Par Alfonso Insuasty Rodríguez[i] et Yani Vallejo Duque[ii]
Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
La version officielle du conflit en Colombie réduit ce dernier au trafic de drogue. Dans les faits, ce discours cache une tout autre réalité : celle de réseaux qui lient groupes armés, forces de sécurité, élites, clans politiques et intérêts géopolitiques. Or, ce sont ces mêmes réseaux qui perpétuent la violence et refusent de reconnaître les communautés historiquement marginalisées.
Depuis 1999, le Plan Colombie a marqué un tournant récent dans la configuration de la frontière nord du pays. Avec comme prétexte de lutter contre le trafic de drogue, ce plan a servi à imposer un modèle extractiviste, qui a entraîné le déplacement, la criminalisation et l’appauvrissement les habitant·e·s de toute une région.
Le Catatumbo, région stratégique du nord de Santander, à la frontière avec le Venezuela, a toujours été un épicentre de conflits économiques, sociaux et politiques. Très riche en ressources énergétiques et naturelles, la région s’est développée au gré de l’exploitation du pétrole, du charbon, du gaz et de la monoculture de l’huile de palme, utilisée dans la production de biocarburant.
Bien que soient là des piliers économiques essentiels, le type d’exploitation mise en œuvre a principalement servi les élites nationales et les sociétés transnationales. En d’autres mots, les inégalités historiques demeurent et les communautés locales sont tenues à l’écart.
Le pétrole comme destin du Catatumbo au XXe siècle.
La concession de Barco de 1905[iii] a cédé la place à des entreprises telles que la Colombian
Petroleum Company (Colpet) et la South American Gulf Company (Sagoc). Ces dernières ont contribué à la déforestation, à la dépossession des terres et à la colonisation pétrolière en faveur d’intérêts étrangers. La région dispose d’infrastructures essentielles dont un oléoduc de 423 km qui se termine à Coveñas, sur la côte atlantique. Même si l’exploitation pétrolière est passée aux mains d’Ecopetrol , la pétrolière nationale, en 1955, ce changement de propriété n’a profité qu’à quelques un·e·s, et sur la majeure partie du territoire, les populations demeurent pauvres et exclues.
Le Catatumbo est aussi un producteur important de charbon. Ses réserves sont estimées à 630 millions de tonnes. La région s’est ainsi taillée une place sur le marché mondial de l’énergie. Elle produit 1 750 000 tonnes par an, dont 80 % sont exportés vers des marchés tels que les États-Unis et l’Union européenne.
L’exploitation minière est au centre de l’économie du nord de Santander, notamment en ce qui concerne la production de charbon bitumineux de haute qualité à des fins thermiques et métallurgiques. En 2020, le département a produit 1,1 million de tonnes de charbon, soit 2,2 % du total national, ainsi que 4,8 % du gravier et 12 % de l’argile de la Colombie. Plus de 80 % du charbon et du coke produits sont exportés, tandis que le reste est destiné à la consommation intérieure, le plus souvent dans des centrales thermoélectriques et des fours à briques.
L’industrie du charbon génère plus de 7 500 emplois directs et 15 000 emplois indirects, en plus de 3 600 emplois directs et 7 000 emplois indirects liés à la production de coke. Cependant, l’exploitation du charbon est confrontée à des défis tels que la dépendance à l’égard de routes en mauvais état et les perturbations dues à la fermeture des frontières et aux manifestations populaires.
Malgré une baisse de la production pendant la pandémie, la reprise économique s’est d’abord manifestée dans le secteur de l’exploitation minière. Entre 2021 et 2022, 238 milliards de dollars y ont été investis, entre autres, dans les transports, l’éducation et la technologie.
En ce qui a trait à la sécurité, la région est en proie à l’exploitation illégale et un taux élevé d’accidents. Par ailleurs, Ruta de la Legalidad est un programme qui y fait la promotion de normes plus élevées. Même si l’exploitation minière ne représente que 0,95 % du PIB régional, elle constitue le moyen de subsistance de 33 000 familles. Néanmoins, cette explosion de l’exploitation du charbon, loin d’enrichir la population locale, n’a fait que contribuer à la détérioration de l’environnement. En effet, le système extractiviste qui s’est imposé a largement tenu à l’écart les habitant·e·s de cette région. Ce sont surtout les conglomérats nationaux et internationaux qui en ont profité.
Le Plan Colombie et l’USAID ont aussi favorisé la culture intensive d’huile de palme, entraînant la métamorphose du paysage au Catatumbo. La culture de la palme à huile revêt une très grande importance pour le secteur de l’industrie agroalimentaire dans la région. Palnorte, un des cinq plus importants exploitants en Colombie, produit annuellement 50 000 tonnes d’huile. Or, 35 % de cette production est exportée. De son côté, Aceites y Grasas del Catatumbo cherche à tripler sa capacité de traitement au moyen d’un investissement de plus de 75 milliards de dollars. Dans le nord de Santander, Palm Cluster, créée en 2021, emploie plus de 14 000 personnes et exploite 45 000 hectares de cultures. À elle seule, elle génère 40 % du PIB agricole de la région.
Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un développement inégal. À l’ombre de l’industrie de l’huile de palme, de l’exploitation du charbon, du gaz et du pétrole, qui ont prospéré dans la région, s’est perpétuée une réalité douloureuse : la dépossession des terres, la violence perpétrée par les paramilitaires et le déplacement forcé de bon nombre de paysan·ne·s et autochtones. Comme l’ont montré les processus de Justice et Paix, la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) et la Commission de la vérité elle-même, les secteurs clés de l’économie locale étaient contrôlés par des groupes armés illégaux. Ces derniers s’approprient le territoire par la force, en faisant un grand nombre de victimes, déchirant à long terme le tissu social.
Le Catatumbo se trouve non seulement au cœur d’un système extractiviste , mais aussi de conflits géopolitiques pour le contrôle des ressources énergétiques. En effet, le Venezuela voisin possède d’immenses réserves de pétrole, de gaz et d’or, entre autres richesses naturelles. Ses richesses énergétiques et sa position stratégique en tant que corridor frontalier ont contribué à une dynamique de déstabilisation qui se perpétue. Même l’État colombien contribue à cette instabilité sous prétexte de lutter contre les menaces à la stabilité régionale. Dans un contexte plus large, les États-Unis cherchent à réaffirmer leur influence en Amérique latine, face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Ainsi, les élites colombiennes servent les intérêts étrangers et leurs propres intérêts en embrassant une militarisation accrue du territoire.
Le discours officiel réduit le conflit de la région à un problème de trafic de drogue. Par la même occasion, il sert à occulter les relations complexes entre les groupes armés, les forces de sécurité, les élites économiques et les clans politiques, qui continuent à exercer des fonctions publiques, les intérêts géopolitiques étant au cœur des dynamiques de ces conflits. Des rapports récents, comme celui de la Caravana Humanitaria 2024, ont dénoncé la collusion entre les forces de sécurité et les groupes paramilitaires, parmi lesquels le Clan del Golfo, et dans certains cas, des alliances avec les groupes dissidents. Ces relations contribuent à l’appropriation du territoire et perpétuent le système d’exclusion de la population locale.
Cultiver la coca pour survivre
Le Catatumbo est une des nombreuses régions de Colombie historiquement marginalisées par l’État. Par conséquent, ses habitant·e·s ont durement souffert des effets de la pauvreté et de la violence. Devant l’impossibilité de vivre d’autres formes d’agriculture, les paysan·e·s se sont tournés vers la culture de la feuille de coca, le pain et le beurre.
. Le mauvais état des routes de Tibú, El Tarra, Convención, Teorama et Hacarí pose obstacle à la commercialisation d’autres produits. Il n’est donc pas possible de remplacer la culture de la coca. Ielles affirment elles-mêmes qu’ielles ne cultivent pas la coca pour s’enrichir, mais simplement pour survivre.
Contrairement à ce qu’affirme l’État colombien, l’argent du trafic de drogue ne profite pas aux habitant·e·s du Catatumbo, mais aux habitant·e·s des grandes villes et des pays consommateurs. Selon le dernier rapport du Système de surveillance intégré des cultures illicites des Nations Unies, on cultive la coca sur 43 866 hectares du nord de Santander. Tibú est la municipalité qui comporte le plus grand nombre d’hectares de coca, avec 23 030 hectares. La région produit 17 % de la coca au pays. C’est pourquoi elle est le théâtre d’activités de divers groupes armés et de l’État pour le contrôle de ces revenus illicites.
L’approche militaire s’est soldée par un échec : ni les pulvérisations de glyphosate ni l’utilisation de la force n’ont donné les résultats escomptés. Même les accords issus du processus de paix n’ont pas été mis en œuvre par l’État. Aussi, le manque de possibilités pour les anciens combattants des FARC a fait en sorte que, faute d’alternative, ils sont retournés au commerce illicite. La demande mondiale de cocaïne est croissante et stimule la production en Colombie. Se demande-t-on, aux États-Unis ou en Europe, pourquoi les gens consomment de plus en plus de drogues?
La récente confrontation entre le front de guerre Nord-Est de l’ELN et le 33e front de l’État-major central (EMC) des FARC a donné lieu à des théories sur une prétendue alliance entre l’ELN et le
gouvernement vénézuélien pour contrôler le trafic de drogue. Toutefois, ces accusations ne sont pas fondées sur des éléments de preuve. Elles semblent plutôt refléter le discours des États-Unis, lui-même servant de justification à une potentielle intervention militaire au Venezuela.
La résistance au Catatumbo : une lutte pour la dignité
Cependant, le Catatumbo, même marginalisé et en proie à la violence, est un territoire de résistance. Les paysan·ne·s, les autochtones et les personnes afrodescendantes ont proposé le Pacte social territorial[iv]. Il s’agit d’un modèle de développement fondé sur la justice sociale, le développement durable et la souveraineté du peuple. Cependant, ces initiatives ont été criminalisées par les élites, qui préfèrent maintenir le statu quo.
L’État n’a fait sentir sa présence dans la région que dans le but de contrôler les ressources naturelles, au détriment de ses habitant·e·s. Le Catatumbo a été un laboratoire martial, au sein duquel les paramilitaires ont arraché les terres aux paysan·e·s, pour le compte des mouvements d’extrême droite, de certain·e·s politicien·ne·s et du secteur privé. La réaction de la classe dirigeante aux demandes des communautés a été la répression. La grève de Nororiente en a été un exemple clair. Les paysans ont réclamé des droits et de meilleures conditions de vie. Et la réponse de l’État? Les assassinats, les disparitions forcées et la torture, souvent avec la complicité du bataillon des Vencedores de l’armée nationale.
Les mouvements sociaux ont dénoncé la militarisation comme n’étant pas une solution pour la paix. Elle ne ferait qu’entraîner davantage de violence et de déplacements. La paix n’est pas imposée par des armes. Elle est construite au moyen d’investissements dans des programmes sociaux, dans des infrastructures et des garanties de sécurité.
Les habitant·e·s du Catatumbo ont la conviction que ce sont les survivant·e·s de la guerre et de l’oubli qui doivent paver la voie de l’avenir. Sur ce territoire où l’histoire fait gronder son tonnerre en pleine jungle, la volonté d’un peuple qui rêve d’une vie de dignité, de souveraineté et de fraternité en Amérique latine reste inébranlable.
Je logeais sur la 28e Rue, juste en face d’un vieux cimetière délabré et du Centre de la mémoire historique, dédié au conflit armé colombien. Entre le cimetière et le Centre s’étend une allée qui s’assombrit à la rencontre de l’horizon, jusqu’à s’engouffrer dans l’abysse des nuits pluvieuses de Bogota. Il s’agit d’une « zone de tolérance ».
Un soir de fête, j’ai fait la connaissance de Colombe, une femme du groupe autochtone colombien chibchas. Emboucanée de tabac et de cannabis, elle m’a raconté son enfance dans ce quartier. Son père avait migré dans la capitale pendant la violencia, dans les années 1940, après que son village ait été rasé par le feu. Cette violence avait lancé le conflit armé dans le pays, conflit qui se poursuit toujours. Or, son père avait alors adopté un nom hispanique prestigieux, effaçant dès lors la trace de ses origines. Elle travaille aujourd’hui dans un atelier de sérigraphie, « essayant de ne pas mourir intoxiquée par les produits chimiques », selon ses dires. Lors de notre rencontre, elle portait des pantalons trop grands, un chandail à capuchon avec des fleurs délavées, un bandeau noir et une casquette de la même couleur, sur laquelle trônaient des lunettes de sécurité en plastique. Une queue de cheval de cheveux noir de jais jaillissait au-dessus de sa nuque. Sous des arcades sourcilières très prononcées vibraient des yeux noirs d’une profondeur inouïe. Son visage couleur de cacao luisait sous les lueurs des gyrophares rouge et bleu des voitures de police qui venait patrouiller dans le lugubre quartier de Santa Fe de Bogota.
Cette zone était désignée comme « zone de tolérance », où la prostitution et le trafic de drogue vont bon train, où l’on retrouve bon nombre de jeunes réfugiées vénézuéliennes de 13 ou 14 ans se prostituant pour 2000 pesos (0,50 $ canadiens) afin d’acheter la base de cocaïne (similaire au crack), qui leur permet de tolérer un peu mieux la misère. Ce sont souvent les mères qui agissent comme proxénètes. Colombe me disait : « je comprends que les gens veuillent fumer de la marijuana, même si, pour certains, ça les rend un peu fous, ou que d’autres fument de la base de cocaïne pour pouvoir travailler toute la nuit, mais faire ça à des enfants, c’est inacceptable. On me dit que je suis réactionnaire, mais non. » Je ne pouvais que tomber d’accord avec elle sur ce point en particulier. Évidemment, je ne lui ai pas demandé où elle avait entendu que les libertaires défendaient tout naturellement la pédophilie : une chaîne de télévision de droite, les journaux, les paramilitaires ou les manifestant·e·s d’extrême droite qui ont envahi les rues de toutes les villes du pays le 21 avril dernier[i]? La presse réactionnaire ne manque pas de souligner, par exemple, qu’on a retrouvé 28 enfants exploités dans des réseaux de trafic sexuel ou encore la mort d’un bébé de 16 mois, violé et étranglé par ses propres parents[ii]. Après notre conversation relativement courte, j’ai passé la soirée à méditer sur le récit de Colombe, ne pouvant quitter des yeux le point où la lumière s’évanouissait pour laisser place à l’obscurité. Je suis ainsi resté quelque peu prisonnier de mes pensées, Colombe assise à côté de moi en silence, elle aussi prisonnière des siennes. Nous échangions de temps en temps un sourire réconfortant, sans plus. Nous avions fumé une Santa Maria dynamite, comme on appelle le cannabis en Amérique latine, qui m’a plongé dans un état de conscience inusité pendant huit heures. Je titubais contre les marées du désespoir dans un appartement enfumé. L’espagnol jappé par des voix ivres était comme traduit en arrière-plan et je n’entendais que ce qui me semblait être du français québécois. Nous échangions des fous rires tonitruants et je lisais les pensées de Colombe, assise à côté de moi en silence. Il s’agissait sans l’ombre d’un doute d’une autre femme profondément blessée qui venait au chevet de mes ratiocinations pour un peu de confort.
Après quoi, j’ai eu l’occasion de visiter la zone de tolérance en projection astrale, flottant jusque dans l’abysse. Pour les occultistes, les brujo (sorciers), les chamanes et dans pratiquement toutes les traditions mythiques, le corps physique coexiste avec un corps énergétique ou astral. Or, si le corps physique est très limité dans ses possibilités, le corps astral, lui, peut servir à exécuter des périples dans les multiples dimensions du réel. Dans les profondeurs de la zone de tolérance, les rues délabrées étaient jonchées de détritus, de préservatifs usés, d’instruments servant à fumer de la base de cocaïne et de seringues. Seuls des néons clairsemés éclairaient les rues de leurs pâles halos, vaporeux et crus, qui ne rencontraient dans l’obscurité que les gyrophares des boîtes à salade de la police. J’ai observé une descente et des fouilles, les parasites en uniformes grenouillant sous la pluie, l’œil jaune et vitreux. Puis au pied d’un édifice en ruines, deux hommes bien occupés, l’un recevait une fellation et l’autre enfourchait une femme contre le mur. Une orgie de prostitution sacrée se déployait sous le regard d’Ishtar, déesse mésopotamienne de la fertilité à laquelle des fluides sexuels étaient offerts de cette manière. J’ai alors plongé sous la chaussée, où les esprits des Anciens habitaient longtemps avant la sécrétion du Dieu, l’esprit protecteur des violeurs. Dans une grotte aux murs éclairés par des coulis de lave écarlate s’accumulaient dans un grand sac organique, une immense larve, tous les fluides et l’énergie sexuelle de ces rues. Un coulis d’un vert émeraude s’infiltrait à travers le trottoir fissuré et le pavé mouillé. Soudainement, ce ver-sac a crevé la chaussée pour avaler toute la ville, tous les os poussiéreux du cimetière voisin perçant la membrane d’un sol fatigué.
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Environ deux mois plus tard, à Medellín, j’ai fait la connaissance d’Éveline, une militante d’âge mûr qui vivait dans un quartier populaire de Medellín, non loin du centre, qui, avec ses hôtels de passe, sentait le sperme comme les zones de tolérance de Bogota. Medellín a gagné la réputation d’être une ville de fête, mais dans les interstices de cette ambiance désinvolte fleurissent le crime organisé et le proxénétisme. La ville est aussi connue pour les attaques au burudanga, de la scopolamine, contre des hommes étrangers, perpétrés par des femmes rencontrées dans les bars ou les applications de rencontre, à un tel point que l’ambassade des États-Unis a émis un avertissement. Quelques cadavres masculins, encore pleins de semence, ont été retrouvés dans des allées sombres… le centre-ville est peu fréquentable.
Elle m’avait invité à siroter une infusion d’herbes médicinales dans sa vieille maison verte à la façade fatiguée, quadrillée de barreaux en fer gorgé. Militante de longue date, elle organisait une caravane à travers le pays pour la défense du territoire et des savoirs autochtones. Au fil de nos discussions, je lui ai mentionné que je m’établissais en Équateur pour apprendre la science des plantes médicinales ancestrales. Une lueur éclatante s’est alors mise à scintiller dans ses yeux, auparavant fatigués. Les reflets sur son visage de bronze se sont alors faits des plus éclatants. Elle a ramené ses cheveux poivre et sel vers l’arrière, puis a entamé un récit de plusieurs heures sur sa découverte du yagé (nom donné en Colombie à l’Ayahuasca) et de la réflexologie, qu’elle avait étudiée avec une nonne d’un âge incalculable.
Or, elle avait une certaine affinité avec le monde des esprits. Elle me racontait être allée à un lieu, dans la forêt, où elle avait trouvé un fémur humain. Il s’agissait d’un lieu où avaient sévi les paramilitaires. Elle avait enterré avec respect ces restes humains et des spectres s’étaient mis à affluer vers elle, murmurant à son oreille, reconnaissants des hommages payés à ces restes humains. Une autre fois, elle s’était sentie mal à l’aise dans un lieu où s’étaient déroulés de nombreux massacres, non seulement durant la violencia, mais aussi durant la guerre d’indépendance et les multiples conflits armés intérieurs. Elle s’est trouvée assaillie par des esprits qui infusaient l’atmosphère de haine, de colère et de tristesse. Les gens sensibles à ces phénomènes se sentent alors nauséeux, sans énergie et nerveux… elle avait dû quitter les lieux. Sirotant son infusion, elle me racontait aussi le récit d’une amie qui, pendant des années, était la proie de crises de nerfs, se mettait à crier que les mains lui faisaient mal ou qu’elle ne les sentait carrément pas. Elle avait consulté un curandero et peu après, il avait été découvert que son petit frère avait été torturé par l’armée. Ce dernier s’était joint aux rebelles à l’âge de 15 ans. Il n’avait pas fait une longue carrière de guérillero puisqu’il avait été capturé. Lors d’une séance de torture, on lui avait tranché les mains avant de l’assassiner. Son spectre avait depuis tenté de raconter ce qui s’était passé. Dans le cadre du processus de réconciliation des dernières années, la famille avait finalement pu savoir que le jeune homme avait disparu dans une opération de l’armée. Après quoi, les attaques de la femme s’étaient dissipées. Éveline a terminé en pointant une pièce de sa maison, un lieu qui avait connu de telles horreurs. Elle laissait entendre que des enfants y avaient été violés et massacrés. Je pouvais sentir une présence maléfique, mais je décidai de ne pas m’enquérir davantage. Même dans l’appartement où je louais une chambre, il y avait une présence à l’odeur de la mort violente et, au bas de l’édifice, un groupe de motards faisait du grabuge. Je buvais une cannette de bière Aguila, en reniflant l’odeur d’essence et en écoutant les cris d’indignation.
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Je sens le besoin de compléter ces deux anecdotes avec une troisième, afin de conclure sur une bonne note et de compléter ce panorama gonzo fantastique. Je dis fantastique, mais pour moi il s’agit d’une réalité du quotidien. Mes parcours d’intellectuel et de militant anarchiste, d’apprenti chamane et de traducteur convergent et m’ont amené à vivre à Cuenca, en Équateur.
Il y a peu de temps, à Cuenca, un beau matin, je me rendais chez Titi, maestro et ami, pour consommer le rite du Kambo. Ce venin de grenouille est reconnu comme arrachant la panema, la mauvaise énergie. Une femme qui veut attirer un homme voit sa production de phéromones augmenter, une femme qui veut procréer voit ses niveaux d’hormones nécessaires augmenter. Un homme déprimé voit son niveau de sérotonine s’accroître, et ainsi de suite. On appelle parfois le Kambo l’antibiotique d’Amazonie, mais il représente beaucoup plus. En contexte traditionnel, on l’utilise même et surtout pour régler des conflits dans une communauté. Il est appliqué après avoir perforé, au moyen d’un bâton embrasé, des trous dans la peau du bras ou de l’épaule. Le venin séché est réhydraté et ensuite appliqué sur ces perforations. Dans mon cas, je voulais approfondir ma compréhension de la relation que j’entretiens avec le principe féminin et avec les femmes, dont les anecdotes susracontées ne sont que quelques manifestations parmi tant d’autres. Pour la plupart des gens, le Kambo est une purge, 15 minutes passées à vomir. Or, pour moi, au-delà d’une vomissure jaunâsse, ce venin panacéen m’a donné accès à d’autres dimensions qui ont été le théâtre de nouvelles rencontres. Lors de ma première fois, le Kambo m’a transporté dans une cafétéria de Cuenca, me faisant perdre de vue toutes les notions qui m’auraient permis de savoir que j’avais fait des visions. Or, pour ce qui est de cette occasion que je souhaite raconter ici, la séance de 15 minutes de nausée, de vomissements et de malaise ne m’avait pas vraiment fait planer. Je retournai par la suite à mon appartement de Cuenca, la nuit arrivée, je me retrouvai dans une fête. C’était la clôture d’un festival de théâtre des plus biscornus, qui mélangeait folklore et traditions andines avec les préoccupations propres aux théâtres artaldien et Budoh. Élaboré avec les moyens du bord et avec bien des machines à fumée et des éclairages colorés pour cacher les décors limités, il mettait en scène des actrices dont le costume une pièce laissait voir leurs lèvres vaginales saillantes pendant qu’elles criaient à voix aiguës ou caverneuses. Un doigt d’honneur au catholicisme nauséabond de Cuenca? Aucune idée, mais une jeune femme assise à côté de moi m’accordait beaucoup d’attention. Quoi qu’il en soit, arrivé à la fête, je m’installai près du feu dans la cour du Pumapongo, établissement situé à côté du pont brisé, emblématique de Cuenca et repère de marginaux éméchés. Je fumai joint après joint d’une excellente herbe équatorienne. Je n’attendais rien de plus de ma journée. Néanmoins, comme sortie de nulle part, la jeune femme du théâtre est venue m’inviter à danser, chose que je n’avais jamais faite avant, sauf seul et bourré dans ma cuisine, ou encore dans les cérémonies d’Ayahuasca de Titi, lorsque je jouais du tambour. Je dansais, buvais des gorgées de bière quand elle me passait la bouteille. Cela a duré quelques heures, après quoi elle m’a fait un câlin avant de disparaître dans la nuit d’un état d’ébriété avancé. Le lendemain, je questionnai mes ami·e·s présent·e·s. Personne n’avait vu la jeune femme et personne ne la connaissait. Je ne l’ai jamais revue non plus… tel un esprit venu me montrer à danser pour célébrer la vie, en dépit de ses mauvaises odeurs et de ses horreurs.
[i]Le 21 avril 2024 a eu lieu la plus importante manifestation de droite dans le pays. Cet événement était largement soutenu par les grands médias et des rumeurs couraient, selon lesquels bon nombre de « manifestant·e·s » étaient en fait payé·e·s.
Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
Les alliances entre politiciens, hommes d’affaires et criminels continuent de renforcer la présence paramilitaire en Colombie, garantissant les intérêts d’accumulation et de contrôle territorial. De plus, les processus relatifs à la justice et à la réconciliation sont entrepris dans des pays étrangers. Cela reflète bien la nature du régime politique colombien.
Deux cas récents le confirment : devant un tribunal américain, la multinationale Chiquita Brands est enfin tenue d’indemniser un groupe de victimes (des milliers d’autres sont encore à venir) pour le financement par la multinationale de groupes paramilitaires. Il convient de noter qu’il s’agit d’un cas spécifique, mais que la liste des entreprises qui ont agi de la sorte et qui en ont également bénéficié est assez longue. Parallèlement, en faisant usage de la compétence universelle en Argentine, un groupe de victimes d’exécutions extrajudiciaires (falsos positivos ou faux positifs), des civils tués par l’armée et présentés comme des victimes de combat, avancent dans leur procès contre l’ancien président Álvaro Uribe pour sa responsabilité dans cette affaire.
Cela démontre la nature d’un État qui marche sur les épaules de l’impunité pour survivre, d’un ordre du mal institutionnalisé dirigé par une alliance perverse entre les élites politiques, criminelles, militaires et commerciales qui ont reconfiguré l’État à leur profit, au sein duquel le paramilitarisme continue de jouer un rôle central.
Qu’est-ce que le paramilitarisme?
Le paramilitarisme est un phénomène complexe qui a une longue histoire en Colombie, profondément ancré dans la politique de l’État et soutenu par des intérêts commerciaux.
Plutôt que d’être de simples groupes armés illégaux, les paramilitaires agissent effectivement comme un « État de facto » dans certaines régions, contrôlant le territoire, les ressources et exerçant une influence sur les communautés1Gearoid Ó Loingsigh, « Chiquita, las multinacionales y el baño de sangre en Colombia », 17 juin 2024. Récupéré au https://www.elsalmon.com.co/2024/06/chiquita-las-multinacionales-y-el-bano.html (Consulté le 8 octobre 2024).
Le paramilitarisme en tant que tel est apparu en Colombie dans les années 1960, sous l’impulsion de la doctrine de sécurité nationale des États-Unis pendant la guerre froide. Les États-Unis, préoccupés par la propagation du communisme, ont encouragé la formation de groupes paramilitaires pour contrer toute sympathie ou tout soutien aux mouvements de gauche2Javier Giraldo, « Los manuales de contrainsurgencia que dan forma al paramilitarismo siguen vigentes: Javier Giraldo », 28 avril 2024. Récupéré au https://kavilando.org/lineas-kavilando/conflicto-social-y-paz/9857-los-manuales-de-contrainsurgencia-que-dan-forma-al-paramilitarismo-siguen-vigentes-javier-giraldo (Consulté le 8 octobre 2024).
Contrairement au récit officiel qui le présente comme une réaction de groupes privés à la guérilla, le paramilitarisme a bénéficié de la complicité et du soutien de l’État colombien depuis ses débuts. Le gouvernement colombien, suivant les directives américaines, a publié des décrets et des lois légalisant la livraison d’armes à des groupes civils et la formation de groupes armés en collaboration avec l’armée3José Fernando Valencia Grajales, Juan Jacobo Agudelo Galeano, Alfonso Insuasty Rodríguez (2016). Elementos para una genealogía del paramilitarismo en Medellín, historia y contexto de la ruptura y continuidad del fenómeno (II). Medellín: Kavilando..
Il existe une relation directe entre le modèle économique et la dépossession violente des terres, des biens, des richesses et des ressources. De même, il existe aussi une relation entre ce modèle et les méthodes coloniales recyclées par le néolibéralisme, les méthodes barbares qui violent les droits des peuples. Or, les pays développés, l’Occident, ont appliqué ces méthodes dans tout le Sud mondial et en particulier dans toute notre Amérique.
Cependant, outre le soutien de l’État à cette argumentation, plusieurs entreprises, y compris des multinationales et de grandes entreprises nationales, ont été accusées de financer des groupes paramilitaires pour protéger leurs intérêts économiques et réprimer les syndicats et les organisations sociales qui défendent et revendiquent les droits du travail et de l’environnement.
Malgré les efforts déployés pour démanteler le paramilitarisme, comme le processus Justice et Paix du gouvernement Uribe (2005), et, plus tard, l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) (2016), ces groupes ont démontré une grande capacité d’adaptation et de réorganisation. Cette situation qui développe des questions liées au suivi et au démantèlement du phénomène paramilitaire parmi les points convenus6Op. cit., note 2.
Des groupes tels que le Clan del Golfo (AGC), héritiers du paramilitarisme, ont cherché à se réinventer au cours de la dernière décennie, en adoptant de nouveaux noms, en cherchant une reconnaissance politique et en participant à des pourparlers de paix. Toutefois, leurs activités criminelles se poursuivent, et donc la violence paramilitaire se perpétue de manière intense et étendue en Colombie.
Aujourd’hui, les paramilitaires utilisent la violence et l’intimidation pour contrôler les communautés et consolider leur pouvoir. Outre les massacres, les assassinats sélectifs et les déplacements forcés, ils ont également recours aujourd’hui à la cooptation des juntes d’action communautaire (Juntas de Acción Comunal), à la création d’organisations sociales de façade et à la réalisation de travaux publics pour obtenir un soutien social et une légitimité7Camilo Alzate González, « El plan del Clan del Golfo para copar el sur de Bolívar y exigir reconocimiento político », 9 juin 2024. Récupéré au https://www.revistaraya.com/el-plan-del-clan-del-golfo-para-copar-el-sur-de-bolivar-y-exigir-reconocimiento-politico.html (Consulté le 8 octobre 2024), tirant ainsi les leçons des insurrections dérivées du passage des anciens combattants d’un groupe à l’autre. En définitive, ils sont aujourd’hui à nouveau à la recherche d’une reconnaissance politique qui, d’une part, dissimule leurs véritables intérêts et, d’autre part, leur permet de négocier avec l’État l’impunité et le blanchiment de leurs richesses accumulées au fil des décennies.
Influence de la doctrine américaine en matière de sécurité
La doctrine américaine en matière de sécurité est directement liée au paramilitarisme en Colombie. En 1962, une mission de l’armée américaine dirigée par le général William Yarborough s’est rendue en Colombie et a laissé des documents secrets ordonnant l’organisation de groupes mixtes civils militaires pour éliminer les sympathisants communistes8Op. cit., note 2. Ces groupes mixtes, armés par l’État colombien au service des États-Unis, sont à l’origine du paramilitarisme en Colombie9Op. cit., note 7. Les États-Unis ont imposé l’organisation de groupes mixtes civils et militaires en Colombie en 1962 et ont envoyé des manuels de contre-insurrection, comme le livre de Roger Trinquier Modern Warfare, qui a inspiré l’armée colombienne pour lutter contre le communisme10Op. cit., note 2.
Dans ce contexte, le président colombien Guillermo León Valencia a promulgué le décret 3398 en 1965, autorisant la remise d’armes aux civils et la formation de groupes civils armés, établissant ainsi une base juridique pour le paramilitarisme sous l’influence de la doctrine de sécurité américaine11Op. cit., note 7..
Selon Giraldo12Op. cit., note 2, les manuels de contre-insurrection sont toujours utilisés et servent à justifier l’élimination de « l’ennemi intérieur ».
Entreprises nationales et multinationales
Les entreprises multinationales ont joué un rôle primordial dans le conflit colombien en finançant les groupes paramilitaires. Bien que cette relation ait été documentée dans différents rapports officiels et non gouvernementaux, ce phénomène reste une vérité non résolue qui doit être abordée afin d’éviter la répétition des cycles de violence13José Fernando Valencia Grajales & Alfonso Insuasty Rodríguez, « Multinacionales y dictaduras en Nuestra América », 24 mars 2024. Récupéré au https://contrahegemoniaweb:https://contrahegemoniaweb.com.ar/2024/03/24/multinacionales-y-dictaduras-en-nuestra-america/ (Consulté le 8 octobre 2024).
Nous pouvons citer quelques exemples parmi tant d’autres de cette relation entre les intérêts commerciaux, qui ont profité des groupes paramilitaires et les ont même directement soutenus afin d’accumuler des terres et de réaliser des profits :
Tableau : liste de quelques entreprises impliquées ou condamnées pour avoir soutenu directement des groupes paramilitaires en Colombie.
Entreprise
Description du soutien paramilitaire
Chiquita
A admis avoir donné 1,7 million de dollars aux Autodéfenses unies de Colombie (AUC) entre 1997 et 2004. Condamnée à verser 38 millions de dollars aux familles des victimes et à permettre le transport d’armes pour les AUC.
BP (British Petroleum)
Elle a reconnu avoir financé la Brigade de l’Armée XVI, affirmant que c’était légal à l’époque.
Sociétés minières
Elles ont encouragé la guerre contre les communautés du sud de Bolivar, en finançant des activités paramilitaires pour protéger leurs intérêts économiques.
Des allégations de financement de groupes paramilitaires ont été formulées à l’encontre de ces entreprises, bien qu’elles n’aient pas encore été entièrement étayées15Tribunal Permanente de los Pueblos. (18 de marzo de 2008). Tribunal Permanente de los Pueblos, empresas transnacionales y derechos de los pueblos en Colombia (2006-2008) . Obtenido de Tribunal Permanente de los Pueblos. Récupéré au https://permanentpeoplestribunal.org/wp-content/uploads/2006/04/Colombia_V_TPP_Es.pdf (Consulté le 8 octobre 2024).
Alias HH, un ancien chef paramilitaire, a avoué que l’entreprise livrait des boissons et de l’argent aux paramilitaires en échange de leur sécurité17Op. cit., note 6..
Fedegan (Fédération nationale des éleveurs de bovins)
Elle faisait partie de la structure du bloc Catatumbo, utilisant son pouvoir économique pour atteindre des objectifs criminels. Entre 1994 et 1998, Vicente et Carlos Castaño Gil, anciens commandants en chef des AUC, et le Fonds de bétail de Córdoba ont dépossédé 130 familles paysannes de plus de 105 parcelles de terre dans la région de Tulapas.
Élaboration propre à partir des sources dûment répertoriées dans la dernière colonne.
La protection du paramilitaire par le gouvernement Uribe
Javier Giraldo19Op. cit., note 6. a souligné que l’administration d’Álvaro Uribe a utilisé diverses stratégies pour dissimuler la responsabilité de l’État dans le paramilitarisme et permettre sa reconfiguration. Giraldo affirme qu’Uribe a organisé des « démobilisations » de groupes paramilitaires qui étaient en réalité de faux paramilitaires recrutés et revêtus de nouveaux uniformes. La Fiscalía, complice de ce système, a enquêté sur les «combattants démobilisés » sous leurs pseudonymes non enregistrés, ce qui leur a permis de paraître innocents et d’échapper aux poursuites.
Réseaux d’informateurs : Uribe a créé des réseaux d’informateurs rémunérés pour fournir une façade légale aux paramilitaires démobilisés.
Des entreprises comme façades : des entreprises, telles que des entreprises de palmiers à huile, ont été créées pour employer d’anciens paramilitaires.
Lois d’amnistie : des lois ont été adoptées, comme la loi 782, qui amnistie les paramilitaires non identifiés, leur permettant de rejoindre des entreprises et des réseaux d’informateurs.
Justice et paix : la loi Justice et paix (975) offre aux chefs paramilitaires des réductions de peine et des procédures judiciaires plus souples.
Extradition vers les États-Unis : lorsque les paramilitaires ont commencé à révéler leurs liens avec l’État, Uribe les a extradés vers les États-Unis.
Giraldo affirme que ces stratégies ont consolidé un « nouveau paramilitarisme », d’apparence légale, financé par le trafic de drogue et avec la coopération déguisée de l’État20Op. cit., note 2.
À ce stade, il est important d’approfondir le rôle du trafic de drogue, qui est important dans la croissance et le renforcement des groupes paramilitaires en Colombie et leur permet aujourd’hui de progresser et de se repositionner, et d’étudier plus en profondeur le rôle des États-Unis, par l’intermédiaire de la Drug Enforcement Administration (DEA), dans ce processus d’expansion et d’accords clandestins. Ces groupes, il est important de le souligner, ont réussi à devenir une puissance nationale grâce au financement du trafic de drogue, une réalité connue du gouvernement américain21National Security Archive, « La inteligencia estadounidense incluyó al presidente colombiano Uribe entre los narcotraficantes importantes en 1991 », 1er août 2004. Récupéré au https://nsarchive2.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB131/index.htm (Consulté le 8 octobre 2024) National Security Archive, « Se revela la lista negra de Jimmy Carter en Colombia », 15 avril 2024. Récupéré au https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/colombia/2024-04-15/jimmy-carters-colombia-blacklist-revealed (Consulté le 8 octobre 2024). Cette relation leur a permis de se consolider économiquement, en articulant des actions en faveur de la classe politique régionale par le biais de pots-de-vin, de contributions importantes aux campagnes électorales, de l’accès à des contrats, entre autres.
La relation entre le paramilitarisme et l’État colombien a évolué depuis la formalisation des groupes paramilitaires dans les années 1960 jusqu’à la reconfiguration sous le gouvernement Uribe. Ainsi, malgré les efforts de démobilisation, les groupes paramilitaires se sont adaptés et continuent d’agir en toute impunité, consolidant un nouveau paramilitarisme d’apparence légal et financé par le trafic de drogue.
Dans la communauté de paix de San José de Apartadó, par exemple, le Clan del Golfo a pris le contrôle après la démobilisation des FARC, agissant en toute impunité et avec une coopération déguisée de l’État. Il en va de même pour les municipalités de Urabá, Chocó, Santander, Sierra Nevada de Santa Marta, Sur de Bolívar.
Alors que cette chronique était en cours de rédaction, un rapport des services de renseignement militaire a été rendu public et révèle des faits inquiétants qui confirment ce que nous avançons ici.
Le rapport des services de renseignement militaire a révélé récemment, le 7 juillet 2024, que le Clan del Golfo met en œuvre un plan d’expansion dans la région d’Antioquia, plus précisément dans l’est d’Antioquia. Ce groupe criminel a réussi à établir une structure armée dans la région, avec une hiérarchie de commandants comprenant des membres démobilisés des anciennes Autodefensas del Magdalena Medio, en particulier des membres du Clan Isaza. Cette structure armée du Clan del Golfo est chargée de surveiller des zones stratégiques telles que les canyons de Melcocho, Samaná et Arma, utilisés pour la culture de la feuille de coca et l’exploitation minière illégale. En outre, ils contrôlent les franges limitrophes de Grenade avec San Luis et San Carlos, ainsi que les couloirs de mobilité qui relient San Rafael et San Carlos au nord, au nord-est et au Magdalena Medio.
L’expansion du clan du Golfe dans l’est d’Antioquia et dans d’autres régions du pays serait financée par des trafiquants de drogue et des hommes d’affaires. Lors d’un sommet de la mafia à Magdalena Medio, plus d’un million de dollars provenant de ces secteurs auraient été injectés pour soutenir le plan d’expansion criminelle du Clan del Golfo.
Ces rapports confirment la présence de commandos armés dans les villages ruraux de la Grenade au cours des derniers mois, ce qui a entraîné le déplacement de villageois en raison des intimidations et des violences commises par le Clan del Golfo. Il convient de noter que cette organisation criminelle a réussi à mettre en place une structure de commandement composée d’anciens paramilitaires démobilisés, ce qui lui confère une expérience et une connaissance des opérations armées et des stratégies de contrôle territorial.
Le rapport des services de renseignement militaire met en évidence l’expansion et la consolidation inquiétantes du Clan del Golfo dans l’est d’Antioquia, avec une structure armée qui cherche à contrôler des territoires stratégiques pour des activités illicites telles que le trafic de drogue et l’exploitation minière illégale, générant un climat d’insécurité et de violence dans la région22Señal Investigativa, « Falso testigo de Uribe comanda expansión de Clan del Golfo en Antioquia: informe de inteligencia militar », 2024. Récupéré au https://revistaraya.com/falso-testigo-de-uribe-comanda-expansion-de-clan-del-golfo-en-antioquia-informe-de-inteligencia-militar?s=08 (Consulté le 8 octobre 2024).
Conséquences sociales et culturelles
Ces alliances nt eu des répercussions sur la société colombienne, générant violence, assassinats, disparitions et déplacements forcés. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent l’impunité et l’absence de justice dans les cas de violence paramilitaire. En outre, le paramilitarisme a coopté les communautés et les organisations sociales, pénétré les institutions de l’État et les a reconfigurées pour répondre aux besoins des élites économiques, politiques, militaires et criminelles à fort impact23Alfonso Insuasty, « ¿De qué hablamos cuando nos referimos al paramilitarismo? » El Ágora USB, 2017, 338-352.. Il a également fortement influencé la mentalité de toute une génération et de nombreuses communautés en la teintant de « cupidité », de tromperie et d’intérêt personnel. La mentalité du paramilitarisme est fondée sur la recherche de ressources économiques, favorisant une culture de la consommation et de la banalité, ainsi qu’une position encline à l’autoritarisme, à l’exclusion et au racisme. C’est ce que Vega Cantor a défini comme la « cultura traqueta », une culture de tueurs à gages, une mentalité dont il sera difficile de se défaire24Renan Vega Cantor, « La formación de una cultura «traqueta» en Colombia », 28 février 2014. Récupéré au https://rebelion.org/la-formacion-de-una-cultura-traqueta-en-colombia/ (Consulté le 8 octobre 2024).
L’administration de Gustavo Petro a reconnu l’existence d’un « État de facto» en Colombie, dans lequel le paramilitarisme joue un rôle important. Cependant, l’éradication du paramilitarisme nécessite un changement profond de l’idéologie des forces de sécurité, renforçant l’idée d’honneur et de souveraineté, une approche de la justice centrée sur la vérité totale, l’accès aux droits, des opportunités et une transformation culturelle soutenue.
José Fernando Valencia Grajales, Juan Jacobo Agudelo Galeano, Alfonso Insuasty Rodríguez (2016). Elementos para una genealogía del paramilitarismo en Medellín, historia y contexto de la ruptura y continuidad del fenómeno (II). Medellín: Kavilando.
Tribunal Permanente de los Pueblos. (18 de marzo de 2008). Tribunal Permanente de los Pueblos, empresas transnacionales y derechos de los pueblos en Colombia (2006-2008) . Obtenido de Tribunal Permanente de los Pueblos. Récupéré au https://permanentpeoplestribunal.org/wp-content/uploads/2006/04/Colombia_V_TPP_Es.pdf (Consulté le 8 octobre 2024)
Les plantes qualifiées d’hallucinogènes connaissent un regain d’intérêt depuis quelques années, que ce soit avec les champignons magiques, l’Ayahuasca, le San Pedro, ou encore des composés synthétiques comme la MDMA (ecstasy), le LSD ou la kétamine1https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2025569/psychotherapie-psychedelique-psilocybine-hopital-montreal. En effet, en quelques séances, ces substances peuvent provoquer des changements radicaux que la thérapie et la pharmacologie traditionnelles ne semblent pouvoir réussir. Cela dit, les propriétés de ces plantes ne sont pas une découverte de la science moderne. Elles sont utilisées depuis des millénaires par diverses cultures autochtones, qui en détiennent une connaissance beaucoup plus approfondie, notamment à ce qui a trait à ses risques. Ce qui rebute le lecteur ou la lectrice d’Amérique du Nord, c’est peut-être les traditions spirituelles qui y sont associées, difficiles à saisir si on les aborde du point de vue de la pensée rationnelle. Si la Révolution tranquille nous a inculqué, au Québec, la méfiance de toute élucubration métaphysique, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. En effet, je crois qu’un nouvel éveil est possible, surtout au regard de l’intérêt nouvellement porté aux cultures autochtones et à leur savoir des plus pertinents en ce qui a trait, entre autres, à la pensée écologique et à la protection de l’environnement. Enfin, on ne peut pas se limiter à une autochtonisation superficielle des savoirs, guidée par un complexe de culpabilité blanc. Peu importe le système politique qui prétend nous gouverner, nos propres corps sont constitués et maintenus en vie par les produits de la terre de l’île de la Tortue. Il est donc important de tenter de s’intéresser plus en profondeur aux savoirs portés par les gardien·ne·s de ces terres. Dans le cas de ce texte, notre enquête nous pousse plus au sud, mais la visée est la même.
Aussi, il y a lieu d’émettre un avertissement. Les plantes médicinales qui sont abordées dans ce texte sont très puissantes et la décision de participer à des cérémonies ne peut être prise à la légère. Il ne s’agit en aucun cas de drogues récréatives. En effet, elles ont le potentiel de transformer une vie, pour le mieux ou pour le pire. Il faut non seulement être bien préparé·e·s, mais aussi le faire sous la supervision d’un·e guide d’expérience et de confiance. Certain·e·s diront une personne thérapeute ou avec une formation en médecine. Nous ne sommes pas d’accord, parce que la science ne s’intéresse à ces plantes que depuis un siècle tout au plus. Cela dit, comme vous le verrez dans le texte, il y a de bon·ne·s et de mauvais·es chamanes, comme il y a de bon·ne·s et de mauvais·es thérapeutes. Enfin, certains médicaments, dont certains antidépresseurs, sont aussi incompatibles avec ces plantes, comme le sont certaines conditions médicales particulières. Un choix judicieux s’impose donc.
Ce texte fait suite à un autre précédemment publié à la revue. En fait, la rédaction de ce texte avait déjà été entamée lors de notre premier périple en Équateur avec les plantes médicinales, dans le Centre de retraite d’Ayahuasca et du San Pedro Gaia Sagrada. À l’époque, sa publication n’avait pas été jugée pertinente, d’une part, parce que le texte était perçu comme n’ajoutant rien aux descriptions plutôt savantes de mon autre article et, d’autre part, parce qu’à ce moment-là, il était difficile d’en voir la pertinence politique. Cela dit, ma situation personnelle au regard du chamanisme a depuis complètement changé. J’ai abandonné l’Islam pour m’embarquer sur la voie du Camino del Fuego Sagrado Itzchilatlan de Don Aurelio Tekpankalli2Voir https://www.youtube.com/watch?v=NaK2nesA0_k&t=578s, mouvement panautochtone et néopaïen, et le chamanisme oriente désormais en très grande partie ma compréhension d’un anarchisme spirituel. Par la même occasion, même si mon premier texte était intéressant, il n’est plus du tout représentatif de ma relation avec le sujet en question. Je vais donc présenter de nouveaux éléments de compréhension en établissant plus clairement leur relation avec cet anarchisme qui en résulte.
Les éclaboussures de cervelle
Se posent dans les coulisses du Soleil Noir
Le sphincter-solaire se contractant, se décontractant
Les frontières de l’iris se dilatent
Des branchies
La chute des réels, l’un après l’autre,
S’accélère
Le cisaillement de la matrice de l’Univers
Dont je suis l’infection
Tout a commencé lors de ma première limpia, ou purification. Je suivais un petit sentier qui descendait vers une maloca sous les arbres, hutte utilisée par les chamanes à des fins de cérémonies. Je devais faire la rencontre d’Antay, jeune protégé de l’établissement. Au centre de la maloca brûlait un feu de bois et l’écho de ses crépitements se faisait entendre dans les interstices d’une forêt de conifères silencieuse. Les troncs vibraient de voix gutturales. Un soin énorme était donné au feu, Teitanina, le maître-chamane. Sept bûches étaient placées les unes sur les autres, représentant les sept générations antérieures et les sept générations à venir, ainsi que les sept directions de la roue de médecine, les quatre points cardinaux, le père ciel, la mère terre, Pachamama, et le cœur, aussi représenté par le même feu sacré. Les bûches formaient une flèche dirigée vers l’ouest. Les braises et les cendres étaient organisées, balayées, brossées, avec le balai ou le pinceau, suivant des motifs précis au sein de l’autel qui représentait la roue médicinale. Au début, elles esquissaient, avec quelques variations d’un chamane à l’autre, les contours d’une graine, d’un cœur, d’une flèche et enfin, d’un condor. Dès mon arrivée dans la maloca, Antay m’a invité à m’asseoir sur un tabouret et m’a demandé la raison de ma visite. Ma réponse était bien simple : guérir. Je souffrais à l’époque de sérieux problèmes de dépression et d’anxiété et, à vrai dire, le chamanisme était pour moi alors une tentative désespérée. Je me disais que si cela ne fonctionnait pas, je mettrais fin à mes jours. Antay m’a fait choisir trois cartes au hasard dans ce qui ressemblait à un jeu de Tarot. La première représentait mon but : laotra existencia, l’autre existence, l’au-delà. La vie n’est qu’un passage avec une entrée et une sortie. Le chemin peut être parcouru en pleurant ou en dansant. La deuxième carte représentait le travail nécessaire pour accomplir ce but, la implicación. Selon lui, je suis une personne magique constituée pour fonctionner à l’extérieur du système. Je dois embrasser totalement ce rôle. Évidemment, je n’avais encore aucune idée à l’époque de ce que cela signifiait vraiment. La troisième carte représentait le résultat escompté, la concentración de los poderes, la concentration des pouvoirs. Mon cœur, mon esprit et mon corps étaient séparés, aliénés l’un de l’autre. Mon esprit se trouvait encore dans le système que je rejetais. Je devais arriver à l’unir au cœur pour suivre la voie de l’amour, hors des carcans que je m’étais construits. Depuis lors, l’amour est le seul système dans lequel j’accepte de vivre. J’ai aussi abandonné mes études doctorales que je poursuivais à l’Université d’Ottawa, et ce, pour libérer mon esprit et l’amener avec mon cœur dans la pensée magique. La rigide rationalité de la pensée scientifique, son caractère eurocentrique ne me semblait plus surmontable de l’intérieur. Or, pour les curander@s, la réalité des émotions a préséance sur celle des produits de l’esprit. Par ailleurs, avant mon éveil spirituel à Gaia, en raison de mon anxiété sociale, je n’arrivais pas à lire les expressions sur le visage d’une personne pour savoir si cette dernière s’exprimait avec colère, tristesse, bonheur ou toute autre émotion. Or, mon intelligence émotionnelle a depuis pris une ampleur incroyable. Je me surprends même à pouvoir lire les gens et comprendre la provenance de la charge émotionnelle qu’ielles portent avec ielles. Qui plus est, là où j’en suis, je crois qu’il est fondamentalement impossible de faire de la politique radicale sans être en étroite relation avec son propre état émotionnel et celui des autres. En effet, le bonheur et la dignité ne sont-ils pas le but ultime de toute politique radicale? Je sais maintenant que ce que je ressens est plus important que ce que je vois, entends, touche, sens et touche. Antay m’a incité à faire confiance à mes sentiments et choisir mon entourage et mes relations en conséquence. Selon lui, je devrais être à la recherche de relations et non de personnes ou d’objets en ielles-mêmes. L’anarchie, c’est donc un ensemble de relations horizontales empreintes de respect, qui se passe de toute forme d’autorité. Tout peut se faire avec plaisir et personne n’a à s’excuser de qui ielle est. Comme pour bon nombre de gens qui se retrouvent à Gaia et qui changent leur vie en un temps record, j’ai aussi changé ma vie en me séparant de ma conjointe de près de 10 ans. Une séparation qui s’est faite à la bonne franquette et dans la joie, pour notre bonheur mutuel. Lorsqu’Antay a abordé, dans des termes très vagues, les merveilles qui m’attendaient, une bûche est tombée dans le feu et Antay a déclaré : « le feu dit oui ».
Après cet échange de paroles somme toute succinctes, il m’a fait asseoir devant le feu sur un second petit tabouret situé de l’autre côté du feu de camp. Suivant ses instructions, j’ai fermé les yeux. Il m’a demandé de respirer trois fois une substance froide au toucher qui dégageait une odeur de menthol et d’eucalyptus. Très rapidement, le feu commençait à me brûler les jambes d’une chaleur presque intolérable. J’avais peine à rester immobile pendant cette purification. Il a ensuite commencé à me fouetter le corps avec des poignées d’herbes qu’il jetait une après l’autre dans le feu. Les flammes rugissaient à chaque fois, emportant quelques afflictions qui m’accablaient et dont je n’avais alors guère conscience. Pendant la procédure, l’obscurité de l’arrière de mes paupières s’illuminait parfois d’une lueur blanche, orange puis violette. Aussi, lors de cette même procédure, je voyais une mince flamme, même les yeux fermés, qui s’est plus tard déplacée vers la droite. À la fin, lorsqu’il m’a demandé d’ouvrir les yeux, je craignais de les ouvrir, car ceux-ci étaient baignés dans une obscurité qui n’était ni totale ni inconfortable. Je n’ai été en mesure de le faire qu’après plusieurs instants de silence dans la quasi-obscurité. À leur ouverture, l’atmosphère dans laquelle je baignais semblait totalement pacifiée. La jambe droite me brûlait encore après cette expérience et je sentais toujours l’odeur parfumée des plantes dans ma barbe, sur mes mains et sur mes vêtements. Cette brûlure allait se cicatriser en une marque qui ressemble à un poisson, le symbole du psychonaute. Le ou la chamane est une porte entre le monde matériel et le monde des esprits. Ielle noue des relations avec certains de ces esprits pour aider les autres. Ielle est d’abord celui ou celle qui apprend à se guérir ielle-même. Le mot chamane tire ses origines de la langue toungouse3https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C1526#:~ :text=Emprunt%C3%A9%20du%20russe%20chaman%2C%20%C2%AB%20pr%C3%AAtre,toungouse%20shaman%2C%20%C2%AB%20moine%20%C2%BB, d’Asie du Nord et de l’Est, mais en Amérique du Sud, on les appelle généralement curander@s ou guérisseur·euse·s. Enfin, je ne soupçonnais pas que le chamane qui m’avait initié aux rites du chamanisme allait se rebeller contre son aînée spirituelle et fondatrice de Gaia Sagrada, Christine, s’adonnant à la sorcellerie pour parvenir à ses fins. J’allais moi-même faire les frais, dans une certaine mesure, de ses manigances. Des esprits maléfiques allaient me tourmenter et j’ai dû développer mes propres moyens de défense. Lorsque j’ai commencé à pratiquer la projection astrale, une pratique qui consiste à envoyer un double énergétique de son propre corps explorer d’autres dimensions, j’ai aussi appris à manifester mes états émotionnels préjudiciables sous forme de monstruosités et les combattre dans les dimensions astrales. C’est dire que le ou la curander@s n’est en aucun cas idéalisé·e. Par ailleurs, ielles n’adhèrent à aucune vision moraliste. Il n’y a pas de bien ou de mal. Chacun·e développe sa propre relation avec ses actions, qui portent toujours leur lot de conséquences.
Sa construction s’accélère, de la matière en fusion s’en expulse
Et laisse ses sciures comme des branchies
Dans l’écran de la vision du désert du réel.
Pas de diagnostic, pas de dosage, pas de plan de traitement
Contrairement à la médecine occidentale, il y a n’a pas de diagnostic, de dosage standard ou de plan de traitement pour l’Ayahuasca. Pour le diagnostic, c’est la plante elle-même qui le pose. Pour le plan de traitement, c’est le travail d’intégration pour lequel de nombreux efforts doivent être déployés après la ou les cérémonies. Pour le dosage, évidemment, comme il s’agit d’un médicament, on ne choisit pas la quantité à ingurgiter, comme on le fait dans un débit d’alcool ou en se roulant un gros joint. C’est le ou la curander@s qui s’en charge. Titi, chamane brésilien responsable de cette première cérémonie, m’a simplement fixé quelques secondes, droit dans les yeux, avant de me préparer ce qui était, apparemment, une forte dose, transvidant l’épais liquide brun d’un thermos vers un petit gobelet puis vers mon verre en inox, trois fois. Chamane métis, avec des origines guaranis, il a également étudié la médecine ayurvédique de l’Inde et la médecine traditionnelle chinoise. Il insistait sur le fait que mère Ayahuasca, comme il l’appelle respectueusement, n’a rien à voir avec les drogues ou les substances dites psychédéliques. Lui donner ce nom serait non seulement un manque de respect, mais serait aussi un acte d’ignorance. Titi nous expliquait également : « Les femmes sont très puissantes, les plus puissantes chamanes, mais leur pouvoir a été réprimé par une société patriarcale ». Il veillait visiblement à changer cette situation, accompagnée de Raquel, son apprentie. Par ailleurs, Raquel et moi-même nous sommes depuis liés d’amitié et Titi allait devenir pour moi un mentor important dans l’apprentissage nécessaire pour mener à bien des cérémonies. Raquel et Titi étaient présent·e·s lors de ma première cérémonie d’Ayahuasca et, un an plus tard, lors de la cérémonie pendant laquelle les esprits ielles-mêmes m’ont pointé du doigt la voie du curandero. De Raquel, j’ai beaucoup appris de la masculinité, que je conçois maintenant comme le service du principe créateur féminin et des femmes puissantes, qui ont le pouvoir de changer l’ordre des choses pour un monde meilleur. Par la même occasion, j’ai appris énormément, dans cette relation, de l’amour, de l’amitié, de la femme, de la vie et du principe féminin. Si un jour, j’entame une nouvelle relation amoureuse, ce sera pour servir une femme puissante, une curandera qui en aidera d’autres à retrouver leur pouvoir pour entamer la révolution qui commence dans nos cœurs.
Quoi qu’il en soit, lors de cette première cérémonie en question, peu de temps après avoir ingurgité cette boisson enthéogène, une trentaine de minutes tout au plus, je sentais l’Ayahuasca se répandre comme un serpent ou une liane aux tréfonds de mes entrailles. Je restais très lucide tout au long de mon expérience, sans confusion ou anxiété, contrairement à l’effet qu’a déjà pu avoir sur moi de fortes doses de cannabis. En effet, le cannabis, bien qu’aussi considéré comme un enthéogène, peut parfois avoir des effets très intenses, surtout lorsqu’ingéré. Je m’attendais à des difficultés au début de la cérémonie. Je pensais que j’allais devoir revivre divers traumatismes, mais je me trompais complètement. Je n’ai pas été torturé, étranglé, on ne m’a pas craché dans la bouche, on ne m’a pas collé un couteau à la gorge. J’étais sur la bonne voie, mais je n’avais pas confiance. Doucement, des visions commençaient à être projetées sur l’arrière de mes paupières, des motifs kaléidoscopiques, des architectures futuristes, des planètes, des étoiles, des engins spatiaux. Le paysage qui se déployait devant moi demeurait en constante transformation. Les lignes de couleurs néon qui cisaillaient le firmament comme un projecteur au travers d’une chevelure de jais définissaient à la fois la silhouette et les détails d’apparitions qui s’évanouissaient presque aussitôt. Au sein de cette tapisserie cosmique, un reptile devenait rapidement un oiseau en plein vol, puis un engin intersidéral à base octogonale dont le feu du réacteur clignait de l’œil. Des cils de feu projetés dans un mouvement hélicoïdal cisaillaient ensuite l’obscurité du firmament pour révéler et perforer une poche de fétus de serpents qui se faufilaient dans les planètes comme des vers dans des pommes. Des fenêtres en verres de lunettes s’ouvraient vers des univers parallèles dont les dimensions et les proportions qui faisaient l’ordre de ce monde étaient totalement fracturées. Ce qui est en haut est aussi en bas devenait ce qui est en haut est en bas ou, en d’autres mots, il n’y a plus d’en bas ou d’en haut. Pendant un instant, une longue traînée qui ressemblait à une chaîne d’ADN composée d’œufs de poisson renfermant des crânes humains passait devant moi, puis des oranges pelées rebondissaient dans une cabine d’avion vide. Les yeux ouverts, je me retrouvais seul près du feu, avec Raquel et ses incantations :
Je suis l’anaconda qui naît du Soleil
L’aigle doré qui volait librement
Je suis le petit oiseau qui voulait voler
Et qui de son nid commençait à chanter4« Soy el anaconda que nace del sol Águila dorada que libre voló El pajarito que quiere volar Y que desde su nido comenzó a cantar »
Les chants de Raquel, ses invocations, constituaient une corde qui me maintenait attaché aux piliers de la maloca, comme si j’étais un astronaute dans l’immensité de l’espace, pour que je ne perde pas ma navette de vue. Ces chants de cérémonie, parfois appelés icaros, en référence au mythe d’Icare5https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Icare/124669, sont le filet de sécurité du psychonaute. Les yeux ouverts, l’atmosphère était comme trempé d’une substance invisible qui s’écoulait des pores d’une autre dimension et les yeux fermés, la corde qui m’ancrait sur une terre plus ou moins ferme disparaissait et je traversais de multiples champs d’astéroïdes qui s’écrasaient sur ma peau comme des grains de sel sur une surface glacée. Le firmament se tissait lui-même en filaments gélatineux qui devenaient lianes et les lianes fleurissaient sur ma peau avec les couleurs de l’arc-en-ciel et une tapisserie de frissons. J’ouvrais ensuite les yeux brusquement à la sensation de morsure de mon ex-partenaire lors de la naissance de mes enfants, qui déféquaient rapidement leur méconium sur les parois de l’Univers. Mes frissons, comme des antennes de lépidoptère s’érigeaient à la pointe de mes poils et collaient dans la salive de la bouche béante et affamée du cosmos. Mon cœur devenait cet orifice-miroir dans lequel se vidaient toutes les rivières. Le but de ces cérémonies et de ces explorations est de se connaître soi-même, car c’est seulement en explorant ses propres profondeurs, sa propre obscurité et sa propre lumière qu’on peut apprendre à se guérir soi-même, et c’est seulement en travaillant à cette guérison qu’on peut mettre en œuvre les actions nécessaires pour un monde meilleur. Les cérémonies se terminent toujours par une prière pour mama Agua, maman eau, une ressource essentielle à la vie. Il s’agit d’un appel à sa défense pour assurer un avenir aux générations futures, et ce, contre l’extractivisme et les autres pratiques insensées qui menacent d’anéantir la vie sur la planète. L’eau est considérée comme l’intelligence suprême, suivie par les plantes et les animaux, l’être humain étant en quelque sorte au bas de l’échelle de l’évolution. Je compte m’installer en Équateur et les esprits m’ont depuis appelé à participer à la lutte contre les minières canadiennes en Équateur, qui polluent l’eau et détruisent l’avenir des enfants de ce pays6Voir https://miningwatch.ca/fr/node/10867, et d’une certaine manière, des enfants de tous les pays.
La mer ne rejette aucune rivière7« El mar no rechaza ningún rio » (extrait d’une chanson de Raquel).
La deuxième cérémonie d’Ayahuasca, dirigée par Jaguar noir, a été très importante pour moi. À l’occasion de cette cérémonie, j’ai été en proie, pendant près de quatre heures, à un orgasme féminin, jouissance et extases m’envahissant de la tête au pied. Je dis féminin, parce que ce type d’orgasme m’a toujours semblé plus total, plus puissant que l’orgasme masculin qui, généralement, voit son étendue grandement limitée à la génitalité, victime de son propre phallocentrisme. Ce serait aussi l’équivalent d’un orgasme d’énergie en yoga tantrique ou encore d’un orgasme de vallée en magie sexuelle. De fortes décharges électriques me secouaient de la pointe de mes cheveux jusque dans mes orteils. J’étais tout à fait noyé dans le parfum merveilleux de mes propres cheveux et de mon propre corps. Mon crâne s’était ouvert comme un bulbe de pavot gorgé d’opium qui remontait le temps pour redevenir fleur. Les éclairs de mon crâne étaient projetés au-dessus de moi en un arc-en-ciel de couleurs primaires qui vibraient au rythme des jouissances qui me traversaient. Toute cette membrane déployée devant moi s’agitait en une symphonie de couleurs.
Il s’agissait de l’univers qui semait les graines de l’adoration de la femme et du féminin. Par ailleurs, cette adoration n’était pas totalement étrangère à certains courants mystiques de l’Islam que j’ai depuis abandonné. L’Islam avait été un pont pour moi entre une existence sans aspiration spirituelle aucune et ma voie actuelle. L’Islam est, dans son ensemble, assez autorépressif et à l’époque, à 22 ans, même si j’étais en quête de liberté, je n’avais pas assez de confiance et d’amour propre pour embrasser autre chose qu’un cadre strict de privation. Cela dit, je remercie la vie de m’avoir montré le pont, et je suis encore plus heureux de l’avoir traversé. En arrivant au bout du pont, je voyais déjà certains éléments qui me poussaient à aller au-delà. Pour Ibn Arabi, la vision la plus aboutie de la réalité divine passe par la contemplation du principe créatif féminin. Il est aussi rapporté qu’Ibn Arabi aurait eu une vision dans laquelle il avait eu des rapports sexuels avec les lettres de l’alphabet arabe8Michael Muhammad Knight, Magic in Islam (New York: TarcheePerigree, 2016), 66.. Om, la lettre sanscrite, est aussi omm ou umm en arabe, la mère. Un des mots pour parler de la vérité (haqiqah) en arabe est féminin et représenterait l’essence de tout être9Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ’Arabi, 183.. Évidemment, je me rends compte que ces éléments particulièrement intéressants de l’Islam ont été noyés dans les dogmes misogynes qui se retrouvent dans les sociétés islamiques modernes. Cette expérience a marqué pour moi les premiers pas de mon adhésion à une vision anarchoféministe, la reconnaissance que tout système d’oppression a pour pilier le patriarcat et que militer comme anarchiste, c’est aussi guérir la masculinité sexiste et dominante, qui au fond, est le résultat de la peur du pouvoir de la femme profondément enfoui dans la poitrine de chaque misogyne et de chaque antiféministe. Cela dit, malgré les enseignements de maman Ayahuasca lors de cette cérémonie, il s’est avéré par la suite que Jaguar noir n’était pas un personnage exemplaire et que, comme bon nombre de curanderos, il utilisait sa concoction, préparée avec des feuilles de fruits de la passion, pour assouvir ses désirs charnels auprès de ses patientes, un viol, ni plus ni moins. Aussitôt la chose sue, il s’est fait renvoyer de Gaia Sagrada. Christine ayant déjà fait les frais de chamanes prédateurs, elle ne les tolère absolument pas. Maman Ayahuasca mérite notre respect, mais avec les chamanes, il faut toujours faire preuve de discernement. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion d’en discuter avec Raquel et elle m’a dit : « Prie pour que les gens puissent continuer de guérir grâce à ses cérémonies, car il reste qu’il est très puissant ».
Le découpage révèle, l’immigration-miroir
Gravité autour de l’Univers d’un pays
Dont les ultérieurs sont responsables des conséquences
Le rire de Wachuma
Béni·e·s soient la pomme, la femme et le serpent qui nous ont permis de nous connaître nous-mêmes, le seul savoir réellement possible et le seul qui en vaut la peine. Pour les païen·ne·s, Lucifer est celui qui amène la lumière de la connaissance de soi. Dans ces traditions, toutes les vérités sont l’objet d’une expérience par les états de conscience non ordinaires. Dans les grandes religions dogmatiques, une caste de prêtres a systématiquement accaparé ce pouvoir pour servir d’intermédiaire avec le grand mystère qui se trouve au fond du cœur de chacun·e de nous. C’est pourquoi Don Aurelio, leader du mouvement camino rojo, affirme que nous sommes tous·tes autochtones, que nous avons tous·tes la possibilité de retrouver nos traditions dans la mémoire antédiluvienne à laquelle nous ouvre les plantes médicinales. Il est temps de revenir à nos traditions préchrétiennes pour se ressaisir de notre pouvoir. Une déchirure a jailli vers le bas de l’antimatière espace-temps, tirant les rideaux d’un univers parallèle. S’y trouvait un Soleil noir qui diffusait son obscurité-lumière lui aussi cerclé d’espace-temps et dispersant des flammèches d’obscurité. Ce qui fait du mal aux autres nous fait mal à nous. Cela noircit le miroir du cœur et nous rend aveugles à cette souffrance. Il faut dire que le réel lui-même est hallu-ciné10Expression utilisée dans le film expérimental queer Arrebato (1979) d’Iván Zulueta. Il suffit de ne pas y être aveugle pour y voir le caractère baroque et visionnaire de tous les réels. Pour la cérémonie, tous·tes les participant·e·s s’assoyaient en cercle sur le sol. Chaque individu est une métaphore politique de son propre pouvoir, chaque personne travaillant à la métaphorisation du faire exister, système conceptuel fondamental, l’état de nos actions et de nos relations avec le monde.
La cérémonie de grand-papa San Pedro ou Wachuma est célébrée d’une manière très différente de celle de l’Ayahuasca. D’abord, alors que la cérémonie d’Ayahuasca se déroule la nuit et dure tout au plus une douzaine d’heures, la cérémonie de San Pedro est au moins deux fois plus longue. La nôtre avait été ouverte à 8 h et s’est terminée tard dans la nuit. Après quoi, j’en ai encore senti les effets, et j’ai continué à avoir des visions jusqu’au lendemain matin. La consommation se fait aussi à des intervalles plus réguliers. Cette méthode assure ainsi une ascension progressive. La présence de Wachuma s’est manifestée au bout de quelques heures par des éclats de rire tonitruant qui me chatouillaient la gorge. Je purgeais mes doutes par le rire. Christine, qui dirigeait la cérémonie, m’assurait qu’Adolf Hitler en aurait été terrifié.
Les visions auxquelles Grand-papa Wachuma nous donne accès sont un peu différentes de celles que nous pouvons percevoir lors de cérémonies d’Ayahuasca. Si mère Ayahuasca présente des visions cosmiques et le sentiment d’une interpénétration le soi et l’Univers, une sorte d’acte d’union extatique spirituel et sexuel avec l’Univers, Wachuma présente plutôt des ombres et des couches de lumière qui forment des silhouettes sur des arrière-fonds d’obscurité. Partout où vous fixez l’obscurité, ou lorsque vous fermez les yeux, des tentacules gluants s’agitent, des créatures dignes des écrits de Lovecraft se révèlent. Ielles deviennent invisibles lorsqu’on fixe le feuillage ou les arbres, mais seulement jusqu’à ce que l’obscurité dévore aussi le monde végétal.
Pendant cette cérémonie, chaque personne a été invitée à s’exprimer sur ce qui lui a fait perdre son pouvoir et comment le retrouver. C’est en fait l’élément central à la cérémonie de San Pedro, qui constitue une énergie masculine. Ce n’est pas que la culture qui entoure le San Pedro soit masculiniste. Non, les personnes qui ont semblé le mieux bénéficier de cette cérémonie sont des femmes. Par exemple, il y avait cette jeune femme haïtienne qui se plaignait de toujours attirer, dans ses propres mots, des « hommes de merde », et qui voulait changer son pays, qui avait sombré dans la déchéance et la corruption, avec des hommes en chef de file. Il y avait cette autre femme au cœur brisé par la mort d’un ancien amant suite à une surdose d’héroïne. Christiane lui a dit : « il est ici, il est ici parmi nous, mais c’est toi qui le hantes et non le contraire. Il faut le laisser partir. Vos âmes seront sans doute unies dans bien d’autres vies ». Cette participante a alors pu se ressaisir de son pouvoir. À mon tour, j’ai parlé de toute l’intimidation dont j’ai pu souffrir dans mon enfance, des automutilations qui m’ont laissé des cicatrices à vie et des souffrances extrêmes que j’avais amenées avec moi dans la vie adulte. J’ai depuis pu tourner la page sur ce passé. Le San Pedro, d’une certaine manière, permet à celle et ceux qui ont été écrasé·e·s de se relever, et moi, évidemment, en éclatant constamment d’un rire qui claquait aux quatre coins de la nuit. En vérité, cette idée de reprendre son pouvoir peut être entendue comme, d’un point de vue politique, le ressaisissement de nos capacités d’autogestion, la possibilité d’organiser sa propre vie et, par conséquent, de s’organiser en groupe, en société, sans céder son propre pouvoir à toutes sortes de structures aliénantes censées nous représenter, une représentation qui ne s’est jamais avérée adéquate. L’important est de comprendre que l’autogestion commence par soi-même.
Selon Christine, il nous faut apprendre à distinguer et à traiter séparément chacun des univers parallèles ainsi superposés. Je suis resté longtemps après la cérémonie autour du feu avec Christine, encore en proie aux visions à moins de fixer le feu de camp. Elle nous avait enseigné à percevoir les auras, sorte de lueurs de diverses couleurs autour du corps de chacun·e qui témoigne de l’état émotionnel d’une personne. De manière peut-être encore plus extraordinaire, nous avons aperçu un OVNI qui volait au-dessus de nous, vibrant et oscillant dans le ciel, d’une lumière à la fois violacée et bleutée. Certain·e·s se feront sans doute un plaisir de discréditer ce qui a été aperçu sous l’emprise de fortes doses de mescaline, mais, d’une part, nous sommes plusieurs à l’avoir aperçu, ce qui serait une hallucination collective, un phénomène d’importance en soit et, d’autre part, si les visions du cœur sont plus vraies que ce que nous appelons le réel alors une vision d’OVNI est sans doute plus réelle qu’une observation d’OVNI du point de vue de ce que nous appelons communément le réel. Même si les curander@s croient généralement à la vie extraterrestre et à la présence de ces voyageur·euse·s interdimentionnel·le·s dans notre quotidien, l’important ici n’est pas l’OVNI, mais notre relation par rapport à la nature même du réel et notre pouvoir sur ce dernier. Notre réalité est ce que nous la croyons être. En ce sens, nos croyances sont plastiques et malléables. Nous avons la possibilité de choisir les croyances qui nous servent et de les changer à volonté. Il s’agit d’une opération alchimique de la conscience, une transmutation et, au fond, le secret de l’alchimie, la pierre philosophale, c’est notre cœur, un organe plus intelligent que le cerveau.
Ceci est du LSD
Lors de cette première retraite, la dernière cérémonie d’Ayahuasca a eu lieu sous la direction de Don Mauricio, un chamane originaire du Chili et musicien hors pair, un personnage sorti tout droit de la contre-culture des années 1960. Il appelait à la libération de la conscience pour la révolution11« Je suis un guerrier de la Pachamama [Terre-mère] ». Voir https://www.youtube.com/watch?v=rdYFx2UyG3s. tout au long de la cérémonie. Il était moins traditionnel que les autres chamanes et la cérémonie tournait davantage autour d’un concert de musique folk que des invocations à proprement parler. Cela dit, les visions durant cette cérémonie étaient d’autant plus vives. Mon intention pour cette cérémonie était d’acquérir une créativité positive, épurée des énergies négatives auxquelles elle était auparavant associée. Étrangement, l’Ayahuasca, normalement extrêmement amère, était sucrée cette fois.
Après une demi-heure, je sentais déjà les effets. J’ai entendu ma propre voix me dire : « je suis le créateur et je vais te montrer comment créer ». J’ai alors assisté à ce que je comprenais comme étant la création, mais une création qui ne ressemblait à aucune autre de celles qu’on pouvait situer dans les Écritures. De l’énergie se transformait en matière et en créature diverses. Des rivières de magma vert, jaune et rouge enluminé de flammes bleues, turquoises et rose coulaient de part et d’autre de moi pour s’envoler sous la forme d’un oiseau, d’une chauve-souris ou d’une libellule. Il y avait également un ruisseau avec des serpents en ébats à la place de l’eau. De leur sperme gris s’élevaient des plantes verdoyantes et écarlates. Un univers se construisait à ma portée et un autre, à l’envers, contre le plafond de la maloca-univers. Don Mauricio qui me regardait, jouait de la guitare, fondait, à l’exception de son troisième œil qui clignait et balayait l’espace infini du regard. Nous échangions des sourires et mon voisin de maloca, un concepteur de télévision britannique, vomissait en parlant en termes très élogieux, entre deux dégueulis, de la beauté de la musique de Don Mauricio. En fait, c’est comme si j’assistais à la création de multiples univers parallèles, tous secrétés à la fois par l’essence divine. Même si je sais que je n’ai pas besoin de drogues pour créer, j’ai parfois l’impression d’un doute refoulé qui persiste. À cette pensée, ma propre voix m’a répondu : « ceci est du LSD », un enthéogène dont je n’ai jamais fait l’expérience.
J’ai alors fait l’expérience de ce que je concevais comme un voyage de LSD, un sous-voyage dans le voyage d’Ayahuasca. En une fraction de seconde, l’obscurité était balayée par des mandalas et des membranes traversées de couleurs vives qui se gonflaient et s’évanouissaient, se bousculant les unes devant les autres pour être inclus dans mon champ de vision. Je sentais la chaleur des couleurs qui se bousculaient sur la surface de la peau. Le kaléidoscope ainsi engendré semblait se déployer à perte de vue dans l’espace-temps. J’en suis venu à penser que la formule chimique même de l’Ayahuasca avait été transformée à même mon système sanguin. Ma propre voix m’a ensuite dit « Chier, c’est créer ». En effet, j’ai dû me rendre plusieurs fois aux toilettes pendant les longues heures de cette cérémonie pour me défaire d’une diarrhée projectile puissante. Je sentais que je traduisais mes visions dans les toilettes avec mon anus. Je me levais pour uriner sur les fresques de caca dans la cuve, créant des tourbillons propres dans la merde. J’en retiens que la vie, dans ses moindres aspects, est un travail d’autocréation. En sortant des toilettes, je poussais un rire qui secouait le calme comme un tonnerre.
Enfin, j’ai visité la jeune femme haïtienne qui s’était exprimée pendant la cérémonie de San Pedro dans ses rêves. En effet, elle était depuis de retour aux États-Unis. Pour moi, les possibilités d’une telle visite semblaient illimitées, mais je ne voulais en rien perturber son sommeil, sans parler du respect le plus fondamental de sa personne. J’ai donc chuchoté quelques mots de réconfort à son oreille. Elle voulait que je reste dans son rêve, mais je me suis excusé pour revenir à la maloca. Sans jamais avoir pu recevoir de confirmation de la validité de cette expérience, nous sommes tout de même resté·e·s en contact par la suite, comme si cette expérience avait servi à nouer une relation amicale qui devait perdurer. Après cette insolite expérience de communication, j’étais épuisé. La deuxième partie de la nuit, après mon deuxième verre d’Ayahuasca, a été plus tranquille et je compris l’importance de la persévérance contre les étourdissements et les nausées de la réalité sociale que je devais confronter. La réalité de l’Ayahuasca, ces mondes parallèles, allait m’accompagner jusque chez moi. À mon sens, cette cérémonie m’avait inculqué l’idée selon laquelle nous avons le pouvoir de créer notre propre réalité au quotidien, un fondement de toute vision politique radicale, s’il en est un.
Il s’agissait de la dernière cérémonie. Le surlendemain, je retournais à Quito, ramenant avec moi une énergie incroyable. J’étais encore en proie à l’extase des visions que m’avait fait connaître mon expérience. Le simple fait de me brosser les dents me procurait une jouissance débordante. Je pouvais voir les émanations d’amour comme des vapeurs projetées autour des gens que je croisais dans les rues, les auras. Or, ces émanations semblaient tout à fait distinctes pour les membres de la police et de l’armée qui sillonnaient les rues. Pendant mes errances d’hallu-ciné, j’ai fait plusieurs rencontres intéressantes, comme celle de Marco, qui tenait un commerce de livres. Il y laissait les gens lire gratuitement. Il y avait aussi Oscar, un ex-joueur de soccer de Bucaramanga, avec ses deux fils, pantomimes et artistes de rue. Un de ses fils a fait un truc pour moi avec une pièce de monnaie. Il mettait la pièce dans sa paume, soufflait et me demandait de souffler. La pièce de monnaie disparaissait et il levait son doigt d’honneur vers moi. J’ai éclaté encore une fois de rire.
Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.
Cet article fournit quelques éléments d’analyse des relations officieuses entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, de la manière dont les entreprises en ont tiré profit, des faits mis en lumière par les commissions de vérité, des répercussions sur les populations et l’environnement et de ce qui subsiste de nos jours de ces alliances. Depuis des décennies, l’Amérique latine est le théâtre d’interactions complexes entre multinationales et régimes dictatoriaux. Ces relations mutuellement bénéfiques ont suscité nombre de controverses et ont laissé des plaies encore ouvertes dans la région. Cet article fournit quelques éléments d’analyse des relations officieuses entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, de la manière dont ces dernières en ont profité, les faits mis en lumière par les commissions de vérité à ce sujet, les répercussions sur les populations et l’environnement et ce qui subsiste de nos jours des alliances entre États et multinationales. L’étude du rôle des multinationales dans les dictatures d’Amérique latine n’est pas une question de second ordre. Elle nécessite une analyse approfondie et un débat public de grande ampleur.
Les multinationales sont présentes dans la région depuis des décennies. Leur influence économique et politique est considérable et elle a fait l’objet de bon nombre de controverses. Certain·e·s affirment qu’elles ont contribué à la stabilité et au développement économique. D’autres disent qu’elles ont plutôt exacerbé les inégalités et se sont rendues complices de violations des droits de la personne. Pour comprendre ce phénomène, il est important de se pencher sur le rôle que les multinationales ont joué auprès des dictatures latino-américaines et ce qui subsiste de ces relations.
Les multinationales sont des entreprises qui mènent des activités dans plusieurs pays et qui disposent d’un grand pouvoir économique et politique. En plus de ce pouvoir, elles disposent d’un vaste réseau de filiales et d’un grand nombre d’employé·e·s. Leurs secteurs d’activités vont de l’extraction de ressources naturelles à la production et à la distribution de biens et de services. Leur présence et leurs activités dans des pays latino-américains gouvernés par des régimes dictatoriaux ont sans aucun doute eu des répercussions significatives sur l’économie et les sociétés de la région.1Carmen Amelia Coral Guerrero, Silvia Noroña, María Elena Pulgar Salazar, « La Comunidad Andina de Naciones, una apuesta por la innovación y la diversificación comercial en Ecuador », Comillas : Journal of International Relations, 2023, (27), 85-100. Récupéré sur : https://revistas.comillas.edu/index.php/internationalrelations/article/download/19391/18217 (consulté le 11 mai 2024). Sara Piedrahita Sierra, « La captura de instituciones como un fenómeno internacional », Analecta Política, 2023. Récupéré sur : https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/9088527.pdf (consulté le 11 mai 2024). Monica Maria López Romero, M. M. (2021). « Relación entre geopolítica y comercio internacional de petróleo en Latinoamérica ». Récupéré sur : http://repository.uamerica.edu.co/bitstream/20.500.11839/8427/1/500210-2021-I-NIIE.pdf (consulté le 11 mai 2024).
Pendant une grande partie du XXe siècle, plusieurs pays de la région ont connu des régimes dictatoriaux, caractérisés par la répression politique, l’absence de libertés civiles et la violation systématique des droits de la personne.2Camillo Robertini, « Fiat en América Latina durante la Guerra Fría. El entramado del poder entre negocios, represión y la construcción del “Peón Latino Fiat” », Confluenze : Rivista di Studi Iberoamericani, 2023.Récupéré sur https://confluenze.unibo.it/article/view/15292 (consulté le 11 mai 2024). Martes Muñoz de Morales Romero, Vías para la responsabilidad de las multinacionales por violaciones graves de Derechos humanos, Política criminal (15), 30, 2020. Récupéré sur https://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0718-33992020000200948 (consulté le 11 mai 2024). Nous savons aujourd’hui qu’il s’agit d’un plan élaboré par les États-Unis dans le but d’imposer un modèle économique : le néolibéralisme.
Le tableau suivant montre le poids actuel des multinationales et établit que la valeur des entreprises dépasse les actifs des pays d’Amérique latine. Nous illustrons ainsi leur puissance économique et les raisons pour lesquelles les États orientent leurs politiques publiques en faveur de leur protection, dans le but apparent de garantir l’emploi, le développement et l’accès aux marchés internationaux. Cela dit, nous pouvons également constater les pressions hégémoniques exercées à l’échelle internationale, que ce soit par des entreprises arabes, nord-américaines ou chinoises.
Position
Entreprise
Valeur (Milliards de dollars)
Position
Pays
PIB/PPA 2023 (Milliards de dollars)
1
Walmart
611 289
1
Brésil
4 101 022
2
Saudi Aramco
603 651,4
2
Mexique
3 277 601
3
State Grid
530 008,8
3
Argentine
1 239 515
4
Amazon
513 983
4
Colombie
1 016 124
5
China National Petroleum
483 019,2
5
Chili
597 520
6
Sinopec Group
471 154,2
6
Pérou
548 465
7
Exxon Mobil
413 680
7
République dominicaine
273 703
8
Apple
394 328
8
Équateur
242 579
9
Shell
386 201
9
Venezuela
211 926
10
UnitedHealth Group
324 162
10
Guatemala
201 365
11
CVS Health
322 467
11
Panama
190 306
12
Trafigura Group
318 476,4
12
Costa Rica
141 527
13
China State Contruction Engineering
305 884,5
13
Bolivie
125 428
14
Berkshire Hathaway
302 089
14
Paraguay
117 349
15
Volkswagen
293 684,7
15
Uruguay
103 372
16
Uniper
288 309, 2
16
Honduras
75 030
17
Alphabet
282 836
17
El Salvador
74 505
18
McKesson
276 711
18
Nicaragua
51 022
19
Toyota Motor
274 491,4
19
Haiti
38 952
20
TotalEnergies
263 310
20
Cuba
Inconnu
21
Glencore
255 984
22
BP
248 891
Après la Seconde Guerre mondiale, de grandes entreprises américaines ont commencé à investir en Europe et au Japon, contribuant ainsi à la reconstruction de leurs économies et à l’établissement de relations commerciales internationales. Dans les années 1960 et 1970, de nombreuses entreprises multinationales se sont implantées dans des pays sous-développés ou en voie de développement. Avec l’accélération de la mondialisation au cours des dernières décennies du XXe siècle, ces entreprises ont pris d’autant plus d’expansion, diversifiant leurs activités dans un plus grand nombre de secteurs et de pays.
Depuis des décennies, l’Amérique latine est le théâtre d’interactions complexes entre multinationales et régimes dictatoriaux. Ces relations mutuellement bénéfiques ont suscité nombre de controverses et ont laissé des plaies encore ouvertes dans la région. Le tableau ci-dessus nous donne un aperçu des intérêts qui ont poussé des multinationales à participer directement, par exemple, aux actions menées par les dictatures au Brésil (1964-1985), au conflit armé supposément interne au Pérou, au conflit armé interne au Guatemala (1960-1996), à la répression menée par la dictature d’Augusto Pinochet au Chili, par celle de l’Argentine, au coup d’État au Honduras (2009), au conflit armé, aux actions du front national et à la violence politique en Colombie.3Alfonso Insuasty Rodriguez & José Fernando Valencia Grajales, « Solos no podemos », Kavilando, 2011, 2(2), 113-115. Récupéré sur https:// nbn-resolving.org/urn :nbn:de :0168-ssoar-429642 (consulté le 11 mai 2024). José Fernando Valencia-Grajales, « Gustavo Rojas Pinilla: Dictadura o presidencia: La hegemonía conservadora en contravía de la lucha popular », Ágora USB, 2014, 2017, 2018 (14) 2, 537-550. Récupéré sur https://doi.org/10.21500/issn.1657-8031 (consulté le 11 mai 2024). José Fernando Valencia Grajales, Mayda Soraya Marín Galeano & Juan Carlos Beltrán López, « Las dictaduras en América Latina y su influencia en los movimientos de derecha e izquierda desde el siglo XX », Ratio Juris, 2021, 16 (32), 17–50. Récupéré sur https://doi.org/10.24142/raju.v16n32a1 (consulté le 11 mai 2024).
Mais quelle est la nature de la relation entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine, et quelles en sont les conséquences?
Les dictatures d’Amérique latine ont été soutenues par les entreprises et les multinationales, qui ont trouvé dans ces régimes un environnement favorable à leurs activités économiques et politiques, établissant des relations étroites avec les élites politiques et économiques locales et les multinationales, dans une logique de bénéfice mutuel.4Astryd Marilyn Suárez Castro, La necesidad de la implementación de una responsabilidad social corporativa en empresas multinacionales en Latinoamérica, thèse, 2020. Récupéré sur https://repositorio.usil.edu.pe/server/api/core/bitstreams/e42d9c1e-ab9c-46a9-b098-9f57fa4187eb/content (consulté le 11 mai 2024). Juan Pablo Gauna, (2021). Controversia: la revista crítica de los argentinos exiliados en México, 2020. Récupéré sur https://ri.conicet.gov.ar/handle/11336/157268 (consulté le 11 mai 2024). Roberto Pizarro Hofer, « Comentarios al “Esquema de investigación sobre relaciones de dependencia en América Latina” ». Tramas y Redes, 2020. Récupéré sur https://tramasyredes-ojs.clacso.org/ojs/index.php/tyr/article/view/98 (consulté le 11 mai 2024). Grâce à ces relations mutuellement bénéfiques, les multinationales ont, d’une part, renforcé leur puissance économique et politique, ce qui leur a permis de maintenir leur pouvoir et leur contrôle sur la société et, d’autre part, elles ont exercé une influence significative sur la prise de décision politique, en veillant à ce que ces décisions favorisent leurs intérêts et assurent des conditions favorables à leurs activités commerciales. Dans le cadre de cette collaboration, des violations flagrantes des droits de la personne ont été perpétrées et la répression s’est imposée comme pratique politique.5José Gabriel Palma & Jonathan Pincus, « América Latina y el Sudeste Asiático. Dos modelos de desarrollo, pero la misma “trampa del ingreso medio”: rentas fáciles crean élites indolentes », El trimestre económico, 2022. Récupéré sur https://www.scielo.org.mx/scielo.php?pid=S2448-718X2022000200613&script=sci_arttext (consulté le 11 mai 2024). Grace Hernández Rojas, « Planificación y desarrollo en América Latina y el Caribe », Revista Costarricense de Trabajo Social, 2023. Récupéré sur https://revista.trabajosocial.or.cr/index.php/revista/article/view/420 (consulté le 11 mai 2024).
Que disent à ce sujet les commissions de la vérité et les rapports alternatifs en Amérique latine?
Les commissions de vérité, établies dans plusieurs pays d’Amérique latine au lendemain de la tombée des dictatures, ont mis en lumière les relations entre les multinationales et les régimes autoritaires. Ces commissions ont documenté des cas de complicité d’entreprises dans des cas de violation des droits de la personne, de corruption et d’exploitation des ressources naturelles. Vous trouverez ci-bas quelques exemples.6Lina Patricia Colorado Marin & Juan David Villa Gómez, El papel de las comisiones de la verdad en los procesos de transición: aproximación a un estado de la cuestión. El Ágora USB, 2020, 20(2), 306-331. Récupéré sur https://revistas.usb.edu.co/index.php/Agora/article/view/5146 (consulté le 11 mai 2024).
Commission
Description
Commission de la vérité au Brésil
Créée en 2011 par la présidente Dilma Rousseff, cette commission a enquêté sur les crimes commis pendant la dictature militaire brésilienne (1964-1985). Même si le rapport final ne traite pas exclusivement des relations entre les multinationales et les dictatures, il souligne l’implication des entreprises dans le financement et le soutien de la répression.
Commission Vérité et Réconciliation, Pérou
Créée en 2001 après la fin du conflit armé interne au Pérou, cette commission a enquêté sur les violations des droits de la personne survenues pendant cette période. Il a mentionné l’implication des entreprises dans le financement des groupes armés et l’exploitation des ressources naturelles dans les zones touchées par les conflits.
Commission pour la clarification historique (CEH), Guatemala
Créée en 1994 après la signature des accords de paix au Guatemala, la CEH a enquêté sur les crimes commis pendant le conflit armé interne (1960-1996). L’implication des entreprises a été signalée, en particulier dans le contexte de l’exploitation des ressources naturelles et du déplacement des communautés autochtones.
Commission Vérité et Réconciliation Chili
Créée en 1990 après la fin du régime d’Augusto Pinochet, elle a enquêté sur les violations des droits de la personne commises pendant la dictature. Le rapport final fait état de la complicité de certaines entreprises, notamment dans le secteur minier, avec le régime militaire.
Commission nationale sur la disparition de personnes (CONADEP), Argentine
Créée en 1983 après la fin du régime militaire en Argentine, elle a enquêté sur les disparitions forcées, la torture et d’autres crimes commis pendant la dictature. Son rapport fournit des renseignements sur la complicité indirecte des entreprises en ce qui a trait aux politiques économiques du régime et aux relations avec l’armée.
Commission de vérité, Colombie
Créée dans le cadre de l’Accord de paix entre les FARC-EP et l’État colombien (2016), cette commission a présenté ses conclusions le 28 juin 2022 dans un contexte particulier, puisque, même s’il met fin à une confrontation armée de plus de 50 ans, d’autres conflits de nature politique et de la violence armée persistent sur le territoire national. Ce rapport révèle le rôle joué par les multinationales et les grandes entreprises, en association avec le pouvoir politique et militaire, dans le soutien de groupes paramilitaires responsables de violations des droits de la personne et de dommages causés à l’environnement, entre autres conséquences néfastes, et ce, dans le cadre de l’accaparement des terres et de l’expansion des mégaentreprises extractivistes.
Ce ne sont là que quelques-unes des commissions de la vérité en Amérique latine et dans les Caraïbes qui se sont penchées sur les relations entre les multinationales et les dictatures dans la région. Leur travail a permis de documenter et de visibiliser cet aspect important de l’histoire récente de la région.
Et les rapports indépendants?
Les rapports indépendants seront particulièrement intéressants dans la mesure où certains d’entre eux fournissent une analyse plus approfondie de la question et révèlent un problème structurel récurrent qui nous permet d’identifier cette alliance étroite entre les multinationales, l’État, l’élite politico-économique, le soutien et la promotion des régimes autoritaires dans une alliance étroite et perverse d’avantages mutuels.
Ces rapports indépendants examinent les relations entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ils sont produits par des organisations de la société civile, des groupes de défense des droits de l’homme ou d’autres instances indépendantes. En voici quelques exemples.7Élaboré par les auteurs à partir de diverses sources officielles.
Rapport
Brève description
Rapport du groupe de travail sur les entreprises et les droits de la personne en Colombie
Ce rapport, produit par le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, examine la situation des droits de la personne en Colombie, y compris la relation entre les entreprises multinationales et les violations des droits de la personne pendant le conflit armé interne. Même s’il ne s’agit pas exactement d’une commission de vérité, elle fournit des renseignements pertinents sur le rôle des entreprises dans le contexte de la violence politique dans le pays.
Rapport de la commission pour la vérité et les biens détournés en Équateur
Cette commission, créée en Équateur en 2007, a enquêté sur des cas de corruption et de violations des droits de la personne commis sous les gouvernements précédents. Même si elle ne s’est pas concentrée exclusivement sur les relations entre les multinationales et les dictatures, son rapport final aborde les questions liées à l’implication des entreprises dans les violations des droits de la personne et la corruption des régimes autoritaires.
Rapport de la Commission de la vérité au Honduras
Cette commission, créée au Honduras en 2010, a enquêté sur les violations des droits de la personne commises lors du coup d’État de 2009 et de ses conséquences. Son rapport final fournit des renseignements sur l’implication des entreprises dans la violence politique et la répression au cours de cette période.
Rapport du groupe de travail sur les entreprises et les droits de la personne en Amérique latine et dans les Caraïbes
Ce rapport, produit par le groupe de travail des Nations unies sur les entreprises et les droits de la personne, examine la situation des droits de la personne dans la région, y compris les relations entre les multinationales et les dictatures dans plusieurs pays. Il fournit une analyse et des recommandations sur la manière de remédier aux effets négatifs des entreprises sur le respect des droits de la personne pendant les périodes de régimes autoritaires.
Sociétés transnationales et droits des peuples en Colombie
L’audience du Tribunal permanent des peuples tenue en Colombie portait sur le thème des entreprises transnationales et des droits des peuples pour la période qui s’étendait de 2006 à 2008. Plus de 40 entreprises transnationales qui ont profité des conflits persistants et des régimes autoritaires dans le pays ont été poursuivies en justice.
Ce ne sont là que quelques exemples de rapports indépendants qui traitent de la relation entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ces enquêtes offrent souvent un aperçu critique et approfondi du rôle des entreprises dans les violations des droits de la personne et des abus commis par les régimes autoritaires de la région.
Résultats.
Ci-bas, vous trouverez quelques-unes des conclusions que nous pouvons tirer à partir des sources susmentionnées :
Répercussions sur les droits de la personne, persécution, démobilisation.
Ces rapports officiels et indépendants soulignent, sur le plan politique, la collaboration des multinationales avec les dictatures en Amérique latine, ainsi que la répression et les violations des droits de l’homme. Ces entreprises ont souvent utilisé leur pouvoir et leurs ressources pour soutenir et tirer profit de la violence et de la répression exercées par les régimes dictatoriaux.
Ces rapports établissent également l’incidence de ces relations officieuses sur la répression, la démobilisation de syndicats, l’utilisation des forces de sécurité de l’État pour protéger les intérêts des multinationales, l’embauche de groupes paramilitaires et l’exécution extrajudiciaire de militants sociaux, de défenseurs des droits de la personne, de défenseurs des droits des peuples et des droits de l’environnement qui s’opposent à leurs pratiques préjudiciables.
Ces relations ont consolidé le système de persécution et de criminalisation des dirigeant·e·s syndicaux, des militant·e·s sociaux et de défenseur·e·s des droits de la personne qui s’opposaient à leurs intérêts. De plus, ces entreprises ont été complices de la violence et de la répression des communautés autochtones et paysannes qui résistaient à l’exploitation de leurs terres et de leurs ressources naturelles. Cette collaboration a donné lieu à de graves violations des droits de la personne qui ont mis la région à feu et à sang.8Norela Mesa Duque & Alfonso Insuasty Rodríguez, « Criminalidad corporativa y reordenamiento territorial en Urabá (Antioquia, Colombia) », Ratio Juris, UNAULA, 2021, 16(33), 595–622. Récupéré sur https://publicaciones.unaula.edu.co/index.php/ratiojuris/article/view/1243 (consulté le 11 mai 2024).
Ces rapports soulignent également les graves conséquences sur l’environnement, en l’absence de toute restriction ou de toute forme de contrôle. Ces dommages touchent les peuples et se traduisent en des effets transgénérationnels. Tous ces dégâts sociaux ont été facilités par un vide juridique qui favorise la liberté des entreprises, voire par des statuts conçus par ces mêmes entreprises et convertis en droit national, comme c’est le cas du code minier. Ces rapports soulignent également comment ces sociétés ont utilisé divers mécanismes pour échapper à leur responsabilité, comme le changement fréquent de leur raison sociale et le transfert constant de capitaux pour éviter les impôts et, enfin, le remaniement de lois en leur faveur.
Effets sur les économies des pays.
Pendant les dictatures en Amérique latine, les multinationales ont exercé une forte influence économique. L’exploitation des ressources naturelles a été l’un des principaux moyens par lesquels ces entreprises étrangères ont profité des dictatures et de l’absence de réglementation et de mesures de protection de l’environnement. Ainsi, elles ont procédé à l’extraction massive de minerais, de pétrole et d’autres ressources, sans tenir compte des conséquences pour l’environnement et les communautés locales.
De même, les actions des multinationales ont contribué au contrôle de l’économie locale, en établissant des contrats et des accords commerciaux défavorables aux pays et à leurs populations, générant une dépendance économique et minant la souveraineté nationale. Cette situation a également favorisé les inégalités sociales, les multinationales réalisant d’énormes profits alors que les communautés locales étaient marginalisées et n’avaient pas accès aux ressources essentielles.9Andrea Lluch, « Historia empresarial en América Latina: debates, perspectivas y agendas en el siglo XXI », Revista Historia Económica de América Latina. Récupéré sur https://www.audhe.org.uy/publicaciones/index.php/RHEAL/article/view/95 (consulté le 11 mai 2024). Luis Daniel Botero Arango, « Colombia y su proceso de neoliberalismo democrático autoritario », Textos y Contextos, 2021. Récupéré sur https://revistadigital.uce.edu.ec/index.php/CONTEXTOS/article/view/3313 (consulté le 11 mai 2024). Carlos Eduardo Góngora Sánchez, Políticas Extractivistas en América Latina: Reflexiones sobre La Minería de Oro en Paraguay, 2021. Récupéré sur https://dspace.unila.edu.br/items/eee57529-104e-40e4-a0d6-13f5dceb3b80 (consulté le 11 mai 2024). Danilo Bartelt Dawid, Naturaleza y Conflicto: La explotación de recursos en América Latina, Madrid : Ediciones Akal, S.A., 2020. César Martins de Souza & Martha Ruffini, « Dictadura, poder estatal y grandes proyectos en regiones marginales. La Amazonia Brasileña y la Patagonia Argentina durante la década de 1960 y 1970 », Folia Histórica del Nordeste, 2022. Récupéré sur https://revistas.unne.edu.ar/index.php/fhn/article/view/5846 (consulté le 11 mai 2024). Ces entreprises étrangères ont profité de l’absence de réglementation environnementale et de la corruption des régimes autoritaires pour extraire massivement des minerais, du pétrole et d’autres ressources.
Cette exploitation a eu de graves conséquences sur l’environnement : la déforestation, la pollution des rivières et la destruction des écosystèmes. En outre, les communautés locales qui dépendaient de ces ressources ont été contraintes de migrer. Elles ont été marginalisées. Elles ont perdu leurs moyens de subsistance et leur qualité de vie s’est grandement détériorée.10Erika Barzola, E. (2023). Estrategias y resistencias locales frente al embate de una multinacional. El caso de la Asamblea Malvinas Lucha por la Vida. Religación: Revista de Ciencias Sociales y Humanidades, 2023, 8(36), 10. Récupéré sur https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/9016466.pdf (consulté le 11 mai 2024). Lilián Noelia Berardi, (2020). Análisis de la Política de Defensa y recursos naturales (2003-2019), Rosario, Argentine: Universidad Nacional de Rosario, 2020. Ana Luisa Guerrero Guerrero, Empresas transnacionales y derechos humanos: debates desde América Latina, México : Centro de Investigaciones sobre América Latina y el Caribe, 2021.
Capture de l’État
Grâce à leur pouvoir économique et à leur position privilégiée, ces entreprises ont pu influencer les politiques gouvernementales, en veillant à ce que ces politiques favorisent leurs intérêts et protègent leurs investissements. Elles ont fait pression pour la mise en œuvre de lois favorables à leurs activités commerciales, telles que l’assouplissement des réglementations en matière d’environnement et de travail, la privatisation des entreprises d’État et la suppression des barrières commerciales. Elles ont même réussi à modifier et à adapter les constitutions des pays en faveur des politiques néolibérales et du libre marché.
Ce contrôle sur les décisions politiques a eu un effet négatif sur la capacité des pays à promouvoir le bien-être social et économique de leurs citoyen·ne·s, tout en perpétuant les inégalités et en faisant obstacle au développement durable. Ces entreprises ont acquis une influence considérable sur les politiques économiques des régimes autoritaires, favorisant une mainmise des entreprises sur l’État, favorisant ainsi, sans en mesurer les coûts humains et environnementaux, l’ouverture économique, la libéralisation des marchés, et, en fin de compte, leurs intérêts.
Ces entreprises ont réalisé d’énormes profits grâce à leurs activités dans des pays gouvernés par des régimes dictatoriaux, alors que les communautés locales n’avaient pas accès aux ressources et aux services essentiels, que ce soit l’eau potable, l’éducation ou la santé. Cette situation inégalitaire a contribué à la fragmentation et aux tensions sociales qui persistent encore aujourd’hui dans certains pays de la région.
Conséquences de cette alliance officieuse
Parmi les principales conséquences sociales et économiques, citons le déplacement des communautés autochtones et paysannes, les répercussions sur l’environnement et la dégradation des écosystèmes, ainsi que la dépendance économique et l’absence de développement durable. Ces communautés ont été chassées de leurs terres ancestrales pour faire place à des projets de développement menés par des multinationales. La non-reconnaissance des droits de ces communautés et l’imposition de décisions injustes ont conduit à des conflits et à de graves violations des droits de la personne. En outre, ces déplacements ont entraîné la perte de l’identité culturelle et la marginalisation de ces communautés, qui sont privées de leurs moyens de subsistance traditionnels.11Andrés Felipe Jiménez Gaviria (2021). Eduardo Galeano dependencia y despojo en América Latina. El contexto actual de Colombia, thèse, 2021. Récupéré sur http://repository.pedagogica.edu.co/handle/20.500.12209/16392 (consulté le 11 mai 2024). Oscar Rojas Flores, « Elementos de la transición democrática en América Latina. Período 1990-2003. » Repertorio Americano, 2023. Récupéré sur https://www.revistas.una.ac.cr/index.php/repertorio/article/download/19315/29477/88267?inline=1 (consulté le 11 mai 2024). César Rodríguez Garavito & Carlos Andrés Baquero Díaz, Conflictos socioambientales en América Latina: El derecho, los pueblos indígenas y la lucha contra el extractivismo y la crisis climática, Madrid : Siglo XXI Editores, 2020. Il en résulte une plus grande concentration des richesses et un accroissement des inégalités sociales. Les multinationales réalisant d’énormes profits alors que les communautés locales peinent à satisfaire leurs besoins fondamentaux.12Renzo Ramírez Bacca, Introducción a la historia de América Latina del siglo XX, Pereira: Editorial Universidad Tecnológica de Pereira, 2020. Eduardo Basualdo, Endeudar y fugar: Un análisis de la historia económica argentina, desde Martínez de Hoz hasta Macri, Madrid : Siglo XXI Editores, 2020. Inés Nercesian, Presidentes empresarios y Estados capturados: América Latina en el siglo XXI, Buenos Aires: Editorial Teseo, 2020.
En outre, ces entreprises ont accordé des prêts à des gouvernements dictatoriaux, en plus d’investir dans les pays dirigés par ces régimes, entre autres formes de financement. Ainsi, elles ont pu maintenir un contrôle sur la région en parasitant les États. En échange de leur soutien financier, les multinationales ont obtenu des concessions et des contrats avantageux, consolidant leur domination des secteurs clés de l’économie. Cette collaboration a miné le développement d’institutions démocratiques et a contribué à la consolidation des régimes répressifs de la région.13Maria Mercedes Avalos Romero, Relaciones bilaterales entre corea del sur y paraguay: comercio, inversión y cooperación (2011-2021), thèse, 2023. Récupéré sur https://dspace.unila.edu.br/items/ebe8f6ea-50f4-4cdd-8927-fd56498c36c9 (consulté le 11 mai 2024). Oscar Rojas Flores, Op. Cit., note 13.
Elle a également eu des répercussions significatives sur l’environnement et a contribué à la dégradation de l’écosystème. L’exploitation débridée des ressources naturelles, comme l’abattage massif ou l’extraction intensive de minerais, a conduit à la déforestation, à la perte de biodiversité et à la pollution des écosystèmes aquatiques. Ces activités d’extraction irresponsables ont laissé une empreinte environnementale profonde et durable, affectant la qualité de vie des communautés locales et mettant en péril l’équilibre écologique de la région.14Maristella Svampa & Enrique Viale, El colapso ecológico ya llegó: una brújula para salir del (mal) desarrollo Buenos Aires : Siglo XXI, 2021. Gorka Razkin Lopez, Análisis multinacional de la relación entre el desarrollo económico y la degradación ambiental, thèse, 2024. Récupéré sur https://academica-e.unavarra.es/handle/2454/47340
L’une des conséquences les plus graves de cette situation est peut-être l’instauration d’une culture d’impunité et l’absence d’imputabilité. De nombreux rapports soulignent l’impunité qui entoure ces relations entre les multinationales et les dictatures, avec un manque de responsabilité à la fois pour les entreprises impliquées et pour les fonctionnaires responsables des violations des droits de la personne. Ces dynamiques contribuent à perpétuer un cycle d’injustice, permettent aux mêmes schémas de se répéter continuellement, en plus de favoriser toute une culture de corruption. Ces multinationales s’emparent aussi de l’argent et des contrats publics et s’immiscent dans la prise de mesures législatives. Ils ont aussi progressivement pris le contrôle des médias, qu’ils ont transformés en leur appareil idéologique politique par excellence.
Conclusion
Même si de nombreuses dictatures en Amérique latine ont pris fin il y a plusieurs décennies, les conséquences des alliances entre les multinationales et les régimes autoritaires se font encore sentir dans la région. Les relations officieuses et mutuellement bénéfiques entre les multinationales et les dictatures en Amérique latine ont engendré une dépendance économique de ces pays à l’égard des investissements étrangers et entravé le développement durable.15Alberto Romero & Mary Analí Vera Colina, M. (2014). « Las empresas transnacionales y los países en desarrollo », Revista de la Facultad de Ciencias administrativas Universidad de Nariño (Colombia), 2014, 58-89. Récupéré de http://www.scielo.org.co/pdf/tend/v15n2/0124-8693-tend-15-02-00058.pdf (consulté le 11 mai 2024).
Les multinationales ont contrôlé l’économie locale, imposant des conditions défavorables aux pays d’accueil et en créant un fossé d’inégalité économique.16Ana Luisa Guerrero Guerrero, Op. Cit., note 12. Cette dépendance a limité la capacité de diversification économique et encouragé l’exploitation des ressources naturelles sans planification à long terme. En conséquence, les pays touchés ont été pris au piège dans un cycle de dépendance économique et d’absence de politiques favorisant un développement durable et équitable.17Abdelmalek Beddal, Latefa Mous & Virgen Maure, « Aproximación a las propuestas de Fidel Castro para el desarrollo de Cuba y de Latinoamérica en el Consejo Económico de los 21 (1959) ». América Latina en la Historia Económica, 2024, 31(1). Récupéré sur https://alhe.mora.edu.mx/index.php/ALHE/article/view/1409 (consulté le 11 mai 2024). Andrea Lluch, Op. Cit., note 11. Andrés Felipe Jiménez Gaviria, Op. Cit., note 13. Maristella Svampa & Enrique Viale, Op. Cit., note 16.
Nombre de ces entreprises continuent d’opérer en Amérique latine, tout en faisant l’objet de poursuites judiciaires et de critiques pour le rôle qu’elles ont joué pendant les périodes de régimes dictatoriaux. Il est urgent de mettre en œuvre des mesures correctives efficaces et de garantir des réparations adéquates aux victimes de violations des droits de la personne commises dans le cadre de ces alliances entre États et multinationales. Il peut s’agir de procédures judiciaires, d’une compensation financière, d’une réhabilitation psychosociale ou de garanties de non-répétition.
Les rapports attirent souvent l’attention sur la nécessité de réformer les lois et les réglementations aux niveaux national et international afin d’empêcher la complicité des entreprises dans les violations des droits de la personne et de garantir la responsabilité des entreprises. Cela peut inclure l’adoption de normes plus strictes en matière d’obligation de diligence raisonnable, la création de mécanismes de surveillance et de responsabilité, et l’application de sanctions en cas de non-respect des règles. En outre, les communautés touchées par l’exploitation et la répression continuent de lutter pour obtenir justice, réparation et protection des droits de la personne et environnementaux.
La mémoire collective de ces événements perdure dans la région, nous rappelant la nécessité d’une plus grande transparence, d’une plus grande responsabilité et d’un plus grand respect des droits de la personne et de l’environnement dans les relations entre les États et les multinationales. La vérité, la justice, la réparation et, surtout, la non-répétition dans ce cas, sont des valeurs essentielles pour construire une Amérique latine autonome, unie, diverse, digne, en harmonie avec la Pachamama, portant la proclamation des peuples selon laquelle il s’agit d’un grand territoire de paix et de protection de la vie.
Camillo Robertini, « Fiat en América Latina durante la Guerra Fría. El entramado del poder entre negocios, represión y la construcción del “Peón Latino Fiat” », Confluenze : Rivista di Studi Iberoamericani, 2023.Récupéré sur https://confluenze.unibo.it/article/view/15292 (consulté le 11 mai 2024). Martes Muñoz de Morales Romero, Vías para la responsabilidad de las multinacionales por violaciones graves de Derechos humanos, Política criminal (15), 30, 2020. Récupéré sur https://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0718-33992020000200948 (consulté le 11 mai 2024).
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Élaboré par les auteurs à partir de diverses sources officielles.
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