par Rédaction | Avr 30, 2019 | Analyses, International
Par Marc-Arthur Fils-Aimé
Cet article a été publié dans la dernière édition de nos partenaires, la Revue À bâbord.
L’auteur est directeur général de l’Institut Culturel Karl-Lévêque (ICKL)
Depuis le début du mois de juillet 2018, Haïti vit une situation de révolte, similaire à une préinsurrection populaire. Une large partie de la population a gagné les rues, bloqué les principales artères de la capitale, des villes de province ainsi que les routes nationales pour demander des comptes à l’État et exiger une amélioration de ses conditions de vie.
Sur l’injonction du Fonds monétaire international, le gouvernement haïtien devait augmenter le prix de l’essence à la pompe. Il s’est servi du match de football opposant le Brésil et la Belgique durant la dernière Coupe du monde pour exécuter sa mission. Le peuple ne s’est pas laissé prendre au piège. Les 6, 7 et 8 juillet, il a presque mis en déroute l’exécutif et les forces répressives en barricadant le pays. Il réclamait non seulement le retrait du communiqué relatif à cette augmentation brutale, mais aussi la baisse du coût de la vie.
Au fur et à mesure que les protestations gonflaient à travers le pays, les revendications se sont radicalisées à un point tel qu’elles ont pris l’allure d’une lutte de classe. Des foules attaquaient des banques et de grands commerces et demandaient le départ du président et de son premier ministre d’alors, Guy Lafontant, qui sont les principaux soutiens d’une bourgeoisie qualifiée d’antinationale et de toutes sortes d’épithètes malodorantes par les Haïtien·ne·s. Malgré le remplacement du premier ministre, le peuple n’a pas décoléré. Au contraire, le dossier Petrocaribe a provoqué un sursaut de colère et a tenu le pays en haleine le 15 octobre et le 18 novembre 2018. Ces deux dates correspondent à l’assassinat de Dessalines, l’un des fondateurs de la nation haïtienne, et à la dernière bataille qui a bouté hors du pays l’armée de Napoléon. Après un calme apparent, le pays s’est réveillé le 7 février, date symbolique du départ du dictateur Jean-Claude Duvalier en 1986 et du deuxième anniversaire de l’investiture du président Jovenel, avec des manifestations évaluées entre deux et trois millions de personnes, au milieu de barricades. Les « Petro challengers », comme se nomment les manifestant·e·s, et l’opposition au pouvoir sont convaincus qu’aucun jugement n’est possible sous Moïse, dont le nom est cité dans l’audit partiel de la Cour supérieure des comptes publié à la fin du mois de janvier.
Le Petrocaribe, c’est quoi?
Le président René Préval a signé en 2006 l’accord Petrocaribe avec son homologue vénézuélien Hugo Chávez. Haïti paie une partie du pétrole au comptant et une autre partie à un taux préférentiel de 1 % dans un délai de 17 à 21 années avec deux années de grâce. Cette somme équivaut aujourd’hui à une dette de plus de quatre milliards de dollars américains. Elle devait être investie dans des projets de développement durable qui n’ont pas laissé beaucoup de traces. La dilapidation de cette fortune a eu lieu en grande partie sous le gouvernement de Michel Martelly, le mentor du président Jovenel.
Les racines de la colère
Ces luttes conjoncturelles se sont superposées à des luttes structurelles. Il est presque impossible de bien cerner le contour des actuelles perturbations si on les sépare de la charpente socio- économique et culturelle du pays. C’est pourquoi, même s’il ne nous revient pas de retracer l’histoire du pays, il s’avère nécessaire de faire ce rappel très panoramique.
Haïti est née avec deux projets issus de deux visions de classe différentes. La majorité des anciens esclaves – devenus aujourd’hui des paysans moyens, parcellaires ou même des champarts – voulaient développer une culture vivrière pour sauvegarder leur indépendance durement acquise. C’était la promotion avant la lettre de « la souveraineté alimentaire ». La nouvelle oligarchie, elle, encourageait la culture de denrées pour l’exportation. Elle était encore empêtrée de l’esprit et fascinée du schéma de développement des colons esclavagistes français qu’elle avait physiquement combattus. Les masses rurales, dès l’aube de la déclaration officielle de notre indépendance, n’ont jamais accepté leur état de sujétion. Elles guettaient la moindre occasion pour se soulever en vue de conquérir un droit qu’elles n’avaient en réalité jamais eu. Dans un premier moment, c’était les Français et les Allemands qui, avec le concours des dirigeants haïtiens, dominaient l’économie et la finance haïtiennes. Aujourd’hui, en raison de la première occupation américaine qui a duré 19 ans (de 1915 à 1934), les Américains ont une influence prépondérante sur la politique nationale, même sur la présidente ou le président qui doit sortir des urnes1.
Plus de deux siècles après le choix initial d’une économie d’exportation, la formation haïtienne n’a pas connu de grand changement dans sa nature. L’écart social s’est creusé davantage entre les masses populaires et les classes dominantes du fait de tous les obstacles tendus par les classes politiciennes traditionnelles pour maintenir le statu quo.
La classe paysanne, impuissante face à la détérioration de la qualité de l’humus, de la parcellisation grandissante de sa terre due à la problématique de l’héritage tirée du Code de Napoléon, des complots du système judiciaire et d’une vague de fausses promesses de nouveaux acquéreurs – Bill Clinton est aujourd’hui l’un des grands propriétaires fonciers dans le pays – se rétrécit de jour en jour, malgré une résistance farouche des organisations paysannes formées de ses couches les plus conscientisées. Le discours dominant veut faire croire que les pauvres ne peuvent pas faire de l’agriculture moderne. La paysannerie abandonne sa petite propriété dans l’espoir d’un mieux-être dans les principales villes. Il en résulte une « bidonvillisation » envahissante puisque l’État haïtien, embourbé dans la corruption et à cause de son mépris des masses, ne s’efforce nullement d’améliorer son sort. Le chômage domine la vie nationale. Il varie selon les données à environ 70 %. La classe ouvrière, coincée en grande partie dans l’assemblage, est surexploitée. Le désespoir fait rage au milieu même de la petite-bourgeoisie qui s’embarque, elle, vers la première frontière qui lui est ouverte.
Le suffrage direct, reconnu seulement en 1950, n’a pas permis à ces masses de trouver le chemin de leur amélioration. À chaque grande phase électorale, les thuriféraires du système plus que biséculaire dressent de nouvelles difficultés pour empêcher les cadres populaires de briguer des postes électifs et réduire la population à un rôle passif de simples votants. Il résulte de cette exclusion que les trois grands pouvoirs sont truffés de bandits, de trafiquants de drogue, de contrebandiers et de délinquants de tout acabit.
C’est dans cette même optique que nous devons appréhender le fléau de la corruption qui a toujours rongé la société haïtienne. Elle a épousé des formes différentes sans n’avoir jamais perdu de sa vigueur et de sa constance. Par exemple, Leslie Péan a écrit cinq tomes intitulés Haïti, économie politique de la corruption, dont le premier est sous-titré De Saint-Domingue à Haïti (1791-1870). La corruption a atteint ces temps-ci un niveau d’immoralité que le néolibéralisme a aggravé avec l’argent placé au-dessus de toutes les valeurs, y compris celle de l’être humain et des biens inaliénables de la nature. Certaines consciences nationales ont inscrit leur bataille dans l’esprit de savoir où sont passés les milliards de Petrocaribe et l’argent détourné par la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), un organisme créé pour aider Haïti à mieux se sortir des désastres du tremblement de terre du 12 janvier 2010 et présidé par Bill Clinton.
Une scène politique complexe
Au sommet du pouvoir, le président Jovenel n’a jamais joui d’une grande légitimité. Il a été élu avec quelque 500 000 voix sur une population de plusieurs millions de personnes en âge de voter. Sa popularité est au bas-fond, car peu de ses promesses électorales se sont concrétisées. La misère des masses a empiré et a même affecté une fraction importante de la petite-bourgeoisie. Face à l’opposition plurielle qui tient à la démission du chef de l’État a émergé un différend ouvert entre lui et son premier ministre, le notaire Jean Henry Céant, imposé par des forces puissantes. Il a dû l’accepter à contrecœur. La controverse n’est pas le fruit d’un projet alternatif. Chacun d’eux représente une fraction différente des classes dominantes qui cherche soit à maintenir son hégémonie soit à l’arracher.
Sur le terrain des luttes quotidiennes, le consensus ne dépasse pas le départ du président, qui reste accroché au pouvoir malgré la détérioration accélérée de toutes les branches vivantes du pays. L’opposition sème la confusion totale avec des propositions contradictoires quant à la nature de la transition devant aboutir aux prochaines élections. La droite et l’extrême droite tentent de récupérer le mot d’ordre des masses populaires en voulant réduire leur désir de changement de système à un remplacement de personne au sein du même régime. Le courant de gauche, du fait de son inorganisation ne constitue pas une force capable d’aider les masses à dissoudre le système éculé et à bâtir la transformation sociale espérée.
En définitive, cette absence d’avant-garde a freiné l’élan préinsurrectionnel en une véritable insurrection populaire. Le combat des classes dominées se joue sur le front conjoncturel et structurel. C’est pourquoi nous ne devons pas laisser le terrain à l’oligarchie et à ses intellectuels organiques et sommes obligés de le poursuivre avec tact et intelligence.
CRÉDIT PHOTO: Medyalokal, wikimedia.org
1. Voir Dantes Bellegarde, La résistance haïtienne. L’occupation américaine d’Haïti, collection du bicentenaire Haïti, 1804-2004, p. 127-128 ; Suzy Castor, L’occupation américaine d’Haïti, Imprimerie Henri Deschamps, p. 64 ; et Ginette Chérubin, Le ventre pourri de la bête, Éditions de l’Université d’État d’Haïti, p. 259.
par Any-Pier Dionne | Avr 14, 2016 | Analyses, Environnement
Les Premières Nations exigent le consentement plutôt qu’une simple consultation symbolique et proposent des solutions de rechange aux hydrocarbures.
La maison du développement durable accueillait le 23 février dernier la table ronde Projets d’hydrocarbures au Québec : quel rôle pour les communautés autochtones? Trois représentant-e-s des communautés mohawk, innue et mi’gmaq, qui sont directement touchées par différents projets d’hydrocarbures, étaient présent-e-s pour discuter des enjeux que ces projets pétroliers soulèvent, ainsi qu’un avocat spécialisé en droit autochtone. Au menu : des plaidoyers exigeant le consentement des Premières Nations plutôt qu’une simple consultation symbolique, et des propositions de solutions aux hydrocarbures.
Plus que consultation : consentement
Les trois représentant-e-s présent-e-s à la table ronde déplorent des « consultations superficielles », qui se limitent à l’écoute : « Actuellement, on est consulté-e-s, mais on ne le voit pas dans leurs décisions! », déplore Jean-Charles Piétacho, chef du Conseil des Innus d’Ekuanitshit.
Depuis 1982, l’obligation de consulter les Premières Nations figure à l’article 35 de la Loi constitutionnelle canadienne. Ce droit est toutefois plutôt flou : « Le contexte dictera ce qu’il faut faire pour respecter cette obligation et faire preuve d’honneur dans les transactions » (1)
Tanya Barnaby, directrice des ressources naturelles du secrétariat Mi’gmawei Mawiomi, s’insurge elle aussi qu’il soit monnaie courante pour l’industrie pétrolière et le gouvernement de ne pas prendre en considération la voix des habitant-e-s du territoire touché. Sa communauté a appris dans les nouvelles le projet de Train chaleur, qui passerait par le territoire mi’gmaq de Listuguj pour transporter le pétrole vers Belledune, au Nouveau-Brunswick. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick refusait carrément toute consultation directe avec les Mig’maq de Listuguj, faisant fi du devoir constitutionnel. La cause est présentement en cour et un jugement devrait être rendu en mars 2016.
Serge Simon, grand chef du conseil mohawk de Kanesatake, a par ailleurs rappelé que les terres de nombreuses communautés autochtones au Québec n’avaient jamais été cédées : « C’est à nous de faire le choix; […] on est des nations souveraines ». Lui aussi déplore les failles des instances de consultation, qui s’entêtent à refuser d’entendre les revendications autochtones. Il dénonce l’emprise de l’industrie pétrolière, qui contrôle même les instances de consultation, les rendant illégitimes à son avis.
Pour mieux se défendre, il mise sur une alliance qui regrouperait les communautés autochtones parsemées tout le long du tracé du pipeline projeté jusqu’en Colombie-Britannique. Selon lui, une telle solidarité renforcerait le poids des Premières Nations dans la prise de décision. Mais il n’hésite pas à lancer un appel à un ralliement plus général : « C’est le temps d’obtenir le soutien d’autres groupes. » À ses yeux, une unité plus vaste, qui inclurait les Premières Nations et d’autres groupes allochtones qui s’opposent aux projets d’hydrocarbures, renforcerait le pouvoir du peuple face à la puissante industrie pétrolière.
Des solutions proposées
Pour les représentant-e-s autochtones, il est « inconcevable » que des fonctionnaires dans des bureaux à Québec, Montréal ou Ottawa émettent des permis pour des projets qui comportent autant de risques pour l’environnement. Comme le souligne le grand chef Serge Simon, « les modes de vie sont reliés à nos terres [et] il n’y a pas de territoire B ». Les risques liés aux projets pétroliers sont incontestables, et leurs impacts sur les modes de vie traditionnels seraient dévastateurs.
Monsieur Simon dénonce le « développement très irresponsable » auquel on assiste présentement, soulignant qu’il existe des solutions de rechange au pétrole : « La technologie est là (ex : énergie tesla, hydrogène, etc.), mais tant que l’industrie pétrolière aura le pouvoir, il n’y aura pas de changement. » Il affirme qu’aux États-Unis, plus de 4 000 brevets pour des sources d’énergie autres que pétrolières ont été supprimés au nom de la « sécurité de la nation ».
Monsieur Piétacho martèle quant à lui qu’il n’est pas contre le développement, mais il plaide qu’il faut réfléchir : « Pour qui est ce développement? » Le chef innu exige que le développement sur son territoire soit durable et profitable à la population locale plutôt qu’à l’industrie pétrolière. Il faudrait donc un profond changement de la volonté politique pour donner une place aux sources alternatives d’énergie et mettre de l’avant le bien-être de la collectivité plutôt que les intérêts privés.
Monsieur Piétacho souligne toutefois la « lueur d’espoir » entrevue avec le nouveau gouvernement fédéral, qui semble un peu plus ouvert à accorder l’égalité que revendiquent les Premières Nations dans la prise de décision et la possibilité d’envisager des solutions à l’exploitation pétrolière traditionnelle. Espérons que le combat mené par les autochtones pour le consentement préalable aux projets d’hydrocarbures et pour la remise en question de l’industrie pétrolière servira d’inspiration aux allochtones qui s’opposent aussi en grande partie aux projets pétroliers, et que le peuple uni pourra amener un véritable changement.
(1) Gouvernement du Canada, Affaires autochtones et du Nord, « Consultation et accommodement des Autochtones – Lignes directrices actualisées à l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter ». Page consultée le 3 mars 2016. https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100014664/1100100014675
CRÉDIT PHOTO: Frédéric Vissault
par Rédaction | Avr 1, 2014 | Analyses, Canada, Environnement, Québec
Par Jessica Céré
Dans l’imaginaire collectif occidental, on considère généralement que le pétrole est un facteur important de développement économique. De là nait l’engouement pour la construction d’un système de transport pétrolier au Canada permettant d’augmenter la production au pays. On aborde d’ailleurs davantage la question des oléoducs depuis l’accident de train à Lac Mégantic et un débat a lieu pour le choix entre un transport pétrolier par voie ferroviaire, que certains considèrent comme moins sécuritaire, ou par oléoducs. Mais ce débat détourne notre attention du véritable débat, à savoir s’il est pertinent pour le Canada et pour le Québec de continuer à exploiter ces énergies sales et, s’ils le font, à quel prix ?
Le sujet était sur la table depuis bien longtemps. Pauline Marois a décidé de prendre en charge les possibles réserves pétrolières cachées dans le sous-sol du Québec. Toutefois, l’engouement actuel pour le pétrole et pour les nouveaux gisements n’est pas nouveau au Canada. La compagnie TransCanada Corporation avait décelé ces possibilités dès sa création en 1951. Depuis le début des années 2000, l’entreprise a investi dans la création de tuyaux souterrains pouvant acheminer le pétrole d’un point A à un point B. Le premier projet fonctionnant bien et depuis 2010, la compagnie mise sur des avancements considérables : les projets Keystone XL pipeline et Énergie Est. Les groupes environnementaux sonnent l’alarme, mais les médias expliquent rarement les raisons qui sont à l’origine de ce cri d’alerte. En fait, le pétrole est une ressource énergétique sale, mais très utile et surtout très rentable. Le pétrole au Canada provient principalement des sables bitumineux et leur extraction est particulièrement dommageable pour l’environnement. Il faut donc se questionner sur le prix à payer pour pouvoir exploiter ces énergies, puisqu’elles ont le potentiel d’engendrer de graves conséquences sur notre environnement.
Les projets Keystone
Le projet Kesytone a débuté avec, en première phase, un oléoduc transportant le pétrole d’Alberta vers les États-Unis, en passant par Régina, Saskatoon, Steele City, Nebraska et d’autres régions au Sud. Ce premier oléoduc est actif depuis 2010 et trois phases de son développement sont déjà complétées. Le nouveau projet, Keystone Pipeline XL, commencerait aussi en Alberta, mais aurait un trajet plus rapide vers les États-Unis. Toutefois, la controverse entourant la construction de cet oléoduc est de plus en plus palpable.
L’opposition environnementale
Des groupes environnementaux, dont certaines ONG’s se prononcent, surtout depuis l’incident de Lac Mégantic, sur le danger du transport de pétrole par oléoduc, un danger qui serait dû à la possibilité de fuites et de dispersion du pétrole dans le sol. Il est cependant difficile pour les citoyens-nes de prendre position, puisque l’essentiel des recherches scientifiques demeure inconnu ou est volontairement détourné à des fins politiques. Le danger de fuite n’est pas négligeable, mais les effets les plus nocifs jusqu’à ce jour proviennent de l’extraction même du pétrole. Selon plusieurs environnementalistes, le pétrole extrait des sables bitumineux serait de trois à quatre fois plus nuisible que le pétrole conventionnel. Malheureusement, cette exploitation demeure l’extraction principale au Canada. Plusieurs environnementalistes et journalistes restent sceptiques sur le niveau de dégât réellement engendré, puisque les méthodes de calcul sont bien différentes d’une étude à une autre. Il n’en demeure pas moins que l’exploitation des sables bitumineux est une pratique dangereuse et qui contribue de façon significative à l’augmentation de la température mondiale selon les rapports de L’Agence internationale d’énergie. Greenpeace a par ailleurs rédigé un rapport sur les conséquences environnementales de l’exploitation des sables bitumineux : «En 2020, l’émission de gaz à effet de serre des 14 projets mentionnés dans cette étude – dans le cas ou leur développement se maintiendrait – augmenterait l’émission globale de CO2 issue des carburants fossiles de 20%, maintenant le monde sur le chemin d’un réchauffement climatique de cinq à six degrés Celsius » (traduction libre). Un tel réchauffement s’avèrerait catastrophique pour plusieurs communautés à travers le monde. De plus, L’Agence internationale de l’énergie a effectué plusieurs recherches qui mènent à des conclusions similaires: «Selon L’Agence internationale de l’énergie (IEA), l’émission mondiale de CO2 a augmenté de 5% en 2010, confirmant le plus important record enregistré. 3% d’augmentation se sont ajoutés en 2011, excédant les pires cas imaginés et menant à un réchauffement à long terme de cinq à six degrés Celsius » (traduction libre). Greenpeace propose donc d’interrompre la construction d’infrastructures destinées à l’exploitation des sables bitumineux : « Pour éviter de nous contraindre à un réchauffement catastrophique, la construction de nouvelles infrastructures liées aux carburants fossiles doit s’arrêter d’ici cinq ans, imposant la confrontation des projets d’énergies sales versus un climat viable » (traduction libre). Le développement de plus en plus nombreux et important de projets liés à l’extraction du pétrole montre que les recommandations de Greenpeace ne sont pas entendues par les élus-es. À maintes reprises, nous lisons et entendons des acteurs politiques clamer que, selon de nombreuses études, il y aurait très peu de conséquences environnementales liées à la construction de pipelines. Il n’est pas dans mon intention de détailler les recherches de ces études. Par contre, il est important de se rappeler que certaines d’entre elles ont été menées dans le seul but de légitimer des nouveaux projets d’exploitation pétrolière. En octobre 2011, The New York Times questionnait les analyses faites par le contracteur Cardno Entrix, une firme offrant des consultations sur les projets reliés à l’exploitation des ressources naturelles. La compagnie aurait été mandatée par une firme qui comptait TransCanada parmi ses clients les plus importants pour le matériel de marketing. Il semble donc y avoir une situation de conflit d’intérêts.
Ressources vertes et énergie propre
Depuis plusieurs années, les pays se sont engagés à développer une économie d’énergie propre, mais on réalise bien que les projets mis de l’avant par le gouvernement canadien (notamment) sont en discorde avec ce modèle économique et énergétique. Qu’en est-il du leadership du changement climatique ? En 2008, le président des États-Unis Barack Obama avait énoncé le souhait d’une imminente cessation de l’emprise pétrolière : «Soyez la génération qui libérera enfin l’Amérique de la tyrannie du pétrole» (traduction libre). Chacun se montre d’accord pour vaincre les changements climatiques, mais personne n’est prêt à accomplir les actions nécessaires. En fait, le pétrole demeure l’énergie la plus lucrative sur un court laps de temps. Aucune énergie propre ne peut rapporter autant de bénéfices économiques pour le moment. Le premier ministre canadien Stephen Harper, confronté à la contestation de plus en plus criante des citoyens-nes devant le projet des pipelines Keystone, met de la pression sur la population en martelant que de toute façon, si les projets d’oléoducs ne se concrétisaient pas, le transport du pétrole se ferait autrement (par train ou par transport routier). C’est d’ailleurs ce que Russ Girlking, président de TransCanada, nous confirme: « Il ne s’agit pas d’un débat sur pétrole versus les énergies alternatives. C’est un débat sur le choix d’un pétrole qui provient du Canada, du Venezuela ou du Nigeria » (traduction libre). Harper s’est ouvertement prononcé sur ce qui adviendra du développement du projet Keystone: «Ce ne sera pas terminé tant que le projet ne sera pas approuvé, et nous continuerons de faire pression», a exprimé le premier ministre canadien.
Et le Québec !?
Le projet pipeline Keystone XL ne touche pas le Québec, mais notre province demeure concernée par le développement des oléoducs. Le projet Énergie Est de la compagnie TransCanda, qui permettrait le transport de pétrole de l’Alberta jusqu’au Québec, est aussi en discussion. La compagnie souhaite construire des pipelines débutant en Alberta, passant par le Québec pour aboutir à Saint-John. Les mêmes problématiques environnementales sont exploitées ici et des frustrations ont déjà été exprimées. Plusieurs articles diffusés dernièrement, entre autres, dans Le Devoir, évoquent les conséquences environnementales que la concrétisation Énergie Est au Québec pourrait engendrer: « Selon un rapport de l’Institut Pembina […] « la production de brut nécessaire pour remplir Énergie Est pourrait générer annuellement jusqu’à 32 millions de tonnes de gaz à effet de serre en plus». Thomas Muclair, chef de l’opposition officielle à la chambre des communes du Canada, rapporte que le principe devrait être d’amener le pétrole d’ouest en est, et ce tout en respectant les normes environnementales : «M. Harper a complètement éviscéré les lois environnementales et les lois d’évaluation environnementale. En l’absence d’un processus crédible complet, le public ne peut pas croire ce qu’on va lui dire sur quelque projet que ce soit». TransCanada présentera dans les prochains mois tous les détails du projet Énergie Est. Il faudra donc rester à l’affut de son développement prochain, surtout que le gouvernement de Pauline Marois a déjà manifesté son intérêt pour le projet. Par ailleurs, le Québec lancera l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti l’été prochain et nous pouvons aisément croire que le prochain gouvernement Libéral ou Péquiste concrétisera ce projet. Il s’agit d’une démarche supplémentaire qui tourne le dos au développement des énergies propres et qui est orchestrée par des compagnies puissantes de concert avec le gouvernement provincial et fédéral. Chaque parti fait cependant face à un défi. Les compagnies et les gouvernements devront légitimer leur projet auprès de la population tandis que les groupes environnementaux et tous ceux qui s’opposent à de tels développements devront démontrer qu’il n’est pas dans l’intérêt de nos communautés d’aller dans cette direction. Il nous apparait primordial que les citoyennes et les citoyens puissent obtenir suffisamment d’informations sur cet imposant virage afin de faire des choix collectifs éclairés.