Transformer la société en profondeur grâce à la ville : Entretien avec Jonathan Durand Folco

Transformer la société en profondeur grâce à la ville : Entretien avec Jonathan Durand Folco

Professeur à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, Jonathan Durand Folco a publié en mars dernier son premier livre À nous la ville chez Écosociété. Nous sommes allés à la rencontre de ce jeune philosophe prolifique dont les idées sont déjà en train de se propager partout au Québec.

Crise écologique, précarité, montée du populisme, instabilité économique, répression des mouvements sociaux : depuis au moins 20 ans, les forces progressistes semblent impuissantes devant ces réalités inquiétantes. En effet, les partis socio-démocrates traditionnels ne remettent plus en cause le libre-marché, les nouveaux partis progressistes n’arrivent pas à percer et les mouvements sociaux se buttent à l’indifférence des gouvernant·e·s.

Et si, pour s’opposer au néolibéralisme, la conquête ou la déstabilisation du pouvoir étatique, devenue vaine, devait laisser place à la transformation des municipalités? C’est précisément cette possibilité qu’explore Jonathan Durand Folco, que j’ai eu l’occasion de rencontrer au début de l’été. C’est dans un petit café de Villeray que je découvre un auteur humble et sympathique, blagueur et décontracté, bref, l’opposé de l’archétype du philosophe hautain et déconnecté.

Jules Pector-Lallemand (JPL) : En nous parlant de votre cheminement politique et intellectuel, pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes venu à vous intéresser à la ville?

Jonathan Durand Folco (JDF) : Ma réflexion sur la ville s’est entamée à partir de 2011 où j’ai commencé mon militantisme au sein de différents mouvements dont la lutte contre les gaz de schiste. Je me suis concentré sur les enjeux environnementaux où le système économique-industriel amène des contradictions entre les impératifs de croissance et la protection des milieux de vie, des territoires. À partir de ce moment, je me suis beaucoup intéressé aux luttes sociales et environnementales enracinées dans les communautés locales et les municipalités.

Par la suite, ma première expérience de démocratie au sein d’un mouvement a été dans « Occupons Québec » : à l’époque, je commençais ma thèse de doctorat à Québec et j’avais un cours sur la philosophie politique de la ville. On lisait des textes sur le droit à la ville, d’Henri Lefebvre notamment, et là je me suis rendu compte que ce que j’étais en train d’explorer dans la théorie était en train de se refléter dans l’action et les revendications du mouvement. Cette expérience de démocratie dans la place publique a été pour moi une forme de révélation : on pouvait y expérimenter des nouvelles façons de faire des choix, de discuter ensemble et de prendre des décisions. Puis je me suis interrogé sur les possibilités de poursuivre ce mouvement au-delà de cette mobilisation. Je me suis rendu compte que les villes et les villages étaient vraiment des lieux propices pour la mobilisation et qu’ultimement, avant d’essayer de prendre le pouvoir à l’échelle des États-nations, il y avait un manque au sein des mouvements sociaux et des forces de gauche au niveau des municipalités.

JPL : Et après « Occupons Québec », avez-vous poursuivi votre implication politique?

JDF : Lors de la grève étudiante de 2012, j’étais président de mon association étudiante et on s’est beaucoup impliqué·e·s. Ça a été une grande expérience de mobilisation. Après, j’ai déménagé à Montréal où j’ai rencontré pleins de nouveaux groupes progressistes. Mon engagement s’est poursuivi ensuite au sein d’un parti politique, Québec Solidaire, où j’ai travaillé sur plusieurs questions, notamment les enjeux urbains. Je me suis rendu compte qu’au sein de ce parti, étant donné qu’il est organisé à l’échelle du Québec, il n’y avait pas de souci réel du niveau municipal.

J’ai donc poursuivi mes réflexions afin d’imaginer comment on pourrait organiser les forces progressistes dans les municipalités. J’ai ainsi écrit À nous la ville afin de réactiver notre imaginaire sur les villes et l’action politique qui pourrait y avoir lieu.

JPL : Dans ce premier livre, vous expliquez que le capitalisme pose de graves problèmes sociaux, écologiques et démocratiques. Quels sont-ils?

JDF : Au début du livre, j’ai essayé de faire une brève synthèse pour expliquer le mode de fonctionnement et de reproduction du système capitaliste. C’est un système basé sur la division entre des élites, qui disposent du contrôle des différentes ressources économiques, et l’ensemble de la population, qui n’a pas ce contrôle et est obligée d’être salariée pour subvenir à ses besoins. On peut constater dans les villes du monde des grandes inégalités sociales où il y a des formes de richesse et d’opulence qui côtoient la misère et la pauvreté extrême. Donc le système capitaliste, c’est un système qui carbure aux inégalités sociales.

C’est un système qui change également les dynamiques humaines. Celles-ci deviennent centrées autour du principe de l’échange de marchandises, de recherche de l’intérêt privé et de la croissance à tout prix, au détriment d’autres considérations humaines et d’autres principes éthiques.

C’est enfin un système qui a tendance à surexploiter la nature puisque c’est un système qui a besoin de croître pour se maintenir en place. Ce qui implique que, au niveau du développement urbain, les gouvernements municipaux dépendent des taxes foncières. Cela amène une forte influence des promoteurs·trices immobilier·ère·s et des intérêts privés sur les gouvernements municipaux. C’est cette situation qui fait croître la valeur foncière des différents logements et qui mène à l’embourgeoisement des quartiers centraux urbains. Les gens de la classe moyenne vont donc s’installer beaucoup plus loin pour avoir accès la propriété : c’est l’étalement urbain, qui a des conséquences écologiques extrêmement graves. Ce phénomène est précisément animé par cette dynamique de l’économie de marché qui fait en sorte que le logement n’est pas considéré d’abord comme un droit social fondamental, mais plutôt comme une forme de marchandise dont on peut faire l’acquisition et la revendre pour faire du profit.

Donc, le système capitaliste, ce n’est pas quelque chose d’abstrait : c’est un système social très complexe qui a des conséquences extrêmement graves du point de vue humain, social.

Même si, d’après moi, le capitalisme est un système social très puissant, il y a différents espaces où on peut vivre des nouvelles façons d’organiser le travail, la consommation, les échanges. Les villes, et même les petits villages, sont vraiment des lieux propices pour des formes de socialisation qui préfigurent ce que pourrait être une société après le capitalisme.

JPL : À quoi pourrait ressembler une économie après le capitalisme?

JDF : Ce que j’essaie de montrer dans le livre de façon extrêmement brève, c’est qu’un des principes à partir duquel on peut penser cette nouvelle organisation de la vie sociale et économique est le commun. Le commun, c’est un ensemble de droits d’usage, d’accès et de gestion des différentes ressources et de biens. C’est une propriété commune, qui n’est pas celle de l’État ni celle des entreprises privés, mais vraiment une propriété collective où l’ensemble des gens directement concernés par la gestion d’un bien peuvent en faire usage et essayer de réguler cette ressource.

Ce sont des formes de propriété que l’on peut retrouver à travers l’Histoire, comme des terres communales où des fermiers·ière·s avaient accès à la terre, avec des règles qui permettaient d’éviter une surexploitation ou encore des zones de pêche qui étaient gérées par des collectifs de pêcheur·se·s. On peut envisager aussi des bassins versants qui sont administrés par des comités citoyens ou des organismes sans but lucratif. On voit des communs également dans l’univers numérique comme le logiciel libre ou des sites comme Wikipedia.

Au niveau municipal, ce qui est intéressant, c’est que l’on peut définir des communs comme des espaces publics. Ça peut aussi prendre la forme de fiducies foncières communautaires : il s’agit d’un lieu qui est détenu par un organisme sans but lucratif qui aurait pour mission, par exemple, de favoriser le logement abordable ou veiller à ce qu’il y ait de la place pour de l’agriculture urbaine. Évidemment, le système des communs laisse tout de même la place à des propriétés privées.

Ce que l’on serait également capables d’envisager, c’est des coopératives ou des entreprises autogérées qui sont en quelque sorte des communs au sens où c’est la communauté des travailleurs et travailleuses qui participe à la construction ou l’élaboration de cette entreprise et qui a le contrôle de celle-ci.

Donc disons que pour envisager une économie post-capitaliste, il faudrait être capable de multiplier les communs dans d’innombrable sphères d’activités. Je crois précisément que l’on peut se servir des institutions municipales pour essayer d’envisager des formes de propriétés communes qui permettraient de favoriser la transition vers une nouvelle forme d’économie.

JPL : Pourquoi la ville serait-elle plus propice que l’État pour entamer une transition basée sur les communs?

JDF : Le titre de mon livre À nous la ville! est une forme de mot d’ordre qui résonne avec le slogan du printemps étudiant de 2012 « À qui la rue? À nous la rue! ». Donc « À qui la ville? », à qui appartient cette communauté politique et cet espace de vie? Est-ce qu’elle appartient aux intérêts privés ou plutôt aux citoyens et citoyennes qui habitent cet espace? J’ai beaucoup mis l’accent dans mon livre sur la réalité urbaine qui est au carrefour des contradictions économiques, écologiques et sociales. Pour moi, les villes sont les prisonnières d’un système de concurrence mondial, les nœuds de la mondialisation néolibérale, mais elles sont aussi les foyers de luttes sociales, d’expérimentations, de nouvelles formes de communs qui émergent et c’est quelque chose qu’il faut investir. L’idée n’est donc pas de considérer les villes comme étant la solution exacte à tous nos problèmes, mais plutôt de voir comment on peut créer, à partir de la ville, une nouvelle forme de société, d’économie et de démocratie.

JPL : Pour mener cette transformation en profondeur de la société, vous proposez la mise sur pied d’un mouvement que vous appelez le municipalisme. Quels sont les grandes lignes d’un tel mouvement?

JDF : On ne doit pas se contenter des formes administratives et juridiques des municipalités telles qu’elles existent aujourd’hui, mais envisager des municipalités comme devant être transformées en autogouvernements locaux. Il s’agirait de véritables communautés politiques où les gens pourraient se réapproprier les décisions collectives et inventer des formes de démocratie plus directe. Les gouvernements actuels, au niveau des villes, sont plutôt basés sur un système de représentation où c’est une classe de politicien·ne·s professionnel·le·s qui continue d’avoir le contrôle des lois et des décisions, souvent de façon complice avec des intérêts privés. Ce que j’essaie de dire dans mon livre, c’est qu’on ne doit pas uniquement prendre le pouvoir dans une seule ville. Il faut envisager un front municipaliste, une coalition de villes rebelles.

Plusieurs villes progressistes et inclusives doivent s’articuler entre elles pour éventuellement créer des grandes alliances, des ligues qui seraient les bases d’un nouveau système de démocratie qui pourrait avoir plus de revendication et vouloir se réapproprier davantage de pouvoir dans une vision de décentralisation démocratique.

Disons que la vision un peu plus ambitieuse de mon livre est de poser les bases d’un mouvement municipaliste où les citoyen·ne·s seraient capables de se réapproprier les villes, de créer des nouvelles constitutions municipales démocratiques et seraient capables de créer des liens entre plusieurs municipalités – à la fois au sein d’un territoire commun mais aussi entre plusieurs pays – afin d’accélérer la transition vers une nouvelle forme d’économie. Tout ça résume la vision très large de ce que j’appelle le municipalisme, qui est la vision que la démocratisation économique, sociale et politique se base sur la réappropriation des municipalités.

JPL : Une économie post-croissance, des autogouvernements locaux : tout cela semble si loin! Part-on de zéro?

JDF : Il y a effectivement une forme d’utopie dans mes propos, c’est-à-dire des choses qui pourraient exister mais qui ne sont pas encore concrètes. Toutefois, il y a déjà plusieurs germes. Il y a une multitude de coopératives, d’initiatives et de mouvements sociaux déjà enracinés au Québec. On pourrait essayer de fédérer ces différentes forces et envisager comment on pourrait construire un mouvement politique avec des partis municipaux, à créer ou qui existent déjà, et voir comment on pourrait insuffler une dynamique d’ensemble.

JPL : En ce sens, le dernier chapitre de votre livre est presque un mode d’emploi pour démarrer un mouvement municipaliste au Québec. Rapidement, quelles en sont les grandes étapes?

JDF : La proposition qui vient à la fin du livre est en quelque sorte le fruit d’un travail collectif qui se fait depuis plus d’un an. Ce mouvement qui est en train de voir le jour a lancé son manifeste (http://actionmunicipale.org/manifeste/) au mois de mars, qui s’appelle À nous la ville, comme le titre de mon livre. Son but est de créer une plateforme d’auto-organisation. Pour le moment, ce qui existe, c’est une page Facebook (https://www.facebook.com/actionmunicipale.org/), un site web (http://actionmunicipale.org/) et une plateforme libre (http://forum.actionmunicipale.org/) où les gens peuvent s’inscrire, indiquer leur municipalité, leur(s) champ(s) d’expertise et ensuite créer des groupes, des évènements et se partager de l’information et des outils.

La prochaine étape, c’est l’élaboration d’un code d’éthique pour les prochaines élections qui pourrait peut-être être signé par des candidatures indépendantes ou membres de partis. Ce code pourrait comprendre la limitation des mandats à deux, la limitation du salaire des élu·e·s, un engagement des élu·e·s à aller dans des assemblées populaires et la révocation du mandat.

Ce que l’on pourrait voir aussi, c’est la construction de Groupes d’action municipale (GAM), soit des groupes situés dans différents quartiers et différentes municipalités, qui agissent en dehors des élections et qui vont, par exemple, interpeller les élu·e·s durant les conseils municipaux. Ils pourraient aussi organiser des manifestations ou encore des campagnes sur des enjeux comme le logement social ou contre la gentrification.

Il est trop tard pour les prochaines élections pour voir apparaître un grand front de villes rebelles, mais je crois que dès les élections de 2021, il pourrait y avoir une organisation qui commencerait à implanter les idées de communs, de démocratisation des institutions locales et de transformation de l’économie par l’action municipale.

Mon livre se veut donc une boîte d’outils et de suggestions. Au final, tout va dépendre de comment les citoyen·ne·s s’approprient ces idées, et peut-être que l’organisation concrète va prendre une forme complètement différente de ce que j’ai anticipé dans mon ouvrage.

Pour approfondir la réflexion : Jonathan Durand Folco, À nous la ville : traité de municipalisme, mars 2017, Montréal, Écosociété

Brexit : danger au Royaume-Uni

Par Antoine Foisy

Les élections générales du printemps 2015 ont causé de nombreuses surprises au Royaume-Uni. L’une d’elles s’est démarquée du lot et risque d’entraîner plusieurs conséquences importantes tant au niveau national qu’international : la promesse de la tenue d’un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. De par les liens étroits de Londres avec l’Europe continentale, l’éventualité de la sortie du pays de la zone euro provoque un débat dans lequel les positions sont fortement polarisées et les enjeux, décisifs. Le résultat de ce référendum chamboule le climat politique anglais, tout comme de nombreuses carrières, notamment celle du premier ministre David Cameron.

L’annonce de la tenue d’un référendum sur le maintien ou le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne peut sembler aussi surprenante que bizarre. En effet, contrairement à quelques-uns de ses voisins, le Royaume-Uni n’a pas subi de crise économique comme ce fut le cas en Grèce, en Espagne et en Italie; l’économie du pays va même plutôt bien pour un pays qui a durement été touché par la crise financière de 2008. De plus, son taux de chômage est en baisse depuis de nombreuses années, à l’inverse de son voisin français.

Les raisons motivant ce référendum ne sont donc pas d’ordre économique ; elles seraient plutôt majoritairement issues de considérations politiques. En fait, lors de la dernière campagne électorale, au printemps 2015, le Parti conservateur de David Cameron s’est retrouvé face à plusieurs adversaires assez influents qui menaçaient son accession à un mandat de gouvernement majoritaire.

D’un côté, le Parti travailliste (Labor) et le Parti national écossais (SNP) attiraient un certain nombre d’opposants au Parti conservateur. Cette opposition au Parti conservateur s’est surtout confirmée en Écosse, où le SNP a récolté 56 des 59 sièges dévolus à la région. Pour sa part, même s’il était rarement en tête dans les sondages et que ses résultats étaient plutôt décevants, le Parti travailliste représentait en Angleterre la seule alternative possible à un gouvernement conservateur et ce, malgré la présence de plusieurs tiers partis (résultat du mode de scrutin uninominal à un tour).

D’autre part, le nouveau parti eurosceptique de droite Ukip représentait potentiellement la plus grande menace en ce qui concerne les électeurs qui votent traditionnellement conservateur, car il risquait de voler bon nombre d’électeurs au Parti conservateur. Ce parti, dirigé à l’époque par Nigel Farage, proposait que le Royaume-Uni se retire de l’Union européenne afin de pouvoir adopter des lois et mesures en lien direct avec les besoins du pays. Bien entendu, une telle position attira, dès la formation du parti, de nombreux conservateurs qui n’approuvaient aucunement l’adhésion du pays à l’Union européenne. Fidèles à leur programme, ils proposaient que le Royaume-Uni se retire de l’UE afin d’être en mesure de mieux se gouverner, notamment en matière d’immigration. Ce projet recevant un accueil plutôt favorable de la part de l’électorat conservateur, David Cameron, forcé de réagir, proposa la tenue d’un référendum sur le maintien de l’État anglais au sein de l’UE. C’est donc sous l’angle de la stratégie électorale que David Cameron a été contraint de promettre ce référendum, afin de rallier à son parti les eurosceptiques conservateurs et ainsi réduire les chances de l’Ukip de percer électoralement. Stratégiquement, il s’agit d’un succès puisque le parti eurosceptique n’a réussi qu’à faire élire un seul député et à faire perdre les élections au chef Nigel Farage.

Par ailleurs, le raisonnement des deux camps repose sur des arguments de nature économique et de souveraineté nationale. Pour les partisans du brexit, le fait de quitter l’Union européenne a pour objectif de permettre au royaume de décider par lui-même et pour lui-même les politiques économiques adaptées à sa situation. Ils ne veulent plus que les politiques économiques anglaises soient encadrées par ce que l’UE décide. Bien sûr, l’argent vient jouer un rôle prépondérant dans l’argumentaire pro-brexit. Le chiffre de 13 millions de livre sterling, cotisation du Royaume-Uni à l’Union européenne, est devenu le montant magique des pro-brexit. Ces derniers proposent de réinvestir ce montant dans les besoins de premier ordre des britanniques, surtout dans ces temps d’austérité imposée par David Cameron. Ils suggèrent donc d’investir cette somme sauvée de l’UE dans le système national de santé.

Outre l’aspect économique de la question, l’argumentaire pro-brexit repose aussi sur la volonté de reprendre le contrôle des frontières du Royaume-Uni. Selon ces derniers, le statu quo empêche l’État de bien protéger sa frontière contre les éléments qui pourraient mettre en danger les citoyens britanniques et ceux qui pourraient s’installer illégalement au pays dû à la libre circulation des individus au sein de l’UE. Les pro-brexit accusent les migrants de l’UE de venir s’installer au Royaume-Uni pour profiter des services sociaux offerts et ainsi faire grimper la facture. Le retrait de la Grande-Bretagne permettrait donc de réaliser des économies considérables selon eux. De plus, toujours selon les pro-brexit, un meilleur contrôle aux frontières possible grâce à un retrait du pays de l’UE assurerait une meilleure protection contre de potentiels attentats terroristes. Les terroristes, profitant de la libre circulation, pourraient entrer au pays via la France ou d’autres pays de l’UE et perpétrer des attentats en sol britannique. Dans cette optique, mettre fin à la libre circulation réduirait énormément les chances d’attentat.

Derrière ces deux volets majeurs de l’argumentaire pro-brexit, il y existe aussi un élément un peu plus subtil, mais qui est un moteur puissant. Comme on pouvait le lire dans l’article de LA PRESSE du 16 juin dernier, « Grande-Bretagne: Brexit, guerre et crise existentielle« , la Grande-Bretagne se retrouve depuis quelques décennies, mais plus clairement depuis le référendum sur l’indépendance écossaise, dans une sorte de crise existentielle. En effet, de nombreuses personnes, notamment dans les tranches plus âgées de la population, sont toujours nostalgiques de la place prépondérante qu’occupait la Grande-Bretagne il y a de cela un peu d’un siècle. À cette époque, le pays régnait sur un empire qui comprenait un quart de la population mondiale et d’où vient l’expression : « l’empire où le soleil ne se couche jamais« . Selon Michael Skey, spécialiste des questions identitaires à l’Université de Loughborough cité dans l’article, le référendum sur le Brexit est une incapacité de la part des Britanniques à faire le deuil de l’ancien empire :

«Ce référendum sur le Brexit trahit notre incapacité à faire le deuil de l’empire. Ceux, surtout les plus âgés, qui ne se reconnaissent plus dans une société de plus en plus diversifiée sont sensibles à un discours qui leur propose de monter dans une machine à remonter le temps et de tout recommencer. Ils se disent: ah! si seulement on pouvait quitter cette foutue Europe et redevenir une grande nation».

Il explique cette importance du passé par le fait qu’à ce moment, le Royaume-Uni pouvait faire une différence dans la politique internationale, alors que depuis la crise du canal de Suez, le royaume est relégué au rang de puissance secondaire au même titre que d’autres puissances européennes. Le Royaume-Uni souffrirait donc d’une sorte de nostalgie collective qui l’aurait empêché d’embarquer avec enthousiasme dans le projet de l’Union européenne. En effet, selon Sunder Katwala,, directeur du groupe de réflexion « British Future«  et lui aussi cité dans l’article, le sentiment de gloire qu’éprouva la Grande-Bretagne suite à la Seconde Guerre mondiale dû au fait qu’il s’agissait pratiquement du seul pays à sortir de la guerre sans trop de taches provoqua une certaine indifférence de la part du gouvernement britannique.

«Au sortir de la guerre, dit-il, la Grande-Bretagne, persuadée de toujours faire partie du Top 3, a considéré le projet européen avec un certain détachement. Lorsqu’il est devenu évident avec la crise du canal de Suez dans les années 1950 qu’il s’agissait là d’une erreur, le train de l’union était déjà parti», Sunder Katwala.

Dans le camp contre-brexit, l’argumentaire se résume principalement autour de la question économique, fer de lance de la campagne. Ces derniers, avec comme tête de liste David Cameron, affirment qu’une sortie de l’UE entraînerait un ralentissement de la croissance, un taux de chômage plus élevé ainsi que des prix plus élevés en raison de barrières tarifaires. Les banques centrales affirment aussi que dans le cas d’une victoire du brexit, les effets pourraient se faire sentir sur les marchés mondiaux, et non seulement européen, vu la place cruciale de Londres dans le système financier.

Conséquences du référendum

Un référendum sur un tel enjeu ne peut qu’entraîner des conséquences décisives, autant sur la cohésion du Royaume-Uni qu’au niveau des carrières de certains politiciens.

En ce qui concerne l’unité du pays, la victoire du oui (donc une sortie de l’Union européenne) pourrait agir comme un élément catalyseur pour le mouvement indépendantiste écossais. Effectivement, alors qu’en Angleterre la population est beaucoup plus partagée sur la question –environ 50-50–, les Écossais éprouvent un sentiment beaucoup plus favorable envers le maintien du pays dans l’Union européenne. Selon un sondage publié dans un article du journal Le Monde, « un “Brexit” relancerait la perspective d’une indépendance écossaise », 50 % des Écossais étant favorables au maintien du pays au sein de l’UE, alors que seulement 35 % sont pour le retrait. Nicola Sturgeon, chef du SNP et première ministre d’Écosse, a déclaré qu’il ne serait pas démocratique que Londres se retire de l’Union européenne puisque le gouvernement ignorerait la volonté de ses citoyens écossais.

Le fait que le gouvernement de Londres refuse de prendre en considération la volonté des Écossais donnerait une bonne raison au SNP de déclencher une seconde campagne référendaire sur la base que les intérêts de l’Écosse ne sont pas pris en compte dans les politiques de David Cameron. Une victoire du camp favorable à la sortie provoquerait ainsi une remise en question de la cohésion nationale, fournissant un argument de choix, soit l’écoute de la volonté populaire, au camp nationaliste. Au vu de la situation du parti nationaliste à la suite des dernières élections générales au printemps 2015 et de la montée de l’appui à la souveraineté qui a augmenté suite à ces dernières, il serait très dangereux pour le premier ministre Cameron que le camp du oui l’emporte.

La victoire du camp favorable à la sortie coûterait cher à la carrière politique de certains individus, en premier lieu David Cameron. Il s’agit en fait de celui qui risque le plus dans cette situation. Si le camp eurosceptique l’emporte et que l’Écosse se lance dans une nouvelle campagne référendaire, sa légitimité au titre de premier ministre et chef du parti serait remise en cause. Il ne pourrait continuer à gouverner puisqu’il serait considéré comme celui qui a mis en danger la cohésion du pays un peu moins de deux ans seulement après le référendum sur la souveraineté écossaise. D’autant plus que, si l’Écosse, dans un scénario hypothétique, devenait un pays, il en serait le principal instigateur puisqu’il aurait fourni au mouvement nationaliste l’élan nécessaire pour accomplir son objectif.

Par la suite, si David Cameron réussissait à garder le Royaume-Uni au sein de l’UE, de nombreux électeurs conservateurs et membres de son propre parti risqueraient de le quitter pour s’orienter vers des formations promouvant l’idée. Les électeurs et membres du parti qui seront déçus par le fait que le pays continue d’être membre de l’Union européenne vont probablement exercer une grande pression sur David Cameron pour lui faire quitter son poste, arguant le fait qu’il préfère rester soumis à Bruxelles et nuire aux intérêts du royaume.

Dans le cas inverse, si le camp favorable à la sortie l’emporte, de nombreux électeurs tourneront probablement le dos au Parti conservateur, l’opinion publique étant partagée à presque 50-50. De nombreux Britanniques ont intérêt à ce que leur pays conserve ses liens avec l’Union européenne, que ce soient des retraités anglais ayant décidé de couler des jours heureux dans des pays au climat plus doux tels l’Espagne, des expatriés travaillant en Europe et bénéficiant des mêmes services que s’ils étaient dans leur pays d’origine ou des hommes d’affaires ou des entreprises profitant des avantages commerciaux qu’ils retirent de cette association.

Dans les deux situations, David Cameron se retrouve à perdre des appuis d’importantes franges de la population. S’il réussit à maintenir le Royaume-Uni dans l’Union, il risque certes de perdre le soutien de nombreux conservateurs mais, considérant la situation que l’issue inverse risque de susciter en Écosse et les millions d’individus qui profitent de ce lien avec l’Europe continentale, il pourrait quand même conserver son poste, les conservateurs déçus étant beaucoup moins nombreux que les autres. Dans cette situation, il s’agira surtout d’une bataille entre conservateurs pro-Europe et eurosceptiques, optique nettement plus favorable pour David Cameron puisque l’aile pro-Europe du Parti conservateur est plus importante que son adversaire.

Bref, le Brexit représente un véritable danger pour la classe politique, notamment pour David Cameron. Excepté les eurosceptiques et le mouvement indépendantiste écossais, aucun acteur politique de Londres ne fait de gain avec ce référendum. Au contraire, plusieurs, surtout au gouvernement, vont y perdre beaucoup, advenant la victoire du camp de la sortie de l’UE.

Notes provisoires sur la question grecque

Notes provisoires sur la question grecque

Mise en contexte

La question grecque est éminemment complexe. Si les yeux de l’Europe sont rivés sur la Grèce depuis l’élection retentissante de la coalition de gauche radicale Syriza le 25 janvier 2015, c’est pour voir si ce nouveau joueur pourra changer la donne en luttant contre l’austérité à l’intérieur du cadre européen par un plan de relance économique basé sur la restructuration de la dette publique grecque. Bien qu’il soit impossible de résumer ici l’histoire et les antécédents ayant mené à la plus importante crise de la dette souveraine d’un État européen (crise économique de 2008, fort endettement lors de l’entrée dans la zone euro masqué par des instruments financiers développés par la banque d’investissement Goldman Sachs, corruption des élites économiques et politiques, difficulté à prélever l’impôt, budget militaire surdimensionné, dépendance aux fonds structurels européens, explosion des intérêts de la dette sous l’influence des agences de notation, etc.), il faut rappeler que le remède concocté pour assurer la « soutenabilité » de la dette grecque n’a pas aidé la situation du pays, au contraire: il l’a plutôt aggravée de manière dramatique.

Depuis le printemps 2010, les gouvernements successifs de l’État grec tentent d’éviter la noyade en négociant à répétition avec la Troïka (Banque centrale européenne, Union européenne, Fonds monétaire international) des « plans de sauvetage », également nommés « mémorandums » ou « plans d’ajustement structurel », qui associent des prêts de centaines de milliards d’euros à des mesures d’austérité drastiques: baisse du salaire minimum, flexibilisation du marché du travail, privatisations tous azimut, augmentation de la taxe de vente, coupures massives dans l’éducation, la santé et la fonction publique, réforme des retraites, etc. Ce remède toxique a non seulement étouffé l’économie du pays (contraction du PIB de 25% depuis 2008), mais causé une véritable « crise humanitaire »: bond de 20% du taux de suicide et de 40% de la mortalité infantile, chômage à 25% (50% chez les jeunes), explosion de la prostitution, de l’itinérance et de la toxicomanie, apparition de milices néonazies, etc.

Après les gouvernements de gauche (Pasok) comme de droite (Nouvelle démocratie) qui ont été contraints de gérer ce désastre financier et humain, la question est de savoir si Syriza pourra éviter le sort de ses prédécesseurs en renversant la situation de dépendance extrême de l’État grec vis-à-vis de ses créanciers. La victoire électorale de Syriza s’explique d’abord par le succès initial de son hypothèse stratégique, qui répondait de manière habile aux contradictions de la situation grecque: opposition ferme aux mesures d’austérité, insistance sur le maintien de la Grèce dans la zone euro, discours « radical-pragmatique » soutenant un projet de relance économique et sociale d’inspiration néo-keynésienne (augmentation massive des investissements publics, hausse du salaire minimum et des programmes sociaux, soutien aux petites et moyennes entreprises, reconstruction de l’État-providence, etc.) basé sur des négociations de bonne foi avec les « partenaires européens » en vue d’une restructuration substantielle de la dette souveraine.

Or, cette stratégie électorale s’avérait initialement un pari risqué en cas d’échec des négociations avec les bailleurs de fonds et les autres pays de la zone euro qui ne sont pas prêts à accepter des concessions. En effet, tout le plan de Syriza consiste à faire reposer son projet de développement économique et social sur le scénario d’un accord « gagnant-gagnant » entre la Grèce et la Troïka, la ligne majoritaire du parti refusant catégoriquement d’envisager un plan B si cette hypothèse se révèle infructueuse. Il s’agit de la position classique de l’« européisme de gauche », perspective qui suppose le caractère réformable du cadre européen; derrière la construction néolibérale des institutions européennes actuelles se cacherait la possibilité d’une Europe sociale et solidaire, un « bon euro » qui pourrait permettre d’associer prospérité économique et justice sociale par la volonté politique commune des gouvernements de gauche. La rupture avec l’ordre européen est à proscrire à tout prix, celle-ci étant synonyme de « repli national » et d’illusion protectionniste prêtant le flanc aux dérives nationalistes, populistes et d’extrême droite. Le retour à la drachme représentant une voie assurée vers la catastrophe économique, l’effondrement bancaire et l’inflation extrême.

Cette orientation idéologique dissimule évidemment des considérations stratégiques; sur le plan politique, il est clair que Syriza n’aurait jamais pu prendre le pouvoir avec une ligne eurosceptique, alors que de nombreux sondages indiquent qu’environ 80% de la population s’oppose au Grexit, c’est-à-dire à la sortie de la Grèce de la zone euro. Mais la question demeure de savoir si la crise de la dette publique grecque peut être résorbée dans le cadre européen, c’est-à-dire si le maintien à tout prix dans la zone euro est viable du point de vue économique, étant donné que la Grèce se retrouve prisonnière d’une trappe d’austérité-récession et assujettie aux contraintes des élites financières de l’union monétaire. Cette dernière est-elle d’abord le fruit de négociations politiques –et donc une structure malléable qui admet une certaine marge de manœuvre pour trouver un terrain d’entente– ou plutôt une « cage de fer » construite sur une logique monétariste enchâssée dans des traités quasi-constitutionnels et dominée par des institutions technocratiques non redevables (Commission européenne, BCE)? Telle est la nature de la question grecque.

Si la réalité, toujours complexe, est déterminée par un ensemble de contraintes économiques et de perceptions politiques, d’objectivité et de subjectivité, de structures et d’acteurs, de nécessité et de liberté, il reste que tout cadre impose un certain degré de rigidité qui définit le contexte à partir duquel seront interprétées les règles du jeu. Une perspective macroéconomique et historique insistera davantage sur la construction antidémocratique de l’Union européenne au service de la financiarisation capitaliste, des banques et des élites allemandes qui imposent des règles budgétaires, fiscales et économiques très strictes aux États membres, alors qu’une analyse davantage micro et interactionniste attirera l’attention sur la mauvaise foi de la chancelière allemande Angela Merkel, la fougue de l’économiste hétérodoxe et ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis, et sur le style pragmatique d’Alexis Tsipras. Comme les négociations houleuses des derniers mois ont braqué les projecteurs sur le jeu des acteurs, il est nécessaire de prendre du recul pour analyser la situation d’un point de vue global et historique. Bien qu’on ne puisse pas trancher a priori du caractère réformable ou non des institutions européennes, l’expérience de Syriza constitue un véritable « benchmark », un test ultime de la flexibilité du cadre européen.

Un dénouement inattendu

C’est à partir de cet horizon qu’il faut comprendre les péripéties des négociations entre Tsipras et l’Eurogroupe ces dernières semaines, dont le référendum du 5 juillet sur le projet d’accord de la Troïka. Tout d’abord, plusieurs commentateurs politiques ont souligné à juste titre le tour de force de Tsipras, qui convoqua un référendum sur un accord arraché in extremis dans un contexte d’asphyxie bancaire. Ce faisant, il montrait qu’il avait négocié de bonne foi avec ses partenaires européens tout en respectant son mandat anti-austérité et en assurant l’unité de son parti, son invitation à voter contre ce énième plan d’austérité devant théoriquement lui permettre de renverser le rapport de force vis-à-vis de la France et de l’Allemagne. La victoire du Non avec une forte majorité des voix (61,31 %) envoya un signal d’espoir marquant l’opposition populaire à l’austérité. Malheureusement, Tsipras se retrouve à signer huit jours plus tard un plan de sauvetage pire que l’accord précédent, avec des mesures d’austérité drastiques qui vont directement à l’encontre du programme de relance économique et sociale de Syriza et du Non référendaire. Comment un tel revirement de situation est-il possible ?

D’une part, Tsipras a interprété le résultat du référendum comme le refus d’un accord injuste à l’endroit du peuple grec, celui-ci lui demandant de négocier un nouveau plan plus acceptable sur le plan social. Or, le premier ministre a aussitôt écarté le spectre du Grexit en insistant sur le fait qu’il avait le devoir impératif de trouver une nouvelle entente dans le cadre de la zone euro. Cependant, tout ce contexte de pression extrême –l’asphyxie du système financier, la Banque centrale européenne tenant l’économie grecque à un fil, la fermeture des guichets, le contrôle des capitaux– ne permet pas à Syriza de négocier d’égal à égal avec l’Eurogroupe et ce, malgré la division apparente entre l’attitude conciliante de la France et la ligne dure de l’Allemagne. En somme, si la Grèce veut rester dans la zone euro, elle devra troquer de nouveaux prêts contre des mesures d’austérité. Il ne s’agit pas ici d’un manque de jugement de Tsipras ou d’une erreur tactique, mais de la conséquence logique d’une stratégie qui montre ici ses limites: il s’avère impossible de forger un véritable rapport de force à l’intérieur du carcan européen dominé par les élites financières.

Devant cette situation paradoxale dans laquelle il devait endosser un plan d’austérité[i] après le Non clair du référendum, Tsipras décida de soumettre celui-ci à l’approbation du parlement grec pour renforcer sa légitimité et relancer les négociations et ce, au risque de fissurer son parti. Des 251 députés sur 300 qui ont voté en faveur de l’accord le vendredi 10 juillet dernier, il faut compter huit abstentions, deux votes contre et sept absences au sein de Syriza. Après une interminable fin de semaine de négociations intenses qui s’apparentait, pour certains, à un exercice de torture psychologique[ii], Tsipras craque. Ce n’est pas l’Allemagne qui perd la face mais la Grèce, qui se réveille avec un dur lendemain de veille. Le spectre du Grexit a permis de durcir le plan d’austérité que la gauche radicale devra servir à son peuple malgré un Non référendaire catégorique.

L’ouverture d’un nouveau plan d’aide ne pourra avoir lieu qu’une fois que la Grèce aura abandonné sa souveraineté fiscale et adopté une série de réformes toxiques: augmentations de taxes, coupures dans les retraites, privatisations massives, transferts d’actifs vers un fonds géré par les Européens. En contrepartie, la Troïka propose non pas la restructuration ou l’annulation d’une partie de la dette, mais un rééchelonnement hypothétique et quelques dizaines de milliards d’euros sur trois ans en échange d’une mise sous tutelle de la Grèce. L’histoire se répète. La question qui se pose maintenant est de savoir si le parlement grec acceptera un tel plan odieux mercredi: si oui, c’est le début de la fin, sinon, c’est l’hypothèse d’un « Grexit provisoire » tel que mentionné à la fin du texte de l’Eurogroupe. L’alternative simple est donc la suivante: austérité ou sortie de la zone euro. S’il est encore trop tôt pour prédire un avenir hautement incertain dans ces moments de bifurcation historique, il est tout de même possible et utile, voire nécessaire d’envisager tous les scénarios possibles afin d’être à la hauteur des circonstances et de mieux préparer la suite des choses.

Éloge du souverainisme de gauche

Le Grexit agit présentement comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de tout gouvernement le moindrement contestataire qui voudrait remettre en question la logique intransigeante de la zone euro. Pour renverser la donne et faire du Grexit une arme politique au service du « parti des débiteurs » contre le « parti des créanciers », il faut d’abord regarder ce que renferme la possibilité du national contre l’idéologie européiste qui exclut systématiquement cette alternative. D’une part, il suffit de regarder l’architecture institutionnelle de l’Union européenne (dont le traité de Maastricht, l’orthodoxie monétariste de la BCE, la composition technocratique de la Commission européenne et le traité de Lisbonne) pour constater que le néolibéralisme européen n’est pas un accident de parcours qui pourrait être corrigé par un simple changement des gouvernements des États membres et du Parlement européen. Comme le résume le philosophe et économiste français Frédéric Lordon, « l’Europe n’est pas conjoncturellement de droite, elle l’est bel et bien constitutionnellement »[iii].

Toute une série de politiques publiques, budgétaires, fiscales et économiques sont ainsi exclues a priori par des règles rigides enchâssées dans des traités fondateurs qui ne peuvent être réformés que par l’unanimité des 28 pays membres de l’Union européenne. C’est pourquoi la souveraineté politique et économique des États membres est largement limitée par un cadre qui demeure largement hors de la portée du contrôle démocratique des peuples. Bien que le « retour au national » ne soit pas une fin en soi, il :

« a pour immense vertu de « déconstitutionnaliser le problème », c’est-à-dire, envoyant promener les traités, de rapatrier instantanément dans le périmètre de la délibération démocratique ordinaire les questions stratégiques –banque centrale, place des marchés de capitaux, formes du financement des déficits et des dettes– qui en sont exclues. Du jour au lendemain, on peut à nouveau parler de choses qui avaient été soustraites à la discussion et figées en règles intangibles! Qui ne voit l’effet politique par soi extraordinaire de cette rupture-là ? Évidemment, nul ne peut préjuger du résultat de la discussion, mais que la discussion puisse de nouveau avoir lieu, c’est ça l’événement! […] Le capital, qui aura été le premier militant de l’ »éloignement », sait très bien qu’il serait alors la première victime de ce « rapatriement », et ceci du seul fait qu’il serait de nouveau possible de parler de tout ce qu’il pensait avoir conjuré. »[iv]

La question sociale et la question nationale sont donc intimement liées, en Europe comme au Québec. La première question renvoie aux contradictions du système économique et monétaire, tandis que la seconde concerne la capacité des peuples à se gouverner eux-mêmes. Si « l’européisme de gauche » correspond ici à la gauche fédéraliste qui croit à la réforme du cadre canadien malgré quelques égarements néolibéraux et conservateurs des gouvernements fédéraux, le « souverainisme de gauche » considère que le cadre constitutionnel n’est pas démocratique et réformable, que l’indépendance politique et économique constitue un moment essentiel d’une lutte internationale et qu’il faut donc refonder des alliances entre les peuples sur de nouvelles bases.

Il faut également distinguer le souverainisme de droite du souverainisme de gauche, le premier insistant davantage sur le rôle central de la nation  le second étant basé sur les exigences de la souveraineté populaire :

« Les tenants de la « souveraineté nationale », en effet, ne se posent guère la question de savoir qui est l’incarnation de cette souveraineté, ou plutôt, une fois les évocations filandreuses du corps mystique de la nation mises de côté, ils y répondent « tout naturellement » en tournant leurs regards vers le grand homme, l’homme providentiel –l’imaginaire de la souveraineté nationale, dans la droite française, par exemple, n’étant toujours pas décollé de la figure de De Gaulle. L’homme providentiel donc, ou ses possibles succédanés: comités de sages, de savants, de compétents ou de quelque autre qualité, avant-gardes qualifiés, etc., c’est-à-dire le petit nombre des aristoi (« les meilleurs ») à qui revient « légitimement » de conduire le grand nombre.

La souveraineté de gauche, elle, n’a d’autre sens que la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’association aussi large que possible de tous les intéressés à la prise des décisions qui les intéressent. En vérité, il ne devrait pas y avoir lieu conceptuellement de faire cette différence de la nation et du peuple […], mais les habitudes lexicales ont été ainsi prises dans le débat politique que le premier terme renvoie bel et bien à tout un univers de droite et qu’il n’est pas autre chose en son fond qu’un souverainisme gouvernemental, quand le second est de gauche en tant qu’il n’efface pas les mandants derrière les mandataires, et se pose par là comme souverainisme démocratique. Le souverainisme de droite n’est donc rien d’autre que le désir d’une restauration (légitime) des moyens de gouverner, mais exclusivement rendus à des gouvernants qualifiés en lesquels la « nation » est invitée à se reconnaître –et à s’abandonner. Le souverainisme de gauche est l’autre nom de la démocratie – mais enfin comprise en un sens tant soit peu exigeant. »[v]

Ces distinctions mettent en évidence le fait que le jeu politique n’est réductible ni à l’axe gauche/droite, ni au clivage souverainisme/fédéralisme. Derrière le problème central de l’austérité, la question grecque révèle un antagonisme plus profond entre la souveraineté populaire et nationale d’une part et la globalisation financière de l’autre, soit la démocratie contre le « parti de Wall Street », selon les termes de David Harvey. Malgré tout, le présent gouvernement de coalition en Grèce admet une certaine diversité idéologique, la position majoritaire de Syriza endossant l’européisme de gauche, les treize députés du parti des Grecs indépendants (ANEL) le souverainisme de droite, et l’aile gauche de Syriza le souverainisme de gauche.

Misère et richesse du Grexit

Si la ligne de parti de Syriza n’est pas eurosceptique, son aile gauche affirme que l’alternative à l’austérité exige toutefois de sortir des sentiers battus en proposant un plan de transition hors de la zone euro. Elle se rapproche à ce titre du parti anticapitaliste, communiste et écologiste Antarsya (qui signifie « mutinerie » en grec), lequel soutient le Grexit, l’annulation de la dette, la nationalisation sans compensation des banques et des grandes industries et un plan de transition écosocialiste pour relancer l’économie. Il s’avère que la majorité du peuple grec n’est pas en faveur du Grexit, raison de plus pour exposer clairement ce qui en ressortirait en ouvrant un réel débat public sur le sujet et en lui présentant un plan de transition désirable, viable et réaliste. L’échec de la stratégie de Tsipras consiste moins à avoir tenté de négocier avec les « partenaires européens » (ce qui est légitime) que d’avoir écarté systématiquement l’éventualité du Grexit et la nécessité d’élaborer un plan B en cas d’échec de l’hypothèse initiale. Il est clair que Syriza n’aurait pas pu prendre le pouvoir avec un programme ouvertement eurosceptique, mais cela ne dispense pas la gauche d’adopter une stratégie flexible en fonction des scénarios possibles. Ce n’est pas le Grexit qui est catastrophique, mais le fait de ne pas s’y préparer alors que les circonstances historiques l’exigent.

Cela nous ramène à la question stratégique suivante: comment faire du Grexit non pas un épouvantail à faire avaler des mesures d’austérité mais une arme politique au service d’un projet de transformation sociale? La ligne de crête entre réformisme radical et pragmatisme gestionnaire peut être résumée par cette maxime de Benoît Malon: « Sachons être révolutionnaires quand les circonstances l’exigent, mais soyons réformistes toujours ». Être révolutionnaire signifie ici renoncer à l’austérité en échange d’un rééchelonnement de la dette pour sauver du temps et préparer le saut hors de la zone euro dans une perspective de « démondialisation internationaliste ». Cette stratégie est préconisée par divers économistes, philosophes, militants et théoriciens comme Frédéric Lordon, Cédric Durand, Razmig Keucheyan, Stathis Kouvelakis et Costas Lapavitsas[vi]. Un retour planifié à la drachme, laquelle serait d’abord réintroduite sous forme de monnaie virtuelle, permettrait de redonner à la Grèce la maîtrise de ses politiques monétaires, fiscales et économiques, la dévaluation de cette monnaie rendant son économie plus compétitive pour l’industrie touristique et les exportations. Malgré tout, il ne faut pas oublier de mentionner la baisse importante du pouvoir d’achat pour les produits de base importés, ainsi que des perturbations économiques importantes à court terme.

« Il va de soi également, et ce serait malhonnête de le cacher ou de le minimiser, qu’un bouleversement de cette ampleur a plus que sa part de chaos, de difficulté économique, probablement de régression transitoire du niveau de vie matériel. De cela il faudra avertir et ré-avertir: il n’y a pas de promesse de prospérité instantanément restaurée dans cette trajectoire-là, plutôt le contraire même, mais, comme il sied à une promesse d’une autre nature, celle d’une souveraineté politique et économique reconquise, cette dernière n’étant pas la moindre, on devrait même dire qu’elle est à conquérir tout court, et qui mieux est au cœur du « réacteur » –la finance et la banque!– condition préalable à son extension à toutes les sphères économiques productives. »[vii]

Un « creux de transition » est donc à prévoir, c’est-à-dire que les intérêts matériels des classes moyennes et populaires seront assurément affectés durant une certaine période de temps, avant que l’économie grecque soit relancée sur de nouvelles bases, améliorant substantiellement les conditions de vie de la majorité sociale. Toute la question est de savoir quelle sera la durée et l’ampleur de cette période de transition, laquelle dépend à son tour de la forme que prendra le Grexit et de nombreux autres facteurs difficiles à cerner. L’idéal serait une sortie ordonnée de la zone euro, voie privilégiée par certains économistes comme Lapovitsas et Durand : « Une sortie négociée est le scénario le plus probable, et le plus souhaitable. Pour les premiers mois au moins, il faudrait que la BCE s’engage à maintenir une parité précise entre l’euro et la nouvelle devise. Une monnaie dévaluée de 30 % devrait être un niveau juste et soutenable. Ce serait le compromis le plus raisonnable pour tous les Européens. »[viii]

Or, le manque de préparation de Syriza conduit tout droit à la possibilité d’une sortie désordonnée de la zone euro (« Grexident »), laquelle pourrait être beaucoup plus violente et imprévisible. Si certains y voient l’effondrement potentiel de l’économie grecque, laquelle est déjà largement en panne, d’autres y perçoivent plutôt une occasion historique à ne pas louper, notamment en faisant du défaut complet sur la dette souveraine une arme politique redoutable. S’agit-il d’une logique du pire? Sans doute, mais si ce scénario devient inévitable, il sera nécessaire d’agir en conséquence pour transformer cette crise financière en opportunité de changement radical. Comme le souligne Lordon avec un ton mordant :

« C’est le propre de la domination que le désastre est le plus souvent la meilleure chance des dominés. La fenêtre de ce désastre-là, à l’inverse de celle de 2008, il ne faudra pas la manquer. Une fois de plus, il faudra rappeler les effrayés à la conséquence. En situation de surendettement historique, il n’y a de choix qu’entre l’ajustement structurel au service des créanciers et une forme ou une autre de leur ruine. […]

Au prix sans doute d’attrister le Parti de la Concorde Universelle, il faut donc rappeler qu’un ordre de domination ne cède que renversé de vive force. Ce peut être d’abord, dans l’ordre d’un arsenal de riposte bien graduée, la force de la ruine financière. C’est précisément ce dont il est question dans le projet de faire du défaut une arme politique. Tous ces messieurs de la finance et leurs imposantes institutions y finiraient immanquablement en guenilles. C’est-à-dire adéquatement « préparés » pour être aussitôt ramassés à la pelle et au petit balai. Rappelons que les banques faillies sont par définition des banques qui ne valent plus rien, des entreprises dont la valeur financière est tombée à zéro. C’est précisément à ce prix que la puissance publique se proposera alors de les récupérer –et voilà que l’indispensable nationalisation, premier pas (et sûrement pas le dernier!) pour mettre enfin un terme au désordre de la finance libéralisée, ne nous coûtera même pas le taxi pour renvoyer les banquiers à une retraite précoce, sans chapeau, bonus ni stock-options, faut-il le dire. »[ix]

La morale de l’histoire

Pour Lordon, il s’agit de renverser la stratégie du choc et la logique d’austérité des banquiers en faisant de la sortie de l’euro notre stratégie du choc et amorcer la sortie du capitalisme. Cela représente sans doute une forme d’optimisme révolutionnaire (ou de catastrophisme éclairé!), mais il n’en demeure pas moins que les ruptures sont possibles dans l’histoire et que nous devons étudier leur fonctionnement lorsque celles-ci surgissent afin de ne pas manquer le bateau. D’où la pertinence de cette célèbre maxime de Rahm Emanuel repopularisée par Philip Mirowki dans son livre sur la crise financière de 2008: « Never let a serious crisis go to waste »[x].

Par ailleurs, il faut surtout éviter le piège de la nécessité historique, c’est-à-dire une vision mécaniste de l’histoire qui exclut le rôle des acteurs, de la contingence et des bifurcations imprévisibles. Le meilleur exemple du rôle clé des décisions politiques –qui peuvent parfois changer le cours de l’histoire– se trouve dans les récentes confessions de l’ex-ministre des Finances Yánis Varoufákis qui explique les raisons de sa démission surprise le lendemain du référendum grec. Quel scénario aurait vécu la Grèce si le réformisme radical de Varoufákis avait supplanté le pragmatisme gestionnaire de Tsipras? Une décision de cabinet peut tout changer. La sortie stratégique de l’euro étant écartée, ce sera l’austérité ou la sortie involontaire (Grexident) qui décidera de la suite de l’histoire.

« L’ancien ministre grec des Finances a révélé avoir démissionné après avoir été mis en minorité sur sa ligne dure prévue face à la BCE. […] Il a révélé lundi avoir en fait perdu à quatre contre deux lors d’une réunion de cabinet après la victoire du non au cours de laquelle il prônait une ligne dure. Yánis Varoufákis a également affirmé au magazine britannique qu’il avait prévu « un triptyque » d’actions pour répondre à la situation que connaît la Grèce aujourd’hui, et notamment à la fermeture des banques, pour éviter une hémorragie de l’épargne: « émettre des IOUs » (phonétiquement « I owe you » je vous dois », des reconnaissances de dettes en euros); « appliquer une décote sur les obligations grecques » détenues par la BCE depuis 2012 pour réduire d’autant la dette, et « prendre le contrôle de la Banque de Grèce des mains de la BCE ». Cela laissait, selon lui, entrevoir une possible sortie de la Grèce de leuro, mais avec la certitude, explique-t-il, qu’il n’y avait de toute façon aucun moyen légal de la pousser dehors. Le tout pour faire peur et obtenir un meilleur accord des créanciers, selon lui. « Mais ce soir-là, regrette-t-il, le gouvernement a décidé que la volonté du peuple, ce ‘non’ retentissant, ne devait pas être le déclencheur de cette approche énergique (…) au contraire cela allait mener à des concessions majeures à l’autre camp ». »[xi]

Cette simple anecdote témoigne d’une vérité essentielle de l’action politique: si nous ne maîtrisons pas l’ensemble des circonstances historiques, la stratégie et la vertu (sagacité) comptent pour beaucoup. Plusieurs seront sans doute désenchantés par l’action politique, la capitulation du gouvernement grec envoyant un message comme quoi peu importe le parti au pouvoir, celui-ci sera toujours récupéré par le système, y compris la gauche radicale. On pourrait donc tirer la conclusion facile que ce ne sont pas nos gouvernements qui dirigent mais la finance internationale, même la victoire écrasante d’un « Non » référendaire n’étant pas en mesure de changer le cours des choses. Cela n’est pas complètement faux, mais pas complètement vrai non plus: l’échec de Syriza s’explique notamment par la pression extrême de l’oligarchie financière et de la caste politique européenne, mais également par une erreur stratégique sur la question de l’euro et les mauvaises décisions qui en ont découlé.

Somme toute, s’il est exagéré d’affirmer, comme le Parti communiste grec (KKE), que Syriza représente « la réserve de gauche du capitalisme », il est sans doute vrai que la ligne stratégique de Tsipras représente « la réserve de gauche de l’européisme » et que le parti devra envisager un plan B très prochainement. Paradoxalement, le pari qui aura permis à Syriza de prendre le pouvoir sera également celui qui fera probablement tomber le gouvernement de gauche radicale, comme quoi la quadrature du cercle est un atout dans la joute électorale, mais un handicap dans l’exercice effectif du pouvoir. Chassez les contradictions et elles reviennent au galop.

Dernier fait intéressant à noter: le « programme Thessalonique » de Syriza garde toute sa pertinence sur le plan social et économique, celui-ci se fourvoyant seulement sur l’hypothèse d’une restructuration de la dette grecque au sein de la zone euro. Cela confirme une fois de plus le fait que la gauche n’est pas généralement habile pour jongler avec la question nationale, la souveraineté sur le plan politique, fiscal et monétaire étant pourtant un élément crucial pour lutter efficacement contre l’austérité. À l’inverse, le sort de Syriza devrait intéresser davantage le mouvement souverainiste québécois, qui reste étonnamment peu bavard sur la question grecque, son regard étant davantage tourné vers l’Écosse ou la Catalogne. Or, ces trois expériences historiques mêlent étroitement la question sociale et nationale, chacune à leur façon. Toutes ces luttes pour l’émancipation expriment la nécessité d’articuler une véritable souveraineté populaire et nationale en faveur d’un projet de société fondé sur les valeurs de justice sociale, de liberté politique et de démocratie.

[i] Ce plan prévoyait un taux de TVA unifié à 23 % sauf pour les produits alimentaires de base (13  %) et 6  % sur les médicaments, les livres et le théâtre; la mise en place d’organes indépendants de supervision de la politique budgétaire; 0,5 points de PIB d’économie sur les services de santé; des économies de 0,25 à 0,5 % du PIB sur les retraites dès 2015 et 1 % à partir de 2016; des ajustement des salaires et de l’emploi public de manière à diminuer la masse salariale en proportion du PIB tout en décompressant la distribution des salaires; une libéralisation tous azimuts du marché des produits (lignes de bus, etc.) et des professions « protégées » (notaires, ingénieurs, etc.); les privatisations acceptées en 2014 sous le précédent gouvernement étant arrivées à leur terme.

[ii] http://www.theguardian.com/business/2015/jul/12/greek-crisis-surrender-f…

[iii] Frédéric Lordon, La malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les liens qui libèrent, Paris, 2014, p.44

[iv] Ibid., p.148-149

[v] Ibid., p.229-230

[vi] Cédric Durand, (dir.), En finir avec l’Europe, Paris, La Fabrique, Paris, 2013.

[vii] La malfaçon, p.126-127

[viii] http://www.mediapart.fr/journal/economie/090715/les-voies-du-grexit

[ix] La malfaçon, p.115-116

[x] Philip Mirowski, Never Let a Serious Crisis Go to Waste: How Neoliberalism Survived the Financial Meltdown, Verso, New York, 2013

[xi] « Grèce: Yánis Varoufákis révèle les raisons de sa démission surprise », Libération, 13 juillet 2015. http://www.liberation.fr/economie/2015/07/13/varoufakis-revele-les-raiso…

Leçons du printemps 2015

Leçons du printemps 2015

Éviter les mêmes pièges cet automne

L’épisode de grève étudiante du printemps a déçu et frustré beaucoup d’étudiant-es de l’UQAM, même si peu osent le dire. Beaucoup de personnes ont fait confiance aux comités Printemps 2015 pour mener à bien le mouvement de grève « contre l’austérité et les hydrocarbures ». Toutefois, dès janvier, on critiquait  le manque de représentativité et les limites stratégiques inhérentes à ces comités (1). La base étudiante doit dès maintenant tirer les leçons du Printemps 2015 afin d’éviter de tomber dans les mêmes pièges à l’automne.

Décimons d’emblée une confusion entourant les comités Printemps 2015 (P2015) : non, « comités Printemps 2015 » et « mouvement étudiant » ne sont pas synonymes. Les comités P2015 ne sont pas des associations étudiantes ni des comités de liaison officiels. Ils n’ont de compte à rendre à personne, contrairement aux comités et associations légitimes. Il s’agit d’un réseau de comités militants autoproclamés et décentralisés. Malgré l’usage systématique du « nous » dans leurs publications, les comités P2015 organisent principalement des cercles restreints de militant-es radicaux-ales universitaires localisé-es à Montréal. Bien que ces militant-es soient marginaux-ales au sein du mouvement étudiant, leurs idées y ont toutefois exercé une influence majeure en terme de stratégies de mobilisation, de liens identitaires et de discours politiques.

Du 23 mars au 6 avril, des associations étudiantes – structures légitimes et représentatives du mouvement étudiant – regroupant près de 60 000 étudiant-es ont démocratiquement voté différentes modalités de grève contre l’austérité. Leur débrayage a été tout aussi massif lors des manifestations des derniers mois (80 000 étudiant-es le 31 octobre 2014 (2), 135 000 le 2 avril 2015 (3) ou encore 40 000 le 1er mai 2015 (4). Les comités P2015 ont joué le rôle important d’avant-garde politique dans la mobilisation, dans l’orientation politique et dans l’organisation de ces actions. Leur structure en réseau leur a aussi servi de prétexte pour prendre des décisions à la place de la majorité, au nom de la cause et de l’auto-organisation de la base. Ainsi, les étudiant-es grévistes de l’UQAM n’ont jamais été consulté-es pour le piquetage dur du 30 mars, pour les levées de cours houleuses ou pour le saccage qui a suivi l’occupation du pavillon De Sève le 8 avril. Les actions qui ont défrayé la manchette n’ont jamais fait l’objet de débats ou de décisions démocratiques larges.

Absence de leadership des associations

Si des groupuscules et des individus radicaux ont réussi à avoir autant d’attention et d’influence, c’est en grande partie dû au manque de leadership cohérent et militant provenant des associations étudiantes locales et nationales. À l’UQAM, par exemple, certain-es élu-es étudiant-es ont déserté leur mandat en déléguant aux comités P2015 le travail politique à accomplir auprès de leurs propres membres.

À l’AFELC (5), personne n’a cru bon d’organiser des campagnes politiques massives ou de faire appel aux quelques 4 000 membres durant les deux semaines et demie de grève de l’association : rien sur la page Facebook, rien sur le site, aucune affiche dans l’UQAM. Un courriel d’invitation de masse a toutefois été envoyé le 26 mars au sujet des actions entourant les menaces d’expulsions politiques planant sur neuf militant-es. Le seul travail officiel a été réalisé entre la poignée de militant-es du comité de mobilisation, principalement organisé à travers son groupe Facebook fermé.

Le bilan du printemps nous force à questionner l’efficacité et l’aspect antidémocratique des stratégies d’actions commandos élaborées par les cliques de militant-es. À terme, leur intervention ultraradicale a été l’un des principaux facteurs dans la désarticulation du mouvement étudiant, plongé de manière précipitée dans une grève sans objectifs clairs, concrets et atteignables. Le déphasage entre la conscience politique des élites militantes et celle de la majorité des étudiant-es a conduit à deux pièges majeurs :

– la volonté de remplacer par une « démocratie directe » issue de l’auto-organisation la démocratie représentative des structures officielles ;

– la formulation d’un discours toujours plus radical, malgré l’essoufflement du mouvement de contestation.

Quels gains le mouvement de grève du printemps nous a-t-il permis d’obtenir ? Objectivement, aucun. Subjectivement, il aura participé à la radicalisation de nouvelles couches de la population, principalement étudiantes. Leur révolte nécessite toutefois d’être canalisée de manière constructive et efficace cet automne. Pour l’instant, on se retrouve devant une répression et des reculs historiques qui prendront des mois, sinon des années à surmonter. Quelques épisodes déterminants du printemps sont survolés plus bas.

Le lien avec la majorité

Même les militant-es de bonne foi peuvent perdre le lien qui est sensé les unir à la majorité de leurs congénères. Le pouls des autres devient de plus en plus difficile à prendre lorsque l’on est obnubilé-e par sa pratique militante, entouré-e presque exclusivement de ses camarades de lutte et enrobé-e dans un environnement Facebook qui conforte nos opinions.

La mauvaise foi surgit au moment où, plutôt que de constater l’ampleur de la tâche et de faire les efforts adéquats pour convaincre ces autres, on rejette la faute sur cette majorité « endormie », « incapable de comprendre », voire « de droite ». Les explications mécanistes deviennent alors bien commodes pour éviter l’autocritique et se victimiser face au pouvoir « manipulateur » des médias et « corrompu » des structures. Si ces risques sont et ont toujours été présents, ils ne constituent pas une fatalité discréditant à tout jamais ces institutions. Ce type de logique revient un peu à réclamer l’abolition de Code de la sécurité routière puisque, de toute façon, des accidents mortels surviennent toujours.Ce qui a fait le succès de la CLASSE en 2012, soit sa nature de coalition large et unie, son travail patient de mobilisation en région, ses revendications claires reposant sur un argumentaire étoffé, ses porte-paroles efficaces, un discours radical accessible et des pratiques démocratiques exemplaires, n’a pas été reproduit ce printemps.

Démocratie directe et démocratie représentative

La popularité des actions et la structure des comités P2015 étaient toutefois en mesure de maximiser le pouvoir mobilisateur des associations et des comités étudiants. L’organisation en groupes affinitaires ou en réseau n’exclut pas forcément celle des structures représentatives. En fait, ces deux approches ont besoin l’une de l’autre pour grandir. Un exemple d’actualité internationale le démontre bien : l’organisation politique des Indignados espagnol-es a mené à la création du parti Podemos, qui vient tout juste de se hisser à la tête des mairies de Madrid et de Barcelone.

La rhétorique des comités P2015 oppose une vision idéalisée de la démocratie directe à une conception sclérosée de la démocratie représentative. Elle pose un faux dilemme aux militant-es : vous êtes avec les « meutes enragées » ou vous êtes avec les bureaucrates des syndicats et des associations. En fait, la démocratie directe est un complément à la démocratie représentative, en même temps qu’un instrument de sa transformation. Pour s’affirmer, le philosophe Jean-Marie Vincent soutient que la démocratie directe a besoin « d’un terrain longuement labouré par des institutions vivantes et par les luttes autour de leur mode de fonctionnement ». (6) La démocratie directe ne vise pas à subvertir la représentation en la supprimant. Elle la contraint à fonctionner autrement. Elle l’oblige « à entrer dans une dialectique de la base au sommet qui l’emmène loin de ses habitudes de distorsion et de déformation des aspirations populaires dans le travail de définition de la volonté populaire » (7). Si la démocratie directe est l’oxygène de la démocratie représentative, cette dernière est le poumon qui offre la puissance de respiration à la démocratie directe.

Il est essentiel de coordonner l’auto-organisation à la base avec les structures représentatives étudiantes afin de plonger le plus de monde possible dans la lutte. Bien que cela a été le souhait de P2015 (8), son approche a plutôt été celle du conflit et de la compétition avec l’ASSÉ, les associations et les comités étudiants. Les comités P2015 auraient pu servir d’articulation pour mobiliser massivement les étudiant-es sur la base de stratégies et d’actions concertées et démocratiquement décidées. Ils ont plutôt cédé aux pulsions révolutionnaires, jetant par-dessus bord la discipline, la rationalité et l’esprit de stratégie nécessaires pour vaincre un ennemi plus fort qu’eux.

Un discours identitaire

Dès l’automne 2014, le discours de P2015 s’est articulé autour des thèmes de la lutte, de la révolte, de la meute de loups enragés et d’une « grève sociale inévitable » (9) au printemps. Le matériel d’information et les produits dérivés à l’effigie du loup ont été très utiles pour construire une identité gréviste forte. À l’image du carré rouge des grèves précédentes, le marketing politique agressif de P2015 a réussi à canaliser la colère d’une couche militante d’étudiant-es. La rhétorique émeutière de P2015 n’a toutefois pas offert d’orientations stratégiques adaptées aux différentes étapes du mouvement de protestation.

La grève générale, partout tout le temps

Tout le discours de P2015 est articulé autour de la grève générale comme fin en elle-même et comme moyen à utiliser à toute occasion et en tous lieux. Le matériel de P2015 fait la promotion de l’idée et des modalités de la grève générale, mais reste discret quant à sa nécessité stratégique. Les tracts parlent de son potentiel de « menace » et de « rapport de force » (10) face au gouvernement, mais surtout de l’urgence de faire cette grève et de la reconduire coûte que coûte (11). On cherchera en vain les réponses aux questions : quelles stratégies adopter si cette grève n’a aucun effet sur la direction des universités et sur le gouvernement ? Que faire sous une injonction ? Et si les étudiant-es ne veulent plus faire la grève ? En outre, plusieurs associations se sont mises à faire la promotion de la grève après l’avoir votée en assemblée générale. Contrairement à 2012, on aura tenté sans succès d’assister aux débats préparatoires, aux séances d’information ou aux campagnes sérieuses sur les enjeux d’une grève.

Contrairement à ce qu’affirme l’AFÉA (12), la grève ce n’est pas du « bonbon », du moins pas  pour la majorité des étudiant-es de l’UQAM. C’est un sacrifice familial pour les parents étudiants. C’est un sacrifice économique pour ceux et celles qui vivent sous le seuil de la pauvreté et dont les jours de travail sont comptés. C’est un sacrifice physique et psychologique pour les personnes brutalisées par la police. Si certain-es font ces sacrifices en toute connaissance de cause, ces personnes n’ont ni l’autorité morale ni la légitimité d’en demander autant aux autres. Le militantisme est parfois un luxe que certain-es ne peuvent pas se permettre. Le nier, c’est mépriser les conditions d’existence des classes travailleuses et populaires.

Pour une approche transitoire

Cela ne justifie pas l’inaction pour autant. Les coupures et les hausses enragent les gens. Le « monde ordinaire » ne développe toutefois pas automatiquement une conscience politique des rouages du capitalisme et de la nécessité du socialisme. Voilà pourquoi il est nécessaire de prendre ces personnes là où se situe leur réflexion et leur indiquer de manière compréhensible le chemin à emprunter pour lutter efficacement et gagner.

Malgré ce que P2015 prétend (13), le mouvement du printemps n’a pas « repris » là où la grève de 2012 s’est arrêtée. La conscience politique des étudiant-es ne suit pas une pente ascendante continue. Elle connaît des périodes d’avancement et de recul auxquelles il faut s’ajuster avec flexibilité. Il ne s’agit pas de demeurer dans le statu quo en se collant à la conscience immédiate des gens. Pas plus que de s’en déconnecter en se projetant à des années-lumière devant elle. Le défi demeure celui d’analyser constamment la situation afin d’identifier la prochaine étape, la prochaine revendication qui permettra au mouvement d’avancer de manière unie et combative.

Depuis le 1er mai, date ultime d’une « grève sociale » qui n’est jamais advenue, le mot d’ordre de P2015 semble être celui de la grève générale à l’automne 2015. Continuer de réciter ce mantra ne fera que braquer encore plus ceux et celles qui doivent la faire, cette grève générale. Durant le printemps, les comités P2015 ont prêté de fausses intentions de grève aux syndicats du milieu de la santé (14) et ont mal analysé l’état de conscience parmi les étudiant-es. Le mouvement gréviste qu’ils ont conduit s’est effondré aussi vite qu’il s’est bâti. Cette approche n’a mené à aucune victoire, au contraire.

Pour des objectifs clairs et envisageables

La fenêtre de lutte historique qui s’ouvre avec le renouvellement des conventions collectives des 577 700 employé-es du secteur public et parapublic ainsi que la mobilisation sans précédent contre l’austérité ont le potentiel de faire tomber le gouvernement. Une campagne axée sur une journée nationale de perturbation économique couplée à une grève générale syndicale de 24h a des chances de se réaliser. Encore faut-il que la base syndicale s’organise elle-même pour la mener, malgré l’opposition de leur propre direction. Pour s’assurer un impact certain, les syndiqué-es devront aussi formuler des revendications capables de toucher et de mobiliser l’ensemble des classes travailleuses populaires.

À l’UQAM, avant de tenter de mobiliser les étudiant-es autour d’une grève générale illimitée, les militant-es devraient penser à une campagne massive sur l’utilité et la nécessité du syndicalisme étudiant. Sinon, il y a risque de se retrouver face à de nouvelles vendettas visant à dissoudre les associations. La possibilité de grève des membres du SPUQ (15), du SÉTUE (16) et du SCCUQ (17) à l’automne offre une occasion au mouvement de se coaliser autour de demandes précises comme l’arrêt des coupures et la réembauche de professeur-es, le transfert de postes de chargé-es de cours dans le corps professoral et le renforcement de la cogestion universitaire.

De plus, l’évidence de l’imposition d’une loi spéciale ou d’un décret du gouvernement force dès maintenant à élaborer une stratégie concernant l’action illégale. Dans un tel contexte défavorable, le mouvement court à sa perte si l’accent n’est pas mis dès maintenant sur la mobilisation démocratique du plus grand nombre.

Il est essentiel de se fixer des objectifs clairs et envisageables qui pointent vers un changement social radical. Sinon, comment fera-t-on pour savoir qui a gagné, quand arrêter ou quand continuer ?

Quelques épisodes déterminants du printemps

– La perte de l’AFESPED

En février, des étudiant-es opposé-es à la grève obtiennent la tenue par l’UQAM d’un référendum électronique concernant la représentativité de l’AFESPED (18). À l’issue du scrutin en mars, une faible majorité d’étudiant-es désavouent leur association (19), ce qui met fin à sa reconnaissance par l’UQAM. Ce résultat aurait dû servir d’électrochoc pour faire réaliser la gravité du problème qui déchire les étudiant-es sur la question du syndicalisme estudiantin. Plutôt que de mener une campagne honnête sur l’enjeu de fond – la lutte pour le leadership politique de l’association –, les exécutant-es tentent de dépolitiser le problème en misant sur une campagne axée autour des services offerts par l’association. L’occasion d’élaborer une stratégie adéquate pour convaincre la majorité de l’utilité du syndicalisme militant est ratée. Les étudiant-es perdent ainsi une structure démocratique, un outil économique et politique important en se divisant sur des lignes politiques intransigeantes.

– Le piquetage dur

À la fin du mois de mars, le blocage de l’UQAM par des militant-es radicaux-ales sert sur un plateau d’argent le prétexte à la direction pour faire appliquer une injonction contre toutes les levées de cours et tous les blocages. Les étudiant-es grévistes et le personnel de l’UQAM ne sont ni consulté-es, ni mobilisé-es pour cette action. La représentante des étudiant-es au Conseil d’administration et au Comité exécutif de l’UQAM, Justine Boulanger, défend cette approche en affirmant que toutes les actions ne peuvent pas être « nécessairement » expliquées à tout le monde. « Tout ne peut pas provenir des AGs ou des comités, et c’est tant mieux ainsi », écrit-elle sur Facebook (20).

Certain-es militant-es s’aliènent leurs propres appuis en tabassant des employé-es venu-es travailler. Les passant-es ont droit à des insultes de cégépien-nes arborant fièrement leur bannière « Brûle toute » et « ACAB ». Les militant-es radicaux-ales bloquent l’accès à l’université à des milliers d’étudiant-es qui ne sont pas en grève, principalement ceux et celles de l’École des sciences de la gestion, et forcent l’annulation de la première journée de collecte de sang annuelle d’Héma-Québec. D’autres indiquent faussement sur une bannière qu’ « aucun cours, évaluation ni remise n’auront lieu » à l’AFELC, bafouant ainsi les dérogations décidées en AG.

Dépourvu de message unificateur et d’effectifs, le blocage s’essouffle en fin d’après-midi sans établir de rapport de force avec l’UQAM, encore moins avec le gouvernement. Organisée de manière ouverte et démocratique, cette action aurait toutefois pu constituer la meilleure façon de faire entrer la communauté uqamienne en lutte. Elle aurait pu survivre à l’injonction si elle s’était appuyée sur une mobilisation de masse et sur des revendications concrètes.

– Le ludique avant la solidarité

Le 1er avril, au moment où la grève étudiante bat son plein, P2015 organise une manifestation de « solidarité étudiante avec le secteur de la santé » (21). Cette solidarité avec les employé-es de ce secteur fait partie du discours de P2015 depuis le mois de janvier. La manifestation débute au Cégep du Vieux-Montréal, passe devant le CSSS Jeanne-Mance et termine sa course devant le CHUM. Il s’agit de l’action principale organisée par P2015 pour démontrer concrètement sa solidarité avec des travailleur-euses hors de l’UQAM. Des 1 000 personnes qui indiquent vouloir y participer sur l’événement Facebook, seule une cinquantaine vont appuyer les employé-es dans la rue. Près de 600 étudiant-es préfèrent participer à une autre activité de P2015, une fausse manifestation de droite, qui s’arrête cinq minutes devant le CHUM pour scander « À bas les syndicats! ». Le manque de cohésion politique et organisationnel des comités P2015 joue un rôle majeur dans l’échec de cette action. Appeler à un « front social contre l’austérité » n’est pas suffisant pour qu’il se matérialise. La solidarité n’est pas uniquement un principe, un concept abstrait. Il s’agit d’une pratique sociale qui s’apprend et qui s’opère dans le concret des luttes.

– La démission en bloc à l’ASSÉ

Lors du congrès de l’ASSÉ les 4 et 5 avril, la coordination nationale veut discuter d’un arrêt de la grève en vue d’une reprise à l’automne. Payant pour son manque de leadership des derniers mois, elle démissionne en bloc sous la pression de militant-es radicaux-ales. Ces dernier-ères font d’ailleurs voter une motion de « destitution symbolique » à l’exécutif sortant (22), rajoutant l’insulte à l’injure. Le ton vindicatif de la nouvelle équipe en faveur du maintien de la grève consacre la chute du mouvement. Le 10 avril, seuls 7 % des étudiant-es collégiaux et universitaires du Québec sont en grève. Le bilan nul et les stratégies inefficaces des associations et de P2015 jouent un rôle de premier plan dans le vote pour le retour en classe, notamment à l’AFELC.

– Le saccage du De Sève

Le 9 avril, la diffusion d’images du saccage ayant suivi l’occupation du pavillon J.-A.-de-Sève, la veille, contribue à diminuer le peu de soutien populaire à la lutte étudiante. Avant même la diffusion de ces images, un sondage Léger-Le Devoir mené du 6 au 9 avril indique que 66 % des sondé-es désapprouvent le mouvement de grève étudiante contre 24 % qui l’approuvent. Seule la tranche des 18-24 ans appuie massivement la grève à 47 % (23).

L’occupation survient à la suite d’une intervention injustifiée sur le campus d’une centaine de policier-ères venu-es y arrêter des étudiant-es qui procédaient à des levées de cours illégales en vertu d’une injonction obtenue par l’UQAM. Si l’occupation se déroule dans une atmosphère festive, les choses se gâtent en fin de soirée. Les participant-es peuvent alors constater le vrai visage du « comité invisible » et des autres insurrectionalistes. Certain-es étudiant-es sont roué-es de coups en tentant d’empêcher les ultraradicaux de faire de la casse. Cela ne les empêche pas de fracasser les vitrines du Service à la vie étudiante, service qui finance à coût de dizaines de milliers de dollars les comités auxquels leurs propres groupes s’abreuvent. En outre, l’argent de la caisse du café étudiant Tasse-toi est dérobé. Un petit mot cynique y est laissé: « On aime les cafés autogérés ». Tout casser en désespoir de cause n’a ni favorisé la solidarité des luttes ni permis d’établir un quelconque rapport de force. La « diversité des tactiques », si elle peut être utile dans certains cas, ne mène à rien lorsqu’elle est utilisée comme un chèque en blanc permettant à n’importe qui de faire n’importe quoi, n’importe où.

Les jours suivants, des poèmes anonymes sont distribués dans l’UQAM. Ils parlent des événements comme d’une « œuvre d’art » relevant de la « poésie ». L’AFÉA fait quant à elle imprimer des affiches affirmant que « Le vandalisme est une vue de l’esprit ».

– L’essoufflement

Après la manifestation nationale du 2 avril, le mouvement de contestation se rabougrit à son noyau militant du centre-ville de Montréal. Le 10 avril, 85 % des grévistes sont localisé-es à Montréal (42 % à l’UQAM, 25 % au Cégep du Vieux-Montréal, 18 % à l’Université de Montréal) . À la fin avril, des militant-es érigent une série de campements de fortune sur le terrain de différents Cégeps (Vieux-Montréal, Saint-Laurent, Rosemont, Maisonneuve, Lionel Groulx, Sherbrooke, Saint-Hyacinte, Valleyfield, Jonquière). La plupart des campements sont démantelés en mai.

– Les menaces d’expulsions politiques

Au début avril, le discours de P2015 se recentre autour de la lutte contre la « dérive austéritaire » et les menaces d’expulsions politiques à l’UQAM. Cette campagne, concrète dans ses revendications et forte de nombreux appuis, échoue cependant à mobiliser massivement les étudiant-es. À notre avis, il serait avantageux de mettre l’accent sur la menace que constituent les possibles expulsions politiques pour la cogestion universitaire. Cela permettrait de dépersonnaliser l’enjeu et de toucher le concret du cursus scolaire des étudiant-es (commande de cours, entente d’évaluation, structure des programmes, etc.).

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  1. Julien Daigneault. L’horizontalité une erreur stratégique. dans Réflexions socialistes vol.2 #1 Hiver 2015. p.4
  2. Arnaud Theurillat-Cloutier. La plus grande mobilisation sociale depuis le « printemps érable ». dans ricochet.media. 03-11-2014.
  3. La Presse Canadienne. Imposante manifestation au centre-ville de Montréal. dans lapresse.ca. 02-04-2015
  4. Coalition du 1er mai. Mandats de grève.
  5. Association facultaire étudiante de langues et communication de l’UQAM
  6. Jean-Marie Vincent [1983] Démocratie représentative et démocratie directe. dans La gauche, le pouvoir, le socialisme. Hommage à Nicos Poulantzas. Presses universitaires de France. Paris. p.72
  7. Ibid p.71
  8. Printemps 2015. Montrer les crocs.
  9. Printemps 2015. Vers une lutte commune au printemps. Tract.
  10. Printemps 2015. Questions et réponses : grève générale reconductible. Tract.
  11. Printemps 2015. Pourquoi reconduire la grève ? Tract.
  12. Association facultaire étudiante des arts de l’UQAM
  13. Printemps 2015. L’ASSÉ ne fait pas le printemps. 30-03-2015.
  14. Anne-Marie Provost. Nouveau printemps étudiant à prévoir. dans 24h. 20-01-2015. p.5
  15. Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM
  16. Syndicat des étudiants et étudiantes employé-e-s de l’UQAM
  17. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM
  18. Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM
  19. 625 votes en défaveur de la représentativité de l’AFESPED, 578 votes en faveur
  20. Justine Boulanger, commentaire sur la page Facebook du Comité Mob AFELC. 30-03-2015.
  21. Printemps 2015. « À Qui profite notre santé ? » Manifestation de solidarité étudiante avec le secteur de la santé – Quartier Latin. Événement Facebook.
  22. ASSÉ. Texte entériné par le congrès de l’ASSÉ du 4 et 5 avril 2015. 06-04-2015.
  23. Sondage Léger-Le Devoir. Politique québécoise. Pour publication le 11 avril 2015. p.16
  24. La grève se poursuit au Vieux-Montréal après l’échec des pétitionnaires. dans ici.radio-canada.ca. 10-04-2015
Trois pistes pour comprendre la répression de la grève étudiante

Trois pistes pour comprendre la répression de la grève étudiante

Le terme répression trouve son origine dans le mot latin reprimere (1) qui signifie refouler. Malgré une utilisation relativement ancienne du terme, le sens de celui-ci à très peu changé jusqu’à aujourd’hui : contenir et châtier sont deux sens qu’on accole toujours au mot «répression» (2). Si les mouvements sociaux québécois n’en sont pas à leur première rencontre avec l’appareil répressif de l’État, il reste néanmoins surprenant que la mobilisation étudiante de 2015 soit aussi rapidement la cible d’une répression dont l’intensité et la violence en indigne plusieurs. Sans vouloir apporter une réponse exhaustive je proposerai ici quelques pistes pouvant permettre d’orienter notre réflexion sur la répression et sur la violence policière que subit le mouvement étudiant.

Des super-bureaucrates

En schématisant à peine, on peut dire que les policiers-ères ne sont en fait que des « super-bureaucrates », c’est-à-dire des bureaucrates armé-e-s. Tout comme les bureaucrates, ils et elles  doivent remplir de longs rapports et autres formulaires et appliquer des règlements dont la logique échappe à la majorité de la population. Le métier de policier au jour le jour se révèle donc être ennuyant et souvent peu efficace. Par ailleurs, nombre d’études en sciences sociales ont démontré que la pratique des patrouilles policières et l’augmentation des effectifs n’affectaient aucunement les taux de criminalités (3). D’autre part, les policiers-ères passent la plupart de leur temps à faire respecter (c’est-à-dire par la menace de l’usage de la violence légitime) des règlements administratifs (4). Une fois que l’on sait cela, certaines choses s’éclaircissent. L’application du règlement P-6, avec entre autre l’obligation qui en découle pour les manifestant-e-s de remettre un itinéraire, représente une tactique bureaucratique par excellence. Remettre un itinéraire implique de faire une demande, que cette demande soit traitée et enfin acceptée ou refusée comme n’importe quel formulaire que l’on remettrait à la RAMQ (5) ou la SAAQ (6). Avec un tel règlement, la Ville de Montréal est capable de légitimer le fait que les policiers-ères provoquent volontairement des quasi-émeutes et procèdent à des arrestations de masse. D’ailleurs, l’administration de la ville a pris le temps de souligner que cette année le règlement P-6 serait appliqué sans aucune tolérance (7) et ce avant même le début des manifestations et malgré l’abandon de 1965 charges pour infraction au règlement P-6 (8). Il y a beaucoup de parallèles à tracer entre l’obsession pour l’itinéraire du règlement P-6 et la répression des manifestations ailleurs dans le monde. À Montréal si on veut « légalement » manifester il faut soumettre son trajet à l’arbitraire policier. Dans beaucoup de pays totalitaires, on demande aux organisateurs d’une manifestation de faire une demande des mois à l’avance pour que celle-ci ait lieu et on les cantonne dans une place publique obscure, loin de tout regard. C’est entre autres ce qu’a fait la Russie aux Jeux Olympiques de Sotchi et ce que font des pays comme la Chine. La différence entre le règlement P-6 et la logique répressive de ces régimes totalitaires en est une de degré et non pas de nature. Cet aveuglement face à la réalité sur le terrain est typique de la bureaucratie. La procédure bureaucratique signifie globalement de faire fi de toute les subtilités de l’existence et de tout réduire à des modèles préconçus (9). Pour être provoquant, on pourrait dire que le règlement P-6 est une invention des plus stupides au sens où il réduit la réalité à un schéma simpliste (du type pas de trajet = gaz lacrymogènes, même si on risque de provoquer une émeute et des blessés) qui permet l’utilisation de la menace de violence physique. C’est d’ailleurs le propre de la violence de rendre caduque toute réponse intelligente et posée. Les policiers-ères sont donc les bureaucrates par excellence grâce à la possibilité qu’ils ont d’utiliser la menace de la violence physique. Bien sûr, c’est l’arbitraire policier-ère qui détermine en dernière instance quand cette violence est appliquée, la menace reste quant à elle omniprésente. Comme Max Weber l’a remarqué, toute forme de bureaucratie se rend indispensable à l’élite au pouvoir, et il est presque impossible de s’en débarrasser (10). De la même façon, les policiers-ères au Québec se rendent indispensable aux gouvernements en place (que ce soit le PQ, le PLQ, Coderre ou Labeaume) afin que ceux-ci conservent leur pouvoir. Mais aussi on imagine difficilement le gouvernement renvoyer simultanément toute sa garde armée …

La culture policière

La culture policière représente ce système de valeurs et de savoirs partagés qui sont passés d’une génération de policiers-ères à une autre et qui permet de « faire sa place » dans l’organisation (11). Elle représente des pratiques informelles et est terreau fertile pour les pratiques non-professionnelles (12). Cette culture policière se développe dès l’entrée des nouveaux-elles policiers-ères dans les services de police mais aussi au long de leur formation alors qu’ils et elles sont entouré-e-s d’ancien-ne-s policiers-ères qui leur transmettent cette culture. Il est d’ailleurs fascinant d’observer comment cette culture et cet esprit de corps se déploient chez les étudiant-e-s en technique policière lorsqu’il y a une assemblée de grève dans leur Cégep … En terme de valeurs partagées, la culture policière permet au corps policier de différencier les bon-ne-s citoyen-ne-s des mauvais-es. Parlant du sociologue John Van Maanen, Didier Fassin écrit : « Selon cet auteur, (13) les assholes constituent un ensemble peu différencié de personnes allant du travailleur social au jeune militant en passant par le vagabond et l’alcoolique qui vont faire l’objet de l’attention des forces de l’ordre […] et qui vont se comporter de façon inadaptée, en demandant ce qu’on leur veut, en discutant de la légitimité du contrôle ou en contestant l’autorité du policier » (14) En manifestant chaque soir dans les rues de Montréal en 2012, les étudiant-e-s se sont très certainement assuré-e-s une place notoire dans le palmarès des « assholes » du SPVM. La haine que peuvent entretenir les policiers-ères envers les étudiant-e-s nourrit une certaine banalisation de la violence faite envers ceux-ci. Rien n’empêche un-e policier-ère de se faire justice soit même dans la rue (voyant que beaucoup d’étudiant-e-s s’en tirent avec un retrait des charges) en allant frapper un-e pauvre étudiant-e avant qu’il ne déguerpisse comme un lièvre. Suite aux émeutes des banlieues de 2005 en France, nombre « d’émeutiers-ères » arrêté-e-s se sont vu relâché-e-s. La réponse des policiers-ères fût de faire leur propre justice dans les rues de France (15). La tombée des accusations concernant le règlement P-6 a peut-être eu cet effet sur les policiers-ères du SPVM. Quoi qu’il en soit, il reste difficile de savoir sur quoi portent les conversations dans les postes de polices, même si certains indices ne mentent pas.

Les médias

Dans un article publié dans le média Ricochet (16), Gabriel Nadeau-Dubois nous parlait de « brutalité médiatique » et de son impact sur les services de police. On le sait, plusieurs médias diffusent quotidiennement dans l’espace publique des propos haineux envers certains groupes de la société. Certains nomment ces médias « radios poubelles » (17) ou « vendeurs de haine » (18). La légitimation de la violence faites aux  étudiant-e-s par ces médias conforte la police dans ses exactions car elle sait que sa violence sera par la suite justifiée (souvent en utilisant une rhétorique paternaliste) par des médias qui sont capables d’atteindre un nombre d’auditeurs-trices relativement élevé. Je voudrais néanmoins déplacer la question des médias vers un autre point qui se situe plutôt au plan de l’imaginaire collectif. Alors, petit exercice, combien existe-t-il de séries policières à la télévision ? Beaucoup. Et qu’est-ce qu’on montre dans ces séries ? Des policiers et des policières qui résolvent des crimes flamboyants et qui démontrent leur courage par leur bravoure et leur personnalité de dur-à-cuire. Le fait est que ces séries télévisées donnent un regard faussé du métier de policier. Comme il a été dit plus haut l’essentiel de la profession policière consiste à appliquer des règlements relativement insignifiants (i.e. pas le droit de boire à cet endroit, pas le droit de dormir à tel endroit, etc.) et à remplir de la paperasse. On est loin de ce qu’on voit à la TV. Les policiers et policières se retrouvent donc dans un train-train quotidien ennuyeux, alors qu’on leur dépeint une réalité fictive dans laquelle ils et elles  rêvent d’intervenir et de devenir des héros (19). Il y a ainsi un décalage important entre la profession et l’image que l’on en a. D’autre part, cette situation a un effet important sur le regard qu’a le public sur le travail policier. La population est constamment bombardée de séries et de romans policiers et est donc constamment appelée à s’imaginer dans la peau d’un policier ou d’une policière. La majorité de la population est donc appelée régulièrement a effectuer un travail interprétatif afin de se « mettre dans la peau » d’un policier. Quand peut-on voir des séries télévisées qui mettent en scène des manifestant-e-s ? Pratiquement jamais. Le travail interprétatif ne se fait que d’un seul côté (20). Il est plus facile pour la population de comprendre le point de vue de la police et de s’y identifier que de le faire avec des manifestant-e-s, puisque la population est quotidiennement appelée à effectuer un travail interprétatif afin de comprendre la perspective des policiers-ères.

Conclusion

Les trois conceptions de la police présentées ici nous permettent de porter un autre regard sur les épisodes de répression que le mouvement étudiant a vécu ces derniers jours et de dépasser les stéréotypes simplistes sur la question de la répression. L’austérité et le système politique qui la supporte sont des structures violentes. Elles ne peuvent être créées et maintenues qu’à partir de la menace de violence physique et ce même si cette violence physique n’a pas à être déployée à tous les jours (21). Cette violence structurelle limite nos capacités à imaginer des alternatives à notre mode de vie, car nous vivons dans un monde où être réaliste signifie prendre au sérieux l’usage systématique de la menace de violence physique (22). Les manifestations étudiantes ont réveillé la violence dormante de nos structures sociales. Dans un monde aseptisé et schématisé au maximum, l’imagination se fait rare. Contre une vision du monde qui sabote la finalité de l’agir humain, il faut promouvoir l’imagination et apprendre à ne pas être « réalistes ».   L’opinion exprimée dans le cadre de cette lettre d’opinion, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion, ni n’engage la revue l’Esprit libre. CRÉDIT PHOTO: Caroline Cheade


(1) Dictionnaire étymologique Larousse (1964 : 644). (2) Multi dictionnaire de la langue Française (2009 : 1414). (3) La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers (Fassin, 2011 : 113). (4) The Utopia of Rules : On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy (Graeber, 2015 : 73). (5) Régie de l’Assurance Maladie du Québec. (6) Société de l’Assurance Automobile du Québec. (7) http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201503/25/01-4855369-manifestations-p-6-sera-applique-previent-ladministration-coderre.php page consultée le 8 avril 2015 (8) http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201502/25/01-4847318-p-6-montreal-retire-les-accusations-pendantes.php page consultée le 8 avril 2015 (9) Op. cit (Graeber, 2015 : 75). (10) From Max Weber : Essays in Sociology (Weber, 1946 : 233-34). (11) Using Bourdieu’s Framework for Understanding Police Culture in Droit et Société (Chan, 2004 : 328). (12) Ibid (13) The assholes in Policing : A View from the Street(Van Maanen, 1978). (14) Op. cit (Fassin, 2011 : 152). (15) Op. cit (Fassin, 2011 : 293). (16) https://ricochet.media/fr/371/les-policiers-ne-vivent-pas-dans-un-bocal page consultée le 8 avril 2015 (17) http://sortonslespoubelles.com/ page consultée le 8 avril 2015 (18) http://ucl-saguenay.blogspot.ca/2013/09/lancement-du-livre-radio-x-les-vendeurs.html page consultée le 8 avril 2015 (19) Op. Cit (Fassin, 2011 : 100). (20) Op. cit (Graeber, 2015 : 81). (21) Op. cit (Graeber, 2015 : 59). (22) Op. cit(Graeber, 2015 : 86).