaces, la SÉPAQ a inauguré en 2019 son tout dernier parc, le Parc national d’Opémican[ii]. En plus, la région abrite le lieu historique national d’Obadjiwan–Fort-Témiscamingue, vestige historique d’un poste de traite de pelleteries[iii]. J’ai pu discuter avec deux employées de ce lieu historique, ceux-ci travaillant au cœur de cette nature débordante. 

Josée, grande sportive et voyageuse, est une personne débordante d’énergie. Pour elle, le Témiscamingue est donc l’endroit parfait pour se relâcher : « Pour moi, ça ne va jamais assez vite. Ici, les gens disent qu’on est cool. On n’est pas toutes cools, moi je suis assez active. Mais ici ça me permet d’être comme ça : à mon beat. » En raison de la nature saisonnière de son poste de chef d’équipe, celle-ci profite des mois hivernaux pour voyager à travers le monde. Pourtant, elle finit toujours par revenir chez elle, au Témis.  

« La nature, moi c’est ça qui m’attire ici, la tranquillité, mentionne-t-elle. J’ai une place sur le bord de l’eau, c’est tranquille. » 

Sylvain, coordonnateur et préposé à l’entretien, a vécu dans de nombreuses villes au Québec avant de revenir dans sa région natale. Depuis son retour dans la région, celui-ci a mis sur pied une ferme maraichère dans la municipalité de Lorrainville, là où il vend légumes et pains aux locaux[iv]. Pour lui, les raisons de rester en région éloignée reviennent à une tranquillité, mais également un sentiment de sécurité et de confort. « La nature et la grosse paix! », dit-il en riant. 

« C’est le sujet de l’heure, c’est une catastrophe »

La distance vient toutefois avec ses enjeux. 

Josée ne mâche pas ses mots lorsqu’elle parle de la fermeture de la piscine de Ville-Marie, qui a fait beaucoup jaser au niveau local, une situation qu’elle qualifie de « catastrophe ». « Ce qu’il me manque, ces temps-ci, ce sont des infrastructures pour aller faire du sport! Par exemple, ici, on n’a plus de piscine. Ça, c’est assez pour que je déménage. »

Il y a également le sujet des services d’obstétriques de l’hôpital de Ville-Marie[v]. Depuis le mois d’avril 2021, les femmes enceintes du Témiscamingue n’ont pas d’autre option que d’accoucher dans la ville de Rouyn-Noranda, à une heure et demie de Ville-Marie. « Il y a clairement un déficit de compréhension de nos réalités locales, de nos réalités régionales à Québec, dans les hauts lieux décisionnels », explique Émilise, qui revendique constamment cette situation à l’Assemblée nationale. 

« On a tellement centralisé les décisions dans les dernières années que les décisions se prennent de manière tellement déconnectée avec les réalités du territoire. L’obstétrique c’est un bon exemple. » 

Toutefois, selon Marion et Guillaume du CJET, la résilience des Témiscamien‧ne‧s s’est fait sentir dans ses deux situations. « Quand il y a des coupures de service, les régions sont comme tout de suite pointées du doigt en disant « regardez ce qu’ils n’ont pas ». Mais, en même temps, ce que les gens ne savent pas, c’est toutes les actions qui sont prises pour remédier à la situation. » Au final, ceux-ci me font comprendre que les enjeux d’accessibilité de services au Témiscamingue sont des situations que vivent presque toutes les régions éloignées du Québec. 

« La chaleur des gens, leur accueil, l’espèce de solidarité qu’il y a, la fraternité »

Charles, étudiant à la maitrise en ergothérapie à l’Université de Montréal, est un petit nouveau de la région, celui-ci ayant décidé de s’installer officiellement dans la ville natale de sa copine il y a maintenant un an. Originaire de Valleyfield, il n’a jamais été bien loin de Montréal. Toutefois, quand on lui demande s’il se sent chez lui au Témiscamingue, il n’hésite pas à répondre à l’affirmative. « Moi, ce qui était vraiment important, c’était que je me trouve un cercle d’amis à la place où j’habite. Maintenant, c’est vraiment ça. J’ai une gang d’amis, qui eux, sont vraiment des Témiscamien‧ne‧s. » 

C’est d’ailleurs lui-même qui a fondé un club de balle molle dans la région afin de se créer un cercle d’amis. Il s’est senti accueilli « comme un des leurs », et ce, malgré sa peur de ne pas se conformer aux intérêts de certain‧e‧s Témiscamien‧ne‧s : « Je ne suis pas vraiment manuel dans la vie, et il y en a beaucoup qui parlent de skidoo, de quatre roues, de mécanique, je trouve ça intéressant, mais ça clash trop. Ça m’attire moins. » Il préfère toutefois en rire puisque ce n’était pas un frein à son intégration dans la région. Il affirme même aimer de plus en plus la chasse, ce qu’il avoue aurait joué sur ses nerfs lorsqu’il habitait à Valleyfield. 

Pour Guillaume, la présence d’une chaleur humaine a été le point décisif pour lequel il a voulu rester au Témiscamingue plutôt que de retourner à Montréal. « Ce sont les gens qui m’ont fait rester ici. Il y a un genre de chaleur humaine au Témiscamingue. Les gens sont accueillants partout au Québec, mais ici il y a un petit truc en plus qui est difficile à décrire. Il faut le vivre », décrit-il. Or, il associe l’attitude des Témiscamien‧ne‧s à « des personnes vivant sur une île. »

« Les Témiscamien‧ne‧s, ils ont un peu un caractère insulaire, comme s’ils avaient toujours été sur une île à part du reste du Québec. C’est toujours un territoire qui a été méconnu, et c’est toujours oublié. On parle de l’Abitibi [mais pas du Témiscamingue]. C’est comme si le Témiscamingue s’était toujours développé sans jamais attendre Montréal, Québec et tout le reste. »

Ainsi, la faible population et la solidarité qui s’installe entre les habitant‧e‧s font du Témiscamingue un endroit unique. Marion se permet de résumer le tout : « C’est plus petit, on est tissés serré, on est solidaires. » 

***

En reprenant le chemin inverse vers Montréal – refaire la traverse de Mattawa, reprendre mes Gravol au gingembre, repasser par les routes de l’Ontario – j’ai constaté que de vivre aussi loin, ça s’apprend, et ça a ses avantages. Moins de stress, moins de trafic, moins de distractions, et au final, plus de temps pour profiter de sa vie quotidienne. Les valeurs d’un‧e Témiscamien‧ne sont profondément incrustées dans ce constat. 

Pour les Témiscamien‧ne‧s, la distance n’a jamais été un frein à leur épanouissement personnel : Josée se permet de voyager pendant ses temps libres; Émilise fréquente les plus hautes instances du Québec; Sylvain présente l’exemple de son fils, celui-ci ayant fondé une entreprise de vente de plantes grasses et de cactus, lui permettant de se faire des contacts partout au monde; Charles complète sa maitrise et a pourra éventuellement travailler à Ville-Marie en ergothérapie. Au final, cela ne leur empêche pas de profiter des avantages des grandes villes; simplement un peu de route et de temps, et le tour est joué.  

crédit photo : Félix Beauchemin

[i] Ministre des Affaires municipales et de l’habitation du Québec, Région Administrative 08 : Abitibi-Témiscamingue, Québec : Affaires municipales et habitation, 2021, 6 p. 

https://www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/cartes/region/08.pdf

[ii] Pierre-Marc Durivage, «  Opémican : un nouveau parc national plein de promesses », La Presse, 3 août 2019, https://www.lapresse.ca/voyage/quebec-et-canada/2019-08-03/opemican-un-nouveau-parc-national-plein-de-promesses.  

[iii] Parcs Canada, « Lieu historique national d’Obadjiwan–Fort-Témiscamingue », 23 juin 2020, https://www.pc.gc.ca/fr/lhn-nhs/qc/obadjiwan-temiscamingue/culture.  

[iv] « Bienvenue à la Ferme chez Lyne et Sylvain », 2021, https://www.chezlyneetsylvain.com/accueil-ferme.  

[v] Emily Blais, « La rupture du service en obstétrique est prolongée jusqu’au 30 août à Ville-Marie », Radio-Canada.ca, 30 juillet 2021,https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1813068/penurie-infirmieres-obstetrique-hopital-enceintes.  

Le niveau d’eau alarmant de la rivière aux brochets témoigne d’un enjeu encore plus important

Le niveau d’eau alarmant de la rivière aux brochets témoigne d’un enjeu encore plus important

La rivière aux Brochets, qui s’écoule à travers l’Estrie jusque dans la baie Missisquoi, a atteint un niveau d’eau historiquement bas cet été. Signe de l’accélération des changements climatiques, cette tendance s’observe toutefois sur une échelle bien plus grande au Québec. Cette ressource naturelle tenue pour acquise deviendra-t-elle une ressource rare dans les prochaines années? Enquête sur l’état des étiages au Québec. 

Source: OBVBM

En temps normal, en regardant à travers la fenêtre des bureaux de l’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi (OBVBM), dans la petite ville de Bedford, il est possible de voir la rivière aux Brochets suivre son cours vers la baie Missisquoi pour se déverser dans le lac Champlain. Or, lors de ma visite à la fin du mois d’août 2021, la rivière témoignait plutôt d’un débit presque inexistant. Selon les renseignements fournis par l’OBVBM, le débit de la rivière en date du 17 août a atteint le niveau le plus bas depuis vingt ans, soit 0,037 m3/seconde. Ce niveau a d’ailleurs battu le record de bas débit observé l’année précédente, d’environ 0,180 m3/seconde. 

Toutefois, la situation de la rivière aux Brochets est le résultat de sècheresses de plus en plus fréquentes au Québec. Notre rapport à la consommation d’eau, tenu pour acquis par certains, devra être en mesure de changer. Un manque d’eau est inévitable et il faut s’y préparer. 

Le cas de la rivière aux Brochets

« À l’embouchure de la rivière aux Brochets, à la jonction avec le lac Champlain, il y a une réserve de biodiversité, la réserve de la rivière aux Brochets, qui est magnifique […] le dernier endroit au Québec où il y a des tortues molles à épine », explique Anthoni Barbe, chargé de communications et chargé de projets à l’OBVBM. Toutefois, la faible quantité d’eau de la rivière menace la survie de cette espèce aquatique – en plus de certaines autres, comme la torture des bois, la tortue géographique ou la tortue peintre – entre autres par l’apparition des cyanobactéries, plus communément connues sous le nom d’algues bleu-vert. « Quand tu as des cyanobactéries comme ça, c’est l’oxygène dans l’eau qui est rendu plus [faible], alors presque toutes les espèces sont susceptibles d’être vraiment affectées par ça, si les cyanobactéries prennent beaucoup de place », déclare Anthoni Barbe. 

Source : OBVBM

L’étiage, soit « le nom donné à la période où le niveau d’eau d’un lac ou d’une rivière est à son plus bas », tel que l’explique l’OBVBM, s’observe de plus en plus tôt dans le sud du Québec. « On [y] connait des étiages très forts, et de plus en plus forts », mentionne M. Barbe, « la rivière Saint-François est basse, la rivière Yamaska est très basse, donc c’est […] un phénomène qui touche vraiment plus le sud du Québec ». En effet, la rivière Yamaska et son barrage Choinière ont atteint leur plus bas niveau en plus de quatre ans[i]. Quant à elle, la rivière Saint-François a atteint un niveau d’étiage plus important, alors que certaines prévisions hydroclimatiques prévoient une diminution de près de 20 % de son niveau d’eau d’ici 30 ans[ii]

À la rivière aux Brochets comme ailleurs, des étiages importants consécutifs agissent comme un cercle vicieux : 

« Tout est une question de recharge. Pour recharger un environnement qui est en gros manque d’eau, il faudrait le « booster » plus, mais là si on a encore une année qui a un petit peu moins d’eau que la moyenne, on observe une tendance lourde où la rivière va avoir un débit moyen qui va être appelé à diminuer avec le temps », affirme le chargé de projets à l’OBVBM. 

Bien que la rivière aux Brochets ne soit pas cartographiée dans l’atlas hydroclimatique du Québec, programme qui cartographie les régimes hydriques des cours d’eau du Québec, l’OBVBM calcule des prévisions générales, et s’attend donc à ce que « ça doive aller […] en diminuant, moins d’eau, plus de pression, et des étiages plus forts ». Cette pression provient entre autres des intrants agricoles nocifs pour les cours d’eau, des milieux urbains près des rivières, comme Bedford, et des routes pavées. Ainsi, « moins on a d’eau, plus on a de pollution concentrée dans l’eau ». À long terme, cette accumulation de polluants peut d’ailleurs provoquer un enjeu d’accès à l’eau potable, puisque les habitant‧e‧s de Bedford et de villes avoisinantes puisent leur eau à partir de cette rivière.

L’eau potable tenue pour acquise? 

« Cette année, il y a des secteurs de la Montérégie où il y a eu des livraisons d’eau pour des villages, pas juste pour une personne ici et là, mais vraiment pour des communautés », mentionne Kim Marineau, biologiste et présidente de l’entreprise Biodiversité conseil. Entre autres, la municipalité de Saint-Rémi a dû se faire livrer 1140 m3 d’eau par camion-citerne le 13 juin dernier[iii], une situation qui pourrait sembler impossible dans une province qui contient près de 3 % des réserves mondiales d’eau douce[iv]. « Nous, on est dans le pays du monde où il y a le plus d’eau potable, d’eau de surface, donc on n’a jamais réfléchi à la possibilité de manquer d’eau comme en Californie », illustre Kim Marineau.

L’accès à l’eau potable est-elle tenue pour acquise par les Québécois·e·s? Bien que la situation semble changer – la consommation quotidienne d’un·e Québécois·e ayant passé de 777 litres en 2001 à 536 litres en 2018[v] – le Québec se situe toujours bien au-delà de la moyenne canadienne qui, elle, se place au deuxième rang de consommation d’eau parmi les pays de l’OCDE[vi]. Cela étant dit, de plus en plus de situations témoignent d’enjeux d’approvisionnement en eau potable comme des avertissements de contrôle de l’eau potable émis par la Ville de Québec le 24 août dernier ou encore des approvisionnements en eau à même des camions-citernes. Bien que ces situations soient encore plutôt rares, Kim Marineau voit celles-ci s’empirer au courant des prochaines années. « On ne prend pas des mesures pour prévenir les manques d’eau et on remet ça à plus tard, et à un moment donné on va avoir des manques d’eau dans certaines municipalités », explique-t-elle. 

« On a de la difficulté à faire des démarches pour faire des aménagements ou mieux gérer le territoire en prévention, et ça c’est humain : dans l’histoire de l’humanité, on s’est arrangé pour manger aujourd’hui, pas dans 20 ans. »

En plus de la consommation d’eau à domicile, le manque d’eau potable touchera également les agriculteur‧trice‧s puisque selon des estimations de la Banque Mondiale, près de 70 % de l’eau douce serait destiné à des activités agricoles[vii]. Pourtant, comme l’explique Mme Marineau, malgré des cris du cœur de l’industrie agricole[viii], « c’est […] eux qui ont [largement] contribué à abaisser les nappes phréatiques ». Ces nappes, qui constituent des réseaux d’eau potable souterrains, où l’eau circule entre « les interstices constitués par les pores et les fractures [du sol], comme dans une éponge imbibée d’eau[ix] », sont une source méconnue d’approvisionnement en eau pour certaines municipalités. Cela étant dit, le drainage agricole et urbain a historiquement provoqué l’abaissement et la réduction de ces nappes phréatiques, rendant les cours d’eau de plus en plus « linéaires », comme l’explique Kim Marineau, et donc moins diffus au travers des sols. 

Un signe de l’accroissement du réchauffement climatique

Les images des inondations monstres à Sainte-Marthe-sur-le-Lac en 2019 ont fait les manchettes pour leur bilan matériel et psychologique effroyable. Selon des prévisions de l’organisme Ouranos, ce type de désastre naturel arrivera pourtant à un rythme de plus en plus fréquent au Québec, celui-ci étant globalement associé à un accroissement des températures globales[x]. Or, les changements climatiques semblent également influencer l’autre extrême de ses évènements, soit les sècheresses extrêmes des cours d’eau. « Une des choses que les changements climatiques nous disent, c’est que très vraisemblablement, les pluies extrêmes [et] les grosses pluies [estivales] terribles […] vont être plus intenses dans le futur », explique Alain Mailhot, professeur et chercheur au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS, « vous imaginez une pluie très intense qui tombe sur des sols un peu à sec, ça favorise un ruissèlement. Ça peut créer des situations de ce qu’on appelle les flash floods, ou les crues éclair, qui peuvent entrainer des phénomènes d’érosion très importants ». 

Pour Mailhot, les liens entre étiages sévères et réchauffement climatique sont associés au phénomène d’évapotranspiration : une grande période de sècheresse et une évaporation constante des cours d’eau font baisser le niveau des eaux. Ainsi, plus les périodes chaudes sont longues, plus les cours d’eau s’assèchent. 

À cela vient s’ajouter l’enjeu de la qualité de l’eau. « Si les températures réchauffent, si les étiages sont plus sévères, il y a toute une problématique de la qualité de l’eau. Une eau plus chaude, et une eau moins abondante, dilue moins et favorise le développement d’algues bleues », indique Alain Mailhot, un phénomène de plus en plus visible dans divers cours d’eau au Québec, notamment la rivière aux Brochets. 

Une opportunité pour travailler avec la communauté

L’organisme G3E, ou Groupe d’éducation et d’écosurveillance de l’eau, tente de changer la façon d’approcher la préservation de l’eau. « Le programme le plus connu c’est « J’adopte un cours d’eau ». On amène les jeunes, les deux pieds dans l’eau, récolter des échantillons de leur rivière, ils retournent en labo et regardent ça. Ça leur donne une idée de l’état de santé de leur cours d’eau », illustre Mathilde Crépin, coordonnatrice aux communications au G3E. Par la pratique, l’observation et la science, le G3E croient que la conscientisation à la santé des cours d’eau sera bien plus grande. 

« On amène les gens sur le bord des cours d’eau, les pieds dans l’eau, parce qu’il faut qu’ils voient de quoi ça a l’air, il faut qu’ils trouvent ça wow, pour avoir envie de protéger ces endroits-là. […] Il va toujours manquer un peu de proximité quant à ces enjeux-là », développe Mathilde Crépin. 

Parmi les autres projets de l’organisme, il y a le « SurVol Benthos », chapeauté par Alexandra Gélinas, qui consiste à faire « le suivi des cours d’eau en allant ramasser des petites bibittes au fond des cours d’eau qui s’appellent des macroinvertébrés benthiques ». La principale intéressée de ce projet explique ce que sont des petits organismes : « Macro, visible à l’œil nu, invertébré [c’est-à-dire] sans colonne vertébrale [et] benthique, qui vit au fond des cours d’eau. » Ainsi, comme ces bestioles sont à la base de la chaine alimentaire aquatique, une analyse laboratoire de la santé de celles-ci permet de comprendre la santé des cours d’eau dans lequel elles vivent. 

Le rôle des municipalités dans cette gestion

Les municipalités ont un bilan mitigé. D’un côté, de multiples municipalités ont des systèmes d’aqueduc désuets et doivent donc inévitablement déverser leurs eaux usées excédentaires dans les cours d’eau. La ville de Bedford en est un exemple, là où, comme l’explique Anthoni Barbe, « le réseau est vite saturé » et doit donc se servir de la rivière aux Brochets comme source de déversement. Avec des étiages de plus en plus sévères, les polluants deviennent davantage concentrés, et mènent inévitablement vers l’apparition de certaines cyanobactéries nocives pour la consommation. 

De l’autre côté, les municipalités travaillent de plus en plus à la sensibilisation de la population à l’utilisation abusive d’eau potable, mais également à la gestion des eaux pluviales. La ville de Bedford, au cœur du problème de l’assèchement de la rivière aux Brochets, a récemment mis sur pied un jardin de pluie dans son centre-ville, initiative servant à diriger l’eau pluviale directement des gouttières vers une platebande[xi]. Ce type d’aménagement évite que les eaux de pluie s’accumulent inutilement dans les réseaux d’égouts, ceux-ci étant facilement saturables et se déversant directement dans la rivière aux Brochets. Il s’agit d’une initiative « démonstrative », que l’OBVBM espère incitera les citoyen‧ne‧s à reproduire.

Les aménagements de ce genre, s’ils ne sont pas développés adéquatement, sont en partie responsables des problèmes d’étiage, explique Alain Mailhot de l’INRS : 

« L’occupation du territoire a aussi un impact majeur sur les débits en rivière […] vous pourriez très bien avoir une augmentation de la sévérité des étiages, mais qui n’a strictement rien à voir avec le régime pluviométrique. »

Parmi d’autres types d’aménagements, M. Mailhot se permet de réitérer l’importance de la conservation de milieux humides, qui agissent comme une « zone tampon qui stocke l’eau ». En asséchant les milieux humides, un peu comme le font certains drainages agricoles et urbains, la probabilité de voir apparaitre des étiages sévères devient de plus en plus probable. 

Des solutions à tout ça? 

Dans ce cas, est-ce que le Québec est voué à la perte graduelle de son eau potable? Selon Jacob Stolle, professeur associé à l’INRS, il existe quelques solutions. « Il faut avoir plus d’espaces verts, il faut créer des systèmes de transport de l’eau entre les régions, créer des systèmes naturels pour amener l’eau vers les rivières », explique-t-il. Concrètement, la solution miracle réside dans la conservation, par les villes et riverains, des milieux naturels près des rivières. 

« Plusieurs fois, le plus grand problème avec l’effet anthropique [donc qui est dû à l’activité humaine] est quand on change le système naturel. On doit donc considérer tous les systèmes naturels quand on crée les systèmes [humains] », ajoute Jacob Stolle. 

Mais, il faut également savoir se préparer au pire. Au Québec, c’est actuellement le sud qui est touché par les problèmes de sècheresses et d’étiages sévères. Anthoni Barbe incite alors les municipalités au nord du Québec à se préparer: « On sait qu’avec le changement climatique, le climat va bouger vers le nord. Le climat qu’on avait avant au Vermont, il est rendu ici. Le climat bouge environ 70 kilomètres au nord à chaque 10 ans. »

***

Juillet 2021 a été le mois le plus chaud de l’histoire, une tendance qui ne semble pas vouloir s’estomper[xii]. Des périodes de sècheresse et de canicules seront donc plus fréquentes au Québec, ce qui influera conséquemment sur la quantité d’étiages dans nos cours d’eau. Pour éviter les manques d’eau potable, il faut donc nécessairement une prise de conscience d’une plus grande quantité d’acteur‧trice‧s : les agriculteur‧trice‧s, et leur contrôle des extrants agricoles dans l’eau; les citoyen‧ne‧s et leur consommation d’eau; et les municipalités et leur contrôle des infrastructures urbaines permettant de mieux gérer les pluies et les eaux souterraines. 

Ultimement, les changements s’opèrent également dans une prise de conscience populaire des services que nous rend la nature, un peu comme tente de le faire l’organisme G3E avec ses programmes éducatifs sur le terrain. « Les gens ne croient pas que c’est important que toutes nos espèces restent présentes dans nos territoires. On ne voit pas ce qu’est le lien entre un canard ou une grenouille qui disparait, mais chaque espèce a son rôle à jouer dans l’équilibre entre les espèces », détaille Kim Marineau. 


[i] Nicolas Bourcier, « Prévoir les épisodes de rareté de l’eau », La Voix de l’Est, 13 février 2021. https://www.lavoixdelest.ca/actualites/prevoir-les-episodes-de-rarete-de-leau-d006c7aaf81c8ce9c3859ed570853523.  

[ii] Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, « Atlas hydroclimatique du Québec méridional », 2021, https://www.cehq.gouv.qc.ca/atlas-hydroclimatique/Hydraulicite/Qmoy.htm.  

[iii] Marc-André Couillard, « Le niveau de restriction le plus strict est toujours en vigueur », Coup d’œil, 16 juillet 2021,https://www.coupdoeil.info/2021/07/16/le-niveau-de-restriction-le-plus-strict-est-toujours-en-vigueur/.  

[iv] Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, « L’eau au Québec : une ressource à protéger », 2021, https://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/inter.htm#:~:text=Avec%20ses%20dizaines%20de%20milliers,bassin%20hydrographique%20du%20Saint%2DLaurent

[v] Gouvernement du Québec, Stratégie québécoise d’économie d’eau potable, Horizon 2019-2025, Rapport annuel de l’usage de l’eau potable 2018, octobre 2020.https://www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/infrastructures/strategie_quebecoise_eau_potable/rapport_usage_eau_potable_2018.pdf

[vi] Gouvernement du Canada, « Utilisation de l’eau au Canada dans un contexte mondial », 2016, https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/indicateurs-environnementaux/utilisation-eau-contexte-mondial.html.

[vii] World Bank, « Water in Agriculture », 2021, https://www.worldbank.org/en/topic/water-in-agriculture.  

[viii] Laurie Trudel, « Les agriculteurs de la région sentent encore la sécheresse du début de l’été », Radio-Canada.ca, 27 juillet 2021.https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1812322/production-agricole-temps-sec-retards-recoltes-bilan-mi-saison-outaouais-est-ontarien.  

[ix] Réseau québécois sur les eaux souterraines, « Les eaux souterraines », 2021, https://rqes.ca/les-eaux-souterraines/.  

[x] Isabelle Mayer-Jouanjean et Nathalie Bleau, Historique des sinistres d’inondations et d’étiages et des conditions météorologiques associées, Projet 551013 Ouranos, mars 2018. https://www.ouranos.ca/wp-content/uploads/RapportMayerJouanjean2018.pdf.

[xi] Organisme de Bassin Versant de la Baie Missisquoi, « Un jardin de pluie de démonstration aménagé au centre communautaire de Bedford », Communiqué, 12 juillet 2021. https://admin.robvq.qc.ca/uploads/215f27bb1bd12a3164e4d10f318f91e6.pdf

[xii] Seth Borenstein et Associated Press, « Juillet 2021, le mois le plus chaud jamais enregistré », Le Devoir, 14 août 2021.https://www.ledevoir.com/societe/environnement/624774/le-mois-de-juillet-2021-a-ete-le-plus-chaud-jamais-enregistre-sur-terre.  

Le vin québécois, un milieu de passion en pleine croissance

Le vin québécois, un milieu de passion en pleine croissance

Autrefois victime de nombreux préjugés de la part de ses consommateur‧trice‧s, le vin québécois est de plus en plus respecté dans le milieu. La croissance des ventes est fulgurante, les tablettes se vident rapidement et les magasins spécialisés en alcool du Québec se multiplient telle une trainée de poudre. Portrait d’un milieu qui gagne à se faire connaitre.

Par une belle journée tempérée, Charles-Henri de Coussergues, vigneron et copropriétaire du Vignoble de l’Orpailleur, me reçoit à son vignoble de Dunham, dans les Cantons de l’Est. La passion qu’il porte à ce milieu est bien visible, celui-ci ayant cofondé le vignoble en 1982, il y a de cela près de 40 ans. Parti de la France à l’âge de 21 ans, il est tombé en amour avec l’aventure qu’était l’Orpailleur : « Moi, j’avais étudié dans la vigne, je voulais rester 3 ou 4 ans et repartir sur la propriété familiale. Finalement, l’aventure a commencé ici et je ne suis jamais reparti. »

L’idée d’ouvrir un vignoble au Québec, là où le climat est très peu favorable, pouvait sembler inimaginable à l’époque. Pourtant, malgré ses débuts modestes et difficiles, M. de Coussergues se réjouit de la vague de popularité récente des vins québécois, ce dernier ayant défriché le terrain avant les autres et pavé le développement du milieu. Pour lui, c’est avant tout une grande fierté.

Croissance fulgurante

Stéphane Denis, gestionnaire du développement des affaires pour le programme Origine Québec à la SAQ, ne cache pas son enthousiasme face à la hausse des ventes de vins québécois. Celui-ci spécifie d’ailleurs que pour l’année financière commençant le 1er avril 2020, le taux de croissance du vin blanc, rouge et rosé québécois a été de 46,5 %, ce qu’il désigne comme étant une « très bonne année ». Quant à lui, Louis-Phillipe Mercier, sommelier, copropriétaire et fondateur de la Boîte à vins, commerce se spécialisant dans la vente, la promotion et la distribution de vins locaux, qualifie ses ventes d’« exponentielles ». « L’année 2020 a été une année exceptionnelle, pour nous à la Boîte à Vins, mais pour les vins du Québec en général », renchérit-il.

Louis-Philippe Mercier voit deux causes principales à cette croissance. Tout d’abord, il parle des initiatives mises en place par le gouvernement provincial afin d’encourager l’achat local pendant la pandémie, qui ont causé une « explosion » des ventes. Puis, il y a la loi 88. Cette loi, officiellement adoptée en 2016 par le gouvernement de Philippe Couillard, « autorise le [producteur] à vendre et à livrer des boissons alcooliques qu’il fabrique, autres que les alcools et spiritueux, au titulaire d’un permis d’épicerie »[i]. Ainsi, les vins québécois ne sont plus contraints d’être vendus sous le monopole de la SAQ, contrairement aux vins étrangers. « La loi 88 a permis d’avoir un autre canal de vente pour les vigneron‧ne‧s. Avant la loi 88, le vignoble était obligé de passer par le réseau de la SAQ, qui exige un volume de production, et ça, il n’y a pas beaucoup de vigneron‧ne‧s au Québec qui ont un volume de production assez intéressant pour être là » ajoute M. Mercier.

Ça goute quoi, un vin du Québec?

Charles-Henri de Coussergues se permet de rigoler des préjugés qu’il entend envers les vins québécois : « On me dit “Ah ouais, j’ai gouté à un vin l’autre jour, et donc on n’a pas aimé les vins québécois”. Mais attendez, quand vous achetez un vin italien, vous ne dites pas que vous détestez tous les vins italiens. Mais là, vous faites un X sur tout le Québec? » Ayant connu les débuts difficiles de la production viticole québécoise, celui-ci y voit aujourd’hui un développement phénoménal influencé par deux facteurs : le climat et l’encadrement.

« C’est énorme la différence de température [comparé à il y a 40 ans]. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui il y a plus de vignobles, plus de cépages, plus de vins », mentionne ce dernier.

La mesure du degré-jour en production viticole, qui se veut une addition quotidienne des différences de température entre 10 °C et la véritable température, est une indication fiable de la capacité des vigneron·ne·s à produire pour la période estivale. Ainsi, entre 1980 et 2020, la valeur en degrés-jour est passée d’environ 950 à 1200[ii]. Quant à lui, le nombre de jours de gel est passé de 145 à 120 pour la même période[iii]. Compte tenu de l’accélération du réchauffement climatique, les périodes de production sont donc plus longues et plus chaudes.

Outre le climat québécois parfois difficile, l’encadrement du milieu par l’expérience de certain·e·s vigneron·ne·s et par des œnologues permet au secteur de s’améliorer constamment. « Il y a un virage qui s’est pris : de l’encadrement autour de l’industrie, explique M. de Coussergues. On a de jeunes agronomes, d’ailleurs majoritairement des filles, qui se sont spécialisé‧e‧s dans la vigne. Donc, on est mieux conseillé·e·s qu’avant. »

Les sommelier‧ère‧s du Québec ont également eu la tâche difficile de caractériser ce vin québécois, tel que le ferait un‧e sommelier‧ère en Alsace ou en Californie. Pour Louis-Philippe Mercier, le vin blanc québécois se distingue par son côté « très sec, léger, fruité, avec des arômes de pomme verte et d’agrumes ». Pour ce qui est du vin rouge, ce sont des vins « qu’on dit “de soif”, donc légers, fruités, avec des arômes de petits fruits ». Pourtant, ce qui distingue avant tout le vin du Québec, c’est son aspect artisanal; il est généralement fabriqué par des gens passionnés, et en petites productions. Cela le différencie de certains vins français ou italiens qui sont produits en grandes industries, parfois très polluantes[iv].

L’IGP « Vin du Québec », un coup de pouce pour la crédibilité

Une indication géographique protégée, ou IGP, est définie, selon le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), comme « une appellation réservée [qui] reconnait des produits alimentaires dont les étapes de production et de transformation sont réalisées au Québec »[v]. Depuis 2018, ce conseil a officialisé l’IGP « Vin du Québec », permettant à l’industrie d’avoir un gage de qualité, comme c’est le cas dans plusieurs pays producteurs de vins. Charles-Henri de Coussergues voit en l’implantation de cet IGP un long parcours : « [L’industrie] n’avait pas beaucoup de notoriété, et beaucoup de préjugés. Il se faisait un peu n’importe quoi, donc on a monté un cahier des charges et on a donné ça au gouvernement. » Selon Stéphane Denis de la SAQ, c’est maintenant « 80 % de nos ventes de vin qui sont des produits IGP », alors que plus de 35 vignobles et 270 produits au Québec sont certifiés selon ces critères stricts[vi].

Pourtant, l’enjeu des IGP suscite tout de même une part d’exaspération chez les producteur‧trice‧s. « L’IGP, je suis personnellement très déçu, on a mis beaucoup de travail, souligne le copropriétaire de l’Orpailleur, mais, si tu demandes dans la rue c’est quoi une IGP, rien. » Celui-ci réclame donc davantage d’information pour le public, comme c’est le cas en Ontario, là où des affiches mettent en évidence les produits Vintners Quality Alliance (VQA), l’équivalent ontarien d’une IGP.

Les prochains défis

Stéphane Denis voit les prochaines années comme un défi en ce qui concerne la gestion de l’offre et de la demande pour les viticulteur‧trice‧s, ceux-ci et celles-ci peinant à suffire à la demande croissante. Quant à elle, la SAQ, tel que l’explique M. Denis, s’engage à suivre le taux de croissance : « Nous, on va s’adapter à la croissance des ventes : si le·la consommateur‧trice est là, on va agrandir notre offre. »

Pourtant, pour Louis-Philippe Mercier, le problème ne réside pas au niveau de la gestion, mais plutôt au niveau de la capacité de production.

« Il manque d’la vigne, d’la vigne, d’la vigne, d’la vigne! C’est le gros problème », mentionne-t-il avec entrain. « On manque de raisins, on manque de ressources premières. »

Pour régler ce problème, M. Mercier ne voit qu’une solution : « Les vigneron‧ne‧s ont réussi à prouver qu’ils et elles sont capables de faire de bons vins au Québec. La seule chose qu’il manque, c’est d’avoir des subventions et de l’aide du gouvernement. »

Charles-Henri de Coussergues est, quant à lui, « usé » par les relations difficiles avec le gouvernement du Québec. Actuellement, « le Québec consomme 240 millions de bouteilles de vin par année. Là-dessus, tous·tes les vigneron‧ne‧s québécois·e·s confondu·e·s, on en a fait 2,3 millions »[vii]. Linda Bouchard, agente d’information à la SAQ, confirme ces données, précisant que le marché québécois correspond à moins de 1 % de tout le marché du vin au Québec.

« On s’était fixé une cible de 5 % de la consommation, donc il faudrait vendre 10 millions de bouteilles, souligne M. de Coussergues. Je ne vois pas le jour où ça pourrait arriver. Il manque une volonté de la part de l’État de bâtir une filière. »

Cette filière, M. de Coussergues la compare à celle du porc du Québec : « Depuis 30 ans, on a bâti l’industrie du porc au Québec, avec les retombées économiques et la création d’emplois. J’ai connu l’explosion des fromages au Québec. Maintenant on voudrait que [le gouvernement] se positionne : voulons-nous une vraie viticulture au Québec? » En 2020, le gouvernement de François Legault annonçait une bonification des allocations financières destinées à Aliments du Québec de 2,5 millions $, s’ajoutant aux 7,15 millions $ déjà en place[viii]. Pourtant, les IGP québécoises reçoivent « des miettes, des broutilles », affirme M. de Coussergues.

À cet égard, ce dernier ne cherche pas à se comparer aux industries viticoles européennes, mais plutôt à celles des autres provinces canadiennes. « On n’arrive malheureusement pas à monter le même système qui a été monté dans d’autres provinces, comme la Nouvelle-Écosse, l’Ontario ou la Colombie-Britannique », explique-t-il. Entre autres, dans ces provinces, plusieurs mesures sont mises en place pour valoriser la VQA. L’Ontario, par exemple, subventionne l’équivalent de 35 % du prix d’une bouteille vendue en LCBO, l’équivalent ontarien de la SAQ, mais uniquement sous la condition que celle-ci se conforme aux critères de la VQA[ix]. En plus, le gouvernement ontarien a récemment annoncé la mise en place d’un budget de 10 millions $ pour venir en aide aux vigneron·ne·s impacté·e·s par la COVID-19, notamment ceux et celles qui vendent à même le vignoble[x]. Au Québec, c’est 2 $ par bouteille vendue en SAQ qui est accordé à un produit IGP, en plus du 18 % remis à tout producteur, IGP ou non[xi]. Des différences qui, comme l’explique Charles-Henri de Coussergues, se veulent importantes.

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Avant de quitter son vignoble, Charles-Henri de Coussergues n’hésite pas à pointer en direction des autres vignobles à proximité, tel Union Libre, Gagliano et Château de Cartes. Sans prétention, il m’explique qu’au fond, la ville de Dunham a été bâtie grâce au vin : « Le milieu viticole, c’est générateur d’emplois, c’est une richesse régionale! »


Crédit photo : Félix Beauchemin

[i] Assemblée Nationale, Projet de loi no 88 : Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales, Québec : Assemblée Nationale, 2016, http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2016C9F.PDF

[ii] Données climatiques Canada, Degrés-jours de croissance (10 °C), Dunham, selon une fréquence annuelle (consulté le 26 juillet 2021). https://donneesclimatiques.ca/telechargement/?var=gddgrow_10.

[iii] Données climatiques Canada, Jours de gel, Dunham, selon une fréquence annuelle (consulté le 26 juillet 2021). https://donneesclimatiques.ca/telechargement/?var=gddgrow_10.

[iv] Euronews, L’impact environnemental de la production de vin en chiffres, Euronews, 22 février 2016, https://fr.euronews.com/2016/02/22/l-impact-environnemental-de-la-production-de-vin-en-chiffres

[v] Conseil des appellations réservées et des termes valorisants, « Qu’est-ce qu’une appellation réservée? », 2021,  

https://cartv.gouv.qc.ca/outils-et-ressources/information-au-public-et-aux-entreprises/quest-ce-quune-appellation-reservee/.

[vi] Conseil des appellations réservées et des termes valorisants, Rapport d’Activités 2020, 2020, https://cartv.gouv.qc.ca/app/uploads/2020/05/cartv_rapportactivites_2019.pdf.  

[vii] Société des Alcools du Québec, Rapport annuel 2021, 2021, https://saqblobmktg.blob.core.windows.net/documents/Communications/Rapports_Financiers/SAQ_RA21_v14_FINAL.pdf.

[viii] La Presse canadienne, « Le gouvernement injecte 2,5 millions de plus dans la promotion des aliments du Québec », Radio-Canada.ca, 14 octobre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1741087/subvention-aide-financiere-conseil-promotion-agroalimentaire-quebecois

[ix] Ontario Ministry of Agriculture, Food and Rural Affairs, VQA Wine Support Program, Ontario: Ministry of Agriculture, Food and Rural Affairs, https://www.agricorp.com/SiteCollectionDocuments/VQA-ProgramGuidelines-en.pdf.

[x] Ontario, Ontario Supporting Wineries, Cideries and Agri-Tourism Industry with Relief Initiative, Ontario: Ministry of Agriculture, Food and Rural Affairs, 2021 https://news.ontario.ca/en/backgrounder/1000553/ontario-supporting-wineries-cideries-and-agri-tourism-industry-with-relief-initiative.

[xi] Ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Programme d’appui au positionnement des alcools québécois dans le réseau de la Société des alcools du Québec 2020‑2021 (PAPAQ), Québec : Ministère de l’Économie et de l’Innovation, 2021, https://www.economie.gouv.qc.ca/fr/bibliotheques/programmes/aide-financiere/papaq/.