par Marcos Ancelovici | Fév 1, 2023 | Analyses, International, Societé
Cet article est d’abord paru dans le numéro 94 de nos partenaires, la revue À bâbord!
Les locataires sont souvent sans défense devant les expulsions. On a même souvent l’impression que le système judiciaire joue contre eux. Pourtant, la campagne pour le Right to Counsel (ou pour l’aide juridique) à New York montre qu’il peut en être autrement.
Les expulsions et les déplacements forcés de population sont peut-être les manifestations les plus violentes de la crise du logement. Bien que beaucoup d’expulsions puissent être informelles et résulter de menaces ou de harcèlement de la part des propriétaires, les expulsions sont, au sens strict, le produit d’un processus légal très encadré qui passe nécessairement par un tribunal où un juge donne un ordre de la cour mis en œuvre par un huissier ou la police.
Il y a différentes façons de s’opposer aux expulsions. On peut agir en amont et essayer de développer des campagnes visant à peser sur les lois et les politiques publiques. On peut aussi agir en aval et avoir recours à l’action directe pour essayer de bloquer physiquement l’expulsion. Entre les deux, la cour est un espace asymétrique central où propriétaires et locataires s’affrontent à armes inégales. Au Québec, il y a chaque année entre 30 000 et 50 000 demandes d’expulsion qui passent par le Tribunal administratif du logement (TAL). Il faut garder à l’esprit qu’une expulsion ne touche pas simplement un individu, mais un ménage incluant potentiellement plusieurs personnes. 50 000 demandes d’expulsion peuvent ainsi vouloir dire que plus de 100 000 ou même 200 000 personnes sont touchées chaque année au Québec.
Dans une ville comme New York, une des plus chères au monde, la situation est encore plus dramatique. Selon le Furman Center de l’Université de New York, en 2017 il y a eu 176 590 demandes d’expulsion (eviction filings) soumises aux différents tribunaux du logement (housing court) de la ville de New York (il y a un tribunal du logement dans chacun des 5 boroughs de la ville – Manhattan, Brooklyn, Bronx, Queens et Staten Island). On parle donc de plusieurs centaines de milliers de personnes affectées annuellement.
Les quartiers les plus pauvres, où sont concentrées les populations racisées, sont les plus touchés, particulièrement le sud-ouest du Bronx et le centre et l’est de Brooklyn. Même si toutes ces demandes d’expulsion ne se concrétisent pas, les conséquences peuvent être énormes dans la mesure où les locataires visé·es peuvent ensuite finir sur des listes noires et avoir encore plus de difficultés à trouver un logement.
Pourtant, lorsque les tribunaux du logement de New York ont été créés en 1973, ils étaient censés contribuer à une application juste et équitable du droit. Mais dans la mesure où la grande majorité des propriétaires (entre 90 et 97,6 %) étaient représenté·es par un·e avocat·e, tandis que c’était le cas d’une toute petite proportion de locataires (entre 11,9 et 15 %), la majorité des jugements servaient les intérêts des propriétaires aux dépens de ceux des locataires. Lorsque les locataires bénéficiaient d’une représentation légale en cour, la proportion de jugements allant à leur encontre passait de 51 à 22 %. Développer une forme d’aide juridique pour les locataires est alors apparu comme une façon relativement simple de faire baisser le nombre d’expulsions.
La Right to Counsel NYC Coalition
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la campagne pour l’aide juridique (le Right to Counsel) en matière de logement lancée par le CASA (Community Action for Safe Apartments), un groupe communautaire du sud-ouest du Bronx, en 2012. Celui-ci commence par produire un rapport sur la situation, mais la dynamique accélère en mars 2014 lorsque deux démocrates membres du Conseil municipal de New York – Mark Levine et Vanessa Gibson –présentent le projet de loi Intro-214 pour forcer la Ville à couvrir les frais de représentation légale des résident·es à bas revenus confronté·es à une expulsion. Bien que CASA accueille positivement cette initiative, il tient aussi à maintenir son autonomie et crée, avec plus de 25 groupes communautaires et de défense des droits, une coalition exigeant non seulement que la Ville couvre les frais de représentation, mais aussi que le droit à l’aide juridique soit inscrit dans la loi.
Malgré une augmentation massive du financement de l’aide juridique entre 2013 et 2016, la coalition a recours à une diversité de modes d’action pour faire pression sur la Ville de New York. Elle produit des rapports, des vidéos d’information et des manuels pour les activistes du droit au logement. Elle organise des assemblées qui attirent plus de 500 personnes ainsi qu’un forum à la New York Law School qui attire plus de 450 personnes et des personnalités juridiques et politiques. Elle développe un plan de mise en œuvre de la réforme législative qu’elle présente dans plusieurs conseils de quartier de la ville, qui finissent par adopter une déclaration commune en faveur de la réforme.
Parallèlement, la coalition s’appuie sur une pétition de près de 7000 signatures et organise de nombreuses conférences de presse et audiences publiques. Tout cela contribue énormément à la visibilité de la revendication du droit à l’aide juridique en matière de logement. Mais le tournant a eu lieu en 2016, lorsqu’un rapport de la New York City Bar Association conclut que cette réforme non seulement se financerait elle-même, mais permettrait aussi à la Ville d’économiser 320 M$ par année. Des acteurs influents, comme le New York Times, commencent alors à soutenir la réforme et, le 11 août 2017, le maire démocrate de New York, Bill de Blasio, signe la loi Intro-214 qui garantit une aide juridique aux personnes aux bas revenus. Il s’agit alors d’une première aux États-Unis.
La lutte continue
Depuis, la campagne pour le Right to Counsel a permis de réduire le nombre d’expulsions et de sensibiliser le public à ce problème. Elle a renforcé le mouvement pour le droit au logement de New York. Elle s’est transformée en campagne régionale au niveau de l’État de New York et a été reprise dans de nombreuses grandes villes américaines. Il y a donc eu de véritables gains et un effet de diffusion.
Néanmoins, de nombreux problèmes persistent. Beaucoup de locataires ne connaissent pas leurs droits et n’ont donc pas recours à l’aide juridique. Il n’y a pas assez d’avocat·es disponibles pour représenter le nombre astronomique de locataires qui se présentent aux différents tribunaux du logement tous les jours. Ainsi, depuis la fin du moratoire sur les expulsions, décrété durant les deux premières années de la pandémie, la proportion de locataires bénéficiant d’une aide juridique ne cesse de diminuer : le 16 janvier 2022, mois durant lequel le moratoire a pris fin, 54 % des locataires bénéficiaient d’une représentation légale en cour ; le 25 septembre 2022, ils et elles n’étaient plus que 6 %.
Malgré son succès, le cas de la campagne new-yorkaise pour le Right to Counsel montre clairement que la mise en œuvre des gains législatifs est en soi un enjeu de luttes. Le 28 octobre 2022, la Right to Counsel NYC Coalition organisait ainsi une manifestation devant le tribunal du logement de Brooklyn pour dénoncer la situation : « Les tribunaux nient le droit des locataires à un avocat, que notre mouvement a obtenu lors d’une victoire historique en 2017. Ils profitent de ce moment de crise pour faire reculer nos droits. MAIS NOUS NOUS BATTONS !!! ». La lutte continue…
CRÉDIT PHOTO : Claue37/Flickr
par Sarah M. Munoz | Jan 31, 2023 | Analyses, Environnement, International
Ce texte est extrait du recueil Faire des vagues. Pour acheter le livre, visitez votre librairie, ou notre boutique en ligne!
Avec la hausse des inondations et de la perte de territoire due au changement climatique, le contrôle de l’eau est devenu un enjeu primordial dans le sud de la Louisiane, aux États-Unis. Centrale au sentiment d’appartenance à la terre et à la culture louisianaise, l’eau se positionne simultanément comme repère identitaire et comme menace existentielle. Mais, dans sa tentative de préservation de la côte et de ses cultures, l’État met en danger un groupe particulier : les communautés de pêcheur·euse·s, pour qui les politiques gouvernementales de contrôle de l’eau représentent une menace à la survie économique.
En Louisiane, une quantité de terre équivalente à un terrain de football sombre toutes les heures dans le golfe du Mexique. Sur le serpentant delta du Mississippi plane aujourd’hui la menace de la montée du niveau de la mer, et la région fait face à l’une des pertes de territoire les plus rapides au monde. Certains chercheur·euse·s estiment que la majorité du delta sera sous l’eau d’ici 2100.
Aujourd’hui, la Louisiane abrite 59 communautés inondées chroniquement, et l’eau constitue une menace persistante à la prospérité des habitant·e·s de la région. Le territoire est aux prises avec plusieurs enjeux climatiques et environnementaux, qui vont des ouragans violents à la perte accélérée du territoire, attribués à trois causes principales : l’exploitation pétrolière effrénée, qui a creusé et affaibli les sols du bayou; la mise en place de digues le long du Mississippi, qui a coupé les processus naturels de sédimentation permettant la création et l’alimentation des terres; et, finalement, les changements climatiques, responsables de la montée du niveau de la mer et de l’intensification des pluies et des ouragans.
Face à ces menaces, l’État s’est engagé dans un processus de protection et de restauration des côtes dans le but de réduire les inondations et la perte de territoire à l’aide, notamment, de systèmes de digues le long des côtes et du Mississippi, de politiques de drainage et de projets de diversion. Paradoxalement, ces stratégies contribuent à modifier le paysage louisianais et posent un défi à la préservation des identités ancrées dans la culture de l’eau ainsi qu’au communautés dépendantes de la pêche.
L’eau comme menace : l’histoire d’un contrôle difficile
La gouvernance de l’eau et de l’environnement en Louisiane remonte au XVIIIe siècle. Les premières digues furent érigées par les Français pour contenir les inondations causées par le débordement du Mississippi et protéger la Nouvelle-Orléans. Cette politique d’infrastructures se développa tout au long du XIXe siècle, jusqu’à la grande crue de 1927, évènement dévastateur qui marqua durablement la gouvernance du Mississippi. Afin de prévenir d’autres inondations catastrophiques et de protéger la Nouvelle-Orléans et ses infrastructures de commerce, l’État fédéral américain lança des politiques majeures visant à renforcer les digues et à construire un ensemble d’« exutoires », soit des systèmes de vannes permettant de déverser l’eau ailleurs, avant qu’elle n’atteigne le cœur économique du Golfe.
Le problème du système de digues est qu’il empêche l’excès d’eau de se répandre naturellement dans le delta, confinant plutôt les flots dans le lit du Mississippi jusqu’à entraîner son débordement. Ces crues nécessitent alors l’ouverture des déversoirs construits après la grande inondation de 1927 afin d’éviter la submersion de la ville, un processus qui évacue l’eau de la rivière directement vers le golfe du Mexique. Cependant, ce mélange entre eaux douces et salées met à mal l’industrie de la pêche. En 2019, par exemple, l’ouverture du Bonnet Carré, le déversoir qui protège la Nouvelle-Orléans, a décimé les parcs à huîtres et les populations de dauphins, de tortues de mer et d’autres espèces aquatiques du Golfe. Les pertes considérables qu’elle engendra ont laissé aux pêcheur·euse·s et aux personnes qui leur sont proche un souvenir amer. Christine, une employée de l’État en charge des relations avec les ostréiculteur·rice·s, me raconte, peinée, ce qu’il s’est passé cette année-là : « Ce n’est pas censé arriver tous les ans, mais en 2019, le déversoir a été ouvert deux fois. Quand ils [le Corps du génie de l’armée de terre des États-Unis] l’ont refermé la première fois, les huîtres avaient survécu et s’accrochaient. On s’arrêtait et on respirait en se disant “ouf, on est sauvé·e·s”. Mais une ou deux semaines plus tard, la rivière était encore tellement haute qu’ils ont dû rouvrir les vannes. Il n’y a rien qu’on pouvait faire, à part tout regarder mourir. ».
Si les systèmes d’exutoires étaient originalement supposés servir à sauver la Nouvelle-Orléans dans des cas de crues exceptionnelles, les dérèglements climatiques et les débordements répétés du Mississippi, causés par les digues qui l’emprisonnent, ont entraîné l’ouverture des déversoirs plusieurs fois au cours de la dernière décennie. Une menace considérable pour la faune aquatique et l’industrie de la pêche.
Le désir politique de contrôler l’eau du Mississippi et du golfe du Mexique afin de préserver les infrastructures commerciales du sud de la Louisiane se traduit également par le développement de systèmes de drainage des sols. Destinées à favoriser l’expansion urbaine à partir du XXe siècle, ces politiques d’assèchement engendrent l’enfoncement progressif des terres, augmentant la vulnérabilité des habitant·e·s aux inondations et aux ouragans. C’est ainsi que quand Katrina et Rita frappèrent en 2005, la moitié de la Nouvelle-Orléans se trouvait sous le niveau de la mer.
La bétonisation des côtes
En guerre contre les éléments, l’État de Louisiane perpétue toujours ces politiques de gouvernance de l’eau en misant sur les développements technologiques et infrastructurels. Digues, écluses et systèmes de pompes sillonnent le paysage louisianais au détriment des processus naturels d’évacuation de l’eau. Au téléphone, je discute avec Charlie, un barbier noir militant de l’environnement à la Nouvelle-Orléans, qui me raconte son expérience personnelle avec les inondations et les injustices vécues par sa famille. Pour lui, cette volonté humaine de contrôler l’eau a transformé la région en une jungle de béton, détruisant sur son passage les protections qu’offrait le bayou contre les intempéries. En effet, la construction des digues le long du Mississippi a eu pour effet d’enrayer les processus de sédimentation des marécages, ce qui a entraîné la perte progressive de ces barrières naturelles contre les ouragans.
« Ils [et elles] ont mis encore plus de béton sur les digues (…), s’exaspère Charlie, le brouhaha ambiant de la Nouvelle-Orléans résonnant derrière lui. Ça ne permet pas à l’eau de pénétrer, ça ne retient pas l’eau. Si tu as un marais et que tu mets du béton dessus, ça va l’assécher, et c’est pour ça que les rues [de la Nouvelle-Orléans] sont mauvaises! Les rues s’effondrent parce qu’il n’y a plus rien en dessous. (…) Ils [l’État et le Corps du génie de l’armée de terre] essaient de contrôler la nature au lieu de vivre avec, de contrôler l’Homme [sic] au lieu de vivre avec. Cette mentalité [de] “je vais contrôler l’eau et construire cette digue et mettre toute l’eau derrière”, ça ne marche pas! Ça a échoué avec Betsy, ça a échoué avec Katrina, ça ne marche pas », conclut-il, d’un air excédé.
Bien que le système de protection de la Nouvelle-Orléans se soit avéré efficace contre l’ouragan Ida en août 2021, les ravages de son passage se font tout de même sentir pour les habitant·e·s les plus démuni·e·s, tandis que les autorités locales multiplient leurs efforts pour rapidement évacuer l’eau et rétablir les services essentiels dans les villes. Pour les gouvernements, ces systèmes sont néanmoins la seule manière de protéger les communautés vivant sur la côte contre les intempéries, les ouragans et les inondations. Selon David, biologiste et ancien fonctionnaire de l’État de la Louisiane, la raison pour laquelle les politiques de drainage restent en place malgré leurs effets sur l’effondrement du bayou est qu’elles sont essentielles à la prévention des inondations au sein du système de digues. Il soutient que « tout le système est fait de digues. S’il y a 25 ou 50 centimètres de pluie, il faut retirer l’eau et elle doit aller quelque part. Si on ne draine pas, l’eau s’accumule dans la rue et entre dans les maisons, dans les commerces ».
Les fortes pluies et autres évènements climatiques nécessitent alors régulièrement l’utilisation des systèmes de pompes. Charlie, lui, attribue néanmoins ces inondations à l’urbanisation de la région et constate dans son quotidien l’empirement de la situation. « Il y a des inondations régulières à cause du béton », affirme-t-il, ajoutant que « les inondations ont commencé à être fréquentes dans des endroits qui n’étaient pas inondés avant. » Pour lui, c’est l’idéologie de l’État et son rapport à l’eau qui sont à l’origine de ces problèmes. « Nous devons comprendre l’eau, nous sommes entouré·e·s par l’eau. Nous ne devrions pas en avoir peur, mais nous n’apprenons pas à la comprendre », se désole-t-il.
L’eau, un repère identitaire
En dépit de son potentiel menaçant, l’eau est au cœur de l’identité Louisianaise. Pour les habitant·e·s de la région côtière, l’attachement au lieu et à la culture est remarquablement fort. Ils et elles ont l’un des plus hauts taux de « persistance résidentielle » du pays : 78 % des Louisianais·e·s vivent là où ils et elles sont né·e·s.
L’eau constitue une grande partie de cet attachement culturel à la terre parce qu’elle est le signe d’une résilience particulière chez les habitant·e·s de la région. Leur identité collective est forgée par leur conscience de la « perte », et leur capacité à se (re)construire après les tempêtes, les ouragans et les inondations. La fragmentation des marais et l’engloutissement des terres dans le golfe du Mexique ont un impact direct sur le sentiment d’appartenance des groupes dont l’identité est ancrée dans leur lieu d’habitation. C’est ainsi l’expérience quotidienne de ce lieu qui crée leur compréhension commune des risques et des trésors de la région.
Dans le bayou, la proximité à l’eau forme ce sentiment d’appartenance notamment parce qu’elle sous-tend les tissus social et économique de leur mode de vie. Comme il est indiqué dans le plan d’adaptation et de résilience environnementale du gouvernement de Lafourche, l’un des comtés les plus vulnérables à l’érosion, « où que l’on habite à Lafourche, on est connecté·e à l’eau. (…) L’eau fournit la subsistance économique et l’héritage culturel qui définit la vie à Lafourche ».
L’eau représente ainsi un véritable mode de vie pour une partie de la population, en particulier pour certaines communautés autochtones dépendantes de la pêche de subsistance. Vivant parfois à l’extérieur du système de digues côtières et ne bénéficiant pas de protections infrastructurelles, elles sont nombreuses à subir les ravages de l’exploitation pétrolière, des politiques infrastructurelles et des changements climatiques. Malgré le risque, certaines refusent d’abandonner leurs terres. C’est le cas de la communauté de Grand Bayou, un petit village de pêcheur·euse·s au bout de Plaquemines Parish et accessible uniquement par bateau, qui estiment qu’une relocalisation de leur village anéantirait leur culture et leur futur. Mais après le départ de plusieurs centaines d’habitant·e·s, la survie des quelques quarante restant continue d’être menacée par l’érosion graduelle de leur territoire.
Dans un rapport produit par différentes communautés autochtones pour le National Climate Assessment, des habitant·e·s de Grand Bayou racontent leur expérience avec la perte de territoire. « Nos bayous étaient le paradis pour les enfants parce qu’ils [et elles] adoraient l’eau ainsi que pêcher, nager, faire du canoë et se réunir avec les ancien·ne·s s. Mais ce paradis est en train de changer. (…) Les enfants ne peuvent plus jouer dehors car il n’y a plus de terre. »
L’histoire de l’érosion des terres de la communauté de Grand Bayou, comme d’autres communautés autochtones en Louisiane, dépasse celle des changements climatiques. « [L’État dit] que nous sommes une communauté “à risque”. Mais comment sommes-nous devenu·e·s à risque, et qui est responsable de ça? », rappelle Philippe, un habitant de la communauté. Aux politiques de digues du Mississippi, qui ont entraîné l’effondrement du bayou, et à l’exploitation pétrolière, qui a creusé et détruit les marécages, s’est ajoutée une histoire coloniale industrielle violente envers les communautés autochtones qui a fragilisé leurs territoires et leurs protections sociales. L’impact dévastateur du récent ouragan Ida sur les communautés autochtones du sud-est de la Louisiane est un douloureux rappel de ces vulnérabilités.
Les « contradictions » des politiques de restauration de l’environnement
On trouve des effets durables aux politiques de contrôle de l’eau, tant sur les écosystèmes que sur les communautés humaines. Le chercheur Kevin Fox Gotham pointe du doigt ces conséquences néfastes et parle d’une « contradiction » des politiques de restauration et de protection en Louisiane. Selon lui, la mise en place de ces structures de contrôle de l’eau s’inscrit dans une logique extractiviste qui vise à perpétuer l’exploitation pétrolière dans le golfe du Mexique, malgré ses conséquences directes sur l’environnement. Il parle ainsi d’une construction sociale du risque.
Les politiques structurelles mises en place par l’État préserveraient en effet les industries pétrolières de la région en restaurant les côtes et en protégeant les infrastructures contre les aléas climatiques, de manière à maintenir leurs opportunités de production. Mais cette bataille contre les éléments en faveur des intérêts industriels a un impact considérable sur les communautés de la région.
Lors des réunions mensuelles du Oyster Task Force, un groupe de travail composé d’ostréiculteur·rice·s et de représentant·e·s du gouvernement qui vise à faire part des intérêts de l’industrie à l’État, il n’est pas rare d’entendre les pêcheurs et pêcheuses dénoncer ardemment la détérioration de leurs conditions économiques. Dans leur viseur se trouvent notamment les politiques de l’État. Depuis plus d’un an, l’agence environnementale de Louisiane (la Coastal Protection and Restoration Authority, CPRA) tente de faire approuver un projet de restauration du bayou appelé le Mid-Barataria Sediment Diversion, qui vise à reconnecter le Mississippi aux marécages pour rétablir le processus naturel de sédimentation et créer de la terre.
Acclamé par les organisations environnementales, ce projet de restauration vise à inverser les effets du système de digues de la rivière pour reconstruire les barrières naturelles terrestres contre les ouragans et l’érosion côtière. Il aura cependant pour effet d’introduire l’eau douce du Mississippi dans les parcs à huîtres du golfe du Mexique. Il implique le même mélange des eaux que celui qui provoqua la mort de la faune aquatique en 2019 et aura des conséquences dévastatrices à long terme sur toute l’industrie de la pêche.
Pour Jakov, ostréiculteur de quatrième génération, il est préférable de se méfier des projets du gouvernement : « La CPRA ne dit pas toujours toute la vérité, soutient-t-il devant ses confrères et consœurs. On se souvient toutes et tous de ce qui s’est passé il y a deux ans avec l’ouverture du Bonnet Carré. » Cet événement a laissé une appréciation amère des pêcheurs et pêcheuses pour les politiques de gestion de l’eau et de restauration de l’environnement. Rick, un crevettier local militant, identifie quant à lui l’État comme une véritable menace : « Notre industrie de la pêche, et les gens comme moi et les gens qui vivent sur cette côte, on est résilient[·e·]s. On a survécu à la marée noire de BP, on a survécu à l’Ouragan Katrina, un événement dévastateur. Maintenant, on se bat contre notre propre État pour notre survie! On peut survivre à la nature, on peut faire face à la nature. Mais quand notre propre État essaie de nous mettre en faillite, ça, on ne peut pas y faire face. »
Pour d’autres, l’argent de l’État utilisé pour les projets d’atténuation des inondations et des ouragans, comme le projet de diversion Mid-Barataria, devrait plutôt être utilisé pour aider les pêcheurs et pêcheuses qui souffrent des aléas climatiques et économiques. Lors d’une rencontre particulièrement mouvementée du Oyster Task Force en mars 2021, la tension était palpable entre les ostréiculteur·rice·s et les représentant·e·s gouvernementaux. Sous le coup de la colère, une ostréicultrice s’écria: « Nous sommes des pêcheurs [et des pêcheuses], nous avons des vies, des familles, des enfants! Tout l’argent part dans la restauration, mais nous, nous sommes en train de perdre notre mode de vie. Payez les gens pour qu’ils puissent survivre ! »
Avec l’avancement du projet de l’État, bien que toujours en phase de planification, la méfiance des pêcheurs et pêcheuses à l’égard des gouvernements s’accroit. S’opposent d’un côté les organisations environnementales et l’État en faveur du plan et, de l’autre, les communautés de la pêche, tiraillées entre leur envie de préserver un environnement qu’ils et elles voient disparaître et leur besoin de combattre les politiques de restauration qui menacent leur survie économique.
Un couteau à double tranchant
L’histoire de l’aménagement du territoire dans le sud de la Louisiane a profondément modifié la vie locale humaine et non humaine, ainsi que son rapport à l’eau. L’État s’inscrit aujourd’hui dans une démarche de protection et de restauration des écosystèmes pour inverser les conséquences des politiques de digues du Mississippi et de drainage des marécages, qui ont accéléré la perte de territoire ainsi que les inondations et qui ont augmenté la vulnérabilité de la côte aux ouragans. Malgré ses désavantages, le système de digues renforcé après l’ouragan Katrina a aujourd’hui démontré son efficacité pour la protection de la Nouvelle-Orléans, maintenue largement au sec lors du passage de l’ouragan Ida en août 2021.
Mais plusieurs des autres projets destinés à reconstruire les terres et à protéger des inondations ont des conséquences indirectes non négligeables, en particulier sur l’industrie de la pêche et sur les Louisianais·e·s qui en dépendent. Plus encore, l’approche infrastructurelle semble servir les intérêts économiques de l’État qui, faute de reconsidérer son soutien à l’industrie pétrolière qui a contribué à détruire le bayou et a accentué les vulnérabilités des communautés autochtones, s’attarde à restaurer la côte pour assurer la pérennité de son exploitation.
Certain·e·s voient cette gouvernance de l’environnement comme essentielle pour préserver la culture louisianaise face aux changements climatiques, mais d’autres la considèrent comme une menace à l’existence des communautés dépendantes de l’eau. Tandis que le golfe du Mexique continue d’engloutir le paysage louisianais, la bataille contre les éléments est loin d’être gagnée.
CRÉDIT PHOTO : Bayou, par Rene Rauschenberger (Pixabay)
par Sami Jai Wagner-Beaulieu | Jan 13, 2023 | Analyses, International
Ce texte est extrait du recueil Faire des vagues. Pour acheter le livre, visitez votre librairie, ou notre boutique en ligne!
Le pourtour de la mer Méditerranée est bordé d’une forêt qui fait la transition entre le milieu marin et les déserts, les prairies ou les forêts tempérées. S’il vous est difficile d’imaginer cet environnement unique, le goût d’olives, l’odeur de lavande ou encore l’image de cerfs élaphes se baladant dans une forêt de chênes verts sauront vous y transporter.
Dans ce lieu, caractérisé en temps normal par de faibles précipitations annuelles, la flore et la faune font face, en alternance, à des étés arides, chauds et secs, puis à des hivers froids et humides. En dépit des conditions difficiles, ce milieu quasi désertique se caractérise par une des plus grandes concentrations de biodiversité au monde. Pour y survivre, y prospérer et y évoluer, tous les êtres vivants ont dû s’adapter. De leur côté, les végétaux se sont armés d’épines, ont dégagé des arômes, ont augmenté leur résistance au feu ou se sont reposés en période estivale. Pour leur part, les animaux ont diminué leur besoin d’eau ou ont adopté un mode vie nocturne. Finalement, les êtres humains, bien qu’ils aient modifié le milieu par l’agriculture, ont tout de même dû courber l’échine, ne serait-ce qu’en arrêtant leurs activités pour la siesta.
Forêt ibérique, mont de romarin à fleurs d’un vert olive. Pinèdes et fruits de chêne vert qui brillent au soleil. Ce soleil qui dessine les nuages et ces arbres qui laissent une piste olfactive d’un arôme méditerranéen intense.
Eduardo Solano Bernal, citoyen de la forêt méditerranéenne
Si les activités humaines ont longtemps contribué à déséquilibrer le riche écosystème méditerranéen, les pressions auxquelles il est soumis se sont depuis peu intensifiées et diversifiées, menaçant maintenant son intégrité. Les agressions sont nombreuses : changement climatique, pollution, introduction d’espèces envahissantes, agriculture intensive, surexploitation des ressources, construction de routes, croissance démographique, tourisme de masse, augmentation de la fréquence des feux de forêt et mauvaise gestion des ressources hydriques. Bien qu’elles puissent apparaître à première vue variées, toutes ces menaces sont liées entre elles par un seul fil conducteur : l’eau.
La présence ou l’absence d’eau constitue un élément clé pour évaluer la santé de cet écosystème. De nos jours, la tendance à la désertification s’accentue autour du bassin méditerranéen. Paradoxalement, il se pourrait que ce soit l’agriculture, pourtant source majeure de pressions hydriques, qui puisse, contre toute attente, permettre la restauration et la revitalisation de la forêt méditerranéenne. L’Andalousie, où la culture de l’olivier — arbre symbolisant la paix, l’immortalité et l’espoir — menace les ressources hydriques, constitue à ce sujet un beau cas de figure.
En temps de sécheresse
Ce n’est pas la pire sécheresse depuis 20 ans, ce sera la pire sécheresse de l’histoire de l’Espagne.
Antonio Villareal, Antonio Hernandez et Daniele Grasso, journalistes scientifiques pour El Confidencial, novembre 2017
Actuellement, les réserves hydriques sont à 40 % de leur capacité. […] L’apport hydrique n’a pas été suffisant pour que les réservoirs puissent récupérer.
Naturaliza, groupe d’éducation environnementale, octobre 2019
Lors d’un périple en Andalousie, il est surprenant de constater la rareté de l’eau. Il y a peu de rivières et celles que l’on voit sont souvent petites, du moins pour un∙e observateur∙rice québécois∙e. Il y a également peu de lacs et plusieurs d’entre eux sont artificiels. La surprise tourne au malaise lorsque les habitant∙e∙s des lieux, ou encore certains signes qui ne trompent pas, nous font prendre conscience des changements survenus au fil du temps dans le régime hydrique du pays. Ainsi, les marques laissées jadis par l’eau sur les rives, véritables fossiles d’une époque révolue, révèlent l’étendue et la profondeur qu’ont eu ces plans d’eau dans le passé. L’illustration la plus spectaculaire de ce phénomène est probablement le réservoir d’Iznájar, situé au centre de l’Andalousie et où les villages, les ponts, les usines et les routes qui avaient été engloutis suite à sa création sont maintenant graduellement libérés de leur captivité aquatique, devenant des reliques fréquentées par les promeneur∙euse∙s attiré∙e∙s par le phénomène.
Cette baisse systématique du niveau de l’eau sur les rives des plans d’eau au cours des dernières années est exemplaire de la crise majeure qui frappe le pays et la région. L’Espagne a traversé trois grands épisodes de sécheresse généralisée dans les 60 dernières années, et la région andalouse en a connu, à elle seule, quatre dans les 40 dernières années. En fait, on peut même parler d’une nouvelle sécheresse endémique en ce qui concerne l’Andalousie, car depuis 2015, à l’exception de 2018, chaque année a été marquée par des précipitations dont le total restait sous l’indice de sécheresse local. En consultant les graphiques de la Junte d’Andalousie, il est évident que depuis 1980, le nombre, la durée et le déficit en eau des périodes de sécheresse augmentent. Pour ces territoires arides, ces chiffres se traduisent par des déficits en eau importants dans des bassins versants comme celui de la rivière Guadalquivir, la plus longue rivière d’Andalousie. Cela s’observe également dans les réservoirs et les lacs qui, année après année, voient leur niveau d’eau maximal diminuer.
Les trois quarts du territoire espagnol risquent la désertification, alors que ce phénomène affecte déjà plus de 28 % de l’Andalousie. En 2019, le gouvernement andalou s’est même doté de plans d’action spéciaux pour faire face à l’augmentation de la fréquence des états d’urgence liés à la sécheresse. Ces mesures ont pour but d’assurer la santé de la population et de réduire les impacts négatifs sur les écosystèmes et l’économie. Malgré les nouvelles mesures, le phénomène perdure. Ce dernier se traduit par la perte de productivité agricole et l’apparition de plusieurs signes alarmants, facilement constatables lorsque l’on parcourt le territoire. Parallèlement à la diminution des quantités d’eau, le nombre de feux de forêt a augmenté. Ces symptômes sont les signes d’une dégradation qui, si l’on n’y remédie pas, risque de mener à la désertification.
Dans les champs andalous, il est assez commun de voir des sols dénudés et craquelés en raison du manque d’eau. Fait à noter, le désert n’est pas étranger en terre andalouse. La région en compte déjà un, peuplé d’espèces uniques : le désert de Tabernas, situé dans la province d’Almería. Cependant, ce désert s’est développé sur des milliers d’années, donnant naissance à un écosystème équilibré et complexe. La dégradation puis la désertification relativement rapides observées ailleurs dans la région et aux frontières de ce désert diminuent son potentiel biologique et enrayent le développement de la vie ou le maintien de sa complexité. D’ici 2100 et compte tenu des pressions actuelles, on prévoit que la forêt méditerranéenne du sud de l’Espagne deviendra un désert, un lieu qui aura perdu sa vitalité, son équilibre et sa communauté biologique.
Les causes de cet assèchement sont multiples. Le changement climatique y joue bien sûr un rôle important. En effet, le réchauffement de la surface du sol favorise les épisodes météorologiques extrêmes, ce qui augmente la durée ou l’intensité des périodes de sécheresse. Cela entraîne une diminution des précipitations dans les régions à risque et une augmentation de la transpiration des plantes menant à une diminution généralisée des ressources hydriques. Lorsqu’il y a diminution des précipitations annuelles et réduction des épisodes de pluie, les précipitations résiduelles sont alors par moment plus intenses, ce qui génère des inondations et l’érosion des sols déjà affaiblis. D’un autre côté, les hausses de température provoquent également une augmentation des risques d’incendie. Si les écosystèmes sains étaient souvent assez résilients pour maintenir leur intégrité face aux impacts du changement climatique, l’addition d’autres menaces rend le tout insoutenable. Ainsi, la demande en eau de la population croissante et de l’industrie touristique, couplée à la mauvaise gestion des ressources hydriques, diminuent l’eau disponible pour la forêt méditerranéenne. De plus, l’expansion des villes, des zones touristiques, des routes ainsi que des activités d’extraction de ressources naturelles fragmentent, rétrécissent et endommagent le territoire restant, en plus d’affecter la vitalité des écosystèmes nécessaires au maintien de l’équilibre hydrique. Soumis à une boucle de rétroaction positive (où une perturbation en génère ou en accentue une autre, amplifiant ainsi la première), les écosystèmes en déséquilibre résistent moins bien aux pressions comme le changement climatique et se dégradent, puis finalement, se désertifient. Le cycle s’accentue en raison de la modification du comportement des êtres humains qui, voyant leurs options réduites, tendent vers la surexploitation du milieu. Heureusement, ce cercle vicieux peut être brisé, l’échappatoire principale se trouvant être ce qui, à première vue, constitue la menace la plus importante : l’agriculture.
En terre d’oliveraie
Sur les terres andalouses, il est impossible de ne pas remarquer les champs d’oliviers qui s’étendent de la mer aux montagnes, et ce, sur tout l’horizon. Sachant que l’Espagne est le plus grand producteur mondial d’olives et d’huile d’olive et que l’Andalousie est la région dont la production est la plus grande au pays, il est facile de comprendre à quel point cette culture a modifié le paysage. Il existe d’ailleurs en Andalousie un « Réseau de l’oliveraie » (eje del olivar), qui rassemble les principales provinces productrices, parmi lesquelles les provinces de Jaén et de Cordoue font figure de championnes. L’oléiculture a donc eu et continue d’avoir un impact important sur le mode de vie, la culture et l’économie andalous. Pour le portefeuille régional, c’est 31,6 % des revenus agricoles qui en découlent. Pour les villages, ce sont 23 000 fermier∙ère∙s qui en vivent et plus d’un million de travailleur∙euse∙s de toutes origines qui aident à ramasser les olives et à les transformer. Plusieurs villages, pratiques, rituels et mœurs sont directement issus de cette culture. Au printemps, le pollen des oliviers envahit la région, causant bien des troubles aux allergiques. Dans les épiceries, il y a des rayons complets de divers produit oléicoles; même les chips sont frites dans cette huile. En ce qui concerne l’alimentation, il est difficile de manger sans olives ou sans huile d’olive, qu’elles soient ajoutées à la recette ou déposées bien en vue entre les assiettes. Dans chaque restaurant se trouvent de petits contenants en plastique, un peu comme ceux utilisés ici pour la confiture et le beurre d’arachides, réservés à l’huile d’olive. En bref, l’olivier est à la racine même de l’identité andalouse.
Oliveraies et oléiculteur[∙rice∙]s, forêt et peuple, champ et lieu des fidèles du lopin de terre, de la charrue et du moulin, de ceux [et celles] qui montrent le poing à la destinée, des laboureur[∙euse∙]s béni[∙e∙]s, des cavalier[∙ère∙]s espiègles, des maîtres[∙ses∙] dévoué[∙e∙]s et arnaqueur[∙euse∙]s! Villes et fermes en bordure des rivières, dans les plis de la sierra!… Viens Dieu aux foyers et aux âmes de cette terre d’oliveraies et d’oliveraies!
Antonio Machado, poète andalou
La vue d’un olivier dans son environnement est impressionnante. L’arbre s’épanouit en dépit des précipitations faibles et irrégulières. Il sait survivre sur des sols arides, encaissant sans broncher le soleil ardent de l’été, les pluies torrentielles occasionnelles et les journées plus froides de l’hiver andalou. L’olivier est parfaitement adapté à la forêt méditerranéenne, ce que les habitant∙e∙s ont compris il y a des millénaires. Ce savoir a traditionnellement encadré la culture de ces arbres et a minimisé la pression sur les ressources hydriques de la région. Les oliveraies n’étaient pas irriguées; seule la météo dictait les apports en eau, et des niveaux de production acceptables étaient maintenus. Cette culture millénaire a lentement été pervertie par l’économie de marché et la demande mondiale croissante, qui a induit deux nouvelles pratiques destinées à maximiser les rendements. D’une part, si l’oléiculture sans irrigation permet de produire 2000 à 5000 kilogrammes d’olives par hectares chaque année, l’oléiculture avec irrigation permet, pour sa part, d’en produire 15 000, ce qui risque cependant d’épuiser rapidement les réserves en eau de l’écosystème environnant. D’autre part, il s’est avéré plus facile et plus rapide de ramasser les olives sur des sols dénudés, ce qui a conduit à l’élimination systématique de toute la végétation se trouvant autour des oliviers. Cette pratique est devenue encore plus populaire que l’irrigation, mais elle n’en est pas moins dommageable des points de vue hydrique et culturel et pour la biodiversité de la forêt méditerranéenne. En fin de compte, l’arbre qui partageait par le passé son territoire avec d’autres plantes est condamné à vivre dans la solitude, isolé de ses sœurs méditerranéennes.
Ce glissement de l’oléiculture espagnole traditionnelle vers la production intensive s’est traduit par la mise en place de monocultures linéaires d’oliviers s’étendant à perte de vue. En conséquence, et l’eau étant de plus en plus rare, certains agriculteur∙rice∙s vont jusqu’à forer des puits illégaux afin d’y avoir accès sans le déclarer au gouvernement espagnol. Ces puits illégaux sont en hausse dans le pays et intensifient la problématique du manque d’eau. Concilier l’importance culturelle et économique de l’oléiculture avec la pression que celle-ci met sur les ressources hydriques est un défi de taille. Pourtant, tous ces éléments sont intimement reliés et une analyse du fonctionnement des écosystèmes permet d’esquisser des pistes de solution.
Emmagasinée dans l’écosystème sain
Une promenade dans une forêt saine, tant méditerranéenne que boréale, génère des bienfaits que les humains peuvent instantanément ressentir. Au-delà de ces bienfaits, ces milieux nous rendent de multiples services écosystémiques. Ces services complexes, essentiels à la survie de nos sociétés, résultent du mode de vie de certaines espèces, de certaines communautés d’espèces, voire du fonctionnement de l’écosystème tout entier. Plus un écosystème est en santé ou en équilibre, plus il est résilient face aux menaces et plus il est en mesure de fournir des services écosystémiques. Ainsi, une forêt méditerranéenne saine offre plusieurs services particulièrement importants qui permettent de freiner la désertification et de favoriser le retour de la pluie en Andalousie.
Les forêts saines jouent un rôle majeur dans le cycle de l’eau : elles sont à la fois des réservoirs, des filtres et des pompes à eau. Dans le cas qui nous intéresse ici, c’est la forêt méditerranéenne qui fournit des services essentiels aux terres arides de l’Andalousie. Lors d’un épisode de pluie, les feuilles des végétaux ralentissent la chute de l’eau, ce qui permet au sol de recevoir et d’absorber l’eau graduellement. Ce mécanisme diminue le ruissellement et les problèmes qui y sont associés, comme les inondations et l’érosion des sols. L’eau imbibée dans le sol permet ensuite aux plantes de combler leurs besoins vitaux. Pour ce faire, l’eau est aspirée principalement par les racines et se déplace jusqu’aux feuilles, où a lieu la photosynthèse. La transpiration et l’usage de l’eau au niveau des feuilles suscite cette ascension de l’eau par un processus de succion. Cet entreposage permet de maintenir l’eau dans une région pour une période prolongée. Un sol couvert d’un maximum de biomasse végétale, abritant souvent une grande biodiversité, permet donc de retenir l’eau plus longtemps qu’une monoculture d’olivier. De plus, l’évapotranspiration refroidit et modifie la température ambiante et constitue une source importante dans la production de nuages sur le continent. Les plantes agissent comme une pompe permettant à l’eau de l’océan de remonter plus loin dans les terres et de retomber sous forme de précipitations. Il s’agit là d’une caractéristique fort intéressante pour l’Andalousie, qui est entourée de mers, mais elle est malgré tout desséchée en raison de ses pratiques actuelles. L’apport des plantes ne s’arrête toutefois pas là. Elles peuvent également filtrer les eaux qui ont pu être polluées par les activités humaines en amont. Une fois absorbés, les polluants sont soit utilisés pour la croissance, soit emmagasinés dans les tissus comme le bois. En ce qui concerne la filtration, la diversité est encore la clé de l’efficacité, car différentes espèces ont différentes affinités avec les contaminants. À eux seuls, ces quelques services écosystémiques pointent déjà vers une voie intéressante et contribueraient à résoudre les problèmes majeurs auxquels font actuellement face les communautés humaine et extrahumaine andalouses. Il est possible d’imaginer ce qu’on pourrait réaliser en travaillant à rétablir la forêt méditerranéenne plutôt qu’en luttant contre elle.
La déforestation ou l’appauvrissement biologique d’une région diminue l’ampleur des précipitations retombant sur celle-ci et sur les régions adjacentes. Au-delà d’un certain seuil, la dégradation intensive d’un écosystème peut s’avérer désastreuse. Tant que l’équilibre d’un écosystème n’est pas complètement rompu, celui-ci peut se rétablir naturellement dans la mesure où les pressions qui s’exercent sur lui diminuent. Si les pressions sont trop importantes, il finit toutefois par perdre son état d’équilibre et, de surcroît, sa capacité à se régénérer. Il se dégrade alors jusqu’à la désertification, un état où la plupart des services écosystémiques, voir tous, sont perdus. À ce stade, un travail de restauration actif de la part des humains est nécessaire. Un tel travail demande un effort conjugué de l’être humain et de multiples espèces de végétaux, de champignons, de bactéries et d’animaux. Si plusieurs habitant∙e∙s de l’Andalousie ont entamé la régénération là où elle est encore relativement facile, d’autres se sont mis à l’œuvre sur des terres désertifiées où la régénération naturelle n’est plus possible.
De celles et ceux qui restaurent l’oasis andalouse
Lorsque l’incohérence de l’actuelle vision du monde devient évidente, un vieux savoir, commun à toutes les cultures du monde, s’impose chez certain∙e∙s : l’être humain luttant contre la Terre sortira toujours, en fin de compte, perdant. Cette prise de conscience, lente mais bien réelle, se constate chez les habitant·e·s de l’Andalousie. Confronté∙e∙s à une situation qui semble sans issue, les Andalous∙es sont de plus en plus nombreux∙euses à penser que l’adoption d’une agriculture respectueuse des principes écologiques et de la biodiversité permettrait de résoudre les problèmes hydriques existants. Également, ceux-ci et celles-ci croient en l’élaboration de plans agricoles mariant restauration et production, et pouvant éventuellement permettre à l’être humain de réparer ses erreurs et de perdurer dans un écosystème menacé. Une visite s’impose chez quelques-un∙e∙s de ces gardiens et gardiennes de la forêt méditerranéenne, qui ont commencé à concrétiser cette approche.
Au nord de l’Andalousie, dans la province de Jaén, un amoureux de la montagne, Miguel García Alvarez, s’occupe de champs d’oliviers de façon écologique depuis déjà 8 ans. La gestion de son terrain s’inspire de ses apprentissages universitaires, de ses lectures, de ses discussions avec d’autres oléiculteur∙rice∙s et de sa passion pour les monts andalous et les forêts andalouses. Ses champs produisent des olives sans irrigation artificielle. Son terrain est petit, certes, mais il illustre les bienfaits des pratiques alternatives. Miguel a commencé à revitaliser son oliveraie en collectant des graines de multiples plantes indigènes herbacées dans les monts andalous. Au départ, il a dû arroser ces graines afin de favoriser leur implantation. Par la suite, elles ont été en mesure de s’épanouir sans apports hydriques artificiels. Il explique que la biodiversité sur ses champs n’a pas d’impact négatif sur la récolte ou sur sa charge de travail, sinon qu’il doit couper l’herbe une fois par année. Cette herbe coupée a pour effet de restaurer lentement son sol lorsqu’elle se décompose. Parmi les plantes introduites dans son oliveraie, quelques-unes d’entre elles bénéficient directement à la production, comme le jaramago (Hirschfeldia incana), qui protège l’olivier contre la verticilliose, une maladie fongique qui cause d’importants dommages aux oliviers. De la moutarde blanche et des légumineuses se retrouvent aussi dans ses champs et fertilisent naturellement les sols. D’autres espèces, comme le romarin, ne peuvent pas croître, car les sols du village sont encore trop dégradés. Cependant, le cultivateur observe que plus le temps avance, plus la vitalité du terrain augmente. Des espèces absentes de son terrain par le passé apparaissent, ce qui augmente la biodiversité végétale et animale et qui permet à l’humidité du sol de rester plus longtemps. Ce sont de bonnes nouvelles et des progrès que Miguel partage avec les propriétaires des champs voisins, dans l’espoir de les inciter eux et elles aussi à effectuer la transition vers un modèle d’agriculture permettant la restauration des écosystèmes andalous.
Dans la même province, un groupe d’institutions nommé Olivares Vivos (Oliveraies vivantes) existe depuis plusieurs années. Ce groupe croit fermement qu’un autre modèle de culture d’oliviers, rentable et au service de la nature, est possible. Il est constitué de plusieurs institutions provenant d’horizons multiples, comme l’Université de Jaén, le groupe de conservation aviaire SEO BirdLife et la Députation provinciale de Jaén, de même que d’oléicultrices et d’oléiculteurs de tous les coins de l’Andalousie.
Nous sommes oléiculteur[∙rice∙]s, chercheur[∙euse∙]s, et conservateur[∙rice∙]s. […] Nous travaillons ensemble vers un objectif commun : la restauration de la biodiversité des champs d’olives de l’Andalousie.
Olivares Vivos, organisation d’oléiculture écologique
Le groupe travaille sur plusieurs fronts. D’un côté, des recherches scientifiques sont effectuées par le département d’écologie de l’Université de Jaén afin d’établir les caractéristiques et d’élaborer des modèles d’oliveraies qui respectent la forêt méditerranéenne et ses réserves hydriques. D’un autre côté, des bénévoles travaillent à la restauration de la biodiversité dans les champs en plantant des espèces végétales indigènes, puis en installant diverses structures pour favoriser le retour de la faune. Les oléiculteur∙rice∙s sont ensuite encouragé∙e∙s et aidé∙e∙s dans l’établissement des techniques étudiées par Olivares Vivos. Puis, finalement, pour agir sur l’économie, le groupe a développé une stratégie commerciale favorisant le développement des oliveraies restauratrices. Olivares Vivos délivre une certification aux producteur·ice·s de produits d’oliveraies qui suivent ces principes écologiques. Également, le groupe participe activement à des campagnes de publicité et de promotion de l’oléiculture écologique et de ses produits. Bien que le groupe ne soit pas impliqué directement dans la conservation de l’eau, il y contribue largement par ses efforts visant la restauration des écosystèmes andalous et des services hydriques qu’ils procurent, tout en œuvrant à l’élimination des pressions hydriques induites par les cultures intensives.
Dans la province de Cadix, en bordure de la Méditerranée, Juan Jesús Tenorio, un ingénieur forestier, a fait des forêts espagnoles sa demeure. Il marche sur le territoire, consigne les problèmes environnementaux qu’il observe et émet des recommandations portant sur les façons d’améliorer la situation. Il observe et connait déjà bien les effets négatifs de l’agriculture intensive d’oliviers : « Dans mon village, tous les champs deviennent des oliveraies intensives, entraînant un très très grand gaspillage d’eau. »
Pour remédier à ces problèmes, il participe à la coopérative agroécologique La Verde en aidant les oléiculteurs et oléicultrices à trouver des solutions écologiques aux problèmes auxquels ils et elles font face. Depuis plus de 40 ans, cette coopérative cultive des champs écologiques où sont mélangées des variétés d’oliviers autochtones, d’amandiers, de poiriers et d’un peu de tout ce qui peut pousser dans cette zone. La santé de ces champs n’a cessé de s’accroître, tout en offrant une production permettant à plusieurs familles d’en vivre. En se basant sur ses expériences, Juan explique que plusieurs pratiques actuellement généralisées augmentent les pertes hydriques. Selon lui, la solution se trouve dans les techniques de culture sans labour. Ces techniques consistent à diminuer drastiquement les interventions humaines en laissant les « mauvaises herbes » pousser et en les coupant uniquement lorsque c’est nécessaire. Cela permet au sol, à ses microorganismes et à la biodiversité de la zone de se régénérer tout en y améliorant la percolation de l’eau. Il explique aussi, à l’encontre la croyance populaire, que les plantes irriguées devraient seulement recevoir le strict nécessaire en matière d’eau, car les surplus d’eau diminuent l’absorption des nutriments et, par conséquent, la production agricole.
L’être humain est un peu étrange, il fait les choses en fonction de ce que les autres font. Si la majorité saute dans le puits, [celles et] ceux qui suivront sauteront aussi dans le puits sans s’arrêter pour y penser.
Juan Jesús Tenorio, ingénieur forestier
Malgré les études qui démontrent les failles de l’agriculture conventionnelle, il est difficile de changer les mentalités. En ce moment, Juan voit des avancées à certains endroits, mais aussi du recul à d’autres. Il précise toutefois qu’il perçoit un changement global, mais qui est encore lent et timide en raison des pressions du marché et de l’attitude conservatrice de certain·e·s oléicultrices et oléiculteurs. Malgré tout, il continue à travailler pour démontrer la rentabilité accrue du modèle respectueux de l’environnement et inciter de la sorte l’émergence de nouvelles tendances.
Un peu à l’écart de la mer à Cadix, au pied de la Sierra de Grazalema, l’organisation Danyadara s’attaque directement à la désertification par le biais de l’agriculture. Cette organisation, composée principalement de bénévoles, a une vision biocentrique du monde qui place, avec succès, la restauration de la forêt méditerranéenne bien avant la production.
Danyadara démontrera que travailler avec la nature et retourner à une interaction personnelle avec la terre est le chemin à suivre.
Danyadara, organisation permacole
L’organisation tire son inspiration de l’interaction millénaire entre l’être humain et la nature en Andalousie. Les champs comportent plusieurs cultures différentes, comme celles de citronniers, de fraisiers, de figuiers et d’oliviers. La fondatrice Vidya Jacqueline Heisel et le fondateur Jacob Evans, ainsi que les bénévoles, travaillent à restaurer les sols, à améliorer la gestion de l’eau et à augmenter la séquestration de carbone. Les techniques utilisées sont variées et basées sur des principes australiens de permaculture développés là-bas et qui permettent de faire face aux mêmes problèmes de désertification. Parmi les nombreux procédés inspirants, mentionnons la plantation de végétaux indigènes qui permettent de restaurer l’équilibre écologique, la plantation de plantes à fleurs qui permettent d’attirer une grande diversité d’insectes et la présence en alternance d’espèces d’animaux comme les chevaux, les alpagas et les moutons, qui permet contrôler les herbes et de fertiliser les sols. Puisque l’eau est une préoccupation centrale, l’organisation compte résoudre les problèmes hydriques en restaurant la biodiversité, en captant l’eau de pluie, en réutilisant l’eau usée, puis en adoptant une technique d’irrigation minimale des champs adaptée à la microtopographie locale. Sur leurs terres autrefois arides et surexploitées se dresse déjà, comme chez plusieurs autres oléicultrices et oléiculteurs de la transition, l’utopie du retour de l’oasis andalouse.
Arbre de l’espoir
La diminution des réserves hydriques et des précipitations menace déjà l’Andalousie et la situation s’empirera si on n’intervient pas. Les techniques oléicoles actuelles jouent un rôle important dans l’aggravation des problèmes. Toutefois, il serait faux de penser qu’il n’existe pas d’autres avenues. La restauration des écosystèmes et la mise en place d’une agriculture respectueuse de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes sont possibles. Ici comme ailleurs, les solutions aux problèmes de notre temps se trouvent dans notre capacité à réapprendre les pas de la danse de la vie. L’olivier de la forêt méditerranéenne nous invite à faire un premier pas :
là où la douce couronne des chênes verts et les tiges piquantes des arbustes hébergent une multitude d’espèces bruyantes ou silencieuses, accueillant leurs vies nocturnes et diurnes, leur permettant de voler et de marcher ensemble
Mar Sánchez Vilar, biologiste de la conservation
CRÉDIT PHOTO : FLICKR: Jean-Pierre Viallate
[1] World Wildlife Fund (WWF), «Mediterranean Forest, woodlands and scrubs», 17 février 2021, https://www.worldwildlife.org/biomes/mediterranean-forests-woodlands-and-scrubs(link is external); Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « La biodiversidad de los bosques de España está en peligro de extinción », 17 février 2021, http://www.fao.org/espana/noticias/detail/en/c/1172396/(link is external)
[2] Abdelaziz Chaabane, « Flore et Végétations Méditerranéenne », notes de cours en format PDF, Université Virtuelle de Tunis, Tunis, 2010, http://pf-mh.uvt.rnu.tn/746/1/flore_vegetation_mediterraneennes.pdf(link is external) ; Alice Schaffhauser et Philippe Roche, «Adaptation de la végétations méditerranéenne aux incendies», Forêt Entreprise, vol. 185, 2009, : 27, https://www.researchgate.net/publication/263337306_Adaptation_de_la_vegetation_mediterraneenne_aux_incendies(link is external)
[3] Animal Corner, « Chapparal/scrub Biome », 7 février 2021, https://animalcorner.org/biomes/chaparral/(link is external)
[4] Eduardo Solano Bernal, propos recueillis par Sami Jai Wagner-Beaulieu le 15 février 2021. Traduction libre.
[5] Omar M’Hirit, « Mediterranean forests : ecological space and economic and community wealth », Unasylva, vol. 50, 1999, http://www.fao.org/3/x1880e/x1880e03.htm(link is external)
[6] Josef Peñuelas, Jordi Sardans, Iolanda Fitella, Marc Estiarte, Joan Llusià, Romà Ogaya, Jofre Carnicer, Mireia Bartrons, Albert Rivas-Ubach, Oriol Grau, Guille Peguero, Olga Margalef , Sergi Pla-Rabés, Constantí Stefanescu, Dolores Asensio, Catherine Preece, Lei Liu, Aleixandre Verger, Adrià Barbeta, Ander Achotegui-Castells, Albert Gargallo-Garriga, Dominik Sperlich, Gerard Farré-Armengol, Marcos Fernández-Martínez, Daijun Liu, Chao Zhang, Ifigenia Urbina, Marta Camino-Serrano, Maria Vives-Ingla, Benjamin D. Stocker, Manuela Balzarolo, Rossella Guerrieri, Marc Peaucelle, Sara Marañón-Jiménez, Kevin Bórnez-Mejías, Zhaobin Mu, Adrià Descals, Alejandro Castellanos et Jaume Terradas, « Impacts of Global Change on Mediterranean Forests and Their Services », Forest, vol. 8, : 1-37, https://www.researchgate.net/publication/321276031_Impacts_of_Global_Change_on_Mediterranean_Forests_and_Their_Services(link is external); Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, «El bosque mediterráneo aumenta su superficie, pero está cada vez más amenazado», 13 février 2021, http://www.fao.org/news/story/es/item/1171780/icode/(link is external); Emma C. Underwood, Joshua H. Viers, Kirk R. Klausmeyer, Robin L. Cox et M. Rebecca Shaw, «Threats and biodiversity in the mediterranean biome», Diversity and Distributions, vol. 15, 2009, : 188-197, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/j.1472-4642.2008.00518.x(link is external)
[7] Uriel N. Safriel, «Status of Desertification in the Mediterranean Region», Water Scarcity, Land Degradation and Desertification in the Mediterranean Region, 2009, 33 – 73, https://www.researchgate.net/publication/226860368_Status_of_Desertification_in_the_Mediterranean_Region(link is external)
[8] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Antonio Villareal, Antonio Hernández et Daniele Grasso, «No es la peor sequía en 20 años, será la peor sequía de la historia de España: el desastre en datos», El Confidencial, 26 novembre 2017, https://www.elconfidencial.com/tecnologia/ciencia/2017-11-26/deje-decir-sequia-2017-peor-de-la-historia-espana_1482616/(link is external)
[9] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Naturaliza, «Hay sequía en España: Tres año de falta de agua continuada», 15 octobre 2019, https://www.naturalizaeducacion.org/2019/10/15/hay-sequia-espana/(link is external)
[10] Lora Mora, «En pueblo sumergido bajo el embalse de Iznájar sale a la luz», El Mundo, 2 décembre 2020, https://www.elmundo.es/viajes/espana/2020/12/02/5fc6006cfc6c83ef3f8b4593.html(link is external)
[11] «La España peninsular ha atravesado tres largas sequías en casi 60 años y 2005 fue el año con menos lluvias, según AEMET», Europa Press, 15 août 2020, https://www.europapress.es/sociedad/noticia-espana-peninsular-atravesado-tres-largas-sequias-casi-60-anos-2005-fue-ano-menos-lluvias-aemet-20200815141059.html(link is external)
[12] Junta de Andalucía, Sequía, Conserjería de Agricultura, Ganadería y Desarrollo Sostenible, 4 mars 2021, http://www.juntadeandalucia.es/medioambiente/site/portalweb/menuitem.7e1cf46ddf59bb227a9ebe205510e1ca/?vgnextoid=8f5996f06f245310VgnVCM1000001325e50aRCRD&vgnextchannel=23f996f06f245310VgnVCM1000001325e50aRCRD&lr=lang_es&vgnsecondoid=6c96efc8e9255310VgnVCM2000000624e50a____¶m1=2(link is external)
[13] Junta de Andalucía, Análisis de la sequía en Andalucía. Estudio comarcal, Conserjería de Agricultura, Ganadería y Desarrollo Sostenible, 4 mars 2021, http://www.juntadeandalucia.es/medioambiente/site/portalweb/menuitem.7e1cf46ddf59bb227a9ebe205510e1ca/?vgnextoid=83b6a563f6da8510VgnVCM2000000624e50aRCRD&vgnextchannel=76709f5c10bc6410VgnVCM2000000624e50aRCRD&lr=lang_es(link is external)
[14] Junta de Andalucía, Environment in Andalusia through environmental factors, Conserjería de Agricultura, Ganadería y Desarrollo Sostenible, 2006, http://www.juntadeandalucia.es/medioambiente/site/ima/menuitem.5893969315ab596f7bbe6c6f5510e1ca/nullima/vgn-ext-templating/v/index.jsp?vgnextchannel=1b3bee6d7451b210VgnVCM2000000624e50aRCRD&vgnextoid=ad1a374f0578d110VgnVCM1000001325e50aRCRD&vgnsecondoid=fc1a374f0578d110VgnVCM1000001325e50a____&lr=lang_es(link is external)
[15] Climate Change Post, «Desertification of Spain», 4 mars 2021, https://www.climatechangepost.com/spain/desertification/(link is external)
[16] Alberto Rodriguez, «Los pantanos inician la primavera al 43,5%, el nivel más bajo en más una década», Europa Sur, 1er avril 2020, https://www.europasur.es/campo-de-gibraltar/Pantanos-primavera-nivel-bajo-decada_0_1451255116.html(link is external)
[17] «La sequía amenaza a España: un 75% de la Península está en riesgo de desertificación», El Mundo, 21 novembre 2019, https://www.elmundo.es/ciencia-y-salud/ciencia/2019/11/21/5dd69e8efc6c838a168b4635.html(link is external)
[18] Ginés Donaire, «La desertificación afecta ya al 28% de Andalucía», El País, 16 juin 2006, https://elpais.com/diario/2006/06/17/andalucia/1150496540_850215.html(link is external)
[19] ««Nueve años de retraso» para los planes especiales de actuación de sequía en Andalucía», ABCandalucía, 11 juin 2019, https://sevilla.abc.es/andalucia/sevi-nueve-anos-retraso-para-planes-especiales-actuacion-sequia-andalucia-201906111420_noticia.html(link is external)
[20] Ibid.
[21] Ginés Donaire, «La desertificación afecta ya al 28% de Andalucía», El País, 16 juin 2006, https://elpais.com/diario/2006/06/17/andalucia/1150496540_850215.html(link is external)
[22] Climate Change Post, «Forest Fires Spain», 4 mars 2021, https://www.climatechangepost.com/spain/forest-fires/(link is external)
[23] María Pérez Ávila, «España, un territorio camino de la desertificación», El Mundo, 17 juin 2016, https://www.elmundo.es/ciencia/2016/06/17/5763b74222601d58488b45ab.html(link is external)
[24] Andalucía, «Desierto de Tabernas», 4 mars 2021, https://www.andalucia.org/en/natural-spaces-desierto-de-tabernas(link is external)
[25] Moreira J. M. Madueño, Rodrigez M. Surián et Zamorano M. D. Páez, «Diagnóstico de la Desertificación en Andalucía», XI Congreso Nacional de Teledetección, 2005, http://www.aet.org.es/congresos/xi/ten61.pdf(link is external)
[26] Ibid.; Fernando Ciria Parras et Estanislao de Simón Navarrete, «Un problema medioambiental de Almería: La desertificación», 1988, https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=2212173(link is external)
[27] Adam Vaughan, «Climate change rate to turn southern Spain to desert by 2100», The Guardian, 27 october 2016, https://www.theguardian.com/environment/2016/oct/27/climate-change-rate-to-turn-southern-spain-to-desert-by-2100-report-warns(link is external)
[28] Robert McSweeney, «Explainer: Desertification and the role of climate change», 6 août 2019, https://www.carbonbrief.org/explainer-desertification-and-the-role-of-climate-change(link is external)
[29] Ibid.
[30] Ibid.
[31] Ibid.
[32] Ibid.
[33] Josef Peñuelas et al., Loc. cit.
[34] Ibid.
[35] Robert McSweeney, Loc. cit.
[36] Fátima Gonzalez Torres, «Race against desertification: your searches in Spain», 21 novembre 2021, https://blog.ecosia.org/your-searches-in-spain/(link is external)
[37] Junta de Andalucía, El sector del Aceite de Oliva y de la Aceituna de mesa en Andalucía, Conserjería de Agricultura y Pesca, 2021, https://www.juntadeandalucia.es/export/drupaljda/estudios_informes/15/11/sect_ac_oliva-mesa.pdf(link is external)
[38] Ibid.
[39] Agustín Peláez, «The olive industry needs worker», Sur in English, 4 janvier 2019, http://www.surinenglish.com/local/201901/04/olive-industry-workers-20190104105646-v.html(link is external)
[40] Ibid.
[41] Junta de Andalucía, The Olive Groves Landscapes of Andalucia, Ministry of Education, Culture and Sports, 2017. https://whc.unesco.org/en/tentativelists/6169/(link is external)
[42] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Antonio Machado, «Los olivos», 4 mars 2021, https://www.poemas-del-alma.com/los-olivos.htm(link is external)
[43] Junta de Andalucía, The Olive Groves Landscapes of Andalucia, Ministry of Education, Culture and Sports, 2017. https://whc.unesco.org/en/tentativelists/6169/(link is external)
[44] Ibid.
[45] Ibid.
[46] Álvaro Durango Herrera, «El terror de los monocultivos», 13 juillet 2017, https://www.vidasostenible.org/el-terror-de-los-monocultivos/(link is external); Jaime Martínez Valderrama, «No podemos frenar el avance de los desiertos, pero sí la desertificación», The Conversation, 14 octobre 2019, https://theconversation.com/no-podemos-frenar-el-avance-de-los-desiertos-pero-si-la-desertificacion-125147(link is external)
[47] Álvaro Durango Herrera, Loc. cit.
[48] Ibid.
[49] Sam Baker, «Spain’s vast network of illegal wells exposed after death of toddler», Deutsche Welle, 1er février 2021, https://www.dw.com/en/spains-vast-network-of-illegal-wells-exposed-after-death-of-toddler/a-47311150(link is external)
[50] Ibid.
[51] United States Environmental Protection Agency, Benefits of Healthy Watersheds, 11 mars 2021, https://www.epa.gov/hwp/benefits-healthy-watersheds(link is external)
[52] Vincent Cotrone, «The Role of Trees and Forests in Healthy Watersheds», 17 août 2015, https://extension.psu.edu/the-role-of-trees-and-forests-in-healthy-watersheds(link is external)
[53] Elison D. Futter et Bishop K., «On the forest cover-water yield debate: from demand to supply side thinking», Global Change Biology, vol. 18, 2012, 806-820, https://ec.europa.eu/environment/integration/research/newsalert/pdf/32si_en.pdf(link is external)
[54] Ibid.
[55] Ibid.
[56] Elison D. Futter et Bishop K., Loc. cit.; Vincent Cotrone, Loc. cit.
[57] Elison D. Futter et Bishop K., Loc. cit.
[58] Vincent Cotrone, Loc. cit.
[59] Ibid.
[60] John Todd, Healing Earth, Berkley: North Atlantic Books, 2019.
[61] Ibid.
[62] Ibid.
[63] Miguel García Alvarez, propos recueillis par Sami Jai Wagner-Beaulieu le 16 mars 2021.
[64] Ibid.
[65] Javier Lopéz Escudero et Antonio Trapero Cazas, «Control integrado de la Verticilosis del olivo : estado actual de las investigaciones», 27 avril 2017, https://www.interempresas.net/Grandes-cultivos/Articulos/184976-Control-integrado-de-la-Verticilosis-del-olivo-estado-actual-de-las-investigaciones.html(link is external); Miguel García Alvarez, Loc. cit.
[66] Miguel García Alvarez, Loc. cit.
[67] Olivares Vivos, «We are Olive Growers, Researchers, and Conservationists», 27 mars 2021, https://olivaresvivos.com/en/about-us/(link is external)
[68] Ibid.
[69] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Olivares Vivos, «We are Olive Growers, Researchers, and Conservationists», 27 mars 2021, https://olivaresvivos.com/en/about-us/(link is external)
[70] Olivares Vivos, «Olive groves Alive», 27 mars 2021, https://olivaresvivos.com/en/olive-alive/(link is external)
[71] Ibid.
[72] Olivares Vivos, «Saberes, artes y costumbres en el olivar tradicional» 27 mars 2021, https://olivaresvivos.com/wp-content/uploads/2019/02/Anexo-E4-1.pdf(link is external)
[73] Ibid.
[74] Ibid.
[75] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Juan Jesús Tenorio, propos recueillis par Sami Jai Wagner-Beaulieu le 18 mars 2021.
[76] Juan Jesús Tenorio, Loc. cit.
[77] Ibid.
[78] Ibid.
[79] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Juan Jesús Tenorio, Loc. cit.
[80] Andrea Blumenstein, «Rebuilding soil to build sustainable agriculture in Andalusia», 21 janvier 2018, https://borgenproject.org/soil-sustainable-agriculture-in-andalusia/(link is external)
[81] Traduction libre de Sami Jai Wagner-Beaulieu, Danyadara, «Our Work», 27 mars 2021, https://danyadara.com/about/#(link is external)
[82] James Warren, «Expat’s Home-gown Utopia that Aims to Stop Andalusia’s Desertification», The Olive Press, 17 avril 2017, https://www.theolivepress.es/spain-news/2020/04/17/expats-home-grown-utopia-that-aims-to-stop-andalucias-desertification/(link is external)
[83] Andrea Blumenstein, Loc. cit.
[84] James Warren, Loc. cit.
[85] Ibid.
[86] Danyadara, «Water Harvesting», 27 mars 2021, https://danyadara.com/water-harvesting/(link is external)
[87] James Warren, Loc. cit.
[88] Mar Sánchez Vilar, propos recueillis par Sami Jai Wagner-Beaulieu le 14 février 2021.
par Rédaction | Déc 7, 2022 | Analyses, Environnement
Par Elizabeth Leier
Ce texte est extrait du recueil Faire des vagues. Pour acheter le livre, visitez votre librairie, ou notre boutique en ligne!
Ce n’est qu’en 2010 que l’Organisation des Nations unies (ONU) a déclaré que l’accès à l’eau potable était un « droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme [sic][1] ». Cette déclaration est toutefois contredite par la réalité de l’accès à l’eau, puisque deux milliards de personnes peinent encore à accéder à cette ressource vitale[2]. Plusieurs organismes et pays — dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), WaterAid et les pays qui participent au programme UN-Water dirigé par les Nations unies — affirment mettre en œuvre des efforts pour contrer cette situation. Malgré ces initiatives, on assiste à un mouvement sans précédent d’appropriation de l’eau, compromettant ainsi son accès.
L’appropriation de l’eau s’inscrit dans le processus de néolibéralisation des ressources humaines et planétaires. C’est à travers les mécanismes du marché qu’une petite poignée d’individus accaparent les ressources hydriques du monde. Ces personnes s’enrichissent ensuite à travers la rente et la spéculation, transformant ainsi l’eau en marchandise financiarisée. La valeur de l’eau est donc liée aux cours arbitraires du marché et non, paradoxalement, à son caractère vital.
La financiarisation reste un processus peu compris en dépit de son omniprésence et de son importance indéniable. Ce chapitre sera consacré à l’analyse de ce phénomène. Les pages qui suivent présenteront le processus de marchandisation et de financiarisation de l’eau dans le monde, puis exposeront la situation montréalaise, qui reste encore largement inexplorée. Enfin, il sera question d’un mouvement de résistance politique au néolibéralisme, celui des communs.
Deux mouvements opposés
Le stade actuel du capitalisme se caractérise par un mouvement de privatisation continuel. Sous l’égide du néolibéralisme — raison politico-économique prônant l’enrichissement individuel comme finalité ultime —, les ressources nécessaires à la vie humaine, qui étaient autrefois à l’abri de la privatisation, sont désormais soumises aux lois du marché[3]. Ce mouvement, dont la financiarisation fait partie, constitue un processus historique et politique, incarné tant par les politiques nationales et le développement de la haute finance que par la monopolisation accrue des ressources matérielles (les profits croissants pour les PDG et les actionnaires), environnementales (les ressources naturelles, dont l’eau) et intellectuelles (le brevetage et la propriété intellectuelle).
Le projet néolibéral s’est développé à la suite des politiques progressistes des Trente glorieuses[4]. Le modèle de l’État-providence, apparu à la suite des guerres mondiales, s’est vu progressivement démantelé par une série de réformes visant à redéfinir le rôle de l’État. Les élections de Ronald Reagan (président des États-Unis de 1981 à 1989) et de Margaret Thatcher (première ministre de l’Angleterre de 1979 à 1990) sont emblématiques de cette période; la fameuse déclaration « There is no such thing as society », prononcée par cette dernière en 1987[5], rend bien compte de l’idéologie naissante du néolibéralisme. Si l’État-providence se présentait comme l’institutionnalisation de la souveraineté et de la solidarité populaires — incarnées par l’offre de services publics aux citoyen·ne·s —, l’État néolibéral se définit quant à lui par un mouvement de désolidarisation et de dépossession au service de l’intérêt économique privé[6].
Cette raison politico-économique prône donc la privatisation des institutions publiques, qui autrefois étaient les domaines exclusifs de l’État et du commun. Les institutions qui échappent à cette vague de privatisation sont néanmoins soumises aux diktats managériaux de la raison néolibérale, ce que le sociologue Alain Deneault qualifie de gouvernance totalitaire[7]. On assiste alors à un processus d’optimisation des ressources qui est en réalité une forme d’austérité budgétaire dirigée contre les services publics. À l’inverse, certains domaines particuliers tels que la police, qui assure la défense de la propriété privée, sont davantage financés. Le projet néolibéral se résume ainsi : limiter le rôle de l’État à la protection de la propriété.
À partir des années 1970, un mouvement sans précédent de privatisation des ressources et des services publics se met en œuvre, passant des écoles aux prisons et des transports collectifs à la gestion d’infrastructures. De plus, les collaborations entre les secteurs public et privé se répandent, prenant souvent la forme de partenariats public-privé, ou PPP[8].
La financiarisation est un processus symptomatique du mouvement de privatisation néolibéral. Ce terme réfère, comme l’expliquent les chercheur·euse·s Julia Posca et Billal Tabachount, « à la transformation de l’économie — et de la société en général — en fonction des logiques financières[9] ». En d’autres mots, la financiarisation implique l’assujettissement de l’économie dite « réelle » aux mécanismes de la haute finance. Alors que la valeur est traditionnellement produite par l’économie réelle, c’est-à-dire par les processus matériels de production et d’échanges de biens et de services, la financiarisation fait en sorte que la valeur est davantage créée par les mécanismes financiers du marché. Pensons ici à la spéculation boursière qui permet aux actionnaires de sociétés d’accroître leurs profits. Or, la valeur produite par le marché financier est instable puisqu’elle relève de la réalité impulsive des échanges en bourse. Cette fluidité fait en sorte que les actionnaires majoritaires des sociétés ont fréquemment intérêt à maximiser les gains à court terme, ce qui engendre une instabilité économique. Par ailleurs, cet intérêt à court terme se traduit concrètement par les décisions des gestionnaires de société, qui ont pour principal mandat d’optimiser le rendement de l’entreprise afin de plaire aux actionnaires.
La financiarisation profite également aux rentier·ère·s, puisqu’elle permet de faire fructifier en bourse la valeur extraite par les rentes[10]. Cette valeur est, a fortiori, plus stable que celle produite au sein des entreprises traditionnelles qui doivent gérer leurs ressources en continu. Les rentier·ère·s n’ont rien à produire, et peuvent se satisfaire d’extraire la valeur. La financiarisation a donc entraîné une prolifération des rentes. En effet, on constate que plusieurs profitent du contexte politico-économique pour mettre la main sur les ressources matérielles (la terre, l’infrastructure) et intellectuelles (le brevetage, la propriété intellectuelle) pour ensuite les louer au reste de la population. Ce phénomène a été comparé par des expert·e·s, tel·le·s Brett Christophers[11] et Silvia Federici[12], au processus d’accumulation initial du capitalisme — l’enclosure — qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles en Angleterre, s’est manifesté par l’appropriation forcée des terres agricoles communes par l’élite économique. Dans son texte, Christophers cible, par exemple, les infrastructures de distribution d’Internet, celles-ci étant détenues à très forte majorité par des intérêts privés qui en louent l’usage aux entreprises, qui elles, fournissent l’accès aux ménages. Quant à elle, Federici parle de l’imposition des mécanismes financiers au-delà des frontières occidentales et de l’appropriation des ressources dans les pays du Sud.
Plusieurs économistes parlent donc aujourd’hui de new enclosure, c’est-à-dire du mouvement d’appropriation de sphères sociales, intellectuelles et environnementales qui sont, par le fait même, isolées du patrimoine collectif. Il s’agit, comme le décrit le théoricien marxiste David Harvey, d’une forme d’« accumulation par dépossession[13] ».
L’appropriation de l’eau : un enjeu du XXIe siècle
Le rapport humain à l’eau est fondamental, car il s’agit non seulement d’une ressource vitale qui assure notre vie et notre reproduction à travers l’hydratation, mais aussi d’une ressource qui est employée pour la production agricole, énergétique, sanitaire et ainsi de suite. Depuis 2016, près de 10 millions de personnes sont mortes parce qu’elles n’avaient pas accès à l’eau[14]. Or, la vitalité de l’eau ne l’exempt pas des dérives néolibérales. La distribution et la gestion de cette ressource essentielle sont aujourd’hui largement confiées au domaine privé, à travers l’appropriation et la sous-traitance.
Ce qui préserve sans doute l’eau d’une privatisation totale, c’est la perception de son abondance. En effet, plus de 70 % de la surface terrestre est occupée par des plans d’eau. Sur ces 70 %, toutefois, seuls 3 % constituent de l’eau douce et potable. L’eau que l’on retrouve sous la surface terrestre, souvent utilisée pour abreuver les populations urbaines, est, quant à elle, difficilement accessible et peu renouvelable. Ainsi, une consommation importante de l’eau souterraine entraîne rapidement un épuisement de la ressource.
Aujourd’hui, la plupart des gens sont sensibilisés au fait que l’eau est une ressource précaire. Depuis les 30 dernières années, de nombreuses villes occidentales, dont Los Angeles et Melbourne, vivent régulièrement des cycles de stress hydrique, c’est-à-dire de pénurie d’eau[15]. Les citoyen·ne·s sont alors prié·e·s de réduire de manière importante leur consommation. Dans les pays du Sud, le manque d’eau potable se fait sentir comme une perturbation de plus en plus fréquente alors que des villes comme Mexico et Le Cap anticipent un manque d’eau potable dans les prochaines années. Actuellement, trois personnes sur dix peinent à accéder à l’eau potable[16].
L’eau est donc désormais un sujet d’étude fertile en économie politique. D’une part, la gestion et la distribution de cette ressource présentent de nombreux défis politiques. D’autre part, plusieurs acteur·rice·s économiques, dont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ont perçu la précarisation anticipée de l’eau, causée par le changement climatique, comme une occasion d’enrichissement. La réalité de l’eau au XXIe siècle est donc paradoxale, car alors qu’on constate que l’accessibilité à cette ressource vitale diminue globalement, on assiste parallèlement à une course menée par quelques individus pour tenter de se l’approprier. La déclaration formulée par l’ONU en 2010 voulant que l’accessibilité à l’eau constitue un droit inviolable accentue cette contradiction.
L’eau : une marchandise financiarisée
L’appropriation de l’eau peut s’effectuer de différentes façons. La manière la plus directe de se l’approprier consiste à privatiser la ressource elle-même, c’est-à-dire d’en permettre l’achat par une entreprise privée. La privatisation s’accompagne donc du phénomène de marchandisation, puisque l’eau devient par le fait même une marchandise. L’un des exemples les plus extrêmes est celui du Chili, le seul pays où l’on a privatisé l’entièreté des réserves d’eau potable. L’adoption de la loi sur l’eau en 1981[17] — période où ont été déployé en masse des politiques néolibérales dans ce pays qui aura servi de cobaye aux théoricien·ne·s de ce courant économique[18] — a eu pour effet de créer un marché hydrique domestique. Ainsi, l’eau est traitée comme n’importe quelle autre marchandise puisqu’il devient possible de se l’approprier en fonction des coûts fixés par le marché. En résulte la création de rentes d’eau : les propriétaires louent l’utilisation des plans d’eaux leur appartenant aux communautés dans lesquelles ils se trouvent. Les prix sont quant à eux fixés selon les cours du marché en fonction de l’offre et de la demande. Alors que les quantités diminuent en raison d’une surconsommation, notamment industrielle, et des effets du changement climatique, les prix augmentent. La situation est telle aujourd’hui que de nombreuses communautés chiliennes accèdent difficilement à l’eau. Depuis quelques années, on assiste donc à des mobilisations citoyennes qui visent à reprendre le contrôle de cette ressource essentielle[19].
Au Royaume-Uni, une grande partie de l’eau est aussi détenue par les intérêts privés. Londres dépend, par exemple, de Thames Water, une entreprise dont l’actionnaire majoritaire est le fonds de pension des fonctionnaires municipaux de l’Ontario[20]. Comme ce fut le cas au Chili, la privatisation de l’eau anglaise s’est effectuée à travers le déploiement de politiques néolibérales. Ce modèle de privatisation, créé sous Margaret Thatcher, a notamment permis la réduction des contrôles environnementaux et sanitaires. Sans grande surprise, le prix courant de l’eau a également bondi de 40 % en 25 ans. Cela représente une hausse importante pour les ménages à faible revenu, qui doivent aujourd’hui affecter près de 5,3 % de leurs revenus annuels à leurs factures d’eau[21].
Dans la ville italienne de Castellammare, située au sud de Naples, la crise financière de 2008 a poussé les autorités municipales à procéder à une vente aux enchères des ressources d’eau minérale se trouvant sur le territoire de la ville. Cette initiative a suscité un important mécontentement populaire : 95 % des citoyen·ne·s ont voté contre la privatisation et la financiarisation de leurs ressources hydriques en 2011[22]. Malgré cela, le gouvernement municipal a refusé de revoir sa décision.
La marchandisation de l’eau s’accompagne désormais d’un processus encore plus insidieux et abstrait : celui de la financiarisation. Lorsqu’une ressource est privatisée, le prix pour y accéder est établi en fonction de la volonté du ou de la propriétaire d’en retirer un profit. Au-delà de l’injustice d’un tel rapport, la valeur[23] de la marchandise est néanmoins assujettie aux besoins matériels et concrets — ici, par exemple, le besoin de s’abreuver. Quand une marchandise est financiarisée, sa valeur est dénaturée puisqu’elle est déconnectée de cette même réalité matérielle. La valeur est ainsi établie et fluctue en fonction de calculs probabilistes, des contextes économique et politique et d’autres facteurs indirects qui ont un impact sur les valeurs boursières et sur le cours du marché financier.
Concrètement, la financiarisation de l’eau passe par plusieurs mécanismes. D’une part, les individus peuvent investir dans les entreprises qui exploitent et gèrent l’eau potable à travers l’achat d’actions. Par exemple, les sociétés Veolia et Suez détiennent à elles seules 12 % du marché mondial de l’eau potable[24]. Considérant le caractère essentiel de l’eau, il s’agit pour plusieurs investisseurs et investisseuses d’une valeur assurée. De plus, ce type d’investissement se popularise grâce à la précarisation anticipée de l’eau liée au changement climatique, puisque les entreprises détenant les droits d’exploitation, ou étant chargées de la distribution, de la purification ou de l’emmagasinage de cette ressource verront leurs profits augmenter lorsque l’eau se raréfiera. L’achat d’actions émises par ces sociétés est donc perçu comme un investissement stratégique. À cet effet, le géant de la haute finance, la banque américaine Goldman-Sachs, a publié un document en 2008 où l’eau est qualifiée de « prochain pétrole[25] ».
D’autre part, il est désormais possible de parier, à travers l’achat de produits financiers dérivés, sur les prix éventuels de l’eau, établis en fonction des changements de quantité et d’accessibilité. D’importants fonds ont été créés pour répondre à cette demande, offrant des portfolios d’investissements qui rassemblent différents produits financiers liés à l’appropriation et à l’exploitation des ressources hydriques.
Ce processus fait en sorte que l’avenir de l’eau dépend, en grande partie, de la bourse et des marchés financiers. Il faut donc s’attendre à ce que l’accès à cette ressource essentielle soit de plus en plus accaparé par les nanti·e·s et, conséquemment, que les pauvres — celles et ceux qui seront les plus fortement affecté·e·s par le changement climatique — peinent à y accéder. On anticipe également que l’eau deviendra une ressource contestée, ce qui pourrait provoquer d’importants conflits civils et internationaux.
Étude de cas : l’eau montréalaise
À première vue, l’eau consommée par les Montréalais·es provient d’un approvisionnement et d’une gestion publics. En effet, sur le site Web de la Ville de Montréal, on présente « une affirmation évidente de la volonté de la Ville d’assurer une gestion publique responsable de l’eau[26] ». Or, une étude approfondie menée par Maria Worton en 2016 révèle une situation bien plus complexe et opaque[27]. L’étude met en lumière les liens entre les secteurs public et privé, qui se manifestent principalement par l’octroi de contrats de sous-traitance. Depuis 2016, le montant des contrats octroyés par le service de gestion des eaux totalise plus d’un milliard de dollars[28].
D’emblée, Worton souligne que les politiques publiques québécoises en matière de gestion des ressources hydriques sont fortement influencées par l’intérêt économique privé. Même les centres de recherche universitaires n’échappent pas à cette influence. Par exemple, le Centre de recherche, développement et validation des technologies et procédés de traitement des eaux (CREDEAU) a pour mandat de produire du savoir scientifique sur la gestion de l’eau potable au Québec et à Montréal. Fondé en 2003 et opérant par l’entremise de l’École polytechnique, de l’Université de Montréal, de l’École de technologie supérieure (ÉTS) et de McGill, le CREDEAU reçoit une importante partie de son financement des géants du marché hydrique mondial : Veolia et Suez. Or, puisque cet institut fonctionne aussi grâce aux subventions étatiques et grâce à la participation des étudiants et étudiantes qui y sont formé·e·s, il se présente toutefois comme un institut universitaire et public. Il en va de même pour CentrEau, un centre de recherche opérant par l’entremise de l’Université Laval, qui présente Veolia comme l’un de ses principaux partenaires. Le Centre des technologies de l’eau (CTE), accueilli par le Cégep Saint-Laurent, est dirigé quant à lui par plusieurs administrateurs et administratrices qui occupent parallèlement de hautes fonctions au sein d’entreprises comme Veolia. Il y a donc fort à parier que le savoir produit par ces instituts universitaires est influencé, de manière directe ou indirecte, par les entreprises partenaires qui y financent la recherche ou qui participent activement à leur gestion. La perte d’autonomie et d’intégrité scientifique causée par la présence croissante du secteur privé dans le milieu de la recherche universitaire fait d’ailleurs l’objet d’un mémoire déposé en 2013 par la Fédération québécoise des professeurs et professeures, qui affirme que « la recherche appliquée et clinique […] bénéficie de fréquents partenariats entre les universités et le secteur privé, souvent intéressé par la commercialisation des résultats de recherche[29] ».
En 2018, le Québec a annoncé sa stratégie d’économie d’eau potable pour 2019-2025[30]. Cette stratégie a été élaborée pour faire suite au plan de gestion d’eau de 2002. Il est question notamment de la réalité environnementale, alors qu’on fixe comme objectif explicite de réduire la consommation généralisée d’eau potable au Québec. On retrouve le CTE ainsi que le Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ) parmi les partenaires techniques de la stratégie.
Un examen du document en question renforce les conclusions présentées par l’étude de Maria Worton, soit que la gestion de l’eau se fait conformément à des paramètres néolibéraux, notamment puisque la collaboration avec le secteur privé occupe une place importante de cette gestion. Précisons toutefois qu’il s’agit du premier plan qui vise à découpler les mesures de consommation d’eau résidentielle et non résidentielle, ce qui signifie que nous aurons, pour une première fois, accès aux taux de consommation différenciés du secteur industriel. Cela permettra de déterminer les proportions de consommation de ces secteurs et d’établir les mesures d’économie de l’eau en conséquence. On peut présumer, en fonction des données probantes recueillies sur la consommation de l’eau au Canada, que les secteurs industriel et privé consomment l’eau potable de façon disproportionnée, ce qui pourrait en compromettre l’accès public à long terme[31].
Le document mentionne la révision des coûts associés à la gestion de l’eau, afin que les besoins d’entretien et de réfection des infrastructures soient considérés en amont, ce qui n’est pas en soi problématique. Cependant, cela le devient lorsqu’on comprend que ces frais seront établis en fonction des prix facturés par les sous-traitants avec lesquels les municipalités ont conclu leurs ententes de gestion. Ainsi, le prix « révisé » pour l’approvisionnement en eau au Québec reflétera la double réalité de la précarisation (puisqu’il s’agit d’une stratégie d’économie d’eau) et de la volonté du marché (à travers la sous-traitance). En d’autres mots, le prix fixé par les exploitants sera établi en fonction des prix du marché et en fonction de la diminution des quantités disponibles.
Par ailleurs, la stratégie cible uniquement les ménages et les municipalités comme consommateurs d’eau potable. Le secteur privé est, pour sa part, absent. Cette absence est remarquable lorsque l’on considère que de 2017 à 2018, les entreprises québécoises ont prélevé 1000 milliards de litres d’eau au Québec en échange de 3,2 millions de dollars en redevances[32]. Omettre le secteur privé de cette stratégie constitue un choix politique décisif.
En ce qui concerne l’eau de la métropole, on constate que le nombre de contrats privés signés par le service de l’eau montréalais est élevé, l’ensemble totalisant près de 800 millions de dollars de 2017 à 2018[33]. S’il s’agit d’une légère diminution par rapport aux années antérieures, cela demeure toutefois une proportion importante des dépenses du service municipal. Il est important de souligner que l’infrastructure hydrique de Montréal nécessitait une réfection majeure, entamée en 2016 et dont la date d’achèvement était projetée à 2028. On a, par exemple, découvert une contamination de plomb dans la majorité des conduits d’eau résidentiels. D’ailleurs, la réfection d’égouts municipaux était un besoin impératif dans certains quartiers. L’urgence de mettre à niveau les infrastructures hydriques met en lumière les années de négligence qui ont mené au dépérissement du réseau. Les gouvernements municipal et provincial ont cumulé un important déficit d’investissements en infrastructures d’eau, évalué à 3 milliards de dollars. Ce retard relève d’un manque de volonté politique d’investir dans les infrastructures publiques. Avant 2015 (l’année où l’on a augmenté de manière considérable les investissements), l’entretien de ces infrastructures dépérissantes ne figurait pas parmi les priorités budgétaires des gouvernements municipaux.
Or, l’étude de Maria Worton montre que l’annonce d’investissements majeurs en 2015-2016 coïncide avec l’augmentation des partenariats entre les secteurs privé et public pour la même période. Cela coïncide également avec les compressions budgétaires dans la fonction publique municipale sous l’administration de Denis Coderre. Ainsi, Worton affirme que Montréal est passée de fournisseur de services publics à approvisionneur de services privés. On constate donc un embrouillage des frontières entre les domaines public et privé. Ce constat met à mal l’affirmation selon laquelle la Ville assure une gestion pleinement publique des ressources et des services.
Les multinationales Veolia et Suez ont notamment signé d’importants partenariats avec la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec pour cette période. Veolia est l’un des fournisseurs principaux du nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). L’entreprise Degrémont, qui appartient à Suez, a aussi signé un contrat de plus de 500 millions de dollars pour l’épuration de l’eau en 2020[34]. Bref, les liens entre ces entreprises et la Ville demeurent étroits. À celles-ci s’ajoute, par ailleurs, une longue liste de sous-traitants aux profits plus modestes.
On constate que le domaine privé exerce un rôle de plus en plus important dans la gestion de l’eau à Montréal. Pouvons-nous donc réellement parler de la gestion publique d’une ressource si l’approvisionnement de celle-ci ainsi que la valeur qui y est attribuée sont établis par des entreprises privées? Notre survol fait écho aux conclusions présentées par Maria Worton, soit que l’accès à l’eau montréalaise et québécoise dépend de plus en plus des intérêts économiques privés.
Le retour aux communs
À la lumière de ces faits, nous pourrions être tenté·e·s de militer pour une renationalisation des ressources hydriques. En effet, la nationalisation de l’eau impliquerait une réappropriation de cette ressource — soit la réappropriation de la matière en elle-même, soit la récupération des fonctions essentielles de distribution, de gestion et de traitement — par l’État. Or, les constats présentés ci-dessus font écho aux propos des sociologues Pierre Dardot et Christian Laval, qui affirment que la raison néolibérale et la domination de la haute finance ont aujourd’hui infiltré le secteur public[35]. Une nationalisation de l’eau n’imposerait donc ni une remise en question de son statut de marchandise ni son retrait des marchés financiers.
Bien que le domaine privé se soit exclusivement approprié une part non négligeable des ressources hydriques planétaires, la majorité de l’eau demeure gérée par des partenariats entre les secteurs publics et privés. Ainsi, les processus décrits plus haut n’ont pas été freinés par l’inclusion de l’État. Le problème ne provient donc pas du clivage entre public et privé, mais bien du concept même de propriété.
Préserver l’accès à cette ressource vitale d’une manière juste, équitable et en harmonie avec l’écologie ne peut s’effectuer tant qu’elle sera appropriable. Le néolibéralisme et ses dérivés — la privatisation et la financiarisation — sont des processus dynamiques soutenus par le régime sociopolitique actuel. Leurs conséquences ne sont donc pas inéluctables. Suivant ce constat, Dardot et Laval nous présentent un mouvement opposé qui viserait à collectiviser la propriété privée[36].
Selon leur définition, la communalisation est, à l’instar du néolibéralisme, un mouvement sociopolitique. Or, celle-ci vise à collectiviser les ressources matérielles et intellectuelles de manière qu’il soit impossible de se les approprier. Il s’agit, en quelque sorte, de l’antithèse du néolibéralisme. Il est important de préciser qu’il n’est pas ici question d’un modèle de nationalisation où la propriété est transférée à l’État, mais bien d’un mouvement qui s’oppose entièrement à l’appropriation. Il ne s’agit pas non plus d’une catégorisation sui generis qui détermine que certains biens relèvent du commun en vertu d’une essence qui leur est attribuée. Le commun n’est pas un attribut fixe : c’est un processus dynamique incarné et défendu par la volonté politique collective. Le commun passerait donc, toujours selon Dardot et Laval, par « la création d’institutions démocratiques qui encadrent la pratique des gens qui coopèrent[37] ».
Comme nous l’avons mentionné, des efforts en ce sens sont actuellement mis en œuvre par des communautés au Chili, en Italie, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde. Un peu partout, on constate que le néolibéralisme pose une menace existentielle au bien-être humain. Ainsi, plusieurs luttent aujourd’hui pour s’en défaire et pour réimaginer un monde où il est possible d’exister sans craindre de manquer d’eau.
Un retour aux communs implique nécessairement un processus inverse à la marchandisation. Ce processus, de nature politique, implique la création et le maintien d’institutions capables de défendre l’accès universel à l’eau, et idéalement à l’ensemble des ressources vitales nécessaires à la reproduction et à l’épanouissement humain, contre les relents de privatisation.
Conclusion : Quel avenir pour l’eau?
L’accès à l’eau constituera nécessairement l’un des enjeux les plus importants des prochaines années. On peut imaginer, en prévision des effets dévastateurs du changement climatique, que l’accès à cette précieuse ressource deviendra de plus en plus restreint. Or, l’eau n’est pas une marchandise comme les autres puisqu’on ne peut vivre sans elle. Dès lors, permettre la marchandisation et la financiarisation de l’eau entraîne des conséquences majeures sur les conditions de vie de millions d’êtres humains. Pour plusieurs millions de personnes, ces conséquences seront catastrophiques, voire fatales.
Ce processus est emblématique de la raison néolibérale, montrant à quel point cette idéologie surestime le profit au détriment de la vie humaine. Les géants financiers comme Goldman-Sachs se montrent déjà prêts à exploiter cette précarisation, pourvu que cela serve à enrichir leurs clients et leurs actionnaires.
Au-delà du choix moral qui nous confronte, il faut d’abord comprendre et reconnaître la façon dont les mécanismes du marché et de la haute finance prennent peu à peu le contrôle de cette ressource vitale. Le fonctionnement de la gestion publique de cette ressource doit être mis en lumière et analysé de manière critique. A priori, un simple survol de la situation à Montréal démontre à quel point le secteur privé empiète sur la gestion dite « publique ». Une étude encore plus approfondie et plus vaste est de mise afin de mieux comprendre ce phénomène. De surcroît, une étude du phénomène à l’échelle internationale s’impose afin d’élucider les liens entre la spéculation financière, l’intérêt privé et la sphère publique. Comment se fait-il, par exemple, que le fonds de pension des fonctionnaires ontariens abrite la majorité des parts de marché de Thames Water? Comment les fonctionnaires ontariens justifient-ils leur enrichissement au nom de la précarisation des ressources hydriques des communautés anglaises?
À l’heure actuelle, l’appropriation de l’eau passe inaperçue aux yeux de celles et ceux qui ont toujours l’illusion de son abondance. Toutefois, au fur et à mesure que les conditions climatiques se dégraderont, l’accès à l’eau deviendra une source de conflit, de souffrance et d’iniquité. Il est donc impératif de songer aux solutions de rechange qui permettraient non seulement de préserver cette ressource, mais aussi d’assurer son accessibilité universelle. Le commun, tel que décrit par Dardot et Laval, s’impose comme une solution à la fois éthique et idéale. Comme l’expriment ces auteurs, l’instauration du commun passe nécessairement par l’action citoyenne et politique : reste à espérer que l’enjeu de l’eau constituera un catalyseur pour ce genre d’action collective.
CRÉDIT PHOTO: Tangi Bertin/Flickr
[1] Organisation des Naions unies, « Questions thématiques – L’eau », www.un.org/fr/sections/issues-depth/water/index.html(link is external), consulté le 22 avril 2021.
[2] Ibid.
[3] Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris : La Découverte, 2010, 504 p.
[4] Période de prospérité économique suivant la deuxième guerre mondiale. Larousse, www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Trente_Glorieuses/185974(link is external).
[5] The Guardian, « Thatcher: a life in quotes », 2013. www.theguardian.com/politics/2013/apr/08/margaret-thatcher-quotes. (link is external)
[6] Pierre Dardot et Christian Laval, Op. Cit.
[7] Alain Deneault, Gouvernance : Le management totalitaire, Montréal : Lux, 2013, 200 p.
[8] Ibid.
[9] Julia Posca et Billal Tabaichount, « Qu’est-ce que la financiarisation », Rapport de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, 2020. iris-recherche.qc.ca/publications/qu-est-ce-que-la-financiarisation.
[10] Une rente est un prix fixé et perçu par un·e propriétaire, en échange de l’utilisation de sa propriété. L’exemple sans doute le plus connu de la rente est le loyer.
[11] Brett Christophers, Rentier Capitalism: Who Owns the Economy, and Who Pays for it?, Verso, 2020, 512 p.
[12] Silvia Federici, Re-Enchanting the World – Feminism and the Politics of the Commons, Kairos Books, 2019, 227 p.
[13] Anne Clerval, « David Harvey et le matérialisme historico-géographique ». Espaces et sociétés, no 4, 2011, p. 173-185. doi.org/10.3917/esp.147.0173.
[14] Organisation mondiale de la santé, « Faits et chiffres sur la qualité de l’eau et la santé », www.who.int/water_sanitation_health/facts_figures/fr/(link is external), Consulté le 22 avril 2021.
[15] Paul Laudicina, « Water Day-Zero Coming to a City Near You », Forbes, 7 juin 2018. www.forbes.com/sites/paullaudicina/2018/06/07/water-day-zero-coming-to-a…(link is external).
[16] Organisation des Nations unies, Op. Cit.
[17] Olivier Petit, « La nouvelle économie des ressources et les marches de l’eau : une perspective idéologique? », Vertigo, Vol. 5, no 2, 2004. doi.org/10.4000/vertigo.3608.
[18] Gilles Bataillon, « Démocratie et néolibéralisme au Chili », Problèmes d’Amérique latine(link is external), Vol. 3, no 98(link is external), 2015, p. 81-94.
[19] Bala Chambers, « Inside Chile’s largest mobilisation since the end of the dictatorship », TRT World, 28 octobre 2019.www.trtworld.com/magazine/inside-chile-s-largest-mobilisation-since-the-…(link is external).
[20] Omers, « Portfolio », www.omersinfrastructure.com/Investments/Portfolio/Thames-Water(link is external), consulté le 22 avril 2021.
[21] BBC, « Reality Check: Has privatisation driven up water bills? », 16 mai 2017. www.bbc.com/news/election-2017-39933817(link is external)
[22] Andrea Muehlebach, « The price of austerity Vital politics and the struggle for public water in southern Italy », Anthropology Today, Vol. 33, No. 5, 2017, p. 20-23.
[23] Il est ici question de la notion de valeur d’échange — ou valeur marchande — développée par Karl Marx. La valeur d’échange est établie en fonction l’offre et de la demande, c’est-à-dire du marché. Cette forme de valeur se distingue de la valeur d’usage qui est établie en fonction de la valeur d’un bien ou service en fonction de l’utilité qu’on en retire à l’usage.
[24] Olivier Cognasse, « Derrière la bataille Veolia-Suez, l’enjeu mondial de l’eau », L’Usine Nouvelle, 29 octobre 2020, www.usinenouvelle.com/article/derriere-la-bataille-veolia-suez-l-enjeu-m…(link is external).
[25] Water industry commission for Scotland, « Empowered customers: sustainable outcomes », www.watercommission.co.uk/UserFiles/Documents/Wednesday%20Radisson%20Con…(link is external), Consulté le 22 avril 2021.
[26] Ville de Montréal, « L’eau de Montréal », ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6497,54201575&_dad=portal&_schema=PORTAL, Consulté le 22 avril 2021.
[27] Maria Worton, The Globalization and Financialization of Montreal Water: Network Procurement Practices for Commodifying a Commons. Mémoire de maîtrise, Université Concordia, 2016, 136 f.
[28] Ville de Montréal, « Vue sur les contrats », ville.montreal.qc.ca/vuesurlescontrats/(link is external), Consulté le 20 juin 2021.
[29] Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, « Pour l’autonomie de la recherche universitaire », mémoire présenté aux assises nationales de la recherche et de l’innovation, 2013.
[30] Gouvernement du Québec, « Stratégie québécoise d’économie d’eau potable », www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/grands_dossiers/strategie_eau…(link is external), Consulté le 22 avril 2021.
[31] Our world in data, « Water use stress ». ourworldindata.org/water-use-stress(link is external), consulté le 4 juillet 2021.
[32] Thomas Gerbet, « 1000 milliards de litres d’eau pour 3 millions $ au Québec », Radio-Canada, 18 juin 2019, ici.radio-canada.ca/nouvelle/1123907/milliards-litres-eau-quebec-industrie-redevances-dollars-elections.
[33] Ville de Montréal, « Vue sur les contrats », Op. Cit.
[34] Philippe Teisceira-Lessard, « Station d’épuration: un projet d’un demi-milliard en eaux troubles », La Presse, 17 décembre 2019, www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2019-12-17/station-d-epuration…(link is external).
[35] Pierre Dardot et Christian Laval, Op. Cit.
[36] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun : Essai sur la révolution au XXIe siècle. Paris: La Découverte, 2015, 400 p.
[37] Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), « Du néolibéralisme au commun », iris-recherche.qc.ca/publications/Commun1, Consulté le 22 avril 2021.
par Christopher John Chanco | Nov 27, 2022 | Analyses, Québec, Societé
Depuis la mi-octobre, les futurs profs faisaient la grève à l’UQAM. La grève, menée par l’Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation, a pris fin la semaine dernière. Alors que les membres du syndicat fort de cinq mille membres ont décidé de ne pas retourner aux piquets, les associations étudiantes d’autres facultés ont pris le relai. Ce qui soulève la possibilité d’une grève générale. Il s’agit de la troisième grande mobilisation étudiante depuis 2018 visant l’amélioration des conditions de travail des stagiaires. « C’est désolant, parce qu’on est reconnu au Québec, et mondialement, en tant qu’une des meilleures universités en enseignement, pourtant les conditions de travail des stagiaires sont déplorables », dit Danae Simard, porte-parole de l’ADEESE.
L’affaire concerne principalement les étudiant·e·s stagiaires de la Faculté de l’éducation qui œuvrent dans le réseau scolaire québécois. Le harcèlement que ces dernier·ère·s subissent sur les lieux de stage a fait notamment l’objet d’une lettre ouverte signée par plus de 1 100 étudiant·e·s. Des stagiaires qui « subissent toutes formes de harcèlement n’ont donc aucun autre choix que d’en parler à leur superviseur·e ou à leur responsable de stage, qui parfois ne prennent pas leur témoignage au sérieux, ou pire, le minimisent, » peut-on lire dans la lettre.
Les stagiaires en grève souhaitent que l’UQAM mette en place des institutions leur donnant les moyens de se défendre contre des abus. En effet, une politique de l’Université contre le harcèlement existe déjà : celle-ci est censée s’appliquer aux lieux de stage.
« On a recensé beaucoup de témoignages anonymes qui nous ont fait part des cas de harcèlement que subissent les stagiaires, dit Danae Simard. Les témoignages recensés par l’ADEESE attestent de la surcharge de travail et invoquent notamment la réalité du harcèlement moral : « je n’ai jamais été autant infantilisée, humiliée, rabaissée de ma vie. J’ai vraiment pensé à changer de branche parce que je n’avais plus d’estime, » dit une étudiante dans un communiqué transmis par le syndicat étudiant. « Je passais mes soirées à rédiger comme un robot mes SAÉ (situation d’apprentissage évaluée). Vers la dernière moitié du stage, je rédigeais parce que j’étais obligé et non parce que je devais apprendre comment faire. J’étais fatigué et sans émotion, » dit une autre.
L’on sous-estime probablement l’ampleur du phénomène : les étudiants hésitent à porter plainte contre leurs superviseur·e·s, dont les évaluations auront un impact sur l’octroi de leurs diplômes. Jusqu’à présent, les stagiaires ont généralement très peu de marge de manœuvre pour choisir, voire changer, les enseignants et les écoles avec qui ils sont jumelés, ce qui laisse place aux abus. C’est l’UQAM, avec la Commission scolaire, qui détermine leurs lieux de stages. Certains étudiant·e·s se voient ainsi placés dans des écoles situées très loin de chez eux – à savoir, une heure et demie en transport en commun – alors même que des stagiaires peuvent être dans l’obligation de se présenter à l’école très tôt le matin et d’y rester jusqu’en soirée.
« C’est une loterie », dit Danae Simard. « On finit par mettre les étudiant[·e·]s dans une situation précaire. » « On demande tout simplement des conditions de stage acceptables, » poursuit-elle.
Le tout sans perspective de rémunération pour la plupart des stagiaires. Contraints à jongler avec plusieurs emplois en parallèle, ielles sont nombreux à courir le risque de l’épuisement professionnel. Dans les faits, nombre d’entre eux finissent par effectuer des heures supplémentaires au-delà de la limite légale d’un emploi à temps plein, selon le syndicat.
Mère, étudiante, enseignante, stagiaire
Enseigner est un métier exigeant. Sans compter le temps passé devant les élèves, une panoplie d’autres tâches passent souvent inaperçues : la planification des cours, les rétroactions, la correction des examens, les réunions hebdomadaires à la fac, la gestion des jeunes en difficulté ou les parent·e·s, etc.
Mais pour Isabelle, enseigner n’est pas simplement un métier. C’est une passion. Elle a même tendance à en donner trop. « Je suis un workaholic, je dirais. Les longues heures ne me dérangeant pas du tout, » dit-elle. Enseignante en langue seconde, elle préfère parler sous couvert d’anonymat, les négociations avec l’Université étant toujours en cours. Isabelle tient à souligner sa chance d’avoir pu travailler avec des gens « magnifiques » dans son milieu de stage. « Jusqu’à présent, les enseignantes avec qui j’ai été jumelée ont été des perles… ce sont des femmes qui m’ont beaucoup aidée dans ma carrière. » Mais équilibrer ses études, le stage et ses obligations familiales la laisse souvent à bout de souffle. Par exemple, faire l’aller-retour entre chez elle, son école et la garderie de son enfant occupe une grande partie de sa journée.
Les besoins particuliers des parent·e·s-étudiant·e·s sont très souvent négligés, dit Isabelle. D’autres programmes en éducation, poursuit-elle, ont mis en place des structures et des comités consacrés aux étudian·e·ts-parent·e·s. « Sans ces protections, c’est très difficile de se défendre. » Alors que des associations étudiantes ont essayé d’instaurer une politique familiale à l’UQAM, « ils n’y arrivent pas. Les conditions de travail défavorables touchent aux domaines d’études et d’emploi qui sont traditionnellement féminines … C’est une réalité intrinsèquement liée (à la question de genre) », dit Danae Simard. En effet, les chiffres sont assez remarquables. Dans le milieu scolaire, la part des postes occupés par des femmes avoisine 85 %, voire presque la totalité aux niveaux primaire et préscolaire.
Cela illustre la dévalorisation du travail de soin de manière générale, dit madame Simard. S’occuper d’autrui, communiquer, réaliser des tâches nécessitant souvent la plus grande empathie au quotidien : impossible de passer sous silence la charge émotionnelle que cela implique et les problèmes de santé mentale qui s’y associent.
Les infirmières, les enseignantes, les travailleuses sociales : toutes font face à ces défis particuliers et ce sont notamment les femmes, et parfois des mères, qui en portent le fardeau. Il s’agit également des métiers qui ont été les plus durement frappés par la pandémie, selon une analyse réalisée par le Conseil du statut de la femme. La fermeture des écoles et les règles sanitaires étaient autant de facteurs de stress qui se sont rajoutés sur les épaules des enseignantes.
Problèmes structurels
La situation actuelle témoigne des problèmes de longue date à plusieurs niveaux qui sous-tendent le réseau scolaire québécois, dit madame Simard. La pénurie de main d’œuvre est propice à la surcharge de travail et, parfois, à un milieu de travail toxique. « Les enseignant·e·s qui encadrent les stagiaires, ielles sont ielles-mêmes souvent déjà brûlé·e·s en plus de devoir gérer un stagiaire » constate madame Simard. Si les stagiaires servent, en quelque sorte, à boucher des trous, ils ne sont pas les seuls à le faire : nombreuses sont les écoles contraintes à faire appel aux retraité·e·s pour combler le manque de personnel.
Un sondage mené par la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec en 2021 confirme une « surcharge de travail généralisée » évoquée par plus de la moitié des enseignant·e·s sondé·e·s. Une lourdeur qu’ils attribuent au manque de personnel et du soutien psychologique dans les écoles publiques, ce qui pousse certains à quitter le métier ou à aller vers le privé.
Avec le domaine de la santé, le milieu scolaire est l’un des secteurs les plus touchés par la pénurie de main‑d’œuvre généralisée au Québec. Le ministère de l’Éducation a lancé un appel au printemps dernier afin d’inciter des gens à prêter main-forte au milieu scolaire. Au Québec, les rigidités administratives entourant la profession ne facilitent pourtant pas la tâche, constate Isabelle. Beaucoup de personnes veulent enseigner, mais ne peuvent le faire pour des raisons réglementaires. « On se tourne vers les gens d’autres métiers qui n’ont pas nécessairement l’expérience ni les compétences pour enseigner », se désole-t-elle. Ayant grandi ailleurs au Canada, Isabelle a accumulé plusieurs années d’expérience d’enseignement à l’international qui n’ont pas été reconnues au Québec. Elle a dû refaire son baccalauréat en éducation pour pouvoir assumer sa vocation. Après son stage, elle a toujours du chemin à faire — passer un test de français, réussir la certification, — avant de parvenir à un emploi stable.
Mieux encadrer les droits des stagiaires
Danae et Isabelle concèdent que l’issue de la grève dépend, du moins en partie, des facteurs hors du contrôle de l’Université. De fait, la salarisation des stagiaires dans le réseau scolaire relève du budget alloué à l’éducation par le gouvernement provincial. La mobilisation étudiante a malgré tout débouché sur quelques réformes. Lors de la grève de 2018, le gouvernement Couillard a décidé de consentir à la rémunération des stagiaires dans leur dernière année d’études. Le gouvernement québécois actuel a également fait passer une loi sur les droits des stagiaires cette année. La loi prévoit de plus amples protections juridiques contre le harcèlement psychologique ou sexuel en milieu de travail, sans pour autant garantir la salarisation des stagiaires.
De son côté, l’ADEESE souhaiterait rémunérer tous les stagiaires sans exception : sujet au cœur des revendications étudiantes ces dernières années. Pour Danae Simard, la nouvelle loi ne va pas non plus assez loin en matière d’absences motivées et de harcèlement, bien qu’elle constitue une étape dans la bonne direction. « La loi a pris en compte l’une de nos revendications de longue-date, à savoir le droit à dix jours d’absence non-justifiés. » Ce droit permet notamment plus de flexibilité aux parents comme Isabelle pour résoudre des urgences familiales.
« Mais on n’a pas encore vraiment senti les impacts de la loi », dit Danae Simard. Maintenant, il s’agit de la faire valoir auprès de l’UQAM, poursuit-elle, en espérant que d’autres syndicats et associations étudiantes se joindront à leur lutte pour améliorer les conditions de travail des stagiaires de façon plus globale.
C’est la première fois qu’Isabelle s’engage dans une grève. S’impliquer dans l’action collective l’a sensibilisée aux réalités de ceux qui se trouvent dans la même situation que la sienne. « À écouter les témoignages des autres parents, ça change sa perception des choses. Ça a été une expérience gratifiante. »
CRÉDIT PHOTO: Flickr/ Ross Dunn
par Bobby Lacroix | Nov 22, 2022 | Analyses, Societé
Ce texte est extrait du recueil Anguilles sous roche: les théories du complot à l’ère du coronavirus. Pour acheter le livre, visitez votre librairie, ou notre boutique en ligne!
Un événement de rupture comme la pandémie de COVID-19 déclenche souvent une crise épistémologique qui remet en question ce que l’on sait, offrant ainsi un terrain fertile pour des mythes conspirationnistes[1]. En même temps, le journalisme et la science collaborent de plus en plus afin de satisfaire la soif de savoir des citoyen·ne·s qui souhaitent être davantage éclairé·e·s sur l’état des choses. Le balado allemand Das Coronavirus-Update, dont les entretiens profonds entre un virologue et une journaliste scientifique enthousiasment des millions de personnes depuis février 2020, en est un exemple réussi. Cet article explore les leçons de ce balado — qui se distingue par un style radicalement différent de celui qui domine traditionnellement dans les médias — pour la communication scientifique dans une société de plus en plus polarisée et noyée d’informations.
« Il y a une vraie lacune », se dit Christian Drosten, directeur de l’Institut de virologie de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin, en suivant les nouvelles sur le virus qui commence à se propager à travers la planète en début 2020[2]. Spécialiste des coronavirus et spécifiquement du SRAS-CoV-1 dont il est codécouvreur, il n’est pas d’accord avec les propos qu’il voit dans les médias[3]. « Si personne ne dit quelque chose maintenant, ça peut aller dans la mauvaise direction », résume-t-il pour décrire ses préoccupations presque un an après le début de la pandémie de COVID-19 dans un entretien accordé au programme radiophonique Deutschlandfunk[4].
À Hambourg, à peine 300 kilomètres plus à l’ouest, le rédacteur en chef du laboratoire d’idées Think Radio de la chaîne radio locale NDR, Norbert Grundei, se demande comment la population pourra avoir le même état de connaissance à propos du nouveau virus que les femmes et hommes politiques[5]. Dans ses recherches, il découvre Christian Drosten, qui fait partie d’une poignée de personnes en Allemagne et à l’international qui disposent d’une expertise rare dans le domaine. M. Grundei lui envoie un courriel, abordant l’idée d’une mise à jour quotidienne d’environ cinq minutes. La réponse de Drosten est immédiate : « J’aime l’idée. Lundi, on peut commencer », se souvient Grundei dans une émission spéciale de NDR[6].
En 24 heures, la rédaction de la radio monte le balado appelé tout simplement Das Coronavirus-Update[7]. Pendant le premier épisode diffusé le 26 février 2020, la journaliste scientifique Korinna Hennig (qui sera assistée par Anja Martini à partir du 2 mars 2020 et par Beke Schulmann à partir du 9 février 2021) interroge Christian Drosten sur les évolutions récentes : les nouveaux cas en Italie et en Iran, l’infectiosité des enfants, les dangers pour les femmes enceintes et la comparaison inadéquate avec la grippe saisonnière.
À l’époque, les connaissances changent tous les jours, elles sont ajustées, révisées, voire rejetées. Le discours est caractérisé par une « incertitude épistémique »[8]. Dès la première émission, Das Coronavirus-Update dépasse largement les cinq minutes initialement prévues. Depuis le début en février 2020, entre trente minutes et deux heures par épisode sont consacrées aux développements les plus récents quant à la recherche sur le coronavirus, aux questions toujours ouvertes et aux incertitudes, mais aussi à la vie quotidienne des scientifiques et au fonctionnement de la science. La qualité novatrice de ce format ? La profondeur, la méticulosité, la durée des entretiens entre un scientifique et une journaliste scientifique. Les réponses longues et détaillées, parfois monotones, et l’absence de tout élément ludique ou divertissant ne nuisent pas à la popularité du balado. Au contraire : le succès ne tarde pas. Dans les premières semaines, plus de 16 000 courriels entrent dans la boîte de réception de NDR, avec des questions sur le coronavirus, mais aussi des remerciements pour le temps consacré à la thématique et sa complexité[9]. « Merci pour le fil conducteur en ces temps difficiles ! » écrit quelqu’un sur YouTube. En novembre 2020, Das Coronavirus-Update compte 75 millions de clics au total dans 50 à 60 pays différents[10]. Ce succès fulgurant est très probablement le résultat de la combinaison élégante de plusieurs éléments : les personnes impliquées, leurs interactions bien huilées, le média et le format choisi, le contenu, la fréquence, la structure, un peu de chance et, enfin, l’impulsion du moment.
Sous les projecteurs, exposé à la vedettisation
Pendant que les adeptes du balado se sentent de plus en plus rassuré·e·s grâce aux informations détaillées, les opposant∙e∙s des décisions politiques manifestent dans les rues. L’un des regroupements conspirationnistes qui est né de la résistance contre les mesures sanitaires en Allemagne est celui de ceux qui s’appellent les Querdenker (libres penseurs en français), un creuset pour des croyances et milieux sociaux très différents : retraité·e·s et familles, groupes antivaccins, partisan∙e∙s de QAnon et de l’ésotérisme, mais aussi groupes d’extrême droite, néonazi∙e∙s et Reichsbürger (citoyen·ne·s du Reich, qui refusent l’ordre politique de la République fédérale et se croient encore dans le Reich allemand des XIXe et XXe siècles) se révoltent côte à côte.
Pour toutes ces personnes, Christian Drosten est une proie facile. À cause de son rôle de conseiller du gouvernement allemand au début de la pandémie, ils le tiennent désormais pour responsable des mesures et remettent en question son titre de docteur. À Munich, une affiche montre Christian Drosten à côté du médecin nazi Josef Mengele ; des comparaisons avec le régime national-socialiste ne sont pas rares dans ce contexte. Après avoir reçu un déferlement de courriels haineux et de lettres menaçantes, Christian Drosten a même songé à un retrait de la scène publique, après seulement un mois de balado[11].
Pour les adeptes des mythes conspirationnistes, le fait qu’un seul expert ait le privilège de communiquer son savoir au public confirme d’une certaine manière leur conviction que les élites détiennent un pouvoir néfaste. Ainsi, elles et ils interprètent les contradictions, incertitudes et ambiguïtés inhérentes à la science que communique Christian Drosten comme de l’information trompeuse[12]. Ce qui accompagne l’aversion pour l’ambiguïté de la science est la méfiance vis-à-vis des médias traditionnels, appelés Lügenpresse (presse menteuse) par les mouvements conspirationnistes en Allemagne. Plusieurs études montrent qu’il y a en effet un lien entre l’adhésion à une théorie conspirationniste et les habitudes de la consommation médiatique[13]. En réalité, le rejet des discours scientifique et médiatique s’explique plutôt par un sentiment d’exclusion des processus sous-jacents et d’impuissance par rapport aux actions politiques qui en découlent[14]. Pourtant, le rôle politique de Christian Drosten est surestimé, car la science n’engendre pas d’actions politiques tant que les résultats de la recherche ne quittent pas le monde académique[15]. Dans un épisode de Das Coronavirus-Update en mars 2020, le virologue souligne : « Il y a une chose que la science ne peut et ne doit pas faire, c’est que la science n’a pas de mandat démocratique. Un scientifique n’est pas un politicien, il n’a pas été élu et il n’a pas à quitter ses fonctions[16]. »
Pendant la pandémie de COVID-19, plusieurs pays semblent avoir leur virologue en chef qui se présente au public, souvent à côté des femmes et hommes politiques. En Allemagne, ce sont même plusieurs expert·e·s qui ont suivi Christian Drosten sur la scène médiatique, ce qu’il a d’ailleurs beaucoup apprécié[17]. Cependant, la popularité croissante des virologues et des épidémiologues que le New York Times appelle « les nouvelles vedettes émergeant à travers l’Europe » s’accompagne souvent d’une forte personnification[18]. Pour Christian Drosten, cela équivaut à la création d’une figure artificielle qui n’a rien en commun avec la personne derrière[19].
Les médias, tant nationaux qu’internationaux, contribuent en grande partie — consciemment ou inconsciemment — à la « vedettisation » des scientifiques pendant la pandémie de COVID-19. À l’étranger, les médias nomment Christian Drosten « la voix de la raison », la « voix de la pandémie en Allemagne[20] » ou le « bouc émissaire des conspirationnistes[21] ». En Allemagne, le journal Die Zeit demande en mars 2020 : « Est-ce notre nouveau chancelier ? » Le magazine Der Spiegel met M. Drosten sur sa page titre en mai 2020 et consacre 10 pages à un portrait du virologue[22]. Un autre exemple révélateur est la campagne de diffamation du quotidien allemand Bild qui titre en mai 2020 qu’une étude menée par le chercheur était « grossièrement erronée »[23]. Il lui donne une heure pour réagir aux reproches. Christian Drosten refuse. Il en est fâché, mais peu impressionné. « Pour me discréditer en tant que scientifique, d’autres scientifiques devraient croire ce que la Bild publie », explique-t-il dans une entrevue avec Der Spiegel [24].
Cette chaîne d’événements montre que la communication scientifique est toujours un exercice d’équilibriste. Face à ce défi, qu’est-ce que Das Coronavirus-Update peut apprendre aux chercheur·se·s et aux journalistes scientifiques au Québec qui souhaitent faire face aux mythes conspirationnistes ?
La douleur intérieure de la vulgarisation scientifique
La science et la vulgarisation de cette dernière préoccupent les médias depuis environ deux siècles[25]. Au Québec, c’est notamment l’émission populaire La Science en pantoufles qui marque, dans les années 1950, la naissance de la communication scientifique dans les médias de masse. Aujourd’hui, autant l’Allemagne que le Québec disposent d’un large répertoire de formats médiatiques consacrés à la science — une évolution qui coïncide avec l’intérêt croissant pour la communication scientifique pendant les trente dernières années[26]. Tous ces formats ont principalement deux objectifs : vulgariser les connaissances scientifiques sur un sujet en particulier (le quoi) et expliquer ce que cela signifie pour la vie quotidienne des citoyen·ne·s (le alors quoi)[27].
Malgré ce développement bien prometteur, la relation entre la communication scientifique et les adhérent∙e∙s aux mythes conspirationnistes — nous l’avons vu — reste complexe. Par conséquent, il est improbable que la communication scientifique puisse éliminer les mythes conspirationnistes. Au contraire, un discours visant à rectifier ces convictions peut être perçu comme une forme d’endoctrinement ou comme une campagne de rééducation, ainsi même renforçant et légitimant les croyances conspirationnistes. De même, encourager les gens à développer leur esprit critique n’est guère suffisant pour les sensibiliser aux informations déformées — le fameux « recherchez-le vous-même » fait partie intégrante de ces mouvements[28]. La polarisation sociale est encore moins atténuée lorsque l’on adopte une attitude arrogante en reprochant aux profanes d’être victimes d’une « épistémologie estropiée » : un manque de connaissances approfondies et valides[29].
Ce que la communication scientifique peut faire, par contre, c’est prévenir la propagation des mythes conspirationnistes en protégeant les personnes qui vivent une forte incertitude psychologique en raison de la crise épistémique actuelle. Ces individus craintifs et indécis sont à la recherche d’informations crédibles et sont donc réceptifs aux explications détaillées et complexes. Mais, de l’autre côté, ils sont suffisamment vulnérables pour pouvoir être séduits par des mythes conspirationnistes. Rassurer cette partie de la population par une communication scientifique bien conçue pourrait contribuer à la stabilisation des conditions sociales que les crises épistémiques ont tant bouleversées. Un mécanisme prometteur qui en résulte et qui a été soulevé par Christian Drosten lui-même : ces personnes peuvent avoir une fonction de multiplicateur dans leur entourage en partageant leurs apprentissages avec leurs proches[30].
La recherche étudie depuis plusieurs années les dynamiques complexes qui séduisent les gens à croire aux mythes conspirationnistes. Ainsi, différents biais cognitifs permettent d’expliquer pourquoi certains individus adoptent des croyances qui sont peu alignées au consensus scientifique ou le rejettent carrément. Un de ces biais est particulièrement pertinent pour la communication scientifique : le prétendu Easiness Effect (effet de simplicité), un phénomène qui se produit lorsqu’une forme de vulgarisation scientifique trop simple conduit une personne profane à avoir trop de confiance en son propre jugement et à sous-estimer sa dépendance des spécialistes en la matière[31]. Autrement dit, de la compréhensibilité ne résulte pas automatiquement de la compréhension[32]. Avec son niveau de complexité exceptionnellement élevé, Das Coronavirus-Update rompt avec l’effet de simplicité et ainsi avec toute une « logique médiatique » : il est rare que l’on trouve des formats de longue durée sur une thématique exceptionnellement complexe dans les médias de masse[33]. Au début, Christian Drosten et Korinna Hennig se parlent tous les jours ; à ce stade, le coronavirus et la pandémie de COVID-19 sont les sujets principaux dans les nouvelles quotidiennes. Depuis juin 2020, la fréquence a été réduite à un rythme hebdomadaire, et depuis la pause de l’été 2020, Christian Drosten est en alternance avec Sandra Ciesek, directrice de la virologie médicale à l’Hôpital universitaire de Francfort. Quand l’urgence de la situation l’oblige, le balado peut facilement durer deux heures : par exemple, l’épisode du 8 décembre 2020 sur le deuxième confinement total, alors imminent en Allemagne, et celui du 5 janvier 2021 sur les variants du virus.
Das Coronavirus-Update bouleverse également la mission ultime de la vulgarisation scientifique qui est d’offrir de la « science sans douleur » : dans tous les épisodes, M. Drosten a tendance à défier constamment et consciemment son auditoire[34]. Par exemple, il n’évite pas de termes techniques, de liens complexes, ou de détails chimiques, biologiques, mathématiques et statistiques. Dans une entrevue à la télévision le 30 janvier 2020, avant le début du balado, le virologue exprime clairement son point de vue par rapport au niveau intellectuel du discours scientifique au public (parlant du calcul du taux de mortalité) :
Nous sommes, après tout, une société éclairée et je pense que le [ou la] citoyen[·ne] ordinaire a le droit d’apprendre par un[·e] scientifique les informations de base et pas seulement des propos simplifiés. Et le calcul qui est fait ici est quelque chose dont les citoyen[·ne·]s ont le droit de prendre bonne note[35].
Sa critique des médias de masse dans cette entrevue est nette. Faisant allusion aux animaux porteurs du virus, il déclare lors d’une conférence de presse à Berlin en novembre 2020 : « À la fin, tout ce qu’il reste dans le journal du soir, c’est la mignonne chauve-souris plutôt que mes énoncés soigneusement choisis[36]. » Christian Drosten admet que la communication scientifique produit toujours une « douleur intérieure » pour les scientifiques[37]. « Toute forme de communication scientifique au public est une simplification de la science. », affirme-t-il dans la même conférence de presse [38]. Afin d’éviter le plus possible toute sorte de simplification, M. Drosten a consciemment décidé de s’attacher à long terme au format de NDR dont la longueur ne permet pas de déformer ses propos[39]. Pour la même raison, le virologue est très prudent avec ses explications et « communique les frontières de son propre savoir[40] ». Par exemple, il signale parfois son manque d’expertise dans des domaines voisins tels que la vaccinologie — une remarque qui semble plus que modeste de la bouche d’un virologue tant expérimenté.
« Il n’y a pas de trop long »
Et en effet, le niveau intellectuellement exigeant du balado porte fruit. « Il y a un auditoire qui y est très bien instruit, qui se perfectionne en virologie. [Son] niveau monte, et donc je dois me préparer davantage », explique Christian Drosten dans un entretien accordé à Deutschlandfunk[41]. Contrairement aux craintes de NDR que le balado ne suscite pas l’intérêt des gens, l’auditoire apprécie la stimulation intellectuelle. « Il n’y a pas de trop long », « Ne pas abréger, s’il vous plaît ! », peut-on lire dans les commentaires sur YouTube. Selon la journaliste Korinna Hennig, 80 % des personnes écoutent le balado jusqu’à la fin[42]. Cette préférence des gens pour un format long et un contenu complexe — dont elles et ils ne comprennent peut-être pas tous les détails — par rapport à un format court qui augmente le risque de simplifier et de déformer la réalité était une découverte pour les journalistes de NDR[43]. Bien qu’il soit difficile de trouver des informations détaillées sur l’auditoire, celui-ci semble très diversifié, notamment en matière de tranches d’âge : les auditeurs et auditrices ont environ entre 11 et 80 ans, selon Korinna Hennig[44]. Les commentaires sur YouTube donnent d’autres indices sur leurs profils, réfutant la supposition que ce sont uniquement des universitaires qui écoutent le balado : travailleurs et travailleuses, femmes au foyer, professeur·e·s d’école, retraité·e·s, employé·e·s de la santé publique — pour donner seulement quelques exemples — composent l’auditoire de Das Coronavirus-Update.
Et si la journée ou la semaine ne produisait pas de percée scientifique dont l’auditoire devrait prendre connaissance ? Le duo du scientifique et de la journaliste prend alors le temps d’aller en profondeur dans des sujets spécifiques, de discuter des articles scientifiques pertinents, d’expliquer le fond virologique d’enjeux majeurs. L’absence totale d’alarmisme, combinée avec beaucoup de « Sachlichkeit » (allemand pour objectivité, neutralité), distingue Das Coronavirus-Update des formats médiatiques visant avant tout à augmenter l’attention du public. Afin de ne pas faire la une des journaux, l’animatrice souligne que le titre de chaque émission est choisi avec beaucoup de soin[45]. Des réactions dans les commentaires de YouTube telles que : « Merci ! Enfin des connaissances et non des gros titres », laissent entendre une certaine sursaturation de la population par rapport à la couverture médiatique dramatisante sur la pandémie.
La collaboration bien rodée entre Korinna Hennig et Christian Drosten où l’un alimente l’autre est d’autant plus surprenante qu’elle et il ne se sont jamais vu∙e∙s en personne en raison des mesures sanitaires en place[46]. Plus encore, elle et il ne se voient même pas pendant leurs entretiens. Le format qui ne leur permet pas de communiquer visuellement a un avantage caché : la situation les force à renoncer à toute interruption inutile. Bien que M. Drosten remonte souvent loin dans le temps afin de créer une assise solide pour son argumentation, sa coanimatrice le laisse habituellement toujours terminer son idée. De plus, seules les pauses de réflexion et les répétitions sont coupées au montage, avant la diffusion, selon Korinna Hennig[47]. Ainsi, le risque de propager des citations abrégées qui déforment le sens des vrais propos est réduit au minimum.
L’art de créer des forces centripètes
D’une certaine manière, Das Coronavirus-Update a donné un nouvel élan à la communication scientifique contemporaine. D’autres scientifiques et journalistes pourraient reprendre cet élan et le traduire en une réelle force centripète entre la science, les médias et la société.
Dans ce contexte, il semble primordial d’établir un lien de confiance ainsi qu’un dialogue en amont avec les citoyen·ne·s déstabilisé·e·s. Un échange plus étroit pourrait en effet générer des éclaircissements sur leurs craintes par rapport à la science, et mitiger leur scepticisme face à la science, les médias et les personnalités politiques, qui constitueraient un cercle d’élite protégeant ses propres intérêts. Quelles thématiques les intéressent ? Quelles sont leurs préoccupations principales et d’où viennent-elles ? Quelles informations recherchent-elles et ils ? À titre d’exemple, NDR a créé une véritable boîte à outils pour son auditoire, comme réponse aux réactions positives exorbitantes. Les transcriptions de toutes les émissions, une liste avec les études citées par les virologues et les journalistes, un résumé des questions les plus posées ainsi qu’un glossaire expliquant les termes techniques — de récepteurs d’ACE2 à zoonose — sont désormais disponibles sur le site.
Du côté des scientifiques, la communication scientifique s’avère moins ludique ; elle est avant tout un enjeu institutionnel. Ceci dit, la communauté de chercheur·se·s nécessite du soutien de leurs institutions, par exemple sous forme d’incitatifs concrets, pour pouvoir s’impliquer dans la communication scientifique[48]. Présentement, l’engagement public peut potentiellement nuire à la carrière des scientifiques. Ainsi, Christian Drosten souligne qu’il aura des inconvénients sur le plan d’allocation des fonds de recherche futurs pour principalement deux raisons[49]. Premièrement, la présence dans les médias exige beaucoup d’engagement, diminuant le temps qui peut être consacré à la recherche. Deuxièmement, l’aspect de simplification de la communication scientifique est perçu « comme une gifle » par certain·e·s collègues scientifiques, explique Christian Drosten lors de la conférence de presse à Berlin, ce qui a un impact sur son estime professionnelle auprès de ces personnes[50]. Étant donné que l’évaluation des propositions de recherche par les pairs ne peut jamais être entièrement détachée de la réputation de la personne, il craint que son travail de vulgarisation puisse l’influencer de manière négative[51].
Toutefois, les voix qui préconisent l’intégration obligatoire de la communication scientifique dans l’enseignement universitaire, surtout au niveau postdoctoral, se font de plus en plus entendre[52]. Les jeunes chercheur·se·s ne savent souvent pas de quelle manière elles et ils devraient communiquer leurs connaissances. « En aucun cas de la même façon qu’un[·e] journaliste ! », précise Christian Drosten. « Le [ou la] journaliste travaille sur un sujet afin de pouvoir en parler. Le [ou la] scientifique parle de quelque chose, car on lui a demandé de le faire[53]. » À l’heure actuelle, la pratique de la communication scientifique est dispersée à travers tout le cursus ; elle est « partout et nulle part ; c’est la tâche de [toutes et] tous, mais la responsabilité de personne[54] ». Le Québec a une longueur d’avance à cet égard : plusieurs universités offrent déjà des programmes courts ou des spécialisations en communication scientifique.
En revanche, la communication scientifique de qualité du côté du journalisme est principalement un enjeu de nature financière. Afin de contourner cette contrainte, quelques journalistes à travers le monde proposent de créer des fondations spécifiquement destinées aux expérimentations avec de nouveaux concepts ou des bourses pour pouvoir réaliser des reportages coûteux[55]. Une autre approche est proposée par Christian Drosten lui-même dans une entrevue télévisée : « Il devrait y avoir un modèle de financement qui permette de payer spécifiquement pour ce type de reportage », parlant des formats de communication scientifique[56]. Ceux-ci ne sont pas limités aux genres journalistiques classiques comme les émissions de télévision. Das Coronavirus-Update montre que des formats novateurs tels que le balado peuvent tout à fait convenir pour communiquer des connaissances scientifiques au grand public. Plus encore, ces nouveaux formats sont même fortement prometteurs, car une grande partie de la population s’y informe même en temps de crise[57]. De plus, les formats traditionnels comme les chroniques ne pourraient pas offrir le même niveau de profondeur, voire rivaliser avec les autres formats en termes de temps et de ressources investies[58]. La popularité d’autres émissions scientifiques confirme la tendance qu’il y a une préférence croissante pour des formats longs sur les canaux d’information numériques comme YouTube[59].
À ce propos, il faut souligner que NDR fait partie des établissements allemands de radiodiffusion de droit public. Il est donc financé par les citoyen·ne·s sous forme de redevances radiophoniques (17,50 € par mois en 2021) qui sont imposées à toute la population allemande, même aux ménages qui ne possèdent pas d’appareil récepteur audiovisuel. La chaîne radio n’est donc pas soumise aux mêmes pressions financières qu’un média privé, et ne fonctionne pas selon les mêmes logiques. Contrairement aux sociétés privées, les médias qui reçoivent du soutien financier public ont la mission impérative de garantir une couverture médiatique aussi neutre et complète que possible (même si ce principe n’est pas toujours respecté), ce qui réduit — au moins partiellement — l’accent sur les gros titres et les formats courts et divertissants. En raison de leur mandat public et sociétal ainsi que du budget souvent généreux qui leur est alloué à cette fin, les médias publics, dont ceux au Québec, pourraient avoir une responsabilité particulière dans la production et la diffusion de la communication scientifique.
Se mettre d’accord sur la plus petite vérité partagée
Mis à part le défi du financement, la communication scientifique bouleverse les pratiques journalistiques traditionnelles. Ainsi, les journalistes devront apprendre à résister à l’instinct professionnel de répondre au consensus scientifique avec la présentation d’une position opposée. Cette « adhésion à l’équilibre » peut déboucher sur une couverture médiatique biaisée exposant des désaccords parmi la communauté scientifique qui, en réalité, n’existent pas (la campagne de la Bild en est un exemple)[60]. Par conséquent, les journalistes ont la responsabilité de sélectionner stratégiquement les spécialistes auxquel∙le∙s elles et ils donnent la parole[61]. Le critère de sélection ne devrait pas être l’originalité du point de vue de l’expert·e, mais son potentiel de représenter l’état actuel du consensus scientifique. Attirer l’attention du public davantage sur ce consensus que sur le CV de l’expert·e pourrait aider à mitiger la vedettisation des scientifiques et aurait pu réduire la personnification de Christian Drosten dans les médias allemands et internationaux. S’ajoute à cela un défi de nature plutôt idéologique et culturelle. Avant que d’autres formats similaires à Das Coronavirus-Update puissent s’établir dans le paysage médiatique, les journalistes devraient s’opposer à la prévalence des formats courts et à la course aux clics. Un changement de culture et de mentalité est d’autant plus important pour convaincre celles et ceux qui prennent les décisions dans les salles de rédaction de se montrer ouvert·e·s à ces nouvelles formes de communication.
Pour bien saisir le consensus scientifique, les journalistes requièrent une expertise dans l’analyse de données et de statistiques, ainsi que dans l’évaluation des prépublications scientifiques, afin de distinguer les vraies contributions des études peu concluantes ou erronées[62]. Poser des questions critiques ne suffit pas ; les journalistes doivent s’approprier un véritable bagage scientifique pour pouvoir être « analystes et commentateur[∙rice∙]s privilégié[∙e∙]s » de la science[63]. Ainsi, le ton équilibré et serein des entrevues dans Das Coronavirus-Update est non seulement le résultat de la vulgarisation exacte et neutre de Christian Drosten, mais surtout de l’instruction profonde de la journaliste Korinna Hennig dans la matière. Afin d’être bien préparée et de pouvoir improviser, creuser des sujets et poser des questions ciblées à Christian Drosten, elle s’est plongée dans l’univers des publications scientifiques et a lu un tas d’études tous les jours. En résulte une relation bidirectionnelle et d’égal à égale entre un scientifique et une journaliste, avec un écart le plus minime possible sur le plan des connaissances techniques. En effet, la création de liens plus durables entre scientifiques et journalistes réputé·e·s pourrait être un point de départ favorable pour tout format de communication scientifique[64].
Finalement, afin de rapprocher science, médias et société autour du consensus scientifique, il peut d’abord suffire de définir ce que la chimiste et journaliste scientifique allemande Mai Thi Nguyen-Kim appelle « la plus petite vérité partagée[65] ». En se mettant d’accord sur un état de connaissances commun minimal, un débat public équilibré et sain sur les choses — même sur la science — semble plus à portée de main.
Et qu’en est-il de l’avenir de Das Coronavirus-Update ? En février 2021, Korinna Hennig confirme que le balado continuera tant qu’il y aura des thématiques qui méritent d’être explorées, comme la vaccination[66]. Et ensuite ? Malgré tout leur succès, les souhaits des deux protagonistes restent très modestes. Tandis que Korinna Hennig est déjà en train de planifier d’autres émissions scientifiques avec son équipe, Christian Drosten a hâte de retourner à son travail quotidien. « Je souhaite que les gens m’oublient. Que dans quelques années, les journaux écrivent : que fait Christian Drosten ? », dit-il dans une entrevue avec le journal Zeit Online[67].
CRÉDIT PHOTO: Tim Reckman/Flickr
[1] Volker Stollorz, « Herausforderungen für den Journalismus über Wissenschaft in der Coronapandemie – erste Beobachtungen zu einem Weltereignis », Bundesgesundheitsblatt, Vol. 64, 2021 : 70-76. doi.org/10.1007/s00103-020-03257-x.
[2] Toutes les citations en allemand ont été traduites par l’autrice. Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Musik und Fragen zur Person vom 06.12.2020 (Ultra Cut #9) », diffusé par Deutschlandfunk, 6 décembre 2020. www.youtube.com/watch?v=0JzI_qZjybw.
[3] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Virus und Medien – Aufmerksamkeitsökonomie in Krisenzeiten (13.11.2020) », Bundespressekonferenz, 13 novembre 2020. www.youtube.com/watch?v=wJuOvZeuZSk.
[4] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Musik und Fragen zur Person vom 06.12.2020 (Ultra Cut #9) », diffusé par Deutschlandfunk, 6 décembre 2020. www.youtube.com/watch?v=0JzI_qZjybw.
[5] NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes – Talk mit dem Podcast-Team », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 1 avril 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-Talk-mit-dem-Podcast-Team,….
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Volker Stollorz, « Herausforderungen für den Journalismus über Wissenschaft in der Coronapandemie – erste Beobachtungen zu einem Weltereignis », Bundesgesundheitsblatt, vol. 64, 2021 : 70-76. doi.org/10.1007/s00103-020-03257-x.
[9] NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes – Talk mit dem Podcast-Team », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 1 avril 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-Talk-mit-dem-Podcast-Team,….
[10] Korinna Hennig, propos recueillis dans « Digitale Nacht der Medien 2020 », diffusé par Allgemeiner Hamburger Presseclub, 11 novembre 2020. www.youtube.com/watch?v=Kj94-f2Et20; NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes – Talk mit dem Podcast-Team », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 1 avril 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-Talk-mit-dem-Podcast-Team,….
[11] Christian Drosten, propos recueillis dans « (24) Wir müssen weiter geduldig sein », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 30 mars 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/24-Wir-muessen-weiter-geduldig-sein,audio660….
[12] Ernst Andreas Hartmann, Tobias Jetzke, Peggy Kelterborn, Dennis Mandwurf, Doreen Richter, Sandra Rohner, Henry Schweigel, Julian Stubbe, Carolin Thiem, Jan Wessels, Guido Zinke, Verschwörungstheorien und Wissenschaftsfeindlichkeit, Institut für Innovation und Technik, 2020. www.iit-berlin.de/de/publikationen/verschwoerungstheorien-und-wissenscha….
[13] Jochen Roose, Sie sind überall. Eine repräsentative Umfrage zu Verschwörungstheorien, Konrad Adenauer Stiftung, 2020. www.kas.de/documents/252038/7995358/Eine+repr%C3%A4sentative+Umfrage+zu+….
[14] Ernst Andreas Hartmann, Tobias Jetzke, Peggy Kelterborn, Dennis Mandwurf, Doreen Richter, Sandra Rohner, Henry Schweigel, Julian Stubbe, Carolin Thiem, Jan Wessels, Guido Zinke, Verschwörungstheorien und Wissenschaftsfeindlichkeit, Institut für Innovation und Technik, 2020. www.iit-berlin.de/de/publikationen/verschwoerungstheorien-und-wissenscha….
[15] Markus Feldenkirchen, Jan Friedmann, Johann Grolle, Marc Hujer, Martin Knobbe, Dirk Kurbjuweit, « Der Sündendoc », DER SPIEGEL, 30 mai 2020, 8-13.
[16] Christian Drosten, propos recueillis dans « (24) Wir müssen weiter geduldig sein », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 30 mars 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/24-Wir-muessen-weiter-geduldig-sein,audio660….
[17] Christian Drosten, propos recueillis dans « (50) Das Virus kommt wieder », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 23 juin 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/50-Das-Virus-kommt-wieder,audio702258.html.
[18] Matina Stevis-Gridneff, “The Rising Heroes of the Coronavirus Era? Nations’ Top Scientists”, The New York Times, 5 avril 2020. www.nytimes.com/2020/04/05/world/europe/scientists-coronavirus-heroes.ht….
[19] NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes – Ein Jahr Coronavirus-Update », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 26 février 2021. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-1-Jahr-Coronavirus-Update,….
[20] Kai Kupferschmidt, “How the pandemic made this virologist an unlikely cult figure”, Science, 28 avril 2020. www.sciencemag.org/news/2020/04/how-pandemic-made-virologist-unlikely-cu….
[21] « Le virologue devenu bouc émissaire des conspirationnistes », TVA Nouvelles, 29 mai 2020. www.tvanouvelles.ca/2020/05/29/le-virologue-devenu-bouc-emissaire-des-co… Baudouin Jurdant, « Vulgarisation scientifique et idéologie », Communications, vol. 14, 1969 : 150-161. doi.org/10.3406/comm.1969.1203; Marie Lambert-Chan, « COVID-19 : les scientifiques deviendront-ils des boucs émissaires ? », Québec Science, 9 juillet 2020. www.quebecscience.qc.ca/edito/covid-19-scientifiques-boucs-emissaires/.
[22] Mariam Lau, « Ist das unser neuer Kanzler? », ZEIT ONLINE, 18 mars 2020. www.zeit.de/2020/13/coronavirus-wissenschaft-auswirkung-auf-politik-viro… Markus Feldenkirchen, Jan Friedmann, Johann Grolle, Marc Hujer, Martin Knobbe, Dirk Kurbjuweit, « Der Sündendoc », DER SPIEGEL, 30 mai 2020, 8-13.
[23] « Fragewürdige Methoden – Drosten-Studie über ansteckende Kinder grob falsch », Bild, 25 mai 2020. www.bild.de/politik/inland/politik-inland/fragwuerdige-methoden-drosten-….
[24] « Ohne uns Wissenschaftler hätten wir bis zu 100 000 Tote mehr », DER SPIEGEL, 30 mai 2020, 14-17.
[25] Martin W. Bauer, “Public Attention to Science 1820–2010—A ‘Longue Durée’ Picture”, dans The Sciences’ Media Connection—Public Communication and its Repercussions (pp. 35–58), sous la direction de Simone Rödder, Martina Franzen, Peter Weingart, Dordrecht: Springer, 2012.
[26] Ibid.
[27] Mai Thi Nguyen-Kim, « Virologen-Vergleich », maiLab, 2020. www.youtube.com/watch?v=u439pm8uYSk.
[28] Barbara Fister, “Lizard People in the Library”, Project Information Literacy Provocation Series, 3 février 2020. projectinfolit.org/pubs/provocation-series/essays/lizard-people-in-the-library.html.
[29] Cass R. Sunstein, Adrian Vermeule, “Conspiracy Theories: Causes and Cures”, The Journal of Political Philosophy, vol. 17, no 2, 2009: 202–227. doi: 10.1111/j.1467-9760.2008.00325.x.
[30] Christian Drosten, propos recueillis dans « Christian Drosten: « Kontraproduktive Fragen » », ZAPP, diffusé par NDR, 18 mars 2020. www.ardmediathek.de/ard/video/zapp/christian-drosten-kontraproduktive-fr….
[31] Lisa Scharrer, Yvonne Rupieper, Marc Stadtler, Rainer Bromme, “When science becomes too easy: Science popularization inclines laypeople to underrate their dependence on experts”, Public Understanding of Science, vol. 26, no 8, 2017: 1003–1018. doi.org/10.1177/0963662516680311.
[32] Volker Stollorz, « Herausforderungen für den Journalismus über Wissenschaft in der Coronapandemie – erste Beobachtungen zu einem Weltereignis », Bundesgesundheitsblatt, vol. 64, 2021 : 70-76. doi.org/10.1007/s00103-020-03257-x.
[33] Stephan Detjen, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Virus und Medien – Aufmerksamkeitsökonomie in Krisenzeiten (13.11.2020) », Bundespressekonferenz, 13 novembre 2020. www.youtube.com/watch?v=wJuOvZeuZSk.
[34] Baudouin Jurdant, « Vulgarisation scientifique et idéologie », Communications, vol. 14, 1969 : 150-161. doi.org/10.3406/comm.1969.1203; NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes – Talk mit dem Podcast-Team », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 1 avril 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-Talk-mit-dem-Podcast-Team,….
[35] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Coronavirus-Experte im Interview vom 30.01.2020 | Talk aus Berlin », diffusé par RBB, 30 janvier 2020. www.youtube.com/watch?v=Z3Zth7KYVHY.
[36] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Virus und Medien – Aufmerksamkeitsökonomie in Krisenzeiten (13.11.2020) », Bundespressekonferenz, 13 novembre 2020. www.youtube.com/watch?v=wJuOvZeuZSk.
[37] Ibid.
[38] Ibid.
[39] Ibid.
[40] « Communicator-Preis 2020 geht an Robert Arlinghaus – einmaliger Sonderpreis für Christian Drosten », Pressemitteilung Nr. 11, Deutsche Forschungsgemeinschaft, 20 avril 2020. www.dfg.de/service/presse/pressemitteilungen/2020/pressemitteilung_nr_11….
[41] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Musik und Fragen zur Person vom 06.12.2020 (Ultra Cut #9) », diffusé par Deutschlandfunk, 6 décembre 2020. www.youtube.com/watch?v=0JzI_qZjybw.
[42] Korinna Hennig, propos recueillis dans « Korinna Hennig und Melanie Gath über Wissenschaftler im Fokus der Öffentlichkeit », Medientage München, 14 mai 2020. www.youtube.com/watch?v=smF5k8pG7I8.
[43] NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes II – Talk mit dem Podcast-Team », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 21 mai 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-II-Talk-mit-dem-Podcast-Te….
[44] Korinna Hennig, propos recueillis dans « (41) Der Tanz mit dem Tiger », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 14 mai 2020. www.ndr.de/nachrichten/info/Podcast-Coronavirus-Update-Drosten-Der-Tanz-….
[45] Martina Franzen, « Medienkonflikte der Wissenschaft: Zur Wissenschaftskommunikation in Zeiten von Corona (Teil 1) », Blog der Deutschen Gesellschaft für Soziologie, 5 avril 2020. blog.soziologie.de/2020/04/medienkonflikte-der-wissenschaft-zur-wissenschaftskommunikation-in-zeiten-von-corona-teil-1/.
[46] Korinna Hennig, propos recueillis dans « Korinna Hennig und Melanie Gath über Wissenschaftler im Fokus der Öffentlichkeit », Medientage München, 14 mai 2020. www.youtube.com/watch?v=smF5k8pG7I8.
[47] Korinna Hennig, propos recueillis dans « re:publica im digitalen Exil – Deep Dive: Ein Blick hinter die Kulissen des erfolgreichsten… », diffusé par re:publica, 2 juin 2020. www.youtube.com/watch?v=sGP5jf02Tuw.
[48] Georg Schütte, Wolfgang Rohe, Caroline Schmutte, « Steht den Wissenschaftlern bei! », ZEIT ONLINE, 2 décembre 2020. www.zeit.de/2020/50/shitstorms-wissenschaftler-public-shaming-beistand-i….
[49] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Virus und Medien – Aufmerksamkeitsökonomie in Krisenzeiten (13.11.2020) », Bundespressekonferenz, 13 novembre 2020. www.youtube.com/watch?v=wJuOvZeuZSk.
[50] Ibid.
[51] Ibid.
[52] Georg Schütte, Wolfgang Rohe, Caroline Schmutte, « Steht den Wissenschaftlern bei! », ZEIT ONLINE, 2 décembre 2020. www.zeit.de/2020/50/shitstorms-wissenschaftler-public-shaming-beistand-i….
[53] Christian Drosten, propos recueillis dans « Prof. Dr. Christian Drosten : Virus und Medien – Aufmerksamkeitsökonomie in Krisenzeiten (13.11.2020) », Bundespressekonferenz, 13 novembre 2020. www.youtube.com/watch?v=wJuOvZeuZSk.
[54] Barbara Fister, “Lizard People in the Library”, Project Information Literacy Provocation Series, 3 février 2020. projectinfolit.org/pubs/provocation-series/essays/lizard-people-in-the-library.html.
[55] Jan-Martin Wiarda, « Persönliche Stellungnahme », dans Zusammenstellung der Stellungnahmen der geladenen Sachverständigen (pp. 1-61), Deutscher Bundestag, 25 mars 2020; Pascal Lapointe, « Sortir le journalisme scientifique de la précarité », Relations, no 800, janvier-février 2019 : 20-21. cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/sortir-le-journalisme-scientifique-de-la-precarite/.
[56] Christian Drosten, propos recueillis dans « Christian Drosten: « Kontraproduktive Fragen » », ZAPP, diffusé par NDR, 18 mars 2020. www.ardmediathek.de/ard/video/zapp/christian-drosten-kontraproduktive-fr….
[57] Volker Stollorz, « Herausforderungen für den Journalismus über Wissenschaft in der Coronapandemie – erste Beobachtungen zu einem Weltereignis », Bundesgesundheitsblatt, vol. 64, 2021 : 70-76. doi.org/10.1007/s00103-020-03257-x.
[58] Korinna Hennig, propos recueillis dans « Korinna Hennig und Melanie Gath über Wissenschaftler im Fokus der Öffentlichkeit », Medientage München, 14 mai 2020. www.youtube.com/watch?v=smF5k8pG7I8.
[59] Melanie Gath, propos recueillis dans « Korinna Hennig und Melanie Gath über Wissenschaftler im Fokus der Öffentlichkeit », Medientage München, 14 mai 2020. www.youtube.com/watch?v=smF5k8pG7I8.
[60] Maxwell T. Boykoff, Jules M. Boykoff, “Balance as bias: global warming and the US prestige press”, Global Environmental Change, vol. 14, 2004: 125–136. doi:10.1016/j.gloenvcha.2003.10.001.
[61] Volker Stollorz, « Herausforderungen für den Journalismus über Wissenschaft in der Coronapandemie – erste Beobachtungen zu einem Weltereignis », Bundesgesundheitsblatt, vol. 64, 2021 : 70-76. doi.org/10.1007/s00103-020-03257-x.
[62] Ibid.
[63] Gervais Mbarga, « À quoi sert le journalisme scientifique ? », Revue de l’Université de Moncton, vol. 40, no 2, 2009 : 161-180. doi.org/10.7202/1001393ar.
[64] Hennig Hopf, Alain Krief, Goverdhan Mehta, Stephen A. Matlin, “Fake science and the knowledge crisis: ignorance can be fatal”, Royal Society Open Science, vol. 6, 2019: 1–7. dx.doi.org/10.1098/rsos.190161.
[65] Mai-Thi Nguyen-Kim, propos recueillis dans « Die kleinste gemeinsame Wahrheit », Argon Hörbuch, 2021.
[66] NDR Info, propos recueillis dans « Behind the Scenes – Ein Jahr Coronavirus-Update », Das Coronavirus-Update, diffusé par NDR, 26 février 2021. www.ndr.de/nachrichten/info/Behind-the-Scenes-1-Jahr-Coronavirus-Update,….
[67] Florian Schumann, Jakob Simmank, « Wir haben es selbst in der Hand », ZEIT ONLINE, 6 octobre 2020. www.zeit.de/wissen/2020-10/christian-drosten-corona-massnahmen-neuinfekt….