Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
Les alliances entre politiciens, hommes d’affaires et criminels continuent de renforcer la présence paramilitaire en Colombie, garantissant les intérêts d’accumulation et de contrôle territorial. De plus, les processus relatifs à la justice et à la réconciliation sont entrepris dans des pays étrangers. Cela reflète bien la nature du régime politique colombien.
Deux cas récents le confirment : devant un tribunal américain, la multinationale Chiquita Brands est enfin tenue d’indemniser un groupe de victimes (des milliers d’autres sont encore à venir) pour le financement par la multinationale de groupes paramilitaires. Il convient de noter qu’il s’agit d’un cas spécifique, mais que la liste des entreprises qui ont agi de la sorte et qui en ont également bénéficié est assez longue. Parallèlement, en faisant usage de la compétence universelle en Argentine, un groupe de victimes d’exécutions extrajudiciaires (falsos positivos ou faux positifs), des civils tués par l’armée et présentés comme des victimes de combat, avancent dans leur procès contre l’ancien président Álvaro Uribe pour sa responsabilité dans cette affaire.
Cela démontre la nature d’un État qui marche sur les épaules de l’impunité pour survivre, d’un ordre du mal institutionnalisé dirigé par une alliance perverse entre les élites politiques, criminelles, militaires et commerciales qui ont reconfiguré l’État à leur profit, au sein duquel le paramilitarisme continue de jouer un rôle central.
Qu’est-ce que le paramilitarisme?
Le paramilitarisme est un phénomène complexe qui a une longue histoire en Colombie, profondément ancré dans la politique de l’État et soutenu par des intérêts commerciaux.
Plutôt que d’être de simples groupes armés illégaux, les paramilitaires agissent effectivement comme un « État de facto » dans certaines régions, contrôlant le territoire, les ressources et exerçant une influence sur les communautés1Gearoid Ó Loingsigh, « Chiquita, las multinacionales y el baño de sangre en Colombia », 17 juin 2024. Récupéré au https://www.elsalmon.com.co/2024/06/chiquita-las-multinacionales-y-el-bano.html (Consulté le 8 octobre 2024).
Le paramilitarisme en tant que tel est apparu en Colombie dans les années 1960, sous l’impulsion de la doctrine de sécurité nationale des États-Unis pendant la guerre froide. Les États-Unis, préoccupés par la propagation du communisme, ont encouragé la formation de groupes paramilitaires pour contrer toute sympathie ou tout soutien aux mouvements de gauche2Javier Giraldo, « Los manuales de contrainsurgencia que dan forma al paramilitarismo siguen vigentes: Javier Giraldo », 28 avril 2024. Récupéré au https://kavilando.org/lineas-kavilando/conflicto-social-y-paz/9857-los-manuales-de-contrainsurgencia-que-dan-forma-al-paramilitarismo-siguen-vigentes-javier-giraldo (Consulté le 8 octobre 2024).
Contrairement au récit officiel qui le présente comme une réaction de groupes privés à la guérilla, le paramilitarisme a bénéficié de la complicité et du soutien de l’État colombien depuis ses débuts. Le gouvernement colombien, suivant les directives américaines, a publié des décrets et des lois légalisant la livraison d’armes à des groupes civils et la formation de groupes armés en collaboration avec l’armée3José Fernando Valencia Grajales, Juan Jacobo Agudelo Galeano, Alfonso Insuasty Rodríguez (2016). Elementos para una genealogía del paramilitarismo en Medellín, historia y contexto de la ruptura y continuidad del fenómeno (II). Medellín: Kavilando..
Il existe une relation directe entre le modèle économique et la dépossession violente des terres, des biens, des richesses et des ressources. De même, il existe aussi une relation entre ce modèle et les méthodes coloniales recyclées par le néolibéralisme, les méthodes barbares qui violent les droits des peuples. Or, les pays développés, l’Occident, ont appliqué ces méthodes dans tout le Sud mondial et en particulier dans toute notre Amérique.
Cependant, outre le soutien de l’État à cette argumentation, plusieurs entreprises, y compris des multinationales et de grandes entreprises nationales, ont été accusées de financer des groupes paramilitaires pour protéger leurs intérêts économiques et réprimer les syndicats et les organisations sociales qui défendent et revendiquent les droits du travail et de l’environnement.
Malgré les efforts déployés pour démanteler le paramilitarisme, comme le processus Justice et Paix du gouvernement Uribe (2005), et, plus tard, l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) (2016), ces groupes ont démontré une grande capacité d’adaptation et de réorganisation. Cette situation qui développe des questions liées au suivi et au démantèlement du phénomène paramilitaire parmi les points convenus6Op. cit., note 2.
Des groupes tels que le Clan del Golfo (AGC), héritiers du paramilitarisme, ont cherché à se réinventer au cours de la dernière décennie, en adoptant de nouveaux noms, en cherchant une reconnaissance politique et en participant à des pourparlers de paix. Toutefois, leurs activités criminelles se poursuivent, et donc la violence paramilitaire se perpétue de manière intense et étendue en Colombie.
Aujourd’hui, les paramilitaires utilisent la violence et l’intimidation pour contrôler les communautés et consolider leur pouvoir. Outre les massacres, les assassinats sélectifs et les déplacements forcés, ils ont également recours aujourd’hui à la cooptation des juntes d’action communautaire (Juntas de Acción Comunal), à la création d’organisations sociales de façade et à la réalisation de travaux publics pour obtenir un soutien social et une légitimité7Camilo Alzate González, « El plan del Clan del Golfo para copar el sur de Bolívar y exigir reconocimiento político », 9 juin 2024. Récupéré au https://www.revistaraya.com/el-plan-del-clan-del-golfo-para-copar-el-sur-de-bolivar-y-exigir-reconocimiento-politico.html (Consulté le 8 octobre 2024), tirant ainsi les leçons des insurrections dérivées du passage des anciens combattants d’un groupe à l’autre. En définitive, ils sont aujourd’hui à nouveau à la recherche d’une reconnaissance politique qui, d’une part, dissimule leurs véritables intérêts et, d’autre part, leur permet de négocier avec l’État l’impunité et le blanchiment de leurs richesses accumulées au fil des décennies.
Influence de la doctrine américaine en matière de sécurité
La doctrine américaine en matière de sécurité est directement liée au paramilitarisme en Colombie. En 1962, une mission de l’armée américaine dirigée par le général William Yarborough s’est rendue en Colombie et a laissé des documents secrets ordonnant l’organisation de groupes mixtes civils militaires pour éliminer les sympathisants communistes8Op. cit., note 2. Ces groupes mixtes, armés par l’État colombien au service des États-Unis, sont à l’origine du paramilitarisme en Colombie9Op. cit., note 7. Les États-Unis ont imposé l’organisation de groupes mixtes civils et militaires en Colombie en 1962 et ont envoyé des manuels de contre-insurrection, comme le livre de Roger Trinquier Modern Warfare, qui a inspiré l’armée colombienne pour lutter contre le communisme10Op. cit., note 2.
Dans ce contexte, le président colombien Guillermo León Valencia a promulgué le décret 3398 en 1965, autorisant la remise d’armes aux civils et la formation de groupes civils armés, établissant ainsi une base juridique pour le paramilitarisme sous l’influence de la doctrine de sécurité américaine11Op. cit., note 7..
Selon Giraldo12Op. cit., note 2, les manuels de contre-insurrection sont toujours utilisés et servent à justifier l’élimination de « l’ennemi intérieur ».
Entreprises nationales et multinationales
Les entreprises multinationales ont joué un rôle primordial dans le conflit colombien en finançant les groupes paramilitaires. Bien que cette relation ait été documentée dans différents rapports officiels et non gouvernementaux, ce phénomène reste une vérité non résolue qui doit être abordée afin d’éviter la répétition des cycles de violence13José Fernando Valencia Grajales & Alfonso Insuasty Rodríguez, « Multinacionales y dictaduras en Nuestra América », 24 mars 2024. Récupéré au https://contrahegemoniaweb:https://contrahegemoniaweb.com.ar/2024/03/24/multinacionales-y-dictaduras-en-nuestra-america/ (Consulté le 8 octobre 2024).
Nous pouvons citer quelques exemples parmi tant d’autres de cette relation entre les intérêts commerciaux, qui ont profité des groupes paramilitaires et les ont même directement soutenus afin d’accumuler des terres et de réaliser des profits :
Tableau : liste de quelques entreprises impliquées ou condamnées pour avoir soutenu directement des groupes paramilitaires en Colombie.
Entreprise
Description du soutien paramilitaire
Chiquita
A admis avoir donné 1,7 million de dollars aux Autodéfenses unies de Colombie (AUC) entre 1997 et 2004. Condamnée à verser 38 millions de dollars aux familles des victimes et à permettre le transport d’armes pour les AUC.
BP (British Petroleum)
Elle a reconnu avoir financé la Brigade de l’Armée XVI, affirmant que c’était légal à l’époque.
Sociétés minières
Elles ont encouragé la guerre contre les communautés du sud de Bolivar, en finançant des activités paramilitaires pour protéger leurs intérêts économiques.
Des allégations de financement de groupes paramilitaires ont été formulées à l’encontre de ces entreprises, bien qu’elles n’aient pas encore été entièrement étayées15Tribunal Permanente de los Pueblos. (18 de marzo de 2008). Tribunal Permanente de los Pueblos, empresas transnacionales y derechos de los pueblos en Colombia (2006-2008) . Obtenido de Tribunal Permanente de los Pueblos. Récupéré au https://permanentpeoplestribunal.org/wp-content/uploads/2006/04/Colombia_V_TPP_Es.pdf (Consulté le 8 octobre 2024).
Alias HH, un ancien chef paramilitaire, a avoué que l’entreprise livrait des boissons et de l’argent aux paramilitaires en échange de leur sécurité17Op. cit., note 6..
Fedegan (Fédération nationale des éleveurs de bovins)
Elle faisait partie de la structure du bloc Catatumbo, utilisant son pouvoir économique pour atteindre des objectifs criminels. Entre 1994 et 1998, Vicente et Carlos Castaño Gil, anciens commandants en chef des AUC, et le Fonds de bétail de Córdoba ont dépossédé 130 familles paysannes de plus de 105 parcelles de terre dans la région de Tulapas.
Élaboration propre à partir des sources dûment répertoriées dans la dernière colonne.
La protection du paramilitaire par le gouvernement Uribe
Javier Giraldo19Op. cit., note 6. a souligné que l’administration d’Álvaro Uribe a utilisé diverses stratégies pour dissimuler la responsabilité de l’État dans le paramilitarisme et permettre sa reconfiguration. Giraldo affirme qu’Uribe a organisé des « démobilisations » de groupes paramilitaires qui étaient en réalité de faux paramilitaires recrutés et revêtus de nouveaux uniformes. La Fiscalía, complice de ce système, a enquêté sur les «combattants démobilisés » sous leurs pseudonymes non enregistrés, ce qui leur a permis de paraître innocents et d’échapper aux poursuites.
Réseaux d’informateurs : Uribe a créé des réseaux d’informateurs rémunérés pour fournir une façade légale aux paramilitaires démobilisés.
Des entreprises comme façades : des entreprises, telles que des entreprises de palmiers à huile, ont été créées pour employer d’anciens paramilitaires.
Lois d’amnistie : des lois ont été adoptées, comme la loi 782, qui amnistie les paramilitaires non identifiés, leur permettant de rejoindre des entreprises et des réseaux d’informateurs.
Justice et paix : la loi Justice et paix (975) offre aux chefs paramilitaires des réductions de peine et des procédures judiciaires plus souples.
Extradition vers les États-Unis : lorsque les paramilitaires ont commencé à révéler leurs liens avec l’État, Uribe les a extradés vers les États-Unis.
Giraldo affirme que ces stratégies ont consolidé un « nouveau paramilitarisme », d’apparence légale, financé par le trafic de drogue et avec la coopération déguisée de l’État20Op. cit., note 2.
À ce stade, il est important d’approfondir le rôle du trafic de drogue, qui est important dans la croissance et le renforcement des groupes paramilitaires en Colombie et leur permet aujourd’hui de progresser et de se repositionner, et d’étudier plus en profondeur le rôle des États-Unis, par l’intermédiaire de la Drug Enforcement Administration (DEA), dans ce processus d’expansion et d’accords clandestins. Ces groupes, il est important de le souligner, ont réussi à devenir une puissance nationale grâce au financement du trafic de drogue, une réalité connue du gouvernement américain21National Security Archive, « La inteligencia estadounidense incluyó al presidente colombiano Uribe entre los narcotraficantes importantes en 1991 », 1er août 2004. Récupéré au https://nsarchive2.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB131/index.htm (Consulté le 8 octobre 2024) National Security Archive, « Se revela la lista negra de Jimmy Carter en Colombia », 15 avril 2024. Récupéré au https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/colombia/2024-04-15/jimmy-carters-colombia-blacklist-revealed (Consulté le 8 octobre 2024). Cette relation leur a permis de se consolider économiquement, en articulant des actions en faveur de la classe politique régionale par le biais de pots-de-vin, de contributions importantes aux campagnes électorales, de l’accès à des contrats, entre autres.
La relation entre le paramilitarisme et l’État colombien a évolué depuis la formalisation des groupes paramilitaires dans les années 1960 jusqu’à la reconfiguration sous le gouvernement Uribe. Ainsi, malgré les efforts de démobilisation, les groupes paramilitaires se sont adaptés et continuent d’agir en toute impunité, consolidant un nouveau paramilitarisme d’apparence légal et financé par le trafic de drogue.
Dans la communauté de paix de San José de Apartadó, par exemple, le Clan del Golfo a pris le contrôle après la démobilisation des FARC, agissant en toute impunité et avec une coopération déguisée de l’État. Il en va de même pour les municipalités de Urabá, Chocó, Santander, Sierra Nevada de Santa Marta, Sur de Bolívar.
Alors que cette chronique était en cours de rédaction, un rapport des services de renseignement militaire a été rendu public et révèle des faits inquiétants qui confirment ce que nous avançons ici.
Le rapport des services de renseignement militaire a révélé récemment, le 7 juillet 2024, que le Clan del Golfo met en œuvre un plan d’expansion dans la région d’Antioquia, plus précisément dans l’est d’Antioquia. Ce groupe criminel a réussi à établir une structure armée dans la région, avec une hiérarchie de commandants comprenant des membres démobilisés des anciennes Autodefensas del Magdalena Medio, en particulier des membres du Clan Isaza. Cette structure armée du Clan del Golfo est chargée de surveiller des zones stratégiques telles que les canyons de Melcocho, Samaná et Arma, utilisés pour la culture de la feuille de coca et l’exploitation minière illégale. En outre, ils contrôlent les franges limitrophes de Grenade avec San Luis et San Carlos, ainsi que les couloirs de mobilité qui relient San Rafael et San Carlos au nord, au nord-est et au Magdalena Medio.
L’expansion du clan du Golfe dans l’est d’Antioquia et dans d’autres régions du pays serait financée par des trafiquants de drogue et des hommes d’affaires. Lors d’un sommet de la mafia à Magdalena Medio, plus d’un million de dollars provenant de ces secteurs auraient été injectés pour soutenir le plan d’expansion criminelle du Clan del Golfo.
Ces rapports confirment la présence de commandos armés dans les villages ruraux de la Grenade au cours des derniers mois, ce qui a entraîné le déplacement de villageois en raison des intimidations et des violences commises par le Clan del Golfo. Il convient de noter que cette organisation criminelle a réussi à mettre en place une structure de commandement composée d’anciens paramilitaires démobilisés, ce qui lui confère une expérience et une connaissance des opérations armées et des stratégies de contrôle territorial.
Le rapport des services de renseignement militaire met en évidence l’expansion et la consolidation inquiétantes du Clan del Golfo dans l’est d’Antioquia, avec une structure armée qui cherche à contrôler des territoires stratégiques pour des activités illicites telles que le trafic de drogue et l’exploitation minière illégale, générant un climat d’insécurité et de violence dans la région22Señal Investigativa, « Falso testigo de Uribe comanda expansión de Clan del Golfo en Antioquia: informe de inteligencia militar », 2024. Récupéré au https://revistaraya.com/falso-testigo-de-uribe-comanda-expansion-de-clan-del-golfo-en-antioquia-informe-de-inteligencia-militar?s=08 (Consulté le 8 octobre 2024).
Conséquences sociales et culturelles
Ces alliances nt eu des répercussions sur la société colombienne, générant violence, assassinats, disparitions et déplacements forcés. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent l’impunité et l’absence de justice dans les cas de violence paramilitaire. En outre, le paramilitarisme a coopté les communautés et les organisations sociales, pénétré les institutions de l’État et les a reconfigurées pour répondre aux besoins des élites économiques, politiques, militaires et criminelles à fort impact23Alfonso Insuasty, « ¿De qué hablamos cuando nos referimos al paramilitarismo? » El Ágora USB, 2017, 338-352.. Il a également fortement influencé la mentalité de toute une génération et de nombreuses communautés en la teintant de « cupidité », de tromperie et d’intérêt personnel. La mentalité du paramilitarisme est fondée sur la recherche de ressources économiques, favorisant une culture de la consommation et de la banalité, ainsi qu’une position encline à l’autoritarisme, à l’exclusion et au racisme. C’est ce que Vega Cantor a défini comme la « cultura traqueta », une culture de tueurs à gages, une mentalité dont il sera difficile de se défaire24Renan Vega Cantor, « La formación de una cultura «traqueta» en Colombia », 28 février 2014. Récupéré au https://rebelion.org/la-formacion-de-una-cultura-traqueta-en-colombia/ (Consulté le 8 octobre 2024).
L’administration de Gustavo Petro a reconnu l’existence d’un « État de facto» en Colombie, dans lequel le paramilitarisme joue un rôle important. Cependant, l’éradication du paramilitarisme nécessite un changement profond de l’idéologie des forces de sécurité, renforçant l’idée d’honneur et de souveraineté, une approche de la justice centrée sur la vérité totale, l’accès aux droits, des opportunités et une transformation culturelle soutenue.
José Fernando Valencia Grajales, Juan Jacobo Agudelo Galeano, Alfonso Insuasty Rodríguez (2016). Elementos para una genealogía del paramilitarismo en Medellín, historia y contexto de la ruptura y continuidad del fenómeno (II). Medellín: Kavilando.
Tribunal Permanente de los Pueblos. (18 de marzo de 2008). Tribunal Permanente de los Pueblos, empresas transnacionales y derechos de los pueblos en Colombia (2006-2008) . Obtenido de Tribunal Permanente de los Pueblos. Récupéré au https://permanentpeoplestribunal.org/wp-content/uploads/2006/04/Colombia_V_TPP_Es.pdf (Consulté le 8 octobre 2024)
Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
Cet article fournit quelques éléments d’analyse des relations officieuses entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, de la manière dont les entreprises en ont tiré profit, des faits mis en lumière par les commissions de vérité, des répercussions sur les populations et l’environnement et de ce qui subsiste de nos jours de ces alliances. Depuis des décennies, l’Amérique latine est le théâtre d’interactions complexes entre multinationales et régimes dictatoriaux. Ces relations mutuellement bénéfiques ont suscité nombre de controverses et ont laissé des plaies encore ouvertes dans la région. Cet article fournit quelques éléments d’analyse des relations officieuses entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, de la manière dont ces dernières en ont profité, les faits mis en lumière par les commissions de vérité à ce sujet, les répercussions sur les populations et l’environnement et ce qui subsiste de nos jours des alliances entre États et multinationales. L’étude du rôle des multinationales dans les dictatures d’Amérique latine n’est pas une question de second ordre. Elle nécessite une analyse approfondie et un débat public de grande ampleur.
Les multinationales sont présentes dans la région depuis des décennies. Leur influence économique et politique est considérable et elle a fait l’objet de bon nombre de controverses. Certain·e·s affirment qu’elles ont contribué à la stabilité et au développement économique. D’autres disent qu’elles ont plutôt exacerbé les inégalités et se sont rendues complices de violations des droits de la personne. Pour comprendre ce phénomène, il est important de se pencher sur le rôle que les multinationales ont joué auprès des dictatures latino-américaines et ce qui subsiste de ces relations.
Les multinationales sont des entreprises qui mènent des activités dans plusieurs pays et qui disposent d’un grand pouvoir économique et politique. En plus de ce pouvoir, elles disposent d’un vaste réseau de filiales et d’un grand nombre d’employé·e·s. Leurs secteurs d’activités vont de l’extraction de ressources naturelles à la production et à la distribution de biens et de services. Leur présence et leurs activités dans des pays latino-américains gouvernés par des régimes dictatoriaux ont sans aucun doute eu des répercussions significatives sur l’économie et les sociétés de la région.1Carmen Amelia Coral Guerrero, Silvia Noroña, María Elena Pulgar Salazar, « La Comunidad Andina de Naciones, una apuesta por la innovación y la diversificación comercial en Ecuador », Comillas : Journal of International Relations, 2023, (27), 85-100. Récupéré sur : https://revistas.comillas.edu/index.php/internationalrelations/article/download/19391/18217 (consulté le 11 mai 2024). Sara Piedrahita Sierra, « La captura de instituciones como un fenómeno internacional », Analecta Política, 2023. Récupéré sur : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/9088527.pdf (consulté le 11 mai 2024). Monica Maria López Romero, M. M. (2021). « Relación entre geopolítica y comercio internacional de petróleo en Latinoamérica ». Récupéré sur : http://repository.uamerica.edu.co/bitstream/20.500.11839/8427/1/500210-2021-I-NIIE.pdf (consulté le 11 mai 2024).
Pendant une grande partie du XXe siècle, plusieurs pays de la région ont connu des régimes dictatoriaux, caractérisés par la répression politique, l’absence de libertés civiles et la violation systématique des droits de la personne.2Camillo Robertini, « Fiat en América Latina durante la Guerra Fría. El entramado del poder entre negocios, represión y la construcción del “Peón Latino Fiat” », Confluenze : Rivista di Studi Iberoamericani, 2023.Récupéré sur https://confluenze.unibo.it/article/view/15292 (consulté le 11 mai 2024). Martes Muñoz de Morales Romero, Vías para la responsabilidad de las multinacionales por violaciones graves de Derechos humanos, Política criminal (15), 30, 2020. Récupéré sur https://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0718-33992020000200948 (consulté le 11 mai 2024). Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un plan élaboré par les États-Unis dans le but d’imposer un modèle économique : le néolibéralisme.
Le tableau suivant montre le poids actuel des multinationales et établit que la valeur des entreprises dépasse les actifs des pays d’Amérique latine. Nous illustrons ainsi leur puissance économique et les raisons pour lesquelles les États orientent leurs politiques publiques en faveur de leur protection, dans le but apparent de garantir l’emploi, le développement et l’accès aux marchés internationaux. Cela dit, nous pouvons également constater les pressions hégémoniques exercées à l’échelle internationale, que ce soit par des entreprises arabes, nord-américaines ou chinoises.
Position
Entreprise
Valeur (Milliards de dollars)
Position
Pays
PIB/PPA 2023 (Milliards de dollars)
1
Walmart
611 289
1
Brésil
4 101 022
2
Saudi Aramco
603 651,4
2
Mexique
3 277 601
3
State Grid
530 008,8
3
Argentine
1 239 515
4
Amazon
513 983
4
Colombie
1 016 124
5
China National Petroleum
483 019,2
5
Chili
597 520
6
Sinopec Group
471 154,2
6
Pérou
548 465
7
Exxon Mobil
413 680
7
République dominicaine
273 703
8
Apple
394 328
8
Équateur
242 579
9
Shell
386 201
9
Venezuela
211 926
10
UnitedHealth Group
324 162
10
Guatemala
201 365
11
CVS Health
322 467
11
Panama
190 306
12
Trafigura Group
318 476,4
12
Costa Rica
141 527
13
China State Contruction Engineering
305 884,5
13
Bolivie
125 428
14
Berkshire Hathaway
302 089
14
Paraguay
117 349
15
Volkswagen
293 684,7
15
Uruguay
103 372
16
Uniper
288 309, 2
16
Honduras
75 030
17
Alphabet
282 836
17
El Salvador
74 505
18
McKesson
276 711
18
Nicaragua
51 022
19
Toyota Motor
274 491,4
19
Haiti
38 952
20
TotalEnergies
263 310
20
Cuba
Inconnu
21
Glencore
255 984
22
BP
248 891
Après la Seconde Guerre mondiale, de grandes entreprises américaines ont commencé à investir en Europe et au Japon, contribuant ainsi à la reconstruction de leurs économies et à l’établissement de relations commerciales internationales. Dans les années 1960 et 1970, de nombreuses entreprises multinationales se sont implantées dans des pays sous-développés ou en voie de développement. Avec l’accélération de la mondialisation au cours des dernières décennies du XXe siècle, ces entreprises ont pris d’autant plus d’expansion, diversifiant leurs activités dans un plus grand nombre de secteurs et de pays.
Depuis des décennies, l’Amérique latine est le théâtre d’interactions complexes entre multinationales et régimes dictatoriaux. Ces relations mutuellement bénéfiques ont suscité nombre de controverses et ont laissé des plaies encore ouvertes dans la région. Le tableau ci-dessus nous donne un aperçu des intérêts qui ont poussé des multinationales à participer directement, par exemple, aux actions menées par les dictatures au Brésil (1964-1985), au conflit armé supposément interne au Pérou, au conflit armé interne au Guatemala (1960-1996), à la répression menée par la dictature d’Augusto Pinochet au Chili, par celle de l’Argentine, au coup d’État au Honduras (2009), au conflit armé, aux actions du front national et à la violence politique en Colombie.3Alfonso Insuasty Rodriguez & José Fernando Valencia Grajales, « Solos no podemos », Kavilando, 2011, 2(2), 113-115. Récupéré sur https:// nbn-resolving.org/urn :nbn:de :0168-ssoar-429642 (consulté le 11 mai 2024). José Fernando Valencia-Grajales, « Gustavo Rojas Pinilla: Dictadura o presidencia: La hegemonía conservadora en contravía de la lucha popular », Ágora USB, 2014, 2017, 2018 (14) 2, 537-550. Récupéré sur https://doi.org/10.21500/issn.1657-8031 (consulté le 11 mai 2024). José Fernando Valencia Grajales, Mayda Soraya Marín Galeano & Juan Carlos Beltrán López, « Las dictaduras en América Latina y su influencia en los movimientos de derecha e izquierda desde el siglo XX », Ratio Juris, 2021, 16 (32), 17–50. Récupéré sur https://doi.org/10.24142/raju.v16n32a1 (consulté le 11 mai 2024).
Mais quelle est la nature de la relation entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, et quelles en sont les conséquences?
Les dictatures d’Amérique latine ont été soutenues par les entreprises et les multinationales, qui ont trouvé dans ces régimes un environnement favorable à leurs activités économiques et politiques, établissant des relations étroites avec les élites politiques et économiques locales et les multinationales, dans une logique de bénéfice mutuel.4Astryd Marilyn Suárez Castro, La necesidad de la implementación de una responsabilidad social corporativa en empresas multinacionales en Latinoamérica, thèse, 2020. Récupéré sur https://repositorio.usil.edu.pe/server/api/core/bitstreams/e42d9c1e-ab9c-46a9-b098-9f57fa4187eb/content (consulté le 11 mai 2024). Juan Pablo Gauna, (2021). Controversia: la revista crítica de los argentinos exiliados en México, 2020. Récupéré sur https://ri.conicet.gov.ar/handle/11336/157268 (consulté le 11 mai 2024). Roberto Pizarro Hofer, « Comentarios al “Esquema de investigación sobre relaciones de dependencia en América Latina” ». Tramas y Redes, 2020. Récupéré sur https://tramasyredes-ojs.clacso.org/ojs/index.php/tyr/article/view/98 (consulté le 11 mai 2024). Grâce à ces relations mutuellement bénéfiques, les multinationales ont, d’une part, renforcé leur puissance économique et politique, ce qui leur a permis de maintenir leur pouvoir et leur contrôle sur la société et, d’autre part, elles ont exercé une influence significative sur la prise de décision politique, en veillant à ce que ces décisions favorisent leurs intérêts et assurent des conditions favorables à leurs activités commerciales. Dans le cadre de cette collaboration, des violations flagrantes des droits de la personne ont été perpétrées et la répression s’est imposée comme pratique politique.5José Gabriel Palma & Jonathan Pincus, « América Latina y el Sudeste Asiático. Dos modelos de desarrollo, pero la misma “trampa del ingreso medio”: rentas fáciles crean élites indolentes », El trimestre económico, 2022. Récupéré sur https://www.scielo.org.mx/scielo.php?pid=S2448-718X2022000200613&script=sci_arttext (consulté le 11 mai 2024). Grace Hernández Rojas, « Planificación y desarrollo en América Latina y el Caribe », Revista Costarricense de Trabajo Social, 2023. Récupéré sur https://revista.trabajosocial.or.cr/index.php/revista/article/view/420 (consulté le 11 mai 2024).
Que disent à ce sujet les commissions de la vérité et les rapports alternatifs en Amérique latine?
Les commissions de vérité, établies dans plusieurs pays d’Amérique latine au lendemain de la tombée des dictatures, ont mis en lumière les relations entre les multinationales et les régimes autoritaires. Ces commissions ont documenté des cas de complicité d’entreprises dans des cas de violation des droits de la personne, de corruption et d’exploitation des ressources naturelles. Vous trouverez ci-bas quelques exemples.6Lina Patricia Colorado Marin & Juan David Villa Gómez, El papel de las comisiones de la verdad en los procesos de transición: aproximación a un estado de la cuestión. El Ágora USB, 2020, 20(2), 306-331. Récupéré sur https://revistas.usb.edu.co/index.php/Agora/article/view/5146 (consulté le 11 mai 2024).
Commission
Description
Commission de la vérité au Brésil
Créée en 2011 par la présidente Dilma Rousseff, cette commission a enquêté sur les crimes commis pendant la dictature militaire brésilienne (1964-1985). Même si le rapport final ne traite pas exclusivement des relations entre les multinationales et les dictatures, il souligne l’implication des entreprises dans le financement et le soutien de la répression.
Commission Vérité et Réconciliation, Pérou
Créée en 2001 après la fin du conflit armé interne au Pérou, cette commission a enquêté sur les violations des droits de la personne survenues pendant cette période. Il a mentionné l’implication des entreprises dans le financement des groupes armés et l’exploitation des ressources naturelles dans les zones touchées par les conflits.
Commission pour la clarification historique (CEH), Guatemala
Créée en 1994 après la signature des accords de paix au Guatemala, la CEH a enquêté sur les crimes commis pendant le conflit armé interne (1960-1996). L’implication des entreprises a été signalée, en particulier dans le contexte de l’exploitation des ressources naturelles et du déplacement des communautés autochtones.
Commission Vérité et Réconciliation Chili
Créée en 1990 après la fin du régime d’Augusto Pinochet, elle a enquêté sur les violations des droits de la personne commises pendant la dictature. Le rapport final fait état de la complicité de certaines entreprises, notamment dans le secteur minier, avec le régime militaire.
Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP), Argentine
Créée en 1983 après la fin du régime militaire en Argentine, elle a enquêté sur les disparitions forcées, la torture et d’autres crimes commis pendant la dictature. Son rapport fournit des renseignements sur la complicité indirecte des entreprises en ce qui a trait aux politiques économiques du régime et aux relations avec l’armée.
Commission de vérité, Colombie
Créée dans le cadre de l’Accord de paix entre les FARC-EP et l’État colombien (2016), cette commission a présenté ses conclusions le 28 juin 2022 dans un contexte particulier, puisque, même s’il met fin à une confrontation armée de plus de 50 ans, d’autres conflits de nature politique et de la violence armée persistent sur le territoire national. Ce rapport révèle le rôle joué par les multinationales et les grandes entreprises, en association avec le pouvoir politique et militaire, dans le soutien de groupes paramilitaires responsables de violations des droits de la personne et de dommages causés à l’environnement, entre autres conséquences néfastes, et ce, dans le cadre de l’accaparement des terres et de l’expansion des mégaentreprises extractivistes.
Ce ne sont là que quelques-unes des commissions de la vérité en Amérique latine et dans les Caraïbes qui se sont penchées sur les relations entre les multinationales et les dictatures dans la région. Leur travail a permis de documenter et de visibiliser cet aspect important de l’histoire récente de la région.
Et les rapports indépendants?
Les rapports indépendants seront particulièrement intéressants dans la mesure où certains d’entre eux fournissent une analyse plus approfondie de la question et révèlent un problème structurel récurrent qui nous permet d’identifier cette alliance étroite entre les multinationales, l’État, l’élite politico-économique, le soutien et la promotion des régimes autoritaires dans une alliance étroite et perverse d’avantages mutuels.
Ces rapports indépendants examinent les relations entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ils sont produits par des organisations de la société civile, des groupes de défense des droits de l’homme ou d’autres instances indépendantes. En voici quelques exemples.7Élaboré par les auteurs à partir de diverses sources officielles.
Rapport
Brève description
Rapport du groupe de travail sur les entreprises et les droits de la personne en Colombie
Ce rapport, produit par le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, examine la situation des droits de la personne en Colombie, y compris la relation entre les entreprises multinationales et les violations des droits de la personne pendant le conflit armé interne. Même s’il ne s’agit pas exactement d’une commission de vérité, elle fournit des renseignements pertinents sur le rôle des entreprises dans le contexte de la violence politique dans le pays.
Rapport de la commission pour la vérité et les biens détournés en Équateur
Cette commission, créée en Équateur en 2007, a enquêté sur des cas de corruption et de violations des droits de la personne commis sous les gouvernements précédents. Même si elle ne s’est pas concentrée exclusivement sur les relations entre les multinationales et les dictatures, son rapport final aborde les questions liées à l’implication des entreprises dans les violations des droits de la personne et la corruption des régimes autoritaires.
Rapport de la Commission de la vérité au Honduras
Cette commission, créée au Honduras en 2010, a enquêté sur les violations des droits de la personne commises lors du coup d’État de 2009 et de ses conséquences. Son rapport final fournit des renseignements sur l’implication des entreprises dans la violence politique et la répression au cours de cette période.
Rapport du groupe de travail sur les entreprises et les droits de la personne en Amérique latine et dans les Caraïbes
Ce rapport, produit par le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de la personne, examine la situation des droits de la personne dans la région, y compris les relations entre les multinationales et les dictatures dans plusieurs pays. Il fournit une analyse et des recommandations sur la manière de remédier aux effets négatifs des entreprises sur le respect des droits de la personne pendant les périodes de régimes autoritaires.
Sociétés transnationales et droits des peuples en Colombie
L’audience du Tribunal permanent des peuples tenue en Colombie portait sur le thème des entreprises transnationales et des droits des peuples pour la période qui s’étendait de 2006 à 2008. Plus de 40 entreprises transnationales qui ont profité des conflits persistants et des régimes autoritaires dans le pays ont été poursuivies en justice.
Ce ne sont là que quelques exemples de rapports indépendants qui traitent de la relation entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ces enquêtes offrent souvent un aperçu critique et approfondi du rôle des entreprises dans les violations des droits de la personne et des abus commis par les régimes autoritaires de la région.
Résultats.
Ci-bas, vous trouverez quelques-unes des conclusions que nous pouvons tirer à partir des sources susmentionnées :
Répercussions sur les droits de la personne, persécution, démobilisation.
Ces rapports officiels et indépendants soulignent, sur le plan politique, la collaboration des multinationales avec les dictatures en Amérique latine, ainsi que la répression et les violations des droits de l’homme. Ces entreprises ont souvent utilisé leur pouvoir et leurs ressources pour soutenir et tirer profit de la violence et de la répression exercées par les régimes dictatoriaux.
Ces rapports établissent également l’incidence de ces relations officieuses sur la répression, la démobilisation de syndicats, l’utilisation des forces de sécurité de l’État pour protéger les intérêts des multinationales, l’embauche de groupes paramilitaires et l’exécution extrajudiciaire de militants sociaux, de défenseurs des droits de la personne, de défenseurs des droits des peuples et des droits de l’environnement qui s’opposent à leurs pratiques préjudiciables.
Ces relations ont consolidé le système de persécution et de criminalisation des dirigeant·e·s syndicaux, des militant·e·s sociaux et de défenseur·e·s des droits de la personne qui s’opposaient à leurs intérêts. De plus, ces entreprises ont été complices de la violence et de la répression des communautés autochtones et paysannes qui résistaient à l’exploitation de leurs terres et de leurs ressources naturelles. Cette collaboration a donné lieu à de graves violations des droits de la personne qui ont mis la région à feu et à sang.8Norela Mesa Duque & Alfonso Insuasty Rodríguez, « Criminalidad corporativa y reordenamiento territorial en Urabá (Antioquia, Colombia) », Ratio Juris, UNAULA, 2021, 16(33), 595–622. Récupéré sur https://publicaciones.unaula.edu.co/index.php/ratiojuris/article/view/1243 (consulté le 11 mai 2024).
Ces rapports soulignent également les graves conséquences sur l’environnement, en l’absence de toute restriction ou de toute forme de contrôle. Ces dommages touchent les peuples et se traduisent en des effets transgénérationnels. Tous ces dégâts sociaux ont été facilités par un vide juridique qui favorise la liberté des entreprises, voire par des statuts conçus par ces mêmes entreprises et convertis en droit national, comme c’est le cas du code minier. Ces rapports soulignent également comment ces sociétés ont utilisé divers mécanismes pour échapper à leur responsabilité, comme le changement fréquent de leur raison sociale et le transfert constant de capitaux pour éviter les impôts et, enfin, le remaniement de lois en leur faveur.
Effets sur les économies des pays.
Pendant les dictatures en Amérique latine, les multinationales ont exercé une forte influence économique. L’exploitation des ressources naturelles a été l’un des principaux moyens par lesquels ces entreprises étrangères ont profité des dictatures et de l’absence de réglementation et de mesures de protection de l’environnement. Ainsi, elles ont procédé à l’extraction massive de minerais, de pétrole et d’autres ressources, sans tenir compte des conséquences pour l’environnement et les communautés locales.
De même, les actions des multinationales ont contribué au contrôle de l’économie locale, en établissant des contrats et des accords commerciaux défavorables aux pays et à leurs populations, générant une dépendance économique et minant la souveraineté nationale. Cette situation a également favorisé les inégalités sociales, les multinationales réalisant d’énormes profits alors que les communautés locales étaient marginalisées et n’avaient pas accès aux ressources essentielles.9Andrea Lluch, « Historia empresarial en América Latina: debates, perspectivas y agendas en el siglo XXI », Revista Historia Económica de América Latina. Récupéré sur https://www.audhe.org.uy/publicaciones/index.php/RHEAL/article/view/95 (consulté le 11 mai 2024). Luis Daniel Botero Arango, « Colombia y su proceso de neoliberalismo democrático autoritario », Textos y Contextos, 2021. Récupéré sur https://revistadigital.uce.edu.ec/index.php/CONTEXTOS/article/view/3313 (consulté le 11 mai 2024). Carlos Eduardo Góngora Sánchez, Políticas Extractivistas en América Latina: Reflexiones sobre La Minería de Oro en Paraguay, 2021. Récupéré sur https://dspace.unila.edu.br/items/eee57529-104e-40e4-a0d6-13f5dceb3b80 (consulté le 11 mai 2024). Danilo Bartelt Dawid, Naturaleza y Conflicto: La explotación de recursos en América Latina, Madrid : Ediciones Akal, S.A., 2020. César Martins de Souza & Martha Ruffini, « Dictadura, poder estatal y grandes proyectos en regiones marginales. La Amazonia Brasileña y la Patagonia Argentina durante la década de 1960 y 1970 », Folia Histórica del Nordeste, 2022. Récupéré sur https://revistas.unne.edu.ar/index.php/fhn/article/view/5846 (consulté le 11 mai 2024). Ces entreprises étrangères ont profité de l’absence de réglementation environnementale et de la corruption des régimes autoritaires pour extraire massivement des minerais, du pétrole et d’autres ressources.
Cette exploitation a eu de graves conséquences sur l’environnement : la déforestation, la pollution des rivières et la destruction des écosystèmes. En outre, les communautés locales qui dépendaient de ces ressources ont été contraintes de migrer. Elles ont été marginalisées. Elles ont perdu leurs moyens de subsistance et leur qualité de vie s’est grandement détériorée.10Erika Barzola, E. (2023). Estrategias y resistencias locales frente al embate de una multinacional. El caso de la Asamblea Malvinas Lucha por la Vida. Religación: Revista de Ciencias Sociales y Humanidades, 2023, 8(36), 10. Récupéré sur https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/9016466.pdf (consulté le 11 mai 2024). Lilián Noelia Berardi, (2020). Análisis de la Política de Defensa y recursos naturales (2003-2019), Rosario, Argentine: Universidad Nacional de Rosario, 2020. Ana Luisa Guerrero Guerrero, Empresas transnacionales y derechos humanos: debates desde América Latina, México : Centro de Investigaciones sobre América Latina y el Caribe, 2021.
Capture de l’État
Grâce à leur pouvoir économique et à leur position privilégiée, ces entreprises ont pu influencer les politiques gouvernementales, en veillant à ce que ces politiques favorisent leurs intérêts et protègent leurs investissements. Elles ont fait pression pour la mise en œuvre de lois favorables à leurs activités commerciales, telles que l’assouplissement des réglementations en matière d’environnement et de travail, la privatisation des entreprises d’État et la suppression des barrières commerciales. Elles ont même réussi à modifier et à adapter les constitutions des pays en faveur des politiques néolibérales et du libre marché.
Ce contrôle sur les décisions politiques a eu un effet négatif sur la capacité des pays à promouvoir le bien-être social et économique de leurs citoyen·ne·s, tout en perpétuant les inégalités et en faisant obstacle au développement durable. Ces entreprises ont acquis une influence considérable sur les politiques économiques des régimes autoritaires, favorisant une mainmise des entreprises sur l’État, favorisant ainsi, sans en mesurer les coûts humains et environnementaux, l’ouverture économique, la libéralisation des marchés, et, en fin de compte, leurs intérêts.
Ces entreprises ont réalisé d’énormes profits grâce à leurs activités dans des pays gouvernés par des régimes dictatoriaux, alors que les communautés locales n’avaient pas accès aux ressources et aux services essentiels, que ce soit l’eau potable, l’éducation ou la santé. Cette situation inégalitaire a contribué à la fragmentation et aux tensions sociales qui persistent encore aujourd’hui dans certains pays de la région.
Conséquences de cette alliance officieuse
Parmi les principales conséquences sociales et économiques, citons le déplacement des communautés autochtones et paysannes, les répercussions sur l’environnement et la dégradation des écosystèmes, ainsi que la dépendance économique et l’absence de développement durable. Ces communautés ont été chassées de leurs terres ancestrales pour faire place à des projets de développement menés par des multinationales. La non-reconnaissance des droits de ces communautés et l’imposition de décisions injustes ont conduit à des conflits et à de graves violations des droits de la personne. En outre, ces déplacements ont entraîné la perte de l’identité culturelle et la marginalisation de ces communautés, qui sont privées de leurs moyens de subsistance traditionnels.11Andrés Felipe Jiménez Gaviria (2021). Eduardo Galeano dependencia y despojo en América Latina. El contexto actual de Colombia, thèse, 2021. Récupéré sur http://repository.pedagogica.edu.co/handle/20.500.12209/16392 (consulté le 11 mai 2024). Oscar Rojas Flores, « Elementos de la transición democrática en América Latina. Período 1990-2003. » Repertorio Americano, 2023. Récupéré sur https://www.revistas.una.ac.cr/index.php/repertorio/article/download/19315/29477/88267?inline=1 (consulté le 11 mai 2024). César Rodríguez Garavito & Carlos Andrés Baquero Díaz, Conflictos socioambientales en América Latina: El derecho, los pueblos indígenas y la lucha contra el extractivismo y la crisis climática, Madrid : Siglo XXI Editores, 2020. Il en résulte une plus grande concentration des richesses et un accroissement des inégalités sociales. Les multinationales réalisant d’énormes profits alors que les communautés locales peinent à satisfaire leurs besoins fondamentaux.12Renzo Ramírez Bacca, Introducción a la historia de América Latina del siglo XX, Pereira: Editorial Universidad Tecnológica de Pereira, 2020. Eduardo Basualdo, Endeudar y fugar: Un análisis de la historia económica argentina, desde Martínez de Hoz hasta Macri, Madrid : Siglo XXI Editores, 2020. Inés Nercesian, Presidentes empresarios y Estados capturados: América Latina en el siglo XXI, Buenos Aires: Editorial Teseo, 2020.
En outre, ces entreprises ont accordé des prêts à des gouvernements dictatoriaux, en plus d’investir dans les pays dirigés par ces régimes, entre autres formes de financement. Ainsi, elles ont pu maintenir un contrôle sur la région en parasitant les États. En échange de leur soutien financier, les multinationales ont obtenu des concessions et des contrats avantageux, consolidant leur domination des secteurs clés de l’économie. Cette collaboration a miné le développement d’institutions démocratiques et a contribué à la consolidation des régimes répressifs de la région.13Maria Mercedes Avalos Romero, Relaciones bilaterales entre corea del sur y paraguay: comercio, inversión y cooperación (2011-2021), thèse, 2023. Récupéré sur https://dspace.unila.edu.br/items/ebe8f6ea-50f4-4cdd-8927-fd56498c36c9 (consulté le 11 mai 2024). Oscar Rojas Flores, Op. Cit., note 13.
Elle a également eu des répercussions significatives sur l’environnement et a contribué à la dégradation de l’écosystème. L’exploitation débridée des ressources naturelles, comme l’abattage massif ou l’extraction intensive de minerais, a conduit à la déforestation, à la perte de biodiversité et à la pollution des écosystèmes aquatiques. Ces activités d’extraction irresponsables ont laissé une empreinte environnementale profonde et durable, affectant la qualité de vie des communautés locales et mettant en péril l’équilibre écologique de la région.14Maristella Svampa & Enrique Viale, El colapso ecológico ya llegó: una brújula para salir del (mal) desarrollo Buenos Aires : Siglo XXI, 2021. Gorka Razkin Lopez, Análisis multinacional de la relación entre el desarrollo económico y la degradación ambiental, thèse, 2024. Récupéré sur https://academica-e.unavarra.es/handle/2454/47340
L’une des conséquences les plus graves de cette situation est peut-être l’instauration d’une culture d’impunité et l’absence d’imputabilité. De nombreux rapports soulignent l’impunité qui entoure ces relations entre les multinationales et les dictatures, avec un manque de responsabilité à la fois pour les entreprises impliquées et pour les fonctionnaires responsables des violations des droits de la personne. Ces dynamiques contribuent à perpétuer un cycle d’injustice, permettent aux mêmes schémas de se répéter continuellement, en plus de favoriser toute une culture de corruption. Ces multinationales s’emparent aussi de l’argent et des contrats publics et s’immiscent dans la prise de mesures législatives. Ils ont aussi progressivement pris le contrôle des médias, qu’ils ont transformés en leur appareil idéologique politique par excellence.
Conclusion
Même si de nombreuses dictatures en Amérique latine ont pris fin il y a plusieurs décennies, les conséquences des alliances entre les multinationales et les régimes autoritaires se font encore sentir dans la région. Les relations officieuses et mutuellement bénéfiques entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine ont engendré une dépendance économique de ces pays à l’égard des investissements étrangers et entravé le développement durable.15Alberto Romero & Mary Analí Vera Colina, M. (2014). « Las empresas transnacionales y los países en desarrollo », Revista de la Facultad de Ciencias administrativas Universidad de Nariño (Colombia), 2014, 58-89. Récupéré de http://www.scielo.org.co/pdf/tend/v15n2/0124-8693-tend-15-02-00058.pdf (consulté le 11 mai 2024).
Les multinationales ont contrôlé l’économie locale, imposant des conditions défavorables aux pays d’accueil et en créant un fossé d’inégalité économique.16Ana Luisa Guerrero Guerrero, Op. Cit., note 12. Cette dépendance a limité la capacité de diversification économique et encouragé l’exploitation des ressources naturelles sans planification à long terme. En conséquence, les pays touchés ont été pris au piège dans un cycle de dépendance économique et d’absence de politiques favorisant un développement durable et équitable.17Abdelmalek Beddal, Latefa Mous & Virgen Maure, « Aproximación a las propuestas de Fidel Castro para el desarrollo de Cuba y de Latinoamérica en el Consejo Económico de los 21 (1959) ». América Latina en la Historia Económica, 2024, 31(1). Récupéré sur https://alhe.mora.edu.mx/index.php/ALHE/article/view/1409 (consulté le 11 mai 2024). Andrea Lluch, Op. Cit., note 11. Andrés Felipe Jiménez Gaviria, Op. Cit., note 13. Maristella Svampa & Enrique Viale, Op. Cit., note 16.
Nombre de ces entreprises continuent d’opérer en Amérique latine, tout en faisant l’objet de poursuites judiciaires et de critiques pour le rôle qu’elles ont joué pendant les périodes de régimes dictatoriaux. Il est urgent de mettre en œuvre des mesures correctives efficaces et de garantir des réparations adéquates aux victimes de violations des droits de la personne commises dans le cadre de ces alliances entre États et multinationales. Il peut s’agir de procédures judiciaires, d’une compensation financière, d’une réhabilitation psychosociale ou de garanties de non-répétition.
Les rapports attirent souvent l’attention sur la nécessité de réformer les lois et les réglementations aux niveaux national et international afin d’empêcher la complicité des entreprises dans les violations des droits de la personne et de garantir la responsabilité des entreprises. Cela peut inclure l’adoption de normes plus strictes en matière d’obligation de diligence raisonnable, la création de mécanismes de surveillance et de responsabilité, et l’application de sanctions en cas de non-respect des règles. En outre, les communautés touchées par l’exploitation et la répression continuent de lutter pour obtenir justice, réparation et protection des droits de la personne et environnementaux.
La mémoire collective de ces événements perdure dans la région, nous rappelant la nécessité d’une plus grande transparence, d’une plus grande responsabilité et d’un plus grand respect des droits de la personne et de l’environnement dans les relations entre les États et les multinationales. La vérité, la justice, la réparation et, surtout, la non-répétition dans ce cas, sont des valeurs essentielles pour construire une Amérique latine autonome, unie, diverse, digne, en harmonie avec la Pachamama, portant la proclamation des peuples selon laquelle il s’agit d’un grand territoire de paix et de protection de la vie.
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Alberto Romero & Mary Analí Vera Colina, M. (2014). « Las empresas transnacionales y los países en desarrollo », Revista de la Facultad de Ciencias administrativas Universidad de Nariño (Colombia), 2014, 58-89. Récupéré de http://www.scielo.org.co/pdf/tend/v15n2/0124-8693-tend-15-02-00058.pdf (consulté le 11 mai 2024).
16
Ana Luisa Guerrero Guerrero, Op. Cit., note 12.
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Abdelmalek Beddal, Latefa Mous & Virgen Maure, « Aproximación a las propuestas de Fidel Castro para el desarrollo de Cuba y de Latinoamérica en el Consejo Económico de los 21 (1959) ». América Latina en la Historia Económica, 2024, 31(1). Récupéré sur https://alhe.mora.edu.mx/index.php/ALHE/article/view/1409 (consulté le 11 mai 2024). Andrea Lluch, Op. Cit., note 11. Andrés Felipe Jiménez Gaviria, Op. Cit., note 13. Maristella Svampa & Enrique Viale, Op. Cit., note 16.
Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
Au fil des ans, les garanties prétendument fournies par l’ONU se sont grandement dégradées. En effet, il est inquiétant de constater que l’organisation semble dépassée, en plus d’être contrôlée par des pays puissants, et subordonnée aux impératifs d’un capital vorace qui marchandise tout. L’année 2023 a marqué le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, un document fondateur pour le monde occidental. Or, il est impératif de s’interroger sur la portée qu’il a de nos jours. Cette déclaration soi-disant universelle met de l’avant une conception de l’être humain inséparable des concepts de justice et de dignité. Elle est née des cendres de l’holocauste nazi. Évidemment, comme humanité, nous répudions ce génocide. Néanmoins et malheureusement, lorsque nous sommes aujourd’hui confrontés à des actes similaires, perpétrés contre le peuple palestinien, nous semblons en être peu indigné·e·s. Ce manque d’indignation est une caractéristique patente de la crise actuelle.
La Déclaration universelle des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU) est la pierre angulaire de la fondation de l’ONU en 1945, organisation dont la noble visée était de promouvoir la paix, la coopération entre les pays et la protection des droits fondamentaux. Au fil des ans, les garanties prétendument fournies par l’ONU se sont grandement dégradées. L’organisation semble dépassée, en plus d’être contrôlée par des pays puissants et subordonnée aux impératifs d’un capital vorace qui marchandise tout. La protection des droits de l’homme, essentielle à l’ONU, est compromise par son incapacité à relever des défis fondamentaux. Les massacres qui ont lieu impunément en Palestine, par exemple, sont la preuve de son impuissance.
Trois quarts de siècle après la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’heure est à la réflexion et à l’action collective pour que la vie et la dignité soient universellement respectées. L’humanité est confrontée à d’énormes défis, tels que l’accroissement des inégalités dans le monde et l’effondrement du climat, que les Nations unies semblent incapables de relever efficacement. Selon OXFAM, le 1 % des plus riches ont accumulé 63 % de la richesse produite dans le monde en 20201OXFAM, « Depuis 2020, les 1 % les plus riches ont capté près de deux fois plus de richesses que le reste de l’humanité », 1er janvier 2023, récupéré sur : https://www.oxfam.org/es/notas-prensa/el-1-mas-rico-acumula-casi-el-doble-de-riqueza-que-el-resto-de-la-poblacion-mundial-en (consulté le 16 février 2024). Il ne s’agit pas d’un accident, mais le résultat d’efforts concertés et de coercition. Cela constitue en soi un échec retentissant des idéaux de l’ONU, d’un monde « fondé sur le droit » qui respecte la justice sociale et environnementale.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les récentes déclarations d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, la planète entame un effondrement climatique et il a déclaré sans mâcher ses mots : « nous avons déclenché l’enfer »2RTVE, « La ONU alerta a los líderes mundiales sobre el peligro del cambio climático: Hemos abierto las puertas del infierno », 20 septembre 2023, récupéré sur : https://www.rtve.es/noticias/20230920/onu-cambio-climatico-puertas-infierno/2456430.shtml (consulté le 16 février 2024), soulignant que les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat sont encore loin d’être atteints et l’inefficacité des 28 COP qui ont déjà eu lieu. Il s’agit là d’un autre grand échec de ces organisations à faire respecter les droits de la personne. Le récent rapport sur l’état d’avancement des objectifs de développement durable (ODD), édition spéciale, montre que plus de la moitié du monde accuse des retards, que les progrès sur plus de la moitié des objectifs sont faibles et insuffisants, et que, pour un tiers d’entre eux, on observe une stagnation ou même une régression. Or, ce sont des objectifs qui concernent des sujets essentiels tels que la pauvreté, la faim et le climat. Si nous n’agissons pas maintenant, l’Agenda 2030 pourrait devenir l’épitaphe d’un monde qui aurait pu être. Dans tous les cas, le rapport indique qu’il pourrait s’agir d’une promesse en péril. Les efforts déployés à ce jour à l’échelle mondiale ont été insuffisants pour obtenir le changement dont nous avons besoin, mettant en péril cet engagement pour les générations actuelles et futures3ONU, « La población refugiada y desplazada en el mundo alcanza los 110 millones de personas », 9 octobre 2023, récupéré sur : https://news.un.org/es/story/2023/10/1524752 (consulté le 16 février 2024).
L’étude intitulée Hunger Hotspots : Warning of Acute Food Insecurity est particulièrement intéressante. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) y souligne que les conflits, les conditions climatiques extrêmes, la crise économique, la dette publique excessive, les effets de la pandémie de COVID-19 et les répercussions de la guerre en Ukraine plongent des millions de personnes dans la pauvreté et la faim aux quatre coins de la planète4FAO, Hunger Hotspots, janvier 2023, récupéré sur : https://www.fao.org/3/cc0364en/cc0364en.pdf (consulté le 16 février 2024). OXFAM prévient également que 700 millions de personnes dans le monde pourraient être déplacées en raison de graves pénuries d’eau d’ici 2030.
Pendant ce temps, la population mondiale de réfugiés et de personnes déplacées dépasse les 110 millions de personnes et continue d’augmenter5Op. cit., note 4. La nécessité d’aider les personnes qui ont été forcées de tout quitter pour sauver leur vie s’accroît et l’agence des Nations unies pour les réfugiés qui leur fournit un accompagnement et un soutien ne dispose pas de ressources suffisantes pour répondre à l’ampleur des besoins. Rien ne change en ce qui concerne les droits de l’enfant : quelque 400 millions d’enfants, soit environ 20 % de la population mondiale, vivent dans des zones de conflit ou les fuient. Le Comité des droits de l’enfant souligne aussi le degré des brutalités perpétrées à Gaza. Il faut indéniablement en faire plus pour défendre les droits des enfants dans un monde de plus en plus menacé par les conflits, l’appauvrissement et les répercussions de la crise climatique6ONU. (20 de noviembre de 2023). « Los derechos de los niños están en peligro 34 años después de la adopción del tratado para protegerlos », récupéré sur : https://news.un.org/es/story/2023/11/1525812 (consulté le 16 février 2024).
En 2023, l’ONU a fonctionné avec un déficit de 650 millions de dollars et l’année 2024 ne s’annonce pas mieux, selon le chef de l’agence, qui indique que les conflits sont la principale cause de fuite des populations7ONU. (9 de octubre de 2023). « La población refugiada y desplazada en el mundo alcanza los 110 millones de personas », récupéré sur : https://news.un.org/es/story/2023/10/1524752 (consulté le 16 février 2024), tandis que les investissements visant à accroître la capacité de guerre et de destruction des pays puissants augmentent de manière exorbitante. La méfiance croissante et la désinformation s’ajoutent à ce sombre tableau. Les médias polarisent la société et paralysent les communautés. La science est attaquée et les mesures de sauvetage économique pour les plus vulnérables arrivent trop lentement ou n’arrivent pas du tout, sous la forme d’un crédit qui étouffe les gens et leurs générations futures. La discrimination raciale et ethnique reste un problème dans de nombreux pays, avec une discrimination et une violence systématiques fondées sur la race ou l’appartenance ethnique. La liberté d’expression est soumise à des restrictions. Les journalistes, les militants et les détracteurs du gouvernement faisant l’objet de menaces, d’arrestations, de censure et même d’élimination physique.
La répression politique gagne du terrain dans le monde entier alors que l’Occident s’obstine à entraîner le monde dans de nouvelles guerres : l’Ukraine, la bande du Sahel en Afrique, le déploiement d’armes de destruction massive dans le Pacifique, de nouveaux territoires de tension et d’intérêts géopolitiques particuliers. Enfin, pour terminer cette année 2023, nous assistons à un génocide télévisé. Israël, les Etats-Unis et l’Europe se rapprochent dans leur dessein destructeur et irrationnel, générant des souffrances extrêmes, sans que les États « garants des droits » ne prennent une position forte pour empêcher cette tragédie.
Les droits de la personne, le droit international humanitaire, le monde fondé sur des règles, le concept d’État et, somme toute, les fondements de la modernité ne semblent plus avoir de sens au regard de toute cette barbarie effrontée. Non seulement des milliers d’êtres humains qui n’ont rien à voir avec le conflit sont anéantis, mais tout un peuple et toute une culture menacent d’être détruits, sans parler des survivant·e·s qui sont affamé·e·s et contraint·e·s de vivre dans des conditions sanitaires déplorables. Un rapport récent prédit une famine sans précédent à Gaza si le conflit se poursuit8FAO, « Gaza frente al hambre: nuevo informe pronostica una hambruna si el conflicto continúa », 21 décembre 2023, récupéré sur : https://es.wfp.org/noticias/gaza-frente-al-hambre-nuevo-informe-pronostica-una-hambruna-si-el-conflicto-continua (consulté le 16 février 2024). Il ne s’agit de rien de moins qu’une attaque contre l’humanité, mais il est difficile de reconnaître cette réalité sans d’abord reconnaître les espoirs de transformation qui animent les peuples. L’Amérique latine, sa diversité et ses peuples en fournissent de nombreux exemples. L’ère des peuples est arrivée. Il est temps que, de l’Amérique latine, émergent, dans toute leur diversité, des luttes conscientes pour la défense de l’eau, des coutumes, de la vie et du territoire.
L’anniversaire de ces 75 ans doit marquer le début de quelque chose de différent et de cohérent dans la recherche d’un monde plus juste et plus équitable. Nous sommes peut-être la dernière génération qui a encore la possibilité de transformer les relations que nous entretenons les uns avec les autres pour qu’elles se développent dans le respect, l’équité et la dignité. La survie de la vie et de l’espèce humaine sur la planète en dépend
ONU, « La población refugiada y desplazada en el mundo alcanza los 110 millones de personas », 9 octobre 2023, récupéré sur : https://news.un.org/es/story/2023/10/1524752 (consulté le 16 février 2024)
ONU. (20 de noviembre de 2023). « Los derechos de los niños están en peligro 34 años después de la adopción del tratado para protegerlos », récupéré sur : https://news.un.org/es/story/2023/11/1525812 (consulté le 16 février 2024)
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ONU. (9 de octubre de 2023). « La población refugiada y desplazada en el mundo alcanza los 110 millones de personas », récupéré sur : https://news.un.org/es/story/2023/10/1524752 (consulté le 16 février 2024)
Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
Tout au long de son histoire, la Colombie a été gouvernée selon un modèle de gouvernance qui satisfait aux intérêts de la minorité au pouvoir, prête à mettre le pays à feu et à sang pour le garder entre ses mains. Parallèlement, il existe des soulèvements populaires qui réclament sans relâche des droits, le respect de leurs modes et leurs projets de vie sur le territoire. L’histoire de la Colombie est celle d’une minorité qui a la tête dans le sable et qui s’impose par la force. C’est aussi le récit d’une classe sociale privilégiée qui profite de la misère et de l’exploitation de larges couches de la population. Des accords existent entre le pouvoir officiel et le pouvoir officieux pour empêcher les paysan·ne·s d’accéder à la terre, aux possibilités d’avancement et à une participation politique effective. Les conséquences sont, d’une part, une accumulation de privilèges, de terres et de possibilités dans les mains de quelques-uns et, d’autre part, la configuration d’une démocratie bancale, endettée, une démocratie capturée1Raúl Zibechi, Yani Vallejo Duque, Alfonso Insuasty Rodriguez, Andrés Felipe Martínez Ángel, Edison Eduardo Villa Holguin & Jairo Montoya, Colombia: Entre la rebeldía y la esperanza. Reflexiones en torno a la Movilización Social 28 avril 2021. Medellín: Kavilando..
Cette réalité a donné lieu à des conflits et des guerres qui perdurent, pour le droit à la terre, le droit d’exister comme peuple, comme parties prenantes ayant droit au pouvoir, et maintenant, avec une énergie renouvelée, pour la défense du territoire, des fleuves, des forêts et de la vie. En Colombie, le refus de laisser les mouvements d’opposition accéder au pouvoir a engendré une situation sans issue. Il n’est donc pas étonnant que l’histoire du pays soit jalonnée d’accords non respectés. Elle est entachée par un génocide permanent, physique, épistémique, symbolique et par une lutte sans relâche pour sa sauvegarde. Il s’agit d’un aspect de l’histoire qui tend à être nié.
Nous avons subi une participation simulée et fictive, un grand mirage. Des espaces d’expressions ont été créés pour diminuer les tensions sociales, mais plus le temps passe et moins les choses changent : les promesses oubliées par le pouvoir se transmettent de génération en génération. Les avancées mineures sont systématiquement dues aux luttes populaires constantes. À titre d’exemple, le pouvoir n’a jamais donné suite aux promesses de la Constitution de 1991. En effet, 31 ans plus tard, le pays traîne de la patte derrière les objectifs fixés par cette dernière. Nous sommes l’un des pays les plus inégaux, avec une pauvreté et une misère généralisée. Le peuple est exclu et le territoire se trouve toujours aujourd’hui entre quelques mains fortunées. Une minorité accumule une richesse extraordinaire, comme le montre Luis Jorge Garay dans son livre le plus récent sur les dynamiques des inégalités en Colombie2Luís Jorge Garay & Jorge Enrique. Dinámica de la desigualdad en Colombia, 2018. Bogotá : DesdeAbajo.. Dans ce contexte, il sera très difficile d’apporter des changements fondamentaux et la voie qui mène vers la paix est particulièrement complexe.
Les promesses jamais tenues
Malgré le récent accord de paix, historique, signé entre les FARC-EP et l’État colombien (2016), les mêmes dynamiques perdurent. D’une part, sept ans après la signature de l’accord, la pleine mise en œuvre de ses principes fondamentaux reste à faire, comme en font état les rapports de l’Institut Kroc3https://kroc.nd.edu/, chargé d’effectuer le suivi. Le seul point mis en œuvre est le dépôt des armes et la participation des commandant·e·s de la guérilla au Congrès de la République (Congreso de la República)4Organe législatif de l’État colombien, composé du Sénat et de la Chambre des représentant·e·s.. La mise en œuvre des autres points se bute à des obstacles de taille, en particulier le premier point, qui concerne la réforme de la gestion des régions rurales. Parallèlement, sous le gouvernement Duque (2018-2022), le conflit et la violence armée se sont intensifiés et des scandales de corruption relatifs à l’argent destiné à la mise en œuvre de l’accord ont éclaté5Infobae, « Escándalo por corrupción en recursos para la paz: misión de la ONU pide investigar las denuncias », 14 juillet 2022. Récupéré sur : https://www.infobae.com/america/colombia/2022/07/14/escandalo-por-corrupcion-en-recursos-para-la-paz-mision-de-la-onu-pide-investigar-las-denuncias/ (12 novembre 2023). Ces échecs ont justement entraîné l’émergence de plusieurs groupes armés qui contrôlent maintenant les régions où l’État n’était pas présent.
De son côté, le gouvernement de Gustavo Petro (2022- ), qui s’est lui-même désigné comme gouvernement du changement, a proposé une stratégie appelée Paix totale (Paz Total). Elle vise l’abandon total de la violence politique et le retour sur les accords non respectés, et ce, afin d’améliorer les conditions de vie des communautés dans les territoires touchés par la négligence et la violence de l’État, à élargir la participation politique pour que le peuple puisse définir son présent et son avenir. Cela implique donc, d’une part, de respecter la Constitution de 1991 et, d’autre part, d’élargir et d’approfondir l’exercice de la démocratie.
La Loi 2272 de 2022 a été adoptée à cette fin. Elle vise une extension de la loi sur l’ordre public (Loi 418/97) en y apportant des modifications. Le gouvernement de Gustavo Petro, reprenant les instruments juridiques du passé et se dotant de nouveaux instruments, cherche donc à relever plusieurs défis majeurs :
1) respecter l’accord de paix signé avec les FARC-EP;
2) faire avancer, dans une logique de dialogue, les processus de négociation avec les groupes insurgés tels que l’Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional — ELN);
3) discuter de la question de savoir si certains des groupes dissidents des FARC-EP pourraient être reconnus comme insurgés.
Pour l’instant, tout indique que les groupes dissidents connus sous les noms d’État major central (Estado Mayor Central (EMC) et la Nouvelle Marquetalia (Nueva Marquetalia NM), seraient effectivement insurgés. La Loi permet des dialogues sociojuridiques avec les groupes qu’elle désigne comme « criminalité aux répercussions importantes », des groupes hérités du paramilitarisme et du crime organisé, qui sont plus étroitement liés au trafic de drogue et à d’autres activités illégales, afin de rechercher des voies de réconciliation et d’obtenir des avantages juridiques et des accords protégeant leurs biens et l’argent obtenus grâce à leurs activités criminelles6KienyKe, « Petro celebra investigaciones sobre el ‘entrampamiento a la paz y a la JEP », 27 juin 2022. Récupéré sur : https://www.kienyke.com/politica/entrampamiento-la-paz-gustavo-petro-celebra-comision-de-investigacion-de-la-onu (12 novembre 2023).
Il s’agit d’une entreprise de grande envergure. Aujourd’hui, environ sept processus de paix sont en cours dans tout le pays. Par exemple, dans le port de Buenaventura, sur la côte pacifique, un processus est mené entre des groupes illégaux de trafic de drogue et des groupes de la Sierra Nevada de Santa Marta. C’est la même chose à Medellín avec les groupes paramilitaires, dont les activités criminelles entraînent des répercussions importantes, comme le groupe paramilitaire Clan del Golfo, et les groupes Farc dissidents susmentionnés, qui prennent de l’importance et qui s’autonomisent. Or, un seul processus a récemment connu des avancées significatives : les négociations entre l’ELN et le gouvernement national. À cet égard, le président Gustavo Petro a affirmé :
« Il y aura des gens qui négocieront avec le gouvernement des options pour mettre fin à une guerre insurrectionnelle de plusieurs décennies, qui doit se terminer définitivement sans échos pour que la société colombienne puisse être le vrai maître du pays, le vrai maître des destinées de la Colombie. Il s’agit la démocratie réelle et pacifique dont nous avons besoin dans ce pays. La loi est donc signée ». Il a également précisé que « c’est maintenant à notre commissaire à la paix, Danilo Rueda, de mettre en œuvre une grande partie de cette réglementation. »7« Habrá personas que negociarán con el gobierno las opciones de acabar con una guerra insurgente desde hace muchas décadas, que debe terminar definitivamente sin ecos para que la sociedad colombiana sea la verdadera dueña del país, la verdadera dueña de los destinos de Colombia, la democracia real y pacífica que necesitamos en este país. Así que queda firmada la ley”. Así mismo, aclaró que “ahora le corresponde a nuestro Comisionado de Paz, Danilo Rueda, implementar buena parte de esta reglamentación. » Source : Ámbito Jurídico, « Conozca el texto de la Ley de Paz Total», 8 novembre 2022. Récupéré sur : https://www.ambitojuridico.com/noticias/general/conozca-el-texto-de-la-ley-de-paz-total (12 novembre 2023)
L’ELN et la demande de participation
L’idée de centrer les négociations sur la participation populaire n’est pas nouvelle. Elle a marqué le discours de paix et les propositions de l’Armée de libération nationale (ELN) tout au long de l’histoire. Selon les termes de son commandant en chef, Antonio García :
La proposition initiale de l’ELN portait sur la construction d’une voie de sortie de la crise en comptant sur la participation active de la société. Cette proposition est née dans un camp de guérilla au sud de Bolívar au début de février 1996 et a été appelée Convention nationale, puis elle a été discutée dans d’autres camps. Le contenu de la proposition a ainsi été enrichi pour devenir la proposition collective de l’ELN8« La propuesta inicial del ELN referida a la construcción de un camino para abordar las crisis de una sociedad, contando con la participación activa de la sociedad nació en un campamento guerrillero en el sur de Bolívar a principios de febrero de 1996 y se llamó Convención Nacional, luego viajó a otros campamentos y se fue llenando de contenidos en la medida que fue siendo una propuesta colectiva en el seno del ELN ». Source: Andrés Garcia, « Participacion de la Sociedad ». Telegraph, 31 juillet 2023. Récupéré sur : https://t.me/c/1864710398/216 (12 novembre 2023).
Déjà lors des pourparlers, le point crucial ou le mot le plus souvent répété était « participation », et ce, jusque dans les dialogues de la fin des années 90, y compris au Venezuela et à Cuba, où l’idée d’impliquer la société dans les discussions sur la paix a commencé avec des réunions organisées par secteurs d’activité. Les dialogues de Puerta del Cielo et de Mayence méritent d’être mentionnés. L’idée a mûri pour devenir ce que l’on a appelé l’Accord national, puis le Dialogue national, chacun ayant pour objectif de construire un large consensus social pour contribuer à la transformation de la société. Sous le gouvernement d’Álvaro Uribe (2002-20010), la guérilla a également organisé des dialogues exploratoires et, dans plusieurs réunions, la participation des divers secteurs de la société a été à nouveau au centre des discussions : entrepreneur·e·s, syndicats, étudiant·e·s, paysan·ne·s, peuples autochtones, et bien d’autres ont pu s’exprimer dans la Casa de Paz, qui a rendu ces échanges possibles en toute sécurité.
En 2014, sous le gouvernement de Juan Manuel Santos (2020-2018), une nouvelle tentative de négociation entre les mouvements insurrectionnels et l’État a été lancée, avec pour mot d’ordre, encore une fois, la participation. En effet, l’ordre du jour des négociations, convenu d’avance, contenait six points, dont trois sont dédiés à la participation effective de la société :
1. la participation de la société à la construction de la paix;
2. la démocratie pour la paix;
3. la transformation de la paix.
À l’arrivée au gouvernement d’Iván Duque (2018 – 2022), le processus a été confronté à des obstacles et des surprises, à tel point qu’il est suspendu (2019). Qui plus est, au-delà de ce qui a été convenu, dans une attitude hostile et vindicative, le gouvernement a empêché la mise en œuvre des protocoles de retour de la délégation de paix à Cuba et a renouvelé les mandats d’arrêt à l’encontre de dix négociateur·trice·s. Le processus a depuis repris sous le gouvernement de Gustavo Petro, dans le cadre de la Paix totale.
Les limites qui menaient auparavant le processus avec les FARC ont été dépassées. La maxime « rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu » semble prévaloir, ce qui facilite l’élaboration d’accords, ainsi que leur respect et leur mise en œuvre. En outre, il est possible de construire une vision commune de la paix, quelque chose de nouveau et d’inédit qui facilite la compréhension entre les parties9Mesa de negociación y paz. Gobierno de Colombia y ELN. (10 de marzo de 2023). « ELN y Gobierno acuerdan nueva agenda de diálogos para la Paz. Acuerdo de México », 10 mars 2023. Récupéré sur : https://kavilando.org/lineas-kavilando/conflicto-social-y-paz/9469-eln-y-gobierno-acuerdan-nueva-agenda-de-dialogos-para-la-paz-acuerdo-de-mexico (12 novembre 2023) . Les avancées réalisées auparavant ont été maintenues et les négociations se poursuivent, avec l’accent mis sur l’élargissement de la participation. Ainsi, l’accord 9 est conclu, précisant le mécanisme à suivre pour assurer la participation effective de la société :
Un Comité national de participation (CNP) est nommé, composé de 30 organisations sociales, qui délèguent des membres pour un total de 81 personnes issues des mouvements sociaux et des diverses régions10« Se nombra un Comité Nacional de la Participación (CNP) compuesto por 30 organizaciones sociales, quienes delegan integrantes para un total de 81 personas de procesos y sectores.» Ibid.
Le CPN a pour fonction ou objectif d’entamer un processus participatif afin d’établir une méthodologie de participation qui devrait être rendue publique en février 2024. Ce sera le point de départ d’un grand processus national de participation qui se déroulera de février 2024 à mai 2025. Ce processus se conclura par la consolidation d’un Grand Accord national, un document qui rassemble les positions, les besoins, les voies d’action et de transformation du pays, afin d’approfondir les changements structurels historiques dont la société a besoin pour penser à une paix concrète, avec des changements fondamentaux.
Une fois que ce processus vers un Grand Accord national aura été conclu, les parties reprendront ce document fondamental pour avancer sur les trois derniers points prévus pour les négociations :
4. les victimes;
5. fin du conflit armé;
6. le plan général de mise en œuvre des accords entre le gouvernement national et l’ELN.
Parallèlement au processus de participation, des mesures humanitaires seront mises en œuvre dans les territoires affectés par un conflit armé intense qui perdure. À cet égard, un cessez-le-feu national bilatéral temporaire a également été conclu. Ce dernier devrait permettre une amélioration de la situation et pourra être prolongé dans le temps, le cas échéant. Les obstacles seront nombreux, qu’ils soient logistiques, liés au manque de ressources, politiques et idéologiques, ou des difficultés vécues par les grands médias. Un autre obstacle majeur est la montée du paramilitarisme, qui vise l’extermination des mouvements sociaux en association avec des secteurs puissants du pays. Les défis seront nombreux, y compris les contraintes pédagogiques, méthodologiques et temporelles pour la systématisation de l’essentiel des informations qui en résulteront. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un événement historique qui pourrait établir un système de participation populaire autonome, une sorte de congrès populaire qui permettrait d’articuler les luttes sociales et politiques, de favoriser le changement et de le défendre lorsque les conditions le justifient.
CRÉDIT PHOTO : Canva
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Raúl Zibechi, Yani Vallejo Duque, Alfonso Insuasty Rodriguez, Andrés Felipe Martínez Ángel, Edison Eduardo Villa Holguin & Jairo Montoya, Colombia: Entre la rebeldía y la esperanza. Reflexiones en torno a la Movilización Social 28 avril 2021. Medellín: Kavilando.
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Luís Jorge Garay & Jorge Enrique. Dinámica de la desigualdad en Colombia, 2018. Bogotá : DesdeAbajo.
« Habrá personas que negociarán con el gobierno las opciones de acabar con una guerra insurgente desde hace muchas décadas, que debe terminar definitivamente sin ecos para que la sociedad colombiana sea la verdadera dueña del país, la verdadera dueña de los destinos de Colombia, la democracia real y pacífica que necesitamos en este país. Así que queda firmada la ley”. Así mismo, aclaró que “ahora le corresponde a nuestro Comisionado de Paz, Danilo Rueda, implementar buena parte de esta reglamentación. » Source : Ámbito Jurídico, « Conozca el texto de la Ley de Paz Total», 8 novembre 2022. Récupéré sur : https://www.ambitojuridico.com/noticias/general/conozca-el-texto-de-la-ley-de-paz-total (12 novembre 2023)
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« La propuesta inicial del ELN referida a la construcción de un camino para abordar las crisis de una sociedad, contando con la participación activa de la sociedad nació en un campamento guerrillero en el sur de Bolívar a principios de febrero de 1996 y se llamó Convención Nacional, luego viajó a otros campamentos y se fue llenando de contenidos en la medida que fue siendo una propuesta colectiva en el seno del ELN ». Source: Andrés Garcia, « Participacion de la Sociedad ». Telegraph, 31 juillet 2023. Récupéré sur : https://t.me/c/1864710398/216 (12 novembre 2023)
« Se nombra un Comité Nacional de la Participación (CNP) compuesto por 30 organizaciones sociales, quienes delegan integrantes para un total de 81 personas de procesos y sectores.» Ibid
Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
La ville idéale et idéalisée, où l’on ne pense qu’à l’avenir, à la paix et à la tranquillité, cache derrière elle une logique de marché qui influence les pratiques de planification urbaine et les décisions publiques, tout en restant camouflé derrière un discours de façade prônant le progrès pour tous·tes. Le contrôle est à la fois sa grande force et sa grande faiblesse. En effet, ce contrôle diffus des autorités permet des alliances entre des acteurs légaux et illégaux, des forces unies par des charnières solides qui permettent une coordination parfaite et qui maintiennent en vie la machine productive du capital, peu importe si elle œuvre dans la légalité ou non.
En fait, Medellín est l’illusion d’une ville charmante, harmonieuse, pacifiée, le résultat d’une histoire typique d’un urbanisme néolibéral. En somme, il s’agit de la ville du déni, qui cache et invisibilise l’évidence, l’injustice sociale, spatiale, structurelle à des échelles colossales, le déni de l’avenir, les violations et les souffrances constantes et profondes. Il s’agit d’une ville qui invisibilise les contradictions de la lutte des classes directe et constante. La paix et la violation du droit à la ville sont des axes qui ne semblent pas se croiser, mais ils sont jumelés, entrelacés. L’un définit l’autre. Ce sont des questions complexes aux implications sociales, économiques et politiques.
Aujourd’hui, la ville (désormais district) de Medellín souffre de plusieurs maux structurels résultant d’une accumulation résultant de toutes les décisions prises par les gouvernements locaux et nationaux successifs, décisions qui ont favorisé la concentration du pouvoir, de richesses, des possibilités de mobilité sociale et de privilèges. Ce modèle de ville a été imposé par le sang et le feu et a donné vie à une ville néolibérale, configurée pour le marché, qui favorise la négation des droits et qui cache ses problèmes profonds. Or, nous avançons que ce sont ces problèmes qui doivent éclater au grand jour pour être solutionnés, et ce, pour avoir enfin la paix.
Ces réalités cachées
1. Déplacement forcé
En raison du conflit armé, la ville s’est développée en périphérie. De nos jours, ses habitant·e·s doivent vivre avec le contrôle exercé par les réseaux criminels paramilitaires qui entrainent des déplacements forcés. La municipalité est également bouleversée par des travaux d’aménagement urbain, par les changements climatiques et par la pauvreté et le manque d’emploi.
2. Inégalités socio-économiques
La ville de Medellín est l’une des villes de la région où les inégalités sont les plus importantes. Il n’y existe pas d’accès aux services de base, à un logement adéquat, à une éducation de qualité ou à des possibilités d’emploi. Même si la situation semble s’être améliorée, du moins dans les statistiques, elle reste très grave.
3. Inégalités d’accès aux transports
Le système de métro, unique en son genre dans le pays, exacerbe le manque d’infrastructures de transport adéquates. La ville accuse des inégalités criantes pour l’accès à ces services, ce qui rend plus difficile l’accès à l’éducation, la possibilité de se trouver du travail ou de participer à des activités de loisirs dans les différentes parties de la ville.
4. Marginalisation, groupes vulnérables
Il y a eu une augmentation significative du nombre de sans-abri, de l’extrême pauvreté, du nombre de personnes migrantes, de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et d’autres groupes vulnérables qui se heurtent à d’énormes obstacles pour accéder aux services de base et participer à la vie sociale et culturelle de la ville1Susana Cogua, « ¿Por qué hay indígenas asentados a las afueras de un colegio público en Medellín? » Qhubo, 23 avril 2023. Récupéré sur https://www.qhubomedellin.com/solidaridad-qhubo/mi-ciudad/por-que-hay-indigenas-a-las-afueras-de-colegio-publico-en-medellin/ (consulté le 13 août 2023).
5. Manque de participation effective des citoyens
Il existe une participation miroir, fonctionnelle, sans impact réel sur la résolution des conflits structurels, ni sur la définition d’un modèle de ville qui se décline en politiques urbaines garantissant la prise en compte effective de leurs besoins et de leurs droits2Norela Mesa Duque, Daniela Londoño Días, Alfonso Insuasty Rodríguez et al., (2023). Desarrollo Urbano: Afectaciones Y Resistencias En Medellín. UNAULA : Medellín, 2023. Récupéré sur https://kavilando.org/lineas-kavilando/observatorio-k/9535-desarrollo-urbano-afectaciones-y-resistencias-en-medellin-libro (consulté le 13 août 2023).
6. Discrimination et ségrégation
L’existence de politiques de ségrégation est évidente, que ce soit pour favoriser le tourisme ou la promenade tranquille des étrangers. Cela accroît les barrières et la discrimination fondée sur l’ethnicité, le genre, l’orientation sexuelle ou le handicap et génère une forte ségrégation spatiale et accroît l’exclusion sociale3Sebastián Estrada, « Este martes será cercado El Parque Lleras como pasó con el Parque Botero », Caracol, 1er mai 2023. Récupéré sur https://caracol.com.co/2023/05/01/este-martes-sera-cercado-el-parque-lleras-como-paso-con-el-parque-botero/ (consulté le 13 août 2023).
7. Pollution environnementale
Medellín est l’une des villes où le niveau de pollution atmosphérique est le plus élevé du pays. Cela a des répercussions négatives sur la santé et le bien-être de ses habitants4Divulgación Científica UPB, « 5 datos que no sabías sobre la contaminación del aire en Medellín », UPB, 22 août 2019. Récupéré sur https://www.upb.edu.co/es/central-blogs/divulgacion-cientifica/contaminacion-aire-medellin (consulté le 13 août 2023).
8. Établissements informels, déficit de logements et logements inadéquats
Medellín abrite un nombre important d’établissements informels ou de bidonvilles, dans lesquels les conditions de vie sont précaires. Ils sont aussi le plus souvent sans accès aux services de base. Selon le Plan d’occupation des sols de Medellín (Plan de Ordenamiento Territorial de Medellín – POT), en 2019, il manquait 133 000 logements dans la ville. Au déficit quantitatif s’ajoute un déficit qualitatif, avec de nombreux logements qui ne répondent pas aux normes minimales de qualité.
Le modèle de ville configure les types de personnes qui habitent la ville
1. Travail du sexe et consommation de substances psychoactives
Dans les dernières années, l’industrie touristique de Medellín a connu une croissance importante. Par la même occasion, il y a eu une explosion de l’offre de services sexuels et de la consommation de substances psychoactives, ce qui implique d’importantes sommes d’argent5El Tiempo, « ONU denuncia Narco-Turismo en Medellín y turismo sexual », El Tiempo, 23 octobre 2012. Récupéré sur https://kavilando.org/lineas-kavilando/territorio-y-despojo/2114-onu-denuncia-narco-turismo-en-medellin-y-turismo-sexual (consulté le 13 août 2023).
2. La culture du traqueto
Renán Vega Cantor affirme que le traqueto se définit comme une manière de régler tout problème par la violence physique directe, en proclamant son machisme profond, en s’exhibant en public, avec des proches ou autres convives. C’est aussi faire étalage des meurtres commis et de dilapider au cours d’une soirée le paiement reçu pour avoir exécuté un assassinat ou transporté une cargaison de drogue en dehors du territoire colombien. La personne qui s’adonne au traqueto achète tout ce qui est à sa portée (femmes, sexe, amis), même si elle est pauvre, déteste les pauvres ou si, au nom de la morale catholique, elle déteste tout ce qui sent la lutte sociale dans le quartier, à l’école ou sur le lieu de travail. Il s’agit d’« un schéma culturel qui s’est répandu comme un idéal »6RenánVega Cantor, « La formación de una cultura “traqueta” en Colombia », 18 février 2014, Rebelión. Récupéré sur https://rebelion.org/la-formacion-de-una-cultura-traqueta-en-colombia (consulté le 13 août 2023).
Depuis 2016, la surpopulation dans les centres de détention temporaire de Valle de Aburrá a doublé. Les postes de police sont parfois plein à 713 % de leur capacité et cela touche la population juvénile en particulier.
5. Suicides
Medellín a enregistré 214 suicides en 2022 et plus de 3 000 tentatives de suicide, des chiffre élevés à l’échelle nationale et latino-américaine, « l’angoisse face à un présent plein d’inconvénients, un avenir incertain et les pressions culturelles de la consommation et du succès, sont derrière les motivations qui abîment et rendent malades des milliers de personnes »9Libardo Sarmiento Anzola, « Medellín activa alarma por suicidios », DesdeAbajo, 20 avril 2023. Récupéré sur https://www.desdeabajo.info/ediciones/edicion-no-300/item/medellin-activa-alarma-por-suicidios.html (consulté le 13 août 2023) .
VICTIMES DU DÉVELOPPEMENT
À ce panorama, il faut ajouter la fabrication accélérée de victimes du développement face à l’avancée et à l’approfondissement de l’extractivisme urbain. Il s’agit d’un phénomène qui suit la voie de la dépossession, désormais accompagnée du discours du bien commun.
Selon une étude menée en 2017 auprès des communautés affectées par le développement urbain à Medellín, il s’agissait d’un phénomène croissant. En même temps, une première rencontre des communautés affectées par le développement a été organisée. En 2019, un rapport sur ce phénomène a été présenté par à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). La même année, une audience publique a été convoquée par le Congrès de la République, par l’entremise du représentant du parti Omar Restrepo Comunes. Pendant la pandémie, le harcèlement des familles lors d’expulsions de leurs maisons ou pour des travaux d’aménagement urbain n’a pas cessé. En 2021, la table ronde des victimes du développement et de l’administration municipale (Mesa de Interlocución Victimas del Desarrollo y Administración municipal) a été créée et un rapport a été dûment publié.
Après cet exercice, nous avons pu repérer ces répercussions.
Nous estimons qu’un total cumulé de plus de 9 826 000 de personnes a été affecté par la mise en œuvre des travaux de développement. Les chiffres pourraient en fait être beaucoup plus élevés et nous ne nous référerons qu’à quelques cas.
Total, personnes affectées par chaque macroprojet en 2021
Macroprojet
Total, personnes affectées
Ramed de tramway Ayacucho
2790
Metro Cable Picacho
1750
Parc Bicentenario
760
Pont de la Madre Laura
2100
Tunnel Occidente
226
Métro de la 80 (Barrio El Volador)
2200
Total, personnes affectées
9826
Source : Préparation propre (estimations basées sur le nombre de parcelles nécessaires et le nombre de personnes (en moyenne) par famille occupant chaque parcelle).
Ces répercussions générales sont donc mises en évidence :
Affectation
Axes
Les inégalités se creusent et l’appauvrissement de la population s’accroît.
La mise en œuvre du développement dans la ville et la destruction des entreprises de subsistance.
De nombreuses entreprises sont installées dans les maisons qui feront l’objet d’évictions, ce qui permet de réduire les coûts. Cela touche aux biens, aux idées d’entreprise et aux propriétaires d’entreprise.
Les propriétés sont évaluées de manière irrégulière à bas prix et les paiements sont retardés.
Passage de propriétaires à possesseurs déracinés.
Effets psychosociaux et communautaires graves.
L’individu est affecté sur le plan émotionnel : perte de vision de l’avenir, désorientation, dépression.
Les conflits familiaux, l’éclatement de la famille, les conflits intergénérationnels et le manque d’efficacité au travail et dans les études sont accentués.
Effets sociaux et communautaires : perturbation du tissu social, du voisinage, de la solidarité et de la subsistance.
La démocratie et la crédibilité des institutions publiques sont fracturées.
La manière dont ces travaux sont mis en œuvre et gérés est médiatisée par la tromperie, les menaces, les renseignements incomplets, la confusion, la désinformation, une logique de taxation descendante.
La participation est fonctionnelle, les besoins et les griefs des personnes concernées ne sont pas réellement pris en compte.
Le temps, c’est de l’argent. C’est pourquoi les pressions augmentent à mesure que la bureaucratie prend du retard et il y a manque de diligence raisonnable. Les gens sont laissés à eux-mêmes dans un état d’anxiété.
Source : Rapport 202110Hernán Darío Martínez Hincapié, Edison Villa Holguín, et Alfonso Insuasty Rodríguez (30 juin 2022), « El desarrollo urbano que impulsa la brecha de la desigualdad. Caso Medellín – Colombia », 14(1), 7-20. de https://kavilando.org/revista/index.php/kavilando/article/view/444 (consulté le 13 août 2023).
Medellín n’a pas eu l’intelligence de se mettre d’accord sur des solutions à nos graves problèmes. Il n’est pas intelligent d’être la ville la plus innovante du monde et en même temps l’une des plus inéquitables. Il n’est pas intelligent de vouloir développer un quartier d’innovation technologique et d’affaires et en même temps de ne pas pouvoir payer un prix juste pour le logement. Il n’est pas intelligent de construire le plus grand pont urbain du pays et de laisser, dans la tromperie, plus de 1000 familles sans logement. Il n’est pas intelligent de concevoir le système de Metrocable pour le quartier de La Paralela sans penser à des solutions de logement décentes pour les 600 familles qui y habitent. Il n’est pas intelligent d’attendre que la Moravie brûle pour empêcher 256 familles de construire à nouveau et ne pas leur offrir de solution de logement définitive. Il n’est pas intelligent de laisser les familles pauvres résoudre seules leur problème de logement et de les accuser en même temps de ne pas respecter les réglementations et d’effectuer de la construction très risquée. Une société ne peut pas être intelligente si, après avoir subi 30 ans de guerre, elle ne se reconnaît pas comme une victime et ne veut pas de la paix. Le développement n’est pas intelligent s’il est construit sur la douleur11Op. Cit., note 10.
En 2023, avec l’avancement des travaux du métro léger sur la route 80, ces problèmes préexistant se sont aggravés en raison des mensonges, des retards, des abus, des tromperies, du manque d’information, des évaluations dérisoires et des répercussions ci-dessous. Plus de 594 propriétés ont été touchées et 725 l’ont été partiellement12Sergio Zuluaga, « Con 816 predios censados avanza la gestión sociopredial del Metro de la 80 », mairie de Meddellín, 12 décembre 2022. Récupéré sur https://www.medellin.gov.co/es/sala-de-prensa/noticias/con-816-predios-censados-avanza-la-gestion-sociopredial-del-metro-de-la-80/ (consulté le 13 août 2023) et plus de 10 000 entreprises ont été affectées13El Tiempo, « Los ‘sacrificados’ para que Medellín tenga un nuevo tramo del Metro », El Tiempo, 16 octobre 2020. Récupéré sur https://www.eltiempo.com/colombia/medellin/medellin-la-historia-de-los-afectados-por-la-entrega-de-predios-para-nuevo-tramo-del-metro-543358 (consulté le 13 août 2023). Le discours de la ville la plus innovante pèse lourdement sur les personnes qui s’y opposent et qui, contre elle, revendiquent leurs droits. En effet, elles sont aux prises avec leurs propres croyances et aux contradictions vécues au quotidien, à la répression, aux violations des droits de la personne et elles ne connaissent que trop bien le prix que leur coûte cette ville-illusion, cette « ville plus ». Il s’agit d’une réorganisation criminelle du territoire14Eulalia Borja Bedoya, José Fernando Valencia Grajales, et Alfonso Insuasty Rodríguez, (2022). « ¿Gentrificación o reordenamiento criminal del territorio urbano? Caso Medellín (Colombia) » Ratio Juris, 263-288. Obtenido de Revista Ratio Juris: https://kavilando.org/lineas-kavilando/observatorio-k/9339-gentrificacion-o-reordenamiento-criminal-del-territorio-urbano-caso-medellin-colombia (consulté le 13 août 2023).En référence à la chanson de Kortatu15Groupe de punk basque, actif de 1984 à 1988., sommes-nous condamnés à vivre et à habiter une « ville de merde »16Giuseppe Aricó, José A. Mansilla et Marco Luca Stanchieri, Mierda de Ciudad. Una rearticulacion crítica del urbanismo neoliberal desde las ciencias sociales. Bacelona : Pol-Len Edicions, SCCL, 2015.?
Et la paix?
Jusqu’à présent, nous n’avons pas parlé des réseaux criminels qui contrôlent les quartiers, les communes, l’économie locale et enfin, même la vie quotidienne et la participation politique, et ce, suivant une logique paramilitaire. Et la paix? C’est en effet la question la plus importante. Or, cette absence de paix est le symptôme d’un mal structurel que nous devons reconnaître et qui va de pair avec le modèle de ville autoritaire qui nous est imposé. Medellin est ville néolibérale qui doit être transformée. Enfin, si on veut la paix, il faut parler de ces problèmes structurels et leur trouver des solutions.
Et les résistances ?
Il y a de nouvelles organisations sociales ad hoc qui revendiquent des droits. Il y en a d’autres, plus anciennes, qui ont compris que la lutte est longue et elles en sont arrivées à une réflexion qui les amène à remettre en question le modèle de ville, qui leur a été imposé par le sang et le feu dans le cadre d’une alliance criminalité-entreprises-État. C’est une réalité qui doit être étudiée et soulignée.
Il y a plusieurs villes qui débattent de questions différentes en fonction de leur propre réalité, mais ces questions portent toutes sur les conséquences du même modèle. Il est impératif de gagner en qualification, en articulation et en mobilisation, et ce, afin de contester, d’une part, les outils de planification du prochain examen approfondi du plan d’occupation des sols, prévu pour 2027, conformément à la réglementation en vigueur et, d’autre part, afin de consolider un plan d’action commun de la ville, et ce, pour produire un ou des modèles de ville populaire pour aborder des questions qui n’ont pas été entendues, ou qui ont été ignorées ou étouffées. Nous souhaitons ainsi donner lieu à une planification insurgée, une sorte de libération urbaine permanente.
Hernán Darío Martínez Hincapié, Edison Villa Holguín, et Alfonso Insuasty Rodríguez (30 juin 2022), « El desarrollo urbano que impulsa la brecha de la desigualdad. Caso Medellín – Colombia », 14(1), 7-20. de https://kavilando.org/revista/index.php/kavilando/article/view/444 (consulté le 13 août 2023)
Giuseppe Aricó, José A. Mansilla et Marco Luca Stanchieri, Mierda de Ciudad. Una rearticulacion crítica del urbanismo neoliberal desde las ciencias sociales. Bacelona : Pol-Len Edicions, SCCL, 2015.