Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ)
Table de concertation au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
Fédération des femmes du Québec (FFQ)
Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT)
Association féministe d’éducation et d’action sociale (AFEAS)
Relais-femmes
Conseil des montréalaises
Au bas de l’échelle
Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)
Au cours de la dernière année, plusieurs médias ont publié différents articles faisant état de situations d’abus et de discriminations vécues par les infirmières diplômées à l’étranger recrutées dans le cadre du Projet de reconnaissance des compétences des infirmières et infirmiers recrutés à l’international (PRCIIRI). Comme l’a dénoncé la lanceuse d’alerte Roselyne Koa Ndzana — une infirmière clinicienne assistante-cheffe au Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSS-AT) qui a été congédiée en guise de représailles1, les participantes du PRCIIRI sont confrontées à d’importants problèmes de racisme systémique durant la formation qui leur est prescrite. Les enquêtes révèlent aussi que le PRCIIRI impose des conditions de vie et d’études difficiles, adjointes de conséquences dévastatrices en cas d’échec à un examen : en cas de non-réussite, les participantes sont exclues du programme, mais aussi des droits qui lui sont associés, dont des allocations financières et la possibilité de travailler à temps partiel. Plongées dans une situation de précarité dramatique, ces infirmières ont pourtant été recrutées sur la base de leurs diplômes et de plusieurs années d’expérience professionnelle dans leur pays d’origine.
Ces observations sont révélatrices d’un problème profond : celui de l’existence même d’un programme de recrutement international reposant sur la non-reconnaissance des acquis et des qualifications des infirmières formées à l’étranger et sur l’exploitation de leur déqualification professionnelle. En effet, que ce soit lors de leur recrutement où leurs qualifications et expériences ne sont pas pleinement reconnues, les obligeant à se « reformer », pendant leurs études, lorsqu’elles sont invitées à travailler à temps partiel en tant que préposées aux bénéficiaires (PAB) ou encore, en cas d’échec scolaire, alors que l’absence de possibilités de reprise pave la voie vers une déqualification permanente, avec les conséquences socio- économiques qui l’accompagnent, le problème est flagrant.
Le PRCIIRI soulève des enjeux globaux ayant attiré l’attention d’organismes internationaux en raison de l’effet de drainage des expertises de soin locales dans les pays ciblés par les programmes de recrutement : nombre de ces pays sont déjà confrontés à des défis d’accès aux soins et de manque de personnel de santé, et voient d’un mauvais œil le recrutement de leur main-d’œuvre qualifiée par le Canada. Force est de constater que l’accueil qui est réservé aux infirmières recrutées, loin d’épuiser la question éthique du programme, la rend d’autant plus incontournable.
Le PRCIIRI, dernier-né d’une vaste politique de recrutement d’infirmières à l’international
Le nombre de postes vacants d’infirmières a presque triplé de volume ces dernières années, passant de 3 500 en 2019 à 9 900 en 20232. Non seulement, le réseau de la santé manque de personnel, et en particulier d’infirmières, mais cette situation perdure dans le temps : parmi les postes vacants d’infirmières, la part de ceux l’étant depuis plus de 90 jours est passée de 52 % en 2019 à 68 % en 2023 chez les infirmières autorisées, et de 49 % à 66 % chez les infirmières auxiliaires3. Les initiatives de recrutement à l’international, comme le PRCIIRI, figurent parmi les mesures qui ont été mises en place afin de répondre à ces problèmes.
Le recrutement des infirmières à l’international : une tendance en accélération
Le recrutement international dans le secteur de la santé n’est pas un phénomène proprement nouveau. Les infirmières diplômées en France bénéficient à cet effet depuis 2010 de la signature d’un arrangement de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles (ARM) Québec-France pour leur profession4. Dans les années suivantes, cette entente a permis de soutenir différentes missions de recrutement, portant à 854 le nombre d’infirmières diplômées en France qui pratiquaient au Québec en 20155. En 2017, ces initiatives reprennent après une courte accalmie sous l’égide de Recrutement santé Québec, une filiale du MSSS créée spécifiquement à cette fin6. En 2019, les grands centres hospitaliers espéraient attirer 400 infirmières françaises supplémentaires, dont la qualification, équivalente à celle des infirmières bachelières québécoises, est particulièrement recherchée7. Déjà, cette stratégie était jugée prématurée par la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), qui reproche au gouvernement de ne pas avoir de portrait clair de la situation de l’emploi dans le réseau, notamment en matière de postes à temps plein ; comme le souligne la présidente du syndicat, Nancy Bédard, « la plus grande pénurie qu’on a au Québec est une pénurie de conditions de travail »8.
On doit néanmoins à la pandémie de la COVID-19 et à la désertion des infirmières du réseau public le véritable coup d’accélérateur qui a été donné au recrutement international des infirmières. En 2020, Recrutement santé Québec a reçu pas moins de 1700 mandats de recrutement pour des postes d’infirmières, dont les deux tiers provenant d’établissements de la grande région de Montréal9. L’année suivante, en 2021, ce nombre double : 3500 mandats sont octroyés, également pour répondre en grande partie à des besoins des établissements montréalais10. Les missions de recrutement ciblent alors la France, mais aussi la Belgique et le Brésil. Elles s’étendent ensuite vers le Liban et différents pays du Maghreb — tous des pays pour lesquels l’absence d’ententes bilatérales en matière de reconnaissance des qualifications signifie que les nouvelles recrues doivent se plier à une démarche de reconnaissance des acquis et compétences (RAC) prescrite par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ).
L’annonce de « nouvelles initiatives » en la matière, dans le cadre du lancement de l’Opération main-d’œuvre en novembre 2021 et de son objectif « d’attirer, de former et de requalifier 170 000 travailleurs dans les professions et secteurs ciblés [santé et services sociaux, éducation et services de garde éducatifs à l’enfance] »11, doit donc être saisie à l’aune de cette intensification marquée pour le recrutement international, particulièrement hors de la France.
Le PRCIIRI : un programme travail-études qui ne dit pas son nom
C’est en février 2022 que le PRCIIRI, un « projet qui permettra de recruter à l’international et de former au Québec 1 000 infirmières et infirmiers », a été officiellement dévoilé par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration Jean Boulet12. Doté d’un budget de 65 millions de dollars sur deux ans (quatre phases), le PRCIIRI s’inscrit dans le cadre du Plan d’action interministériel concerté en reconnaissance des compétences des personnes immigrantes 2021-2023. En vertu de ce plan d’action, le gouvernement prévoit octroyer des aides financières pour les parcours de RAC, dont l’exemption de divers frais encourus et des allocations de participation à une formation d’appoint. Le PRCIIRI est alors présenté comme « une formule gagnante pour le Québec et pour les personnes immigrantes qualifiées qui souhaitent enrichir notre réseau à la hauteur de leur compétence »13. Deux autres phases ont depuis été ajoutées au projet, portant la cible de recrutement à 1500 pour 2028.
La première phase du PRCIIRI a été lancée à l’automne 2021, et vise alors certaines régions (Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Bas-Saint-Laurent, Gaspésie, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Baie-James (Chibougamau), Outaouais) « en raison de leurs grands besoins de main-d’œuvre et car elles sont moins populaires auprès de nouvelles personnes immigrantes »14. Cette première phase cible une liste de pays pour le recrutement d’infirmières, tous de l’Afrique francophone, où le système éducatif est jugé « compatible » : l’Algérie, le Cameroun, le Maroc, la Tunisie et l’Île Maurice, auxquels ont été ajoutés, dans les phases ultérieures, la Côte d’Ivoire, le Liban, la République démocratique du Congo et le Sénégal15. Afin d’accompagner les personnes et leurs familles dans leurs démarches d’immigration et d’installation, les directions régionales du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) s’engagent à mettre en place un accompagnement « soutenu et personnalisé », en partenariat avec les instances locales.
Le PRCIIRI a été annoncé en grande pompe afin de juguler les problèmes de pénurie d’infirmières dans le réseau public. En dépit de l’importance de ses cibles de recrutement, le déploiement du PRCIIRI n’a cependant pas été adjoint de démarches visant la mise en place d’ententes mutuelles de reconnaissance des qualifications avec les pays ciblés. Comme spécifié lors de son annonce, le PRCIIRI prévoit en effet plutôt que les participantes suivent une « formation d’appoint » de niveau collégial, prescrite par l’OIIQ. Cette formation est d’une durée de de 9 à 12 mois, en fonction de l’équivalence reconnue par l’évaluation comparative des études effectuées hors Québec du MIFI, et mène à l’obtention d’une Attestation d’études collégiales (AEC). Une fois cette formation complétée, les participantes peuvent être embauchées par l’établissement de santé qui les a sélectionnées comme candidates à l’exercice de la profession infirmière (CEPI), en vue de passer l’examen de l’OIIQ qui leur permettra d’obtenir leur permis de pratique d’infirmière. Les frais associés à ces démarches sont pris en charge par le MIFI. Après un an, il est prévu que les participantes puissent enclencher des démarches pour obtenir un permis de travail fermé, en collaboration avec leur employeur, et qu’elles soient informées des possibilités d’accès à la résidence permanente.
Bien que le PRCIIRI soit présenté comme une manière d’ « accélérer la reconnaissance des compétences pour des candidates et candidats francophones qui possèdent une expérience de travail comparable à celle des établissements de santé et services sociaux et qui détiennent une formation en soins infirmiers similaire à celle offerte au Québec »16, les personnes recrutées doivent donc, dans les faits, suivre un programme de formation d’un an — c’est-à-dire, se reformer —, avant de pouvoir exercer leur profession d’infirmière dans le réseau public de santé du Québec. Pour les soutenir dans ce parcours, les candidates reçoivent une allocation de subsistance de 500 $ par semaine et, au besoin, une allocation pour les frais de garde d’enfants et une allocation pour les transports, grâce au Programme d’aide financière pour la formation d’appoint en reconnaissance des compétences (PAFFARC).
Même si elles sont recrutées en vue d’exercer le travail pour lequel elles sont formées et expérimentées, c’est donc un permis d’études qui est délivré aux participantes à leur arrivée. Outre d’augmenter le nombre d’infirmières autorisées, le PRCIIRI remplit ainsi un objectif supplémentaire : accroître le nombre de personnes étudiantes dans les programmes de formation en soins infirmiers de niveau collégial qui menacent de fermer faute d’inscriptions suffisantes, notamment dans les régions éloignées17. Sur les dix années précédant la mise en place du programme, le nombre de personnes inscrites au cégep en formation aux soins infirmiers a décru de plus de 10 %, passant de 11 004 en 2011-2012 à 9967 en 2020-202118. Aussi, le PRCIIRI, en amenant des recrues supplémentaires dans ces cégeps, permet d’y sauvegarder la possibilité de se former aux soins infirmiers hors des centres urbains.
Signe d’une reconnaissance implicite de l’insuffisance des allocations offertes, le PRCIIRI prévoit certaines dispositions permettant aux candidates de travailler comme PAB durant leurs études, à hauteur de 20 heures par semaine, et jusqu’à temps plein pendant les vacances scolaires. D’après un article du journal Le Devoir paru en mars 2024, c’est d’ailleurs 860 des 1000 participantes inscrites à la formation qui avaient travaillé comme PAB pendant leurs études19. Cela permet au PRCIIRI de remplir un troisième objectif, celui de pourvoir les postes de PAB pour lesquels les établissements de santé ont du mal à recruter, même à l’international20. Le PRCIIRI est donc une aubaine qui tombe à point nommé pour le réseau public de la santé, lui permettant de disposer d’un bassin de main-d’œuvre déjà (sur)formée et disponible pour l’exercice de ces emplois qu’il peine à combler, en particulier dans les régions éloignées.
Le PRCIIRI et le recrutement à l’international : enjeux politiques
Le recours important à une main-d’œuvre immigrée pour occuper des emplois dans les secteurs jugés prioritaires (santé et services sociaux, éducation, services de garde éducatifs, technologies de l’information, génie et construction) est l’un des piliers des mesures de relance depuis la pandémie de la COVID-19, comme annoncé dans le cadre de l’Opération main-d’œuvre. Ceci implique une immigration choisie sur la base de critères professionnels, mais également le développement de mesures spécifiques de recrutement de travailleur·euse·s étranger·ère·s dans les secteurs où les besoins sont les plus criants, comme celui de la santé. Le PRCIIRI est révélateur de cette tendance.
Ces derniers mois, les débats entourant l’immigration se sont principalement articulés autour de la capacité des infrastructures sociales du Québec à accueillir la croissance du nombre de personnes sur le territoire. L’immigration temporaire, et particulièrement les « permis fermés », ont aussi fait l’objet d’importantes critiques vu les conditions d’exploitation dans lesquelles ils confinent les personnes. Bien que le Québec et le Canada se soient engagés à diminuer l’immigration non permanente, il convient de noter que les modifications qui ont été apportées ne concernent qu’une partie des secteurs d’emploi. Dans celui de la santé, la majorité des mécanismes d’accélération et de facilitation des démarches d’immigration sont donc toujours en vigueur.
Ces débats oblitèrent cependant les considérations éthiques et politiques qui découlent des pratiques de recrutement international déployées par les pays du Nord vers les pays du Sud global.
Il manque présentement 18 millions de travailleur·euse·s de la santé à travers le monde pour atteindre la couverture sanitaire universelle d’ici 2030 — dont le tiers (5,9 millions) correspond à la pénurie d’infirmières : c’est ce que révèle le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la situation du personnel infirmier dans le monde en 2020. Toute chose n’étant pas égale, « 89 % de cette pénurie (soit 5,3 millions de personnes) est concentrée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où la croissance du nombre d’infirmiers(ères) suit à peine celle de la population, et où les niveaux de densité de personnel par rapport à la population ont donc peu progressé »21. C’est donc dire que c’est dans les pays du Sud global que le manque d’infirmières est le plus marqué, avec les enjeux que cela suppose en termes d’accès aux soins et de santé publique pour la population locale.
Cette répartition inégale du « stock » d’infirmières est liée aux ressources dont disposent les pays du Sud pour former leur personnel de soins, mais aussi à la croissance de l’émigration des infirmières de ces régions vers les pays du Nord, en quête de meilleures conditions de vie et de travail pour elles et leur famille. Comme le souligne le rapport de l’OMS, elle reflète aussi la dépendance des pays à revenu élevé envers l’immigration pour pourvoir leurs postes en santé. Dans ces derniers, 15,2 % des infirmières sont nées ou formées dans un autre pays que celui où elles exercent ; dans les pays de l’OCDE, ce sont 550 000 infirmières qui sont formées à l’étranger, une proportion qui a d’ailleurs augmenté de 20 % entre 2011 et 2016. Une infirmière africaine sur dix travaillerait donc hors du continent22. Et, si on regarde la situation au Québec plus particulièrement, l’OIIQ évalue qu’environ 10 % de ses membres ont été formés à l’étranger23.
La mise en place de mesures contribuant activement à augmenter ces migrations joue un rôle pivot dans l’aggravation de ces iniquités. Pour cette raison, l’OMS produit depuis 2020 une Liste d’appui et de sauvegarde de personnel de santé. Selon l’OMS, les 55 pays compris sur cette liste (principalement dans la région africaine) devraient entre autres « bénéficier de mesures de sauvegarde pour décourager le recrutement international actif de personnels de santé »24. Cette demande a été réitérée par différentes organisations internationales, dont l’Organisation des Nations unies (ONU)25 et le Conseil international des infirmières (CII)26.
Dans ce contexte, le PRCIIRI doit faire l’objet d’un examen critique. Non seulement les campagnes de recrutement menées, dès la première phase, concernent des pays pour lesquels le ratio du personnel de santé est critique, mais certains d’entre eux ont expressément été identifiés par la « liste rouge » de l’OMS. C’est le cas du Cameroun (première phase), de la Côte d’Ivoire et du Congo (deuxième phase), auxquels on doit ajouter le Bénin et le Congo — vers lesquels Recrutement santé Québec s’est tourné pour le recrutement de PAB27.
Interpellé sur le sujet en septembre 2023 par Radio-Canada, le MIFI s’est défendu de pratiquer un recrutement éthique « dans le respect du marché local », « la mission […] vis[ant] essentiellement, pour le secteur de la santé, les préposées aux bénéficiaires. Cette profession a été identifiée par les partenaires des gouvernements locaux comme n’étant pas à risque »28. En septembre 2024, un reportage de Radio-Canada rapportait pourtant que 93 % des participantes du PRCIIRI venaient d’Afrique, « notamment du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Maroc »29. Le Québec compte 77 infirmières pour 10 000 habitant.e.s, le Cameroun en compte 1,930.
Après avoir recruté autour de 1000 infirmières (en majeure partie africaines), le gouvernement québécois a annoncé le 2 octobre dernier sa décision de cesser ses missions sur le continent africain (à l’exception de la Tunisie) pour des raisons « éthiques »31. Cette annonce répond aux différentes pressions internationales évoquées précédemment, mais aussi plus directement aux demandes des gouvernements des pays concernés, dont le Maroc particulièrement. Leurs demandes sont notamment motivées par le coût élevé de la formation des professionnels de santé, assumé par la collectivité, et, d’autre part, les risques associés au manque de personnel de la santé sur leur territoire pour répondre à leurs propres besoins nationaux.
L’annonce de la fin du recrutement dans les pays d’Afrique (à l’exception de la Tunisie) a été accueillie favorablement par les pays concernés ; elle ne signifie cependant, ni la fin ni du PRCIIRI, ni des pratiques de recrutement international à l’extérieur des pays de l’OCDE. Non seulement les missions se poursuivent en Tunisie, mais des activités de prospection et d’attraction ont été entamées au Liban et dans les pays Golfe à la fin de l’année 2024 en Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, au Koweït, à Oman et au Qatar. Le fait que de telles opérations aient cours au Liban, actuellement éprouvé par les frappes israéliennes, démontre par ailleurs que le respect des engagements internationaux est loin d’épuiser les considérations éthiques qui sont derrière la façon avec laquelle les initiatives de recrutement sont pensées et déployées.
C’est donc dire que, pour combler le déficit de travailleuses du care sur son territoire, le Québec « pille »32 les professionnelles de santé des pays qui en ont le plus besoin. Cette migration, du Sud vers le Nord, de la main-d’œuvre féminine qualifiée dans les secteurs du care met en relief le caractère à la fois genré et néocolonial des dynamiques contemporaines de « fuite des cerveaux », et surtout le rôle actif que jouent les États du Nord dans leur renouvellement.
Le PRCIIRI : dislocation entre les promesses du projet et la réalité du terrain
La mise en place du PRCIIRI s’inscrit dans une dynamique inégale Nord-Sud, mais ses effets d’iniquité se prolongent à l’échelle locale. Les conditions qui sont imposées aux infirmières qui immigrent via le PRCIIRI placent en effet celles-ci dans diverses situations de vulnérabilité ; elles mettent de fait en doute la valeur qu’accordent les décideurs publics aux aspirations personnelles et professionnelles des candidates et aux sacrifices qu’elles font en quittant leur pays d’origine.
Accès au logement et aux services de garderies : des problèmes qui n’épargnent pas lescandidates
La province au complet est sujette à une crise du logement majeure : en 2024, le taux d’inoccupation des logements au Québec était de 1,8 %, un taux très bas bien que légèrement supérieur à celui de 2023 (1,3 %)33. Par conséquent, le prix des logements disponibles a bondi ces dernières années dans le parc privé locatif34. Alors que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada recommande que les dépenses liées au logement ne dépassent pas 35 % du revenu des ménages35, une enquête du journal Le Devoir, en date de juillet 2023, révèle que le prix moyen des logements disponibles à la location s’élève au-dessus de 1000 dollars dans toute la province36. Cette somme représente plus de 50 % de l’allocation que reçoivent les participantes du PRCIIRI.
Les obstacles rencontrés par les participantes du PRCIIRI pour accéder à un logement dont le loyer respecte leur budget sont bien documentés dans le bilan de la phase 1 du programme en raison des efforts qu’ils ont nécessité par les comités régionaux. Les personnes immigrantes récentes sont particulièrement susceptibles de payer le tribut de la crise du logement, avec le lot de stress que la recherche d’un chez-soi où installer sa famille peut susciter en contexte de déracinement. Elles ne disposent souvent pas d’historique de crédit et ont de plus grandes probabilités de subir des discriminations vis-à-vis des autres candidat.e.s, particulièrement si elles sont racisées — des problématiques qui ont toutes été éprouvées par les participantes du programme. En dépit des engagements ministériels d’accompagner les candidates du PRCIIRI dans leur installation, plusieurs participantes ont ainsi été contraintes de se loger dans un appartement trop cher, ne répondant pas à leurs besoins, surtout compte tenu qu’elles sont plusieurs à avoir immigré avec leur famille37. Le cas, rapporté dans le journal La Presse, d’un couple et de son enfant de 4 ans forcés de vivre deux mois dans une chambre d’un service communautaire d’hébergement temporaire est à cet égard édifiant38. De telles conditions sont loin d’être idéales compte tenu de leurs effets négatifs sur la capacité des participantes à se consacrer pleinement à leur projet professionnel.
Dans la même veine, un deuxième défi auquel les participantes du PRCIIRI ont été confrontées concerne l’accès à des services de garde, a fortiori abordables. Les places en garderie sont rares dans toute la province : à la rentrée 2024, 34 000 enfants étaient sur liste d’attente39. L’un des principaux facteurs expliquant cette pénurie est la difficulté de recrutement et de rétention des professionnelles de la petite enfance, aux conditions de travail peu valorisées. Alors même que le gouvernement projette d’ouvrir 37 000 places en garderie d’ici 2027, 3200 places en garderie ont disparu à l’échelle de la province entre 2023 et 2024, selon le ministère de la Famille. Les garderies subventionnées n’ont ainsi que très rarement de places disponibles, particulièrement dans les régions éloignées, et les places dans les garderies privées peuvent monter jusqu’à 75 $ par jour.
Pour pallier ces difficultés, les partenaires du projet ont travaillé afin d’augmenter l’allocation pour frais de garde à 40 $ par jour en vue de faciliter l’accès des enfants d’âge préscolaires des candidates au réseau de garde privé40. Cependant, non seulement cette somme n’est pas toujours venue accoter les dépenses engagées, mais l’injection d’argent supplémentaire ne règle pas, en soi, le problème de la pénurie de ressources humaines dans le secteur. En l’absence de solution de garde pérenne, plusieurs candidates et leur conjoint·e·s se sont ainsi trouvées dans une situation de stress et de casse-tête logistique. Devant assumer à la fois la charge de travail liée à leurs études, à leur emploi et à leurs responsabilités parentales, c’est, encore une fois, leur capacité à se consacrer pleinement à leur projet professionnel qui est mise à mal.
Travailler comme PAB pendant les études : une contrainte marquée par la précarité
La possibilité qu’ont les participantes du PRCIIRI de travailler comme PAB pendant qu’elles complètent leur formation d’appoint est présentée comme une occasion d’intégration professionnelle. L’occupation d’un tel emploi constitue néanmoins dans les faits une nécessité financière, vu l’insuffisance de l’allocation hebdomadaire par rapport au coût de la vie. Les dépenses supplémentaires qui guettent les participantes à leur arrivée — liées à leur installation, mais aussi au « réel » coût de la vie qu’elles n’avaient pas anticipé (qu’il s’agisse de payer cher leur loyer en raison de la pénurie de logements abordables ou de devoir recourir à des services de garde privés) — apparaissent en effet difficilement absorbables avec une allocation de 500 $ par semaine seulement. D’après un reportage du journal Le Devoir, ce sont d’ailleurs toutes les participantes de la deuxième cohorte du cégep de l’Abitibi-Témiscamingue qui ont dû avoir recours à des banques alimentaires, faute de liquidités suffisantes41.
Le rythme soutenu de la formation, additionné à cet emploi de PAB, est cependant à rebours de bonnes pratiques permettant la conciliation famille-travail-études. Dans la pratique, c’est en effet une triple journée permanente qui est imposée aux participantes, accentuée par la division du travail au sein du foyer. De plus, aucune semaine de congé n’est véritablement prévue puisque les participantes sont appelées à travailler jusqu’à temps plein pendant les vacances scolaires. En ce sens, l’exercice de cet emploi, en parallèle des études à temps plein, ne permet pas un répit nécessaire pour se concentrer sur une formation aussi intense.
Les participantes, déjà infirmières qualifiées dans leur pays d’origine, occupent donc un emploi pour lequel elles sont surqualifiées, aux conditions de travail éreintantes — faut-il le rappeler. La profession de PAB, comme celle d’infirmière, peine à recruter et à retenir la main-d’œuvre : dévalorisé, ce métier s’exerce dans des conditions de travail difficiles, avec des cadences rapides du fait du trop grand ratio PAB/patient.e.s.
Dans les faits, avant même de pouvoir exercer leur profession, les participantes sont donc exploitées pendant un an : elles pallient les problèmes structurels du système de santé en officiant comme PAB avec un salaire moindre que celui que supposent leurs qualifications, faute d’une allocation suffisante pour leur permettre de se concentrer sur leurs études. Elles n’ont d’autres choix que de subir cette exploitation, en raison de la précarité économique dans laquelle elles sont plongées par les modalités même du PRCIIRI.
Un accès à la profession loin d’être garanti
Les conditions de vie difficiles qui sont imposées aux participantes du PRCIIRI pendant qu’elles complètent leur AEC sont loin d’être optimales pour assurer leur réussite scolaire, sans mentionner le climat empreint de racisme dont certaines étudiantes ont témoigné (à visage couvert) dans certains établissements42. La violence des propos et comportements dont ont été victimes certaines participantes dans les classes et en milieu de stage, rapportés notamment par la lanceuse d’alerte évoquée en introduction, est révélatrice de la persistance des préjugés et de l’hostilité qui guettent les personnes immigrantes et racisées dans les institutions québécoises. Face à ces dénonciations, la déresponsabilisation du gouvernement est révélatrice du caractère systémique du racisme en cause43.
C’est une épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête des participantes du PRCIIRI en cas d’échec à un cours, synonyme d’expulsion du programme. Leurs allocations s’arrêtent alors immédiatement, de même que leur permis d’études et tous les droits qui y sont attachés : couverture maladie, numéro d’assurance sociale, autorisation de travailler comme PAB… provoquant des situations financières intenables pour elles et leur famille. Sans allocation et sans possibilité de travailler, c’est alors la voie du retour dans leur pays d’origine qui est pointée aux candidates, ou celle de demander un permis de travail fermé auprès de l’établissement dans lequel elles ont travaillé comme PAB. Toutefois, cette option suppose de demander un nouveau permis de travail, impliquant des délais de traitement durant lesquels les personnes seront laissées sans revenus. Qui plus est, c’est un permis de travail fermé qui est prévu dans ce dispositif, enchaînant les personnes à leur employeur et leur faisant subir une déqualification forcée.
Quant à la possibilité de repêchage, celle-ci est rendue quasi impossible vu les règles du PRCIIRI. L’entièreté de la formation doit en effet être complétée dans une même région, et le calendrier scolaire des cégeps ne permet pas une reprise suffisamment rapide des modules échoués compte tenu de l’échéance de leur permis d’études44. C’est seulement à la suite de plusieurs sorties publiques que des cohortes de reprise ont été mises en place45. Cette solution est loin d’avoir réglé le problème de manière systémique. En avril 2025, un article publié dans Le Devoir révèle que les échecs à l’AEC perdurent au sein de plusieurs cohortes en raison des pratiques d’enseignement et d’évaluation discriminatoires et du manque de soutien que reçoivent les candidates46.
Selon le Centre de recherche-action sur les relations raciales, les « conditions excessivement restrictives » du PRCIIRI et les impacts d’un échec scolaire n’ont pas été pleinement expliqués aux candidates du PRCIIRI47. Comme l’indiquent plusieurs articles journalistiques, c’est en effet uniquement face au fait accompli, après qu’elles-mêmes ou un camarade de classe ait échoué un examen, que plusieurs des participantes ont pris connaissance du caractère éliminatoire de la non-réussite d’un module, avec le sentiment de « trahison » que cela suscite48. Plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs catégoriques : elles n’auraient pas fait le choix de participer au programme, de quitter leur emploi dans leur pays d’origine, ni d’emmener leur famille avec elles si elles avaient été avisées de ces éventualités.
La réussite de l’examen de l’OIIQ est censée parachever l’intégration des participantes du PRCIIRI à titre d’infirmière. On est cependant en position de soulever certaines craintes à cet égard. En 2022, le Commissaire à l’admission aux professions a lancé une enquête concernant l’examen à la suite du taux de réussite historiquement bas de 45,4 % à l’examen de septembre 2022. Comme le souligne son rapport d’étape 2, ce taux était d’autant plus bas chez les détentrices d’une formation collégiale — 40,3 %, contre 69,2 % pour les candidates issues d’une formation universitaire — et famélique chez les personnes détentrices d’une AEC « Intégration à la formation infirmière au Québec » (assimilable à celle que suivent les participantes du PRCIIRI) : 13,8 %49.
En cause, selon le rapport d’étape 3 du Commissaire rendu public en octobre 2023 : des « failles et fragilités de l’examen de l’Ordre concernant notamment sa validité, sa fiabilité et l’établissement de sa note de passage, factuellement et statistiquement documentées »50. Ces observations ne sont pas étrangères à ce que la Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec (FNEQ-CSN) considère une « une bataille idéologique pour faire du baccalauréat la seule porte d’entrée dans la profession », au détriment des formations données au cégep51. En effet, l’Ordre juge que « la formation collégiale, soit les programmes d’études techniques en soins infirmiers, ne sont plus suffisants pour exercer l’ensemble des activités professionnelles de manière autonome et sécuritaire »52. On peut y comprendre une volonté, à terme, de faire disparaître les infirmières techniciennes du réseau de la santé.
Face à la menace d’être mis sous tutelle, l’OIIQ n’a peu d’autre choix que de procéder aux redressements nécessaires53 ; en mars 2024, le taux de réussite global s’est ainsi hissé à 92 %54, puis à 94,6 % en septembre de la même année55. Selon les données transmises par le MIFI à Radio-Canada, le taux de réussite des participantes du PRCIIRI à l’examen de l’OIIQ s’élève pour sa part à 87 % pour les cohortes l’ayant passé en septembre 2023 et mars 202456. Non seulement l’écart de réussite entre le taux global et celui concernant les participantes du PRCIIRI soulève certaines interrogations, mais il convient de rappeler qu’il s’agit ici de personnes diplômées et expérimentées dans leur pays d’origine. Il y a donc lieu de se questionner à savoir si certains biais persistent à la défaveur des personnes nées à l’extérieur du Québec.
Le PRCIIRI : trois problèmes de fond
Au vu de ces différents éléments, nous pouvons établir trois constats.
Mésinformation et prise en charge approximative des participantes
Outre la reformation intensive couplée à un emploi exigeant à temps partiel ainsi que la mésinformation sur une formation qui devait n’être qu’une mise à niveau, voire une simple formalité, le gouvernement québécois ne s’est visiblement pas assuré que les participantes soient réellement informées qu’un seul échec dans un des modules de formation signifierait une exclusion du programme. Elles n’étaient donc pas en mesure d’évaluer les risques encourus, particulièrement quant aux conséquences de la potentielle fin du permis d’études et, au bout du compte, d’une possible plongée dans la précarité, puisque sans emploi, sans revenus ni couverture de santé. La réussite du programme de formation, présenté comme un passeport vers l’intégration au système de santé, le droit de travailler et de vivre au Québec et la possibilité à terme d’acquérir la résidence permanente, s’est transformée en une épée de Damoclès pouvant tomber du jour au lendemain.
Ainsi, le premier constat que nous pouvons faire est double. Non seulement, le gouvernement n’a visiblement pas mis en place tous les moyens, en amont, afin de véritablement favoriser l’expérience positive des participantes enrôlées et leur succès scolaire, qu’il s’agisse de l’accès au logement et services de garde ou encore de favoriser leur accueil au sein des milieux scolaires et professionnels. Mais aussi, il semble avoir manqué de transparence envers les participantes sur le déroulement du PRCIIRI, notamment par rapport aux conséquences en cas d’échec à un cours.
Au lieu d’une RAC en bonne et due forme, encore et toujours la voie de la rediplomation
Le PRCIIRI a été lancé afin de pallier le manque de personnel dans le réseau public de la santé québécois par le biais d’une immigration ciblée, en l’occurrence de personnes détentrices de diplômes d’infirmières. En dépit de ses ambitions de recrutement sans précédent, le PRCIIRI n’a pas fait l’objet d’ententes de reconnaissances mutuelles des qualifications. Ces infirmières, qualifiées et bien souvent dotées d’une expérience de travail conséquente, sont par conséquent contraintes de se « reformer » (au système québécois) pour pouvoir exercer leur profession dans la province ; c’est à titre d’étudiantes qu’elles arrivent au Québec, au lieu de professionnelles de santé rompues à l’exercice.
Les participantes au PRCIIRI sont certes arrivées en consentant à une mise à niveau afin de s’intégrer aux spécificités du système de soin dans la province. Cependant, force est de constater que le PRCIIRI reconduit une problématique déjà bien dénoncée par rapport aux formations universitaires : l’absence de procédure de reconnaissance des acquis et des compétences en bonne et due forme, au profit de la rediplomation57.
Les compétences des participantes du PRCIIRI varient du fait de leurs expériences professionnelles plurielles, de même que leurs formations, selon le pays dont elles sont originaires. Plutôt que de reconnaître et d’embrasser cette hétérogénéité via un parcours de RAC personnalisé et articulé aux compétences détenues par les candidates, le PRCIIRI opte pour une formule générique qui assume et homogénéise les mises à niveau jugées nécessaires à l’exercice de la profession infirmière au Québec.
Le PRCIIRI : un passeport vers la déqualification
Troisièmement, on constate que les infirmières recrutées via le PRCIIRI subissent une déqualification multiple tout au long de leur parcours.
Tout d’abord, pendant leur processus de reformation, elles exercent un emploi de PAB. De ce fait, en tant qu’infirmières diplômées, elles exercent un emploi demandant des compétences inférieures à leurs qualifications, et valorisé par un salaire moindre que celui auquel elles peuvent prétendre dans le cadre de leur métier d’origine. La possibilité pour les participantes au PRCIIRI de travailler en tant que PAB pendant leurs études répond à un double objectif : fournir un emploi aux personnes pour pallier un financement grandement insuffisant, d’autant plus lorsque qu’elles ont une famille à charge, et combler les postes vacants de PAB dans les régions qui accueillent les participantes au programme. L’insuffisance de l’allocation pour assurer un train de vie correct durant la formation opère ici comme un puissant mécanisme d’enchaînement dans la déqualification.
Ensuite, une fois leur formation complétée, elles seront titulaires d’une AEC, quel que soit leur niveau de qualification originel : quel que soit leur niveau de formation, leurs spécialités, leurs certificats, et leur statut dans leur pays d’origine, elles seront considérées une fois en emploi au Québec au niveau salarial et de responsabilité d’une infirmière technicienne, sans pouvoir faire valoir de compétences supplémentaires. Un processus de RAC effectif, formalisé, équitable et transparent, plutôt que l’obligation de compléter une AEC, aurait permis d’éviter ces écueils.
Enfin, en cas d’échec à l’examen de l’OIIQ, les participantes qui désirent demeurer au Québec et exercer dans le réseau de la santé sont contraintes à l’emploi de PAB qu’elles occupaient pendant leurs études. Elles subiront alors une déqualification durable. Non seulement elles n’auront plus l’occasion de faire reconnaître les acquis et compétences dont elles disposent, qui sont la raison même pour laquelle elles ont été recrutées, ont quitté leur ancien emploi et leur pays d’origine, mais elles seront également enchaînées à leur employeur au Québec par le biais d’un permis fermé, dans un emploi qui ne permet aucune mobilité professionnelle ascendante… à moins de se reformer encore une fois.
Conclusion
Alors qu’est mise en place une énième mesure de recrutement de personnel de santé à l’international, les conditions de travail et d’emploi dans le secteur infirmier au Québec ne cessent de se dégrader. Le système de santé public peine à retenir sa main-d’œuvre existante.
En 2009, une enquête de Brunelle-Agbeti, Hurtubise et Rivard avait identifié les facteurs qui ont poussé 52 % des nouvelles infirmières au Centre Hospitalier Universitaire de Montréal (CHUM) à quitter leur poste dans les 24 mois ayant suivi leur embauche : la lourdeur de la tâche, le ratio infirmière/patient.e.s trop élevé ainsi que les horaires volumineux et instables58. Plus d’une décennie plus tard, les constats restent les mêmes : le rapport des commissaires sur les états généraux de la profession infirmière de 2021 continue de pointer ces dysfonctionnements, parmi d’autres59.
L’image d’infirmières dévouées, soignant par vocation sans compter leurs heures, a la vie dure, et cette déconsidération est un facteur clé de leur désertion du réseau public. Dans ce contexte, il apparaît problématique que la solution apportée par le gouvernement québécois consiste à aller recruter outre-mer, de surcroît dans des pays dont les ressources en personnel de santé sont elles-mêmes critiques, en leur faisant miroiter la possibilité de s’établir à long terme au pays. C’est d’ailleurs dans cette ligne de pensée que l’Association des infirmières et des infirmiers du Canada et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)60 demandent une meilleure planification de la gestion des ressources humaines au sein du système de santé québécois, en collaboration avec les infirmières, en investissant davantage sur la rétention du personnel soignant déjà présent. En somme, de meilleures conditions de travail, pour les infirmières déjà présentes comme pour celles qui s’apprêtent à les rejoindre.
Ces constats apparaissent d’autant plus troublants vu les conséquences du PRCIIRI en matière de déqualification professionnelle. À cet égard, le PRCIIRI est loin d’être un cas isolé ; il en constitue simplement la dernière mouture la plus sophistiquée : comme nous l’avons souligné dans notre étude publiée en 202461, nombre des programmes de (re)formation dédiés à la main-d’œuvre immigrante qui ont été mis en place depuis le début de la pandémie de COVID-19 constituent un passeport de déqualification, particulièrement pour les professions féminisées. En lieu et place d’une RAC effective, ce sont bien trop souvent des mécanismes de rediplomation auxquels sont confrontées les personnes immigrantes. Aussi, si le gouvernement souhaitait agir concrètement contre la déqualification des personnes immigrantes, on observerait de réelles mesures pour résoudre les dysfonctionnements actuels du processus de RAC ainsi que des mesures d’accompagnement à destination des personnes candidates. Dans le contexte actuel, c’est à croire que la déqualification qu’elles subissent durant leur reformation (et par la suite, si elles n’obtiennent pas l’examen) est totalement assumée, voire utilitaire pour combler les besoins de PAB dans le secteur public. L’approche du PRCIIRI en matière d’immigration et de gestion des flux de main-d’œuvre, aux antipodes de toute considération humanitaire, instrumentalise ainsi le désir de meilleures conditions de vie et perspectives d’emploi des personnes immigrantes, ainsi que la réputation de la province comme « terre d’accueil », pour façonner une immigration qui correspond aux besoins nationaux et régionaux du marché du travail.
En janvier 2025, via une lettre ouverte adressée au MIFI, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)62 formulait une série de pistes de réflexion et de recommandations quant à l’avenir du PRCIIRI : parmi elles, la nécessité de délivrer une information claire et transparente, tant sur le déroulement du programme que sur les conditions de vie sur place (coût de la vie seul et en famille, budget nécessaire à l’installation, problématique du manque de logement et de places en garderie, etc.), ainsi que sur les conséquences d’un échec à l’examen : en somme, de délivrer aux personnes les informations nécessaires leur permettant de prendre une décision éclairée sur leur participation au programme. Pour une meilleure intégration au Québec ainsi que pour sortir les personnes de la dépendance au permis d’études, la TCRI recommande aussi de faciliter l’accès à la résidence permanente en délivrant rapidement des certificats de sélection au Québec. La mise en place de ces recommandations, pour ce programme comme pour ceux à venir, permettrait aux personnes d’envisager leur avenir plus sereinement, sans épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
2 Institut de la statistique du Québec. (2024). Portrait et évolution des postes vacants dans l’industrie des soins de santé et de l’assistance sociale au Québec entre 2019 et 2023.
3 Institut de la statistique du Québec. (2024). « Les postes vacants dans l’industrie des soins de santé et de l’assistance sociale au Québec : Importance, caractéristiques et évolution », Marché du travail et rémunération, 38, 1‑12.
4 Cette entente permet aux personnes qui détiennent un diplôme d’État d’infirmière français d’obtenir un permis d’exercice régulier de l’OIIQ à la suite d’un stage d’intégration en milieu hospitalier de 75 jours, sans avoir besoin de passer l’examen d’entrée à la profession. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (2016)
14 Gouvernement du Québec (2024, 1er novembre) Projet de reconnaissance des compétences d’infirmières et d’infirmiers recrutés à l’international Bilan de la phase 1, p.3
33 Institut de la statistique du Québec (ISQ) (2024) Taux d’inoccupation des logements locatifs.
34 Entre 2020 et 2023, il a augmenté par exemple de 27 % à Montréal, 33 % à Québec, 44 % à Sherbrooke, 50 % à Trois-Rivières, 49 % à Rimouski et 37 % à Saguenay. Regroupement des comités logement et des associations de locataires du Québec (RCLALQ) (2024, juin). Déménager, un cauchemar pour les locataires, une occasion de rêve pour les propriétaires. https://rclalq.qc.ca/wp-content/uploads/2024/06/Demenager_-cauchemar-pour-les-locataires-2024.pdf
40 Gouvernement du Québec (2024, 1er novembre) Projet de reconnaissance des compétences d’infirmières et d’infirmiers recrutés à l’international Bilan de la phase 1, p.13
52 Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) (2022, mai) Une réponse à la hauteur des besoins de santé de la population québécoise, mémoire présenté à l’Office des professions du Québec pour réviser la norme d’entrée à la profession infirmière, p.6 https://www.oiiq.org/documents/20147/237836/memoire-norme-entree-profession.pdf
61 Nina Goualier, Anna Goudet, Laurence Hamel-Roy et Zranwieu Koye Rebecca Nabrissa Meango (2023) La reconnaissance des diplômes étrangers des femmes immigrantes au Québec en contexte de pénurie de main- d’œuvre : un rendez-vous manqué ? Action travail des femmes (ATF) Montréal (QC). https://atfquebec.ca/wp-content/uploads/2023/08/ATF-etude-RAC-aout-2023.pdf
62 Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) (2025, 29 janvier) « Programme des IDHC : un état de la situation », lettre à l’attention de Monsieur Jean-François Roberge, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. https://tcri.qc.ca/wp-content/uploads/2025/01/Lettre_ministreRoberge_IDHC-29.1.2025.pdf
Par Alfonso Insuasty Rodríguez[i] et Yani Vallejo Duque[ii]
Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
La version officielle du conflit en Colombie réduit ce dernier au trafic de drogue. Dans les faits, ce discours cache une tout autre réalité : celle de réseaux qui lient groupes armés, forces de sécurité, élites, clans politiques et intérêts géopolitiques. Or, ce sont ces mêmes réseaux qui perpétuent la violence et refusent de reconnaître les communautés historiquement marginalisées.
Depuis 1999, le Plan Colombie a marqué un tournant récent dans la configuration de la frontière nord du pays. Avec comme prétexte de lutter contre le trafic de drogue, ce plan a servi à imposer un modèle extractiviste, qui a entraîné le déplacement, la criminalisation et l’appauvrissement les habitant·e·s de toute une région.
Le Catatumbo, région stratégique du nord de Santander, à la frontière avec le Venezuela, a toujours été un épicentre de conflits économiques, sociaux et politiques. Très riche en ressources énergétiques et naturelles, la région s’est développée au gré de l’exploitation du pétrole, du charbon, du gaz et de la monoculture de l’huile de palme, utilisée dans la production de biocarburant.
Bien que soient là des piliers économiques essentiels, le type d’exploitation mise en œuvre a principalement servi les élites nationales et les sociétés transnationales. En d’autres mots, les inégalités historiques demeurent et les communautés locales sont tenues à l’écart.
Le pétrole comme destin du Catatumbo au XXe siècle.
La concession de Barco de 1905[iii] a cédé la place à des entreprises telles que la Colombian
Petroleum Company (Colpet) et la South American Gulf Company (Sagoc). Ces dernières ont contribué à la déforestation, à la dépossession des terres et à la colonisation pétrolière en faveur d’intérêts étrangers. La région dispose d’infrastructures essentielles dont un oléoduc de 423 km qui se termine à Coveñas, sur la côte atlantique. Même si l’exploitation pétrolière est passée aux mains d’Ecopetrol , la pétrolière nationale, en 1955, ce changement de propriété n’a profité qu’à quelques un·e·s, et sur la majeure partie du territoire, les populations demeurent pauvres et exclues.
Le Catatumbo est aussi un producteur important de charbon. Ses réserves sont estimées à 630 millions de tonnes. La région s’est ainsi taillée une place sur le marché mondial de l’énergie. Elle produit 1 750 000 tonnes par an, dont 80 % sont exportés vers des marchés tels que les États-Unis et l’Union européenne.
L’exploitation minière est au centre de l’économie du nord de Santander, notamment en ce qui concerne la production de charbon bitumineux de haute qualité à des fins thermiques et métallurgiques. En 2020, le département a produit 1,1 million de tonnes de charbon, soit 2,2 % du total national, ainsi que 4,8 % du gravier et 12 % de l’argile de la Colombie. Plus de 80 % du charbon et du coke produits sont exportés, tandis que le reste est destiné à la consommation intérieure, le plus souvent dans des centrales thermoélectriques et des fours à briques.
L’industrie du charbon génère plus de 7 500 emplois directs et 15 000 emplois indirects, en plus de 3 600 emplois directs et 7 000 emplois indirects liés à la production de coke. Cependant, l’exploitation du charbon est confrontée à des défis tels que la dépendance à l’égard de routes en mauvais état et les perturbations dues à la fermeture des frontières et aux manifestations populaires.
Malgré une baisse de la production pendant la pandémie, la reprise économique s’est d’abord manifestée dans le secteur de l’exploitation minière. Entre 2021 et 2022, 238 milliards de dollars y ont été investis, entre autres, dans les transports, l’éducation et la technologie.
En ce qui a trait à la sécurité, la région est en proie à l’exploitation illégale et un taux élevé d’accidents. Par ailleurs, Ruta de la Legalidad est un programme qui y fait la promotion de normes plus élevées. Même si l’exploitation minière ne représente que 0,95 % du PIB régional, elle constitue le moyen de subsistance de 33 000 familles. Néanmoins, cette explosion de l’exploitation du charbon, loin d’enrichir la population locale, n’a fait que contribuer à la détérioration de l’environnement. En effet, le système extractiviste qui s’est imposé a largement tenu à l’écart les habitant·e·s de cette région. Ce sont surtout les conglomérats nationaux et internationaux qui en ont profité.
Le Plan Colombie et l’USAID ont aussi favorisé la culture intensive d’huile de palme, entraînant la métamorphose du paysage au Catatumbo. La culture de la palme à huile revêt une très grande importance pour le secteur de l’industrie agroalimentaire dans la région. Palnorte, un des cinq plus importants exploitants en Colombie, produit annuellement 50 000 tonnes d’huile. Or, 35 % de cette production est exportée. De son côté, Aceites y Grasas del Catatumbo cherche à tripler sa capacité de traitement au moyen d’un investissement de plus de 75 milliards de dollars. Dans le nord de Santander, Palm Cluster, créée en 2021, emploie plus de 14 000 personnes et exploite 45 000 hectares de cultures. À elle seule, elle génère 40 % du PIB agricole de la région.
Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un développement inégal. À l’ombre de l’industrie de l’huile de palme, de l’exploitation du charbon, du gaz et du pétrole, qui ont prospéré dans la région, s’est perpétuée une réalité douloureuse : la dépossession des terres, la violence perpétrée par les paramilitaires et le déplacement forcé de bon nombre de paysan·ne·s et autochtones. Comme l’ont montré les processus de Justice et Paix, la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) et la Commission de la vérité elle-même, les secteurs clés de l’économie locale étaient contrôlés par des groupes armés illégaux. Ces derniers s’approprient le territoire par la force, en faisant un grand nombre de victimes, déchirant à long terme le tissu social.
Le Catatumbo se trouve non seulement au cœur d’un système extractiviste , mais aussi de conflits géopolitiques pour le contrôle des ressources énergétiques. En effet, le Venezuela voisin possède d’immenses réserves de pétrole, de gaz et d’or, entre autres richesses naturelles. Ses richesses énergétiques et sa position stratégique en tant que corridor frontalier ont contribué à une dynamique de déstabilisation qui se perpétue. Même l’État colombien contribue à cette instabilité sous prétexte de lutter contre les menaces à la stabilité régionale. Dans un contexte plus large, les États-Unis cherchent à réaffirmer leur influence en Amérique latine, face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Ainsi, les élites colombiennes servent les intérêts étrangers et leurs propres intérêts en embrassant une militarisation accrue du territoire.
Le discours officiel réduit le conflit de la région à un problème de trafic de drogue. Par la même occasion, il sert à occulter les relations complexes entre les groupes armés, les forces de sécurité, les élites économiques et les clans politiques, qui continuent à exercer des fonctions publiques, les intérêts géopolitiques étant au cœur des dynamiques de ces conflits. Des rapports récents, comme celui de la Caravana Humanitaria 2024, ont dénoncé la collusion entre les forces de sécurité et les groupes paramilitaires, parmi lesquels le Clan del Golfo, et dans certains cas, des alliances avec les groupes dissidents. Ces relations contribuent à l’appropriation du territoire et perpétuent le système d’exclusion de la population locale.
Cultiver la coca pour survivre
Le Catatumbo est une des nombreuses régions de Colombie historiquement marginalisées par l’État. Par conséquent, ses habitant·e·s ont durement souffert des effets de la pauvreté et de la violence. Devant l’impossibilité de vivre d’autres formes d’agriculture, les paysan·e·s se sont tournés vers la culture de la feuille de coca, le pain et le beurre.
. Le mauvais état des routes de Tibú, El Tarra, Convención, Teorama et Hacarí pose obstacle à la commercialisation d’autres produits. Il n’est donc pas possible de remplacer la culture de la coca. Ielles affirment elles-mêmes qu’ielles ne cultivent pas la coca pour s’enrichir, mais simplement pour survivre.
Contrairement à ce qu’affirme l’État colombien, l’argent du trafic de drogue ne profite pas aux habitant·e·s du Catatumbo, mais aux habitant·e·s des grandes villes et des pays consommateurs. Selon le dernier rapport du Système de surveillance intégré des cultures illicites des Nations Unies, on cultive la coca sur 43 866 hectares du nord de Santander. Tibú est la municipalité qui comporte le plus grand nombre d’hectares de coca, avec 23 030 hectares. La région produit 17 % de la coca au pays. C’est pourquoi elle est le théâtre d’activités de divers groupes armés et de l’État pour le contrôle de ces revenus illicites.
L’approche militaire s’est soldée par un échec : ni les pulvérisations de glyphosate ni l’utilisation de la force n’ont donné les résultats escomptés. Même les accords issus du processus de paix n’ont pas été mis en œuvre par l’État. Aussi, le manque de possibilités pour les anciens combattants des FARC a fait en sorte que, faute d’alternative, ils sont retournés au commerce illicite. La demande mondiale de cocaïne est croissante et stimule la production en Colombie. Se demande-t-on, aux États-Unis ou en Europe, pourquoi les gens consomment de plus en plus de drogues?
La récente confrontation entre le front de guerre Nord-Est de l’ELN et le 33e front de l’État-major central (EMC) des FARC a donné lieu à des théories sur une prétendue alliance entre l’ELN et le
gouvernement vénézuélien pour contrôler le trafic de drogue. Toutefois, ces accusations ne sont pas fondées sur des éléments de preuve. Elles semblent plutôt refléter le discours des États-Unis, lui-même servant de justification à une potentielle intervention militaire au Venezuela.
La résistance au Catatumbo : une lutte pour la dignité
Cependant, le Catatumbo, même marginalisé et en proie à la violence, est un territoire de résistance. Les paysan·ne·s, les autochtones et les personnes afrodescendantes ont proposé le Pacte social territorial[iv]. Il s’agit d’un modèle de développement fondé sur la justice sociale, le développement durable et la souveraineté du peuple. Cependant, ces initiatives ont été criminalisées par les élites, qui préfèrent maintenir le statu quo.
L’État n’a fait sentir sa présence dans la région que dans le but de contrôler les ressources naturelles, au détriment de ses habitant·e·s. Le Catatumbo a été un laboratoire martial, au sein duquel les paramilitaires ont arraché les terres aux paysan·e·s, pour le compte des mouvements d’extrême droite, de certain·e·s politicien·ne·s et du secteur privé. La réaction de la classe dirigeante aux demandes des communautés a été la répression. La grève de Nororiente en a été un exemple clair. Les paysans ont réclamé des droits et de meilleures conditions de vie. Et la réponse de l’État? Les assassinats, les disparitions forcées et la torture, souvent avec la complicité du bataillon des Vencedores de l’armée nationale.
Les mouvements sociaux ont dénoncé la militarisation comme n’étant pas une solution pour la paix. Elle ne ferait qu’entraîner davantage de violence et de déplacements. La paix n’est pas imposée par des armes. Elle est construite au moyen d’investissements dans des programmes sociaux, dans des infrastructures et des garanties de sécurité.
Les habitant·e·s du Catatumbo ont la conviction que ce sont les survivant·e·s de la guerre et de l’oubli qui doivent paver la voie de l’avenir. Sur ce territoire où l’histoire fait gronder son tonnerre en pleine jungle, la volonté d’un peuple qui rêve d’une vie de dignité, de souveraineté et de fraternité en Amérique latine reste inébranlable.
Je logeais sur la 28e Rue, juste en face d’un vieux cimetière délabré et du Centre de la mémoire historique, dédié au conflit armé colombien. Entre le cimetière et le Centre s’étend une allée qui s’assombrit à la rencontre de l’horizon, jusqu’à s’engouffrer dans l’abysse des nuits pluvieuses de Bogota. Il s’agit d’une « zone de tolérance ».
Un soir de fête, j’ai fait la connaissance de Colombe, une femme du groupe autochtone colombien chibchas. Emboucanée de tabac et de cannabis, elle m’a raconté son enfance dans ce quartier. Son père avait migré dans la capitale pendant la violencia, dans les années 1940, après que son village ait été rasé par le feu. Cette violence avait lancé le conflit armé dans le pays, conflit qui se poursuit toujours. Or, son père avait alors adopté un nom hispanique prestigieux, effaçant dès lors la trace de ses origines. Elle travaille aujourd’hui dans un atelier de sérigraphie, « essayant de ne pas mourir intoxiquée par les produits chimiques », selon ses dires. Lors de notre rencontre, elle portait des pantalons trop grands, un chandail à capuchon avec des fleurs délavées, un bandeau noir et une casquette de la même couleur, sur laquelle trônaient des lunettes de sécurité en plastique. Une queue de cheval de cheveux noir de jais jaillissait au-dessus de sa nuque. Sous des arcades sourcilières très prononcées vibraient des yeux noirs d’une profondeur inouïe. Son visage couleur de cacao luisait sous les lueurs des gyrophares rouge et bleu des voitures de police qui venait patrouiller dans le lugubre quartier de Santa Fe de Bogota.
Cette zone était désignée comme « zone de tolérance », où la prostitution et le trafic de drogue vont bon train, où l’on retrouve bon nombre de jeunes réfugiées vénézuéliennes de 13 ou 14 ans se prostituant pour 2000 pesos (0,50 $ canadiens) afin d’acheter la base de cocaïne (similaire au crack), qui leur permet de tolérer un peu mieux la misère. Ce sont souvent les mères qui agissent comme proxénètes. Colombe me disait : « je comprends que les gens veuillent fumer de la marijuana, même si, pour certains, ça les rend un peu fous, ou que d’autres fument de la base de cocaïne pour pouvoir travailler toute la nuit, mais faire ça à des enfants, c’est inacceptable. On me dit que je suis réactionnaire, mais non. » Je ne pouvais que tomber d’accord avec elle sur ce point en particulier. Évidemment, je ne lui ai pas demandé où elle avait entendu que les libertaires défendaient tout naturellement la pédophilie : une chaîne de télévision de droite, les journaux, les paramilitaires ou les manifestant·e·s d’extrême droite qui ont envahi les rues de toutes les villes du pays le 21 avril dernier[i]? La presse réactionnaire ne manque pas de souligner, par exemple, qu’on a retrouvé 28 enfants exploités dans des réseaux de trafic sexuel ou encore la mort d’un bébé de 16 mois, violé et étranglé par ses propres parents[ii]. Après notre conversation relativement courte, j’ai passé la soirée à méditer sur le récit de Colombe, ne pouvant quitter des yeux le point où la lumière s’évanouissait pour laisser place à l’obscurité. Je suis ainsi resté quelque peu prisonnier de mes pensées, Colombe assise à côté de moi en silence, elle aussi prisonnière des siennes. Nous échangions de temps en temps un sourire réconfortant, sans plus. Nous avions fumé une Santa Maria dynamite, comme on appelle le cannabis en Amérique latine, qui m’a plongé dans un état de conscience inusité pendant huit heures. Je titubais contre les marées du désespoir dans un appartement enfumé. L’espagnol jappé par des voix ivres était comme traduit en arrière-plan et je n’entendais que ce qui me semblait être du français québécois. Nous échangions des fous rires tonitruants et je lisais les pensées de Colombe, assise à côté de moi en silence. Il s’agissait sans l’ombre d’un doute d’une autre femme profondément blessée qui venait au chevet de mes ratiocinations pour un peu de confort.
Après quoi, j’ai eu l’occasion de visiter la zone de tolérance en projection astrale, flottant jusque dans l’abysse. Pour les occultistes, les brujo (sorciers), les chamanes et dans pratiquement toutes les traditions mythiques, le corps physique coexiste avec un corps énergétique ou astral. Or, si le corps physique est très limité dans ses possibilités, le corps astral, lui, peut servir à exécuter des périples dans les multiples dimensions du réel. Dans les profondeurs de la zone de tolérance, les rues délabrées étaient jonchées de détritus, de préservatifs usés, d’instruments servant à fumer de la base de cocaïne et de seringues. Seuls des néons clairsemés éclairaient les rues de leurs pâles halos, vaporeux et crus, qui ne rencontraient dans l’obscurité que les gyrophares des boîtes à salade de la police. J’ai observé une descente et des fouilles, les parasites en uniformes grenouillant sous la pluie, l’œil jaune et vitreux. Puis au pied d’un édifice en ruines, deux hommes bien occupés, l’un recevait une fellation et l’autre enfourchait une femme contre le mur. Une orgie de prostitution sacrée se déployait sous le regard d’Ishtar, déesse mésopotamienne de la fertilité à laquelle des fluides sexuels étaient offerts de cette manière. J’ai alors plongé sous la chaussée, où les esprits des Anciens habitaient longtemps avant la sécrétion du Dieu, l’esprit protecteur des violeurs. Dans une grotte aux murs éclairés par des coulis de lave écarlate s’accumulaient dans un grand sac organique, une immense larve, tous les fluides et l’énergie sexuelle de ces rues. Un coulis d’un vert émeraude s’infiltrait à travers le trottoir fissuré et le pavé mouillé. Soudainement, ce ver-sac a crevé la chaussée pour avaler toute la ville, tous les os poussiéreux du cimetière voisin perçant la membrane d’un sol fatigué.
***
Environ deux mois plus tard, à Medellín, j’ai fait la connaissance d’Éveline, une militante d’âge mûr qui vivait dans un quartier populaire de Medellín, non loin du centre, qui, avec ses hôtels de passe, sentait le sperme comme les zones de tolérance de Bogota. Medellín a gagné la réputation d’être une ville de fête, mais dans les interstices de cette ambiance désinvolte fleurissent le crime organisé et le proxénétisme. La ville est aussi connue pour les attaques au burudanga, de la scopolamine, contre des hommes étrangers, perpétrés par des femmes rencontrées dans les bars ou les applications de rencontre, à un tel point que l’ambassade des États-Unis a émis un avertissement. Quelques cadavres masculins, encore pleins de semence, ont été retrouvés dans des allées sombres… le centre-ville est peu fréquentable.
Elle m’avait invité à siroter une infusion d’herbes médicinales dans sa vieille maison verte à la façade fatiguée, quadrillée de barreaux en fer gorgé. Militante de longue date, elle organisait une caravane à travers le pays pour la défense du territoire et des savoirs autochtones. Au fil de nos discussions, je lui ai mentionné que je m’établissais en Équateur pour apprendre la science des plantes médicinales ancestrales. Une lueur éclatante s’est alors mise à scintiller dans ses yeux, auparavant fatigués. Les reflets sur son visage de bronze se sont alors faits des plus éclatants. Elle a ramené ses cheveux poivre et sel vers l’arrière, puis a entamé un récit de plusieurs heures sur sa découverte du yagé (nom donné en Colombie à l’Ayahuasca) et de la réflexologie, qu’elle avait étudiée avec une nonne d’un âge incalculable.
Or, elle avait une certaine affinité avec le monde des esprits. Elle me racontait être allée à un lieu, dans la forêt, où elle avait trouvé un fémur humain. Il s’agissait d’un lieu où avaient sévi les paramilitaires. Elle avait enterré avec respect ces restes humains et des spectres s’étaient mis à affluer vers elle, murmurant à son oreille, reconnaissants des hommages payés à ces restes humains. Une autre fois, elle s’était sentie mal à l’aise dans un lieu où s’étaient déroulés de nombreux massacres, non seulement durant la violencia, mais aussi durant la guerre d’indépendance et les multiples conflits armés intérieurs. Elle s’est trouvée assaillie par des esprits qui infusaient l’atmosphère de haine, de colère et de tristesse. Les gens sensibles à ces phénomènes se sentent alors nauséeux, sans énergie et nerveux… elle avait dû quitter les lieux. Sirotant son infusion, elle me racontait aussi le récit d’une amie qui, pendant des années, était la proie de crises de nerfs, se mettait à crier que les mains lui faisaient mal ou qu’elle ne les sentait carrément pas. Elle avait consulté un curandero et peu après, il avait été découvert que son petit frère avait été torturé par l’armée. Ce dernier s’était joint aux rebelles à l’âge de 15 ans. Il n’avait pas fait une longue carrière de guérillero puisqu’il avait été capturé. Lors d’une séance de torture, on lui avait tranché les mains avant de l’assassiner. Son spectre avait depuis tenté de raconter ce qui s’était passé. Dans le cadre du processus de réconciliation des dernières années, la famille avait finalement pu savoir que le jeune homme avait disparu dans une opération de l’armée. Après quoi, les attaques de la femme s’étaient dissipées. Éveline a terminé en pointant une pièce de sa maison, un lieu qui avait connu de telles horreurs. Elle laissait entendre que des enfants y avaient été violés et massacrés. Je pouvais sentir une présence maléfique, mais je décidai de ne pas m’enquérir davantage. Même dans l’appartement où je louais une chambre, il y avait une présence à l’odeur de la mort violente et, au bas de l’édifice, un groupe de motards faisait du grabuge. Je buvais une cannette de bière Aguila, en reniflant l’odeur d’essence et en écoutant les cris d’indignation.
***
Je sens le besoin de compléter ces deux anecdotes avec une troisième, afin de conclure sur une bonne note et de compléter ce panorama gonzo fantastique. Je dis fantastique, mais pour moi il s’agit d’une réalité du quotidien. Mes parcours d’intellectuel et de militant anarchiste, d’apprenti chamane et de traducteur convergent et m’ont amené à vivre à Cuenca, en Équateur.
Il y a peu de temps, à Cuenca, un beau matin, je me rendais chez Titi, maestro et ami, pour consommer le rite du Kambo. Ce venin de grenouille est reconnu comme arrachant la panema, la mauvaise énergie. Une femme qui veut attirer un homme voit sa production de phéromones augmenter, une femme qui veut procréer voit ses niveaux d’hormones nécessaires augmenter. Un homme déprimé voit son niveau de sérotonine s’accroître, et ainsi de suite. On appelle parfois le Kambo l’antibiotique d’Amazonie, mais il représente beaucoup plus. En contexte traditionnel, on l’utilise même et surtout pour régler des conflits dans une communauté. Il est appliqué après avoir perforé, au moyen d’un bâton embrasé, des trous dans la peau du bras ou de l’épaule. Le venin séché est réhydraté et ensuite appliqué sur ces perforations. Dans mon cas, je voulais approfondir ma compréhension de la relation que j’entretiens avec le principe féminin et avec les femmes, dont les anecdotes susracontées ne sont que quelques manifestations parmi tant d’autres. Pour la plupart des gens, le Kambo est une purge, 15 minutes passées à vomir. Or, pour moi, au-delà d’une vomissure jaunâsse, ce venin panacéen m’a donné accès à d’autres dimensions qui ont été le théâtre de nouvelles rencontres. Lors de ma première fois, le Kambo m’a transporté dans une cafétéria de Cuenca, me faisant perdre de vue toutes les notions qui m’auraient permis de savoir que j’avais fait des visions. Or, pour ce qui est de cette occasion que je souhaite raconter ici, la séance de 15 minutes de nausée, de vomissements et de malaise ne m’avait pas vraiment fait planer. Je retournai par la suite à mon appartement de Cuenca, la nuit arrivée, je me retrouvai dans une fête. C’était la clôture d’un festival de théâtre des plus biscornus, qui mélangeait folklore et traditions andines avec les préoccupations propres aux théâtres artaldien et Budoh. Élaboré avec les moyens du bord et avec bien des machines à fumée et des éclairages colorés pour cacher les décors limités, il mettait en scène des actrices dont le costume une pièce laissait voir leurs lèvres vaginales saillantes pendant qu’elles criaient à voix aiguës ou caverneuses. Un doigt d’honneur au catholicisme nauséabond de Cuenca? Aucune idée, mais une jeune femme assise à côté de moi m’accordait beaucoup d’attention. Quoi qu’il en soit, arrivé à la fête, je m’installai près du feu dans la cour du Pumapongo, établissement situé à côté du pont brisé, emblématique de Cuenca et repère de marginaux éméchés. Je fumai joint après joint d’une excellente herbe équatorienne. Je n’attendais rien de plus de ma journée. Néanmoins, comme sortie de nulle part, la jeune femme du théâtre est venue m’inviter à danser, chose que je n’avais jamais faite avant, sauf seul et bourré dans ma cuisine, ou encore dans les cérémonies d’Ayahuasca de Titi, lorsque je jouais du tambour. Je dansais, buvais des gorgées de bière quand elle me passait la bouteille. Cela a duré quelques heures, après quoi elle m’a fait un câlin avant de disparaître dans la nuit d’un état d’ébriété avancé. Le lendemain, je questionnai mes ami·e·s présent·e·s. Personne n’avait vu la jeune femme et personne ne la connaissait. Je ne l’ai jamais revue non plus… tel un esprit venu me montrer à danser pour célébrer la vie, en dépit de ses mauvaises odeurs et de ses horreurs.
[i]Le 21 avril 2024 a eu lieu la plus importante manifestation de droite dans le pays. Cet événement était largement soutenu par les grands médias et des rumeurs couraient, selon lesquels bon nombre de « manifestant·e·s » étaient en fait payé·e·s.
En juillet 2023, j’avais eu l’occasion de participer à la projection de Dosed : Trip of a Lifetime au vieux cinéma Mayfair à Ottawa. Il s’agit d’un documentaire retraçant le périple d’une femme de Colombie-Britannique dans sa lutte contre le cancer. Dans son processus d’acceptation de sa condition, elle utilise des champignons magiques à des fins thérapeutiques. Après quoi, j’ai pu assister à une table ronde sur le sujet, qui faisait clairement état du regain d’intérêt récent chez les chercheur·euse·s, et les journalistes[i] pour les vertus de la thérapie au moyen des enthéogènes. À mon sens, il ressort ce qui suit : un changement de mentalité s’opère enfin. Après des années d’hostilité à seulement aborder le sujet, on essaie désormais, pour changer, de se poser des questions et d’y répondre honnêtement. Avec cette ouverture d’esprit renouvelée, après des décennies de répression issue d’une mentalité obtuse et réactionnaire, il est possible de se pencher, avec un éclairage nouveau, sur l’idée d’une spiritualité révolutionnaire et du potentiel d’utilisation des enthéogènes[ii] dans les luttes anti-hégémoniques.
Pour mieux illustrer cette idée, je ferai d’abord un tour d’horizon des tensions à multiples facettes entre le militantisme psychédélique d’un côté et l’État de l’autre, qui a ses racines notamment aux États-Unis. Au Canada aussi, la situation reste confuse; c’est ce que je tenterai de montrer à travers mon expérience personnelle avec l’univers des enthéogènes. Au-delà de l’oscillation entre illégalité et libération révolutionnaire, une chose ressort : les champignons sont souvent diabolisés à tort. Cela ne veut pas dire qu’ils sont sans risque, et leur consommation doit être un choix éclairé. Aussi, comme ils sont illégaux, il y a toujours un risque de problèmes avec les autorités, malheureusement.
Dans le cadre de cet article, je voudrais notamment revenir sur l’importance qu’avait occupée l’exploration des états de conscience non ordinaires dans la révolution culturelle, politique et sociale des années 1960 et la réémergence d’une scène psychédélique ouverte à Ottawa grâce, entre autres, aux dispensaires de champignons magiques qui pullulent au centre-ville de la capitale et même le lancement d’un programme d’études psychédéliques à l’Université d’Ottawa[iii]. Ce sera l’occasion de souligner l’absence de la gauche de cette scène, par rapport de celle des années 1960, qui a pourtant énormément de potentiel en termes d’horizons de revendication. Parmi les dossiers abordés lors de la table ronde organisée après la projection du film, on dénombrait :
la médicalisation des enthéogènes, qui ont aussi une importante signification spirituelle;
l’équité d’accès, notamment pour les personnes noires, autochtones ou racisées[iv];
les enjeux écologiques, dont la dilapidation des sources d’approvisionnement en peyotl et en Ayahuasca[v], entre autres;
le fait que nous en serions à un moment charnière de l’histoire des relations entre les psychédéliques et la civilisation occidentale.
Le militantisme psychédélique : des années 1960 à aujourd’hui
Dans les années 1960, faire partie d’un mouvement de gauche allait de pair avec la consommation d’enthéogènes, et fumer un joint était même perçu comme un acte de défiance révolutionnaire[vi], un « grand refus » en faveur d’une « renaissance culturelle alimentée par [une] force qui a fait éclater l’étau de la morale bourgeoise et l’éthique de travail protestante »[vii]. Aussi, la relation entre l’arène politique et la marijuana est, à bien des égards, semblable à celle qu’elle entretient avec les autres enthéogènes, dont les champignons[viii]. Le caractère illégal de ces derniers renforce leur caractère initiatique, et dans le cas du militantisme, l’engagement à un compromis antiautoritaire et anti-civilisationnel. En effet, cela revient à affirmer qu’il n’y a pas de différence entre celles et ceux qui se trouvent en dehors et celles et ceux qui se trouvent à l’intérieur. Dans l’esprit de ce militantisme, il y a l’idée que nous sommes toutes et tous incarcéré«e«s dans la prison de l’État, notre ennemi commun. Cela dit, de nos jours, les autorités tendent à avoir le même avis sur la répression des champignons comme celle de la ganjah aux derniers moments de la prohibition, c’est-à-dire comme une pure perte de temps[ix]. Néanmoins, si cela ne représentait pas un danger pour le pouvoir, les enthéogènes ne seraient pas contrôlés.
Je crois nécessaire de souligner ici que la marijuana avait été interdite pour des motifs politiques et économiques, notamment comme prétexte de répression des travailleur·euse·s mexicain·e·s[x], et pour favoriser l’industrie du nylon. Pour certaines organisations, dont le Weather Underground, guérilla révolutionnaire étatsunienne, seule une personne qui fumait du cannabis pouvait être digne de confiance. Le cannabis devenait même un instrument de recrutement, face à l’attitude irrationnelle des autorités[xi]. Si je me donne la peine de parler autant du cannabis, c’est qu’il y a assurément un parallèle à faire avec la situation actuelle en ce qui a trait aux champignons magiques. Le plus surprenant c’est que, dès 1972, au Canada, la commission Le Dain avait conclu que l’usage récréatif de la marijuana comportait que très peu de risque et invitait le gouvernement canadien à le légaliser[xii]. Encore une fois, les constats sont similaires pour les champignons magiques. Qui plus est, on commence aujourd’hui à déconstruire l’idéologie selon laquelle il doit y avoir une limite claire entre l’usage récréatif et l’usage médicinal du cannabis. En effet, il s’agit d’une plante médicinale qui peut procurer du plaisir tout en étant un médicament[xiii]. C’est un des aspects que la médecine ne comprenait pas initialement, à voir si elle comprend vraiment de nos jours. En effet, comment expliquer à un ou une médecin que l’utilisation de la ganjah ou des champignons n’impliquent pas nécessairement de diagnostic qui appelle à une dose précise et une dose précise n’a pas d’effet précis[xiv]. En effet, une même dose chez une même personne deux fois de suite produit des effets qui peuvent être radicalement différents. Pour deux personnes distinctes, les effets sont donc d’autant plus divergents. Néanmoins, on en connaît davantage sur le cannabis que sur la pénicilline et il s’agit d’un des médicaments les plus sécuritaires qui soient[xv]. On peut affirmer la même chose sur les champignons magiques en ce qui a trait à leur toxicité et en fait, elle serait encore moindre[xvi].
Également d’intérêt, d’un point de vue politique, les désaccords qui existaient, dans les années 1960, entre Tymothy Leary et Aldous Huxley. Le premier était un professeur de Harvard déchu et le prophète iconique du LSD lors de l’« été de l’amour » (Summer of Love). Le deuxième était un écrivain britannique, auteur de The Doors of Perception, ouvrage culte qui porte sur ses expériences avec le Peyotl, un cactus enthéogène originaire du Mexique et du Sud des États-Unis. Huxley croyait que l’usage des enthéogènes devait être limité aux élites, alors que pour Leary, n’importe qui devait pouvoir avoir une expérience transcendantale, peu importe sa classe sociale. Il voulait démocratiser le pouvoir transformateur des expériences enthéogènes[xvii]. Pour Leary, les limites de la mentalité de nos sociétés modernes, et les structures sous-jacentes, qu’elles soient politiques, économiques, sociales, seraient des états de conscience provoqués par nos drogues de choix : le café et l’alcool. Il s’agissait alors de remplacer ces drogues par des enthéogènes[xviii]. Comme le dit Martin A. Lee dans son ouvrage, « leur engouement pour les enthéogènes symbolisait leur tentative de saisir le contrôle des moyens de production mentale »[xix]. Or, d’une certaine manière, la position d’Huxley est reflétée dans la position élitiste des gouvernements, qui restreignent leur usage aux chercheur·euse·s, aux cancéreux·euses et aux vétéran·e·s. D’aucun·e·s pointeront du doigt la situation peu glorieuse de Leary, qui finit par devenir fugitif un temps en Algérie, avant de se faire arrêter en Afghanistan, et la mauvaise influence qu’il a pu constituer en matière de consommation responsable. Néanmoins, il s’agit au bout du compte d’une question d’éducation, comme dans tous les cas où un pouvoir instrumentalise l’ignorance et la peur. Pour Leary, le LSD ne pouvait rester dans l’ombre. Il fallait donner des cours sur le sujet dans les collèges et les universités[xx].
Il convient aussi de préciser que, même si le LSD n’est pas une plante médicinale à proprement parler, il est synthétisé à partir de l’ergot de seigle. Par conséquent, nous pouvons le considérer comme un enthéogène semi-synthétique. Cela dit, la philosophie relative à l’usage du LSD était, dans les années 1960, essentiellement la même que pour le cannabis. Ainsi, pour les chimistes qui assuraient initialement sa fabrication, dont Owsley Stanley, Nick Sand et Tim Scully, l’objectif était d’en distribuer le plus possible au plus bas prix[xxi], et ce, dans le but de lancer un processus révolutionnaire.
Malheureusement, les fausses nouvelles ne datent pas d’hier et les gouvernements de l’époque s’étaient livrés à une campagne de salissage en présentant, entre autres, des résultats fabriqués de recherche disant que les enthéogènes affectaient le code génétique[xxii]. En fait, une bonne partie des mauvaises expériences de l’époque attribuées au LSD ont tout aussi bien pu être causées par la mauvaise presse des médias soutenue par le gouvernement[xxiii]. Par ailleurs, il est fascinant de penser que le champignon pourrait lui-même être le remède à l’anxiété qui entoure son achat et sa consommation en contexte d’illégalité. Manger le champignon ou l’acide comme un acte révolutionnaire. Quelle idée! Or, on peut présumer qu’il s’agit d’un acte qui a poussé plus d’un des membres de la bourgeoisie à rejoindre le fameux cri de ralliement de Fred Hampton : « Je suis un révolutionnaire! ».
Leary n’est pas un personnage controversé sans raison. Certains lui attribuent la responsabilité de la fin du mouvement hippie, d’autres le décrivent comme un personnage mégalomaniaque[xxiv]. Quoi qu’il en soit, il a pu profiter du climat d’agitation politique de l’époque pour lancer ses propres slogans provocateurs : le « léninisme lysergique »[xxv], formule racoleuse destinée surtout à la provocation, qui laisse entendre un amalgame de la pensée révolutionnaire marxiste-léniniste et de la culture psychédélique. L’adjectif « lysergique » fait référence au diéthylamide de l’acide lysergique ou LSD. Parmi ses autres slogans incendiaires, « Laissons l’État se désintégrer »[xxvi], sans parler de la célèbre maxime « Turn on, tune in, drop out », qu’il avait prononcée à Haight-Ahsbury. Ce quartier célèbre de San Francisco était un centre de la pensée culturelle et politique de l’époque. Il s’agissait d’un véritable incubateur pour un foisonnement d’idées toutes plus radicales qu’excentriques les unes les autres et qui allaient animer la révolution psychédélique[xxvii]. Parmi les divers groupes politiques qui revendiquaient l’utilisation du LSD, on trouvait les Diggers, un groupe anarchiste qui rejetait à la fois la New Left et le mysticisme à l’eau de rose de certains groupes psychédéliques. Nommé d’après un groupe de libertaires britannique du XVIIe siècle, il est essentiellement né de la scission de membres d’une troupe de mimes qui faisaient de la satire politique. Devançant même l’anarchiste Hakim Bey et ses zones autonomes temporaires, les Diggers souhaitaient vivre la liberté immédiatement sans aucun compromis, comme si la révolution avait déjà eu lieu. Évidemment, le LSD comme moyen d’expansion de la conscience était instrumental dans leurs mises en scène théâtrales de la vie libre dans les rues de San Francisco. Ielles s’opposaient à toute forme d’activité lucrative, distribuaient de la nourriture aux sans-abris et tenaient même un magasin d’articles « libérés » gratuits, le plus souvent donnés par les marchands locaux, avec des paniers remplis de billets pour celles et ceux qui se trouvaient dans le besoin. Ielles s’immisçaient aussi dans les be-in pour distribuer des dizaines de milliers de doses de LSD gratuites, préparées par nul autre que l’un des chimistes-robin-des-bois de l’époque, Oswsley. Leur motivation était de s’autonomiser par rapport au système politique, économique et social dominant aux États-Unis à l’époque, comme première étape d’une transformation plus large. Le groupe était composé d’hommes et de femmes et n’avait aucun chef. Ielles préféraient aussi œuvrer dans l’anonymat et se méfiaient énormément des grands médias et de leurs multiples biais[xxviii]. Les Diggers se trouvaient à l’antithèse du psychédélisme bon enfant des Beatles, qui consommaient allègrement du LSD pendant la création de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts. Enfin, même le plus modéré des Beatles, Paul McCartney, avait affirmé à propos du LSD, dans une entrevue avec le magazine Life : « It opened my eyes. It made me a better, more honest, more tolerant member of society. »[xxix] Pour lui, si les dirigeant·e·s prenaient du LSD, ielles « banniraient la guerre, la pauvreté et la famine ». Je ne doute pas de la première affirmation, mais pour ce qui est de la deuxième, il s’agit du genre de naïveté que les Diggers rejetaient fermement. Pour changer les choses, il fallait aussi agir[xxx]. Enfin, ielles étaient aussi écologistes![xxxi].
Jerry Ruby, une autre figure importante de la scène psychédélique, membre des Yippies, affirmait que le LSD lui avait permis de comprendre que « la réalité était avant tout l’action » et, avec son compagnon militant Abbie Hoffman, ils utilisaient le LSD comme instrument de subversion, pour aider les gens à se sortir du carcan mental qui les empêchait d’agir. L’acide permettait aussi d’agir davantage sur la base de l’intuition, de se débarrasser de la « maladie de cerveau » qu’est l’idéologie et de « foutre ce qu’ielles avaient bien envie de foutre ». Le LSD amplifiait décidément l’impression de traverser une période à proprement parler révolutionnaire, et ielles n’avaient pas tort. Dans son pamphlet Do it[xxxii], Hoffman déclare :
Dans les rassemblements aux quatre coins de la Terre, Bob Dylan remplacera l’hymne national.
Il n’y aura plus de prisons, de tribunaux ou de police.
La Maison-Blanche deviendrait un refuge pour toute personne sans logement à Washington.
Le monde deviendra une vaste commune avec de la nourriture, de l’hébergement gratuit et à l’intérieur de laquelle tout sera partagé.
Toutes les montres et les horloges seront détruites.
Le pentagone sera remplacé par une ferme de LSD expérimentale…[xxxiii]
Les Yippies avaient fait tout un vacarme lors de la convention démocrate de 1968, faisant circuler des revendications qui comprenaient « la légalisation du cannabis et du LSD, l’abolition de l’argent, le désarmement de la police de Chicago » et la copulation généralisée et permanente de tout le monde avec le monde![xxxiv] Un autre groupe anarchisant de l’époque, les Motherfuckers, est un peu l’un des précurseurs des Blacks Blocs, ce mouvement principalement anarchoféministe et antimondialisation, de personnes qui se masquent de noir et infiltrent les manifestations pour casser les vitres des commerces de multinationales, entre autres une forme de vandalisme[xxxv]. Sous les effets de fortes doses d’enthéogènes et de drogues, ielles se mettaient à courir dans les rues, endommageant des voitures, cassant des vitrines. L’expérience psychédélique devenait alors hautement cathartique et opérait toute une libération psychique. Pour ielles également, l’activité révolutionnaire était inséparable de l’expansion de la conscience par les enthéogènes[xxxvi]. Fait intéressant, les Motherfuckers s’étaient liés, comme les White Panthers, avec les hippies qui ont inventé le punk, MC5. Les Motherfuckers ont en quelque sorte préfiguré la violence qui allait être perpétrée par d’autres groupes de gauche, dont le Weather Underground.
Le Weather Underground est un cas intéressant. Il s’agit d’un groupe armé dissident du Students for a Democratic Society (SDS), un mouvement étudiant. Le choix de la clandestinité des membres fondateurs avait été motivé par leurs expériences avec le LSD. Ces gens s’y opposaient d’abord, mais une faction des Yippies, appelée Crazies, avait mis du LSD dans le vin des participant·e·s à un rassemblement du Weather Underground, qui s’est rapidement transformé en événement festif[xxxvii]. Évidemment, le LSD ne faisait pas les révolutionnaires, mais son utilisation visait à surmonter certaines inhibitions. Dans son livre, Martin Lee explique que le Weather Underground était majoritairement composé de personnes blanches de classe moyenne ou de classes plus élevées, hantés par un complexe de culpabilité du fait qu’ielles étaient blanc·che·s. Les attentats terroristes devenaient alors un moyen d’offrir du sang blanc en réparation et de prouver aux Afro-Américain·e·s, aux Vietnamien·ne·s, etc. que la gauche américaine était sérieuse dans sa lutte contre l’impérialisme américain. Cela allait les pousser à une transformation extrême de leur mode de vie, dans des communes, abolissant toute relation exclusive (People who fuck together, fight together; les gens qui baisent ensemble se battent ensemble). Ils utilisaient aussi des doses considérables de LSD pour s’exorciser de toute caractéristique bourgeoise. Enfin, toute cette orientation me semble mal choisie, puisque le LSD aurait dû aider à surmonter le complexe de culpabilité SANS effusion de sang, ce qui prouve une fois de plus que prendre des enthéogènes ne constitue pas une pilule magique. Simplement pour illustrer à quel point le Weather Undeground pouvait commettre de terribles erreurs de jugement, le groupe a, par exemple, fait l’éloge de Charles Manson et du fait que ce dernier avait liquidé des bourgeois[xxxviii]. Or, Manson allait devenir le modèle de James Mason, célèbre auteur néonazi étatsunien.
Dans tous les cas, les enthéogènes ne se trouvaient pas seulement entre les mains des révolutionnaires. Entre autres, sa consommation était répandue parmi les soldat·e·s étatsunien·ne·s au Vietnam, qui en prenaient même en situation de combat, ce qui sera représenté dans le film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Cela témoigne du degré de désintégration du tissu de la société étatsunienne, et ce, jusque dans les bars malfamés de Saïgon. Bon nombre de combattants rejoignaient illico la contre-culture une fois de retour d’Asie.
D’autres organisations, certes moins politisées ont vite sombré dans le mercantilisme. C’est le cas de la Brotherhood of Eternal Love, un groupe de hippies de la Californie qui allait devenir une immense organisation internationale de distribution de LSD en provenance de la Californie et de haschich de l’Afghanistan[xxxix]. Cela dit, comme le reste du mouvement qui n’avait pas pris une posture plus militante, la fraternité a un peu été victime de son succès et de l’image de Woodstock et des festivals, sans parler de la mode vestimentaire. Rapidement, le capitalisme allait conquérir une bonne partie de ce qui restait de la contre-culture, et ce, dès le début des années 1970 voire immédiatement après l’été de l’amour de 1968. En fait, pour bien des gens, le mouvement hippie aura duré le temps de l’été de l’amour. L’avarice et le machisme, entre autres problèmes bel et bien humains, auront raison du mouvement. La répression de la part de l’État américain, la guerre contre les drogues de Nixon à Reagan n’auront été que des clous de cercueil enfoncés bien après l’effondrement du rêve… qui est susceptible de renaître aujourd’hui. S’ajoute à cela, déjà dans les années 1960, l’importante quantité d’héroïne qui a commencé a circulé aux États-Unis, en provenance de l’Asie du Sud, importée avec la complicité de la CIA[xl]. Cela aura entraîné un repli vers des communes ou l’adhésion aux spiritualités orientales, comme c’est le cas de Richard Alpert, devenu par la suite Ram Dass. Après avoir donné une quantité incroyable de LSD à un guru indien, il a constaté que celui-ci n’en était pas le moindrement affecté, ce qui l’a poussé à convoiter les enseignements de ce dernier[xli]. Son raisonnement était le suivant : si le LSD ne lui fait rien, c’est que son état de conscience est constamment dans un état d’expansion incroyable. D’autres, comme le Weather Underground, et même Leary, ont commencé à prêcher une violence désespérée : « Faire feu sur un robot-policier génocidaire en défense de la vie est un acte sacré […] La Troisième Guerre mondiale est menée par des robots aux cheveux courts qui tentent sciemment de détruire le réseau complexe de vie sauvage et libre en imposant un ordre mécanique […] Faites exploser leur esprit mécanique avec le Saint Acide… donnez-leur-en …donnez-leur-en […] Planez constamment et menez la guerre révolutionnaire! »[xlii]. Cela dit, plusieurs, dont l’auteur beat William S. Burroughs et Ken Kesey des Merry Prankster et auteur de One Flew Over the Cockoo’s Nest, soupçonnent que le LSD ait été propagé intentionnellement par la CIA. Après tout, Leary avait lui-même collaboré avec la puissante agence américaine[xliii], qui s’y connaît très bien en matière de révolutions et de coups d’État, dans la théorie comme dans la pratique.
La scène psychédélique réémergente
Au moment où sont écrites ces lignes, il y avait au moins quatre dispensaires de champignons magiques à Ottawa, tous au centre-ville, entre la rue Rideau et la rue Wellington, tout près du Parlement : Shroomyz, , une chaîne qui dispose aussi d’autres dispensaires à Toronto[xliv], Magic Mush[xlv], The Golden Teacher,[xlvi] et, enfin, Shroom World. Il est possible que les choses diffèrent au moment de la publication. À part Shroom World, tous les dispensaires ont un site Web sur lequel il est possible d’acheter leurs produits au moyen d’une carte de crédit ou d’un virement Interac. Ce ne sont là que 4 des 17 dispensaires de champignons magiques du Canada qui ont pignon sur rue à Ottawa, et il y a fort à parier que, une fois cet article publié, leur nombre sera encore plus élevé. Aussi, l’ouverture d’une première succursale de la chaîne Funguys[xlvii] a eu lieu au Québec, à Montréal, le 11 juillet 2023[xlviii]. Dès son ouverture, ce magasin a fait l’objet d’une perquisition du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)[xlix]. Le magasin a immédiatement rouvert pour être perquisitionné de nouveau environ une semaine plus tard[l]. Le commerce a ensuite été saisi de nouveau pour rouvrir une autre fois par la suite[li]. Le commerce est, à ma connaissance, toujours ouvert à ce jour.
Tout cela se fait ouvertement et aux dires d’un commerçant interrogé à Ottawa, la police n’interfère pas avec leurs activités. Cela dit, il faudrait prendre cette déclaration avec un grain de sel, compte tenu du fait qu’un des dispensaires Shroomyz de Toronto a subi une descente la police[lii] en novembre 2022. Il faut aussi tenir compte de l’approche de la police municipale, qui peut varier d’une ville à l’autre. Cela dit, au-delà de cet aspect, pourquoi n’y a-t-il pas eu davantage de descentes? Et pourquoi pas à Ottawa, et ce, presque un an plus tard. Un des aspects qui expliquerait cette situation serait les pressions énormes exercées sur le gouvernement canadien à la lumière des résultats prometteurs en recherche sur la thérapie psychédélique, pour faciliter l’accès aux champignons magiques à des fins médicinales, et ce, entre autres, auprès des patient·e·s atteints d’un cancer incurable ou pour les vétéran·e·s[liii]. En effet, même si le Canada a déjà commencé à accorder des exemptions médicales pour l’utilisation des champignons, il n’existe pas de source d’approvisionnement contrôlée. Or, selon une certaine interprétation, l’exemption impliquerait l’obligation de fournir une source d’approvisionnement sûre. C’est pourquoi certaines personnes, parmi lesquelles les gens qui ont ouvert les dispensaires en question, parlent d’une zone grise.[liv] Or, ce n’est pas tout à fait vrai. Les champignons sont indéniablement illégaux[lv], mais il semble que, de manière officieuse, la police ait décidé de ne pas intervenir, ou d’intervenir très peu, possiblement aussi par manque de ressources. S’agirait-il d’une contestation interne au pouvoir de l’absurdité de la loi ou juste une question d’efficacité? Est-ce que les autorités ont commencé à ingérer des champignons magiques? Malheureusement, le Canada traîne quand même de la patte derrière certains pays, comme le Portugal, l’Espagne et la République tchèque, ou la possession et la culture de petites quantités sont permises[lvi], comme dans certains États aux États-Unis, entre autres[lvii].
J’ai eu l’occasion de visiter un de ces établissements, le Shroom World. Dans les paragraphes suivants, je m’inspire de mes échanges et je puise aussi dans certains ouvrages plus ou moins officieux qui se vendent en ligne. La raison en est bien simple, c’est la communauté underground qui a maintenu et transmis ce savoir qui nous est aujourd’hui parvenu et qui attend d’être redécouvert par la science. Ce sont les néo-chamanes, qui tentent de redécouvrir de grandes traditions presque perdues en Occident. Le chamanisme se retrouve dans pratiquement toutes les cultures. Il est un intermédiaire entre la communauté et le monde des esprits. Son rôle social était d’une très grande importance. Les néo-chamanes se veulent les héritiers de ces traditions en Occident, où l’inquisition a assuré leur quasi-disparition en les brûlant au bûcher. Cette communauté mérite d’être reconnue pour ce qu’elle est, une communauté en quête de bonheur et d’harmonie, et non sa réputation de hippies camés sans cervelle. La première visite était évidemment un peu angoissante. J’ai pris le temps de regarder par-dessus mon épaule à quelques reprises pour être sûr qu’une voiture de police ne m’attendrait pas au coin de la rue. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le centre-ville d’Ottawa, si l’itinérance, les drogues comme le fentanyl et la métamphétamine et l’intoxication en public sont la norme, la présence policière est d’autant plus forte. Une fois entré, je m’avoue surpris par les dispositifs de sécurité mis en place. Il faut sonner et attendre qu’on nous ouvre. On se trouve aussi constamment surveillé par un système de vidéosurveillance. L’employé qui se trouvait à l’intérieur lors de ma première visite semblait un peu nerveux. Les produits sont affichés dans des vitrines sécurisées et les emballages sont étonnements professionnels. Malheureusement, et cela se comprend, il est difficile de connaître la provenance de ces produits et les ingrédients utilisés. Par exemple, lorsque j’ai demandé si les jujubes de champignons magiques contenaient de la gélatine d’origine végétale ou animale, le préposé m’a franchement révélé qu’il n’en avait aucune idée. Il y avait aussi du chocolat aux champignons magiques, mais dont la provenance était tout autant douteuse. Heureusement, il y avait aussi de simples capsules ou encore des champignons séchés et vendus par paquet de 7 grammes. Au début de l’année 2024, un paquet de 15 capsules de microdosage de 150 mg de psilocybine coûtait environ 40 $ et le paquet de 7 grammes de champignons magiques, 50 $.
J’ai effectué une deuxième visite un peu plus tard et j’ai eu l’occasion d’échanger davantage avec un autre employé moins nerveux. Interrogé sur la philosophie derrière ces magasins, il m’en a parlé surtout en termes de bénéfices pour la santé, que ce soit en microdosage ou pour des voyages. Essentiellement, le microdosage consiste en la prise de 0,125 ou 0,250 gramme de champignons une fois aux deux jours. Cette dose n’offre aucun effet hallucinogène, mais contribue à un niveau d’énergie et de créativité plus élevé ainsi qu’un sentiment de bien-être et de bonne humeur accentué[lviii]. Le microdosage serait aussi efficace pour traiter la dépendance, quelle qu’elle soit : nourriture, dépendance affective, drogues, et ainsi de suite[lix]. Le voyage implique généralement la prise d’au moins 1 gramme de champignons en augmentant la dose progressivement, environ 0,5 gramme à la fois pour s’accoutumer aux effets plus déstabilisants[lx]. Cela nous a aussi été confirmé par l’employé du Shroom World. La tolérance à la psilocybine s’installant très rapidement, il faut attendre au moins une semaine avant de retenter l’expérience. Il n’est pas nécessaire d’abandonner le microdosage en prévision d’un voyage. Ce deuxième employé m’expliquait tout cela en détail et me donnait l’impression d’appartenir à une communauté hautement préoccupée par une vie plus saine et plus harmonieuse.
Les champignons magiques sont considérés comme très sécuritaires, entre autres parce que la quantité de psilocybine est relativement constante d’un champignon à l’autre et même dans sa répartition dans la chair du champignon elle-même[lxi]. Ce n’est pas que sa consommation est sans danger, même si une surdose est pratiquement impossible. En effet, les enthéogènes sont des outils d’auto-exploration et thérapeutiques puissants, mais dont la toxicité est bien moindre que le café ou l’alcool, qui sont les drogues du capitalisme, l’une pour travailler des heures durant et l’autre pour s’assommer les fins de semaine et oublier la misère de l’usine. C’est du moins le portrait qu’en fait Émile Zola dans L’assommoir. , C’est aussi ce qu’en disait Terence McKenna, psychonaute et paria de la culture psychédélique[lxii]. Une expérience trop intense peut être potentiellement traumatisante pour une personne qui n’est pas préparée[lxiii]. En cas d’expérience désagréable, il faut se concentrer sur sa respiration et s’abandonner aux visions[lxiv]. La musique peut aussi être une rampe de sécurité. Le choix de piste sonore est donc très important, comme le sont tous les facteurs environnementaux : les gens avec qui on fait l’expérience, le lieu, le champignon lui-même et l’intention[lxv].
L’intention est un élément très important d’un voyage[lxvi] et d’une certaine manière, les champignons répondent aux questions posées[lxvii]. Cette expérience doit préférablement avoir lieu dans un cadre cérémonial. La cérémonie comporte les étapes suivantes : préparation, création d’un cercle, expérience, fermeture du cercle, intégration[lxviii]. Dans ce cas particulier, une dose relativement forte est nécessaire pour assurer les effets thérapeutiques[lxix]. Par rapport à l’expérience dont il est question dans le documentaire Dosed, la dose héroïque (5 grammes ou plus) serait comme une préparation à la mort, dans la mesure où la mort peut être comprise comme un état de conscience[lxx]. Les émotions négatives engendrent l’enfer, les émotions positives engendrent le paradis :
Tout est conscience et la réalité dont vous faites l’expérience est le résultat de l’état de conscience […] la personnalité est une construction temporaire que nous utilisons pour accéder à l’expérience physique [lxxi][…] Seule la conscience existe et elle engendre votre réalité[lxxii].
Cet article n’est pas l’œuvre d’un chamane en bout de parcours et la décision de consommer des champignons magiques ne devrait pas être fondée uniquement sur cet article. Les facteurs qui influencent une expérience sont multiples. Les champignons fonctionnent bien en combinaison avec le cannabis, ce qui est intéressant d’un point de vue thérapeutique, mais pas avec l’alcool[lxxiii]. Le danger le plus grave concerne cependant l’interaction avec les inhibiteurs de monoamine-oxydase, généralement des antidépresseurs, qui peuvent causer la mort[lxxiv]. Les champignons sont aussi déconseillés pour les gens atteints de troubles psychotiques ou de sérieuses maladies mentales[lxxv]. Il y a aussi, par ailleurs, un parallèle avec le cannabis, en ce sens que l’approche thérapeutique relève des autosoins gérés par le ou la patient·e. Ce type de traitement fonctionnerait aussi beaucoup plus en profondeur parce que, contrairement aux antidépresseurs, il ne traite pas seulement les symptômes, mais permet d’explorer les causes profondes de la dépression, de l’anxiété ou de la dépendance pour laisser aller ces sentiments négatifs et ces mécanismes psychologiques nuisibles[lxxvi].
Outre le fait que la substance a des effets très différents d’une personne à l’autre, une perte de pouvoir potentiellement de la classe sociale médicale pourrait partiellement être en cause dans la prohibition et la difficulté d’accès. Comme la recherche a été interdite pendant tant d’années, la science ne sait encore que peu sur les champignons magiques, mais c’est de sa faute! Pour le moment, en l’absence de source officielle, pour en apprendre davantage et de manière pratique, il faut se tourner vers la scène clandestine. C’est ce que nous avons fait en consultant les employés des dispensaires, et en lisant également des ouvrages autopubliés anonymement[lxxvii].
Or, selon un de ces auteur·trice·s, les champignons aideraient à faire face aux plus grandes souffrances humaines. Or, les plus grandes souffrances se produisent généralement lorsqu’on doit laisser aller des personnes ou des choses qui sont importantes pour nous, ce qui nous amène à questionner et possiblement à regretter nos choix. Il cite le livre The Top Five Regrets of the Dying: A life Transformed by the Dearly Departing de Bronnie Ware, dans lequel une infirmière énonce les cinq principaux regrets que les gens éprouvent à l’article de la mort :
J’aurais aimé avoir le courage de vivre ma vie comme je le voulais et non conformément aux attentes des autres
J’aurais aimé ne pas avoir autant travaillé
J’aurais aimé avoir le courage d’exprimer mes sentiments
J’aurais aimé rester en contact avec mes ami·e·s
J’aurais aimé m’être donné les moyens d’être plus heureux·euse [lxxviii]
Une intense dose de champignons magiques peut aider à surmonter ces regrets. Une expérience transcendantale s’en suivrait alors pour aider la personne à confronter et à surmonter ses regrets ou ses anxiétés. Dans le film Dosed, la dame prend jusqu’à 6 grammes de champignons d’un seul coup, ce qui constitue une solide dose à ne pas prendre à la légère ou en solo, à moins d’avoir une certaine expérience[lxxix]. Pour avoir une bonne compréhension des effets des enthéogènes par rapport à tout ce qui est normalement considéré comme des drogues ou des intoxicants, vous pourriez lire les textes de la revue sur l’Ayahuasca, qui traitent plus particulièrement de la conception chamanique des plantes médicinales, dont les champignons font partie[lxxx]. Or, contrairement à de l’Ayahuasca, beaucoup sont d’avis que les champignons peuvent être consommés en solo de manière relativement sécuritaire, et ce, moyennant certaines précautions. En fait, c’est précisément ce qui en ferait une plante médicinale susceptible de créer de fortes communautés d’appartenance loin des terres où le chamanisme est reconnu et l’utilisation des plantes médicinales encadrée par la Loi[lxxxi]. C’est pourquoi on parle de néo-chamanes. Même s’ielles ne sont pas nécessairement bien vus par les chamanes de l’Amérique du Sud, qui ont une lignée qui remonte à certaines traditions, les néo-chamanes relèvent en quelque sorte d’une lignée brisée. Quoi qu’il en soit, comme pour dans la compréhension chamanique de l’expérience enthéogène, ces substances seraient un moyen de syntoniser une fréquence distincte de l’Univers[lxxxii] ou, en d’autres mots, elles favorisent l’expansion de la conscience. L’aspect écologique de la culture du champignon et la vie en harmonie avec celui-ci est aussi un aspect qui en attire beaucoup. L’histoire de la cohabitation entre le champignon et l’humain ne date pas d’hier. Il y a évidemment l’exemple de la pénicilline, sans parler de l’alimentation. Les champignons poussent dans la matière organique en décomposition, très souvent dans la bouse de vache. Un collègue dont je ne partage pas toutes idées, a vécu sa première expérience au Népal, avec des champignons fraîchement cueillis à la source.[lxxxiii]
La science n’est quand même pas restée inactive depuis la reprise de la recherche sur les enthéogènes au début des années 2000. D’un point de vue plus scientifique, la psilocybine intensifierait les activités des neurones, traçant de nouveaux réseaux entre ces dernières. Il s’agit de neurogenèse épigénétique, la création des nouveaux chemins neuronaux[lxxxiv], ce qui en motive certain·e·s de parler d’un potentiel d’évolution[lxxxv]. En fait, selon certain·e·s psychonautes très influencés par Terence McKenna, il y aurait trois révolutions psychédéliques[lxxxvi]. La première révolution réfère à la théorie du primate gelé de Mckenna, c’est-à-dire la consommation de champignons magiques par nos ancêtres, qui auraient permis l’apparition du langage. La deuxième serait la contre-culture des années 1960 et la troisième se préparerait en ce moment[lxxxvii]. Bon, je suis tout à fait conscient que ces idées peuvent sembler farfelues au commun des mortels, surtout chez celles et ceux qui n’ont jamais fait l’expérience d’un enthéogène. Cela dit, elles sont très importantes pour la communauté qui a courageusement ouvert ces dispensaires à Ottawa. Il est possible de comprendre la situation de la manière suivante. En raison du caractère absolument illégal pendant de nombreuses années de toute recherche sur les champignons magiques, la science n’a pu recueillir que très peu de savoir. C’est la scène underground, celle qui est tapie dans l’ombre depuis les années 1960, qui détient tout le savoir, les chamanes dans certains contextes, de vieux hippies sur l’île de la Tortue. Or, à l’abri de la science, ce savoir s’est imbriqué dans toute une mythologie dans laquelle il faut nous plonger pour en extraire les éléments dont nous avons besoin pour comprendre cette communauté. On parle dans certains cas, de « guerre contre la conscience », pour reprendre les mots de Graham Hancock, pour décrire la répression de l’utilisation de ces substances, ancrée dans une vision idéologique selon laquelle la modernité serait l’apogée de l’humanité[lxxxviii]. En fait, les enthéogènes nous permettraient de nous réconcilier avec la nature, un retour en arrière, ’avant que ne s’opère la session définitive avec les Lumières[lxxxix]. Les dispensaires eux-mêmes pourraient être perçus comme des zones autonomes temporaires. Ou encore, nous pourrions les voir comme des attentats de terrorisme poétique, à l’encontre de l’état lamentable dans lequel sont laissées les rues d’Ottawa et contre l’État, assurément. Ce qui est beau, c’est que les militant·e·s disposent de l’outil rêvé pour amoindrir leurs peurs dans leur lutte contre un état policier. J’ai moi-même été initié à des rituels guerriers de l’Amazonie avec de l’Ayahuasca, qui servent à donner des forces et du courage. Or, il serait possible d’utiliser les champignons aux mêmes fins, dans les manifs, dans les assemblées, les tables rondes, les fêtes, les concerts. Les deux peuvent aller de pairs.
Le mycélium, ce tapis de veinures blanches qui tapissent l’intérieur du sol et qui constituent, en quelque sorte, les racines des champignons, serait comparable aux réseaux de connexions nerveuses du cerveau. Mélangé avec de la crinière de lion, un autre champignon réputé pour stimuler la génération de neurones, les possibilités d’expansion du champignon hallucinogène sont décuplées. Vous l’aurez compris, pour certains, les champignons deviennent un moyen d’accroître les facultés mentales. Il ne faudrait pas pour autant conclure qu’il s’agit d’une pilule magique. En effet, un néonazi ne changera pas nécessairement ses idées. Il s’agit d’un outil qui, utilisé correctement, peut avoir des effets bénéfiques innombrables. Pour reprendre une formulation de l’Alt-right : « Les champignons sont simplement une pilule, à vous de voir si elle sera rouge ou bleue »[xc]. Les champignons sont plus proches des animaux, respirent de l’air et seraient intelligents selon des recherches menées au Japon[xci]. Le mycélium est parfois appelé Wood Wide Web[xcii]. Si l’Ayahuasca est la télévision de l’Amazonie, alors les champignons seraient l’Internet qui a été lancé il y a des temps possiblement immémoriaux.
La gauche qui brille par son absence : les enthéogènes aux mains des pharmaceutiques?
S’il y a une différence marquante entre la révolution psychédélique des années 1960 et ce qui se déploie aujourd’hui, c’est que la médecine et la recherche pharmaceutique ont la main mise sur les enthéogènes, avec l’appui de l’État et de ses instruments judiciaires. En effet, parallèlement à un certain militantisme peu politisé autour de la question, les pharmaceutiques s’immiscent de plus en plus dans le débat, risquant de mener à une médicalisation et à une appropriation culturelle. En fait, comme le souligne Peter Lamborn Wilson, dans son ouvrage Ploughing the Clouds, les Européens ont acquis lors des conquêtes la plupart de leurs psychotropes, soit : « cacao, café, thé, tabac, cannabis, opium, champignons magiques, cocaïne, ayahuasca, etc.[xciii] » Leur consommation en Occident est donc inséparable de l’histoire coloniale et impériale européenne. Il est peut-être donc temps que les mouvements anti-hégémoniques et les communautés autochtones et néo-païennes se ressaisissent du pouvoir révolutionnaire des enthéogènes.
Si la violence est la langue de l’État et de l’oppression, et son arme, les enthéogènes, utilisés correctement, peuvent servir nos velléités révolutionnaires. Cela dit, pour ce faire, il faut s’assurer de bien comprendre leurs pouvoirs et leurs limites, ce qui n’a pas été nécessairement le cas des mouvements révolutionnaires des années 1960. Si le pouvoir nucléaire et le pouvoir génétique entre de mauvaises mains présentent un danger pour l’humanité, il va de même avec le pouvoir de la conscience. Personnellement, je ne pense pas que c’est toute la pensée flower power qui était le problème, on peut la ramener dès demain, ni les plantes ou les organismes qui ont, en partie, propulsé ce mouvement et inspiré nombre d’idées politiques, écologiques, féministes, sans oublier toute la révolution sexuelle inachevée. Comme toujours, les problèmes des mouvements sociaux relèvent du sexisme, du classisme, du racisme, du spécisme, de l’homophobie, de la transphobie, etc. C’est pourquoi je vois la politique comme un processus de guérison de ces maladies, processus au sein duquel les enthéogènes peuvent jouer un rôle clé.
[vi] Martin Lee et Bruno Shlain, Acid Dreams: The Complete Social History of LSD: The CIA, the Sixties, and Beyond (New York: Grove Press, 1985), p.109
[vii] « The Cultural renaissance fueled by LSp. D was the force that broke the stronghold of bourgeois morality and the Protestant work ethic ». Ibid., p.169
[xix] « Their infatuation with psychedelics was symbolic of an attempt to seize control of the means of mental production in a very personal sense. » Op. Cit., note 6, p.132
[xlii] « To shoot a genocidal robot policemean in defense of life is a sacred act […] World War III is now being waged by short-haired robots whose deliberate aim is to destroy the complex web of free wild life by the imposition of mechanical order. Blow the mechanical mind with Holy Acid…dose them…dose them […] Stay high and wage the revolutionary war! ». Op. cit, note 6, p.265
[xlviii] Philippe Robiitaille-Grou, « Une boutique illégale de champignons magiques ouvre ses portes à Montréal », Radio-Canada, 8 juillet 2023. Récupéré au https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1994711/magasin-champignons-magiques-ouverture-montreal?partageApp=rcca_appmobile_appinfo_android (consulté le 14 octobre 2024).
[xlix] TVA Nouvelles, « Magasin de champignons magiques perquisitionné : “on était devant le fait accompli” », TVA Nouvelles, 12 juillet 2023. Récupéré au https://www.tvanouvelles.ca/2023/07/12/magasin-de-champignons-magiques-perquisitionne-on-etait-devant-le-fait-accompli (consulté le 14 octobre 2024).
[l] Hugo Prévost, « Nouvelle perquisition au magasin de « champignons magiques » FunGuyz, à Montréal », Radio-Canada, 20 juillet 2023. Récupéré au https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1997662/magasin-funguyz-perquisition-spvm?partageApp=rcca_appmobile_appinfo_android (consulté le 14 octobre 2024).
Thériault, William. 2023. « La boutique Funguyz rouvre ses portes ». La Presse, 18 juillet 2023. Récupéré au https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-07-18/champignons-magiques-illegaux/la-boutique-funguyz-rouvre-ses-portes.php (consulté le 14 octobre 2024).
[li] Radio-Canada. 2023. « Champignons magiques : le SPVM intervient une troisième fois à la boutique FunGuyz ». Radio-Canada, 3 août 2023. Récupéré au https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2001130/perquistion-police-funguyz-champignons-magiques?partageApp=rcca_appmobile_appinfo_android (consulté le 14 octobre).
[lii] Joanna Lavoie, « Two men arrested, drugs seized following raid at west Toronto magic mushroom dispensary », CTV News, 13 novembre 2022. Récupéré au https://toronto.ctvnews.ca/two-men-arrested-drugs-seized-following-raid-at-west-toronto-magic-mushroom-dispensary-1.6151193 (consulté le 14 octobre).
[liii] David Fraser, « As under-the-table market grows, patients urge Ottawa to regulate magic mushrooms », CTV News, 10 janvier 2023. Récupéré au https://www.ctvnews.ca/health/as-under-the-table-market-grows-patients-urge-ottawa-to-regulate-magic-mushrooms-1.6225093 (consulté le 14 octobre 2024).
[lvi] Voir aussi https://revuelespritlibre.org/decriminalisation-des-drogues-portugal-et-canada-aux-antipodes
[lvii] DM Tripson, The Magic Mushroom User’s Guide: The Psilocybin Handbook for Safe and Ceremonial Use of Psychedelic Mushrooms. A Practical and Sacred Journey for the Awakening of Consciousness, autopublié, p. 53.
[lxxi] « Everything is consciousness and the reality your experience is only the result of your state of consciousness […] Personality is a temporary construction that we use to have experience on the physical plane. », Op. Cit., note 53, p.156
[lxxv] « As long as you are convinced that the cause of any of your problems us external to you, I strongly urge you to consider doing basic schological work, only after will you be ready for the use of entheogenics » Op. Cit., note 53, p.217
[lxxxi] « Ceremonies without a shaman are partly but also an evolution towards the creation of a group of people who are the service of each other, empathetic, attentive, connected, and supported by a greater sense of individual and collective responsibility ». Op. Cit., note 6, 155.
[xc] « Mushrooms are simply a pill; whether it’s red or blue depends on you », Op. cit., note 6, p. 216.
[xci] Op. cit., note 6, 135-136. Voir aussi : Jeremy Narby, Intelligence in Nature : An Inquiry into Knowledge (New York: Jeremy P. Tarcher/Penguin, 2005).
LETTRE OUVERTE / Maude Desbois, Chargée des communications à Mères au front
Alors qu’en ce moment même sont détenus par la Sûreté du Québec deux activistes environnementalistes qui ont pris part à l’action de désobéissance civile entreprise sur le pont Jacques-Cartier à Montréal le 22 octobre par Last génération Canada et le collectif Antigone, la lutte se poursuit et nous demeurons plus solidaires que jamais. Nous ne pouvons accepter la criminalisation des militant·es non violent·es qui agissent dans le but de protéger l’environnement et de faire bouger nos gouvernements. Il s’agit d’une répression sans précédent au Québec qui est totalement inacceptable.
Alors qu’en ce moment même sont détenus par la Sûreté du Québec deux activistes environnementalistes qui ont pris part à l’action de désobéissance civile entreprise sur le pont Jacques-Cartier à Montréal le 22 octobre
Combien de trains manqués cela prendra-t-il à nos dirigeant·es avant qu’ils ne se décident à embarquer? Combien de communautés abandonnées au nom de l’économie? Combien de zones sacrifiées au nom de la croissance et de notre dépendance à la consommation?
Plus de dix jours déjà depuis que des artistes, des mères au front et des militantes ont immobilisé un train sur le site de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda de manière totalement pacifique, en se couchant à l’endroit qui est fort probablement l’un des plus contaminés du site, mettant ainsi leur santé à risque.
Le dimanche 13 octobre 2024, ces femmes sont montées au front afin de manifester pour l’accès à un droit fondamental : celui d’exister sans craindre pour leur vie et celle de leurs enfants. Celui de vivre dans un environnement sain qui ne respire pas l’auto-destruction provoquée par une multinationale multimilliardaire, soutenue par notre propre gouvernement. Pour cela, elles se sont étendues sous l’un des wagons par lesquels arrivent les intrants toxiques en provenance de différents pays pour être transformés à la Fonderie Horne; des photos de leurs enfants et de leurs petits-enfants posées sur leur cœur, silencieuses, afin de rappeler pour qui elles luttent et la raison de leur présence à Rouyn-Noranda ce jour-là.
Encore aujourd’hui en 2024, alors que nous vivons une crise socio-environnementale sans précédent, le gouvernement accepte de sacrifier des populations à proximité d’usines, de mines, d’industries, en mettant sur le dos de l’économie du Québec la nécessité d’octroyer à ces multinationales des permis de polluer, de détruire le territoire, mettant à risque la survie des écosystèmes en plus de la santé des communautés. Bon nombre de ces usines sont situées dans des milieux où vivent des gens avec leurs familles. C’est le cas notamment à Montréal, Québec, Saguenay, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et, bien entendu, Rouyn-Noranda.
Comment se fait-il que la population, malgré les dangers qui ne sont plus à prouver, se retrouve à devoir lutter afin d’être protégée d’un géant nommé Glencore? Cela fait des années que les Mères au front et plusieurs autres groupes se mobilisent afin d’exiger le respect des normes. Le mouvement a financé ses propres analyses de neige et manifesté à de multiples reprises, sans compter les rencontres avec nos dirigeants qui ont gentiment souri et pris des notes. Rappelons aussi qu’il n’y a actuellement aucun échéancier imposé à la Fonderie Horne pour l’atteinte de la norme provinciale de 3 ng d’arsenic par mètre cube d’air.
On se retrouve à payer de la santé de la population, de notre système de santé qui doit soigner les personnes atteintes de cancers du poumon et des voies urinaires, de maladies pulmonaires chroniques, de maladies du système nerveux, et tant d’autres graves problématiques liées à la présence des contaminants tout droit sortis des cheminées de l’usine. Notre gouvernement utilise l’argent des contribuables pour financer le rehaussement technologique de la Fonderie Horne, car l’entreprise elle-même refuse de payer pour effectuer les travaux d’améliorations nécessaires à la diminution des contaminants rejetés dans l’air de Rouyn-Noranda. Le Québec paie pour les caprices d’une multinationale qui a engrangé un revenu net de 17,3 milliards en 2022, sans compter tout ce qui est caché dans des paradis fiscaux.
Vous comprendrez donc que les personnes qui vivent à Rouyn-Noranda en ont assez de se faire violenter et négliger, coincées sur un territoire pour lequel ils et elles ont un attachement et un amour profond, mêlé à beaucoup de colère et un goût amer dans la bouche, qui lui, ne provient pas uniquement des rejets d’anhydride sulfureux (SO2) de la Fonderie horne.
D’ailleurs, petite anecdote à ce sujet, alors que nous marchions vers l’usine pendant la manifestation, un goût étrange et inhabituel s’invite sur notre langue. Isabelle Fortin-Rondeau, membre du groupe Mères au front Rouyn-Noranda, attrape le micro et nous lance : « Ce goût dans votre bouche, c’est du dioxyde de soufre. Cadeau de la fonderie! ». Au lendemain de la marche, un graphique partagé par REVIMAT, un organisme local qui milite pour améliorer la Loi sur les mines et pour la protection de l’environnement, indique que l’indice de SO2 pendant la marche montrait un pic grimpant à toute allure d’un niveau « acceptable » à « mauvais ». Selon l’American Lung Association, « le dioxyde de soufre provoque une série d’effets nocifs sur les poumons. Il peut également se transformer chimiquement en particules de sulfate dans l’atmosphère, qui constituent une part importante de la pollution par les particules fines, qui peuvent être emportées à des centaines de kilomètres. » Les personnes qui vivent et travaillent à proximité de ces grandes sources sont évidemment les plus exposées au SO2 et à ses impacts. Apparemment, la Fonderie aime bien gratifier les militant·es d’une bonne bouffée d’air frais lors des manifestations.
Chaque étape de la marche, ponctuée de prises de paroles, de performances artistiques, de témoignages, a ramené l’indignation et la colère au fond de nos ventres. L’envie de scander « Assez, c’est assez! » nous venait tout naturellement.
Les artistes venu·es en solidarité, à la demande des Mères au front de Rouyn-Noranda qui n’en peuvent plus d’appeler à l’aide, se sont plongé·es dans une grande vulnérabilité par leur performance. Arrachant bout par bout les vêtements qui recouvraient leurs corps, Ève Landry, Anaïs Barbeau-Lavalette, Steve Gagnon, Véronique Côté et Laure Waridel, ont dévoilé tour à tour les parties peintes en noir, symboliquement « malades » avec, en trame de fond, les mots de Véronique Côté. « Ta ville est une zone sacrifiée. Ton corps est une zone sacrifiée. Tes enfants sont une zone sacrifiée. » Une vulnérabilité et un courage qu’il faut savoir porter pour revendiquer et tenter d’attirer l’attention sur le nœud du problème.
Alors je me permettrai de répéter ici, en fin de récit, ces mêmes questions.
Combien de trains manqués cela prendra-t-il à nos dirigeant·es avant qu’ils ne se décident à embarquer? Combien de communautés abandonnées au nom de l’économie? Combien de zones sacrifiées au nom de la croissance et de notre dépendance à la consommation?
Le respect des normes québécoises sur les contaminants, c’est tout ce qu’on vous demande.
Nous sommes près de 9000 Mères au front au Québec qui luttons chaque jour pour faire entendre les voix éteintes, les voix inaudibles, tues et ignorées. Soyez avisé·es, « Il ne sera pas question de se fermer la gueule. »*
* Phrase tirée du livre « Arsenic mon amour », co-écrit par Gabrielle Izaguirré Falardeau et Jean-Lou David, aux éditions du Quartz.
Rappelons que l’autorisation ministérielle entérinée en 2023 demeure largement insatisfaisante, permettant toujours à la Fonderie Horne de rejeter dans l’air de Rouyn-Noranda des quantités allant jusqu’à 15 fois la norme nationale sur l’arsenic, celle-ci étant établie à 3 ng/m3. Selon ladite entente, la Fonderie Horne est seulement tenue à graduellement diminuer les émissions à 15 ng/m3 (soit 5 fois la norme), avant de présenter un éventuel plan. Pour permettre l’obtention de métaux critiques, le gouvernement québécois accepte d’exposer la population à des taux d’arsenic qu’il sait lui-même être dangereux.
Depuis des années, la population de Rouyn-Noranda est exposée à de l’arsenic, du plomb, du cadmium, du nickel, du cuivre et du dioxyde de soufre à des taux beaucoup plus élevés que partout ailleurs au Québec. Au moins 25 contaminants sont mesurés dans l’air, l’eau, la neige ou les sols des environs. Plusieurs de ces contaminants sont des cancérigènes et des neurotoxiques sans seuil, ce qui signifie qu’ils entraînent des risques quelle que soit la dose. Les normes sont déjà un compromis.
par Missila Izza, Candidate au doctorat en science politique, Université de Montréal
Christian Rioux s’allie dans sa chronique de lundi le 8 juillet aux éléments de langage des commentateurs des plateaux français dont l’analyse se bute plus souvent que l’inverse au mur du réel. Bon nombre de chroniqueurs et d’analystes politiques bien établis étaient persuadés que le Rassemblement National arriverait au pouvoir le 7 juillet, et ce, appuyé des seuls sondages qu’ils voulaient bien entendre. Le scénario opposé était pourtant souligné comme bien plus probable par certains experts, dontBrice Teinturier, Directeur général délégué d’Ipsos. Comment expliquer cet échec d’analyse ?
Tisser la toile
Pour ce qui est de la petite chanson de l’alliance « contre nature », le « front républicain » permet dans les faits de rassembler les voix d’électeurs de toutes les couleurs politiques pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir. Cette opération a permis d’éviter l’accession à la présidence du négationniste et tortionnaire de l’OAS, Jean-Marie Le Pen, puis à deux reprises celle Marine Le Pen, qui a consacré sa vie à refaire une beauté marketing au Front National, renommé Rassemblement National. L’exemple choisi par Rioux pour illustrer « l’alliance contre-nature » est qu’Edouard Philippe, de centre-droit, a voté communiste dans sa circonscription. Horreur ! Pas du tout en fait, puisque c’est exactement comme cela que fonctionne le front républicain : voter de façon stratégique pour le candidat qui n’est pas fasciste. Alors, la complainte selon laquelle « le portrait qu’offre cette nouvelle Assemblée est à l’opposé de celui que dessinent les suffrages exprimés » est entièrement fausse.
Avant le deuxième tour des législatives dans les circonscriptions où personne n’a obtenu la majorité nécessaire, bon nombre de candidats en troisième position se sont désistés pour permettre au candidat faisant face au RN d’obtenir ses voix. Nombre d’électeurs ont donc dû voter pour des candidats ne correspondant pas à leur choix du premier tour, comme 70% des électeurs de gauche qui ont voté pour Les Républicains (droite) dans des duels avec le RN. Il est donc malhonnête de comparer les résultats finaux du RN en comptant séparément les voix obtenues par la gauche, le centre et la droite pour défendre que le parti d’extrême-droite aurait dû l’emporter, comme le fait Christian Rioux qui est censé connaître ces notions électorales de base.
La gauche a obtenu moins de voix absolues au second tour car c’est la formation politique qui a opéré le plus de désistements pour permettre de battre l’extrême-droite. Malhonnêteté ou incompétence ? Le journaliste a qualifié le chiffre de 10,1 millions de voix pour le RN de progression « avec l’apport de voix propres et non d’alliances circonstancielles », ce qui est encore faux puisque le chiffre réel est 8,7 millions. Les résultats finaux de l’élection législative sont clairs : l’écrasante majorité des Français n’a pas voté pour l’extrême-droite, et cela sans même compter les abstentions au nombre le plus faible depuis 1981.
Tomber le masque
Que veut Christian Rioux ? Certainement pas la gauche au pouvoir. Il s’affole que le programme du Nouveau Front Populaire (quelques paragraphes après avoir prétendu qu’il n’existait pas) « plongerait dans un chaos indescriptible» la France. Rioux se permet d’omettre que le programme du NFP est le seul qui soit entièrement chiffré et que 300 économistes, y compris la prix Nobel d’économie 2019, Esther Duflo, le soutiennent. Il ajoute ensuite que l’« arrivée d’un premier ministre comme Jean-Luc Mélenchon apparaîtrait comme un coup fatal », affirmation basée sur rien, mais qui néglige surtout d’informer le lectorat que l’union de la gauche était à ce moment précis en pourparlers sur la composition du gouvernement1Depuis la publication de la chronique de Rioux, le Nouveau Front Populaire a donné le nom de Lucie Castets pour qu’elle soit désignée première ministre. Le président, Emmanuel Macron, a largement ignoré ce fait et a décrété une « trêve olympique » lors de laquelle le gouvernement démissionnaire gouverne.. Pourquoi ? Parce que le criaillement que Rioux imite est celui qui participe à la démonisation d’un mouvement politique. Aucune distance.
À la fin de sa chronique, le masque tombe. Il joue à ce que Gabriel Attal appelle « sujet, verbe, immigration » en disant qu’« immigration » et « insécurité » « figurent à peine dans les programmes du centre et de la gauche. » Si le mot « insécurité » est absent du programme des vainqueurs, ce n’est pas, comme le sous-entend Rioux, qu’il n’y a aucune mesure pour assurer l’intégrité physique des individus. La gauche préfère les termes « sûreté, sécurité et justice », à l« insécurité », connotée à droite, voire à l’extrême droite. Le Nouveau Front Populaire propose par exemple, le rétablissement de la police de proximité, ce qui a tendance à baisser la criminalité avec moins de violence- au grand dam de l’extrême-droite dont c’est la partie préférée.
Le terme immigration est bel et bien présent dans le programme du NFP : pour abroger les lois asile et immigration (considérées comme victoire idéologique de l’extrême-droite), pour la création de voies légales et sécurisées d’immigration, ainsi que pour réviser un pacte européen pour un accueil digne des migrants. Christian Rioux n’a-t-il pas lu ce programme ou est-il en fait déçu ? Évitons de faire semblant que Rioux ne fait pas un lien direct entre « insécurité » et « immigration ». La gauche a en effet le défaut, dans le regard des fascistes et des racistes, de ne pas prendre les immigrants comme l’épouvantail de tous les maux du monde. Du côté du RN, c’est à se demander si, en enlevant le mot « immigration » de son programme, il ne resterait pas que les images.
Monsieur Rioux ose même mettre le terme d’extrême-droite entre guillemets pour cette chronique où il étale sa panique face à sa défaite. Quand il dit de façon péremptoire que « les idées du RN n’ont jamais été aussi populaires », peut-être veut-il dire qu’elles n’ont jamais été aussi populaires avec lui.
Rioux verse aussi dans le conspirationnisme en sortant de nulle part l’idée selon laquelle le Rassemblement National « n’a toujours pas le droit de s’approcher du pouvoir. » Le droit ? Croit-il qu’au Québec les idées d’extrême-droite sont normalisées au point de laisser passer ce genre d’insinuations de trucage ou d’injustice envers une formation politique championne de l’exclusion ? Tout cela pour défendre une formation fasciste qui a investi au moins 106 candidats ayant été pris en flagrant délit de haine tombant sous le coup de la loi ou de complotisme, incluant une en casquette de la Luftwaffe ou un autre qui attaque une ancienne ministre de l’Éducation en disant qu’elle n’aurait pas dû accéder à ces fonctions parce que binationale franco-marocaine. Soyons bien clairs : ces gens sont des fascistes. Ils veulent hiérarchiser les citoyens selon leurs origines, retirer des nationalités arbitrairement et déporter des êtres humains. Le livre de chevet de Marine Le Pen, Camp des Saints, est basé sur l’idée suivante : « L’incompatibilité des races lorsqu’elles se partagent un même milieu ambiant. »
Alors quand, en parlant de la déconfiture électorale du Rassemblement National, Christian Rioux nous dit « tout cela n’est peut-être que partie remise », j’hallucine. Comment ce coming-out d’extrême-droite se retrouve-t-il dans les pages du Devoir ? Force est de constater que Christian Rioux est devenu une courroie de transmission de la normalisation des idées du Rassemblement National au Québec. La question qui se pose est celle de la responsabilité de donner une telle tribune dans un des plus grands quotidiens du Québec à un homme qui a désormais renoncé au journalisme au profit de l’extrême-droite.
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Depuis la publication de la chronique de Rioux, le Nouveau Front Populaire a donné le nom de Lucie Castets pour qu’elle soit désignée première ministre. Le président, Emmanuel Macron, a largement ignoré ce fait et a décrété une « trêve olympique » lors de laquelle le gouvernement démissionnaire gouverne.