par Rédaction | Juin 9, 2020 | International, Societé
Par Mohamed Abdou
Extrait traduit par Alexandre Dubé-Belzile
Publié avec la permission de l’auteur
L’article original publié en anglais dans la revue Anarchist Developments in Cultural Studies est également téléchargeable dans sa langue source sur The Anarchist Library.
Cet article traite de l’affaire Sayyid-Sally, une personne trans égyptienne. Elle était étudiante en médecine à l’Université Al-Azhar, éminente institution d’études islamiques. Sayyid-Sally a été expulsée en 1982 en raison de son identité sexuelle. J’y examine donc le point de vue d’Al-Azhar sur la question et l’édit religieux, ou fatwa, prononcée à cette occasion. Même après le dévoilement de son identité, après son opération et même après qu’Al-Azhar ait admis l’existence de l’ « hermaphroditisme » dans certaines interprétations légales de la jurisprudence islamique, des orientations de genre hétéronormatives ont tout de même été réétablies et remises en vigueur par l’institution religieuse égyptienne. J’avance que cette prise de position d’Al-Azhar reflète un ordre logique binaire qui impose une dichotomie entre hermaphroditisme naturel et hermaphroditisme non naturel. Sayyid-Sally était, au mieux, tolérée, même neuf ans après que la Cour administrative du Caire ait renversé la décision d’expulsion de Sayyid-Sally. Je mets de l’avant que l’anarchisme peut conférer une tout autre orientation à ce débat au sein de l’Islam pour dépasser la simple tolérance et développer une doctrine d’acceptation. Je le fais afin de permettre aux anarchistes et aux personnes de confession musulmane ouvertes d’esprits (donc non essentialistes/non dogmatiques) de mieux se comprendre et de collaborer dans le contexte de ce que Richard J. F. Day a qualifié de « nouveaux » mouvements sociaux.
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Sayyid AbdAllah est une personne trans de 19 ans étudiant à l’Université Al-Azhar, une éminente institution d’études islamique située au Caire, en Égypte. En 1982, cette dernière a consulté le psychologue Salwa Jurgis Labib en affirmant souffrir d’une profonde dépression. Salwa a examiné Sayyid et a conclu que l’identité sexuelle de Sayyid se trouvait psychiquement perturbée. D’un point de vue clinique, Sayyid était un « hermaphrodite psychique » (Mu-Khunath nafsiyan). Pendant trois ans de thérapie, tous les efforts possibles avaient été déployés afin de restaurer l’identité sexuelle mâle de Sayyid, sans succès. Salwa a donc décidé de référer Sayyid à un chirurgien du nom d’Izzat Asham Allah Jibra’il afin que Sayyid puisse subir une chirurgie de changement de sexe. L’opération a été effectuée le 29 janvier 1988. Avant cette opération, Izzat avait tout de même référé Sayyid à un autre psychologue du nom de Hani Najib, qui avait tiré les mêmes conclusions que Salwa, affirmant aussi que la chirurgie était la meilleure solution. Par la suite, en préparation pour la chirurgie, Sayyid a dû ingurgiter des hormones féminines, expérimenter avec le port de vêtements féminins et la fréquentation du sexe opposé. Cela a duré un an, après quoi Izzat a procédé à l’ablation du pénis de Sayyid pour créer un nouvel orifice urinal et un vagin artificiel1.
La nouvelle de la chirurgie a éclaté au grand jour le 4 avril 1988, à l’occasion d’une entrevue de Sally pour le journal Al-Ahram. La nouvelle de la chirurgie de Sally a fait bien plus qu’émoustiller l’intérêt des médias : elle a entraîné des répercussions auprès des autorités religieuses, gouvernementales, administratives et légales ainsi qu’auprès de la population égyptienne dans son ensemble. La première de ces répercussions a été le refus de la faculté de médecine d’Al-Azhar d’octroyer à Sally, qui se trouvait à la quatrième année de ses études, le droit de subir les examens finaux afin d’obtenir son diplôme. La deuxième a été le refus des autorités de l’Université de la transférer à la faculté de médecine pour femmes. Pour Al-Azhar, Sally devenait un symbole de l’immoralité de cette époque, un khawal; un « homme efféminé qui accepte de jouer un rôle passif, féminin, lors d’un rapport sexuel avec d’autres hommes »; « un terme connu comme servant à désigner la plus basse et la plus dégradante masculinité »; « considéré comme une porte vers l’hermaphroditisme, qui à son tour peut mener au crime abominable qu’est l’homosexualité »2. L’éminente institution islamique a alors établi un comité pour mener une enquête sur le corps de Sally. À ce comité siégeaient le Conseil de fatwa (Lajnat Al-Fatwa) et le moufti du Haut Conseil des affaires islamiques (Al-Majlis Al-Aola li Sh-Shu’un Al-Islamiya).
Le comité a ainsi effectué, entre autres choses, un ultrason de sa prostate, et a conclu que Sally était tout à fait masculin, à l’intérieur comme à l’extérieur. Il va sans dire qu’après cet incident, Sally a systématiquement refusé d’être examinée. Comme conclusion, le comité a déclaré : « Nous avons ici un jeune musulman qui étudie à la vénérable institution Al-Azhar et qui consulte des psychologues occidentaux. De plus, ces derniers lui disent de se laisser aller aux tentations de la perversité pour devenir une femme. Cependant, ce qui résulte de ces transformations n’est ni un homme ni une femme, mais quelque chose entre les deux »3. Le comité d’enquête a donc procédé, « en vertu de l’article 240 du Code pénal islamique, pour avoir décidé d’infliger une blessure [ou mutilation] permanente à son patient », à la condamnation de la chirurgie qui avait été menée sur Sayyid. Ironiquement, c’est au même moment que le principal représentant du syndicat des médecins (Niqabat al-Atba) de Gizeh, a demandé à un autre médecin, Husam ad -Din Khatib, de mener une enquête sur l’affaire. Pour ce faire, le conseil des médecins avait convoqué le chirurgien Izzat, l’anesthésiste Ramzi Michel Jadd, et le psychologue Salwa. Enfin, le conseil a décidé que les trois personnes en question avaient commis une erreur de jugement dans l’exercice de leur profession. Ils n’avaient pu confirmer de manière scientifique la pathologie de Sayyid avant d’effectuer la chirurgie, une accusation dont les médecins ont d’ailleurs confirmé le bien-fondé. Aussi, le Conseil et le syndicat, tout comme Al-Azhar, ont pris à part le chirurgien et ont affirmé qu’« Izzat avait commis une sérieuse erreur médicale en ne confirmant pas la présence d’une maladie [l’hermaphroditisme psychologique] avant d’opérer […]. [Au contraire,] la procédure adéquate aurait été d’arrêter le traitement hormonal et de poursuivre une simple psychothérapie »4.
Le 14 mai 1988, le syndicat des médecins a envoyé une lettre à Sayyid Tantawi, le grand moufti de la République d’Égypte qui est à la tête des théologiens de l’université Al-Azhar, afin que ce dernier émette une fatwa (un édit religieux) sur la question. Tantawi a prononcé la fatwa le 8 juin 1988, tirant la conclusion selon laquelle, si le chirurgien décidait que l’opération était le seul remède pour Sayyid, cette dernière serait alors autorisée. Toutefois, Tantawi, dans sa fatwa, affirmait aussi que « ce traitement ne peut être entrepris suite à la seule manifestation du désir de changer de sexe, car cela constituerait une menace aux principes, aux valeurs et au code éthique de la société égyptienne ». La fatwa prononcée par Tantawi était vague et imprécise en ce qui concerne l’« hermaphroditisme psychique », un terme clinique emprunté par Al-Azhar à la psychologie occidentale et utilisé systématiquement pour décrire Sally. Il est incertain si cet hermaphrodisme psychique devait constituer ou non une raison suffisante et admissible d’un point de vue médical afin de pouvoir considérer une personne comme trans. En effet, l’acceptation de Sally en tant que femme devait pouvoir ouvrir un espace au sein de la pensée islamique pour ses droits et ceux de tous les trans. Cependant, pour Tantawi, Sally « avait été un homme et l’était toujours, seulement un peu moins, en raison de l’ablation de ses organes génitaux masculins qui avaient été remplacés par des organes artificiels, imparfaits et féminins. Elle n’était pas un homme complet, sûrement pas une femme et encore moins, par conséquent, un véritable hermaphrodite »5. De son côté, le syndicat a supprimé l’inscription d’Izzat parmi ses membres et a imposé à l’anesthésiste une amende de 300 livres égyptiennes pour sa participation à l’opération.
Sans aucun point de vue favorable à la chirurgie exprimé dans les journaux, le 29 décembre 1988, la question a finalement été laissée entre les mains de l’État. Aussi, le procureur général et son substitut ont fini par acquitter le chirurgien des accusations qui pesaient contre lui, en infraction à l’article 240 qui interdisait l’infliction de lésions permanentes et de mutilations. Aussi, selon le rapport final du procureur, publié un an plus tard en octobre 1989, Sally pouvait être considérée comme une femme si la chirurgie avait été effectuée selon les normes, les règles et les lois qui régissent ce type d’opérations. Les calamités qui avaient affligé Sally n’ont pas pris fin pour autant, car Al-Azhar continuait de refuser de la reconnaître comme une femme ou de l’admettre à la faculté de médecine pour femmes. Enfin, après l’ouverture par Sally d’une brèche dans le discours du pouvoir, Al-Azhar a commencé à documenter et à institutionnaliser des cas de ce qu’elle considérait comme des hermaphrodites naturel·les. Pour Al-Azhar, un ou une hermaphrodite naturel·le est caractérisé·e par la présence des organes sexuels naturels, mâle et femelle respectivement, dont le genre est déterminé par le sexe duquel jaillit le plus d’urine. Al-Azhar a aussi déclaré que, lorsqu’une quantité égale d’urine jaillit des deux sexes, il y a ambiguïté. On devrait également attendre la puberté et chercher sur le corps des caractéristiques propres à un sexe ou l’autre : pilosité du visage, grossesse, lactation. Si aucune de ces caractéristiques ne fait son apparition, ou si apparaissent à la fois des caractéristiques féminines et masculines, il s’agit d’un véritable cas d’hermaphroditisme6. En novembre 1989, Sally a enfin reçu un document certifiant qu’elle était une femme, soit près de deux ans après la chirurgie. Un an et demi plus tard, la Cour administrative a infirmé la décision d’expulsion d’Al-Azhar qui l’avait empêchée de subir ses examens finaux7.
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En tant que musulman anarchiste, ma critique de la fatwa de Tantawi vise à faire la promotion de pratiques éthiques et politiques qui assureraient la collaboration entre les musulman·es et les anarchistes au sein de ce que Richard J. F. Day décrit comme « les plus récents mouvements sociaux »8. De façon générale, les prétendus mouvements anarchistes occidentaux et les militant·es de la nouvelle gauche acceptent sans aucune remise en question les représentations conservatrices et orientalistes de l’Islam et des musulmans et des musulmanes auxquelles ils et elles sont confronté·es. Selon les représentations les plus répandues parmi les anarchistes, encore plus que parmi le reste de la population, toutes les personnes musulmanes et toutes les interprétations de l’Islam sont empreintes d’une mentalité autoritariste, dogmatique, transphobique, et ce, sans qu’on puisse vraiment en douter. Ce point de vue prédominant nuit aux relations politiques entre musulman·es et anarchistes au sein de groupes comme No One Is Illegal (NOII) et Solidarity Across Borders (SAB), qui comptent parmi les « plus récents mouvements sociaux »9. Cette pratique a été baptisée par Leela Gandhi la politique d’amitié dans un écrit intitulé Affective Communities : Anti-Colonial Thought, Fin-De-Siècle Radicalism, and the Politics of Friendship (2006), inspirée par Jacques Derrida, Jean Luc Nancy, et Maurice Blanchot.
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Je fais ainsi en sorte de déconstruire les perceptions dogmatiques et essentialistes du genre autant chez les anarchistes que chez les musulman·es d’Occident. Je mène à bien cette tâche en évitant d’aborder les pratiques sexuelles de Sally ainsi que ses intersections et insurrections relatives au genre pour plutôt centrer mon propos, dans la mesure où ce court article le permet, autour de la politique trans telle que conçue au sein de cet État postcolonial et capitaliste qu’est l’Égypte, gouverné par une dictature. Dans le cadre de cet essai, je n’entends pas aborder les présumées pratiques sexuelles de Sally au regard de son corps trans. Contrairement à Al-Azhar, je ne me permets pas de supposer que Sally aurait voulu être opérée seulement pour pouvoir avoir des relations homosexuelles. Le genre et la sexualité comme discours diffèrent. Des intersections peuvent exister entre ces deux discours, mais il n’y a pas nécessairement de corrélation.
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En dépit de ce qui semble être un précédent légal de grande importance, la tolérance relative exprimée dans la fatwa de Tantawi ne représente pas le premier cas de transitude en Islam. La République islamique d’Iran, d’un point de vue statistique, se trouve tout juste derrière la Thaïlande pour ce qui est des chirurgies trans, avec entre 15 000 et 20 000 chirurgies par année depuis leur légalisation par l’Ayatollah Khomeini en 1980. Qui plus est, hormis l’existence de personnes trans à l’époque du prophète, selon Everett Rowson, « nous disposons de preuves tangibles qu’une certaine forme d’efféminité et de travestisme chez les hommes était reconnue et institutionnalisée à l’époque préislamique et au cours des premières années de vie des sociétés islamiques de l’Arabie. Contrairement aux autres hommes, ces efféminés ou mukhannathun pouvaient interagir librement avec des femmes, étant donné qu’ils n’avaient, en principe, aucune attirance sexuelle pour elles. Ils ont ainsi agi comme intermédiaires lors des arrangements de mariages ou pour des relations peut-être plus officieuses »10.
Abdulwahab Bouhdiba décrit le point de vue de Tantawi de la manière suivante : « Tout ce qui viole l’ordre [binaire du genre] n’est que grave « désordre », source de mal et foncière anarchie »11. Pour Tantawi, la bipolarité du monde repose sur une stricte séparation entre les deux ordres : le féminin et le masculin. Il affirme aussi que le meilleur moyen de donner forme à l’harmonie voulue par Allah est que les hommes assument leur masculinité et que les femmes assument complètement leur féminité »12. Les allégations rigides et hérétiques de Tantawi relèvent d’une logique binaire, platonique et essentialiste qui dépend d’une tension entre nature et culture, entre noir et blanc, entre vérité et rhétorique, entre parole et écrit, entre le naturel et le non-naturel, entre ceux qui sont contre et ceux qui sont avec nous, sans aucune zone grise. La construction d’une telle pensée binaire révèle un désir misogyne de contrôle et d’amalgame. Les « parties de chacune de ces paires ne sont pas égales. La première y domine plutôt la deuxième, qui devient cet « autre » de la première »13. Pour Tantawi, Sally souffrait d’une « maladie physique dont seule la chirurgie peut avoir raison »14. Tantawi parle de la chirurgie comme un remède qui révèle des organes sexuels « dissimulés ou ensevelis ». Il affirme qu’Allah n’a pas envoyé de maladie sans y donner de remède, traçant ainsi la ligne entre les apparences (zahir), qui peuvent être trompeuses, et l’essence profonde (batin), qui, elle, est toujours vraie15.
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La transphobie est similaire au racisme. Comme Deleuze et Guattari le décrivent, « le racisme procède par détermination des écarts de déviance, en fonction du visage de l’homme blanc […] en intégrant dans des ondes de plus en plus excentriques et retardées les traits qui ne sont pas conformes, tantôt pour les tolérer à telles places et dans telles conditions […] tantôt pour les effacer sur le mur qui ne supporte jamais l’altérité »16. La hiérarchie établie par la fatwa de Tantawi opérait non seulement par détermination du degré de déviance en ce qui a trait à l’homme blanc non efféminé, l’ancien colonisateur, ou même l’homme égyptien non efféminé produit postcolonialement pour chaque réoccupation subséquente, mais en relation avec comment il croit que l’Islam considère une personne trans naturelle. La logique binaire mise en œuvre par Tantawi et Al-Azhar pointe du doigt et déclare : « Ah, ah! Il ne s’agit ni d’un homme ni d’une femme, alors ce doit être un travesti! » Cette logique n’est pas inhérente à l’Islam. La logique d’Al-Azhar et de Tantawi se fonde sur l’idée que voir serait vaticiner alors que l’essence de Sally était balayée du revers de la main comme une « perturbation psychologique », non seulement par Al-Azhar, mais aussi par les psychologues. Enfin, si tel est le cas, alors « montrez-moi Dieu ». Le problème avec leur vision est la logique qu’ils y mettent en œuvre, selon laquelle le corps de Sally ne correspondait pas à un véritable genre duquel il existerait non pas deux possibilités pour chaque personne, mais trois selon ce qu’a admis Tantawi et qualifié de « naturel », avec des mots sortant de sa propre bouche17.
La distinction entre le naturel et le non-naturel démontre la construction, à la fois par Tantawi et par Al-Azhar, d’une hiérarchie comprenant la catégorie « transitude », à des fins d’institutionnalisation, tout spécialement en ce qui concerne la transitude « naturelle » ou « véritable ». Leur propre vision a orienté la pensée musulmane à l’effet que « chaque être humain n’est que d’un seul genre, le « vrai », et que, d’une certaine manière, existe l’idée qu’un·e hermaphrodite soit engagé·e dans un processus d’approfondissement ou de sortie de son état, c’est-à-dire que l’hermaphroditisme serait un processus réduit à des mouvements corporels et psychologiques constants »18. Pour Tantawi, le corps de Sally ne s’articulait et ne s’élevait pas suffisamment ou adéquatement pour avoir le privilège d’être considéré comme un véritable cas d’hermaphroditisme19. Tantawi lui-même affirmait : « Il est permissible d’opérer afin de révéler ce qui était caché des organes sexuels masculins ou féminins. En effet, il est obligatoire de le faire et de le considérer comme un traitement, lorsqu’un docteur digne de confiance le recommande. Toutefois, il n’est pas permis de le faire en raison d’un simple désir de changer de sexe, de devenir un homme pour une femme et vice versa »20. Tantawi veut rationaliser pour lui-même la personne transgenrée de Sally à son stade liminal afin de la discipliner, la classifier et la (ré)insérer. Il le fait en prétendant qu’il n’y aucun antécédent historique de la sorte, consolidant ainsi la dualité normative du genre dans un effort visant à renforcer les hiérarchies de genre en Égypte, un pays à majorité musulmane. Tantawi croyait que le secret de Sally ne nécessitait qu’une solution exacte et chirurgicale. La logique de Tantawi en est une qui renforce la dichotomie esprit-corps par la mobilisation de la conception binaire, une logique qui implique certaines activités dont la mise en œuvre « n’est pas assurée par le droit, mais par la technique; non par la loi, mais par la normalisation; non par le châtiment, mais par des méthodes de contrôle »21.
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Tantawi affirme que la « bivalence est vouloir de Dieu, et la sexualité, qui est mise en relation du mâle et de la femelle, n’est qu’un cas particulier d’une volonté divine absolument universelle »22. Toutefois, pour faire de la rhétorique, nous pourrions demander quel est ce grossier personnage autoritaire responsable de la réglementation d’un corps donné par Allah, c’est-à-dire, qui est Tantawi pour donner priorité au corps sur l’esprit ou à l’esprit sur le corps alors qu’Allah a créé Sally avec un esprit et un cœur, qui n’est ni plus ni moins naturel qu’une personne trans naturelle ou un corps naturel23? Tantawi explique les régulations qu’il propose à la lumière d’un véritable souci et d’un désir d’établir aussi précisément et avec autant de sérieux que possible les limites du sexe pour finalement se rendre compte, selon ses propres aveux, que « la plupart des frontières intersexuelles s’avèrent difficiles à détailler en dépit de l’importance qu’elles ont au regard de la conscience musulmane qui se trouve de plus en plus poussée à ériger des murs impénétrables entre les sexes »24. Tantawi ne prend en considération que les états dits naturels des genres en fonction d’un cadre inaltéré des paramètres biologiques des organes génitaux et répète encore son argument dans sa fatwa selon lequel « un homme véritable est défini par un pénis pleinement fonctionnel » comme source de pouvoir phallique. On en vient donc à se demander si l’analyse freudienne d’Al-Azhar et de Tantawi mobiliserait la même logique pour examiner la situation d’un homme castré lors d’un accident et dont le statut social se trouve compromis au Caire, car cette perte phallique lui ferait perdre, d’un point de vue légal, sa masculinité. Comme l’écrit Paula Sanders, « en cas de doute, la règle [de Tantawi] semble être d’accorder un statut inférieur aux hermaphrodites. Ce qui était important est que le statut supérieur de l’homme soit protégé avec succès. Ces règles assuraient qu’aucun hermaphrodite ne se verrait doté de ce statut à moins qu’il y ait une preuve claire qu’il s’agit d’un homme »25. Tantawi ne considèrent pas les situations pour lesquelles le « véritable » genre ne peut être rendu visible par une chirurgie, tout particulièrement dans les cas où les personnes concernées n’ont pas les moyens de payer pour la chirurgie.
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Le monde est détrempé par des océans de sublime folie qui restent inexplorés. Il ne s’agit pas de la folie des asiles, mais bien de celle qui habite chacun de nous, une folie dissimulée, qui affame et qui libère, une folie de nos (contre)façons intérieures, de notre propre devenir26. Même dans les années qui se sont écoulées depuis 1982, lorsqu’Al-Azhar fut gagnée par la panique et par des fantasmes ancrés en Sally, source de folie, cette « maléfique anarchie » considérée comme « inacceptable à notre époque » résista à son exorcisme et poursuivit son chemin. Sally mena sa vie. Ce n’est que par des procédés artistiques d’autocréation, comme le disait Deleuze, que nous « pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir sur la Lune »27. Le devenir de Sally était sa plus précieuse possession, son asile, sa surface. Plus la panique déchaînée émergeant de la torture publique s’aggravait et plus la folie était affamée au sein d’une tyrannie omniprésente, plus le délire avec lequel Sally résistait était absolu. Imaginez-vous en pleine ville du Caire, dévisagée de toutes parts, essayant d’oublier la surveillance des yeux du monde. Hélas, il était déjà trop tard. Sally n’était déjà plus prisonnière, et ce, depuis longtemps, libérée de son pire fardeau, de ses murs intérieurs. Elle se réconciliait avec un dieu quelconque. Elle devenait, jouant le jeu à fond, explorant le genre, habitée d’une certaine folie, perforant sa coquille pour nager dans le vaste océan. Sally, sans patron, sans usine, ne demandait la permission qu’à elle-même, brisant la dichotomie corps-esprit au Caire, en Égypte, en 1982. Il ne s’agissait pas de la première occurrence de transitude au sein de l’univers islamique, mais Sally résistait, psychiquement, au sein d’une société qui la prenait pour un objet de publicité émeutière, une sorte de vedette de la folie. Elle fit cela à contre-courant de l’opinion publique et d’Al-Azhar dans un pays qui se déclare toujours en état d’« urgence et de terreur »28 depuis plus de 27 ans.
Photo : Jon Ramlan sur Pixabay
1 Jacob Skovgaard-Petersen, Defining Islam for the Egyptian State: Muftis and Fatwas of the Dar Al-Ifta, Leiden : Brill Academic Publisher, 1997, p. 320
2 Ibid., p. 326
3 Jacob Skovgaard-Petersen, Al-Azhar 1922-2006, Copenhague : Vandkunsten, 2007, p. 5
4 Ibid.
5 Ibid., p. 326
6 Abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en Islam, Paris : Presses universitaires de France, 1975, p. 55
7 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit.
8 Richard J. F. Day, Gramsci is Dead : Anarchist Currents in the Newest Social Movements, Toronto : Pluto Press, 2005.
9 Ibid., pp. 189-190
10 Everett K. Rowson, « The Effeminates of Early Medina », Journal of the American Oriental Society, vol. 4, n° 111, 1991, p. 671
11 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 43.
12 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 30.
13 Jane Flax, Thinking Fragments : Psychoanalysis, Feminism, and Postmodernism in the Contemporary West, Oakland : University of California Press, 1990, p. 36.
14 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 330.
15 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 332.
16 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et scizophrénie 2 : Mille Plateaux, Paris : Les éditions de minuit., 1980, p. 218.
17 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 3.
18 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 8.
19 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 3.
20 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 3.
21 Todd May, Political philosophy of poststructuralist anarchism, Pennsylvania State University Press, 1994.
22 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 15.
23 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 8.
24 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 43.
25 Paula Sanders, « Gendering the Ungendered Body : Hermaphrodites in Medieval Islam », dans Women in Middle Eastern History : Shifting Boundaries in Sex and Gender, sous la direction de Nikki R. Keddie et Beth Baron, New Haven, Londres : Yale University Press, 1991, p. 81.
26 Félix Guattari, Chaosophy, Semiotext(e), 2009, p. 129.
27 Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris : Presses universitaires de France, 1964, p. 55
28 Félix Guattari, op. cit., p.72
par Alexandre Dubé-Belzile | Avr 1, 2017 | Culture, Idées, International, Québec, Societé
La traduction joue un rôle de première importance dans la résistance contre le système néolibéral mondialisé et la vision du monde véhiculée par une certaine élite politique et économique et ce, plus particulièrement en ce qui concerne les enjeux mis de l’avant dans le cadre du Forum social mondial. Cet article traitera de la traduction non seulement comme une profession qui prend en charge le transfert d’un contenu sémantique d’une langue à une autre, mais également au sens beaucoup plus large que lui donne le sociologue brésilien Boaventura de Sousa Santos. Ce dernier explique comment la traduction est un instrument de conscientisation et d’abolition des rapports de pouvoir qui minent les relations entre diverses visions du monde, au Québec, au Canada et ailleurs. L’auteur de cet article a lui-même été interprète lors du Forum social mondial de 2016, qui a eu lieu au mois d’août dernier, à Montréal.
Le Forum social mondial
Le Forum social mondial a vu le jour en 2001 à Porto Alegre, au Brésil, dix ans après la chute de l’Union soviétique, mettant ainsi fin à une dure décennie de désillusionnement face au socialisme orthodoxe. C’est donc peu avant les attentats du 11 septembre 2001 et les débuts d’une nouvelle rage répressive émanant de l’impérialisme étatsunien et de ses alliés que le Forum social a été créé par ceux qui croyaient encore en un monde meilleur et qui le croyaient possible autrement que par la voie des armes. Selon sa charte, le Forum « est un lieu de rencontre et de convergence des mouvements sociaux […] afin de mettre au premier plan nos préoccupations concernant la justice sociale, le développement durable, la solidarité internationale et la démocratie participative[i]. »
Lors du Forum social de 2016, qui a eu lieu en août dernier à Montréal, des interprètes bénévoles se sont déplacé·e·s de nombreuses villes du Québec et du Canada pour faciliter les discussions dans les assemblées de convergence et sur les diverses plateformes d’interactions. Il s’agissait d’un Forum du Nord, sans aucun doute, et les rapports de domination qui émanaient du pays d’accueil se faisaient sentir. C’était la première fois que le Forum avait lieu dans un pays nord-américain. Le dernier s’était déroulé en Tunisie et, à d’autres occasions auparavant, à Mumbai, à Karachi, à Bamako ainsi que dans plusieurs autres villes du « tiers monde ». Quoi qu’il en soit, parce que le Canada est un État avantagé par le système mondial actuel, la responsabilité des hôtes du Forum était d’autant plus grande, car au sein de notre société sévit encore un colonialisme interne et au Québec, une lutte entre deux colonialismes internes, que nous expliquerons ultérieurement. Quoi qu’il en soit, pour les privilégié·e·s qui ont pu être sur les lieux, les interactions entre collectifs, mouvements et organisations ne se sont pas toujours faites sans rapport de force. Le Forum a eu lieu, même si des milliers de participant·e·s n’ont pas eu de visa pour, selon le gouvernement canadien, « certains voyages antérieurs, une situation financière inadéquate ou un doute sur les intentions des militant[·e·]s de retourner dans leur pays après le Forum [ii]». En d’autres mots, on pourrait parler, si on lisait entre les lignes, d’« enjeux de sécurité ».
La traduction : panacée à l’eurocentrisme
Dans cette ère de la « sécurité » qui sert de prétexte à des assassinats, à la torture et aux interventions militaires à outrance, au Forum, un grand nombre de militant·e·s du monde musulman semblaient avoir adopté une vision des plus eurocentristes de la justice sociale, c’est-à-dire qu’elles et ils rejetaient, non sans un certain mépris semble-t-il, leur culture arabe et musulmane. Le rejet de la religion est un choix tout à fait personnel et compréhensible dans une société comme, par exemple, la Tunisie, déchirée entre une « modernité » occidentale de façade qui avait imposé le régime de Ben Ali et une jeunesse en quête d’identité qui a constitué, malheureusement, une importante force volontaire de l’organisation État islamique, autre extrême non moins aliénant. Cependant, embrasser la culture occidentale ne peut être que tomber dans un autre panneau, puisque cela revient à se soumettre à une illusion comme une autre[iii]. Gilbert Rist mentionne : « C’est un effet de l’arrogance occidentale que de considérer la société moderne comme différente des autres, sous prétexte qu’elle serait sécularisée et rationnelle. Parce qu’il n’existe aucune société qui ne soit pas fondée sur des traditions et des croyances, rien n’indique que la société occidentale en soit dépourvue, même si celles-ci sont différentes de celles des autres sociétés[iv]. » La traduction est un travail qui empêche l’aliénation, qui permet à des militant⸱e⸱s de tous horizons culturels d’être sur la même longueur d’onde. Selon le sociologue brésilien Buoventura de Sousa Santos, la traduction vise « à clarifier ce qui unit et ce qui sépare les différents mouvements et leurs pratiques afin d’établir les possibilités et les limites d’articulation et d’agrégation entre eux. » Ce travail est également « crucial pour définir, dans chaque contexte concret et pour chaque moment historique, quelle constellation de pratiques subalternes va générer le plus fort potentiel contre-hégémonique[v]. »
L’hégémonie de la laïcité
Malheureusement, l’hégémonie culturelle de notre propre pays tend parfois à s’imposer comme un modèle. Encore une fois, une responsabilité d’autant plus grande pèse donc sur nos épaules. Enfin, la laïcité comme neutralité de l’État, de la société et de ses institutions par rapport aux croyances religieuses est une prise de position qui mérite d’être défendue. Cependant, quand la société avec ses rapports de pouvoir fait de cette laïcité le sceau de sa supériorité, mariant possiblement condescendance et xénophobie, cela donne des résultats comme ceux dont nous avons été témoins lors des débats entourant la charte des valeurs québécoises. Pauline Marois, chef du Parti québécois à l’époque, avait fait de la religion un épouvantail qui servait à des fins de propagande pour gagner des élections et s’accrocher au pouvoir. D’une révolte contre l’église lors de la Révolution tranquille, elle a tenté de construire un nouvel instrument d’oppression. En fait, l’Islam et la laïcité ont tous deux constitué, dans différents contextes, deux idéologies motivant la répression. Nous avons mentionné la Tunisie plus haut, mais nous pourrions parler de la Turquie d’Atatürk (oppression au nom de la laïcité) et du gouvernement actuel en Arabie saoudite (oppression au nom de l’Islam). Dans le cas du Québec de Pauline Marois, la mobilisation du peuple sur des bases islamophobes a heureusement échoué.
Il faut se rendre à l’évidence qu’adopter une position fermement antireligieuse brime nombre de personnes dans leur identité au même titre que l’homophobie et le racisme. Un athéisme agressif a d’ailleurs été la cause des échecs des premiers mouvements communistes iraquiens au début du XXe siècle [vi]. Le même phénomène s’est également produit quelques décennies plus tard en Afghanistan[vii]. Il ne faut pas confondre le discours pseudo-religieux d’une élite qui cherche à légitimer sa domination et l’Islam, une vision du monde partagée par près d’un milliard et demi de personnes. Malheureusement, nombre de celles et ceux qui sont nés dans l’Islam sont elles-mêmes et eux-mêmes en proie à cette confusion. C’est le cas du militant kurde Zaher Baher, qui manifeste pourtant son soutien au gouvernement progressiste du Kurdistan syrien qui reconnaît, dans sa charte, toutes les croyances. En effet, Baher parle de lutter contre l’Islam qui serait, selon lui, la source de tous les problèmes, tenant un discours proche de celui des néofascistes, comme le Front national en France et son homologue québécois[viii], ou encore comme La meute, groupe d’extrême-droite lancé sur Facebook par un vétéran de l’armée canadienne[ix]. Il est très inquiétant d’entendre ce discours chez un anarchiste[x]. Le philosophe anarchiste Murray Bookchin, qui a inspiré les militants kurdes, avait pourtant bien expliqué que ce sont les rapports de pouvoir qui posent problème[xi]. Enfin, tout cela est dû à un affreux manque de communication causé par une perméabilité de différentes visions du monde qui s’affrontent. La solution à ce problème antédiluvien se trouve en partie dans le Forum social mondial et dans « le travail de traduction »[xii], comme le mentionne Boaventura de Sousa Santos. Enfin, les évènements récents à Québec qui ont mené aux décès de six personnes aux mains d’Alexandre Bissonnette en janvier dernier sont d’ailleurs tout autant le symptôme de ce manque de communication et d’un trouble identitaire criant.
La traduction, souvent vue par les gens qui s’en servent comme un simple travail de transfert d’une langue à l’autre, un labeur de pure méthodologie, est en fait au cœur de la résistance au néolibéralisme et de l’impérialisme culturel. La traduction est bien plus qu’un simple service marchandable. En dépit de cela, les traducteurs et les traductrices se trouvent le plus souvent bien au bas de la hiérarchie dans la bureaucratie de l’État et au sein des entreprises privées. Les traducteurs et les traductrices sont des intellectuel·le·s qui doivent avoir conscience de leur responsabilité pour ne pas tomber dans la servitude ou dans la fatuité. Dans le cadre de la convergence nécessaire qui est tentée au Forum social mondial, la traduction est essentielle, non seulement sur le plan linguistique mais également d’un point de vue culturel, pour éviter que le forum soit, comme plusieurs en ont fait part, un forum du Nord, qui révélerait, derrière une façade de coopération internationale, l’impérialisme culturel, l’eurocentrisme et le paternalisme des pays plus favorisés. Maria Timoczko, professeure de littérature comparée à l’Université du Massachussetts à Amherst, a souligné l’importance d’étendre la traduction de tous les horizons culturels vers tous les horizons. Dans le même ordre d’idées, les personnes qui s’adonnent à la traduction ne peuvent rester passives, mais doivent être des acteurs et actrices à part entière de la résistance et ce, même si elles et ils sont moins souvent au-devant des barricades[xiii]. D’ailleurs, le professeur Santos affirme : « La traduction n’est pas une simple technique. Même ses composants purement techniques et la façon dont ils sont utilisés au cours du processus de traduction doivent être l’objet de délibération démocratique. La traduction est un travail dialogique et politique. Elle comporte aussi une dimension émotionnelle, parce qu’elle présuppose à la fois une attitude non conformiste à l’égard des limites de son propre savoir et de ses pratiques et un désir d’apprendre et d’être surpris par les savoirs et les pratiques des autres. »[xiv] Il s’agit donc non seulement de se solidariser et de se concerter sur ce qui mérite d’être traduit plutôt que de se soumettre aux diktats du marché de la traduction, mais également, dans la traduction, de mettre en œuvre un processus de conscientisation, d’adopter une approche sourcière pour toujours élargir les horizons du lecteur. Antoine Berman, linguiste, traducteur, philosophe et écrivain français, qualifie d’ « approche sourcière » ou « exotisation » l’opposé de l’approche ethnocentriste, qui cherche à conformer un texte étranger à la culture de la langue d’arrivée[xv]. Dans les ouvrages collectifs dirigés par Tymoczko, notamment Translation and Power, Translation, Resistence, Activism et Enlarging Translation, Empowering Translators, les contributeurs et contributrices abordent une variété de sujets en lien avec la traduction et son aspect politique, que ce soit en Amérique latine dans le cadre des luttes indigènes, à Hawaii pour la survie d’une culture colonisée par les États-Unis, dans l’ancienne Union soviétique chez l’intelligentsia, en Afrique francophone dans les luttes postcoloniales et même en Europe.
Double colonialisme : la traduction au Québec et au Canada
Enfin, ne pas parler du rôle de la traduction au sein de l’appareil politique canadien constituerait une omission significative. D’une part, même si le Bureau de la traduction a vu le jour en 1934, le bilinguisme n’est réellement devenu effectif qu’en réaction aux crises politiques qui se sont manifestées au Québec dans les années 1960 et 1970, avec la Loi sur les langues officielles de 1969; d’autre part, ce bilinguisme fait désormais partie intégrante de l’idéologie canadienne, qui assure une certaine cohésion de l’identité nationale. Grâce à la traduction, l’État parle au sujet canadien-français dans sa propre langue. Il institutionnalise les contradictions qui avaient été la cause de ces crises et légitime ainsi son hégémonie, qui se manifeste sous la forme d’un colonialisme interne. Cela fait écho à toute l’analyse de la traduction au Québec faite par Annie Brisset, professeure de traductologie à l’Université d’Ottawa[xvi]. Cette dernière a analysé la traduction théâtrale au Québec, qui fut d’abord faite en France puis rapatriée dans la Belle province dans les années 1970 pour que le théâtre « parle enfin québécois ». Cette traduction s’est toutefois avérée ethnocentrique et isolationniste. Malheureusement, même si une partie de la mouvance souverainiste appartenait à la gauche, il semble que le nationalisme québécois ait plutôt engendré une nouvelle élite locale qui a remplacé l’ancienne. Bien que les membres du FLQ et Pierre Vallières, auteur de Nègres blancs d’Amérique, revendiquaient l’indépendance du Québec, ils le faisaient par anticolonialisme et par anti-impérialisme, s’inspirant des Black Panthers et du Front de libération nationale algérien pour donner forme à une sorte de Cuba du Nord. Par contre, les souverainistes qui se sont emparés du pouvoir étaient plutôt de droite, et leur nationalisme comportait d’emblée certains éléments xénophobes. Ce sont des gens appartenant à cette deuxième catégorie, et à d’autres, qui ont pris les rênes tant sur le plan politique qu’économique et qui ont remplacé l’ancienne élite plus strictement anglo-saxonne, devenant ainsi une deuxième puissance coloniale interne. Néanmoins, un peu plus de 40 ans après l’instauration du bilinguisme et l’émergence d’une élite francophone, faits historiques importants pour la traduction au Canada, le gouvernement fédéral, sous les pressions de la mondialisation et de la montée du néolibéralisme, privatise la traduction jadis effectuée par ses propres institutions. Le Bureau de la traduction traduit de moins en moins de documents gouvernementaux. En une seule décennie, le Bureau, qui employait déjà près de 2 000 traducteurs et traductrices, a vu ses effectifs diminués presque de moitié. Le Canada fait traduire de plus en plus de documents par des traducteurs et traductrices externes qui travaillent pour des entreprises privées, des « usines à traduction » au prix les plus bas, aux dépens de la qualité. Par la même occasion, le Canada voit sa souveraineté érodée. L’identité, l’idéologie canadienne et la citoyenneté qui en découle se voient compromises[xvii]. C’est d’ailleurs pourquoi un groupe de professeur·e·s de l’Université d’Ottawa, de l’Université du Québec en Outaouais et de l’Université de Montréal, entre autres, cherchent à abolir le Bureau pour en faire un Secrétariat général de la traduction qui serait chapeauté par Patrimoine Canada plutôt que par le ministère des Services publics et de l’approvisionnement[xviii], ceci afin de souligner l’importance politique et identitaire de la traduction, qui ne devrait pas être traitée de la même manière que le papier de toilette, les assiettes en carton, les chaises et autres fournitures de bureau. Enfin, serait-il possible qu’il appartienne maintenant aux mouvements sociaux de prendre en main la traduction et leur identité, et par le même fait, leur propre citoyenneté ? Nous entendons par cela une traduction qui s’insérerait dans une économie sociale plutôt que dans une dynamique institutionnelle. Nous avons présenté la question à madame Chantal Gagnon, professeure de traduction à l’Université de Montréal. Selon elle, bien qu’il pourrait y avoir une place pour ce type de traduction, elle ne pourrait remplacer les traductions institutionnelles canadiennes, qui sous-tendent une idéologie que madame Gagnon définit comme « un ensemble de valeurs
associées à un individu, à un groupe d’individus ou à une institution ». Aussi, au Québec, la traduction institutionnelle est « une reconnaissance du poids politique de la communauté linguistique minoritaire ». Enfin, pour notre part, il semble que remettre en question la traduction institutionnelle, qu’elle soit canadienne ou québécoise, s’avère être une forme de résistance. Enfin, madame Gagnon a affirmé lors de notre entretien que la traduction engagée peut empêcher l’aliénation comme elle peut l’engendrer. Comme traducteurs et traductrices, il faudrait donc prendre les devants.
L’expérience de traduction au Forum
Ainsi, les interprètes au Forum se trouvaient exclu·e·s des cercles militants, dans des cabines insonorisées équipées de microphones et de casques d’écoute à l’arrière des locaux, comme cela est d’usage dans les conférences internationales et à l’ONU. Même si cela a été fait avec les meilleures intentions, c’est-à-dire pour faciliter le travail des interprètes, il reste que l’interprète n’était que prestataire d’un service. Cela ne tenait pas compte de la traduction « engagée » et de la définition que lui prête Santos, car on n’incite pas l’interprète, en raison de son isolement, à adopter cette « attitude non conformiste à l’égard des limites de son propre savoir et de ses pratiques et un désir d’apprendre et d’être surpris par les savoirs et les pratiques des autres » que prône Santos. C’est en ce sens que la traduction se faisait sous un plan hiérarchique. De plus, peu de langues étaient au rendez-vous : le français, l’anglais et l’espagnol. Étant donné les visées altermondialistes du Forum, limiter les langues de traduction à celles des principales puissances coloniales minait la portée des dialogues. Le fait que tous les échanges réalisés en territoire mohawk non cédé, c’est-à-dire sur l’île de Montréal, l’aient été dans les trois langues de trois des empires qui ont pillé l’Amérique ne rendait pas justice à la grandeur des aspirations du public. L’autogestion aurait permis de faire de la traduction engagée, militante et conscientisante, ce qui aura été plus difficile à réaliser dans une cabine. Cette même autogestion aurait donné lieu à des traductions horizontales (alors que le modèle en place était plutôt vertical), qui auraient pu se faire plus spontanément, par les participant·e·s, dans toutes les langues. Sur le plan purement technique, le système de microphones, de casques d’écoute et de cabines rendait difficile la spontanéité et limitait le nombre de langues. Il est déplorable que les limites d’une technologie donnée constituent des limites aux dialogues. La traduction ne devrait pas être tenue en otage par ces réalités techniques. L’interprétation et la traduction existent depuis des millénaires et si la technologie handicape le dialogue interculturel, elle devient inutile. Plusieurs militant⸱e⸱s et intellectuel⸱le⸱s, comme Latouche, Rist et l’anarchiste Bookchin, avancent de nos jours l’idée de la décroissance comme véritable solution aux problèmes de la société actuelle. La décroissance implique de se désengager d’un mode de vie axé strictement sur la surproduction et la surconsommation et de retourner à une manière de vivre plus simple, puisque nombre de technologies ont fait plus de mal que de bien et que beaucoup de gens n’ont même pas l’essentiel pour vivre.[xix] Par conséquent, toute la technologie fournie aux interprètes a peut-être contribué à déshumaniser la traduction.
Selon Santos, le Forum social mondial « comme phénomène politique » est une « nouveauté [qui] coexiste [avec] les traditions de la pensée contre-hégémonique, dans leurs versions occidentales ou non occidentales »[xx]. Cette idée que la résistance ou la « pensée contre-hégémonique » existe sous une infinité de formes, qui peuvent être aussi variées, différenciées et vastes que peut l’être la créativité humaine lorsque non entravée par l’hégémonie, est le catalyseur de tout un processus d’autocritique pour les traductrices et les traducteurs. Le Forum social doit être une plateforme qui permet l’épanouissement de cette inépuisable variété d’horizons de la résistance. Dans les mots de Santos lui-même : « La diversité qu’il accueille est libérée de la peur d’être cannibalisée par de faux universalismes ou de fausses stratégies uniques proposées par quelque théorie générale. » La traduction permet le dialogue au sein de la diversité tout en repoussant l’hégémonie de prétendues universalités occidentales, en l’occurrence celle du pays d’accueil, avec son idéologie dont nous avons fait état précédemment. Santos définit donc la traduction en ces mots : « La traduction est une procédure qui facilite l’intelligibilité mutuelle entre des expériences du monde […] sans compromettre leur identité et leur autonomie, ou pour le dire autrement, sans les réduire à des entités homogènes. »[xxi]
Pour une traduction de la convergence
La traduction est en fait un prérequis à la convergence qui rassemble toutes les visions du monde sous un même toit. Il ne s’agit pas d’estomper les différences, mais plutôt de s’assurer que l’éventail des visions du monde soient traduites les unes aux autres. La traductrice ou le traducteur adapte donc le propos autant sur le plan de la langue que celui des références culturelles, physiques, métaphysiques et même ontologiques. C’est sans aucun doute ce dont Santos parle quand il mentionne l’importance de délaisser la « différence geôlière » pour la « différence hospitalière » et ainsi célébrer la diversité comme « condition du partage et de la solidarité »[xxii].
Pour illustrer son propos, il donne l’exemple du concept très européen (et très phallocratique) des droits de l’Homme (d’ailleurs appelé par certains « droits de la personne » pour cette raison), qui n’est pas compris, reçu et accepté par toutes les cultures. Il les compare au concept de umma en Islam, « la communauté » et de dharma chez les hindouistes, qui signifie « l’harmonie entre les êtres humains et tout ce qui existe ». Ce sont là trois visions de la dignité humaine fort différentes. Santos critique tour à tour ces différents concepts. Pour lui, les droits « à l’occidentale » sont bien trop simplistes et se limitent à la dichotomie des droits et devoirs, négligeant ainsi totalement de prendre en considération la nature. Pour ce qui est du dharma, il lui prête un côté bien trop fataliste et une soumission à une harmonie supérieure qui néglige les libertés individuelles et les valeurs démocratiques. En ce qui a trait au concept de umma, il avance que ce dernier exagère l’importance des devoirs par rapport aux droits. Santos juge également que l’Islam pousse à fermer les yeux sur de nombreuses inégalités.
Afin d’amener la réflexion un peu plus loin, nous pourrions aussi comparer les différentes définitions de la liberté. Très grossièrement, en Occident, la liberté implique souvent de poursuivre ses désirs et, en Orient, de s’en libérer. Bien que pointer les fautes de chaque système et parler de leur incomplétude peut sembler quelque peu prétentieux, il reste que le propos illustre très bien l’importance de la traduction et la lumière que celle-ci peut jeter sur ces visions du monde en contexte de convergence. Nous n’irons pas jusqu’à dire que les cultures sont incomplètes et que cela est la raison d’être du dialogue interculturel. Cependant, nous ne voulons pas non plus sombrer dans un relativisme absolu et enfin, un solipsisme qui rendrait toute communication impossible. Le dialogue interculturel est essentiel, mais de parler de « complétude culturelle impossible » et d’« incomplétude » des cultures pourrait être encore bien trop près de l’universalisme chimérique de l’Occident. La traduction permet un dialogue entre ces visions du monde et ce, par-delà le transfert linguistique entre le français, l’anglais, l’arabe, l’hindi, l’espagnol, etc. Il est également important de rappeler que cette analyse est impossible à moins de se débarrasser du sentiment de supériorité de l’Occident dû, avec bien d’autres facteurs, au caractère soi-disant sécularisé de sa société.
Conclusion
Nous croyons que Deleuze et Guattari ont vu juste dans leur ouvrage Capitalisme et schizophrénie[xxiii], faisant écho à Antonin Artaud, dans Van Gogh, le suicidé de la société[xxiv]. Ces auteurs parlaient de notre société en disant qu’elle ne sort pas de sa maladie parce qu’elle n’a pas intérêt à le faire. Cette maladie serait en quelque sorte l’idéal libéral de notre société où chacune et chacun serait une « machine dévorante » sans cesse à la poursuite de ses désirs et qui ne se rendrait pas compte que, dans ce délire de surconsommation, elle court à sa perte. Même si les pensées religieuses sont souvent blâmées comme étant des perversions qui poussent les gens à agir aveuglément contre eux-mêmes, il reste que ce n’est certainement pas le phénomène religieux qui encourage cet « individualisme néolibéral »[xxv]. Il est donc nécessaire de transcender les visions du monde et les croyances occidentales et orientales du monde et, sans imposer de « faux universalismes », définir les enjeux communs et les traduire vers tous les horizons pour ne pas se pointer du doigt les uns les autres dans l’obscurité et ainsi attiser la flamme du discours néoconservateur et néolibéral.
Enfin, les propos synthétisés plus haut s’appliquent non seulement à l’aspect plutôt théorique du Forum social mais également à son organisation pratique. Ce travail de réflexion n’aurait toutefois pas été possible sans un article théorique, comme celui de Santos, qui effectue un élargissement nécessaire du concept de traduction. Comme la professeure Maria Tymoczko en fait état dans ses ouvrages, il y a une corrélation entre cet élargissement de la définition de la traduction et l’émancipation des traducteurs et des traductrices. On pourrait aller plus loin et parler de démocratisation de la traduction, qui n’appartiendrait plus à une classe professionnelle (en risque d’être prolétarisée) servile aux entreprises privées, au capital et aux institutions de l’État. La traductrice ou le traducteur deviendrait alors une actrice ou un acteur de changement politique. Par le fait même, un plus grand nombre de personnes de tous les horizons pourraient participer au processus de traduction. On pourrait alors parler d’un passage d’une économie politique de la traduction vers une économie sociale de traduction autogérée et autonome, politiquement et économiquement.
CRÉDIT PHOTO : Revenu de base
[i] Assemblée ouverte du Forum social mondial. (2015). Charte constitutive du Forum Social Mondial à Montréal en 2016. Montréal. Récupéré sur https://fsm2016.org/wp-content/uploads/2015/11/Charte-du-FSM-2016.pdf
[ii] France-Presse, A. (2016, août 5). Le Canada refuse des visas à plus de 200 participants au Forum social mondial. Récupéré sur LaPresse : http://www.lapresse.ca/actualites/201608/05/01-5007752-le-canada-refuse-…
[iii]Gruda, A. (2013, mai 7). Le bras de fer tunisien : entre laïcité et intégrisme. Récupéré sur La Presse : http://www.lapresse.ca/international/dossiers/la-montee-des-salafistes/2…
Jomier, A. (2011, avril 12). Laïcité et féminisme d’État : le trompe-l’œil tunisien. Récupéré sur La vie des idées : http://www.laviedesidees.fr/Laicite-et-feminisme-d-Etat-le.html
[iv] Rist, G. (2007). Le développement : Histoire d’une croyance occidentale. Paris : Presses de sciences Po (P.F.N.S.P.).
[v] Santos, B. d. (2010). L’avenir du Forum social mondial : le travail de traduction. Mouvements, 20-31.
[vi] Salucci, I. (2005). A People’s History of Iraq: The Iraqi Communist Party, Workers’ Movements and the Left 1924–2004. Chicago: Haymarket Books
[vii] Linschoten, A. S. (2014). An enemy we created: The Myth of The Taliban-Al-Qaeda Merger in Afghanistan. Oxford University Press.
Cooley, J. (2002). Unholy Wars: Afghanistan, America and International Terrorism. Pluto Press: New York.
[viii] Croteau, M. (2016, octobre 28). Le Front national du Québec prend forme. Récupéré sur La Presse : http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201610/…
[ix] Rémillard, D. (2015, décembre 28). La Meute, un groupe contre « l’invasion de l’islam ». Récupéré sur La Presse : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201512/28/01-4935114…
[x] Baher, Z. (2015). The Experiment of West Kurdistan: Feminism, Anti-Sectarianism, and Collectivism in the Syrian Revolution. Chico, California: AK Press.
[xi] Bookchin, M. (1971). Post-Scarcity Anarchism. Montreal and Buffalo: Black Rose Books .
Bookchin, M. (1982). The Ecology of Freedom: The Emergence and Dissolution of Hierarch. Palo Alto : Cheshire Books .
Bookchin, M. (1987). The Rise of Urbanization and the Decline of Citizenship. San Francisco: Sierra Club.
Bookchin, M. (1995). From Urbanization to Cities : Towards a New Politics of Citizenship. London: Cassall.
Bookchin, M. (1995). Social Anarchism or Lifestyle Anarchism: An Unbridgeable Chasm. Edinburgh and San Francisco: AK Press .
[xii] Ibid no 6
[xiii] Tymoczko, M. (2007). Enlarging Translation, Empowering Translators. Manchester, UK : St. Jerome Publishing.
Tymoczko, M. (2010). Translation, Resistence, Activism. Amherst and Boston: University of Massachusets Press.
Tymoczko, M., & Gentzler, E. (2002). Translation and power. Amherst and Boston: University of Massachusetts Press.
[xiv] Ibid no 6
[xv] Berman, A. (1984). L’épreuve de l’étranger. Paris : Gallimard.
[xvi] Brisset, A. (1990). Sociocritique de la traduction : Théâtre et altérité au Québec (1968-1988). Longueil : Le Préambule.
[xvii] Doiron, J.-M. (2016, janvier 25). Bureau de la traduction : la SANB sonne l’alarme. Récupéré sur Acadie Nouvelle: http://www.acadienouvelle.com/actualites/2016/01/25/bureau-de-la-traduct…
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Vachet, B. (2016, octobre 17). Bureau de la traduction: la réponse du gouvernement jugée décevante. Récupéré sur #ONFR TFO: http://www5.tfo.org/onfr/bureau-de-la-traduction-la-reponse-du-gouvernem…
[xviii] Gaboury, P. (2016, mai 10). Remplacer l’actuel Bureau de la traduction. Récupéré sur http://www.lapresse.ca/le-droit/politique/fonction-publique/201605/10/01…
[xix] Rist, G. (2007). Le développement : Histoire d’une croyance occidentale. Paris : Presses de sciences Po (P.F.N.S.P.).
Latouche, S. (novembre 2003). Pour une société de décroissance. Le Monde Diplomatique, 18-19. Récupéré sur https://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/LATOUCHE/10651
[xx] Ibid no 6
[xxi] Ibid no 6
[xxii] Ibid no 6
[xxiii] Deleuze, G., & Guattari, F. (1972). Capitalisme et schizophrénie. Paris : Éditions de minuit.
[xxiv] Artaud, A. (1990). Van Gogh, le suicidé de la société. Paris : Gallimard.
[xxv] Charbonneau, J. (1998). Lien social et communauté locale : quelques questions préalables. Lien social et Politiques, 115-126.