Alexeï Navalny : quel visage pour l’opposition en Russie?

Alexeï Navalny : quel visage pour l’opposition en Russie?

Par Adèle Surprenant

Depuis son empoisonnement au Novitchok, le 20 août 2020i, l’opposant russe Alexeï Navalny n’a cessé de faire parler de lui. Sa condamnation à trois ans et demi de prison, début février, a provoqué une vague de manifestations durement réprimées à travers le paysii. Qui est l’homme derrière le mouvement que le gouvernement de Vladimir Poutine s’évertue à faire taire?  

L’opposant au Kremlin Alexeï Navalny, 44 ans, a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Moscou, le 17 janvier dernieriii. Il revenait de plusieurs mois de convalescence en Allemagne, qui ont suivi la présumée tentative d’assassinat au puissant agent neurotoxique Novitchok dont il aurait fait l’objet à l’étéiv.  

Peu avant son arrestation, attribuée au non-respect des conditions d’une peine avec sursis datant de 2014, Navalny déclarait : « Ici, c’est chez moi. Je n’ai pas peur […] car je sais que j’ai raison et que les affaires criminelles lancées contre moi sont fabriquées de toutes pièces. Je n’ai peur de rien et je vous appelle à n’avoir peur de rien »v.  

Une arrestation contestée par les partisan·e·s de Navalny, qui sont descendu·e·s par milliers dans les rues de la capitale et d’ailleurs. Des manifestations relancées par la condamnation de l’opposant, le 2 février 2021, malgré la répression policière et la multiplication des interpellationsvi. Début février, plus de 5 000 personnes auraient été placées en détention en marge du deuxième week-end de protestation uniquement, d’après l’ONG Human Rights Watchvii.  

La colère d’une partie de la population a été attisée par le jugement défavorable du tribunal à l’encontre de Navalny, mais aussi par la diffusion d’Un palais pour Poutine, réalisé par le Fonds de lutte contre la corruption (FBK) de l’opposant. Mis en ligne sur YouTube deux jours après son retour au pays, le documentaire met en lumière la corruption du régime de Poutine, principal angle d’attaque d’Alexeï Navalnyviii

Qui est Navalny? 

Avocat de formation, Alexeï Navalny est diplômé de l’université Lumumba de Moscou et titulaire d’une bourse de la prestigieuse université américaine Yaleix. En 2000, il rejoint le parti social-libéral Iablokox, dont il se fait expulser sept ans plus tard en raison de ses affinités avec la frange plus nationaliste de l’oppositionxi. S’il est aujourd’hui présenté comme un fervent démocrate et porte-étendard des valeurs libérales à l’occidentale, Navalny a maintes fois réitéré ses allégeances nationalistesxii.  

Dès les années 2000, l’immigration illégale est son plus important cheval de bataille. Il compare les rebelles tchétchènes à des cafards, dénonce ce qu’il a qualifié de « criminalité ethnique »xiii et participe, en 2011, à l’évènement ultranationaliste réputé xénophobe des « marches russes »xiv. Il soutient également la campagne nationaliste « Stop Feeding the Caucasus », visant l’arrêt des subventions fédérales aux républiques du nord du Caucase aux gouvernements jugés corrompus et incompétentsxv. En 2014, à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie, Navalny aurait déclaré que « la Crimée est à nous », qu’elle fait désormais partie intégrante de la Fédération russexvi.  

Son soutien à Poutine dans l’occupation militaire de la péninsule ukrainienne, contraire au droit international, révèle une ferveur nationaliste profonde, d’après le politologue et professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jacques Lévesque. La popularité de l’homme fort du pays atteint alors des sommets inégalés, avec un taux de satisfaction de 87 % de la populationxvii, mais « le soutient de Navalny n’a rien d’opportuniste », soutient M. Lévesque, qui le comprend comme une réelle prise de position idéologique.  

« Navalny n’a jamais renié ce positionnement et l’immigration était encore un sujet important de sa campagne municipale de 2013, mais ce discours s’est totalement effacé derrière d’autres engagements », affirme Benoît Vitkine, correspondant du quotidien Le Monde à Moscouxviii. Ces « engagements » sont désormais centrés sur la lutte contre la corruption et pour la démocratie, thèmes pour lesquels il commence à se faire connaitre à compter de 2010 grâce à la plateforme en ligne Rospilxix.   

Devenu l’une des figures de proue de la contestation contre la falsification des résultats aux législatives en 2011, le « blogueur le plus célèbre de Russie » est brièvement incarcéré. La première d’une longue série de démêlés avec la justice.  

« Nous avons tout pour nos amis et la loi pour nos ennemis »xx 

Le dernier et seul scrutin auquel la figure de l’opposition est autorisée à participer remonte à 2013. Il arrive deuxième aux municipales de la capitale derrière le candidat du parti présidentiel Russie Unie, avec 27 % des suffragesxxi.  

Présenté comme l’opposant principal au Kremlin par les médias occidentaux, Navalny est pourtant loin de faire l’unanimité en Russie. Peu de temps avant les plus récentes manifestations, un sondage du centre indépendantLevada révélait qu’un peu moins de la moitié des personnes interrogées connaissaient Navalny. Seuls 15 % des répondant·e·s croyaient qu’il avait véritablement été empoisonnéxxii.  

Pour Jacques Lévesque, la scène politique russe est divisée entre les partisan·e·s de Navalny et celles et ceux qui ont été délaissé·e·s par les politiques de privatisation qui ont suivi la chute de l’URSSxxiii. La libéralisation menée par Boris Eltsine a eu des effets catastrophiques sur le pays, comme l’explique le politologue dans les pages du Devoir : « En l’espace de 10 ans, le produit national brut russe est tombé à 50 % de ce qu’il était et l’espérance de vie des hommes est passée de 68 à 59 ans. Plus de la moitié de la population est passée sous le seuil de la pauvreté », puis Vladimir Poutine arrive à la présidence et renationalise certaines ressources rentables. Pour ces déshérités du libéralisme, il apparaît alors comme un sauveurxxiv ».  

DE son côté, l’opposition parlementaire principale, le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), peine à mobiliser. « Le Parti communiste est un parti qui ne fait pas la promotion de la prise du pouvoir par la révolution, il fonctionne à l’intérieur des règles électorales, donc il est beaucoup moins radical que Navalny, qui appelle au renversement même du pouvoir », explique M. Lévesque. Il affirme que les membres les plus jeunes du KPRF tendent à soutenir l’opposant, qui cherche quant à lui à unir les forces d’opposition, à travers une initiative comme le « vote intelligent », encourageant une coordination des votes stratégiques parmi les partisan·e·s de candidats d’opposition lors des municipales de Moscou en 2019xxv.  

Alors que le pouvoir d’action de l’opposant risque d’être entravé par sa plus récente condamnation, Benoît Vitkine soutient que « quand on parle de “l’affaire Navalny”, ce n’est plus du politicien Navalny dont on parle, c’est des actions du pouvoir russexxvi ».  

Au téléphone avec L’Esprit libre, M. Lévesque nous met en garde contre les potentielles dérives de la situation actuelle en Russie : « Si le pouvoir tendait à se dissoudre, il y aurait un coup de force des militaires, des services secrets pour rétablir un gouvernement, et un gouvernement nettement plus autoritaire que celui de Poutine actuellement », prévient-il. Il rappelle que, malgré l’empoisonnement suspect de Navalny et les séjours en prison successifs de militants d’opposition, la liberté d’expression en Russie n’est pas encore totalement réprimée.  

Révision de fond: Alexandre Dubé-Belzile
Révision linguistique: Any-Pier Dionne

« L’opposant russe Alexei Navalny condamné à trois ans et demi de prison », Radio-Canada, 2 février 2021. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1767689/alexei-navalny-comparution-russie-prison-poutine.  

iiIbid.  

iii Maxime Popov et Thibaut Marchand (AFP), « L’opposant Alexeï Navalny interpellé par la police à son retour en Russie », Le Devoir, 17 janvier 2021. https://www.ledevoir.com/monde/593458/retour-de-navalny-a-moscou.  

iv Ibid.  

v Ibid. 

vi Radio-Canada, op.cit.  

vii « Russie  : Nouvelle vague d’arrestations de manifestants », Human Rights Watch, 1er février 2021. https://www.hrw.org/fr/news/2021/02/01/russie-nouvelle-vague-darrestations-de-manifestants

viii François Bonnet, «  « Un palais pour Poutine » : voici la version française », Médiapart, 9 février 2021. https://www.mediapart.fr/journal/international/090221/un-palais-pour-poutine-voici-la-version-francaise.  

ix « Comment Alexeï Navalny est devenu la bête noire de Vladimir Poutine », Le Monde, 2 février 2021. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/02/comment-alexei-navalny-est-devenu-la-bete-noire-de-vladimir-poutine_6068445_3210.html.  

x Alexey Sakhnin, « How a Russian Nationalist Named Alexei Navalny Became a Liberal Hero », Jacobin, 31 janvier 2021. https://jacobinmag.com/2021/01/alexei-navalny-russia-protests-putin.  

xi Le Monde, 2 février 2021, op.cit.  

xii Alexey Sakhnin, op.cit. 

xiii « Russie : » La foule qui se mobilise pour Alexeï Navalny est loin de suffire à faire trembler les fondations du régime » », Le Monde, 3 février 2021. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/03/russie-la-foule-qui-se-mobilise-pour-alexei-navalny-est-loin-de-suffire-a-faire-trembler-les-fondations-du-regime_6068640_3210.html.  

xiv Le Monde, 2 février 2021, op.cit. 

xv  Robert Coalson, « Is Alexei Navalny a Liberal or a Nationalist? », The Atlantic, 29 juillet 2013. https://www.theatlantic.com/international/archive/2013/07/is-aleksei-navalny-a-liberal-or-a-nationalist/278186/.  

xvi « Alexei Navalny : Russia’s vociferous Putin critic », BBC News, 4 février 2021. https://www.bbc.com/news/world-europe-16057045.  

xvii AFP, « Poutine plus populaire que jamais en Russie »,La Presse, 7 août 2014. https://www.lapresse.ca/international/europe/201408/07/01-4789968-poutine-plus-populaire-que-jamais-en-russie.php.  

xviii Le Monde, 3 février 2021, op.cit.

xix Le Monde, 2 février 2021, op.cit.  

xx Proverbe russe. « Tony Wood, Les opposants russes sont toujours corrompus… », Le Monde diplomatique, septembre 2019. https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/WOOD/60372.  

xxi Le Monde, 3 février 2021, op.cit. 

xxii Jacques Lévesque, « Où va la Russie? », Le Devoir, 13 février 2021. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/595157/ou-va-la-russie.  

xxiiiIbid.  

xxiv Ibid. 

xxv Ben Noble, « Alexei Navalny suspected poisoning : why opposition figure stands out in Russian politics », The Conversation, 21 août 2020. https://theconversation.com/alexei-navalny-suspected-poisoning-why-opposition-figure-stands-out-in-russian-politics-144836.  

xxvi Le Monde, 3 février 2021, op.cit.  

Au-delà du « Russiagate » : Comprendre le contexte politique des États-Unis

Au-delà du « Russiagate » : Comprendre le contexte politique des États-Unis

Par Elizabeth Leier

Il va sans dire que le climat politique actuel des États-Unis alimente les cotes d’écoute. En effet, la chaine MSNBC, une des plus critiques envers le président, a vu son auditoire surpasser celui de Fox News pour la première fois en 18 ansi. De façon générale, les chaines de nouvelles en continu signalent d’importantes augmentations de leur auditoire depuis 2016ii. Même au Québec, la saga Trump est omniprésente. Ce n’est pas surprenant, avec ses politiques véritablement xénophobes notamment l’interdiction pour certain·e·s musulman·e·s d’entrer aux États-Unis ou la séparation forcée des familles à la frontière mexicaine et ses propos incohérents, une certaine attention médiatique portée au président est justifiable.

La présence de Donald Trump à la Maison-Blanche est en effet un phénomène notable. Néanmoins, je crains que ce ridicule personnage, avec son entourage méprisant composé d’allié·e·s aux propos racistes, sexistes et homophobes, comme Mike Pence et Steve Banon, se dresse devant nous comme l’arbre qui cache la forêt. En fait, la réalité apparait encore plus insidieuse, puisque semblerait-il qu’il y ait eu un effort concerté pour maintenir la forêt hors de vue.

Une réponse au phénomène Trump?

Tout a commencé à la suite de l’élection de M. Trump. Abasourdi·e·s, les centaines de commentateurs et commentatrices politiques, qui avaient pourtant prédit une victoire certaine pour Hillary Clinton, cherchent à comprendre et à expliquer sa défaite. Rapidement, le discours devient unanime : une ingérence de la part d’un gouvernement étranger serait survenue. La Russie, que l’on pointe du doigt, semblerait avoir comploté avec l’équipe de Donald Trump pour voler l’élection aux démocrates. Selon les rumeurs, la Russie aurait mobilisé son agence secrète pour disséminer des fausses nouvelles, notamment sur les réseaux sociaux, pour influencer l’électorat. De plus, il y aurait eu un vol concerté, impliquant les services secrets étrangers et la campagne Trump, de documents stratégiques démocratesiii. En effet, les documents publiés par Wikileaks après la primaire démocrate auraient été obtenus, voire sollicités par les proches de Trump pour miner la crédibilité de Mme Clinton. Cette histoire, vous la connaissez. Depuis deux ans, les médias sont obnubilés par le complot russe : certain·e·s, comme la commentatrice américaine de MSNBC Rachel Maddow, ont même lancé des accusations invraisemblables comme « La Russie pourrait vouloir diminuer le chauffage dans vos maisons »iv. D’autres, comme le réputé quotidien d’information britannique The Guardian, pourtant réputé pour sa rigueur, et Paul Manafort, l’ex-directeur de la campagne républicaine de 2016, ont inventé des scénarios sans preuves impliquant le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, qui était pourtant sous haute surveillance en tant que réfugié à l’ambassade de l’Équateur à Londresv. Selon leurs publications, les deux hommes se seraient rencontrés à plusieurs reprises pour collaborer. Des journalistes, comme Glen Greenwald, ont pour leur part étudié le dossier et ont rapidement conclu que ces allégations étaient fortement improbables.

Force est de constater que la théorie du complot russe a été adoptée et encouragée par les journalistes qui avaient pourtant le devoir d’exposer les faits tels qu’ils étaient alors connus. Or, le dépôt récent du fameux rapport Mueller, document rédigé à la suite de l’investigation du FBI, nous oblige à réexaminer cette version des faits. Si, à ce stade, on m’accuse d’être partisane de Trump, je réitère que ce personnage me répugne et que je trouve ses politiques aberrantes. Si M. Trump n’est pas inculpé par le rapport Mueller, cela ne signifie pas qu’il est sans reproches, mais peut-être n’est-il pas une marionnette russe.

Le complot qui cache le contexte

Le problème avec le « Russiagatevi » et les médias, c’est que ces derniers ont cherché à invalider le contexte qui a mené Trump au pouvoir. En affirmant que la victoire de Trump est le résultat d’une manipulation artificielle, on perd de vue les phénomènes sociaux plus larges qui ont poussé les gens à voter pour lui. En effet, n’est-il pas remarquable que de nombreuses personnes qui avaient voté pour Obama en 2008 aient décidé de voter pour Trump en 2016? Celles-ci avaient alors été séduites par la volonté de changement que représentait la présidence de Barack Obama. Or, force est de constater que ce changement n’était que superficiel : l’écart entre les riches et les pauvres aux États-Unis n’a fait qu’augmentervii et une grande partie de la population voit la mondialisation néolibérale comme une réelle menace, avec la délocalisation d’emplois et la fermeture d’usines. Ainsi, lorsqu’un candidat « anti-establishment » propose des politiques protectionnistes et nationalistes, plusieurs y voient une solution à leurs problèmes économiques. Évidemment, chez Trump, ces politiques se marient aux tendances xénophobes, incarnées notamment par sa résistance à l’immigration.

Ce phénomène n’est malheureusement pas unique aux États-Unis. On observe une cohérence alarmante avec la montée incontestée des mouvements identitaires et d’extrême droite en Europe et ailleurs. Les partis d’extrême droite en Italie, en Slovénie, en Autriche et en Pologne ont tous fait d’importants gains lors des dernières élections. Ici, au Québec, le discours identitaire se fait de plus en plus explicite, particulièrement avec le débat sur le projet de loi 21 du gouvernement de François Legault.

Plus encore, les attentats à la mosquée de Québec et ceux de Christchurch, les marches néonazies à Charlottesville et à Washington D. C., tout cela illustre un contexte social beaucoup plus complexe et menaçant qu’un faux complot orchestré par Donald Trump Jr et Vladimir Putin. La question se pose donc : comment expliquer la montée de l’intolérance et le marasme politique qui ont poussé les Américain·e·s à élire l’ex-présentateur de The Celebrity Apprentice comme dirigeant d’une superpuissance? Je n’ai que quelques éléments de réponses possibles à cette difficile question. Il reste que c’est cette réflexion qui devrait demeurer au centre des enquêtes et des débats médiatiques et non les affaires sordides de Stormy Daniels, l’actrice de films pornographiques avec qui Trump aurait eu une relation extraconjugale, ou encore moins les théories de conspiration électorale sans fondement qui ont transformé les journalistes en animateurs et animatrices de télé-réalité.

La faute est donc d’autant plus insidieuse qu’elle participe à maintenir et consolider le statut quo. Présenter Trump comme le résultat d’un complot russe ou encore insister sur ses tweets et ses commentaires provocateurs permet de détourner l’attention des réelles catastrophes politiques, économiques et écologiques dans lesquelles nous nous trouvons actuellement.

Ces journalistes savaient-ils et savent-elles que le « Russiagate » était une fabrication ou au mieux une rumeur sans preuves? Je l’ignore. Ce qui est certain, c’est que les médias ont récolté les fruits de l’augmentation des cotes d’écoute et du lectorat. Que ce soit par erreur ou par négligence, trop de gens viennent de passer deux ans à se faire répéter que l’ascendance de Trump est une aberration, c’est-à-dire un « bug » ponctuel dans un système sociopolitique et économique qui fonctionne habituellement plutôt bien. La vérité nous fait constater que la réalité est tout autre. La précarité économique des sociétés postindustrielles et l’absence perçue d’agentivité politique, c’est-à-dire du pouvoir individuel et collectif de la majorité quant aux décisions politiques, ont des conséquences désastreuses. Celles-ci vont de l’élection de M. Trump aux folies meurtrières de xénophobes en passant par les commentaires racistes entendus sur les ondes des radios-poubelles québécoises.

La crise actuelle du capitalisme, caractérisée par la perte d’emploi, la précarité, la désolidarisation du milieu de travail, etc. pousse les gens à chercher des solutions radicales. Désintéressée par le système qui ne fait que reproduire les mêmes problématiques, la population est séduite par les discours populistes et nationalistes particulièrement en l’absence d’un discours de gauche alternatif.

À quoi pourrait ressembler ce discours? L’économiste et ancien ministre grec de la finance Yanis Varoufakisviii soutient qu’il nous faut impérativement instaurer des mécanismes de redistribution des richesses et limiter l’expansion sans fin d’un système qui nous menace, d’un côté par la crise climatique et de l’autre, par la montée du « nationalisme toxique ». Il en demeure que, plus on ignore ces enjeux au profit de rumeurs, de complots et d’anecdotes sensationnalistes, plus on perpétue les violences d’un système qui menace l’avenir de l’humanité.

CRÉDIT PHOTO: Jørgen Håland, Unsplash

i Eli Okun, 27 décembre 2018, « MSNBC ratings top Fox News for first time in 18 years », Politico.

https://www.politico.com/story/2018/12/27/msnbc-fox-cable-ratings-number-one-1075872

ii Brad Adgate, 18 avril 2018, « The Ratings Bump Of Donald Trump », Forbes. https://www.forbes.com/sites/bradadgate/2018/04/18/the-ratings-bump-of-donald-trump/#20ba67597ec1

iii Martin Matishak, 18 Juillet 2018, « What we know about Russia’s election hacking », Politico. https://www.politico.com/story/2018/07/18/russia-election-hacking-trump-putin-698087

iv RT, 1er février 2019, « Russia could ‘flip the off switch’ on US electricity at any time, warns Maddow in new conspiracy », https://www.rt.com/usa/450268-maddow-russia-weather-power/.

v Glen Greenwald, 2 janvier 2019, « Five Weeks After The Guardian’s Viral Blockbuster Assange-Manafort Scoop, No Evidence Has Emerged — Just Stonewalling », The Intercept. https://theintercept.com/2019/01/02/five-weeks-after-the-guardians-viral-blockbuster-assangemanafort-scoop-no-evidence-has-emerged-just-stonewalling/

vi Le terme « Russiagate » est employé pour désigner la théorie d’ingérence russe lors des élections américaines.

vii Carmen Reinicke, 19 juillet 2018, « US income inequality continues to grow », CNBC. https://www.cnbc.com/2018/07/19/income-inequality-continues-to-grow-in-the-united-states.html

viii Tom Embrury-Dennis, 18 octobre 2017, « Capitalism is ending because it has made itself obsolete, former Greek finance minister Yannis Varoufakis says », The Independent. https://www.independent.co.uk/news/world/europe/yannis-varoufakis-capita…

Présidentielle russe 2018 : La légitimité incontestée de Vladimir V. Poutine

Présidentielle russe 2018 : La légitimité incontestée de Vladimir V. Poutine

Par Ariane Duchesneau

Sans surprise, les Russes ont réitéré le 18 mars dernier leur confiance à Vladimir Vladimirovitch Poutine pour un quatrième mandat. Depuis 2000, Poutine dirige le pays avec un fort appui. À la fin de ce nouveau mandat, il aura 70 ans et comptera près de 25 ans au pouvoir. Seul Joseph Staline a dépassé ce record de longévité. Lors de la dernière élection, l’homme fort du Kremlin a prouvé encore une fois qu’il jouissait d’une forte popularité, récoltant 76,6 % des voix alors que le taux de participation était de 67,47 % selon BBC News[i]. Malgré l’appel au boycott de l’élection par Alexei Navalny, considéré par les médias occidentaux comme l’opposant le plus sérieux mais écarté de la course par le Kremlin, le taux de participation a été supérieur à l’élection de 2012. Il faut dire que le Kremlin n’a pas manqué d’imagination pour attirer la population aux urnes. Selon Radio-Canada, des analyses oncologiques et des tests de sang étaient offerts dans certains bureaux de votes et dans d’autres, de la nourriture et des billets de concerts étaient distribués[ii]. Pour comprendre le résultat de cette élection, il est essentiel de jeter un regard objectif sur le discours tenu par les médias, sur les raisons du succès de Vladimir Poutine et sur les stratégies employées pour asseoir son pouvoir. Regard sur l’élection présidentielle russe de 2018.

Ce qu’en disent les médias russes

D’entrée de jeu, il serait inexact d’affirmer que tous les médias russes sont totalement contrôlés par l’État. Comme l’a expliqué Monsieur Yakov Rabkin, professeur au Département d’histoire de l’Université de Montréal et spécialiste de l’histoire de la Russie, lors d’un entretien, la situation des médias en Russie aujourd’hui est très différente de celle au temps de l’URSS[iii]. Il existe encore des médias indépendants où l’on peut trouver des critiques de droite et de gauche, quoiqu’ils ne soient pas très nombreux. Par exemple, le bihebdomadaire Novaya Gazeta, reconnu pour être un média indépendant, a donné beaucoup de visibilité aux candidat·e·s de l’opposition, en particulier à Ksenia Sobtchak et à Alexei Navalny. La radio Echo Moskvy est aussi un média qui tente d’exposer différents points de vue, et bien qu’elle appartienne à Gazprom à 65 %, elle est considérée comme indépendante. Sur son site internet, Echo Moskvy laisse de la place aux opinions, parfois dissidentes, de ses collaborateurs et collaboratrices. On retrouve aussi une foule d’informations sur les candidat·e·s de l’opposition et aussi sur la possible corruption des résultats électoraux. Dans un article paru le 23 mars 2018, on rapporte qu’un des membres de la Commission électorale centrale (CEC), Yevgeny Kolyushin, aurait dit que les médias ont porté plus d’attention à Vladimir Poutine qu’aux autres candidats, ce qui représenterait une violation[iv]. Ces médias sont très accessibles, on peut les lire ou les écouter sur Internet.

Vedomosti, un journal imprimé, est aussi considéré comme libre mais d’orientation fortement conservatrice[v]. Sur son site, en date du 19 mars 2018, on peut lire dans les titres « L’OSCE a noté une concurrence insuffisante lors de la présidentielle en Russie[vi] ». On rapporte dans cet article les conclusions émises par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L’OSCE a reconnu que les élections russes se sont déroulées efficacement mais que les restrictions des libertés fondamentales ont conduit à une concurrence insuffisante

Chez Ria Novosti, la plus grande agence de presse publique de Russie, la majorité des articles considèrent positivement le déroulement des élections. Bien qu’on note que les résultats de plusieurs bureaux de vote ont été annulés (la raison n’est pas précisée)[vii], la CEC parle d’un petit nombre de violations et affirme qu’elle n’a reçu aucune plainte au sujet des candidat·e·s ou de leurs représentant·e·s. On soutient que les observateurs et observatrices de l’international dépêché·e·s sur le terrain sont satisfait·e·s de l’élection : « Les observateurs [et observatrices] présent[·e·]s le jour du scrutin dans différentes régions de Russie ont noté la bonne organisation de la campagne électorale dans le pays et ont beaucoup apprécié la transparence de la procédure de vote » (traduction libre)[viii]. Ria Novosti est accessible par internet seulement. En 2013, l’ancienne agence de presse Ria Novosti a été liquidée par le président Poutine pour être remplacée par Rossiya Segodnia (mais opère toujours sous le nom de Ria Novosti), pour soi-disant mieux contrôler l’image russe à l’étranger[ix]. Selon Elena Chebankova, un des problèmes avec la presse libre en Russie est son accessibilité. Seul les gens qui sont dans les grands centres peuvent se procurer ces journaux et leur tirage est limité. On retrouve sur les sites internet des journaux mentionnés plus haut des blogues où les gens peuvent exprimer leurs opinions et en discuter entre eux. Ces débats sont malheureusement limités à celles et ceux qui ont accès à Internet. De plus, elle ajoute que les journalistes qui travaillent pour des médias indépendants s’autocensurent pour éviter les ennuis[x].

Il faut tout de même souligner que tou·te·s s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une victoire historique pour le président sortant, avec plus de 70 % d’appui et un taux de participation record. Même à Moscou, Poutine a réussi à faire des gains par rapport à l’élection de 2012. Traditionnellement, le président fait moins bien dans la capitale que dans l’ensemble de la Russie, et son principal adversaire, Pavel Groudinine, fait un peu mieux[xi].

De véritables options politiques?

Mais quels choix s’offraient aux Russes lors de cette présidentielle? Au total, sept candidat·e·s ont fait face à Vladimir Poutine. Cependant, aucun·e ne représentait une véritable alternative. En fait, si on analyse les programmes électoraux des candidat·e·s de l’opposition, on constate rapidement qu’aucun·e ne propose un programme réaliste à l’exception de Pavel Groudinine, représentant du Parti communiste de la fédération de Russie (KPRF).

Pavel Groudinine est un ingénieur mécanique milliardaire de 57 ans et actionnaire majoritaire d’une exploitation agricole en banlieue de Moscou, ancienne ferme d’État aujourd’hui privatisée (sovkhoze, en russe). Son parti, le KPRF, dénonce haut et fort le capitalisme et propose un socialisme renouvelé, version XXIe siècle. Selon le parti, la Russie actuelle est en pleine rupture avec son histoire et le capitalisme est une véritable catastrophe qui conduira à la mort de la civilisation russe. Fidèle aux idées de gauche, le parti propose une augmentation substantielle de la taille de l’État par la nationalisation des ressources naturelles et des secteurs stratégiques de l’économie (sans préciser lesquels). Plusieurs mesures sociales devraient être mises en place pour améliorer les conditions de vie des familles, telles que la création d’un réseau de garderies publiques et l’accès gratuit à un logement pour les jeunes familles. Pour ce qui est de la politique étrangère, le KPRF pense qu’il est primordial d’assurer l’intégrité territoriale de la Russie et de protéger les ressortissant·e·s russes à l’étranger[xii].

Bien entendu, les mesures sociales séduisent une petite partie de l’électorat russe, surtout les travailleur·euse·s agé·e·s ou d’âge moyen provenant de milieux ruraux et les retraité·e·s[xiii], mais les candidat·e·s du KPRF n’arrivent pas améliorer leurs résultats électoraux. Lors de la dernière présidentielle en 2012, Guennadi Ziouganov, candidat du parti, a obtenu 17 % des votes. Cette année, Groudinine a obtenu environ 12 % des voix. Le professeur Rabkin formule une hypothèse intéressante pour expliquer pourquoi le parti ne gagne pas en popularité. Selon lui, une partie de l’explication réside dans la discréditation du communisme en Russie. Depuis la fin des années 80, il y a une propagande extrêmement forte contre tout ce qui est communiste, socialiste et soviétique. Il est vrai qu’il existe une certaine nostalgie de l’époque soviétique depuis quelques années en Russie, mais elle ne se traduit pas en termes électoraux, mais plutôt par l’ouverture de commerces avec des noms inspirés par l’époque soviétique, tels que la banque « Sovetsky bank », qui signifie littéralement « banque soviétique »[xiv].

Vladimir Jirinovski, représentant du Parti libéral-démocrate de Russie (LPDR), a récolté près de 6 % des votes. Habituellement, son électorat est surtout composé d’hommes à faible revenu des milieux ruraux et des petites villes. C’est un parti d’extrême droite et ultranationaliste, dont le programme propose le retour aux frontières de l’URSS par référendum. Jirinovski est convaincu que toutes les ex-républiques reviendront joyeusement dans le giron russe. Retour aux symboles de l’État impérial, peindre le Kremlin en blanc, remplacer les étoiles au sommet des tours du Kremlin par des aigles[xv], le LPDR souhaite l’émergence d’une identité russe rattachée à la Russie impériale. Le parti a aussi quelques propositions pour améliorer la qualité de vie, comme fixer un salaire minimum de 20 000 roubles par mois[xvi] (environ 452 $).

Ksenia Sobchak était la seule femme en lice. Fille d’Anatoli Sobchak, maire de Saint-Pétersbourg et mentor politique de Vladimir Poutine, elle a été accusée par ses opposants d’être trop proche du président russe[xvii]. Sobchak défend des positions libérales et pro-occidentales telles que la séparation des pouvoirs, la démocratie parlementaire et un système judiciaire indépendant[xviii]. Elle est une vedette de télé-réalité et auteure de deux livres, « Comment épouser un oligarque » et « Stylish things ». Elle a obtenu moins de 2 % du vote et sa candidature n’a pas été prise très au sérieux.

Les quatre autres participants, Sergueï Babourine, Maxim Souraïkine, Boris Titov et Gregori Iavlinski, ont tous reçu moins de 2 % des votes.

Héritage soviétique et opinion publique

Vladimir Poutine est une véritable figure d’exception, comparativement à ses prédécesseurs. Non seulement il attiendra un record de longévité au pouvoir à la fin de son prochain mandat, mais il est devenu de plus en plus populaire au fil du temps. Alexander Lukin, dans un article paru en 2009, explique que la popularité du président découle de ses politiques qui collent à l’idéal politique de la population que plusieurs sondages de l’opinion publique ont confirmé. En 2007, un sondage tenu par le New Russian Barometer révélait les caractéristiques sociétales les plus importantes pour les Russes : des rues sécuritaires, l’amélioration du niveau de vie, l’absence d’inflation et la possibilité de trouver un emploi[xix]. Après le démantèlement de l’URSS, le règne d’Eltsine, de 1992 à 1999, fut une période très éprouvante d’un point de vue socio-économique pour l’ensemble du pays. Le professeur Rabkin l’a souligné : « Avec Eltsine, il y a eu une paupérisation massive et précipitée de la grande majorité de la population; les gens survivaient à peine. Eltsine, vraiment, ne se souciait pas beaucoup du sort du commun des mortels[xx]. » Effectivement, les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors que l’espérance de vie au Canada en 1995 était de 78 ans[xxi], elle n’était que de 65 ans en Russie. Contrairement à la tendance globale où l’espérance de vie augmente d’année en année, elle a régressé en Russie, passant de 70 ans à 65 ans entre 1988 et 1994[xxii]. Que ce soit en raison de ses politiques ou par un concours de circonstances, la vie des Russes s’est grandement améliorée depuis l’arrivée de Poutine. Le pays jouit d’une plus grande stabilité et il est aussi plus prospère. Selon les statistiques de l’ONU, le PIB a presque doublé depuis 2005, le taux de chômage est passé de 7,1 % à 5,8 % et le taux de mortalité infantile a diminué de moitié[xxiii]. Ainsi, l’approbation populaire pour les politiques instaurées par Poutine est beaucoup plus forte que pour ses prédécesseurs[xxiv].

Outre l’amélioration des conditions de vie, le système politique lui-même a subi une transformation. Sous Eltsine, l’État et ses institutions se sont fragmentés, ce qui a conduit à la capture de l’État (state capture) par des groupes d’intérêts économiques, plus précisément, par les oligarques russes. Poutine a partiellement restauré la capacité de l’État dès les années 2000 en plaçant les oligarques en position de subordination : elles et ils ont ainsi perdu leur pouvoir politique tout en conservant leur pouvoir économique. Deux réformes majeures ont été implantées par le régime pour assurer la stabilité et la pérennité du pouvoir. Premièrement, le Kremlin a mis la main sur les « machines politiques » contrôlées par les gouverneur·e·s locaux·ales. En 2004, le président s’est accordé le droit de nommer lui-même les gouverneur·e·s, plutôt que de les faire élire au suffrage universel. La Russie couvre un immense territoire, découpé en républiques, oblasts, kraïs et districts autonomes. Il s’est donc assuré de minimiser les risques d’opposition politique en cooptant les élu·e·s à travers le pays. Deuxièmement, le système de partis a été réformé en un système hautement hiérarchisé sous la domination de Russie Unie, le parti de Poutine[xxv]. Ces mécanismes instaurés à l’aide de réformes institutionnelles sont complexes et requéraient à eux seuls un article complet.

Aujourd’hui, le régime russe est défini par plusieurs spécialistes comme un « autoritarisme électoral ». À l’instar des démocraties occidentales, les institutions électorales y sont importantes : elles permettent la participation de divers partis et candidat·e·s. Comme mentionné dans la presse russe, les élections sont généralement transparentes et efficaces, malgré de petites irrégularités. Les régimes autoritaires classiques, pour leur part, tiennent aussi des élections, mais dites « sans choix ». C’est la logique du parti unique, ce qui n’est pas le cas en Russie. Ce qui différencie réellement la Russie des démocraties occidentales, ce n’est pas ses institutions électorales, mais plutôt les « règles du jeu » qui ne sont pas les mêmes pour tou·te·s. Difficulté à s’enregistrer comme candidat·e officiel·le, accès inégal aux ressources, utilisation de l’appareil étatique pour maximiser les votes en faveur du parti dominant, plusieurs moyens sont utilisés pour décourager l’opposition politique. Le cas d’Alexei Navalny a bien démontré ce stratagème. Grand dénonciateur de la corruption en Russie, Navalny a vu sa candidature refusée par la CEC, en raison d’une condamnation passée. En 2009, Navalny a été accusé d’avoir détourné 400 000 euros au détriment de la compagnie d’exploitation forestière Kirovles, alors qu’il occupait le poste de conseiller du gouverneur de la région de Kirov. L’affaire s’est conclue en 2013 par une condamnation à cinq ans de prison, mais quelques mois après le jugement, Navalny a pu échapper à la prison avec conditions (peine avec sursis). Trois ans plus tard, la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg a déclaré que les droits de l’accusé avaient été bafoués dans cette affaire, la Cour suprême russe a annulé la condamnation et ouvert un nouveau procès qui a commencé en septembre 2016. Curieusement, le deuxième procès s’est achevé le 8 février 2017, et Navalny a finalement été condamné à cinq ans de prison et a payé une amende de 500 000 roubles (11 215 $), alors qu’il avait déjà annoncé sa candidature à l’élection de 2018[xxvi].

 Ainsi, les élections n’ont plus comme fonction de choisir un·e dirigeant·e, mais plutôt de légitimer le pouvoir du président en place. Navalny a tenté d’inciter le boycott de l’élection, mais le haut taux de participation prouve que son appel n’a pas porté fruit. L’élection de 2018 ne laisse guère envisager une transformation du régime en Russie. D’ici 2024, il y a fort à parier que Vladimir Poutine choisira lui-même son ou sa successeur·e, puisqu’il sera alors âgé de 70 ans.

[i]               BBC News, « Russia’s Putin Wins by Big Margin », BBC News, 19 mars 2018, sect. Europe, http://www.bbc.com/news/world-europe-43452449.

[ii]              Radio-Canada, « Vladimir Poutine réélu pour un quatrième mandat », Radio-Canada.ca, consulté le 30 mars 2018, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1089956/russie-election-presidentie….

[iii]              Entrevue réalisée avec Yakov Rabkin , 12 mars 2018.

[iv]             Эхо Москве, « Центризбирком утвердил итоги выборов президента России », Эхо Москвы, 2018, https://echo.msk.ru/news/2171244-echo.html.

[v]              Elena A. Chebankova, Civil society in Putin’s Russia, BASEES/Routledge series on Russian and East European Studies 87 (London ; New York: Routledge, 2013), p.60.

[vi]             Ведомости, « ОБСЕ отметила недостаточную конкуренцию на выборах президента России », 19 mars 2018, https://www.vedomosti.ru/politics/news/2018/03/19/754206-obse-otmetila.

[vii]            РИА Новости, « Результаты выборов президента России отменили на 14 участках – РИА Новости, 21.03.2018 », 21 mars 2018, https://ria.ru/election2018_news/20180321/1516948655.html.

[viii]           РИА Новости, « Международные наблюдатели похвалили организацию выборов, заявили в ЦИК », РИА Новости, 22 mars 2018, https://ria.ru/election2018_news/20180322/1516993301.html.

[ix]             Le Figaro, « Poutine renforce son contrôle sur les médias », septembre 2013, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/12/09/97001-20131209FILWWW00428-p….

[x]              Elena A. Chebankova, Op. cit. , p.60.

[xi]             Sofia Sardjveladze, « Путин получил менее 70% в 50 московских районах », РБК, 19 mars 2018, https://www.rbc.ru/politics/19/03/2018/5aafc8fa9a79475684c8efbf.

[xii]            Коммунистическая Партия Российской Федераци, « Программа партии », 2017, https://kprf.ru/party/program.

[xiii]           BBC News, « How Russia’s Political Parties Line Up », BBC News, 6 mars 2012, sect. Europe, http://www.bbc.com/news/world-europe-15939801.

[xiv]            Entrevue réalisée avec Yakov Rabkin.

[xv]            Либерально-демократическая партия России, « Благополучие для всех — Официальный сайт ЛДПР, информационное агентство ЛДПР, новости ЛДПР », 15 août 2017, https://ldpr.ru/party/offer_ldpr/LDPR_Program_Proposals_2017/Wellbeing_f….

[xvi]           Либерально-демократическая партия России, « Экономика — Официальный сайт ЛДПР, информационное агентство ЛДПР, новости ЛДПР », 1er février 2016, https://ldpr.ru/party/offer_ldpr/economy/.

[xvii]          Claire Tervé, « Élection présidentielle en Russie : les 7 candidats fantoches face à Poutine », Huffingtonpost, 18 mars 2018, https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/17/election-presidentielle-en-russ….

[xviii]         « Предвыборная платформа Ксении Собчак », consulté le 18 mars 2018, https://sobchakprotivvseh.ru/steps123.

[xix]           Alexander Lukin, « Russia’s new authoritarism and the post-soviet political ideal », Post-Soviet Affairs 25, no 1 (2009): p.78.

[xx]            Entrevue réalisée avec Yakov Rabkin.

[xxi]           Statistique Canada Gouvernement du Canada, « L’espérance de vie des Canadiens de 1920-1922 à 2009-2011 », 15 octobre 2016, http://www.statcan.gc.ca/pub/11-630-x/11-630-x2016002-fra.htm.

[xxii]          Université de Sherbrooke, « Russie – Espérance de vie à la naissance (année) | Statistiques », 2016, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/tend/RUS/fr/SP.DYN.LE00.IN.html.

[xxiii]         United Nations, « Russian Federation », UN data, 2018, http://data.un.org/en/iso/ru.html.

[xxiv]         Alexander Lukin, Op. cit. , p.78.

[xxv]          Vladimir Gel’man, « The rise and decline of electoral authoritarianism in Russia », Demokratizatsiya 22, no 4 (Automne 2014): p.508.

[xxvi]         Le Courrier de Russie, « Alexeï Navalny condamné “sans surprise” à cinq ans de prison avec sursis », 9 février 2018, https://www.lecourrierderussie.com/opinions/2017/02/alexei-navalny-conda….

CREDIT PHOTO: KREMLIN

Terreur d’État et crimes d’honneur contre les homosexuels en Tchétchénie

Terreur d’État et crimes d’honneur contre les homosexuels en Tchétchénie

Par Raphael Robitaille

Que l’homosexualité soit mal vue en Russie n’est pas un secret; qu’elle ne soit pas tolérée dans la République extrêmement conservatrice de Tchétchénie l’est encore moins. Ce qui frappe toutefois dans les révélations d’avril dernier du quotidien russe Novaïa Gazeta, c’est la brutalité avec laquelle les autorités tchétchènes ont persécuté impunément plus d’une centaine d’hommes sur la base de leur orientation sexuelle, avérée ou alléguée. La nouvelle ayant fait grand bruit à l’international, nous nous proposons ici de tenter de démêler le tout.

Camps de concentration, torture et terreur

Le 1er avril dernier, le principal média d’opposition russe Novaïa Gazeta, appuyé par des organisations non gouvernementales (Human Rights Watch, Amnesty International, Russian LGBT Network), révélait que les autorités de Tchétchénie ont arrêté et enfermé dans des camps de concentration plus d’une centaine d’hommes dont le seul crime fut d’avoir une orientation sexuelle dite « déviante ». Certains ont même été arrêtés sur la base de pures spéculations. Outre leur détention dans des installations extrajudiciaires, les victimes ont été violemment battues, torturées, voire même tuées dans certains cas,  dans le but de leur faire avouer leur orientation sexuelle ou de les faire dénoncer d’autres personnes qui seraient passées entre les mailles du filet[i].

Dans un autre article paru le 21 juillet dernier, Novaïa Gazeta affirmait que pas moins de 56 personnes avaient été assassinées par les autorités dans cette opération qualifiée de « purge » à l’encontre de la communauté LGBT tchétchène[ii]. Certains témoignages qui ont fait surface dans les semaines suivant les révélations ont mis en lumière des techniques de torture qui donnent froid dans le dos[iii]. Humiliations, menaces, passages à tabac, électrocutions ne sont que quelques exemples des sévices que les autorités tchétchènes ont infligés aux détenus. Quelques chanceux ont réussi à quitter le pays et ainsi éviter la répression, alors que d’autres ont été relocalisés ailleurs en Russie, le tout grâce à l’aide du Russian LGBT Network, une organisation non gouvernementale vouée à la défense des droits de la communauté LGBT de la Russie. En date du 13 juillet 2017, sur 120 personnes ayant rempli des demandes d’assistance, 60 ont pu être relocalisées hors de Tchétchénie, dont 27 à l’extérieur de la Russie. Un montant de 238 000 $ américains a été amassé auprès de donateurs internationaux par le Russian LGBT Network afin de permettre la relocalisation des victimes[iv]. Mais pour ceux qui demeurent en Russie, la peur est constante. D’une part, les forçats du gouvernement tchétchène sont bien connus pour être en mesure de s’en prendre à leurs cibles, peu importe où elles se trouvent en Russie. Les assassinats d’Anna Politkovskaïa et de Natalia Estemirova, deux virulentes critiques du gouvernement de Ramzan Kadyrov, l’actuel président tchétchène dont la loyauté à Moscou est sans bornes, l’ont très bien démontré. D’autre part, les proches des victimes, honteuses et honteux d’avoir des homosexuels dans la famille, sont tacitement,  voire directement[v] encouragé·e·s par certaines personnalités du régime en place à commettre des crimes d’honneur pour « laver » la réputation  de la famille[vi].

Crimes d’honneur : le réveil d’une pratique ancestrale

Les sociétés nord-caucasiennes sont parmi les dernières en Russie à conserver des structures traditionnelles basées sur les liens du sang. Ces liens déterminent l’appartenance à un clan (teïp)[vii]. Le clan est la structure fondamentale de l’identité : l’individu n’existe pas en dehors de celui-ci. C’est lui qui définit la place et le statut qu’une personne occupe dans la société. Dans le cas tchétchène en particulier, il n’y a traditionnellement pas de hiérarchie entre les classes, mais il existe cependant une hiérarchie entre clans, causant des rivalités éternelles pour le prestige et le contrôle des ressources. L’identité clanique est indissociable du code d’honneur. Selon celui-ci, dans le cas d’un manquement à l’honneur, la responsabilité de venger l’honneur revient non seulement à la victime, mais à sa famille et son clan. Une atteinte à la réputation non vengée risque ainsi d’affaiblir la position du clan dans la hiérarchie sociale, ce qui peut occasionner des répercussions matérielles bien réelles[viii]. Dans les cas extrêmes où quelqu’un est tué par un·e membre d’un autre clan, la ou le coupable, ou un membre de sa famille, doit être mis·e à mort. Puisque le sang doit être vengé par le sang, la famille de la victime doit poursuivre la chaîne qui peut s’étirer sur plusieurs générations à moins d’y mettre fin par un rituel de pardon[ix]. Cela ne s’applique pas à l’homosexualité puisqu’il s’agit d’un manquement à l’honneur qui est pris en charge par la famille ou le clan lui-même.

L’honneur est encore à ce jour partie intégrante de la culture tchétchène et toute entorse au code clanique est réprimée par le clan ou la famille. Dans cette société où un islam strict s’érige en puissant ciment social, les comportements déviants sont très peu, voire non tolérés. L’homosexualité est taboue et l’homophobie, généralisée. Cette crispation identitaire remonte aux guerres du Caucase des XVIIIe et XIXe siècles, où l’islam est devenu une force unificatrice des sociétés caucasiennes contre l’impérialisme des tsars[x], et a connu un regain de vitalité après la dissolution de l’URSS. Aujourd’hui, le pouvoir en place en Tchétchénie cautionne les crimes d’honneur contre toutes déviances, dont sexuelles, sous prétexte que l’honneur du peuple tchétchène et sa « pureté » sont entachés. Le porte-parole du gouvernement tchétchène de dire : « s’il y avait des homosexuels dans la région, leurs propres familles se seraient occupées d’eux »[xi]. C’est effectivement l’une des plus grandes craintes auxquelles sont confrontées les victimes des récentes purges contre les homosexuels. Les familles risquent de percevoir comme un déshonneur le retour de leur(s) proche(s) homosexuel(s) et pourraient les tuer de leurs propres mains pour rétablir leur réputation. C’est d’ailleurs ce que souhaitent les autorités en ramenant les victimes directement à leurs familles[xii].

L’arrivée au pouvoir de Ramzan Kadyrov fait suite à la mort de son père Akhmad Kadyrov, décédé le 9 mai 2004 dans une explosion au stade de Grozny. Ce qui allait être la dernière élection d’un dirigeant local en Russie a porté au pouvoir, en août 2004, Alu Alkhanov, un ancien chef de police loyal au Kremlin. Entre-temps, Kadyrov a su prouver qu’il était le véritable détenteur du pouvoir dans la région en délivrant une victoire « à la soviétique » au parti de Vladimir Poutine (Russie unie) dans le Parlement tchétchène. Ce n’est qu’en 2006, à l’occasion de son 30e anniversaire, que Ramzan Kadyrov devient constitutionnellement éligible à la présidence de la République et est nommé, au mois de mars, premier ministre. Un an plus tard, sur ordre de Moscou, il remplace Alkhanov à la tête de la Tchétchénie et poursuit la politique de « tchétchénisation[xiii] » du Kremlin pour pacifier durablement la République, en proie à l’instabilité depuis le déclenchement de la Seconde guerre de Tchétchénie[xiv]. Depuis qu’il est au pouvoir, Kadyrov se livre à une véritable « entreprise de contrôle politique total » en usant de ses troupes paramilitaires personnelles pour toutes sortes de basses besognes[xv]. Il est également bien connu pour la poigne de fer qu’il exerce sur la petite République et pour la carte blanche que Moscou lui a accordée en échange du maintien de la stabilité dans son « fief » personnel. Au sein de l’armée russe opérant en Tchétchénie, on le surnomme d’ailleurs « roi Ramzan »[xvi]. La portée des lois russes est, à toutes fins pratiques, nulle en Tchétchénie. Kadyrov a en effet imposé une « re-traditionalisation » de la société allant de l’autorisation de la polygamie à la tolérance pour les crimes d’honneur, les mariages forcés et les violences domestiques, tous des actes officiellement illégaux en Russie[xvii].

Quelles réactions en Russie et à l’international?

Les réactions face aux révélations de Novaïa Gazeta ont fusé de toutes parts partout dans le monde. En Tchétchénie, le président Kadyrov les a qualifiées de « non-sens » dans une entrevue accordée à la chaîne américaine HBO, ajoutant : « nous n’avons pas d’homosexuels en Tchétchénie […] s’il y en a, emmenez-les au Canada […] loin d’ici afin qu’on ne les ait pas chez nous. Pour purifier notre sang, s’il y en a, prenez-les »[xviii]. C’est donc le déni total du côté tchétchène. Une résolution a d’ailleurs été mise en place par le clergé islamique de la République pour condamner les révélations, affirmant qu’elles avaient insulté la foi des hommes tchétchènes et que les responsables devaient payer. Selon la télévision d’État tchétchène, près de 15 000 personnes seraient venues appuyer la résolution à la mosquée de Grozny.  Les journalistes du Novaïa Gazeta impliqué·e·s dans l’histoire disent craindre des représailles. Le journal n’est en effet pas étranger à ce genre de menaces, plusieurs de leurs journalistes ayant été assassiné·e·s dans les dernières années pour avoir dévoilé des dossiers sensibles pour le pouvoir. Novaïa Gazeta n’entend toutefois pas mettre fin à sa couverture du sujet[xix].

En Russie, la réaction initiale du Kremlin a été de balayer les allégations et d’affirmer qu’il n’y avait pas suffisamment d’informations fiables pour entamer une enquête. Le porte-parole du Kremlin a également affirmé que « rien qui sorte de l’ordinaire » n’avait été dit par Kadyrov, ce qui est vrai dans une certaine mesure : en effet, Kadyrov a l’habitude des déclarations incendiaires, à un point tel que Moscou n’y prête pratiquement plus attention car la stabilité dans la République prime sur toute autre considération. La forte indignation de la communauté internationale a toutefois permis d’exercer une pression sur le gouvernement russe afin qu’il prenne le dossier au sérieux[xx], si bien  que la Russie a finalement décidé d’ouvrir une enquête fédérale sur les allégations à la fin du mois de mai dernier. Le président Vladimir Poutine a affirmé qu’il s’entretiendrait avec le procureur général et le ministre de l’Intérieur à ce sujet, et Kadyrov a souligné qu’il allait coopérer tout en maintenant qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Tchétchénie[xxi].

Hors de Russie, la communauté internationale a presque unanimement condamné les persécutions à l’endroit des homosexuels. La chancelière allemande Angela Merkel a mis de la pression sur Poutine lors d’une visite à Moscou pour qu’il démarre une enquête. Le gouvernement du Royaume-Uni fait quant à lui du lobbying, via ses diplomates en poste dans la capitale russe, pour la protection de la communauté LGBT de Tchétchénie[xxii]. Une lettre conjointe adressée au gouvernement russe a également été signée par 24 pays, dont le Canada, demandant une enquête efficace sur la question[xxiii]. La France, par l’initiative de militant·e·s et de bénévoles, accueille déjà certains réfugiés qui ont réussi à quitter la Tchétchénie, mais l’importance de la diaspora tchétchène en France en fait hésiter plus d’un; ceux-ci préférant se tourner vers le Danemark ou le Canada entre autres[xxiv].

Pour conclure, les événements semblent se diriger dans le sens des revendications des différents organismes de défense des droits des homosexuels et de la communauté internationale. L’enquête est présentement en cours et donc peu d’informations sont disponibles quant aux trouvailles des enquêteurs. Ce que l’on sait est que les autorités russes semblent prendre l’enquête au sérieux. Selon Novaïa Gazeta, les enquêteurs rendent les autorités tchétchènes nerveuses. Celles-ci ont effectivement changé leur rhétorique, même si la pratique reste la même. Des actes de sabotage ont également été commis par les autorités. Les enquêteurs qui devaient se rendre à une prison d’Argoun sont tombés sur des ruines encore fraîches. Les familles de certaines victimes ont aussi subi des pressions de la part de la police tchétchène lorsque les enquêteurs ont fait part de leur désir de les interroger[xxv]. Il reste que le gouvernement russe semble déterminé à faire la lumière sur les événements, à tout le moins le laisser croire, vu la pression internationale en sa direction. Le temps nous dira si justice sera rendue. En attendant, les organismes de défense des droits des homosexuels ne lâchent pas la pression sur les gouvernements russe et tchétchène.

CRÉDIT PHOTO: Kthtrnr

[i]                       Milashina, Elena (1er avril 2017). « oubiystvo chesti : kak ambitsiy izvestnogo LGBT-aktivista razboudili v Chechne strashniy drevniy obichai [Убийство чести : Как амбиции известного ЛГБТ-активиста разбудили в Чечне страшный древний обычай] », Récupéré sur Novaya Gazeta : https://www.novayagazeta.ru/articles/2017/04/01/71983-ubiystvo-chesti

[ii]                      Novaya Gazeta (21 juillet 2017). « Kadyrov : pravozaschitniki pytayoutsya ‘slovits hayp’ na teme Chechni [Кадыров: правозащитники пытаются «словить хайп» на теме Чечни] », Récupéré sur Novaya Gazeta : https://www.novayagazeta.ru/news/2017/07/21/133728-kadyrov-pravozaschitn…

[iii]                     Volochine, Elena (26 avril 2017). « Tchétchénie : des homosexuels persécutés se confient », France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=af2BmGGOBBE

[iv]                     Russian LGBT Network (13 juillet 2017). « An update on the matter of the fundraising activities for the Chechnya cause on behalf of the Russian LGBT network », Récupéré sur Russian LGBT Network: https://lgbtnet.org/en/content/update-matter-fundraising-activities-chec…

[v]                      Butterworth, Benjamin (3 mai 2017). « Chechnya police : Kill your gay children before we kill them in torture camps , Récupéré sur Pink News: http://www.pinknews.co.uk/2017/05/03/chechnya-police-kill-your-gay-child…

[vi]                     Human Rights Watch (26 mai 2017). « ‘They have long arms and they can find me : Anti-gay purge by local authorities in Russia’s chechen republic ». Récupéré sur Human Rights Watch : https://www.hrw.org/report/2017/05/26/they-have-long-arms-and-they-can-f…

[vii]                    Souleimanov, Emil (2012). « Islam, nationalisme et vandetta : l’insurrection au Caucase du Nord », Politique étrangère, vol. été, no. 2.

[viii]                   Ibid.

[ix]                     Grigoriantz, Alexandre (1998). La montagne du sang. Histoire, rites et coutumes des peuples montagnards du Caucase, Genève, Georg Éditeur.

[x]                      Tsaroïeva, Mariel (2011). Peuples et religions du Caucase du Nord, Paris, Karthala.

[xi]                     [Notre traduction : “if there were any gay people in the region, they would have been dealt with by their own relatives”]. Mirelli, Annalisa (12 avril 2017). « Chechnya says it’s not putting gays in concentration camps – because Chechnya doesn’t have any gays », Récupéré sur Quartz Media : https://qz.com/955706/chechnya-says-its-not-putting-gays-in-concentratio…

[xii]                    Sherwin, Emily (17 avril 2017). « Gay men flee persecution and honor killings in Chechnya », Récupéré sur Deustche Welle : http://www.dw.com/en/gay-men-flee-persecution-and-honor-killings-in-chec…

[xiii]                   La politique de « tchétchénisation » est développée par le Kremlin dès les premières années de la Seconde guerre de Tchétchénie dans le but d’éviter de répéter la catastrophe de la Première guerre. L’armée russe avait en effet été honteusement défaite par les rebelles tchétchènes en 1996. Une paix peu favorable à Moscou avait été signée à Khasaviourt au Daguestan voisin, ce qui a causé un profond ressentiment au sein de l’élite du Kremlin. La politique de « tchétchénisation » visait donc à éviter une autre débandade de la part de l’armée russe en installant des tchétchènes loyaux à Moscou qui seraient en mesure de rétablir une certaine stabilité dans la République. Akhmad Kadyrov avait été spécialement choisi par Poutine lui-même à cette fin. Pour plus de détails, voir notamment Russell, John (2011). « Chechen elites : control, cooption or substitution? », Europe-Asia Studies, vol. 63, no. 6.; Souleimanov, Emil (2015) « An ethnography of counterinsurgency: kadyrovtsy and Russia’s policy of chechenization », Post-Soviet Affairs, vol. 31, no. 2.

[xiv]                   Russell, John (2011). « Kadyrov’s Chechnya- template, test or trouble for Russia’s regional policy? », Europe-Asia Studies, vol. 63, no. 3.

[xv]                    Minassian, Gaïdz et Merlin, Aude. (12 avril 2017). « Homosexualité : en Tchétchénie, ‘tout comportement minoritaire est rendu impossible’ », Récupéré sur Le Monde : http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/12/homosexualite-en-tchetche…

[xvi]                   Russell, John (2009). « Ramzan Kadyrov in Chechnya: Authoritarian leadership in the Caucasus », dans Canter, David. The faces of terrorism : Multidisciplinary perspectives. Hoboken (NJ), John Wiley and Sons.; voir aussi : Le Brech, Catherine (28 février 2013). « Le ‘modèle’ Kadyrov en Tchétchénie », Récupéré sur Geopolis : http://geopolis.francetvinfo.fr/le-modele-kadyrov-en-tchetchenie-12773

[xvii]                  Bruneau, Laura (1er juin 2015). « Radicalisation de l’Islam en Tchétchénie : Kadyrov bafoue le droit des femmes », Récupéré sur Geopolis : http://geopolis.francetvinfo.fr/radicalisation-de-lislam-en-tchetchenie-…

[xviii]                 [Notre traduction] VoltaireNetTV (16 juillet 2016). « Le président Kadyrov à propos des gays », Récupéré sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=lj0F7ToR8Jk

[xix]                   Walker, Shaun (14 avril 2017). « Journalists fear reprisals for exposing purge of gay men in Chechnya », Récupéré sur The Guardian : https://www.theguardian.com/world/2017/apr/14/journalists-fear-reprisals…

[xx]                    Lokshina, Tanya (19 juillet 2017). « Don’t tolerate the intolerable from Chechnya’s strongman Kadyrov », Récupéré sur The Moscow Times : https://themoscowtimes.com/articles/dont-tolerate-the-intorelable-from-k…

[xxi]                   Human Rights Watch (26 mai 2017). « ‘They have long arms and they can find me’ : Anti-gay purge by local authorities in Russia’s chechen republic ». Récupéré sur Human Rights Watch : https://www.hrw.org/report/2017/05/26/they-have-long-arms-and-they-can-f…

[xxii]                  Lokshina, Tanya (19 juillet 2017). « Don’t tolerate the intolerable from Chechnya’s strongman Kadyrov », Récupéré sur The Moscow Times : https://themoscowtimes.com/articles/dont-tolerate-the-intorelable-from-k…

[xxiii]                 Gouvernement du Canada (26 avril 2017). « Déclaration sur la situation en Tchétchénie », Récupéré sur : http://international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_develop…

[xxiv]                 Alouti, Feriel (6 juin 2017). « L’accueil des homosexuels tchétchènes en France s’organise », Récupéré sur Le Monde :  http://www.lemonde.fr/international/article/2017/06/06/l-accueil-des-hom…

[xxv]                  Milashina, Elena (22 mai 2017). « V Chechne panika i sabotaj [В Чечне паника и саботаж] », Récupéré sur Novaya Gazeta : https://www.novayagazeta.ru/articles/2017/05/22/72521-panika-i-sabotazh

Tensions États-Unis/Russie : Vers une détente?

Tensions États-Unis/Russie : Vers une détente?

Par Raphael Robitaille

Le climat de tension entre la Russie et les États-Unis a frôlé plusieurs fois l’explosion ces dernières années, et ce, plus de 20 ans après la fin de la guerre froide. Nombre d’enjeux attisent l’antagonisme entre Washington et Moscou tels que le conflit ukrainien et la crise syrienne, pour ne mentionner que les plus récents. Les points de discorde entre les deux puissances se multiplient et se cristallisent, rappelant à certain·e·s observateurs et observatrices les moments les plus chauds de la guerre froide. L’administration Trump a exprimé sa volonté de rapprochement entre les deux pays lors de la campagne électorale. Or, la situation semble encore bien loin d’un rétablissement durable des relations.

DE BUSH À OBAMA : LES GRANDES LIGNES

L’éphémère rapprochement entre George W. Bush et Vladimir Poutine qui a fait suite aux événements du 11 septembre 2001 n’aura été qu’un court moment ensoleillé dans les orageuses relations russo-américaines. La présence états-unienne en Asie centrale, pourtant consentie par le Kremlin, et l’intervention en Irak ont tôt fait de raviver plusieurs points de tension entre Washington et Moscou[i]. Il faut également dire que les vagues d’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) encore plus près des frontières russes[ii] et le projet de bouclier antimissile en Europe de l’Est préoccupent le Kremlin[iii], sans oublier les « révolutions de couleur » dans l’ancienne sphère soviétique[iv]. Du côté américain, on reproche à la Russie l’instrumentalisation politique des exportations d’énergie, sa dérive autoritaire et la vente d’armement à des régimes dictatoriaux. Cette conjoncture contribue à l’effritement des canaux de communication bilatéraux et la relation en devient plus tendue, chacun campant ses positions plus durement[v].

À l’occasion des Jeux olympiques de Pékin en 2008, l’impensable se produit. Entre une présence états-unienne de plus en plus forte dans l’espace postsoviétique et une Russie qui peine à conserver sa sphère d’influence au profit de l’Occident, la Géorgie de la « révolution des roses », qui a porté au pouvoir le pro-occidental Mikheil Saakashvili, se fait courtiser par les États-Unis en vue d’une éventuelle adhésion à l’OTAN. Moscou entend bien réagir à cet affront vis-à-vis ses intérêts. Le 7 août, à la suite d’une opération de la Géorgie visant à reprendre le contrôle des régions sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, toutes deux soutenues par Moscou, les Forces fédérales russes traversent la frontière géorgienne. La « guerre de cinq jours » prend fin le 12 août avec l’armée russe aux portes de Tbilissi, la capitale géorgienne. Résultat du climat géopolitique hautement tendu régnant dans l’espace postsoviétique, au Caucase en particulier, la guerre russo-géorgienne a profondément ébranlé les fondements de la sécurité européenne. La hausse vertigineuse des tensions qu’elle a provoquée a amené l’Occident très près d’une guerre avec la Russie[vi].

Après l’escalade de la guerre de cinq jours, les relations entre les deux puissances se stabilisent. L’arrivée au pouvoir de nouveaux présidents des deux côtés, Barack Obama aux États-Unis et Dimitri Medvedev en Russie, donne lieu à ce que l’on appelle couramment le reset. En effet, Américain·e·s et Russes entendent repartir sur de nouvelles bases de collaboration et tentent de balayer les antagonismes passés[vii]. Quelques avancées notables se produisent telles que les négociations sur les missiles balistiques (nouveau traité START), une coopération économique accrue et un climat entre les deux nations somme toute plus cordial, mais la politique du reset reste fragile[viii].

Tout se gâte réellement autour de la crise ukrainienne qui éclate en novembre 2013. Le refus du président Viktor Ianoukovitch de signer un accord économique avec l’Union européenne au profit d’un accord avec la Russie déclenche la « révolution de Maïdan » qui renverse le gouvernement ukrainien dans ce que Moscou qualifie de « coup d’État » contre un gouvernement élu démocratiquement[ix]. S’en suit une rébellion armée dans la région du Donbass – à majorité russophone – face au nouveau gouvernement pro-occidental à Kiev qui jouit du soutien américain dans la répression des rebelles. L’Occident, qui appuie le nouveau président issu des élections de l’après-Maïdan Petro Poroshenko, accuse la Russie d’être à l’origine des milices rebelles du Donbass, et d’avoir violé l’intégrité territoriale de l’Ukraine en annexant la Crimée. La légitimité du référendum menant au rattachement de la péninsule à la Russie a d’ailleurs été âprement débattue et contestée dans les chancelleries occidentales. Depuis ces événements, les manœuvres militaires de part et d’autre des frontières russes nuisent à un règlement de la situation, chaque camp s’accusant mutuellement de provocations. L’OTAN a dépêché plusieurs milliers de soldats additionnels, dans les pays baltes notamment, en guise de dissuasion à une agression russe. La Russie s’adonne elle aussi à des exercices de plus en plus près de ses frontières occidentales. Les États-Unis et leurs alliés ont imposé une série de sanctions contre Moscou après l’annexion de la Crimée. Les pourparlers sur la crise ukrainienne ont ainsi subi plusieurs revers jusqu’à l’accord dit de Minsk II signé en février 2015 et qui n’a pas encore été implanté complètement. Entre autres, l’accord de Minsk prévoit le retrait des armes lourdes du front, la cessation des combats, l’échange des prisonniers et l’amnistie pour les séparatistes, autant de mesures non appliquées des deux côtés. Le gouvernement ukrainien doit également procéder à des réformes constitutionnelles sur le statut des républiques séparatistes, chose qui n’a toujours pas été faite malgré les pressions américaines[x]. La question ukrainienne reste à ce jour en suspens et on assiste à une récente recrudescence des combats au Donbass[xi].

Le conflit syrien est probablement l’événement ayant le plus entaché les relations russo-américaines depuis l’implication de la Russie. La coalition occidentale souhaite le départ de Bachar Al-Assad tout en bombardant Daesh et en soutenant différentes factions rebelles. La Russie est quant à elle intervenue afin de « sauver » le gouvernement Assad de la déconfiture et combattre les groupes terroristes (ou les opposant·e·s au régime?), dont Daesh. Moscou a une fois de plus pris par surprise l’administration Obama en intervenant en Syrie, marquant bien son retour en tant qu’acteur international de premier plan[xii]. Sans entrer en détail dans la complexité de la situation, il suffit de souligner que les objectifs des visées de la Russie et des États-Unis sont presque aux antipodes. Cette « guerre par procuration » a ainsi causé plusieurs accrochages diplomatiques, dont le paroxysme a été la suspension des relations bilatérales menaçant de déclencher une troisième guerre mondiale, comme l’a indiqué le premier ministre turc Numan Kurtumulus il y a quelques mois[xiii].

L’ADMINISTRATION TRUMP ET L’AVENIR DES RELATIONS RUSSO-AMÉRICAINES 

C’est donc dans ce contexte que l’administration Trump entre en scène. Beaucoup de points de friction se dressent face au rétablissement normal des relations malgré une volonté affichée du nouveau président américain de dénouer les tensions. L’Esprit libre a rencontré le co-coordonnateur de l’Observatoire de l’Eurasie du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation et spécialiste des questions sur l’espace postsoviétique Yann Breault, afin d’y voir plus clair et de déceler quelques pistes de compréhension pour l’avenir.

D’abord, pratiquement personne ne sait réellement à quoi s’attendre avec Trump en ce qui a trait aux relations avec la Russie. Comme l’affirme Yann Breault : « Mon collègue Irvin Studin disait, un peu à la blague, que Trump pourrait être récipiendaire d’un prix Nobel de la paix et la même journée déclencher une troisième guerre mondiale. » C’est dire le brouillard dans lequel se trouvent les analystes en ce moment. En Russie, grâce aux déclarations en faveur d’un rapprochement lors de la campagne électorale, « certaines personnes bien sûr ont applaudi l’élection de Trump, mais beaucoup font preuve de scepticisme quant à la durabilité de ce renouveau plutôt amical. […] C’est surtout l’imprévisibilité qui est le principal problème », ajoute le spécialiste. On peut dire, pour l’instant, que la porte est ouverte à une collaboration sur plusieurs dossiers qui sont principalement dictés par une convergence d’intérêts. La classe politique en Russie reste tout de même sceptique quant à un rapprochement durable avec les États-Unis.

Parmi les enjeux où une collaboration plus poussée serait envisageable, il y a le conflit syrien, ou plus précisément la lutte contre Daesh. Par contre, plusieurs raisons permettent de douter de la longévité d’un rétablissement des relations sur cette base, « notamment le dossier iranien, où il y a une divergence de point de vue assez importante entre l’administration Trump et les Russes », souligne Yann Breault. Il reste que les divergences d’intérêts et d’objectifs ainsi que le nombre d’acteurs et d’actrices présent·e·s sur le terrain constituent des obstacles de taille. Or, il semble que Trump et Poutine aient une vision relativement semblable, du moins réconciliable, sur la question syrienne. Malgré cela, les récents développements et la montée de ton à l’encontre de la Russie par l’administration Trump au sujet de la Syrie risquent d’empoisonner la possibilité de coopération sur ce point.

L’exploitation pétrolière représente, d’après Yann Breault, un autre enjeu sur lequel une reprise de la collaboration est envisageable. « Si l’on se fie à la nomination de Rex Tillerson au poste de secrétaire d’État, on pourrait être tenté de penser qu’il y a une volonté de renouer avec la collaboration dans le secteur pétrolier […]. Lui-même vient d’une grosse compagnie pétrolière [ExxonMobil] », lance-t-il. Des compagnies américaines, jusqu’à l’imposition de sanctions économiques contre la Russie, étaient impliquées dans des projets d’exploration et d’exploitation pétrolière en Arctique. C’est le cas notamment d’ExxonMobil qui avait essuyé plusieurs revers par le passé. « ExxonMobil avait essayé d’acheter les actions de la compagnie Yukos, une des raisons pour lesquelles l’oligarque Mikhail Khodorkovski a été emprisonné », affirme le spécialiste. La tentative de Khodorkovski de vendre une part importante des actions de Yukos à ExxonMobil sans l’approbation du Kremlin « avait été un des irritants qui avait précipité sa chute politique ». Ainsi, avec la nouvelle administration en place, il n’est pas impossible de voir à l’avenir des projets conjoints entre la Russie et les États-Unis concernant le secteur pétrolier, mais pour Yann Breault, la relation n’en est pas là pour le moment. L’option la plus plausible reste la collaboration contre l’État islamique.

Le désamorçage des tensions est loin d’être une tâche simple, car « les tensions qui opposent les États-Unis et la Russie ne sont pas seulement russo-américaines, elles impliquent aussi l’Union européenne ». Comme l’indique M. Breault, « il y a des divergences à l’intérieur des membres de l’Union européenne, donc la perspective d’un réchauffement des relations russo-américaines est bien accueillie dans certaines chancelleries, [mais] elle suscite des inquiétudes très grandes auprès d’autres, en Europe de l’Est évidemment, en Pologne principalement ». L’appréhension de certains membres de l’OTAN devant    une déstabilisation de la région initiée par la Russie en vue d’affaiblir l’Alliance la pousse à renforcer ses positions en Europe. L’arrivée d’une nouvelle administration américaine a peu de chance de renverser cette tendance selon le spécialiste.

Finalement, sur le plan des sanctions économiques, il ne semble pas y avoir de probabilité d’ouverture à court terme, tout simplement parce qu’elles ne représentent pas un enjeu prioritaire ni pour le gouvernement américain, ni pour le gouvernement russe. « Les Russes ont fait preuve de résilience et ont digéré l’effet des sanctions, par contre, la capacité des entreprises russes d’aller chercher du financement pour des projets de développement est limitée », explique Yann Breault. De plus, le contexte actuel rend les gens d’affaires plutôt récalcitrants à investir en Russie. Les États-Unis, qui font l’objet des contre-sanctions russes, ne voient pas d’urgence non plus pour lever les sanctions, le commerce extérieur avec la Russie étant infime. Le spécialiste de la Russie ajoute : « Il y a une renégociation des rapports de force en cours depuis plusieurs années. Les sanctions et contre-sanctions sont des éléments qui vont être sur la table, mais il faudra voir ce que Poutine a à offrir aux Américain·e·s en contrepartie d’une levée des sanctions. Ce qui est certain, poursuit-il, c’est qu’ils [les Russes] ne lâcheront certainement pas le morceau. » L’enjeu majeur faisant obstacle à la levée des sanctions est la question de la Crimée. À ce sujet, Trump a annoncé, le 14 février dernier, qu’il s’attendait à ce que Moscou retourne la péninsule à l’Ukraine, ce que le Kremlin a immédiatement refusé[xiv]. « Il n’y a aucune ouverture possible et imaginable en Russie pour qu’on revienne sur l’annexion », indique Yann Breault. Ainsi, si l’on se fie à la situation au Donbass, « on peut même douter de la volonté des Russes d’abandonner les rebelles à leur sort et de laisser l’Ukraine rétablir par la force le contrôle sur les régions contrôlées par les rebelles ».

Bref, le chemin vers la levée des sanctions et le retour à une relation cordiale entre la Russie et les États-Unis est parsemé d’embûches, de points de discorde et chargé d’un passé lourd de conséquences. L’arrivée de la nouvelle administration aux États-Unis, bien qu’elle soit en faveur d’un rapprochement, fait face à un défi de taille qui nécessitera plusieurs compromis de part et d’autre. Il est permis de douter de la possibilité d’une reprise durable des relations russo-américaines, mais l’ouverture à la collaboration est tout de même bienvenue compte tenu du niveau de tensions actuel.

[i] Djahili, M-R. & Kellner, T. (2006). « L’Asie centrale, terrain de rivalités », Le Courrier des pays de l’Est, Vol. 5, No. 1057, p. 4.

[ii] Plusieurs vagues d’élargissement de l’OTAN ont en effet admis des États qui faisaient auparavant partie du Bloc communiste. En particulier, celle de 1999 a intégré la République tchèque, la Pologne et la Hongrie, et celle de 2004 la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie, les deux premiers ayant une frontière commune avec la Russie. Marchand, P. (2015). « Atlas géopolitique de la Russie. Le grand retour sur la scène internationale », Paris, Autrement, p. 54-55.

[iii] Tardieu, J-P. (2010). « Le bouclier antimissile américain en Europe : Les ambiguïtés de la main tendue », Politique étrangère, No. 2, p. 443.

[iv] Le terme « révolutions de couleur » fait référence à la prise de pouvoir en Serbie, en Ukraine, en Géorgie et au Kirghizistan de gouvernements pro-occidentaux et hostiles à la Russie suite à des pressions populaires contre les dictateurs issus de la vieille garde communiste. Les mouvements sociaux à la base de ces révolutions ont en partie vu le jour grâce à la coordination d’ONG locales avec des ONG occidentales, le tout grassement financé par le Département d’État américain et la CIA. Moscou s’est sentie vulnérable et a vu les événements comme délibérément posés à l’encontre des intérêts de la Russie dans ce qu’elle percevait comme sa sphère d’influence. Pour plus de détails, voir Loizeau, M. (2005). « Comment la CIA prépare les révolutions colorées », Les Grands documentaires, 51 min, https://www.youtube.com/watch?v=1zUg9NrkcAQ, consulté le 10 février 2017.

[v] Graham, T. (2008). « Les relations États-Unis/Russie : une approche pragmatique », Politique étrangère, No. 4, p. 748.

[vi] Asmus, R. D. (2010). « A little war that shook the world: Georgia, Russia, and the future of the West », New-York, Palgrave Macmillan, p. 4.

[vii] Nation, R.C. (2012). « Reset or rerun? Sources of discord in Russian-American relations », Communist and Post-Communist Studies, Vol. 45, No. 3-4, p. 379.

[viii] Blank, S. 2010. « Beyond the reset policy : Current dilemmas of U.S.-Russia relations », Comparative Strategy, Vol. 29, No. 4, pp. 333-336.

[ix] Mandel, M-D. (2015). « Conflit en Ukraine : agression russe ou guerre civile? », Relations, No. 781, p. 32.

[x] Goncharenko, R. (2016). « Ukraine under pressure to implement terms of Minsk peace agreement », Deutsche Welle, en ligne, paru le 5 octobre 2016, http://www.dw.com/en/ukraine-under-pressure-to-implement-terms-of-minsk-…, consulté le 13 mars 2017.

[xi] Dubien, A. (2017). « La reprise des combats au Donbass, à Avdiivka, en 3 minutes », Observatoire France-Russie, en ligne, paru le 2 février 2017, http://obsfr.ru/fr/blogs-et-videos/evenement/article/vozobnovlenie-boev-…, consulté le 13 février 2017.

[xii] Stent, A. (2016). « Putin’s power play in Syria », Foreign Affairs, Vol. 95, No. 1, p. 106.

[xiii] Sims, A. (2016). « US and Russia could ‘start third world war over Syria conflict’, says Turkey », The Independent, en ligne, paru le 17 octobre 2016, http://www.independent.co.uk/news/world/europe/us-russia-third-world-war…, consulté le 17 février 2017.

[xiv] Russia Today. « Trump expects Russia to ‘return Crimea’ – White House », en ligne, paru le 14 février 2017, https://www.rt.com/usa/377346-spicer-russia-return-crimea/, consulté le 17 février 2017.