Haïti : la nation prise en otage

Haïti : la nation prise en otage

Par Arthur Calonne

Le 7 juillet 2021, la nation d’Haïti s’est réveillée en proie à la panique en apprenant l’assassinat dans sa résidence, par un commando armé, du président Jovenel Moïse vers une heure du matin. Un mois après cet incident dramatique, le vide institutionnel qui faisait craindre les pires violences a été comblé avec l’investiture d’Ariel Henry au poste de premier ministre. Pourtant, le flou demeure quant à l’identité et les motivations du ou des commanditaires du crime. La semaine dernière, on apprenait que de nombreuses menaces de mort avaient été proférées à l’égard de greffiers ou du juge de paix chargé de l’enquête, Carl Henri Destin. À en juger par des documents récupérés et dévoilés fin juillet par CNN[i], qui font état des multiples obstacles rencontrés par les autorités haïtiennes dans leurs démarches, la situation est plus qu’inquiétante : disparition de témoins essentiels, manipulation et restriction d’accès aux scènes de crimes et aux preuves, intimidations des enquêteur·ices etc. Selon Velina Elysée Charlier, militante et porte-parole du groupe Nou Pap Dòmi depuis sa fondation en 2018, il sera ardu de faire la lumière sur la mort de Jovenel Moïse alors que l’investigation en cours se heurte à la corruption, à l’insécurité et à l’agonie institutionnelle du pays. La miliante souligne d’ailleurs qu’il s’agit là des mêmes conditions qui ont mené à cet assassinat.

« Je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas été triste. C’est le résultat de ses années de gouvernance. Jovenel Moïse a conduit le pays dans le chaos et il a terminé sa vie dans ce chaos-là », confie-t-elle à L’Esprit libre lors d’une entrevue téléphonique. « Toutes les institutions ont été méthodiquement et systématiquement détruites. Quand un pays n’a pas d’institution, on en arrive là : à l’assassinat d’un président ». Engagée depuis 20 ans pour la justice sociale et contre la corruption, Mme Charlier explique que l’assassinat du président a été un coup dur pour les militant·e·s de son camp, qui ont l’impression de s’être fait couper l’herbe sous leurs pieds. « On a ressenti avant tout beaucoup de frustration […] Il y a un tas de crimes pour lesquels on aurait voulu traîner Jovenel Moïse et son gouvernement devant la justice. »

En effet, dans les derniers mois, la popularité du défunt président auprès de sa population était à son plus bas. Successeur du président Michel Martelly, lui aussi issu du parti politique Tet Kale (PHTK), Moïse avait été porté au pouvoir lors d’un scrutin qui n’avait attiré que 18 % des électeur·ice·s aux urnes et où il n’avait recueilli qu’un peu moins de 600 000 voix. Cette absence de légitimité ne l’a pourtant pas empêché de tenir fermement les rênes de l’État et de s’accaparer progressivement la totalité des pouvoirs. Allant jusqu’à donner à Haïti des airs de dictatures, Moïse avait soigneusement écarté adversaires et contrepouvoirs de son chemin, en omettant d’organiser des élections législatives pour renouveler l’appareil législatif, ou encore en écartant de leurs activités des juges de la Cour de cassation. Résultat : depuis janvier 2020, l’ancien agriculteur surnommé « l’homme-banane » gouvernait seul et par décret un pays en totale déliquescence.

L’interminable descente aux enfers

Malgré la promesse d’une reconstruction rapide, la population du plus pauvre État d’Amérique latine et des Caraïbes[ii] panse toujours les plaies que lui a infligées le séisme du 12 janvier 2010, et s’enlise tragiquement dans ce que beaucoup d’Haïtien·ne·s n’hésitent pas à qualifier d’enfer. L’expression créole « Peyi lock » (pays bloqué), utilisée depuis trois ans pour désigner l’état de paralysie du pays à tous les égards, illustre assez bien la gravité en ce qui concerne la situation politique, économique, sanitaire et sécuritaire d’Haïti.

Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) estimait que de mars à juin 2021[iii], dans le pays peuplé d’environ 11 millions de personnes, 4,4 millions de personnes, dont 1,9 million d’enfants, seraient en situation d’insécurité alimentaire. L’accès à l’eau potable demeure aujourd’hui un enjeu crucial : globalement, 20 % des enfants âgés de 0 à 5 ans en Haïti meurent du choléra, de la typhoïde et d’autres maladies liées à la consommation d’eaux contaminées. Clou du spectacle, la saison des ouragans, de plus en plus funeste en raison des bouleversements climatiques[iv], pourrait apporter son lot de dégâts matériels et aggraver la situation déjà précaire des infrastructures haïtiennes.

L’insécurité est également à son paroxysme dans ce pays touché par les désastres. Le nombre d’enlèvements contre rançon a bondi à 234 en 2020[v], le triple de l’année précédente, menaçant dorénavant l’intégralité de la population, riche comme pauvre, qui doit se plier aux volontés des gangs qui ont recours aux enlèvements pour financer leurs activités. Ces gangs, de connivence avec le pouvoir[vi], tiennent en otage le système entier en contrôlant les routes et en semant impunément la terreur dans les rues de Port-au-Prince, sous les yeux d’une police caduque. La violence de la guerre des gangs est telle que l’ONG Médecins sans frontières (MSF) a décidé début août de se retirer définitivement de Martissant, un quartier populaire de la capitale déserté par la police, où les balles perdues constituent une menace permanente pour les habitant·e·s.

Dans ce chaos et malgré une répression violente, le peuple haïtien a investi la rue depuis l’été 2018. Des émeutes éclatent régulièrement pour protester contre l’augmentation du prix des carburants, dénonçant un exécutif corrompu et illégitime. Ce mouvement de contestation a été quasi permanent jusqu’à la mort de Jovenel Moïse, qui était lui-même accusé de détournements de fonds dans le cadre d’un gigantesque scandale de corruption, l’affaire Petrocaribe[vii], programme au cours duquel 3,8 milliards de dollars (US) ui étaient destinés à financer des projets d’infrastructures se sont évaporés entre les mains des responsables. Le défunt président avait également été accusé d’avoir au mieux cautionné, et au pire organisé, plusieurs massacres perpétrés contre des civils vivant dans des quartiers défavorisés de Port-au-Prince.

Le Core Group toujours maître du destin d’Haïti

Après une période de flottement et d’incertitude suite à l’assassinat du président haïtien, Ariel Henry, qui devait remplacer Claude Joseph au poste de premier ministre, a finalement pris le pouvoir le 20 juillet dernier. Son objectif est d’organiser des élections présidentielles, une ambition affichée par le président de son vivant, malgré l’opposition massive du peuple haïtien et de la société civile qui ne croient pas possible et raisonnable d’organiser un tel scrutin dans le contexte sécuritaire actuel. Muet, lors de son discours d’investiture le 20 juillet dernier, en ce qui concerne le projet de référendum pour changer la constitution haïtienne, Ariel Henry semble aujourd’hui enclin à marcher dans les pas de Moïse. Neuf jours après son intronisation, on apprenait dans une note publiée par son bureau que le nouveau Premier ministre avait « rencontré les membres du Comité consultatif indépendant pour l’élaboration de la nouvelle constitution »[viii], une démarche illégale et inconstitutionnelle au regard du texte actuel qui interdit toute modification de la constitution par voie référendaire.

La communauté internationale, aujourd’hui incarnée principalement par le Core Group, un regroupement d’ambassadeur·ices de pays comme les États-Unis, le Canada et la France, a toujours été très active en Haïti. Sous la présidence de Moïse, cette communauté internationale avait condamné et refusé de financer son projet de référendum, mais appuyait le calendrier électoral prévu par le pouvoir qui consiste en la tenue d’élection législative et présidentielle afin de renouveler la classe politique du pays. Cette posture ne devrait visiblement pas changer à l’avenir, une mauvaise nouvelle pour Velina Elysée Charlier. Selon ce dernier, le soutien du Core Group au parti PHTK, dont Ariel Henry représente la continuité d’après l’opposition[ix], est inconditionnel au respect des lois et de la constitution : « Ils font le mort, c’est quelque chose qu’on a déjà vu dans les pays d’Afrique. Ils s’y opposent [au référendum], mais à partir du moment où il passera, la communauté internationale continuera de collaborer avec ces soi-disant élu·e·s, qui violent la loi, sous cette nouvelle constitution », dénonce-t-elle.

À la mort de Jovenel Moïse, le monde entier a scruté la réaction de ces acteur·ice·s internation·aux·ales qui semblent faire la pluie et le beau temps dans ce pays, n’écartant pas l’éventualité d’une intervention militaire étrangère afin de stabiliser le pays. Un tel scénario ne s’est pour le moment pas concrétisé, cependant, il semblerait que le Core Group ait joué un rôle prépondérant dans la transition post-Moïse et la nomination du neurochirurgien à la tête de l’État haïtien, comme le soulignent de nombreuses organisations haïtiennes. « Ça aurait été l’occasion pour eux [le Core Group] de changer leur fusil d’épaule, d’encourager la société civile et politique à faire autrement, déplore Vélina Elysée Charlier, mais ça nous aurait étonné·e·s de les voir faire autrement ». Pourquoi la communauté internationale s’entête-t-elle, dans des conditions sécuritaires déplorables, à organiser des élections contre la volonté d’une grande partie du peuple haïtien ? Pourquoi soutenait-elle un dirigeant critiqué de toutes parts et dont la réputation était ternie par de nombreuses et très graves accusations qui éloignerait at vitam, dans n’importe quel pays occidental, une personnalité politique du pouvoir ? Pourquoi les revendications de la société civile haïtienne sont-elles si peu considérées par le Core Group dans sa démarche qui est censée renforcer la démocratie dans le pays ? 

« La communauté internationale a toujours promu une démocratie de façade, sans substance, car il devient facile pour elle de promouvoir son agenda […]. La mise en place d’un état de droit, ça ne les a jamais intéressés », explique Roromme Chantal, chercheur à HEP et politologue, lors d’un entretien téléphonique avec L’Esprit libre. Le spécialiste décèle dans le regard que portent les « ami·e·s » d’Haïti face à la faillite démocratique du pays, une hypocrisie flagrante et malsaine : « Ils s’entêtent, ils feignent de ne pas comprendre ». Pour le professeur, ce n’est pas l’incompétence, la naïveté ou un manque d’imagination des acteur·ice·s étranger·e·s qui explique une telle attitude vis-à-vis d’un véritable drame humanitaire.

Haïti est, dans les faits, une terre remplie d’opportunités pour les puissances occidentales et leurs entrepreneur·euse·s. Dans les années 2000, les activités du couple Clinton et de sa fondation, très présente en Haïti dans le cadre de la reconstruction post-séisme, ont notamment fait polémique. La Clinton Foundation s’est entre autres vu reprocher de n’accorder de contrats qu’à des entreprises qui la finançaient. Cas emblématique qui illustre cette situation : le contrat accordé à la compagnie Clayton, propriété du milliardaire américain Warren Buffet, pour construire des refuges résistant aux intempéries en vue de la saison des ouragans. Ce contrat avait alors été offert à un très gros bailleur de fonds de la fondation, sans passer par le traditionnel processus d’appel d’offres. Lorsque les reporters de l’hebdomadaire américain The Nation ont visité les abris livrés par la compagnie Clayton, ils et elles ont constaté que ceux-ci étaient inadéquats, mal isolés et même dangereux pour ses usager·e·s[x]. Le rôle du frère d’Hillary Clinton, Tony Rodham, dans l’exploitation des mines d’or d’Haïti a aussi fait l’objet de critiques et de spéculations, renforçant l’impression qu’ont beaucoup d’Haïtien·ne·s d’être pillé·e·s par les étranger·e·s. On se souvient que l’ex-président américain Donald Trump s’était servi, lors de la campagne électorale de 2016, de ces controverses pour démolir la crédibilité de son adversaire qu’il surnommait « Crooked Hillary » (« Hillary la tordue »), une stratégie qui s’est avérée décisive dans le cadre de son ascension politique.

Le Canada, second en ligne

Le poids politique du Canada en Haïti ne pourrait être surestimé, notamment depuis 2003, date à laquelle l’ancien président Jean-Bertrand Aristide – une des figures politiques les plus populaires auprès de sa population depuis la fin de la dictature – a été renversé. Un putsch qui avait été discuté et même planifié par « une coalition de pays rassemblée à l’initiative du Canada » lors d’« une rencontre secrète [qui] s’est tenue à Ottawa et sur les bords du lac Meech, dans le parc de la Gatineau », comme le racontait dans ses pages le magazine l’Actualité, le 15 mars 2003[xi]. Premier président élu de la République d’Haïti, Aristide avait entre autres doublé le salaire minimum et dissout l’armée, détestée à l’époque[xii]. Guère satisfaite de son approche, la communauté internationale a procédé, brandissant le concept onusien de « responsabilité de protéger », à l’enlèvement du président[xiii] par les forces spéciales canadiennes et américaines, le 29 février 2004, alors que les médias canadiens évoquaient à l’époque une démission[xiv].

« Ils ont décidé que Aristide devait être renversé, qu’Haïti devait être mise sous tutelle. 13 mois plus tard, c’était fait. Depuis ce moment-là, le Canada est devenu le deuxième joueur en Haïti, après les États-Unis », relate Yves Engler, écrivain, militant politique et spécialiste de l’impérialisme canadien, lors d’un entretien téléphonique avec L’Esprit libre. Le pays a par la suite joué un rôle de premier rang dans la répression exercée contre les Haïtien·ne·s opposé·e·s au coup d’État. « C’étaient des policier·e·s entraîn·é·s, financ·é·s et appuy·é·s diplomatiquement par Ottawa qui ont ouvert le feu sur au moins une douzaine de manifestations qui réclamaient le retour du gouvernement élu », poursuit-il. Aujourd’hui encore, Ottawa est accusé d’appuyer le gouvernement haïtien et de fermer les yeux sur ses crimes, alors même que la complicité de celui-ci dans des crimes contre l’humanité[xv] est établie. Cette posture adoptée par le gouvernement fédéral a d’ailleurs été dénoncée en février dernier par de nombreuses personnalités issues du monde universitaire, politique et des arts (David Suzuki, Naomi Klein, Roger Waters etc…) dans une lettre ouverte[xvi] destinée au premier ministre Justin Trudeau. « On n’en parle pas dans ce sens dans les grands médias ici, mais Haïti est presque une colonie américano-canadienne. C’est la dynamique actuelle », commente l’écrivain. Contactée par L’Esprit libre, l’ambassade canadienne en Haïti n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Fidèle soutien du président Moïse, mais également de son prédécesseur et mentor Michel Martelly, le Canada n’est pas ce qu’on peut appeler un « acteur mineur » en Haïti, sauf si on évoque par là le vif intérêt que nourrit notre pays pour le très riche sous-sol haïtien[xvii]. On peut prendre pour exemple le simple fait que l’entreprise montréalaise de textile Gildan, qui a longtemps fait l’objet de plaintes pour non-respect des droits des travailleur·euse·s en Haïti et au Honduras, fait partie des plus grands employeurs du pays, après l’État. La compagnie qui se heurtait à de grandes difficultés financières dans les années 1990, a reçu des subventions de la part du gouvernement canadien et a même obtenu 30 millions de dollars en prêts provenant du Fonds de solidarité FTQ[xviii]. Qualifié dans un article du Globe and Mail d’« aboutissement ultime de la mondialisation », Gildan a plus tard opté pour l’optimisation fiscale en ouvrant une filiale à la Barbade, et a profité d’un accord de rapatriement de fonds entre les deux pays, pour ne plus payer d’impôts sur le revenu au Canada.

« C’est pour ça que la communauté internationale soutient ces dirigeant·e·s corrompu·e·s. Parce qu’elle trouve son compte en ayant accès aux acquisitions aux projets, aux marchés. Avec un secteur démocratique au pouvoir, ces projets ne passeraient pas », explique Roromme Chantal à ce sujet. Mais ce modèle est solide, coriace, et surtout, il contente les principales forces en présence, au désespoir de la population et de la société civile haïtienne, qui ne sont pas dupes. « La communauté internationale, le Canada inclus, n’a pas grand intérêt à ce qu’il y ait de grands procès contre la corruption parce que peut-être que trop de choses se découvriraient », souligne de son côté la militante Vélina Elysée Charlier, qui rappelle que l’argent de la corruption est généralement investi à l’étranger. Elle évoque le cas de Rony Célestin, un sénateur appartenant au PHTK, soupçonné de corruption à la suite de l’acquisition par sa femme, diplomate au consulat d’Haïti à Montréal, d’une villa de 4,25 millions de dollars à Laval, sans hypothèque[xix]. Cette dépense extravagante en période de crise avait suscité un tollé jusqu’en Haïti, où les autorités se sont chargées d’enquêter sur l’affaire, pour finalement blanchir le sénateur. Un verdict qui ne convainc pas Mme Charlier : « L’ULCC (L’Unité de lutte contre la corruption), qui est contrôlé par le PHTK, a sorti un faux rapport que nous sommes en train de dénoncer, avec lequel [Ronny Célestin] a été blanchi. Il y a beaucoup d’autres personnes comme qui sont allées investir l’argent acquis en Haïti au Canada, aux États-Unis, au Brésil, etc. ».

La société civile joue des coudes pour se faire entendre

Peu de place à l’espoir, donc, lorsqu’on constate la profondeur de la crise dans laquelle Haïti se trouve. Pourtant, il semble impossible de décourager une partie de la jeunesse, qui continue de se mobiliser, malgré la répression et l’insécurité. À l’été 2018, c’est cette jeunesse « petrochallenger », rassemblée grâce aux réseaux sociaux, et indignée par le scandale de corruption PetroCaribe, qui a pris la rue, entamant un long et puissant cycle de contestation populaire. De nombreux groupes militants issus pour certains de ce mouvement « petrochallenger » ont animé la protestation, mais également investi la scène politique, en proposant des alternatives au modèle actuel.

Contactée par L’Esprit libre peu avant l’assassinat de Jovenel Moïse, Emmanuela Douyon est membre du collectif Nou Pap Dòmi, mais également économiste et fondatrice du groupe de réflexion Policité, un organisme non gouvernemental « visant à impulser la conception et l’implémentation de politiques publiques de développement efficaces centrées sur les citoyens ». La jeune femme se disait alors très inquiète du projet de référendum et avait assuré qu’elle s’y opposerait « jusqu’au jour du scrutin ». Pour elle, comme pour sa collègue Vélina Elysée Charlier, une transition politique est essentielle, mais impossible à réaliser dans les conditions actuelles. « Il faut un conseil électoral crédible, des juges honnêtes et un climat sécuritaire stable pour éliminer l’implication des gangs de l’organisation des élections », affirme la militante qui nourrit l’espoir de voir Haïti être débarrassé de l’influence des bandes armées, qui rendent impossible le déroulement adéquat d’un quelconque scrutin. « Rien n’a été fait pendant 5 ans pour combattre les gangs, mais on a déjà eu des problèmes de gangstérisation dans le passé et les a résolus. C’est ce qu’il va falloir faire pour éviter que ce soient les gangs qui continuent de faire la loi en période électorale », poursuit-elle.

L’organisme Nou Pap Dòmi fait la promotion d’une « transition 4R », un ensemble d’exigences apportant une alternative au système actuel. « Rupture, Redressement, Réorientation et Rigueur » sont les 4 axes autour desquels s’articule cette transition démocratique. Dans un document de 14 pages présenté le 2 juillet 2019 à la presse, le groupe propose notamment d’adopter une loi créant un tribunal et un parquet mandaté pour juger les responsables impliqué·e·s dans l’affaire PetroCaribe, d’organiser des élections libres et financées exclusivement par des fonds publics. Ce document est le fruit d’une large consultation menée auprès de 6700 personnes en Haïti et à l’international, et vise à « redresser la barque nationale afin de sortir de l’instabilité politique dans laquelle nous nous retrouvons depuis plusieurs décennies », comme l’avait formulé Vélina Elysée Charlier, qui était présente le jour de la présentation du projet.

Le collectif Nou Pap Dòmi est également impliqué dans un comité participant à la « Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise », un regroupement d’organismes de la société civile pour qui « les formules politiques se sont succédé[es], ainsi que les manifestations citoyennes et les mobilisations populaires, sans arriver à déclencher le changement auquel aspirent de larges majorités privées de services et de leurs droits les plus élémentaires »[xx]. La diaspora haïtienne aux États-Unis et au Canada met également la main à la pâte. Le 6 août dernier, une lettre adressée au premier ministre canadien Justin Trudeau faisant « écho à la Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise » est parue dans Le Devoir.  Les signataires, une vingtaine d’organisations, dont de grands syndicats et des organismes de développement international, y invitent M. Trudeau à les rencontrer afin de « partager l’appel de la société civile haïtienne ».

crédit photo : flickr/photo RNW


[i] Caitlin Hu, Matt Rivers, Etant Dupain and Natalie Gallón, CNN« Exclusive: Leaked documents reveal death threats and roadblocks in Haiti assassination investigation », CNN, 27 Juillet 2021, https://edition.cnn.com/2021/07/26/americas/haiti-moise-assassination-investigation-death-threats-intl-latam/index.html

[ii] La Banque mondiale, « La Banque mondiale en Haïti », mis à jour le 26 avril 2021, https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview

[iii]Nations Unies, « Haïti : le nombre d’enfants sévèrement malnutris pourrait doubler cette année, selon l’UNICEF », 31 mai 2021, https://news.un.org/fr/story/2021/05/1097182

[iv] Carine Mayo, « À Haïti, la résistance au bouleversement climatique s’organise », Le Nouvelliste, 16 décembre 2015, https://lenouvelliste.com/public/article/153652/a-haiti-la-resistance-au-bouleversement-climatique-sorganise

[v] Sarah Marsh, “”Descent into hell”: Kidnapping explosion terrorizes Haiti”, Reuters, 26 avril 2021, https://www.reuters.com/world/americas/descent-into-hell-kidnapping-explosion-terrorizes-haiti-2021-04-26/

[vi] Robenson Geffrard, « Qui contrôle les 76 gangs armés répertoriés par la CNDDR sur le territoire… ? », Le Nouvelliste, 2 Novembre 2019, https://lenouvelliste.com/article/208474/qui-controle-les-76-gangs-armes-repertories-par-la-cnddr-sur-le-territoire

[vii] Ciara Nugent, “Why a Venezuelan Oil Program Is Fueling Massive Street Protests in Haiti”, Time, 24 Juin 2019, https://time.com/5609054/haiti-protests-petrocaribe/

[viii] Robenson Geffrard, « Ariel Henry n’a pas renoncé au référendum de Jovenel Moïse », Le Nouvelliste, 30 juillet 2021, https://lenouvelliste.com/article/230673/ariel-henry-na-pas-renonce-au-referendum-de-jovenel-moise

[ix]« Haïti: l’opposition prend ses distances avec le nouveau premier ministre », AFP, 21 Juillet 2021, dans Le Journal de Montréalhttps://www.journaldemontreal.com/2021/07/21/haiti-lopposition-prend-ses-distances-avec-le-nouveau-premier-ministre-1,

[x] Rick Cohen, “Clinton Foundation Charged with Providing Shoddy and Dangerous Emergency Shelters in Haiti”, Non-Profit Quarterly, NonProfit Quarterly, 20 Juillet 2011, https://nonprofitquarterly.org/clinton-foundation-charged-with-providing-shoddy-and-dangerous-emergency-shelters-in-haiti/

[xi] Michel Vastel, « Haïti mise en tutelle par l’ONU ? », L’Actualité, 15 mars 2003, https://lactualite.com/monde/haiti-mise-en-tutelle-par-lonu/

[xii]Dru Jay & Nikolas Barry-Shaw, “New documents detail how Canada helped plan 2004 coup d’état in Haiti ”, The Breach, 15 Juillet 2021, https://breachmedia.ca/new-documents-detail-how-canada-helped-plan-2004-coup-detat-in-haiti/

[xiii]« Aristide porte plainte pour enlèvement », Reuters, 1er Avril 2004, dans Le Devoir, https://www.ledevoir.com/monde/51186/aristide-porte-plainte-pour-enlevement

[xiv]Radio-Canada, Aristide est en Afrique, 1er mars 2004, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/157789/aristide-panama,

[xv] Massacres cautionnés par L’État : règne de l’impunité en Haïti, Harvard Law School International Human Rights Clinic, Observatoire Haïtien des crimes contre l’humanité, Avril 2021,

[xvi] « Des personnalités appellent Trudeau à ne plus soutenir le président haïtien », La Presse Canadienne, 18 Février 2021, dans Radio-Canadahttps://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1771858/justin-trudeau-jovenel-moise-canada-hait

[xvii] Jean-François Nadeau, « Ottawa interpellé pour son rôle dans l’exploitation minière en Haïti », Le Devoir, 8 Janvier 2016, https://www.ledevoir.com/monde/ameriques/459645/aide-internationale-ottawa-interpelle-pour-son-role-dans-l-exploitation-miniere-en-haiti

[xviii] Bruce Livesey, « Gildan workers in Haiti, Honduras complain of harassment, pay too meagre to live on », The Globe and Mail, 27 Novembre 2014, https://www.theglobeandmail.com/report-on-business/rob-magazine/do-you-know-where-your-t-shirt-came-from/article21818609/

[xix]Vincent Larouche, « Pas de signe de corruption, selon les autorités », La Presse, 16 Juillet 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/2021-07-16/villa-lavalloise-d-un-senateur-haitien/pas-de-signe-de-corruption-selon-les-autorites.php

[xx] Robenson Geffrard, « Création d’une nouvelle « Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise », Le Nouvelliste, 11 mai 2021, https://lenouvelliste.com/article/228966/creation-dune-nouvelle-commission-pour-la-recherche-dune-solution-haitienne-a-la-crise

L’impérialisme canadien : par-delà le développement et le multiculturalisme (2/2)

L’impérialisme canadien : par-delà le développement et le multiculturalisme (2/2)

Le présent article suit un premier texte sur l’« impérialisme canadien ». Dans ce deuxième volet, nous aborderons les agissements des multinationales canadiennes qui bénéficient de l’aide du gouvernement sous forme d’interventions militaires ou d’aide au développement, à l’extérieur du pays[i]. Enfin, nous aborderons, en guise de conclusion, l’immigration comme part entière des dynamiques néocoloniales qui participent à la constitution des rapports de pouvoir nord-sud. Nous voudrions ainsi donner lieu à une « critique idéologique » du Canada, au sens que lui donne le philosophe Slavoj Zizek[ii].

L’impérialisme canadien dans le monde

Même si les pays du Nord continuent de vanter la mondialisation et le néolibéralisme comme un bienfait incontestable et un synonyme de liberté et de démocratie, leurs conséquences sur les pays du Sud sont désastreuses. La dette du tiers monde aurait augmenté de 580 milliards en 1980 à 2,4 trillions en 2002[iii]. Selon une autre source, cette dette était de près de 5 trillions en 2012[iv]. Cet argent avait été soi-disant prêté au nom du développement, mais aujourd’hui, la plupart des pays du Sud ne font que payer les intérêts de cette dette, sans espoir de rembourser le reste, et ce, en dépit des ajustements structurels imposés par le FMI, comme si, après la vague des indépendances qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale, les prêts avaient été une manière de recoloniser les pays du Sud. Encore aujourd’hui, par les intérêts payés, la dette est même devenue une source de revenus pour les pays riches plutôt qu’un fardeau, contrairement à ce que certains voudraient entendre. Enfin, ces intérêts ont permis aux pays du Nord de toucher de nombreuses fois les montants prêtés au départ, ce qui fait que l’abolition de la dette ne coûterait au fond rien. C’est sans parler des accords de libre-échange qui contraignent les pays à ouvrir leurs économies désavantagées par rapport à celles des pays du Nord et à vendre des matières premières, seule production exportable, afin d’obtenir les devises étrangères pour le service de la dette[v]. En fait, c’est comme si les pays endettés devaient payer un loyer pour vivre chez eux. L’aide au développement, en comparaison, constitue une fraction de ce qui est payé en intérêts. En effet, en 2004, 370 milliards de dollars US avaient été payés par les pays du Sud pour service la dette et seulement 80 milliards avaient été reçus en aide au développement (généralement sous forme de prêts)[vi]. Nous aborderons ultérieurement comment la plus grande partie de l’aide ne se rend même pas aux populations dans le besoin, mais revient aux pays donateurs grâce aux tentacules de sa bureaucratie, de ses ONG, de ses entreprises, de ses consultants, etc. Beaucoup d’argent a aussi été dépensé pour la sécurité du personnel canadien sur place, grâce à des entreprises de sécurité privée comme Garda. Cette compagnie de sécurité privée, la plus importante au Canada, a fait fortune en Iraq. En 2010, il y avait 1800 membres de son personnel en Iraq et en Afghanistan pour protéger les diplomates, les travailleurs et travailleuses de l’aide et les entreprises[vii]. Au regard des scandales qui ont éclaté autour de l’entreprise de sécurité privée Blackwater, cette petite armée privée, dont les activités ont été entourées d’affaires nébuleuses et qui a bénéficié d’une certaine immunité, reste inquiétante[viii].Garda s’était d’ailleurs attiré des ennuis avec le gouvernement afghan en 2012 pour une histoire de trafic d’armes alors que l’entreprise avait déjà fort mauvaise réputation[ix]. Les activités d’entreprises comme Blackwater et Garda s’intègrent dans ce que Robert Young Pelton appelle la « privatisation de la guerre contre le terrorisme[x] ».

De plus, de manière plus générale, l’absence de barrière pour l’entrée du capital étranger dans les pays du Sud favorise l’accaparement des terres et des ressources naturelles. Les paysan·ne·s se voient ainsi chassé·e·s de leurs terres pour s’ajouter au rang des travailleurs et des travailleuses exploité·e·s dans les bidonvilles grandissants, réduit·e·s à l’esclavage du salariat. Aussi, les mesures d’austérité imposées aux gouvernements par le Fonds monétaire international (FMI) rendent ceux-ci incapables de protéger leurs populations. En fait, les élites des pays du Sud sont très souvent « éduquées » en occident et alliées aux multinationales contre leur propre population. D’ailleurs, les gouvernements qui ne sont pas du côté du Capital finissent très souvent par être délogés par les puissances impérialistes. C’est ce dont rend compte le cas récent du Honduras, où un coup d’État a été orchestré avec le soutien des États-Unis et du Canada, sans parler du cas du Chili de 1973, de celui du Guatemala de 1954, ou encore de l’exemple de l’Iran de 1955. Des tentatives de coup d’État contre le gouvernement vénézuélien ont aussi marqué l’histoire récente[xi].

Comme nous le disions antérieurement, l’impérialisme canadien intervient aussi grâce à son influence au sein des institutions de Bretton Woods et les ajustements structurels ont été soutenus par l’ACDI, le ministère des Finances et le ministère des Affaires étrangères pour faciliter l’expansion de son capital. D’ailleurs, vers la fin des années 1980, le Canada avait été choisi pour mener les ajustements structurels en Guyane[xii]. Ces politiques ont été défendues au nom de la « stabilité macroéconomique » et visaient aussi à « éduquer » les pays du Sud. À cet égard, de 2004 à 2010, l’ACDI avait financé un programme de 1,5 million de dollars en collaboration avec l’Université nationale autonome du Honduras afin de faciliter la mise en œuvre du système d’ajustements structurels[xiii]. Pourrait-on parler d’intellectuel·le·s « subalternes »[xiv] au service de l’impérialisme ? Ces questions sont très importantes et sont aussi liées aux questions de l’impérialisme culturel concernant, entre autres, l’immigration et la formation d’élites transnationales, dont nous traiterons ultérieurement dans ce texte. Quoi qu’il en soit, est-ce vraiment étonnant que le Canada ait soutenu les auteurs du coup d’État du 28 juin 2009 ? C’est à cette occasion qu’on avait « puni » le progressiste Manuel Zelaya pour avoir tenté de réviser à la hausse le salaire minimum, d’établir un moratoire contre les concessions minières et de nationaliser certaines parties du secteur de l’énergie. Zelaya aura aussi payé cher son rapprochement avec le gouvernement d’Hugo Chavez et d’Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América (ALBA)[xv]. Dans les quelques mois qui ont suivi le coup, de nombreux opposants au nouveau régime ont été assassinés, torturés et détenus arbitrairement. Des manifestant·e·s ont été battu·e·s, gazé·e·s et parfois abattu·e·s. Les bureaux des organisations et des médias qui critiquaient le gouvernement ont été contraints de fermer leurs portes. Le Canada n’a jamais dénoncé ces incidents[xvi]. On retrouve une situation similaire au Guatemala, dont le gouvernement d’extrême droite, ayant été mêlé à des crimes génocidaires dans les 1980, reçoit toujours le soutien du Canada. Les années 2000 ont été caractérisées par une reconcentration de la propriété terrienne, la recrudescence des avoirs liés au narcotrafic, la production de cultures d’exportation massive, comme celles de la canne à sucre, de la palme et de la banane. Le pays est plus récemment devenu un lieu de passage incontournable pour les narcotiques, à un tel point que les élites locales nouent des alliances avec les trafiquants comme avec les multinationales. Cela renforce l’idée selon laquelle l’État, en contexte néolibéral, devient le valet du Capital et de son expansion sous toutes ses formes. Les élites locales y ont ainsi trouvé leur compte. Aussi, les activités minières sont en pleine expansion et l’eau a été privatisée. Des infrastructures ont aussi été mises sur pied pour faciliter le transport des marchandises, et ce, au détriment de la population, qui s’enlise dans une pauvreté encore plus totale, en plus de subir une répression violente aux mains de 15 000 policiers et policières et 60 000 membres d’agences de sécurité privée et de « guardias blancas », des paramilitaires[xvii].

Nous aborderons maintenant plus en détail le caractère impérialiste de la politique étrangère canadienne. En fait, pour maintenir l’hégémonie canadienne, Affaires mondiales Canada (et anciennement l’ACDI) a travaillé pour défendre les intérêts de la classe capitaliste, et ce, avec d’autant plus de vigueur après le 11 septembre 2001. Klassen fait aussi état d’une augmentation du budget de l’ACDI peu avant sa dissolution, qui est passé de 2,6 milliards de dollars pour l’exercice 2000-2001 à 4,23 milliards pour l’exercice 2006-2007.[xviii] L’ACDI, créé en 1968, a toutefois fusionné avec le ministère des Affaires étrangères, sous le gouvernement Harper, en 2013. Quoi qu’il en soit, cette hausse de budget aurait permis d’étendre ses opérations en Haïti et en Afghanistan, deux pays caractérisés par des interventions militaires canadiennes. Il existe donc un lien étroit entre les interventions militaires du Canada et ses projets de « développement ».  En effet, depuis le 11 septembre, l’aide au développement a été de plus en plus associée à des objectifs militaires et géopolitiques. De plus, cette aide est aussi utilisée à des fins de « soft power » là où sévissent les minières et les pratiques extractivistes « nationalistes ». Les mêmes objectifs sont aussi atteints par des ententes de nature commerciale.  Depuis 2007, le Canada a signé des accords de protection des investissements étrangers avec le Bahreïn, la Chine, l’Inde, la Jordanie, le Kuwait, la Lettonie, Madagascar, le Mali, le Pérou, la Roumanie, le Sénégal et la Tanzanie ainsi que des accords de libre-échange avec la Colombie, le Honduras, la Jordanie, le Panama, le Pérou et l’Union européenne, accentuant ainsi la dérégulation du capital. De manière plus inquiétante, le Canada a aussi cherché à accroître ses ventes d’armes[xix]. Il va sans dire que les dépenses militaires ont également augmenté et devraient atteindre 30 milliards de dollars pour l’exercice 2027-2028, alors qu’elles n’atteignaient que 12,8 milliards en 2005 [xx]. Le Canada a par ailleurs également soutenu les interventions militaires en Haïti (en 2004 et en 2010), en Afghanistan (en 2001), en Serbie (1999), en Somalie (1994), en Iraq (en 1991 et en 2003) et en Libye (2011). Cela indique une militarisation croissante des interventions du Canada. L’armée a ainsi gagné plus d’autonomie et l’idéologie militariste, qui doit beaucoup au gouvernement Harper, s’est de plus en plus infiltrée dans la société canadienne, et ce, bien sûr, au service du Capital[xxi]. Klassen précise qu’il ne s’agit ni de la stratégie d’un gouvernement de passage au pouvoir ni le résultat de pression des États-Unis ; ce sont les intérêts une bourgeoisie tout à fait canadienne qui ont été défendus. Klassen décrit plus longuement les exemples de l’Afghanistan et d’Haïti.

L’impérialisme canadien en Afghanistan

À l’occasion de la guerre en Afghanistan, même si les objectifs mis de l’avant par le discours officiel laissaient entendre que l’intervention militaire de l’OTAN avait pour but d’amener la démocratie et de libérer les femmes, déclaration dont Francis Dupuis-Déri critique d’ailleurs le caractère phallocratique dans L’Éthique du vampire[xxii]l’occupation du pays d’Asie centrale avait véritablement pour objectif la défense des intérêts des multinationales canadiennes et de leur transnationalisation. La coalition menée par les États-Unis s’était alliée sur le terrain à l’Alliance du Nord, avec à sa tête le seigneur de guerre Abdur Rachid Dostum, pourtant coupable de crimes graves[xxiii]. L’invasion elle-même a duré deux mois et a réussi à faire fuir le gouvernement taliban dans les régions tribales du Pakistan voisin. Durant les opérations, de nombreux civils ont perdu la vie et les conséquences ont été désastreuses pour l’ensemble de la population du pays.[xxiv] Les États-Unis, le Canada et le reste des pays de l’OTAN ont par la suite œuvré à l’installation du gouvernement d’Hamid Karzai, constitué de quelques seigneurs de guerres dont les milices avaient combattu les talibans. Les intérêts et les structures de commandements des membres du nouveau gouvernement ont par la suite été incorporés dans l’armée et la police. La mise sur pied de ces deux forces de l’ordre avec l’aide des pays de l’occupation a donc reproduit dans ses structures les tensions sectaires et ethniques qui minaient depuis des décennies la stabilité du fragile État afghan dans le nouveau système politique. Pour ce qui est du modèle de développement imposé, il s’agissait d’un néolibéralisme pur et dur, et donc, de la privatisation des services gouvernementaux et de la dérégulation du marché. Comme nous le disions, le secteur de la sécurité a été pris d’assaut par les entreprises étrangères, ce qui n’est pas mince, la question de la privatisation de la guerre en Afghanistan représentant un exemple extrême de la dérégulation néolibérale et de privatisation des services, mais aussi le secteur de l’énergie et de la construction[xxv]. Les pays donateurs contrôlaient aussi la manière dont l’argent était utilisé et les fonds revenait en majorité dans les pays du Nord par la voie des ONG étrangères, des salaires des consultant·e·s, des services de sécurité ou par les profits des multinationales qui accaparaient le marché afghan[xxvi]. Il ne faut pas oublier tous les incidents de torture aux mains des forces de l’occupation qui ont été rapportés par diverses organisations.[xxvii] Aussi, le Canada a été très impliqué dans la construction de l’État fantoche afghan. Le gouvernement fédéral aurait même écrit certains discours du président ! Il a aussi travaillé en collaboration avec des personnalités politiques peu recommandables et des chefs de milices coupables de trafic de drogues et de torture, dont Gul Agha Sherzai (à qui le Canada avait octroyé des contrats de « sécurité »), Asadullah Khalid, Rahmatullah Raufi, Tooryalai Wesa, Abdul Raziq et Ahmed Wali Karzai, frère du président, trafiquant de drogues notoire qui travaillait pour la CIA. Qui plus est, les projets d’infrastructures de l’ACDI ont été menés de manière à encourager la corruption, à coups de pots de vin et d’alliances avec des brigands. Par exemple, les 50 millions de dollars dépensés auprès de SNC-Lavalin pour reconstruire le barrage Dahla et le système d’irrigation n’ont servi à rien : la structure résultant des travaux bâclés ne peut absolument rien irriguer. L’entreprise semble avoir profité de l’opportunité de capturer des fonds publics sans se soucier de satisfaire aux besoins d’une population qui avait peu de moyens de résister puisque l’armée se portait avant tout à la défense du capital étranger. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Cette expérience de développement manqué démontre un manque de considération pour la population locale ainsi qu’un manque de recherche pour réellement comprendre les dynamiques de la société afghane. Le fait qu’on donne aussi facilement à des brigands et à des tyrans locaux, vraisemblablement parce qu’ils semblent les plus à même de contrôler un territoire donné et sa population, démontre aussi qu’on ne se préoccupe que très peu d’aider les afghan·e·s. À cet égard, nous avions abordé une question pertinente dans notre article sur le conflit en République centrafricaine. En effet, le professeur Modeste Mbatalla soulignait comment il était difficile pour les chercheurs et chercheuses de recevoir du financement pour aller étudier sur place les conflits, ce qui serait pourtant profitable, même pour les impérialistes[xxviii]. Malheureusement, il semble qu’on préfère injecter de grosses sommes d’argent des contribuables sur des interventions musclées et des quasi-dons à des entreprises qui exécutent des travaux exécrables. Serait-ce un autre moyen pour l’État de servir les multinationales ? Cependant, fait intéressant, en Afghanistan, les entreprises canadiennes ont bel et bien commencé à exploiter les réserves minières du pays, et ce, sans trop de problèmes « techniques », semble-t-il[xxix]. Enfin, selon les sources citées par Klassen, les soldat·e·s canadien·ne·s auraient eu un comportement ouvertement raciste. Les afghan·e·s, de leur côté sont devenu·e·s de plus en plus hostiles aux Canadien·ne·s, surtout depuis qu’ont eu lieu les nombreux décès « accidentels » de civils[xxx]. En effet, les forces de l’occupation de l’OTAN et les soldat·e·s canadien·ne·s se sont rendu·e·s coupables de meurtres, souvent involontaires, quelques fois peut-être pas. Le 14 mars 2006, des soldat·e·s canadien·ne·s ont tué le chauffeur de taxi Nasrat Ghali[xxxi]. Le 22 août de la même année, c’est un garçon de dix ans qu’ils ont assassiné sur une motocyclette[xxxii] et, quelques mois plus tard, un homme de 90 ans[xxxiii]. En 2008, ils ont tué une fille de 4 ans et son petit frère de deux ans[xxxiv], trois enfants encore en février 2009[xxxv] et une autre jeune fille la même année[xxxvi]. Ce ne sont là que quelques exemples cités dans les médias[xxxvii]. Il y a fort à parier que beaucoup d’incidents beaucoup plus graves ont pu être dissimulés par les forces impérialistes en Afghanistan, pays évidemment difficile d’accès pour les journalistes. Il faut en conclure qu’il est fort probable que la majorité des crimes n’ont pas été documentés.

L’impérialisme canadien en Haïti

L’autre cas abordé par monsieur Klassen est celui d’Haïti. En 2004, le gouvernement démocratique de Jean-Bertrand Aristide, un prêtre progressiste, proche de la théologie de la libération et élu démocratiquement, a été renversé avec la complicité des États-Unis, de la France et du Canada, pour être remplacé par Gérard Latortue, un homme d’affaires vivant en Floride. L’arrivée au pouvoir de ce dernier a donné lieu à une forte répression des couches pauvres de la population et même à l’assassinat de nombre de ses opposants, entre autres crimes contre l’humanité. C’était la deuxième fois qu’on contraignait Aristide à quitter le pouvoir. En effet, ses politiques en faveur des plus démuni·e·s avaient déjà mené à sa déposition en 1991 et le gouvernement qui l’avait remplacé avait été responsable d’exactions, dont, entre 1991 et 1994, la mort d’au moins 5000 personnes, dont plusieurs ont perdu la vie aux mains du Front révolutionnaire armé pour le progrès d’Haïti, un escadron de la mort soutenu par la CIA. Aristide a été réélu en 1994 et a tenté de tenir tête aux États-Unis ; il avait alors refusé de céder aux ajustements structurels exigés, sans trop de succès. Malheureusement, la population haïtienne avait continué de servir de main-d’œuvre bon marché. Quelque 16 ans plus tard, en 2010, après que l’île ait été frappée par un tremblement de terre, l’aide a été promise au pays en grande quantité. Cela dit, le véritable objectif de cette « aide » s’est avéré être de faciliter l’entrée massive de capitaux étrangers. Ainsi, Haïti est presque entièrement passé sous le contrôle des États-Unis et du Canada. Tous les aéroports et tous les ports ont été pris en charge par l’armée étatsunienne. Par contre, en ce qui concerne l’aide promise, des 5,3 milliards de dollars qui avaient été promis, seulement 1,28 milliard arriva en Haïti et selon ce qui est rapporté dans le livre de Klassen, à peu près rien n’a été réellement dépensé pour la reconstruction[xxxviii]. Presque tout l’argent a été octroyé pour des contrats avec des entreprises étatsuniennes et les autres donateurs ont presque tous donné à leurs propres ONG. Klassen explique la situation en rapportant les propos de Justin Podur : 

« Le tremblement de terre a consolidé ce que le chercheur canadien Justin Podur (2012) appelle la “nouvelle dictature” en Haïti : des structures de domination et d’exploitation qui assurent la subordination du pouvoir aux intérêts économiques et politiques des élites nationales et étrangères. Au sein de ces structures, il n’y a que très peu d’espace pour un pouvoir populaire. Les soldat[·e·]s étrangers[·ères] imposent leur ordre grâce à des agences de sécurité locales. Des ONG internationales assurent les services essentiels pour la survie [de la misère]. Les élections sont corrompues par la répression politique et les transnationales mènent leurs activités sans aucune restriction[xxxix]. »

En ce qui concerne cette « nouvelle dictature », Klassen affirme que le Canada n’était ni servile des intérêts étatsuniens ni totalement dévoué à la « cause » humanitaire. Selon lui, le Canada aurait suivi son propre programme politique, minant d’abord le gouvernement Aristide dans le début des années 2000 et participant par la suite à la déstabilisation orchestrée par l’Oncle Sam, en finançant des ONG qui ont éventuellement soutenu le coup d’État[xl]. Enfin, le Canada aurait aussi participé à la planification logistique du coup d’État[xli]. Ce sont même des commandos canadiens qui auraient assuré la sécurité de l’aéroport pour la séquestration d’Aristide et près de 500 soldat·e·s ont été envoyé·e·s au lendemain du coup[xlii]. Par la suite, le Canada a aidé, en collaboration avec l’agent de la GRC Davis Beer, à la tête de la police civile de l’ONU, en y intégrant les forces paramilitaires putschistes. L’ACDI aurait consacré des dizaines de millions de dollars à ce projet. Gilden Activewear, une entreprise de Montréal, est l’une des nombreuses entreprises canadiennes qui ont pu profiter de la situation pour exploiter la main-d’œuvre bon marché d’Haïti. Le Canada aurait également voulu que ses entreprises contrôlent les secteurs de l’électricité, de l’agriculture, des technologies de l’information, des technologies médicales, du transport et même du tourisme[xliii]. Le même scénario s’est essentiellement répété après le tremblement de terre de 2010 sous la forme de ce que Naomi Klein a appelé le « capitalisme du désastre[xliv] ».

En Colombie, les activités des minières canadiennes ont été associées avec la violence aux mains des paramilitaires, qui seraient responsables, au regard des statistiques fournies dans l’ouvrage de Gordon, de beaucoup plus d’incidents de violence que les guérillas, FARC et ELN combinées. Ces paramilitaires sont intiment liés à l’armée colombienne et ont été impliqués dans l’assassinat de milliers de syndicalistes et de militant·e·s des mouvements sociaux. Dans les années 1980, ces forces officieuses avaient commis un génocide politique contre l’union patriotique, un parti progressiste fondé par les FARC qui cherchait à intégrer la politique parlementaire[xlv]. Cela n’a rien d’exceptionnel, car le système électoral colombien, tout au long de l’histoire de la nation turbulente, a été perturbé par des menaces de mort, des assassinats, de la fraude, des achats de votes, du financement illégal et ainsi de suite. En comparaison, le gouvernement vénézuélien de Chavez, critiqué par les puissances impérialistes comme dictatorial, avait des pratiques plus transparentes, en plus d’avoir été réélu 13 fois en 14 ans[xlvi]. Pourtant, c’est la Colombie que Harper avait encensée en 2007, la décrivant comme un « allié » dans la région[xlvii]. Ce n’est par hasard que le Canada a affiché hostilité et méfiance envers le gouvernement de Chavez, surveillant les activités d’aide au développement de ce dernier dans les Caraïbes et en Amérique latine, cette dernière minant l’emprise du Canada sur certaines économies de la région, dont Haïti. Les médias canadiens ont aussi participé à donner une image déformée de la gauche latino-américaine et de Hugo Chavez, le décrivant avant tout comme un dangereux dictateur[xlviii].

Conclusion : immigration et dynamiques impérialistes

Dans la précédente section et la première partie de cet article, nous avons tenté de synthétiser certaines idées importantes des écrits de Jerome Klassen et de Todd Gordon sur l’idée d’impérialisme canadien. Nous avons tenté de le faire, comme nous le disions dans notre introduction, en adoptant l’approche de Slavoj Zizek en ce qui concerne l’idéologie comme « fantasme inconscient qui structure la réalité sociale[xlix] ». Nous avons fait cette synthèse en deux parties, la première sur la formation de l’impérialisme canadien et la deuxième, sur ses agissements à l’étranger. Enfin, pour conclure, nous voudrions aborder brièvement l’immigration, qui revêt aussi beaucoup d’importance, du point de vue de l’idéologie. En effet, ceux et celles qui immigrent doivent avoir un fantasme assez précis pour venir de leur plein gré se faire coloniser au Canada. Un tel fantasme pourrait rejoindre ce « complexe d’infériorité » du colonisé dont parlait Frantz Fanon[l] et le rêve ou, devrions-nous dire, le fantasme américain.

 À cet égard, Todd Gordon décrit tout de même brièvement dans son livre le rôle joué par l’immigration dans les dynamiques impérialistes qui caractérisent le Canada. Il souligne que, même si la main-d’œuvre immigrante est de plus en plus importante et cruciale pour certains secteurs de l’économie, surtout dans les grandes villes, il est de plus en plus difficile pour ces travailleurs et travailleuses et leur famille d’obtenir un statut permanent au Canada. Cela est sans compter les immigrants illégaux, qui n’ont aucun droit, ou les travailleurs et travailleuses temporaires, surtout dans le secteur agricole. Dans le cas de cette dernière catégorie, même si ces hommes et ces femmes ont légalement été amené·e·s à travailler au Canada, il leur est impossible de devenir citoyen·ne·s, de se syndiquer ou d’avoir accès aux services sociaux. Il va sans dire que les travailleurs et travailleuses de couleur gagnent en moyenne moins que les travailleurs et travailleuses de couleur blanche[li]. Ces exploité·e·s viennent s’ajouter aux Autochtones comme main d’œuvre moins fortunée et exploitée. Toutefois, à la différence des Autochtones, il leur est possible au cours des différentes étapes de sélection de recevoir une certaine éducation idéologique. Les immigrant·e·s sont donc initié·e·s au « fantasme inconscient qui structure la réalité sociale » du Canada qu’ils apprennent aussi à entretenir avec des rituels, comme le fait de chanter l’hymne national canadien[lii] lors de leur assermentation, ce que peu d’Autochtones ou de Québécois accepteraient de faire. Qui plus est, dans des villes où la population immigrante est importante, entre autres, à Toronto, on fait chanter l’hymne national tous les jours dans les écoles primaires. Todd Gordon ne manque pas non plus de souligner un certain racisme qui est inhérent au Canada comme entité idéologique. Les exigences de plus en plus strictes font en sorte que ceux et celles qui réussissent à immigrer au Canada sont souvent des gens fortunés dans leur pays et très éduqués. On pourrait avancer que cela contribue à l’exode des cerveaux, qui deviendrait presque une ressource pompée au même titre que les matières premières. Cependant, paradoxalement, il est très difficile pour ces gens de voir leurs études reconnues et ils sont contraint·e·s d’occuper le rôle qu’on leur destine souvent, celui de main-d’œuvre bon marché. En plus d’avoir reçu une éducation idéologique au cours des procédures d’immigration, elles et ils sont maintenant intimidé·e·s avec toutes sortes de mesures de sécurité mises en place au nom de la « guerre au terrorisme », mais qui se situent dans la continuité d’un économisme des plus tyranniques. Si quelques un·e·s parviennent à accéder aux cercles privilégiés, celles et ceux qui y arrivent se trouvent le plus souvent au service de l’hégémonie, contribuent à la transnationalisation de la classe capitaliste et servent comme « informateurs autochtones »[liii] dans la production du savoir au service du Capital.

Dans un article paru dans le numéro de Relations mars-avril 2018, Slavoj Zizek décrit les dynamiques qui régissent les relations entre la mondialisation et l’extrême droite. Pour lui, en France, l’élection de Macron est survenue en réponse à la dédiabolisation de l’extrême droite en France, avec un retour en scène du Front national de Marine Le Pen. Selon Zizek, Macron aurait alors eu la tâche de rediaboliser la droite. À ce sujet, il affirme :

 Mais cette (re) diabolisation a aussi pour fonction d’empêcher de se questionner sur les origines de ce mal : la montée de Le Pen comme réaction aux forces politiques dont Macron est l’incarnation par excellence. En fait, c’est là la fonction première de cette diabolisation : brouiller les pistes afin que ce sentiment de culpabilité face à la montée de la xénophobie et du racisme trouve sa source dans un acteur situé à l’extérieur de notre espace démocratique. […] Historiquement, la tâche de la gauche était justement de poser ce genre de question. Il n’est pas étonnant, donc, que la gauche radicale finisse elle aussi par disparaître de l’arène politique avec l’ennemi qu’elle diabolise.[liv]  

Nous pourrions entrevoir la même dynamique au Canada avec les tentatives de Justin Trudeau de diaboliser la droite nationaliste québécoise. La situation n’est pas exactement la même qu’en France, car les partis plus à droite (PLQ, PQ, CAQ, pour nommer les principaux) semblent tous jouer avec des idées qui appartiennent généralement avec l’extrême droite en élaborant des projets de loi qui sous-tendent la xénophobie sans pour autant ouvertement la laisser paraître. Ils le font probablement pour mobiliser les membres et les sympathisant·e·s des mouvements de droite qui semblent avoir une influence grandissante sur le terrain. Nous n’affirmons pas que ces partis sont tous trois d’extrême droite, bien qu’ils nous apparaissent tous trois conservateurs à leur manière. Cependant, les débats en ce qui a trait l’immigration, par exemple, laissent entrevoir des positions qui ne sont pas toujours aussi progressistes et « accueillantes » qu’on voudrait l’entendre. En fait, nous dirions qu’il existe un fascisme latent dans l’idéologie de ces partis. Quoi qu’il en soit, sur la scène fédérale, le PLC tente de rediaboliser cette xénophobie, ce qui n’est pas mal en soi, si ce n’est qu’il le fait pour défendre le système capitaliste international. En fait, alors que l’extrême droite tente de ramener une hiérarchisation des races, les régimes « de centre » tendent plutôt à remplacer la hiérarchie des races par celle des cultures. Aimé Césaire avait déjà souligné comment il trouvait surprenant au lendemain de l’holocauste à quel point les Européen·ne·s se montraient indigné·e·s de voir en Europe ce qu’eux-mêmes faisaient subir aux habitant·e·s de leurs colonies[lv]. Enfin, à la suite des indépendances de la plupart des colonies après la Seconde guerre mondiale, il semble que la hiérarchie des cultures ait pris le dessus dans le système néolibéral, que ce soit sous la forme d’une laïcité hégémonique comme en France ou au Québec (ledit « interculturalisme »), ou le multiculturalisme dans les pays anglo-saxons. Enfin, lors de notre entrevue avec le politologue Thomas Collombat, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec en Outaouais, nous avons discuté de la question. Selon lui, la différence entre l’interculturalisme et le multiculturalisme n’est pas très importante. Dans les deux cas, il y aurait une vision du monde inspirée par Samuel Huntington et son « choc des civilisations [lvi]». Pour nous, les débats qui tentent de contester la possibilité d’appliquer la laïcité à la française au Québec sont utiles. La laïcité fait partie de l’idéologie colonialiste de la France qui lui confère sa fantasmatique supériorité sur le reste du monde. Par conséquent, toute différence tolérée revient à une diversité définie par le haut. Cet état des choses accentue l’apartheid du savoir. Les revendications des communautés LGBQI n’ont rien d’extraordinaire en ce sens qu’elles s’appliquent à toute la question de l’identité au sens large, d’où la nécessité de défendre le caractère « fluide » de cette dernière et non essentialiste. La hiérarchisation ambiante qui règne dans les pays du nord à un niveau idéologique plus ou moins conscient constitue donc une forme de brutalité, accentuée, entre autres, par le discours contre le terrorisme. Enfin, les mesures entreprises ressemblent très souvent, et dangereusement à du terrorisme d’État, concept dont il est de notre devoir d’élargir la définition, comme Gordon et Klassen ont voulu élargir la définition du colonialisme et de l’impérialisme.

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CRÉDIT PHOTO: Flickr

[i] Gilbert Rist. Le développement :Histoire d’une croyance occidentale. Presses de sciences Po (P.F.N.S.P.), Paris, 2007.

[ii] George I. García et Carlos Guillermo Aguilar Sánchez, « Psychoanalysis and politics: the theory of ideology in Slavoj Žižek ». International Journal of Zizek Studies 2, no 3 2008.

[iii] Todd Gordon, Imperialist Canada, ARP Books, Toronto, 2010, p.41

[iv] Pierre Gottiniaux, Daniel Munevar, Antonio Sanabria et Éric Toussaint. « Les chiffres de la dette ». CADTM, 2015. http://www.cadtm.org/IMG/pdf/version01-FR.pdf.

[v] Samir Amin. Le développement inégal. Éditions de minuit, 1973.

[vi] Op. cit., note 3, p. 42

[vii] Op. cit., note 3, p. 315

[viii] Spencer S. Hsu et Victoria St. Martin, « Four Blackwater guards sentenced in Iraq shootings of 31 unarmed civilians», The Washington Post, 13 avril 2015, https://www.washingtonpost.com/local/crime/four-blackwater-guards-senten….

[ix] Graham Bowley, « Afghanistan Closes Firm Providing Security », 5 janvier 2012, https://www.nytimes.com/2012/01/06/world/asia/afghanistan-shuts-down-gar….

[x] Robert Young Pelton, Licensed to Kill: Hired Guns in the War on Terror, Broadway Books, New York, 2007.

[xi] Alexandre Dubé-Belzile, « Le visage en décomposition de la révolution bolivarienne : le Venezuela en crise », 2017, http://revuelespritlibre.org/le-visage-en-decomposition-de-la-revolution….

[xii] Op. cit., note 3, p. 142

[xiii] Op. cit., note 3, p. 144

[xiv] Gayatri Chakravorty Spivak, Can the subaltern speak? Macmillian Education, Bangalore, 1988. http://abahlali.org/files/Can_the_subaltern_speak.pdf.

[xv] Op. cit., note 3, p. 376

[xvi] Op. cit., note 3, p. 378

[xvii] Todd Gordon et Jeffery R. Webber, Blood of Extraction: Canadian Imperialism in Latin America, Fernwood Publishing, Toronto, 2016, p. 108

[xviii] CIDA, « Statistical Report on International Assistance: Fiscal Year 2006–2007», Ottawa, 2009.

[xix] Carl Meyer,« CCC sees “untapped” market for Canadian arms.”» Embassy, 2011, http://www.embassynews.ca/ news 12011106/151 ccc-sees-untapped-market-for-canadian-armsi 40395? absolute=1.

[xx] Steven Staples, « Canada Is Overspending on Defence», Embassy, 16 novembre 2011.

[xxi] Jerome Klassen. Joining Empire: The Political Economy of the New Canadian Foreign Policy, University of Toronto Press, Toronto, 2014, pp. 218-219

[xxii] Francis Dupuis-Déri, L’éthique du vampire, Lux Éditeur, Montréal, 2007.

[xxiii] Patricia Gossman, « Dispatches: Barring Afghan War Crimes Suspects from the US», Human Rights Watch, 26 avril 2016. https://www.hrw.org/news/2016/04/26/dispatches-barring-afghan-war-crimes….

[xxiv] Op. cit., note 21, pp. 141-143

[xxv] Op. cit., note 21, p. 230

[xxvi] Mark Waldman, Falling Short: Aid Effectiveness in Afghanistan. Kabul: Agency Coordinating Body for Afghan Relief, 2008.

[xxvii] Ahmed Rashid, Descent into Chaos: The United States and the Failure of Nation Building in Pakistan, Afghanistan, and Central Asia, Penguin, London, 2008.

[xxviii] Alexandre Dubé-Belzile, « Un État qui n’a jamais existé : la France et le conflit centrafricain », L’Esprit Libre, 20 octobre 2017, http://revuelespritlibre.org/un-etat-qui-na-jamais-existe-la-france-et-l….

[xxix] Op. cit., note 21, p. 230

[xxx] Op. cit., note 21, p.232-233

[xxxi] CBC (Canadian Broadcasting Corporation), « Canadian soldiers fatally shoot taxi driver », 15 mars 2006.

[xxxii] Graeme Smith, « Calm prevails in Kandahar one day after Canadian soldier killed boy at roadblock », Globe and Mail, 24 août 2006.

[xxxiii] CTV, « Afghan accidentally killed by Canadian troops », CTV.ca, 13 décembre 2006.

[xxxiv] CBC, « Canadian troops kill 2 children after car nears convoy », CBC News, 28 juillet 2008.

[xxxv] Murray Brewster, « 3rd child in Afghan blast dies », Canadian Press, 24 février 2009.

[xxxvi] CBC, « Afghan girl’s death by stray Canadian bullet angers family », CBC News, 24 juillet 2009.

[xxxvii] Op. cit., note 21

[xxxviii] Justin Podur, Haiti’s New Dictatorship: The Coup, the Earthquake and the UN Occupation, Pluto Press, London, 2012, p. 140.

[xxxix] Op. cit., note 18, p. 242

[xl] Nikolas Barry-Shaw et Dru Oja Jay, Paved with Good Intentions: Canada’s Development NGOs from Idealism ta Imperialism, Fernwood Publishing, Halifax, NS, 2012.

[xli] Op. cit., note 21, p. 243

[xlii] CBC, « Joint Task Force 2: Canada’s Elite Fighters », CBC News, septembre 2010.

Op. cit., note 21, p. 244

[xliii] Yves Engler et Anthony Fenton, Canada in Haiti: Waging War on the Poor Majority, Fernwood Publishing, Halifax, NS, 2005.

CIDA, Canadian Cooperation with Haiti: Reflecting on a Decade of « Difficult Partnership», Ottawa, 2004.

Op. cit., note 21, pp. 245-246

[xliv] Naomi Klein, The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism,New York: Picador, 2007.

Op. cit., note 21, p. 247

[xlv] Op. cit., note 21, p206-209

Alexandre Dubé-Belzile, « Quelle paix ? Le fossé infranchissable entre la politique colombienne et les inégalités sociales », janvier 2017, http://revuelespritlibre.org/quelle-paix-le-fosse-infranchissable-entre-….

[xlvi] Op. cit., note 17, p. 250

[xlvii] Op. cit., note 2, pp. 370-371

[xlviii] Op. cit., note 17, p. 247

[xlix] George I. García et Carlos Guillermo Aguilar Sánchez, « Psychoanalysis and politics: the theory of ideology in Slavoj Žižek ». International Journal of Zizek Studies 2, no 3 2008.

[l] Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, 1952.

[li] Op. cit., note 3, p.51

[lii] Nous avons été étonné en prenant connaissance de fait lors d’entretiens avec les membres des communautés immigrantes.

[liii] Hamid Dabashi, « Scholarship and the imperial native informers », 2018, https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/scholarship-imperial-native-in….

[liv] Slavoj Žižek. « Bienvenue en des temps intéressants ! » Relations, no 795, 2018.

[lv] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Présence africaine, Paris, 1955.

[lvi] Samuel P. Huntington, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, Simon & Schuster, New York, 1996.

L’impérialisme canadien : par-delà le développement et le multiculturalisme (1/2)

L’impérialisme canadien : par-delà le développement et le multiculturalisme (1/2)

Le présent article s’intéresse au concept d’« impérialisme canadien ». Nous n’aborderons pas les subtilités de son système parlementaire, mais plutôt ses fondements ontologiques, et ce, au regard des faits sociohistoriques qui ont jalonné sa cristallisation. Plus particulièrement, nous nous intéresserons aux corrélations entre le système politique canadien, le développement international comme mécanisme de contrôle des pays du Sud et l’immigration comme partie intégrante de ses dynamiques néocoloniales et de la constitution des rapports de pouvoir Nord-Sud. Notre article comporte deux parties. Dans ce premier texte, nous traiterons principalement du premier point. Les deux autres seront traités dans la deuxième partie. Ce faisant, nous voudrions donner lieu à une « critique idéologique » du Canada, au sens que lui donne le philosophe Slavoj Zizek[1]. Nous avons également discuté de la question avec le politologue Todd Gordon. Dans cette première partie, nous décrirons surtout ce qui définit cet impérialisme.

« L’idéologie n’est pas constituée de propositions abstraites en elles-mêmes. L’idéologie est plutôt la texture même du monde dans lequel nous vivons et qui “schématise” ces propositions, les rendant “vivables”. […] Lorsque nous voyons des scènes d’enfants affamés en Afrique, avec un appel à l’aide, le message idéologique sous-jacent serait quelque chose comme : “Ne pensez pas. Ne politisez pas. Oubliez les véritables causes de la pauvreté. Ne faites qu’agir. Donnez de l’argent pour ne pas avoir à penser !”[2] »

Le philosophe slovène Slavoj Zizek, qui s’inspire à la fois de Karl Marx et de Jacques Lacan, décrit l’idéologie comme un « fantasme inconscient qui structure la réalité sociale[3] ». En adoptant cette définition, le nationalisme pourrait être décrit comme essentiellement idéologique et donc, nous pourrions aussi affirmer que le Canada tel que nous le connaissons aujourd’hui, comme résultat d’une construction de discours sociohistoriques et politiques, ne serait rien d’autre que de la substance idéologique agglutinée et enfin, par conséquent, un tissu de fantasmes inconscients qui structurent notre propre réalité sociale et rendent les contradictions du Capital soutenables. Cette substance se matérialiserait par des discours et des rituels militaires, bureaucratiques, politiques et économiques qui servent à perpétuer et à régénérer ce tissu de fantasmes. Cette substance idéologique serait aussi en tension avec d’autres substances idéologiques, dont celle du nationalisme québécois. Quoi qu’il en soit, Slavoj Zizek avance que la « critique idéologique » serait le moyen de combattre l’idéologie[4], c’est-à-dire la production de contre-discours aux idées diffusées, entre autres, dans les médias hégémoniques et monolithiques. Enfin, ce texte se veut en quelque sorte une critique idéologique du Canada et un effort de conscientisation aux réalités de l’impérialisme canadien. Dans un article antérieur, nous avons abordé la question par rapport à la situation québécoise[5]. Cette fois, nous voudrions l’analyser davantage dans le contexte du système politique international, ou, selon l’expression du sociologue Immanuel Wallerstein, au sein du « système-monde[6] ».

En dépit des tensions récentes avec les États-Unis dont les nouvelles assorties d’images du grognard président étatsunien ont fait le tour du monde[7], il est important de rappeler que, de manière encore plus claire depuis les années 1990, le Canada a été et reste un défenseur de l’idéologie néolibérale. Cela ne veut pas dire que ce n’était pas le cas auparavant. En effet, le gouvernement de Brian Mulroney avait entamé ce virage néolibéral dans les années 1980. On pourrait même dire que les années 1970 avaient préparé ce virage, alors que la social-démocratie qui avait été mise en œuvre dans les années 1960 s’affaiblissait déjà à coups de crise et que les États-Unis abandonnaient l’étalon or, alors garant de stabilité des monnaies après la Seconde guerre mondiale.  Le 17 décembre 1992, le gouvernement fédéral signait l’ALÉNA, un traité qui visait, selon Jerome Klassen, politologue et chercheur au MIT Center for International Studies, à garantir aux multinationales le moins d’interférence possible de la part des États dans leurs affaires commerciales[8]. Le traité a ensuite été ratifié en 1993 et est entré en vigueur en 1994. Dans un même élan, l’État canadien s’était aussi lancé dans la privatisation de ses avoirs, dans la libéralisation des investissements et dans la dérégulation des marchés, mettant fin de façon définitive à la social-démocratie de la Guerre froide, après que la menace communiste se soit effondrée. À cet égard, Slavoj Zizek affirme d’ailleurs que la chute du mur de Berlin avait permis la « suprématie du statu quo », celle du néolibéralisme[9]. Quoi qu’il en soit, les interventions militaires canadiennes demeuraient plutôt rares. Cela est resté vrai jusqu’au 11 septembre 2001. Après cet évènement, le Canada a aligné ses priorités avec celles des États-Unis pour prendre part à la « guerre contre le terrorisme », et ce, même s’il ne s’est pas engagé en Iraq. Enfin, l’engagement dans ce conflit purement idéologique n’était que le masque de volontés hégémoniques de nature d’abord et avant tout économique. Nous entendons par là que la « croisade contre le terrorisme » est, suivant la conception de l’idéologie de Zizek, un fantasme dans lequel le Canada se projette comme une nation salvatrice et exemplaire qui s’engage à éradiquer le mal. C’est ce fantasme qui rend tolérables les contradictions du Capital que nous avons auparavant mentionnées, en tentant de donner un « sens », en apparence, à des interventions militaires aux visées clairement impérialistes. Quoi qu’il en soit, pour satisfaire à la soif du Capital, des soldats canadiens ont été envoyés en Afghanistan et en Haïti. Aussi, malgré l’absence d’implications directes dans l’occupation, le Canada s’est réservé une part du gâteau dans le pillage de l’Iraq après l’occupation[10]. Encore une fois, au détriment de l’ensemble de la population du Canada et du reste du monde, une minorité a su s’enrichir, en se servant de la plateforme étatique, des attentats du 11 septembre, comme si l’ablation du symbole phallique de puissance économique que constituait le World Trade Center avait été un mal nécessaire pour exciter le Léviathan du Capital. À cet égard, Noam Chomsky et Jean Baudrillard ont tous deux resitué cet évènement dans un contexte plus large. Le premier décrivait comment l’ampleur de cette « tragédie » est relativement restreinte en comparaison des conséquences des interventions des États-Unis à l’étranger[11]. Le deuxième affirmait que cet évènement représentait ce que beaucoup auraient voulu eux-mêmes être en mesure de faire[12].  En grande partie à notre insu, le Canada, ou à tout le moins certains groupes de personnes d’influence, se sont comportés comme des nécrophages.

Cela n’est pas tout. Le Canada noue également des relations, depuis les années 2000, avec les gouvernements les plus à droite d’Amérique latine, notamment la Colombie, avec laquelle un accord de libre-échange a été signé le 21 novembre 2008 pour entrer en vigueur en août 2011, avec des conséquences désastreuses. En effet, les multinationales y font affaire avec des paramilitaires qui commettent viols et massacres afin d’intimider la population civile[13]. Aussi, au Honduras, le Canada a également soutenu les auteurs du coup d’État contre le gouvernent progressiste démocratiquement élu de Mel Zelaya, pour ensuite entretenir d’étroites relations avec l’armée pourtant responsable de nombreuses violations des droits de la personne[14]. Est-ce surprenant ? Le Canada avait aussi noué de bonnes relations avec le gouvernement Pinochet après le coup d’État de 1973[15]. Au Myanmar aussi, le Canada semblait, jusqu’à tout récemment, entretenir des relations plutôt cordiales avec le gouvernement du pays, ayant même octroyé une citoyenneté honoraire à Aung San Suu Kyi en 2007, elle qui s’est par la suite rendue responsable de massacres contre la population Rohingya après son ascension au pouvoir. Il a fallu attendre jusqu’en 2018 pour que sa citoyenneté lui soit révoquée.[15.1] [16]. Nous pourrions aussi discuter de l’intervention de l’OTAN contre Qadafi, qui a mené à la situation actuelle en Libye[17]. Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Aussi, le discours de la guerre contre le terrorisme et la défense du néolibéralisme vivent désormais en symbiose. Cette symbiose semble même avoir été la cause du refus d’octroyer des visas à des participant·e·s de certains évènements comme le Forum social mondial[18], sous-tendant à une gouvernance de plus en plus autoritaire et une répression de plus en plus évidente de la contestation, même pacifique. Partout où le capital canadien s’infiltre, les multinationales s’enrichissent et les populations locales en souffrent. La responsabilité sociale des corporations et l’aide au développement (un « cache-sexe pour les éléphants blancs », selon l’expression d’Alain Denault[19]) sont devenues grosso modo des moyens d’acheter les populations locales, en plus de soulager la bonne conscience des Canadiens et des Canadiennes, comme l’affirme Zizek dans les propos mis en exergue. De nombreux exemples sont fournis dans le livre Noir Canada, d’Alain Denault. Un des plus marquants est celui de Sadiola, au Mali, où les activités de la société Semos ont pollué l’eau potable au point où de nombreuses femmes ont vécu des avortements non souhaités. L’entreprise avait alors mis sur pied un « fonds de développement local », sans pour autant cesser ses activités[20].

Dans son livre, Jerome Klassen, défend l’idée selon laquelle ce récent « tournant » dans la politique étrangère canadienne ne doit pas être compris comme un changement de cap soudain qui se serait produit après l’arrivée des conservateurs de Stephen Harper au pouvoir[21]. Le cas échéant, nous aurions pu croire que le retour des libéraux au pouvoir aurait pu y changer quelque chose. Or, selon Klassen, il n’en est rien. Il faut pousser l’analyse au-delà de ce changement apparent, en examinant les antécédents de formation des classes sociales et de l’économie politique canadienne projetée à l’échelle internationale, et ce, grâce à des multinationales établies au Canada et qui s’adonnent sciemment et sans restriction à une accumulation de capital. Cela dit, selon Klassen, la classe capitaliste canadienne se serait « transnationalisée », propulsée par les politiques du gouvernement canadien. Le Canada se comporterait donc comme un empire et sa politique étrangère serait, dans ce contexte, un point de tension et de contact entre le micropolitique et le macropolitique[22] dont les réalités sont de plus en plus étroitement liées, parce que toutes façonnées par le Capital. L’État n’est donc pas dissous dans les flux transnationaux de ce Capital, mais il devient plutôt son valet, allant même jusqu’à aider à faire taire les critiques du néolibéralisme, comme cela a été le cas pour les auteurs et l’autrice de Noir Canada[23], pratiquant ainsi un véritable terrorisme d’État au nom de la « Loi » et du « Droit ». Du point de vue de Klassen, qui s’inspire de Nicos Poulantzas[24], l’impérialisme canadien doit être vu  d’abord comme déterminé par des relations de classes, dont la nature économique est, en apparence, distincte de l’arène politique, en ce sens que ses dynamiques d’exploitation ne sont pas menées directement par l’État. Ce dernier détiendrait donc une certaine autonomie dans sa tâche de paver la voie aux multinationales qui en dépendent. L’État se trouve donc inéluctablement à défendre les intérêts de sa classe « capitaliste »[25], en veillant sur sa propriété et sa reproduction sociale. Enfin, cette classe, pour assurer son hégémonie, emploie une classe d’« intellectuel[·le]s organiques », pour reprendre l’expression de Gramsci[26], responsables de produire le discours de l’État en fonction des intérêts de classe.

 Dans ce premier article et celui qui le suivra, nous souhaitons aborder notre sujet en trois étapes. En premier lieu, dans le présent texte, nous analyserons les fondements du système canadien et comment celui-ci est resté, malgré quelques changements de discours, un État fondamentalement impérialiste pour se perpétuer jusqu’à l’actuel paradigme « Trudaldien ». Dans un deuxième texte, nous aborderons les agissements des multinationales canadiennes qui bénéficient de l’aide du gouvernement sous forme d’interventions militaires ou d’aide au développement, à l’extérieur du pays. Enfin, dans cette deuxième partie également, nous aborderons, en guise de conclusion, l’immigration comme part entière des dynamiques néocoloniales qui participent à la constitution des rapports de pouvoir Nord-Sud.

L’impérialisme canadien 101 

« Un des points de vue significatifs associés au matérialisme historique est que l’État est une organisation de relations sociales de pouvoir. Il ne s’agit pas d’une institution désincarnée qui agit en elle-même contre l’équilibre global du pouvoir. Il n’est pas non plus une structure inerte au service de la société civile. Au contraire, il est la cristallisation des relations sociales capitalistes. […] Par conséquent, le contenu du pouvoir d’État est toujours indéniablement social[27]. »

Pour cerner plus précisément ce phénomène, Todd Gordon, politologue de l’Université Wilfrid Laurier, mobilise, entre autres, les travaux de recherche de William Carroll, de l’Université de Colombie-Britannique, selon lequel une transnationale (ou multinationale) se définit comme une entreprise active dans au moins cinq pays[28]. En 2009, au moment de la rédaction de Joining Empire, Klassen affirme qu’il y avait près de 1400 multinationales établies au Canada, qui comptaient environ 3700 entreprises affiliées à l’étranger[29]. Aussi, selon des chiffres de 2006, 72 multinationales canadiennes étaient des leaders mondiaux dans les industries minière, des produits chimiques, des télécommunications, de la nourriture et des breuvages, des pièces de voitures, des services financiers, etc[30]. Enfin, selon Gordon, ces corporations sont en pleine croissance et leur expansion à l’étranger vaut largement pour les achats d’actifs canadiens par des multinationales étrangères. Il rejette donc le discours de la « gauche nationaliste canadienne » selon laquelle l’État canadien serait la pauvre victime des multinationales étrangères[31]. En fait, encore selon Todd Gordon et son collègue Jeffrey Webber, politologue installé à la Queen Mary University de Londres, la définition de colonialisme doit être quelque peu élargie pour inclure beaucoup plus que le simple contrôle d’un territoire, de ses ressources et de sa population.  Ce qu’ils appellent l’impérialisme englobe toute forme de contrôle ou d’influence directe ou indirecte et se traduit par un « système global d’inégalités[32] ». En ce qui nous concerne, lorsque ce contrôle ou cette influence s’exerce par la coercition, par des discours de sécurité nationale et tout autre moyen pour propager la crainte de représailles de la part du pouvoir, nous emploierions même le terme de terrorisme d’État. 

Comme nous l’avons déjà mentionné, Klassen s’inspire aussi de la « relative autonomie de l’État » mise de l’avant par Nicos Poulantzas[33]. Selon cette idée, l’État est incapable de « transcender » ou d’éliminer les contradictions inhérentes au capitalisme que ce dernier s’affaire plutôt à reproduire, comme un cancer[34], dans ses structures institutionnelles et dans sa « bureaucratie cancéreuse »[35]. Plus précisément, l’État serait un « condensé politique de tendances transnationales d’exploitation et d’appropriation et des besoins du Capital de mettre de l’avant et de protéger la propriété à l’échelle globale tout en disciplinant toute opposition à ses ambitions tant à l’échelle locale qu’internationale. »[36]

Il ajoute aussi que, après les évènements du 11 septembre et l’amalgame des intérêts économiques des puissances occidentales et du discours de la guerre contre le terrorisme, la nouvelle stratégie de l’impérialisme canadien gravite autour de cinq points :

  « [… L] a mise en œuvre d’un marché néolibéral […] sous l’hégémonique orchestration du capital canadien, […] l’érection de la “forteresse d’Amérique du Nord” pour une accumulation sans restriction aucune, […] la recherche d’un espace [, d’un droit au chapitre,] dans le fonctionnement des infrastructures de sécurité menées par les États-Unis, […] un soutien aux régimes internationaux et aux institutions qui facilitent le néolibéralisme transnational […] et […], enfin, un militarisme disciplinaire et des interventions militaires dans des États défaillants ou voyous afin d’éliminer ce qui est perçu comme une menace au Capital […]. »[37]

Dans l’introduction de son travail colossal, Klassen retrace les origines de l’économie politique canadienne jusqu’aux colonisations française et britannique, aux XVIIe et XVIIIe siècles, car les deux empires avaient déjà, dès leur installation d’un système mercantile et féodal sur le continent, pratiqué une forme d’extractivisme, et ce, au détriment non seulement des populations autochtones, mais aussi des paysan·ne·s, des agriculteurs et agricultrices et éventuellement, des ouvriers et ouvrières. En 1837-1838 avait éclaté la Rébellion des Patriotes, une tentative de révolution de la part de la petite bourgeoise canadienne-française qui voulait s’assurer un peu plus d’autonomie politique. Bien que la révolution ait été écrasée, le Canada a entamé, peu de temps après, la transition d’un système féodal vers un système de salariat, notamment avec l’afflux de main-d’œuvre migrante d’Irlande. Klassen décrit la Loi constitutionnelle de 1867 comme une « révolution par le haut » cherchant à miner l’influence de la révolution aux États‑Unis, mais aussi de lancer à pleine vitesse la « révolution industrielle » grâce au système ferroviaire. Il est à noter que ces changements ont été menés à l’initiative de la classe capitaliste en émergence, sans réelle contribution de ceux et celles qui allaient devenir les canadiens et les canadiennes, populations blanches, autochtones et immigrantes confondues. En effet, John A. Macdonald avait alors lancé une industrialisation par substitution des importations, tout en intensifiant la dépossession des Autochtones et la colonisation de l’Ouest[38]. À cet égard, Todd Gordon affirme :

 « Toute discussion au sujet de l’impérialisme canadien doit commencer en abordant ce qui se passe chez nous. Les nations autochtones représentent un véritable tiers monde au Canada, créé et géré au sein d’un plus vaste projet colonial encore en chantier et qui porte encore les cicatrices de notre histoire. […] L’entièreté des fondations du capitalisme canadien repose sur les terres et les ressources [ainsi usurpées] et, par conséquent, la croissance du capitalisme canadien n’a pu être accomplie que par des moyens impérialistes. L’existence du Canada [, son ontologie,] dépend de la subjugation par la force [, le viol,] des nations autochtones et de leurs ressources afin de satisfaire à ses besoins[39]. »

L’impérialisme canadien s’est approprié les terres des communautés autochtones par la force, mais plus fondamentalement, grâce au concept même de propriété privée[40], et ce, jusqu’aux XIXe et XXe siècles. Dans de nombreux cas, le gouvernement a fait appel des traités conclus grâce des négociations malhonnêtes visant à limiter les droits et l’indépendance des Autochtones devant le gouvernement central. L’État les a également contraints à intégrer le système économique capitaliste en rendant très difficile leur survie dans le cadre de leurs activités économiques traditionnelles. Les populations autochtones ont donc pu être plus facilement assimilées aux structures de classe comme main d’œuvre exploitée. Par la même occasion, la voie avait ainsi été pavée pour l’extraction des ressources. Ensuite, les terres ont été dévastées par des activités minières et des déchets industriels. Même si l’usurpation des terres autochtones avait été formellement interdite par la Loi constitutionnelle de 1867, cela n’a pas empêché le Canada de poursuivre l’expropriation pour la construction d’infrastructures de transport comme celle menée par le régime Macdonald[41].

Par la suite, l’exploitation des populations autochtones comme main-d’œuvre bon marché s’est accentuée avec l’émergence du néolibéralisme. Gordon affirme que la population autochtone est plus jeune, compte plus de personnes en âge de travailler et croît beaucoup plus rapidement que la population non autochtone[42]. Elle serait donc la source, comme l’immigration, de main-d’œuvre bon marché, ce qui permettrait à la classe capitaliste, le plus souvent blanche, d’assurer une certaine reproduction sociale. La population blanche au sens plus large n’est pas non plus étrangère à ce principe, puisque, dans une société de consommation, les enfants deviennent des commodités accessibles à ceux et celles qui ont les moyens s’en procurer. Aussi, il serait possible de défendre cette idée selon laquelle, pour ne pas entraver les dynamiques de consommation et pour veiller à la reproduction sociale (pour le « futur » des enfants, en fait des privilèges de classe), on a beaucoup moins d’enfants que dans les pays du « Sud ». Par conséquent, d’un point de vue démographique, la main d’œuvre migrante et autochtone est nécessaire pour occuper les emplois moins rémunérés et pour produire, par reproduction sociale, de la main-d’œuvre bon marché pour servir les intérêts des plus privilégiés. Certain·e·s Autochtones et immigrant·e·s accèdent aux cercles restreints des classes privilégiées, mais doivent payer le prix fort et servir l’hégémonie. Nous en reparlerons dans la deuxième partie de cet article. Quoi qu’il en soit, bon nombre de ces emplois moins rémunérés sont liés à l’exploitation des ressources et les Autochtones comme les immigrant·e·s restent une main-d’œuvre importante pour leur exploitation[43]. Cela dit, ces mêmes emplois ont des conséquences désastreuses sur la santé et sur l’environnement, ce qui les rend encore plus aliénants pour ceux et celles qui défendent justement le droit à la terre. Il n’est donc pas surprenant que les communautés résistent aussi à l’« esclavage du salariat » et à une entrée forcée dans le système capitaliste national et international, son exploitation et une situation de pauvreté maintenue sciemment comme telle. La situation est semblable dans toutes les industries extractivistes, qu’il s’agisse des mines, du pétrole ou du gaz[44]. Enfin, Gordon affirme, sur une note plus positive :

 « Au cours des 20 dernières années, le militantisme autochtone a connu un renouveau, alors que le conflit entre les nations autochtones et l’État s’est accentué en réaction aux pressions de l’expansion géographique, de la pauvreté grandissante et du refus de l’État de satisfaire aux revendications des Premières Nations. […] Un des moments sans doute les plus marquants des années 1990 était la révolte d’Oka, avec ces images de guerriers mohawks en habits-camouflages tenant tête aux soldats[45]. »

Pour revenir aux facteurs historiques de constitution idéologique du Canada, ce dernier a obtenu son indépendance en ce qui a trait à sa propre politique étrangère en 1931 avec le statut de Westminster. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Canada occupait une place relativement importante sur la scène internationale et s’est avéré être un allié important des États-Unis au sein de l’OTAN pendant la Guerre froide. Le Canada a également contribué à la création des institutions de Bretton Woods, notamment la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce, dont le rôle hégémonique n’est aujourd’hui plus un secret[46]. En dépit de sa proximité avec les États-Unis, le Canada a pu éviter des dépenses militaires massives tout au long du XXe siècle, pour se spécialiser dans les missions de maintien de la paix et autres pratiques de « soft power ».

Cependant, comme nous le disions antérieurement, cela a quelque peu changé avec l’éclatement de la guerre au terrorisme. En effet, le Canada a depuis adopté des politiques beaucoup plus agressives. Klassen souligne la convergence des activités de renseignements au lendemain des évènements du 11 septembre 2001. Non seulement les agences concernées travailleraient maintenant plus étroitement les unes avec les autres, mais la menace terroriste servirait de prétexte pour surveiller tout autant les mouvements sociaux. En 2001, l’entente « Five Eyes », conclue dans les années 1940 entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie a été élargie, donnant lieu à une vaste surveillance électronique qui touche beaucoup plus que les simples questions de « terrorisme ». En fait, ces agences de renseignements verraient d’un mauvais œil tout ce qui interfère avec l’expansion du Capital et les intérêts de la classe capitaliste, faisant affaire, pour arriver à ses fins, à des régimes répressifs et brutaux qui vont même jusqu’à utiliser la torture[47]. Enfin, la question de sécurité nationale serait, en fait, en grande partie, une question de « sécurité économique »[48], qui se retrouve, dans le système-monde, à représenter la sécurité de la classe capitaliste que sert l’État idéologiquement prostitué au Capital.

Nous avons eu l’occasion de discuter de l’impérialisme canadien avec Todd Gordon lui-même et nous avons ainsi confirmé certains éléments de notre analyse. Nous lui avons d’abord demandé s’il pouvait faire état d’un quelconque changement dans les politiques étrangères du Canada depuis l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir. Sa réponse a été la suivante : « Le seul changement vraiment significatif est le retour du discours libéral progressiste selon lequel le Canada serait une présence progressiste dans le monde. Vous vous souviendrez des annonces de Trudeau selon lesquelles “le Canada est de retour” avec ses “manières ensoleillées”. Cependant, les pratiques de son gouvernement nous disent le contraire. Par exemple, Trudeau va de l’avant avec le traité de ventes massives d’armes signé par Stephen Harper avec l’Arabie saoudite. Son gouvernement a aussi envoyé des forces spéciales en Iraq et en Syrie. Il n’a fait que très peu pour limiter concrètement les actions des minières canadiennes et a soutenu, entre autres, le gouvernement frauduleusement élu du Honduras [qui avaient maintenu au pouvoir les auteurs d’un coup d’État contre le gouvernement progressiste de Zelaya] [49]. » Nous ajouterions que la crise diplomatique actuelle avec l’Arabie saoudite qui a, en principe, mis fin au contrat de vente d’armes, semble se résorber et nous doutons qu’elle donnera lieu à des précédents.

Quoi qu’il en soit, nous avons ensuite abordé la question du nationalisme de gauche canadien et du logocentrisme auquel il sous-entend. « La réalité concrète du rôle du Canada dans le monde rend difficile de défendre un tel nationalisme de gauche. Parmi les gens avec lesquels je m’engage politiquement, personne ne le fait. En fait, il nous faut encore travailler à l’éradiquer, car les leaders sociaux-démocrates du NPD, les mouvements ouvriers et les ONG se revendiquent toujours, à un certain degré, de ce discours. Voyez par exemple la campagne d’Unifor “j’achète canadien” en réponse aux disputes commerciales entre le Canada et les États-Unis. […] Et en dépit de cela, le gouvernement essaie [toujours] de transformer ces luttes [femmes, autochtones, migrantes] en programmes sûrs et contrôlables qui en émousseront les tranchants radicaux des mouvements qui remettent en question le pouvoir capitaliste et les pratiques racistes de l’État. Je pense que c’est là, ne serait-ce qu’en partie, ce que le multiculturalisme représente. Un autre exemple de ce phénomène est l’écoblanchiment de la responsabilité sociale des entreprises[50]. » Enfin, nous avons demandé quels moyens il privilégiait pour lutter contre l’impérialisme canadien de l’intérieur. Il nous a laissés entendre que les initiatives de solidarité internationale et la conscientisation des Canadiens et des Canadiennes étaient les meilleures manières d’aller de l’avant.

En bref, encore une fois, à la lumière de cette histoire de formation, Klassen conteste cette idée associée à la « gauche nationaliste canadienne » qui veut que le Canada soit enchâssé dans l’économie américaine, semi-colonisé et victime de l’hégémonie de son voisin. Pour Klassen, le Canada est un État impérialiste qui profite, comme un vautour, de sa proximité avec les États-Unis pour consommer les carcasses laissées par les bombes de l’oncle Sam. Cela dit, dans la deuxième partie de cet article, nous traiterons de ce sujet plus amplement après avoir abordé les activités du Canada et de ses multinationales à l’étranger[51].

CRÉDIT PHOTO: Jamie Mccafrey – Flickr

[1] George I. García et Carlos Guillermo Aguilar Sánchez, « Psychoanalysis and politics: the theory of ideology in Slavoj Žižek ». International Journal of Zizek Studies 2, no 3 2008.

[2] Slavoj Zizek. Living in the End of Times. London and New York: Verso Books, 2010, pp. 3–4.

[3] Op. cit., note 1

[4] Op. cit., note 1

[5] Alexandre Dubé-Belzile. « L’anti-cent cinquantième : les 50 ans de Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières et de Feu sur l’Amérique de Charles Gagnon », 1er février 2018, http://revuelespritlibre.org/lanti-cent-cinquantieme-les-50-ans-de-negre….

[6] Immanuel Wallerstein, The Modern World-System: Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century, Academic Press, New York, 1976.

[7] AFP, « Trump/G7 : les critiques de Trudeau vont coûter « cher » au Canada », Canoe.ca, 12 juin 2018. http://fr.canoe.ca/infos/international/archives/2018/06/20180612-060717…..

[8] Jerome Klassen. Joining Empire: The Political Economy of the New Canadian Foreign Policy, University of Toronto Press, Toronto, 2014, p. 100.

[9] Op. cit., note 1

[10] Todd Gordon, Imperialist Canada, ARP Books, Toronto, 2010, p. 42.

[11] Noam Chomsky, 9-11, Seven Stories Press, New York, 2001. 

[12] Jean Baudrillard, L’esprit du terrorisme, Galilée, Paris, 2002.

[13] Alexandre Dubé-Belzile, « Quelle paix ? Le fossé infranchissable entre la politique colombienne et les inégalités sociales », janvier 2017, http://revuelespritlibre.org/quelle-paix-le-fosse-infranchissable-entre-la-politique-colombienne-et-les-inegalites-sociales.

Présence paramilitaire Arauca, Projet accompagnement solidarité Colombie, 10 mai 2017,  http://www.pasc.ca/fr/action/presence-paramilitaire-arauca

[14] Tyler A. Shipley. Ottawa and Empire: Canada and the military Coup in Honduras, Between the Lines, Toronto, 2017.

[15] Kathy Price, « Lessons for Canada in the legacy of the “other” 9 – 11 », Amnesty International, 11 septembre 2013, https://www.amnesty.ca/blog/lessons-for-canada-in-the-legacy-of-the-%E2%….

[15.1] Al Jazeera, Canada strips Myanmar’s Aung San Suu Kyi of honorary citizenship, 28 septembre 2018, https://www.aljazeera.com/news/2018/09/canada-strips-myanmar-aung-san-suu-kyi-honorary-citizenship-180928060228361.html

[16] Alexandre Dubé-Belzile, « Aung San Suu Kii, conseillère d’État : “démocratisation” et nettoyage ethnique au Myanmar », L’Esprit Libre, 3 avril 2018, http://revuelespritlibre.org/aung-san-suu-kyi-conseillere-detat-democrat….

[17] CBC News, « Canada’s military contribution in Libya », CBC, 20 octobre 2011, https://www.cbc.ca/news/world/canada-s-military-contribution-in-libya-1…..

[18] Agence France-Presse, (2016, août 5). Le Canada refuse des visas à plus de 200 participants au Forum social mondial. Récupéré sur LaPresse : http://www.lapresse.ca/actualites/201608/05/01-5007752-le-canada-refuse-des-visas-a-plus-de-200-participants-au-forum-social-mondial.

Alexandre Dubé-Belzile, « Traduire contre le système : traduction, résistance et hégémonie au Forum social mondial 2016 à Montréal », 1er avril 2017, http://revuelespritlibre.org/traduire-contre-le-systeme-traduction-resis….

[19] Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher, Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Écosociété, 2008.

[20] Op. cit., note 19, pp. 33-34

[21] Manuel Dorion-Soulié, « Les idées mènent le Canada : l’idéologie néoconservatrice en politique étrangère canadienne », Études internationales XLV, no 4, décembre 2014, http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/revue_etudesint/fichiers/introduction_decembre_2014.pdf.

Op. cit., note 8.

[22] Gilles Deleuze et Félix Guattari. Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille Plateaux, Éditions de minuit, Paris, 1980, p260.

[23] Collectif d’auteurs, « Poursuite-bâillon — Encore une fois le bâillon contre Noir Canada ! », Le Devoir, 19 octobre 2011, https://www.ledevoir.com/opinion/idees/333939/poursuite-baillon-encore-u….

[24] Nicos Poulantza,  Political Power and Social Classes, Verso, Londres, 1978.

[25] Nous reprenons l’expression de Klassen, aussi utilisée par d’autres, qui se trouve à être moins ambiguë que classe « dominante » et qui fait référence au noyau du système d’exploitation et de production idéologique, du point de vue de la lutte des classes et leur formation.

[26] Jean-Marc Piotte, La pensée politique de Gramsci, Éditions Parti Pris, Ottawa, 1970.

[27] Robert W. Cox, « Social Forces, States and World Orders: Beyond International Relations»,

Journal of International Studies – Millennium 10, no 2,1981.

Op. cit., note 8, p. 187

[28] William Carroll, Corporate Power and Canadian Capitalism, Vancouver: University of Colombia Press, 1986.

[29] Op. cit., note 8, pp. 163-190

[30] Institute for Competitiveness and Prosperity, « Canada’s Global Leaders, 1985–2005», 2006, http://www.competeprosper.ca/research/index.php.

[31] Op. cit., note 10,, pp. 19–20.

[32] Todd Gordon et Jeffery R. Webber, Blood of Extraction: Canadian Imperialism in Latin America, Fernwood Publishing, Toronto, 2016.

[33] Op. cit., note 23

[34] John McMurty, The Cancer Stage of Capitalism, Pluto Press, London, 1999.

[35] William S. Burroughs, Naked Lunch, Grove Press, New York, 2001.

[36] Op. cit., note 8, p. 188

[37] Op. cit., note 8, p. 200

[38] Op. cit., note 8, p. 10

[39] Op. cit., note 10, p.66-67

[40] Gerald Taiaike Alfred, « Colonialism and State Dependency », Journal de la santé autochtone, 2009.

[41] Op. cit., note 10, p.70-71

[42] Op. cit., note 10, p.80

[43] Op. cit., note 10, p.81

[44] Op. cit., note 10, p. 86

[45] Op. cit., note 10, p. 106

[46] Éric Toussaint, « Le trio infernal Banque mondiale/FMI/OMC », Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, 27 octobre 2003, http://www.cadtm.org/Le-trio-infernal-Banque-mondiale.

[47] Open Society Foundation, « Globalizing Torture: CIA Secret Detention and Extraordinary Rendition», 2013, https://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/globalizing-t….

[48] Op. cit., note 10, p. 298

[49] Notre traduction

[50] Notre traduction

[51] Op. cit., note 8