par Émile Duchesne | Juil 17, 2015 | Entrevues
Entrevue avec le chef Rodrigue Wapistan
Depuis mercredi, les Innus de Nutashkuan, appuyés par ceux d’Ekuanitshit, ont érigé un blocus sur la route d’accès de la Romaine. Émile Duchesne a rencontré le chef Rodrigue Wapistan pour L’Esprit Libre. Voici ce que le chef avait à dire.
Q. À quelle heure avez-vous commencé le blocus aujourd’hui?
R. On a commencé ça tantôt (mercredi 15 juillet), à 15h40. On a déclaré un blocus à l’accès du chantier de la Romaine. Ce que je veux, c’est rencontrer le premier ministre pour discuter du processus de mise en œuvre du projet de la Romaine par Hydro-Québec.
Q. Quelles sont vos revendications?
R. Le problème, c’est que dans les bassins qui vont être noyés, presque 50 % de la population d’arbres sera inondé. Le bassin numéro 2 a déjà été fait, mais il reste les bassins 3 et 4. Hydro-Québec n’a pas tout déboisé, donc ça va faire du mercure dans ces bassins-là pour les prochaines générations. Pour nous, dans notre culture, dans notre jargon aussi de discussion, c’est intolérable. Soit on laisse passer cela et on sera affectés dans cinq ou six ans, soit je bouge là. J’invite les gens à venir ici, au blocus. On a l’appui de tous les chefs de la nation innue, des 9 communautés. On va se battre jusqu’à la fin, ça c’est sûr. On va se faire entendre puis on ne lâchera pas.
Q. Combien de temps espérez-vous que le blocus dure?
R. On ne sait jamais. Ça vient de commencer et nous on va aller jusqu’au bout. On n’a pas peur que la police vienne démanteler notre blocus. On est prêt, un point, c’est tout. Nous aussi on va intervenir, avec notre force contre leur force, c’est comme ça. On ne laissera pas l’impact environnemental et le désastre se faire sans qu’on ait un mot à dire là-dessus.
Q. Avez-vous d’autres revendications?
R. Oui, on a d’autres revendications par rapport à Hydro-Québec. On a fait le déboisement, mais ils ne veulent plus amener de bois à notre scierie et ils n’engagent plus nos débroussailleurs. On est encore perdant dans tout ça parce qu’Hydro-Québec ne respecte pas l’entente qu’on a établie avec eux en 2008.
Q. Ce n’est pas le premier blocage que les Innus érigent contre le projet de la Romaine. À Nutashkuan, est-ce que c’est votre premier?
R. Non, ce n’est pas notre premier; on en a fait plusieurs autres auparavant. Dans mon mandat, en tant que chef, c’est mon deuxième blocus, mais j’ai aussi participé à d’autres auparavant. J’ai bloqué la construction d’un pont à la rivière Nutashkuan parce qu’on ne savait pas comment les choses allaient être faites. Après ça et suite à des analyses, on a décidé de faire le travail quand même, mais ça s’est mieux fait que c’était supposé l’être, ça c’est certain.
Q. Comment diriez-vous que le blocus se passe jusqu’à présent?
R. Écoute. Jusqu’à maintenant, ça se passe bien, mais je te dirais qu’on essaye de garder la stabilité plus loin que ça. Ce blocus, c’est mon plus gros. Aujourd’hui, on a eu une centaine de personnes et on va en avoir plus demain. On n’est pas une très grosse communauté : 1100 membres dont 300 sont hors réserve. Alors pour nous, c’est quand même bon. Nous autres, on est des chasseurs et des trappeurs, et je pense qu’Hydro-Québec a mal choisi ses clients comme on dit!
par Julien Gauthier-Mongeon | Juil 15, 2015 | Analyses, International
En mai dernier, le parquet de Paris annonçait l’ouverture d’une enquête faisant suite à des allégations de viols d’enfants par des soldats français mobilisés dans le cadre d’une mission de paix en Centrafrique (1). Les faits se seraient déroulés entre décembre 2013 et juin 2014 près de l’aéroport de Bangui, dans le camp de réfugiés de Mpoko. Or, ce n’est qu’en avril dernier que le journal britannique The Guardian faisait écho de l’affaire, relayant l’information obtenue par un employé des Nations unies qui a préféré rester anonyme. Ce rapport confidentiel, tenu secret par les plus hautes instances onusiennes, fait état de viols commis par des soldats en service lors d’une opération militaire menée par la France (2). Cet évènement particulier met en lumière une problématique générale ayant trait au statut d’une mission de paix dans le contexte d’une intervention militaire. Se pose dès lors la question de la nature d’une telle mission de paix impliquant des soldat(e)s dont le métier est de combattre.
La France en République centrafricaine
La mission Sangaris est née en décembre 2013 sur l’initiative du gouvernement français suite à une résolution du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui se disait « profondément préoccupé par la détérioration de la situation humanitaire en République centrafricaine et par le fait que l’accès aux organismes humanitaires soit réduit en conséquence de l’insécurité accrue et des agressions contre le personnel humanitaire » (3). Cautionnée par la résolution 2127 du conseil de sécurité, la mission Sangaris devait « apporter la sécurité, rétablir la stabilité en Centrafrique et protéger la population », soulignait pour sa part François Hollande dans une déclaration en date du mois de décembre 2013 (4).
Après bientôt deux ans d’opérations militaires et de support logistique à la mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), à laquelle participent des soldats venant du Gabon, du Cameroun et du Tchad, la France amorce un retrait progressif du pays d’ici la fin de l’année 2015 (5). On évoque une démobilisation militaire de la France, qui passe le relais aux forces de sécurité intérieures directement sous le contrôle de l’ONU (6). L’affaire des viols d’enfants en République centrafricaine est pourtant loin de connaître son dénouement, comme en témoigne la vitesse à laquelle les choses ont évolué depuis l’annonce du scandale.
Le 22 juin dernier, une magistrate canadienne, Marie Deschamps, est nommée pour enquêter non pas sur les accusations de viols mais sur la gestion de l’ONU de cette affaire devenue internationale. On reproche aux Nations unies, entre autres choses, d’avoir sanctionné un fonctionnaire ayant fait couler l’information auprès du gouvernement français sans l’autorisation de ses supérieur(e)s hiérarchiques et « au mépris des procédures» (7) habituelles. Celui-ci aurait cherché à étouffer un éventuel scandale susceptible de ternir l’image de l’armée française, selon le porte-parole adjoint de l’ONU, Monsieur Farhan Haq. Une autre version prétend, au contraire, que le fonctionnaire exaspéré aurait agi pour contester l’inaction des autorités onusiennes (8). Tandis que l’affaire fait grand bruit à l’échelle internationale, la République centrafricaine continue de s’entredéchirer dans une guerre qui paraît interminable dans laquelle semble se rejouer l’histoire des conflits passés.
Les guerres en Centrafrique
La République centrafricaine a connu pas moins de trois guerres civiles au cours des dix dernières années. La première remonte à 2004, un an après l’arrivée au pouvoir de François Bozizé et de son gouvernement hostile à la minorité musulmane du pays. C’est à l’occasion d’un voyage à l’étranger du président de l’époque, Ange-Félix Patassé, que Bozizé s’est autoproclamé président en promettant la tenue d’élections démocratiques dès le mois de février de l’année suivante (9). On constate alors des irrégularités qui viennent ternir l’image de cette démocratie émergente; par exemple, des hommes armés auraient fait irruption dans les bureaux de scrutins afin que « les démarches de dépouillement se déroulent sous leur contrôle » (10). Signe de la fragilité d’un État miné par des conflits que nourrissent les tensions religieuses, Bozizé sera à son tour renversé en mars 2012 par une organisation de confession musulmane, la Séléka, nouvellement créée par le général Michel Djotodia. Formé en tant que militaire, Djotodia est chef de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement des membres de la Séléka (UFDR), une organisation composée des forces politiques rebelles opposées au président Bozizé. La Séléka et ses différentes filières seraient soutenues par certains pays voisins tels le Tchad et le Soudan, qui profitent de la porosité des frontières pour s’approvisionner en armes, en pétrole et en équipements (11).
C’est dans ce climat de tension opposant la minorité musulmane au sein de la Séléka et des milices paysannes favorables au président Bozizé (nommées les anti-balaka), que le pays va d’affrontement en affrontement. Pendant ce temps, la situation s’envenime sans qu’une entente durable semble être envisageable à courte échéance. Des milices de défense chrétienne répondent aux exactions perpétrées par les membres de la Séléka, ce qui envenime les tensions religieuses déjà vives au sein d’une population ravagée par la famine. À cela s’ajoutent les violations des droits de l’Homme liées au recrutement d’enfants soldats parmi les milices locales et au déplacement des populations civiles en zones périphériques de la République centrafricaine (12).
C’est dans ce contexte que plusieurs gouvernements, dans un communiqué en date de 2012, manifestent leur inquiétude face à la situation actuelle en République centrafricaine, évoquant la possibilité d’un conflit susceptible de dégénérer en génocide si aucune intervention n’est envisagée dans les plus brefs délais (13). On organise une coalition entre la France et plusieurs pays africains pour entreprendre une mission de pacification en Centrafrique avec l’aval du conseil de sécurité des Nations unies.
Se pose dès lors la question de la nature d’une telle mission entérinée par l’ONU et menée par des militaires de formation. Une armée nationale dont le mandat est de neutraliser la menace peut-elle effectuer un travail d’assistance auprès des civils? Est-il possible de parler d’une mission de pacification dans un contexte où sont recrutés des soldat(e)s rompu(e)s au maniement des armes, aux tactiques militaires de combat et à l’usage de la force en situation de guerre? Puisque la majorité des soldat(e)s participant aux missions de l’ONU sont issu(e)s d’armées nationales, il convient en effet de s’intéresser à la mentalité prévalant chez les militaires afin de bien se positionner sur le sujet.
L’assistance contre la puissance
Des chercheurs(euses) telles que Raewyn Connell (2009) et Frank Barrett (1996) (14) parlent d’une culture, au sein des armées traditionnelles, qui met de l’avant des valeurs de courage, de force physique et de virilité inculquées aux soldat(e)s (15).. Il s’agit de les former en vue d’opérations consistant à détruire l’adversaire (16). Toutefois, ces valeurs s’inscrivent en faux contre l’idéal d’entraide prôné dans le cadre des missions humanitaires venant au secours de populations victimes de guerres. Une mission de pacification mobilisant des individus entraîné(e)s pour tuer brouille la distinction entre une intervention de type humanitaire et une opération proprement militaire. La politicologue Sandra Whitworth, professeure à l’Université York de Toronto, s’est d’ailleurs intéressée à l’impact des valeurs militaires des soldat(e)s canadien(ienne)s intervenant dans le cadre de missions de paix à travers le monde.
Comment des militaires à qui l’on demande de faire un travail d’assistance humanitaire pour lequel ils n’ont pas été formé(e)s vivent-ils le choc entre ces deux mondes de valeurs? De l’aveu des militaires eux-mêmes, les valeurs guerrières promues par l’armée entrent en contradiction directe avec ce qu’implique une mission de type humanitaire. Ainsi, si l’entraide est incompatible avec le recours aux armes dans le cadre d’une telle mission, la formation reçue par les militaires ne les prépare pas entièrement à leurs tâches sur le terrain. L’aide apportée aux populations éprouvées par les ravages de la guerre tient en effet beaucoup de l’intervention sociale, un domaine rarement pris en charge par des militaires de profession. D’ailleurs, la réaction que suscitent parfois les opérations d’assistance ou de pacification auprès des soldat(e)s de formation abonde en ce sens : « [d]ans la culture militaire traditionnelle, les missions de paix sont souvent ridiculisées ou discréditées; très nombreuses depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le prestige de celles des Casques bleus n’y est cependant pas associé car la majorité des jeunes hommes qui sont déployés dans ces missions sont entraînés au combat » (17).
On se trouve dès lors devant une situation difficile à tirer au clair puisqu’elle contredit les idées reçues à propos de l’ONU, les méfaits dont on accuse certain(e)s militaires venant ternir l’image des Nations unies en plus de renforcer les préjugés souvent reliés au métier de soldat(e). Les accusations de viols dans un contexte de guerre ne disculpent pas les Casques bleus, lesquels ont été le plus souvent associés à une image de respectabilité qui perdure à travers le temps. Cependant, une sensibilité plus grande de la communauté internationale aux questions soulevées plus haut n’est pas sans conséquence sur leur perception par le commun des mortels. En effet, cela pourrait mener à un éventuel « désengagement des nations par rapport aux opérations de maintien de la paix et à une hésitation des pays en difficulté à faire appel à des troupes onusiennes » (18), note Johanne Bournivale, stagiaire et chercheuse au sein des Forces armées canadiennes.
Toute cette problématique met en lumière le défi organisationnel d’une instance telle que l’ONU et, plus particulièrement, celui des missions de paix engageant des soldats dont le métier est de combattre le feu par le feu. C’est ce dont discute la politicologue Marie Saiget dans un livre intitulé L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel (19). L’ouvrage porte sur les défis auxquels l’ONU doit faire face à la lumière des accusations d’inconduites sexuelles chez les soldat(e)s engagé(e)s dans des missions de paix. Le postulat selon lequel les Casques bleus sont censés protéger les gens renforcerait, dit-elle, l’absence de présomptions entourant les militaires mobilisé(e)s dans le cadre de telles missions : « Cette force de légitimation basée sur l’argument « les protecteurs, ce sont eux » expliquerait en partie l’occultation de ces questions, et le fait qu’elles n’aient pas été intégrées à la réflexion plus générale des opérations de maintien de paix » (20). L’auteure parle de 1458 accusations de méconduites sexuelles impliquant des Casques bleus depuis 2003, « année à partir de laquelle le phénomène fait l’objet d’études statistiques internes » (21). Ces méconduites vont de la sollicitation en vue d’obtenir des services sexuels à la traite d’êtres humains en passant par les agressions sexuelles sur des personnes d’âge mineur. Le retentissement de telles accusations vient démentir l’irréprochabilité des missions conduites par l’ONU; cela expliquerait le retentissement de l’affaire des viols en Centrafrique, qui n’est qu’un cas parmi tant d’autres, comme en témoigne l’ouvrage de Saiget. Cependant, bien d’autres missions menées par les Casques bleus se sont déroulées sans qu’en découlent des inconduites ou accusations aussi accablantes que celles reliées à la Centrafrique. On n’a qu’à penser à la force de maintien de la paix des Nations unies menée par le général Roméo Dallaire en 1994 pendant le génocide rwandais, alors qu’il était commandant de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Ici, ce sont plutôt les soldat(e)s qui, n’ayant pu intervenir militairement, sont ressortis bouleversé(e)s et traumatisé(e)s de cette opération d’assistance. Ainsi, au paradoxe d’une mission humanitaire faisant usage de la force là où de l’assistance est requise s’ajoute donc celui d’une armée témoin de massacres face auxquels elle demeure impuissante.
Les Nations unies, une organisation trouble
L’ONU est une organisation complexe qui est soumise au double dilemme de l’impuissance humanitaire et de la puissance militaire dans un jeu de pouvoir dont il est difficile de trouver le juste équilibre. Cela complexifie le rôle joué par un tel acteur politique qui prête facilement le flanc à la critique. Mais l’on assiste, depuis le début des années 2000, à une augmentation des dossiers incriminant des soldat(e)s d’inconduites sexuelles ou de violences infligées aux populations civiles. C’est ce que rapportent régulièrement des organismes non gouvernementaux, en déplorant le fait que l’ONU cherche trop souvent à étouffer les affaires susceptibles de porter atteinte à son intégrité morale. On a affaire à une organisation qui entretient le flou sur son statut véritable lorsqu’elle se retrouve en zone de guerre –ni armée, ni force de répression, ni agent de paix.
D’autres dénoncent aussi le fait qu’elle fasse passer ses intérêts politiques avant ceux des populations éprouvées par la guerre. C’est notamment de ce que soutient Florent Geel, responsable du bureau africain de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), reprochant aux Nations unies « d’éviter de dénoncer certains crimes pour éviter de gêner les négociations de paix » (22). Certes, l’ONU n’est pas une armée au sens conventionnel du terme. C’est pour cela que les allégations de viols font grand bruit; elles concernent une organisation dont le rôle est d’assurer la sécurité même si les lois de la guerre refont parfois surface dans ses rangs. La dure réalité politique rattrape la justesse des principes défendus par une organisation dont la réputation demeure fragile. La légitimité de la force employée implique une colonisation du militaire et des valeurs guerrières au détriment de la pureté des principes défendus.
Vouloir préserver l’irréprochabilité du militaire dans un contexte de guerre contient le risque de masquer les violences perpétrées en silence par ceux et celles censé(e)s assurer la paix. En découle le paradoxe du droit du plus fort dans lequel la force ne fait pas le droit mais perpétue la domination sous le couvert d’une justice qui porte bien mal son nom.
Le 7 juillet dernier, Paris annonce l’envoi de deux magistrats chargés de mener l’enquête sur les viols dont sont soupçonnés 14 militaires(23). Cela fait suite à l’annonce du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian stipulant que l’affaire n’est plus traitée à l’interne par les hautes instances militaires mais prises en charge par la justice française (24). Cela coïncide avec le retrait progressif d’une mission française dont le bilan reste à faire.
(1) http://www.francetvinfo.fr/monde/centrafrique/militaires-accuses-de-viol…
(2) http://www.metronews.fr/info/centrafrique-1600-soldats-francais-sur-le-p…
(3) http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N13/594/44/PDF/N1359444.pdf?O…
(4) http://www.defense.gouv.fr/operations/centrafrique/dossier-de-presentati…
(5) http://la-nouvelle-gazette.fr/la-france-amorce-son-retrait-de-centrafriq…
(6) http://www.centrafriquelibre.info/?p=17180
(7) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/30/ce-que-l-on-sait-de-sou…
(8) http://www.afrik.com/viols-en-centrafrique-l-onu-ouvre-une-enquete-la-fr…
(9) http://www.panapress.com/Les-elections-auront-lieu-aux-dates-indiquees,-…
(10) Frère, Marie-Soleil, Élections et médias en Afrique centrale. Voix des urnes, vois de la paix?, Paris, éditions Karthala, 2009, p.47.
(11) http://www.lemonde.fr/international/visuel/2013/12/20/carte-pourquoi-la-…
(12) http://www.unhcr.fr/520a3bc7c.html
(13) http://www.leparisien.fr/international/laurent-fabius-la-centrafrique-es…
(14) Connell, Raewyn, «Gender politics» in Gender in world perspective, Malden, Polity press, 2009
(15) Voir Connell, Raewyn, «Gender politics» dans Gender in world perspective, Malden, Politiy press, 2009 (Connell est chercheuse australienne et professeure à l’université de Sydney)
Voir aussi Barrett, Frank J. 1996. ‘Gender strategies of women naval officers’, in Women’ s Research and Educatioll Institute: Conference on Women in Uniformed Services. Washington, DC (Barrett est professeur de management et politique publique à la Naval Postgraduate School à Monterey, Californie)
(16) Voir Connell, Raewyn, «Gender politics» in Gender in world perspective, Malden, Polity press, 2009. Et Barrett, J. Frank, «The organizational construction of hegemonic masculinity : the case of US navy» in Gender, Work and organization, V.3 N.3, 1996.
(17) Whitworth, Sandra, MILITARIZED MASCULINITIES AND THE POLITICS OF PEACEKEEPING: THE CANADIAN CASE, Boulder, CO: Lynne Rienner Publishers, 2005, p.91
(18) http://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/296/286/Bournival.pdf
(19) Saiget, Marie, L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel, Paris, L’Harmattan, 2012.
(20) Saiget, Marie, L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel, Paris, L’Harmattan, 2012, p.25
(21) Ibid., p.25
(22) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/30/accusations-de-viols-en…
(23) http://www.liberation.fr/monde/2015/07/07/accusations-de-viols-en-centra…
(24) http://centrafrique-presse.over-blog.com/2015/07/soldats-francais-accuse…
par Julien Daigneau | Juin 11, 2015 | Opinions
Éviter les mêmes pièges cet automne
L’épisode de grève étudiante du printemps a déçu et frustré beaucoup d’étudiant-es de l’UQAM, même si peu osent le dire. Beaucoup de personnes ont fait confiance aux comités Printemps 2015 pour mener à bien le mouvement de grève « contre l’austérité et les hydrocarbures ». Toutefois, dès janvier, on critiquait le manque de représentativité et les limites stratégiques inhérentes à ces comités (1). La base étudiante doit dès maintenant tirer les leçons du Printemps 2015 afin d’éviter de tomber dans les mêmes pièges à l’automne.
Décimons d’emblée une confusion entourant les comités Printemps 2015 (P2015) : non, « comités Printemps 2015 » et « mouvement étudiant » ne sont pas synonymes. Les comités P2015 ne sont pas des associations étudiantes ni des comités de liaison officiels. Ils n’ont de compte à rendre à personne, contrairement aux comités et associations légitimes. Il s’agit d’un réseau de comités militants autoproclamés et décentralisés. Malgré l’usage systématique du « nous » dans leurs publications, les comités P2015 organisent principalement des cercles restreints de militant-es radicaux-ales universitaires localisé-es à Montréal. Bien que ces militant-es soient marginaux-ales au sein du mouvement étudiant, leurs idées y ont toutefois exercé une influence majeure en terme de stratégies de mobilisation, de liens identitaires et de discours politiques.
Du 23 mars au 6 avril, des associations étudiantes – structures légitimes et représentatives du mouvement étudiant – regroupant près de 60 000 étudiant-es ont démocratiquement voté différentes modalités de grève contre l’austérité. Leur débrayage a été tout aussi massif lors des manifestations des derniers mois (80 000 étudiant-es le 31 octobre 2014 (2), 135 000 le 2 avril 2015 (3) ou encore 40 000 le 1er mai 2015 (4). Les comités P2015 ont joué le rôle important d’avant-garde politique dans la mobilisation, dans l’orientation politique et dans l’organisation de ces actions. Leur structure en réseau leur a aussi servi de prétexte pour prendre des décisions à la place de la majorité, au nom de la cause et de l’auto-organisation de la base. Ainsi, les étudiant-es grévistes de l’UQAM n’ont jamais été consulté-es pour le piquetage dur du 30 mars, pour les levées de cours houleuses ou pour le saccage qui a suivi l’occupation du pavillon De Sève le 8 avril. Les actions qui ont défrayé la manchette n’ont jamais fait l’objet de débats ou de décisions démocratiques larges.
Absence de leadership des associations
Si des groupuscules et des individus radicaux ont réussi à avoir autant d’attention et d’influence, c’est en grande partie dû au manque de leadership cohérent et militant provenant des associations étudiantes locales et nationales. À l’UQAM, par exemple, certain-es élu-es étudiant-es ont déserté leur mandat en déléguant aux comités P2015 le travail politique à accomplir auprès de leurs propres membres.
À l’AFELC (5), personne n’a cru bon d’organiser des campagnes politiques massives ou de faire appel aux quelques 4 000 membres durant les deux semaines et demie de grève de l’association : rien sur la page Facebook, rien sur le site, aucune affiche dans l’UQAM. Un courriel d’invitation de masse a toutefois été envoyé le 26 mars au sujet des actions entourant les menaces d’expulsions politiques planant sur neuf militant-es. Le seul travail officiel a été réalisé entre la poignée de militant-es du comité de mobilisation, principalement organisé à travers son groupe Facebook fermé.
Le bilan du printemps nous force à questionner l’efficacité et l’aspect antidémocratique des stratégies d’actions commandos élaborées par les cliques de militant-es. À terme, leur intervention ultraradicale a été l’un des principaux facteurs dans la désarticulation du mouvement étudiant, plongé de manière précipitée dans une grève sans objectifs clairs, concrets et atteignables. Le déphasage entre la conscience politique des élites militantes et celle de la majorité des étudiant-es a conduit à deux pièges majeurs :
– la volonté de remplacer par une « démocratie directe » issue de l’auto-organisation la démocratie représentative des structures officielles ;
– la formulation d’un discours toujours plus radical, malgré l’essoufflement du mouvement de contestation.
Quels gains le mouvement de grève du printemps nous a-t-il permis d’obtenir ? Objectivement, aucun. Subjectivement, il aura participé à la radicalisation de nouvelles couches de la population, principalement étudiantes. Leur révolte nécessite toutefois d’être canalisée de manière constructive et efficace cet automne. Pour l’instant, on se retrouve devant une répression et des reculs historiques qui prendront des mois, sinon des années à surmonter. Quelques épisodes déterminants du printemps sont survolés plus bas.
Le lien avec la majorité
Même les militant-es de bonne foi peuvent perdre le lien qui est sensé les unir à la majorité de leurs congénères. Le pouls des autres devient de plus en plus difficile à prendre lorsque l’on est obnubilé-e par sa pratique militante, entouré-e presque exclusivement de ses camarades de lutte et enrobé-e dans un environnement Facebook qui conforte nos opinions.
La mauvaise foi surgit au moment où, plutôt que de constater l’ampleur de la tâche et de faire les efforts adéquats pour convaincre ces autres, on rejette la faute sur cette majorité « endormie », « incapable de comprendre », voire « de droite ». Les explications mécanistes deviennent alors bien commodes pour éviter l’autocritique et se victimiser face au pouvoir « manipulateur » des médias et « corrompu » des structures. Si ces risques sont et ont toujours été présents, ils ne constituent pas une fatalité discréditant à tout jamais ces institutions. Ce type de logique revient un peu à réclamer l’abolition de Code de la sécurité routière puisque, de toute façon, des accidents mortels surviennent toujours.Ce qui a fait le succès de la CLASSE en 2012, soit sa nature de coalition large et unie, son travail patient de mobilisation en région, ses revendications claires reposant sur un argumentaire étoffé, ses porte-paroles efficaces, un discours radical accessible et des pratiques démocratiques exemplaires, n’a pas été reproduit ce printemps.
Démocratie directe et démocratie représentative
La popularité des actions et la structure des comités P2015 étaient toutefois en mesure de maximiser le pouvoir mobilisateur des associations et des comités étudiants. L’organisation en groupes affinitaires ou en réseau n’exclut pas forcément celle des structures représentatives. En fait, ces deux approches ont besoin l’une de l’autre pour grandir. Un exemple d’actualité internationale le démontre bien : l’organisation politique des Indignados espagnol-es a mené à la création du parti Podemos, qui vient tout juste de se hisser à la tête des mairies de Madrid et de Barcelone.
La rhétorique des comités P2015 oppose une vision idéalisée de la démocratie directe à une conception sclérosée de la démocratie représentative. Elle pose un faux dilemme aux militant-es : vous êtes avec les « meutes enragées » ou vous êtes avec les bureaucrates des syndicats et des associations. En fait, la démocratie directe est un complément à la démocratie représentative, en même temps qu’un instrument de sa transformation. Pour s’affirmer, le philosophe Jean-Marie Vincent soutient que la démocratie directe a besoin « d’un terrain longuement labouré par des institutions vivantes et par les luttes autour de leur mode de fonctionnement ». (6) La démocratie directe ne vise pas à subvertir la représentation en la supprimant. Elle la contraint à fonctionner autrement. Elle l’oblige « à entrer dans une dialectique de la base au sommet qui l’emmène loin de ses habitudes de distorsion et de déformation des aspirations populaires dans le travail de définition de la volonté populaire » (7). Si la démocratie directe est l’oxygène de la démocratie représentative, cette dernière est le poumon qui offre la puissance de respiration à la démocratie directe.
Il est essentiel de coordonner l’auto-organisation à la base avec les structures représentatives étudiantes afin de plonger le plus de monde possible dans la lutte. Bien que cela a été le souhait de P2015 (8), son approche a plutôt été celle du conflit et de la compétition avec l’ASSÉ, les associations et les comités étudiants. Les comités P2015 auraient pu servir d’articulation pour mobiliser massivement les étudiant-es sur la base de stratégies et d’actions concertées et démocratiquement décidées. Ils ont plutôt cédé aux pulsions révolutionnaires, jetant par-dessus bord la discipline, la rationalité et l’esprit de stratégie nécessaires pour vaincre un ennemi plus fort qu’eux.
Un discours identitaire
Dès l’automne 2014, le discours de P2015 s’est articulé autour des thèmes de la lutte, de la révolte, de la meute de loups enragés et d’une « grève sociale inévitable » (9) au printemps. Le matériel d’information et les produits dérivés à l’effigie du loup ont été très utiles pour construire une identité gréviste forte. À l’image du carré rouge des grèves précédentes, le marketing politique agressif de P2015 a réussi à canaliser la colère d’une couche militante d’étudiant-es. La rhétorique émeutière de P2015 n’a toutefois pas offert d’orientations stratégiques adaptées aux différentes étapes du mouvement de protestation.
La grève générale, partout tout le temps
Tout le discours de P2015 est articulé autour de la grève générale comme fin en elle-même et comme moyen à utiliser à toute occasion et en tous lieux. Le matériel de P2015 fait la promotion de l’idée et des modalités de la grève générale, mais reste discret quant à sa nécessité stratégique. Les tracts parlent de son potentiel de « menace » et de « rapport de force » (10) face au gouvernement, mais surtout de l’urgence de faire cette grève et de la reconduire coûte que coûte (11). On cherchera en vain les réponses aux questions : quelles stratégies adopter si cette grève n’a aucun effet sur la direction des universités et sur le gouvernement ? Que faire sous une injonction ? Et si les étudiant-es ne veulent plus faire la grève ? En outre, plusieurs associations se sont mises à faire la promotion de la grève après l’avoir votée en assemblée générale. Contrairement à 2012, on aura tenté sans succès d’assister aux débats préparatoires, aux séances d’information ou aux campagnes sérieuses sur les enjeux d’une grève.
Contrairement à ce qu’affirme l’AFÉA (12), la grève ce n’est pas du « bonbon », du moins pas pour la majorité des étudiant-es de l’UQAM. C’est un sacrifice familial pour les parents étudiants. C’est un sacrifice économique pour ceux et celles qui vivent sous le seuil de la pauvreté et dont les jours de travail sont comptés. C’est un sacrifice physique et psychologique pour les personnes brutalisées par la police. Si certain-es font ces sacrifices en toute connaissance de cause, ces personnes n’ont ni l’autorité morale ni la légitimité d’en demander autant aux autres. Le militantisme est parfois un luxe que certain-es ne peuvent pas se permettre. Le nier, c’est mépriser les conditions d’existence des classes travailleuses et populaires.
Pour une approche transitoire
Cela ne justifie pas l’inaction pour autant. Les coupures et les hausses enragent les gens. Le « monde ordinaire » ne développe toutefois pas automatiquement une conscience politique des rouages du capitalisme et de la nécessité du socialisme. Voilà pourquoi il est nécessaire de prendre ces personnes là où se situe leur réflexion et leur indiquer de manière compréhensible le chemin à emprunter pour lutter efficacement et gagner.
Malgré ce que P2015 prétend (13), le mouvement du printemps n’a pas « repris » là où la grève de 2012 s’est arrêtée. La conscience politique des étudiant-es ne suit pas une pente ascendante continue. Elle connaît des périodes d’avancement et de recul auxquelles il faut s’ajuster avec flexibilité. Il ne s’agit pas de demeurer dans le statu quo en se collant à la conscience immédiate des gens. Pas plus que de s’en déconnecter en se projetant à des années-lumière devant elle. Le défi demeure celui d’analyser constamment la situation afin d’identifier la prochaine étape, la prochaine revendication qui permettra au mouvement d’avancer de manière unie et combative.
Depuis le 1er mai, date ultime d’une « grève sociale » qui n’est jamais advenue, le mot d’ordre de P2015 semble être celui de la grève générale à l’automne 2015. Continuer de réciter ce mantra ne fera que braquer encore plus ceux et celles qui doivent la faire, cette grève générale. Durant le printemps, les comités P2015 ont prêté de fausses intentions de grève aux syndicats du milieu de la santé (14) et ont mal analysé l’état de conscience parmi les étudiant-es. Le mouvement gréviste qu’ils ont conduit s’est effondré aussi vite qu’il s’est bâti. Cette approche n’a mené à aucune victoire, au contraire.
Pour des objectifs clairs et envisageables
La fenêtre de lutte historique qui s’ouvre avec le renouvellement des conventions collectives des 577 700 employé-es du secteur public et parapublic ainsi que la mobilisation sans précédent contre l’austérité ont le potentiel de faire tomber le gouvernement. Une campagne axée sur une journée nationale de perturbation économique couplée à une grève générale syndicale de 24h a des chances de se réaliser. Encore faut-il que la base syndicale s’organise elle-même pour la mener, malgré l’opposition de leur propre direction. Pour s’assurer un impact certain, les syndiqué-es devront aussi formuler des revendications capables de toucher et de mobiliser l’ensemble des classes travailleuses populaires.
À l’UQAM, avant de tenter de mobiliser les étudiant-es autour d’une grève générale illimitée, les militant-es devraient penser à une campagne massive sur l’utilité et la nécessité du syndicalisme étudiant. Sinon, il y a risque de se retrouver face à de nouvelles vendettas visant à dissoudre les associations. La possibilité de grève des membres du SPUQ (15), du SÉTUE (16) et du SCCUQ (17) à l’automne offre une occasion au mouvement de se coaliser autour de demandes précises comme l’arrêt des coupures et la réembauche de professeur-es, le transfert de postes de chargé-es de cours dans le corps professoral et le renforcement de la cogestion universitaire.
De plus, l’évidence de l’imposition d’une loi spéciale ou d’un décret du gouvernement force dès maintenant à élaborer une stratégie concernant l’action illégale. Dans un tel contexte défavorable, le mouvement court à sa perte si l’accent n’est pas mis dès maintenant sur la mobilisation démocratique du plus grand nombre.
Il est essentiel de se fixer des objectifs clairs et envisageables qui pointent vers un changement social radical. Sinon, comment fera-t-on pour savoir qui a gagné, quand arrêter ou quand continuer ?
Quelques épisodes déterminants du printemps
– La perte de l’AFESPED
En février, des étudiant-es opposé-es à la grève obtiennent la tenue par l’UQAM d’un référendum électronique concernant la représentativité de l’AFESPED (18). À l’issue du scrutin en mars, une faible majorité d’étudiant-es désavouent leur association (19), ce qui met fin à sa reconnaissance par l’UQAM. Ce résultat aurait dû servir d’électrochoc pour faire réaliser la gravité du problème qui déchire les étudiant-es sur la question du syndicalisme estudiantin. Plutôt que de mener une campagne honnête sur l’enjeu de fond – la lutte pour le leadership politique de l’association –, les exécutant-es tentent de dépolitiser le problème en misant sur une campagne axée autour des services offerts par l’association. L’occasion d’élaborer une stratégie adéquate pour convaincre la majorité de l’utilité du syndicalisme militant est ratée. Les étudiant-es perdent ainsi une structure démocratique, un outil économique et politique important en se divisant sur des lignes politiques intransigeantes.
– Le piquetage dur
À la fin du mois de mars, le blocage de l’UQAM par des militant-es radicaux-ales sert sur un plateau d’argent le prétexte à la direction pour faire appliquer une injonction contre toutes les levées de cours et tous les blocages. Les étudiant-es grévistes et le personnel de l’UQAM ne sont ni consulté-es, ni mobilisé-es pour cette action. La représentante des étudiant-es au Conseil d’administration et au Comité exécutif de l’UQAM, Justine Boulanger, défend cette approche en affirmant que toutes les actions ne peuvent pas être « nécessairement » expliquées à tout le monde. « Tout ne peut pas provenir des AGs ou des comités, et c’est tant mieux ainsi », écrit-elle sur Facebook (20).
Certain-es militant-es s’aliènent leurs propres appuis en tabassant des employé-es venu-es travailler. Les passant-es ont droit à des insultes de cégépien-nes arborant fièrement leur bannière « Brûle toute » et « ACAB ». Les militant-es radicaux-ales bloquent l’accès à l’université à des milliers d’étudiant-es qui ne sont pas en grève, principalement ceux et celles de l’École des sciences de la gestion, et forcent l’annulation de la première journée de collecte de sang annuelle d’Héma-Québec. D’autres indiquent faussement sur une bannière qu’ « aucun cours, évaluation ni remise n’auront lieu » à l’AFELC, bafouant ainsi les dérogations décidées en AG.
Dépourvu de message unificateur et d’effectifs, le blocage s’essouffle en fin d’après-midi sans établir de rapport de force avec l’UQAM, encore moins avec le gouvernement. Organisée de manière ouverte et démocratique, cette action aurait toutefois pu constituer la meilleure façon de faire entrer la communauté uqamienne en lutte. Elle aurait pu survivre à l’injonction si elle s’était appuyée sur une mobilisation de masse et sur des revendications concrètes.
– Le ludique avant la solidarité
Le 1er avril, au moment où la grève étudiante bat son plein, P2015 organise une manifestation de « solidarité étudiante avec le secteur de la santé » (21). Cette solidarité avec les employé-es de ce secteur fait partie du discours de P2015 depuis le mois de janvier. La manifestation débute au Cégep du Vieux-Montréal, passe devant le CSSS Jeanne-Mance et termine sa course devant le CHUM. Il s’agit de l’action principale organisée par P2015 pour démontrer concrètement sa solidarité avec des travailleur-euses hors de l’UQAM. Des 1 000 personnes qui indiquent vouloir y participer sur l’événement Facebook, seule une cinquantaine vont appuyer les employé-es dans la rue. Près de 600 étudiant-es préfèrent participer à une autre activité de P2015, une fausse manifestation de droite, qui s’arrête cinq minutes devant le CHUM pour scander « À bas les syndicats! ». Le manque de cohésion politique et organisationnel des comités P2015 joue un rôle majeur dans l’échec de cette action. Appeler à un « front social contre l’austérité » n’est pas suffisant pour qu’il se matérialise. La solidarité n’est pas uniquement un principe, un concept abstrait. Il s’agit d’une pratique sociale qui s’apprend et qui s’opère dans le concret des luttes.
– La démission en bloc à l’ASSÉ
Lors du congrès de l’ASSÉ les 4 et 5 avril, la coordination nationale veut discuter d’un arrêt de la grève en vue d’une reprise à l’automne. Payant pour son manque de leadership des derniers mois, elle démissionne en bloc sous la pression de militant-es radicaux-ales. Ces dernier-ères font d’ailleurs voter une motion de « destitution symbolique » à l’exécutif sortant (22), rajoutant l’insulte à l’injure. Le ton vindicatif de la nouvelle équipe en faveur du maintien de la grève consacre la chute du mouvement. Le 10 avril, seuls 7 % des étudiant-es collégiaux et universitaires du Québec sont en grève. Le bilan nul et les stratégies inefficaces des associations et de P2015 jouent un rôle de premier plan dans le vote pour le retour en classe, notamment à l’AFELC.
– Le saccage du De Sève
Le 9 avril, la diffusion d’images du saccage ayant suivi l’occupation du pavillon J.-A.-de-Sève, la veille, contribue à diminuer le peu de soutien populaire à la lutte étudiante. Avant même la diffusion de ces images, un sondage Léger-Le Devoir mené du 6 au 9 avril indique que 66 % des sondé-es désapprouvent le mouvement de grève étudiante contre 24 % qui l’approuvent. Seule la tranche des 18-24 ans appuie massivement la grève à 47 % (23).
L’occupation survient à la suite d’une intervention injustifiée sur le campus d’une centaine de policier-ères venu-es y arrêter des étudiant-es qui procédaient à des levées de cours illégales en vertu d’une injonction obtenue par l’UQAM. Si l’occupation se déroule dans une atmosphère festive, les choses se gâtent en fin de soirée. Les participant-es peuvent alors constater le vrai visage du « comité invisible » et des autres insurrectionalistes. Certain-es étudiant-es sont roué-es de coups en tentant d’empêcher les ultraradicaux de faire de la casse. Cela ne les empêche pas de fracasser les vitrines du Service à la vie étudiante, service qui finance à coût de dizaines de milliers de dollars les comités auxquels leurs propres groupes s’abreuvent. En outre, l’argent de la caisse du café étudiant Tasse-toi est dérobé. Un petit mot cynique y est laissé: « On aime les cafés autogérés ». Tout casser en désespoir de cause n’a ni favorisé la solidarité des luttes ni permis d’établir un quelconque rapport de force. La « diversité des tactiques », si elle peut être utile dans certains cas, ne mène à rien lorsqu’elle est utilisée comme un chèque en blanc permettant à n’importe qui de faire n’importe quoi, n’importe où.
Les jours suivants, des poèmes anonymes sont distribués dans l’UQAM. Ils parlent des événements comme d’une « œuvre d’art » relevant de la « poésie ». L’AFÉA fait quant à elle imprimer des affiches affirmant que « Le vandalisme est une vue de l’esprit ».
– L’essoufflement
Après la manifestation nationale du 2 avril, le mouvement de contestation se rabougrit à son noyau militant du centre-ville de Montréal. Le 10 avril, 85 % des grévistes sont localisé-es à Montréal (42 % à l’UQAM, 25 % au Cégep du Vieux-Montréal, 18 % à l’Université de Montréal) . À la fin avril, des militant-es érigent une série de campements de fortune sur le terrain de différents Cégeps (Vieux-Montréal, Saint-Laurent, Rosemont, Maisonneuve, Lionel Groulx, Sherbrooke, Saint-Hyacinte, Valleyfield, Jonquière). La plupart des campements sont démantelés en mai.
– Les menaces d’expulsions politiques
Au début avril, le discours de P2015 se recentre autour de la lutte contre la « dérive austéritaire » et les menaces d’expulsions politiques à l’UQAM. Cette campagne, concrète dans ses revendications et forte de nombreux appuis, échoue cependant à mobiliser massivement les étudiant-es. À notre avis, il serait avantageux de mettre l’accent sur la menace que constituent les possibles expulsions politiques pour la cogestion universitaire. Cela permettrait de dépersonnaliser l’enjeu et de toucher le concret du cursus scolaire des étudiant-es (commande de cours, entente d’évaluation, structure des programmes, etc.).
––––––––––––––––––––––––––
- Julien Daigneault. L’horizontalité une erreur stratégique. dans Réflexions socialistes vol.2 #1 Hiver 2015. p.4
- Arnaud Theurillat-Cloutier. La plus grande mobilisation sociale depuis le « printemps érable ». dans ricochet.media. 03-11-2014.
- La Presse Canadienne. Imposante manifestation au centre-ville de Montréal. dans lapresse.ca. 02-04-2015
- Coalition du 1er mai. Mandats de grève.
- Association facultaire étudiante de langues et communication de l’UQAM
- Jean-Marie Vincent [1983] Démocratie représentative et démocratie directe. dans La gauche, le pouvoir, le socialisme. Hommage à Nicos Poulantzas. Presses universitaires de France. Paris. p.72
- Ibid p.71
- Printemps 2015. Montrer les crocs.
- Printemps 2015. Vers une lutte commune au printemps. Tract.
- Printemps 2015. Questions et réponses : grève générale reconductible. Tract.
- Printemps 2015. Pourquoi reconduire la grève ? Tract.
- Association facultaire étudiante des arts de l’UQAM
- Printemps 2015. L’ASSÉ ne fait pas le printemps. 30-03-2015.
- Anne-Marie Provost. Nouveau printemps étudiant à prévoir. dans 24h. 20-01-2015. p.5
- Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM
- Syndicat des étudiants et étudiantes employé-e-s de l’UQAM
- Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM
- Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM
- 625 votes en défaveur de la représentativité de l’AFESPED, 578 votes en faveur
- Justine Boulanger, commentaire sur la page Facebook du Comité Mob AFELC. 30-03-2015.
- Printemps 2015. « À Qui profite notre santé ? » Manifestation de solidarité étudiante avec le secteur de la santé – Quartier Latin. Événement Facebook.
- ASSÉ. Texte entériné par le congrès de l’ASSÉ du 4 et 5 avril 2015. 06-04-2015.
- Sondage Léger-Le Devoir. Politique québécoise. Pour publication le 11 avril 2015. p.16
- La grève se poursuit au Vieux-Montréal après l’échec des pétitionnaires. dans ici.radio-canada.ca. 10-04-2015
par Émile Duchesne | Avr 14, 2015 | Opinions
Le terme répression trouve son origine dans le mot latin reprimere (1) qui signifie refouler. Malgré une utilisation relativement ancienne du terme, le sens de celui-ci à très peu changé jusqu’à aujourd’hui : contenir et châtier sont deux sens qu’on accole toujours au mot «répression» (2). Si les mouvements sociaux québécois n’en sont pas à leur première rencontre avec l’appareil répressif de l’État, il reste néanmoins surprenant que la mobilisation étudiante de 2015 soit aussi rapidement la cible d’une répression dont l’intensité et la violence en indigne plusieurs. Sans vouloir apporter une réponse exhaustive je proposerai ici quelques pistes pouvant permettre d’orienter notre réflexion sur la répression et sur la violence policière que subit le mouvement étudiant.
Des super-bureaucrates
En schématisant à peine, on peut dire que les policiers-ères ne sont en fait que des « super-bureaucrates », c’est-à-dire des bureaucrates armé-e-s. Tout comme les bureaucrates, ils et elles doivent remplir de longs rapports et autres formulaires et appliquer des règlements dont la logique échappe à la majorité de la population. Le métier de policier au jour le jour se révèle donc être ennuyant et souvent peu efficace. Par ailleurs, nombre d’études en sciences sociales ont démontré que la pratique des patrouilles policières et l’augmentation des effectifs n’affectaient aucunement les taux de criminalités (3). D’autre part, les policiers-ères passent la plupart de leur temps à faire respecter (c’est-à-dire par la menace de l’usage de la violence légitime) des règlements administratifs (4). Une fois que l’on sait cela, certaines choses s’éclaircissent. L’application du règlement P-6, avec entre autre l’obligation qui en découle pour les manifestant-e-s de remettre un itinéraire, représente une tactique bureaucratique par excellence. Remettre un itinéraire implique de faire une demande, que cette demande soit traitée et enfin acceptée ou refusée comme n’importe quel formulaire que l’on remettrait à la RAMQ (5) ou la SAAQ (6). Avec un tel règlement, la Ville de Montréal est capable de légitimer le fait que les policiers-ères provoquent volontairement des quasi-émeutes et procèdent à des arrestations de masse. D’ailleurs, l’administration de la ville a pris le temps de souligner que cette année le règlement P-6 serait appliqué sans aucune tolérance (7) et ce avant même le début des manifestations et malgré l’abandon de 1965 charges pour infraction au règlement P-6 (8). Il y a beaucoup de parallèles à tracer entre l’obsession pour l’itinéraire du règlement P-6 et la répression des manifestations ailleurs dans le monde. À Montréal si on veut « légalement » manifester il faut soumettre son trajet à l’arbitraire policier. Dans beaucoup de pays totalitaires, on demande aux organisateurs d’une manifestation de faire une demande des mois à l’avance pour que celle-ci ait lieu et on les cantonne dans une place publique obscure, loin de tout regard. C’est entre autres ce qu’a fait la Russie aux Jeux Olympiques de Sotchi et ce que font des pays comme la Chine. La différence entre le règlement P-6 et la logique répressive de ces régimes totalitaires en est une de degré et non pas de nature. Cet aveuglement face à la réalité sur le terrain est typique de la bureaucratie. La procédure bureaucratique signifie globalement de faire fi de toute les subtilités de l’existence et de tout réduire à des modèles préconçus (9). Pour être provoquant, on pourrait dire que le règlement P-6 est une invention des plus stupides au sens où il réduit la réalité à un schéma simpliste (du type pas de trajet = gaz lacrymogènes, même si on risque de provoquer une émeute et des blessés) qui permet l’utilisation de la menace de violence physique. C’est d’ailleurs le propre de la violence de rendre caduque toute réponse intelligente et posée. Les policiers-ères sont donc les bureaucrates par excellence grâce à la possibilité qu’ils ont d’utiliser la menace de la violence physique. Bien sûr, c’est l’arbitraire policier-ère qui détermine en dernière instance quand cette violence est appliquée, la menace reste quant à elle omniprésente. Comme Max Weber l’a remarqué, toute forme de bureaucratie se rend indispensable à l’élite au pouvoir, et il est presque impossible de s’en débarrasser (10). De la même façon, les policiers-ères au Québec se rendent indispensable aux gouvernements en place (que ce soit le PQ, le PLQ, Coderre ou Labeaume) afin que ceux-ci conservent leur pouvoir. Mais aussi on imagine difficilement le gouvernement renvoyer simultanément toute sa garde armée …
La culture policière
La culture policière représente ce système de valeurs et de savoirs partagés qui sont passés d’une génération de policiers-ères à une autre et qui permet de « faire sa place » dans l’organisation (11). Elle représente des pratiques informelles et est terreau fertile pour les pratiques non-professionnelles (12). Cette culture policière se développe dès l’entrée des nouveaux-elles policiers-ères dans les services de police mais aussi au long de leur formation alors qu’ils et elles sont entouré-e-s d’ancien-ne-s policiers-ères qui leur transmettent cette culture. Il est d’ailleurs fascinant d’observer comment cette culture et cet esprit de corps se déploient chez les étudiant-e-s en technique policière lorsqu’il y a une assemblée de grève dans leur Cégep … En terme de valeurs partagées, la culture policière permet au corps policier de différencier les bon-ne-s citoyen-ne-s des mauvais-es. Parlant du sociologue John Van Maanen, Didier Fassin écrit : « Selon cet auteur, (13) les assholes constituent un ensemble peu différencié de personnes allant du travailleur social au jeune militant en passant par le vagabond et l’alcoolique qui vont faire l’objet de l’attention des forces de l’ordre […] et qui vont se comporter de façon inadaptée, en demandant ce qu’on leur veut, en discutant de la légitimité du contrôle ou en contestant l’autorité du policier » (14) En manifestant chaque soir dans les rues de Montréal en 2012, les étudiant-e-s se sont très certainement assuré-e-s une place notoire dans le palmarès des « assholes » du SPVM. La haine que peuvent entretenir les policiers-ères envers les étudiant-e-s nourrit une certaine banalisation de la violence faite envers ceux-ci. Rien n’empêche un-e policier-ère de se faire justice soit même dans la rue (voyant que beaucoup d’étudiant-e-s s’en tirent avec un retrait des charges) en allant frapper un-e pauvre étudiant-e avant qu’il ne déguerpisse comme un lièvre. Suite aux émeutes des banlieues de 2005 en France, nombre « d’émeutiers-ères » arrêté-e-s se sont vu relâché-e-s. La réponse des policiers-ères fût de faire leur propre justice dans les rues de France (15). La tombée des accusations concernant le règlement P-6 a peut-être eu cet effet sur les policiers-ères du SPVM. Quoi qu’il en soit, il reste difficile de savoir sur quoi portent les conversations dans les postes de polices, même si certains indices ne mentent pas.
Les médias
Dans un article publié dans le média Ricochet (16), Gabriel Nadeau-Dubois nous parlait de « brutalité médiatique » et de son impact sur les services de police. On le sait, plusieurs médias diffusent quotidiennement dans l’espace publique des propos haineux envers certains groupes de la société. Certains nomment ces médias « radios poubelles » (17) ou « vendeurs de haine » (18). La légitimation de la violence faites aux étudiant-e-s par ces médias conforte la police dans ses exactions car elle sait que sa violence sera par la suite justifiée (souvent en utilisant une rhétorique paternaliste) par des médias qui sont capables d’atteindre un nombre d’auditeurs-trices relativement élevé. Je voudrais néanmoins déplacer la question des médias vers un autre point qui se situe plutôt au plan de l’imaginaire collectif. Alors, petit exercice, combien existe-t-il de séries policières à la télévision ? Beaucoup. Et qu’est-ce qu’on montre dans ces séries ? Des policiers et des policières qui résolvent des crimes flamboyants et qui démontrent leur courage par leur bravoure et leur personnalité de dur-à-cuire. Le fait est que ces séries télévisées donnent un regard faussé du métier de policier. Comme il a été dit plus haut l’essentiel de la profession policière consiste à appliquer des règlements relativement insignifiants (i.e. pas le droit de boire à cet endroit, pas le droit de dormir à tel endroit, etc.) et à remplir de la paperasse. On est loin de ce qu’on voit à la TV. Les policiers et policières se retrouvent donc dans un train-train quotidien ennuyeux, alors qu’on leur dépeint une réalité fictive dans laquelle ils et elles rêvent d’intervenir et de devenir des héros (19). Il y a ainsi un décalage important entre la profession et l’image que l’on en a. D’autre part, cette situation a un effet important sur le regard qu’a le public sur le travail policier. La population est constamment bombardée de séries et de romans policiers et est donc constamment appelée à s’imaginer dans la peau d’un policier ou d’une policière. La majorité de la population est donc appelée régulièrement a effectuer un travail interprétatif afin de se « mettre dans la peau » d’un policier. Quand peut-on voir des séries télévisées qui mettent en scène des manifestant-e-s ? Pratiquement jamais. Le travail interprétatif ne se fait que d’un seul côté (20). Il est plus facile pour la population de comprendre le point de vue de la police et de s’y identifier que de le faire avec des manifestant-e-s, puisque la population est quotidiennement appelée à effectuer un travail interprétatif afin de comprendre la perspective des policiers-ères.
Conclusion
Les trois conceptions de la police présentées ici nous permettent de porter un autre regard sur les épisodes de répression que le mouvement étudiant a vécu ces derniers jours et de dépasser les stéréotypes simplistes sur la question de la répression. L’austérité et le système politique qui la supporte sont des structures violentes. Elles ne peuvent être créées et maintenues qu’à partir de la menace de violence physique et ce même si cette violence physique n’a pas à être déployée à tous les jours (21). Cette violence structurelle limite nos capacités à imaginer des alternatives à notre mode de vie, car nous vivons dans un monde où être réaliste signifie prendre au sérieux l’usage systématique de la menace de violence physique (22). Les manifestations étudiantes ont réveillé la violence dormante de nos structures sociales. Dans un monde aseptisé et schématisé au maximum, l’imagination se fait rare. Contre une vision du monde qui sabote la finalité de l’agir humain, il faut promouvoir l’imagination et apprendre à ne pas être « réalistes ». L’opinion exprimée dans le cadre de cette lettre d’opinion, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion, ni n’engage la revue l’Esprit libre. CRÉDIT PHOTO: Caroline Cheade
(1) Dictionnaire étymologique Larousse (1964 : 644). (2) Multi dictionnaire de la langue Française (2009 : 1414). (3) La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers (Fassin, 2011 : 113). (4) The Utopia of Rules : On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy (Graeber, 2015 : 73). (5) Régie de l’Assurance Maladie du Québec. (6) Société de l’Assurance Automobile du Québec. (7) http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201503/25/01-4855369-manifestations-p-6-sera-applique-previent-ladministration-coderre.php page consultée le 8 avril 2015 (8) http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201502/25/01-4847318-p-6-montreal-retire-les-accusations-pendantes.php page consultée le 8 avril 2015 (9) Op. cit (Graeber, 2015 : 75). (10) From Max Weber : Essays in Sociology (Weber, 1946 : 233-34). (11) Using Bourdieu’s Framework for Understanding Police Culture in Droit et Société (Chan, 2004 : 328). (12) Ibid (13) The assholes in Policing : A View from the Street(Van Maanen, 1978). (14) Op. cit (Fassin, 2011 : 152). (15) Op. cit (Fassin, 2011 : 293). (16) https://ricochet.media/fr/371/les-policiers-ne-vivent-pas-dans-un-bocal page consultée le 8 avril 2015 (17) http://sortonslespoubelles.com/ page consultée le 8 avril 2015 (18) http://ucl-saguenay.blogspot.ca/2013/09/lancement-du-livre-radio-x-les-vendeurs.html page consultée le 8 avril 2015 (19) Op. Cit (Fassin, 2011 : 100). (20) Op. cit (Graeber, 2015 : 81). (21) Op. cit (Graeber, 2015 : 59). (22) Op. cit(Graeber, 2015 : 86).
par Rédaction | Fév 24, 2015 | Entrevues, International
Par Émile Duchesne
Dastan Kasmamytov milite pour les droits LGBT au Kyrgyzstan au sein de l’organisation Kyrgyz Indigo. En ce moment même, une loi interdisant tout commentaire positif envers des « comportements sexuels non traditionnels » est discutée au parlement kyrgyz. La date de son adoption demeure inconnue. J’ai conduit cette entrevue avec Dastan lors d’un séjour de 4 mois au Kyrgyzstan. Je l’ai rencontré dans un petit bar de Bishkek, musique pop russe en prime. Nous avons discuté ensemble environ 2h. Voici les meilleurs moments de cette rencontre incroyable.
Q.Peux-tu décrire un peu l’organisme pour lequel tu travailles ?
R. Kyrgyz Indigo est un organisme pour les LGBT du Kyrgyzstan. En gros, nous supportons les droits et la santé sexuelle des LGBT. Il y a deux principaux organismes ; l’autre s’appelle Kyrgyz Labryz et est un peu plus vieux. Ils ont plus d’expérience pour ce qui est du lobbying et de conseiller les autorités publiques. Nous essayons nous aussi de faire plus de travail de ce côté en introduisant des lois qui promeuvent les droits LGBT. Cela consiste une partie non négligeable de notre travail. Mais les lois sont affreuses ici au Kyrgyzstan, cela ne nous aide pas du tout. L’autre aspect de notre travail est la construction d’une conscience communautaire LGBT. Nous travaillons également à la mobilisation et à la politisation de la communauté. Parce que, bon, comme tu le sais peut-être, les gens en général n’en ont rien à foutre : ils vont baiser par-ci par-là et se foutent de ce qui se passe. Ils veulent une bonne vie, de l’argent et un bon partenaire pour avoir des relations sexuelles. Nous avons besoin d’un mouvement fort avec le plus de gens possible qui sont prêts à sortir du placard et nous aider dans notre effort de mobilisation. Déjà, de parler ouvertement d’homosexualité dans son entourage, c’est beaucoup pour le Kyrgyzstan. On ne se fait pas trop d’illusion : changer les lois du Kyrgyzstan n’est pas à notre portée. On essaie de changer l’attitude des gens de façon à provoquer le changement social.
Q.Quel poste occupes-tu dans Kyrgyz Labryz ?
R. Je suis spécialiste du lobbying autant au niveau national qu’international. Parfois c’est difficile de faire bouger les choses au niveau national, alors on a besoin d’utiliser les instances internationales pour mettre de la pression sur le gouvernement. C’est pour ça qu’on doit travailler sur les deux niveaux. Pour le moment je n’ai plus de salaire, mais j’appelle quand même ça mon travail puisque ça occupe la majeure partie de mon temps. Nous avons de la difficulté à recevoir du financement, spécialement au niveau local. Il y a beaucoup d’argent de l’international pour la défense des droits humains au Kyrgyzstan, mais très peu d’organismes sont prêts à nous donner de l’argent parce que les droits LGBT sont un enjeu très controversé ici. Notre financement vient majoritairement d’organismes internationaux, mais nous faisons également du « crowd-funding» dans les villes et villages du Kyrgyzstan. Nous comptons beaucoup sur le bénévolat.
Q.À quoi ressemble la situation de la communauté LGBT au Kyrgyzstan ? À quels problèmes faites-vous face ?
R. Bon, premièrement il faut spécifier que lorsque l’on parle de personnes LGBT on n’a pas affaire à une réalité homogène. Il y a bien sûr tous ces hommes riches qui ont les moyens d’aller à l’étranger, qui peuvent se payer la sécurité et des maisons privées. Ils se sentent en sécurité. Mais c’est loin d’être le cas pour toutes les personnes LGBT au Kyrgyzstan. La plupart sont vulnérables; ce sont les gens qui souffrent vraiment. Ils font face à beaucoup de violence et à du chantage de la part de la police. À vrai dire, il y a de la discrimination partout : dans le système d’éducation, dans le système de santé, etc. Bien sûr cela dépend des personnes. Les plus vulnérables sont sans aucun doute les personnes transgenres parce qu’ils et elles sont beaucoup plus visibles. Il y a entre autres un groupe de travailleurs du sexe transgenres qui fait face à beaucoup de violence de la part de la police, de gens ordinaires et même de la communauté LGBT. Il y a beaucoup de transphobie chez les hommes homosexuels. Il y a un idéal chez les gais du Kyrgyzstan selon lequel ils doivent agir comme de vrais hommes, avoir l’air forts, etc. C’est pour ça qu’ils n’aiment pas les transgenres. Il y a aussi l’histoire de ce jeune garçon de 15 ans qui a été jeté dehors de chez ses parents parce qu’il leur avait avoué être gai. Il a été battu par son père et n’avait nulle part où aller. Bien sûr, il est allé voir les organismes LGBT, mais ils ne pouvaient rien faire parce qu’il est illégal de travailler avec des mineur-e-s. Ils ne pouvaient pas aller dans les refuges pour personnes LGBT. Il a donc dû vivre chez des amis, ce qui impliquait parfois des relations sexuelles forcées et autres choses du genre. Il ne pouvait pas non plus aller dans les orphelinats gouvernementaux; on lui aurait demandé pourquoi ses parents l’avaient jeté dehors et comme il était gai il aurait subi de la violence là-bas dans les organisations gouvernementales. Il y a plein de cas semblables, entre autres il y a une personne de la communauté qui a été battue et humiliée par un groupe très agressif. Ils l’ont amené hors de la ville et l’ont forcé à creuser sa tombe. Et ça c’est une histoire très récente. Cela arrive souvent ces temps-ci, spécialement cette année. La violence et les crimes de haines envers les personnes LGBT ont vraiment augmenté. Cela a commencé en janvier 2014, alors que les discussions sur la propagande LGBT ont débuté. Maintenant, il y a plusieurs groupes organisés qui essaient de trouver des gens de la communauté sur internet pour les rencontrer, les battre et les humilier.
Q.Sens-tu que ta sécurité est compromise parce que tu travailles dans un organisme de défense des droits LGBT ?
R. Oui, bien sûr. Entre janvier et février 2014, il y a eu le lancement d’un rapport de Human Right Watch sur le respect des droits LGBT au Kyrgyzstan. Ils cherchaient une personne qui pourrait dire quelque chose au nom de la communauté lors du point de presse. Personne ne voulait y aller alors j’ai parlé à mes parents et j’ai décidé de le faire. Le lendemain, j’étais dans tous les médias. J’étais préparé mentalement, mais ça a été difficile. Il y a tellement eu de discours haineux sur internet ; des gens disaient que s’ils me trouvaient, ils allaient me tuer. Alors oui, j’étais vraiment effrayé, effrayé de sortir de chez moi, etc. Mon père a été victime de chantage de la part de son entourage seulement parce que j’ai parlé publiquement de mon homosexualité.
Q.Il y a cette loi qui est actuellement discutée au parlement kyrgyz à propos de la propagande LGBT. Peux-tu nous en parler ? Qu’est-ce que cette loi propose ? Comment va-t-elle affecter la communauté LGBT au Kyrgystan ?
R. La loi proposée cherche à interdire toute attitude positive envers des comportements sexuels non traditionnels. Ce que ça veut dire, eh bien, c’est qu’on veut introduire des conséquences administratives, des amendes et des offenses criminelles pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement (1 an maximum). En gros, ça veut dire qu’on assiste à une recriminalisation de l’homosexualité au Kyrgyzstan. Il sera illégal d’être gai parce que, bien sûr, lorsque quelqu’un dit qu’il est gai, cela constitue une attitude positive envers des comportements sexuels non traditionnels. Ce n’est pas très clair, non plus, ce qu’on entend par comportements sexuels non traditionnels. Cela peut vouloir dire n’importe quoi. Même le sexe pour le plaisir et les condoms peuvent être interprétés comme des comportements sexuels non traditionnels. Ce ne sont pas seulement les droits LGBT qui sont en jeu, mais bel et bien les droits sexuels de tous les citoyens kyrgyz. Cette loi affecte tout le monde. Sous cette loi, le gouvernement pourrait arrêter tout dépistage du VIH et toute forme d’éducation sexuelle parce que bien entendu, quand on fait de l’éducation sexuelle, on parle de sexe sécuritaire et que le sexe sécuritaire n’est pas traditionnel. Cette loi va causer beaucoup de problèmes que les gens ne sont pas capables de voir parce que toute l’emphase est mise sur la propagande LGBT.
Q.Quelle est l’influence de la loi anti-gaie de Vladimir Poutine ? Quels liens peut-on faire entre ces deux lois ?
R. Bien sûr, la loi anti-gaie adoptée en Russie a eu beaucoup d’influence sur la situation au Kyrgyzstan. Nos leaders religieux et nos parlementaires ont été inspirés par cette loi russe et l’ont rendu pire encore. La Russie est complètement dégueulasse. C’est une puissance impérialiste qui exerce beaucoup d’influence et de pouvoir sur les plus petits États autour d’elle. La Russie essaie de pousser son programme politique dans les législations des pays avoisinants. À cause de la Russie, des lois similaires sont discutées en Moldavie, en Ukraine, en Lettonie, en Arménie et au Kyrgyzstan. Il y a même des mouvements qui commencent à se dessiner au Kazakhstan. Pourquoi dans tous ces pays, alors que dans aucun autre pays dans le monde on ne discute de criminaliser les LGBT ? Est-ce que tu comprends? Alors c’est vraiment gros et très efficace. Le problème, c’est que c’est un programme politique qui promeut l’homophobie. La Russie influence ces pays, particulièrement à travers ses médias de masse, parce que dans ces pays les médias russes sont dominants, et de loin. Ils sont très efficaces pour mettre de la pression politique sur les parlementaires et les gouvernements. Efficace dans le sens qu’ils font du bon travail, malheureusement pour nous …
Q.Comment vois-tu l’intervention des pays de l’Ouest dans ce débat ? Vous avez reçu l’appui de l’ambassade américaine au Kyrgyzstan ? Comment te sens-tu par rapport à ça ?
R. C’est encore la politique du néo-impérialisme et du néocolonialisme qui prédomine. Prenons par exemple des pays comme les États-Unis et Israël. Ils aiment se montrer comme des leaders en matière de droits humains, comme des pays libres, des pays démocratiques. Mais ils ont ont tellement de problèmes d’inégalités socioéconomiques; ça aussi, c’est lié aux droits humains. Les droits socioéconomiques devraient être protégés et, malheureusement, c’est loin d’être le cas aux États-Unis. Ils sont probablement moins avancés là-dedans que peut l’être la Russie ou la Chine. Ce que je veux dire, c’est qu’en Russie ou Chine il y a probablement plus de mesures de sécurité sociale qu’aux États-Unis. Alors, quand l’ambassade américaine vient nous donner leur appui, c’est seulement pour instrumentaliser les enjeux LGBT. Ils nous utilisent comme un outil. Et bien sûr on sait tous qu’ils s’en contrefoutent de ce qu’on peut vivre ici. Ce n’est que la petite politique… Vous pouvez consulter le site de Kyrgyz Indigo ici : http://indigo.kg/ (attention c’est en Russe!)