par Manon Beauchemin | Oct 22, 2024 | Analyses, Canada
Les jeux de hasard et d’argent soulèvent de nombreuses préoccupations de santé publique au Québec. Sans conséquence pour certains, ils peuvent engendrer une dépendance pour d’autres et avoir des conséquences graves dans leur vie.
Loto-Québec fête cette année ses 55 ans. Sur son site internet, la société d’État indique que sa mission est de « gérer l’offre de jeux de hasard et d’argent de façon efficiente et responsable en favorisant l’ordre, la mesure et l’intérêt de la collectivité québécoise »[1]. Pourtant, de nombreux Québécois et de nombreuses Québécoises se retrouvent avec un problème de dépendance aux jeux de hasard et d’argent, ce qui peut avoir un impact négatif dans leur vie et dans celle de leurs proches.
Une enquête de Katia Gagnon et William Leclerc parue dans La Presse en septembre 2018 porte sur les suicides liés à la dépendance aux jeux de hasard et d’argent. Selon cet article, nommé « Le jeu qui tue », en moyenne 18 joueurs pathologiques se sont enlevé la vie chaque année depuis 1995 au Québec[2]. La période entre 1999 et 2004 est la plus meurtrière avec 28 suicides par an. Elle coïncide avec les années où le nombre d’appareils de loterie vidéo était le plus élevé sur le territoire québécois. Le pic maximal a été atteint durant cette période, c’est-à-dire qu’entre 14 000 et 15 000 machines étaient disponibles dans les bars et casinos au cours de ces cinq années.
De plus, une étude de la Direction de la santé publique de Montréal (DSP) datant de 2016 a révélé que l’accessibilité semble plus grande dans des zones défavorisées sur le plan socio-économique, ce qui fait en sorte que les individus qui sont plus à risque de développer une dépendance aux jeux de hasard et d’argent se retrouvent dans un environnement plus susceptible de déclencher cette dépendance. Les conséquences engendrées par la dépendance aux jeux sont nombreuses : faillite, problèmes familiaux, abus de substances, dépression, anxiété, problèmes d’argent, suicides, etc.
Un accès facile
L’accès aux jeux de hasard et d’argent est facilité avec la place grandissante qu’occupent les technologies dans le quotidien de chacun. En 2024, rares sont ceux et celles qui ne disposent pas d’un téléphone intelligent. Selon l’étude annuelle NETendances de l’Académie de la transformation numérique de l’Université Laval, 84 % des adultes québécois avaient un téléphone intelligent en 2022 et 53 % des adultes québécois affirmaient passer trop de temps devant leurs écrans[3].
Non seulement ces appareils créent eux-mêmes une dépendance, mais ils mettent à la disposition des joueurs un moyen d’accéder facilement et en tout temps à des sites de jeux en ligne. De plus, un document disponible sur le site de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) appelé « Les préjudices liés aux jeux de hasard et d’argent en ligne : de l’identification à l’action de santé publique » révèle des faits alarmants[4].
Parmi les informations essentielles, on apprend qu’en 2018, le nombre de joueurs au Québec était estimé à 4,2 millions. De ce nombre, 2 % sont des individus avec des problèmes de jeux, mais pour les adeptes de jeux en ligne, les chiffres montent à 23 %. Les données font aussi état d’une croissance de 37,5 % des revenus d’Espace Jeux en 2017 et 2018, ce qui témoigne d’un essor dans l’adoption du jeu en ligne au Québec[5].
Les joueurs en ligne sont donc plus susceptibles de développer une dépendance au jeu, mais ils risquent également de dépenser des montants d’argent plus importants. « Les données de prévalence au Québec révélaient en 2012 que le jeu en ligne occasionne des dépenses sept fois plus importantes que les autres types de jeu […]. Le jeu en ligne ne constitue donc pas un divertissement inoffensif. »[6]
Les effets de la pandémie
Ce problème est devenu d’autant plus inquiétant lorsque la COVID‑19 a forcé la fermeture des casinos et des commerces et a isolé les citoyens chez eux. Christophe Miville-Deschênes, coordinateur clinique à la Maison L’Odyssée, a constaté l’effet désastreux qu’a eu la pandémie sur les personnes aux prises avec une dépendance au jeu. Le centre de traitement, fermé lors de la pandémie, a pu accueillir à nouveau des patients en 2022.
À ce moment, M. Miville-Deschênes a remarqué que certaines personnes qui ne jouaient pas avant la pandémie avaient commencé et que d’autres qui jouaient en personne au casino ou dans les bars s’étaient réfugiés sur les sites de jeux en ligne. Une personne, qui avait cessé de jouer pendant de nombreuses années, a aussi recommencé à jouer pendant la pandémie, dit-il.
Une enquête menée par Sylvia Kairouz de l’Université Concordia et Annie-Claude Savard de l’Université Laval montre que la pratique du jeu en ligne a triplé entre 2018 et 2020. L’étude, qui s’intéresse aux effets de la pandémie sur les habitudes de jeu des Québécois et des Québécoises, signale que peu de joueuses et de joueurs ont cessé leur pratique avec la fermeture des lieux de jeu, que certaines et certains ont migré vers les jeux en ligne et que de nouvelles joueuses et de nouveaux joueurs ont commencé à jouer en ligne[7].
Parmi les joueuses ou les joueurs continus (c’est-à-dire celles et ceux qui jouaient avant la pandémie et qui ont continué à le faire lors de celle-ci), 31 % ont déclaré avoir parié plus sur les jeux de hasard et d’argent comparativement à avant la COVID-19. Davantage de joueuses et de joueurs en ligne ont aussi déclaré avoir augmenté la fréquence à laquelle ils s’adonnent aux activités de jeux en ligne que de joueuses et de joueurs qui ont diminué leur fréquence de jeu en raison de la pandémie; les dépenses qui y sont associées et le temps passé à jouer sur ces plateformes sont aussi plus importants. Ces données semblent confirmer celles présentées dans le document de l’INSPQ.
L’étude mentionne également que celles et ceux qui ont avoué jouer davantage durant la pandémie ont affirmé que c’était parce qu’ils avaient plus de temps libre, qu’ils se sentaient seules ou seuls, ou encore qu’ils ne pouvaient pas acheter de billets de loterie en personne ou parce que le jeu les aidait à se détendre. Environ 20 % d’entre eux ont admis jouer plus en raison d’un besoin financier.
Une dépendance qui coûte cher
C’est d’ailleurs durant la pandémie de COVID-19 que la dépendance au jeu de David Fournier-Melançon s’est réellement développée. L’homme, qui avant pariait de petites sommes avec des amis pour le plaisir, a commencé à jouer sans s’imposer de limites. Avec le confinement, il passait inévitablement plus de temps chez lui et il s’ennuyait. Sa vie personnelle allait moins bien à ce moment aussi. Il a donc cherché un moyen de se divertir.
Ce qui le motivait était selon lui l’appât du gain. Il gagnait des petits montants et croyait qu’il allait gagner plus par la suite. De cette façon, il a misé près de 200 000 $ en un an sur Espace jeux, la plateforme de jeux en ligne de Loto-Québec. « En juillet 2022, j’avais dépensé le montant de mon prêt à 34 % et j’étais rendu à aller voir un shylock à 200 % d’intérêt. J’ai compris que j’avais un problème », admet-il. Lorsque sa conjointe l’a su, elle lui a posé un ultimatum : « tu vas en thérapie ou c’est fini! ». C’est à ce moment qu’il s’est rendu à la Maison L’Odyssée pour chercher de l’aide. Au moment de l’entrevue, à la fin de 2023, il fêtait une première année loin de sa dépendance au jeu.
De nombreux coûts sociaux sont associés à cette dépendance : les soins pour les problèmes de santé, les coûts juridiques et judiciaires, les coûts en service policiers et pénaux ainsi que des coûts liés au traitement qui sont utilisés pour la prévention et la recherche.
Mieux vaut prévenir
La société d’État, qui a le monopole sur les jeux de hasard et d’argent au Québec, engendre des profits astronomiques. En 2023, Loto-Québec a rapporté près de 3 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation significative de son revenu comparativement aux années précédentes[8]. Une partie de ces profits est redistribuée en tant que dividendes au gouvernement québécois. Au terme de son exercice 2023-2024, Loto-Québec a rapporté avoir remis 1,5 milliard de dollars à ce dernier, qu’il doit, de son côté, investir en prévention[9].
Pourtant, M. Fournier-Melançon déplore le manque de prévention liée à la dépendance aux jeux de hasard et d’argent. « Le jeu, ce n’est pas quelque chose dont on parle du tout et ce n’est pas quelque chose qui se voit, contrairement à l’alcool ou aux drogues », dit-il. Quant à l’avertissement qui apparaît sur le site de Loto-Québec après une heure de jeu, il croit qu’il n’est pas très utile. « On peut jouer tant qu’on le veut », lance-t-il. Il avoue que lorsque le message apparaissait, s’il avait une bonne journée avec des gains, il ne s’en préoccupait pas : « Il n’y a pas grand-chose qui t’empêche de jouer, à part t’exclure ».
Selon lui, les profits engendrés sont trop importants pour qu’une limite soit imposée : « En arrière de ça, il y a toujours un signe de dollar et personne ne va mettre de limitations tant que l’argent rentre ». M. Fournier-Melançon a pris les choses en main pour s’en sortir en s’excluant du site de Loto-Québec pour une période d’un an et en se tournant vers la Maison L’Odyssée pour de l’aide. Il croit qu’il est fondamental d’arriver en thérapie avec la bonne attitude et le désir de s’en sortir et il aimerait que ceux et celles qui souffrent de cette dépendance soient au courant de l’aide offerte. « Ce serait important que les gens sachent qu’il y a des ressources ». Pourtant, même si près de 41 % des joueurs en ligne disent connaître les services d’aide, seulement 2,4 % d’entre eux avouent les avoir utilisés.[10] Les maisons de traitements sont toutes indiquées pour aider ceux et celles qui souffrent de cette dépendance. La Maison l’Odyssée à Sainte-Marie et la Maison Jean Lapointe à Montréal offrent des traitements liés à la participation excessive aux jeux de hasard et d’argent. Info-Santé peut également offrir du soutien et informer les personnes qui le désirent sur les ressources disponibles.
La mission de la Maison L’Odyssée est de venir en aide aux personnes aux prises avec un problème de dépendance au jeu et de cyberdépendance. Elle offre des thérapies et du soutien à ceux et celles dans le besoin. La prévention est également au programme, puisque « le jeu est à portée de main », l’organisme communautaire s’assure donc de faire de la sensibilisation, entre autres, en informant sur les risques associés à ces dépendances[11]. De son côté, l’ancien joueur est sans équivoque : « ça a changé ma vie pour le mieux », lance-t-il, soulagé. Il travaille dorénavant pour la Maison L’Odyssée et tente d’aider les joueurs compulsifs dans le besoin.
[1] Loto-Québec, « Engagée pour la collectivité », 2023, Plan de responsabilité sociétale 2023-2028 de Loto-Québec (lotoquebec.com)
[2] Katia Gagnon et William Leclerc, « Le jeu qui tue », La Presse, 28 septembre 2018, Le jeu qui tue – La Presse+
[3] Université Laval, « Portrait numérique des foyers québécois », 2022, NETendances 2022 Portrait numérique des foyers québécois (ulaval.ca)
[4] Institut national de santé publique, Les préjudices liés aux jeux de hasard et d’argent en ligne : de l’identification à l’action de santé publique, 2018 « Les préjudices liés aux jeux de hasard et d’argent en ligne : de l’idenfication à l’action de santé publique (inspq.qc.ca) »
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Enquête Enhjeu.com, «Portrait des jeux de hasard et d’argent en ligne au Québec : regards sur une transformation amorcée en temps de pandémie», 15 mars 2023, « Microsoft Word – Rapport projet COVID-2023-03-14-FINAL.docx (concordia.ca)»
[8] Statista, «Loto-Québec : revenue 2023», 2023, Loto-Québec: revenue 2023 | Statista
[9] Frédéric Lacroix-Couture, «Loto-Québec a versé un dividende de 1,5 milliard au Trésor québécois», Le Devoir, 6 juin 2024, Loto-Québec a versé un dividende de 1,5 milliard au Trésor québécois | Le Devoir
[10] Op. Cit., note 7.
[11] Maison L’Odyssée, Maison L’Odyssée – Traitement du jeu et prévention à Sainte-Marie (maisonlodyssee.com)
par Manon Beauchemin | Sep 23, 2023 | Analyses, Societé
La haine de certains citoyens et de certaines citoyennes envers les journalistes a été mise en lumière de manière flagrante durant la pandémie. Ce phénomène répandu mérite une attention particulière puisqu’il peut avoir un impact négatif sur la démocratie que tentent de protéger les journalistes.
Le travail journalistique est essentiel dans une société démocratique saine. Les journalistes ont comme mandat de transmettre des informations essentielles à la population afin que les citoyennes et les citoyens soient au courant de certaines situations. Cependant, ce métier est loin de faire l’unanimité. Nombreux sont celles et ceux qui doutent des journalistes et qui les méprisent. Ce phénomène a été d’autant plus observé lors des dernières années avec la pandémie de COVID-19, période durant laquelle plusieurs journalistes se sont fait intimider, harceler ou même attaquer physiquement alors qu’elles et ils faisaient tout simplement leur travail.
Un sondage Ipsos mené entre le 27 septembre et le 13 octobre 2021 sur 1 093 journalistes et professionnel.le.s des médias confirme que 72% des répondant.e.s ont subi un type de harcèlement dans le cadre de leur travail au cours de l’année 2020. Le plus souvent, les professionnel.le.s des médias se font attaquer en ligne (65%). Une majorité d’entre eux (73%) affirme également que le harcèlement en ligne s’est accru au cours des deux dernières années qui ont précédé l’étude. Parmi les types de harcèlement subi, 33% sont attribués à des messages ou à des images vulgaires ou de nature sexuelle et 30% à des menaces d’agressions physiques. Sont aussi répertoriés des commentaires négatifs ciblant l’identité de genre, l’origine ethnique ou la nationalité, l’utilisation du nom ou de photos sans autorisation, les menaces de mort, la divulgation de renseignements confidentiels, la modification de photos personnelles, l’usurpation d’un compte de réseaux sociaux, les menaces profanées à l’encontre de la famille, le chantage, les menaces verbales, de viol ou d’agression sexuelle. À noter que les femmes subissent davantage tous les types de harcèlement.
Violence gratuite
Une grande partie des journalistes ont vécu au moins une forme de harcèlement et la pandémie de COVID-19 a certainement amplifié le mépris à leur endroit. L’auteure et journaliste Marie-Ève Martel avoue se trouver chanceuse puisque son travail en région l’a selon elle longtemps épargnée des comportements haineux. Par contre, en pleine pandémie de COVID-19, elle a remarqué que ses collègues journalistes étaient attaqué.e.s par une partie de la population. Elle a donc décidé d’écrire une chronique qu’elle a simplement nommée Ça suffit! pour dénoncer la situation et inciter les citoyens et les citoyennes à faire preuve de plus d’empathie envers les journalistes: « en réponse à cette chronique là, où j’invitais les gens à faire preuve de discernement et à ne pas insulter ou rudoyer les journalistes qui font simplement leur travail, j’ai reçu 2000 messages haineux et menaces de mort en 36 heures » admet Mme Martel.
Sur le compte Twitter de la journaliste, des messages haineux sont toujours visibles. Certains internautes profanent des insultes alors que d’autres insinuent que les journalistes l’ont bien cherché. Mme Martel a elle aussi dû porter plainte à la police lorsque son numéro de téléphone a été rendu public pour les mauvaises raisons: « j’ai porté plainte une fois pour doxxing, quelqu’un avait donné mon numéro de cellulaire pour que je me fasse harceler. J’ai porté plainte aussi pour menace de mort, je n’ai pas encore reçu de nouvelles du DPCP […] mais un dossier est ouvert à la Sûreté du Québec ». Elle voit tout de même une évolution par rapport au problème: « maintenant on dénonce! », dit-elle. Elle s’aperçoit en effet que ses collègues journalistes dénoncent davantage ce genre de situation: « il y a des arrestations et des comparutions au palais de justice maintenant pour des gens qui ont demandé aux journalistes de se suicider ou qui leur ont souhaité la mort », confit-elle, « les gens oublient que derrière un écran d’ordinateur il y a quand même des conséquences ».
Pour le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et journaliste judiciaire du Journal de Montréal Michael Nguyen, la haine envers les journalistes est une réalité qu’il côtoie quotidiennement autant comme journaliste que dans son rôle de président: « on peut remarquer depuis un certain temps, surtout depuis le début de la pandémie, qu’il y a comme une désinhibition des gens qui commencent à avoir l’impression que les réseaux sociaux sont une zone où ils peuvent faire ou dire ce qu’ils veulent et ils franchissent la limite du harcèlement assez rapidement ». Il a d’ailleurs lui-même vécu de la violence lorsqu’il a été attaqué physiquement alors qu’il couvrait un procès au Palais de Justice de Montréal: « je couvrais une histoire de contacts sexuels sur une mineure, la personne en sortant a décidé de m’attaquer devant tout le monde, une plainte a été faite et il a été arrêté, accusé et il a écopé d’une peine de prison par rapport à son geste ». Christophe Villeret a en effet dû répondre à des accusations de voies de fait, ce qui lui a valu 14 jours de détention. M. Nguyen encourage d’ailleurs les journalistes qui vivent de l’intimidation à dénoncer les fautifs aux autorités policières: « […] il faut envoyer le message que les crimes qui se passent en ligne sont des crimes réels et que les journalistes ne doivent pas craindre d’aller voir la police […] chaque plainte va être enquêtée de façon sérieuse ».
D’autres journalistes se sont fait attaquer en direct à la télévision. Yves Poirier, Félix Séguin et Raymond Filion de TVA nouvelles ont tous les trois couvert le convoi de la liberté à Ottawa en pleine pandémie de COVID-19 et se sont fait injurier et bousculer alors qu’ils étaient en ondes. Raymond Filion a d’ailleurs porté plainte pour voie de fait après qu’un manifestant l’ait violemment poussé par-derrière et qu’il se soit retrouvé sur le sol. Kariane Bourassa a quant à elle été enlacée devant des milliers de téléspectateurs par deux hommes présents à une manifestation anti-masque. La journaliste a ensuite officiellement porté plainte pour voie de fait dans un poste de police de Québec.
Au printemps 2021, en vue de la Journée mondiale de la liberté de la presse du 3 mai, La Presse a diffusé une série d’articles en lien avec les défis de la liberté de la presse. L’un d’eux intitulé « Je suis leur ennemi » avait pour but de faire la lumière sur ce que vivent des journalistes au quotidien. Pour celles et ceux qui ont participé à l’article, il est clair qu’une partie de la population est opposée à leur travail et les méprise totalement: « J’arrive sur le terrain, et je suis [vu comme] leur ennemi. Tout ce que je peux faire, c’est encaisser les insultes et essayer de faire mon travail le mieux possible », a confié Hadi Hassin, journaliste de Radio-Canada, à La Presse. Kariane Bourassa, elle, est revenue sur l’incident devenu viral impliquant deux manifestants anti-masques: « J’ai commencé à recevoir des messages sur Instagram qui me menaçaient, moi et ma famille. J’ai dû avoir un agent de sécurité 24 heures sur 24 devant chez moi pendant une semaine ».
La peur de l’inconnu
Plusieurs théories sont à envisager pour déterminer ce qui suscite autant de mépris envers les journalistes et les rendent plus susceptibles d’être importunés.l’une d’elles est sans doute la méconnaissance du métier. Selon Mme Martel, les citoyens et les citoyennes ont souvent une fausse perception du journalisme. Elle croit en effet que le public confond le journalisme d’opinion et le reportage factuel. Ces deux types de journalisme sont pourtant très différents puisque pour le premier l’objectivité n’est pas requise. Le journalisme d’opinion est pratiqué par un chroniqueur qui exprime son point de vue, ce qui est proscrit pour tous les autres genres journalistiques. Cette distinction importante n’est pas claire pour tou.te.s, ce qui fait en sorte que lorsque des journalistes s’expriment, certain.e.s croient parfois qu’il s’agit de l’opinion du journaliste ou du média qui l’embauche qui est énoncée et si celle-ci ne correspond pas à la leur, ces individus peuvent s’en prendre aux journalistes.
Pourtant, le travail des journalistes consiste à transmettre des faits au public de façon neutre afin que celui-ci développe sa propre opinion. De plus, peu de personnes sont familières avec les tâches effectuées par un ou une journaliste et connaissent le processus de vérification qu’elle ou qu’il doit effectuer avant de rendre les informations disponibles au public . Cette étape est cruciale puisque si l’information publiée est erronée, la ou le journaliste peut voir sa réputation être à jamais entachée et sa carrière peut en être fortement affectée. Si par erreur une mauvaise information est transmise à la population, celle-ci est corrigée le plus rapidement possible par la ou le journaliste ou le média en question.
Certain.e.s journalistes ont même comme unique tâche de vérifier l’information de manière systématique. Le « fact-checking » est un outil essentiel depuis l’arrivée d’internet et des fausses nouvelles qui y circulent. Ces journalistes doivent s’assurer que les renseignements qu’ils détiennent sont véridiques avant de les rendre disponibles au public.
Pour M. Nguyen, s’en prendre aux journalistes, c’est simplement « s’attaquer au messager ». Il déclare avec conviction que « les journalistes, comme tout le monde, ont le droit de faire leur travail sans être la cible de menaces ou d’attaques ».
Le côté sombre d’internet
Internet est devenu un outil indispensable pour une grande partie de la population mondiale qui l’utilise sur une base régulière pour travailler, se distraire ou s’informer. Les renseignements abondent sur le web, mais plusieurs informations qui y circulent ne sont pas véridiques. Les termes de désinformation, mésinformation et malinformation sont utilisés pour désigner de fausses informations présentes sur internet. Alors que la désinformation et la malinformation sont de faux renseignements consciemment transmis, le second a pour but de porter préjudice à autrui. La mésinformation quant à elle est une fausse information transmise par une personne qui la croit vraie. L’ensemble de ces fausses informations sont accessibles à tou.te.s sur le web et il peut s’avérer compliqué de distinguer le vrai du faux.
De plus, l’intelligence artificielle amène également des défis. Les hypertrucages mieux connus sous le nom « deepfakes » sont des techniques de synthèse multimédias qui reposent sur l’intelligence artificielle et qui modifient des enregistrements audios ou vidéos et des images. Elles permettent entre autres de répandre des canulars. La réalité est donc manipulable et peut tromper les internautes qui ne sont pas familiers et familières avec ces techniques. Selon Mme Martel, « il y a tellement de contenu fallacieux qui se propage sur internet que les gens ne savent plus faire la part des choses ». Ces éléments peuvent pousser les citoyens et les citoyennes à s’en prendre aux journalistes puisque ces derniers ont accès à une information contraire à ce qu’ils ont vu ou lu sur internet. Selon le sondage Ipsos, les accusations de « fausses nouvelles » constituent le principal facteur qui mène au harcèlement en ligne.
Les algorithmes présents sur les réseaux sociaux sont également à blâmer. Ces processus informatiques exploitent et influencent les comportements des internautes. Ils analysent leurs données et proposent un contenu ciblé et personnalisé de sorte qu’une personne qui s’intéresse à un contenu ne voit que ce genre de contenu sur la plateforme. En plus de permettre la prolifération de fausses informations, les algorithmes empêchent les internautes d’être confrontés à des opinions différentes des leurs, elles et ils sont donc constamment réconfortés dans leurs idéaux et finissent enfermés dans des « bulles de filtres ». Ces individus sont donc peu enclins à accepter une opinion différente émise par un ou une journaliste lors d’un reportage ou d’un article.
Les journalistes sont également des personnalités publiques puisque leur métier les expose au grand public. Leurs reportages vidéos sont diffusés à la télévision et sur internet et leur photo se retrouve dans les journaux, elles et ils sont donc facilement reconnaissables. Il est aussi possible de les contacter, ce qui est d’autant plus facile depuis l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux.
Ces méthodes de communications adaptées à l’ère numérique facilitent le harcèlement puisqu’il est beaucoup moins compliqué qu’autrefois de visionner du contenu ou de lire des articles pour ensuite y réagir au moyen des réseaux sociaux. Certains citoyens et certaines citoyennes se font un plaisir de laisser savoir aux journalistes ce qu’ils pensent de leur travail. Des commentaires peu élogieux apparaissent souvent dans la section des commentaires et plusieurs journalistes se font également insulter et harceler dans des messages privés.
Les réseaux sociaux sont aussi la principale source que les Québécois.es consultent pour s’informer sur l’actualité. M. Nguyen croit que cette habitude peut avoir des répercussions négatives: « […] c’est important de dire aux gens de diversifier leurs sources d’information et de ne pas se contenter d’aller sur les réseaux sociaux parce que ce n’est pas une information complète, il n’y a pas de travail éditorial derrière ça […] ».
Censurer les médias traditionnels
Après que Google et Meta aient menacé de cesser la diffusion de nouvelles sur leurs plateformes au Canada durant l’examen du projet de loi C-18, la maison mère de Facebook et Instagram, Meta, a récemment mis à exécution sa menace après l’adoption de celle-ci par le Sénat. L’objectif de cette loi est d’aider à préserver le journalisme canadien en forçant les plateformes numériques à négocier des ententes équitables pour le partage de leurs revenus avec les médias d’information. Les salles de rédaction ont actuellement du mal à rivaliser avec les géants du Web pour obtenir des revenus provenant de la publicité en ligne. Les changements concernant la fin des nouvelles sur les différentes plateformes devraient se produire avant l’application de la nouvelle loi qui doit entrer en vigueur d’ici la fin de l’année.
La FNCC-CSN, qui regroupe 6000 membres dans 80 syndicats œuvrant dans les communications, le journalisme et la culture, a dénoncé la situation dans un communiqué. Alors que Facebook s’était engagé à lutter contre la désinformation à l’époque en investissant dans certains médias canadiens, Meta a annoncé mettre fin à son entente de redevance avec la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i) et à un contrat avec la Presse Canadienne dans la foulée de l’adoption du projet de loi C-18. En entrevue avec La Presse, la présidente de la FNCC-CSN Annick Charette a avoué qu’en supprimant les ententes qu’ils avaient avec les médias canadiens, Meta montre que leur intérêt pour l’information vérifiée n’était pas sincère: « ils viennent de réduire l’espace des réseaux sociaux au Canada à la portion congrue de la désinformation et de toutes les fausses nouvelles », admet-elle.
Des impacts sur la qualité de l’information en ligne seront alors bien perceptibles puisqu’en retirant les nouvelles des médias traditionnels qui vérifient les informations avant leur publication, les gros noms du Web laissent plus de place aux fausses informations de circuler.
Des impacts réels
Selon les journalistes Marie-Ève Martel et Michael Nguyen, la haine que subissent les professionnel.le.s des médias a un réel impact sur leur santé mentale et peut constituer un enjeu sérieux pour la démocratie. Selon M. Nguyen, « des journalistes qui se spécialisent dans la désinformation sont victimes de tant de harcèlement qu’ils se mettent à hésiter ». Mme Martel confirme les dires de son collègue: « la vague de haine peut faire en sorte que certain[.e.]s journalistes vont se censurer ou cesser de couvrir des sujets parce qu’ils [et elles] ne veulent pas être la cible de menaces ou d’attaques physiques […] » . C’est effectivement ce que semble confirmer le sondage Ipsos qui indique que 26% des professionnel.le.s des médias évitent de couvrir certains sujets. Les journalistes sont connu.e.s comme étant les « chiens de garde de la démocratie ». e fait que certain.e.s d’entre elles et eux évitent de couvrir certains sujets plus controversés peut donc avoir de réelles conséquences pour la démocratie: « plus il y a une méfiance à l’endroit des journalistes, plus la démocratie risque de mal se porter », conclut Mme Martel.
Les répercussions sur la santé mentale des journalistes sont elles aussi significatives. Selon le même sondage Ipsos, le tiers des répondant.e.s affirment avoir envisagé de quitter le métier. Malgré cela, 46% avouent ne pas avoir signalé le harcèlement. Les raisons sont simples: 74% ne croyaient pas que l’incident était assez sérieux pour le signaler et 36% ne croyaient pas que quelque chose serait fait s’il avait été signalé. Après avoir vécu du harcèlement, une majorité de 64% des professionnel.le.s de la communication n’a pas consulté de ressources. Selon leurs propres mots, cette expérience a tout de même eu une incidence sur leur confiance en eux et en elles ainsi que sur leur capacité à travailler adéquatement et à se concentrer. Certain.e.s d’entre elles et eux avouent aussi ressentir de l’anxiété alors que d’autres admettent avoir quitté le métier ou même leur lieu de résidence par la suite.
Des solutions souhaitées
En septembre 2022 le milieu de l’information s’est mobilisé en envoyant une lettre ouverte au premier ministre Justin Trudeau afin de dénoncer ce qu’il a qualifié de « problème croissant et alarmant de la haine et du harcèlement en ligne qui visent les journalistes et le journalisme en tant que profession ». À ce moment, M. Nguyen a fait valoir à La Presse Canadienne que « la liberté d’expression n’est pas absolue: elle ne permet pas de menacer, de harceler […] ». Il croit cependant que malgré les ressources disponibles, les réseaux sociaux ne souhaitent pas s’impliquer puisque les réactions vives créent des interactions qui leur rapportent beaucoup d’argent: « la haine est excessivement payante […] » admet-il.
M Nguyen croit néanmoins que des moyens doivent être pris pour contrer ce fléau: « il faut faire quelque chose et si les réseaux sociaux ne veulent rien faire, le fédéral pourrait faire passer des lois ». Il croit fermement qu’il est nécessaire que le gouvernement fédéral prenne les choses en main: « ce sont les seuls qui ont les moyens de faire quelque chose de concret, qui va avoir un effet efficace, rapide et durable, et c’est peut-être le temps qu’ils fassent quelque chose […] le gros bout du bâton, c’est le fédéral qu’il l’a ».
Faire sa part
En attendant que des mesures concrètes soient prises, des solutions peuvent être mises en place pour rétablir le lien de confiance entre les journalistes et la population. Une initiative visant à expliquer le métier de journaliste a d’ailleurs été entreprise par la journaliste de la chaîne de télévision France 3 Barbara Gorrand qui donne des ateliers pédagogiques sur les médias dans des écoles. Les élèves sont entre autres amenés à écrire un article. Mme Gorand a affirmé en entrevue à Radio-Canada que l’exercice leur permet d’apprendre les bases du journalisme et de repérer les fausses informations: « ça leur permet de comprendre que, pour avoir une réponse à une question très précise, il faut s’adresser à des personnes qui connaissent le sujet ». Elle croit également que l’exercice leur fait prendre conscience des difficultés rencontrées par les journalistes. Elle tient cependant à souligner que l’éducation aux médias ne se limite pas aux plus jeunes puisque les personnes de 55 ans et plus sont celles qui partagent le plus de fausses nouvelles sur Facebook.
Éduquer la population au métier de journaliste est également ce que propose Mme Martel: « comme société, on a un rôle à faire pour éduquer la population au rôle des médias, à notre travail, pour qu’il soit bien compris parce que c’est un outil essentiel dans une société démocratique en santé ».
par Manon Beauchemin | Juin 6, 2023 | Opinions, Québec
Le prix des loyers augmente au Québec. Le Tribunal administratif du logement (TAL) prévoit une augmentation de 2,3 % pour 2023, mais de nombreux propriétaires demandent une somme supérieure à ce taux. Néanmoins, une solution s’offre aux locataires qui jugent leur augmentation de loyer abusive.
Chaque année, la période de renouvellement de bail coïncide avec celle des augmentations du prix des loyers. Dans son calcul de l’ajustement des loyers annuels, le Tribunal administratif du logement (TAL) suggère pour 2023 une augmentation de 2,3 % pour les loyers non chauffés. Ce taux monte à 2,9 % pour tenir compte de l’augmentation des taxes municipales de 5 %. Les logements chauffés, eux, peuvent subir des hausses de 2,8 % pour un système de chauffage électrique, 4,5 % pour un chauffage au gaz ou 7,3 % pour le mazout. Il s’agit d’une augmentation de 56 % par rapport au taux suggéré en 2022, ce qui représente la hausse la plus élevée des dix dernières années.
En tenant compte du prix moyen des loyers pour l’île de Montréal, une hausse de 2,3 % pour un 3 ½ dont le prix moyen est de 1 490 $ équivaut à une augmentation de 34,27 $. Le prix du loyer est donc reconduit à 1 524,27 $. Le ou la locataire d’un 4 ½ qui coûte normalement 1 873 $ doit débourser 1 916 $ à la suite de l’augmentation de son loyer. Pour un 5 ½ de 2 200 $, le prix atteint 2 250,60 $.
Une suggestion souvent ignorée
Malgré les recommandations annuelles du TAL, nombreux·euses sont les propriétaires qui exigent de leurs locataires des sommes plus élevées que le taux proposé par le TAL. Pour les locataires, les dollars de plus qu’ils doivent débourser chaque mois peuvent représenter une somme colossale. Ces dernier·ère·s, s’ils jugent subir une augmentation de loyer non raisonnable, peuvent contester. Ils doivent répondre par écrit au ou à la propriétaire dans un délai d’un mois suivant la réception de l’avis de modification du bail remis par celui-ci. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur une augmentation de loyer, le ou la propriétaire peut s’adresser au tribunal afin de faire fixer le prix du loyer. Cette démarche peut prendre jusqu’à dix mois. Le bail sera renouvelé sans modifications en attendant la décision. Le TAL devra analyser les renseignements inscrites au formulaire transmis par le ou la propriétaire afin de fixer le prix du loyer. Les renseignements nécessaires concernent les revenus provenant de l’exploitation de l’immeuble ainsi que les dépenses applicables à la période de référence, soit ceux de l’année précédente.
Il est important de souligner que des exceptions existent. Le tribunal ne peut intervenir pour fixer le loyer ou pour modifier d’autres conditions du bail lorsque le logement est situé dans une coopérative d’habitations, lorsqu’il s’agit d’un immeuble construit depuis cinq ans ou moins ou dont l’utilisation à des fins résidentielles résulte d’un changement d’affectation depuis cinq ans ou moins.
Privilégier la négociation
Le TAL priorise tout de même la négociation entre les propriétaires et les locataires pour arriver à un arrangement. Pour ce faire, un outil de calcul est mis à leur disposition sur leur site internet. Il permet d’établir l’ajustement du loyer en tenant compte de la variation des taxes municipales et scolaires, des assurances, des améliorations majeures, ainsi que de l’ensemble des coûts d’exploitation de l’immeuble. Le ou la locateur·trice indique les données pertinentes à son immeuble puis soumet les résultats à son ou sa locataire dans le but de parvenir à une entente sur l’augmentation du loyer.
Cependant, selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), la grille de calcul est surtout utile aux propriétaires : les locataires ne disposent normalement pas de toutes les données qui justifieraient une hausse, comme le coût des rénovations. Ielles peuvent demander à leurs propriétaires de fournir les données liées aux augmentations, mais il ne peut pas les exiger, à moins de faire appel au TAL pour la fixation de son loyer. De plus, l’outil du TAL ne sert qu’à proposer un montant équitable aux deux parties puisqu’il n’existe aucune limite concernant la hausse du prix des loyers. Si les locataires ne contestent pas, les propriétaires peuvent percevoir le montant qu’il désire.
Les locataires hésitent aussi souvent à contester leur hausse de loyer de peur de voir leur nom inscrit dans les dossiers du TAL. Ielles craignent que cela leur cause un préjudice s’ielles devaient chercher un autre logement, et ce, même si le tribunal leur a donné raison. Les recherches pour les cas de contestation sont beaucoup plus faciles depuis 2009 avec la mise en ligne des dossiers et la publication des noms accessibles à tous·tes. Même si l’Association des propriétaires du Québec (APQ) assure que les jugements de fixation de loyers ne devraient pas avoir d’incidence sur le choix d’un·e locataire, le RCLALQ juge que les craintes des locataires sont bien réelles.
Des tactiques douteuses
Les propriétaires utilisent également plusieurs tactiques pour que leurs locataires quittent leur logement. Ils espèrent ainsi augmenter drastiquement le prix du loyer. Puisqu’il est très ardu de se départir d’un bon locataire, plusieurs techniques douteuses comme l’intimidation et le harcèlement sont employées au détriment des locataires. Une représentante du Comité logement de la Petite Patrie, Sylvie Lavigne, a affirmé au Journal de Montréal que certains propriétaires qui habitent leur immeuble font usage de tapage nocturne, de commentaires ou même de gestes agressifs pour intimider leurs locataires. Dans ces cas, il est plutôt difficile d’obtenir l’aide du TAL puisque les preuves sont moins perceptibles : « Lorsqu’on intimide quelqu’un, on ne le fait pas devant le grand public, on le fait lorsque la personne est seule, donc ça ne laisse pas vraiment de traces et c’est très difficile pour le [ou la] locataire de le prouver au TAL », ajoute Mme Lavigne, en soulignant que les voisin·e·s coopèrent rarement.
D’autres locataires sont victimes de « rénoviction ». Ce terme est utilisé lorsque des propriétaires se servent du besoin d’effectuer des rénovations majeures pour expulser leur locataire. Ces rénovations ne sont pourtant souvent jamais réalisées et les propriétaires en profitent pour accroître le prix de leur loyer. Une autre méthode consiste à faire signer à la hâte aux locataires un avis sans qu’ils puissent vraiment en tenir compte. C’est ce qui est parfois utilisé pour obtenir la signature sur un avis de résiliation ou pour une augmentation de loyer abusive. Le temps que le ou la locataire se rende compte de son erreur, il est déjà trop tard.
De la pression
Ces situations ne sont pas sans conséquence. Plusieurs locataires confrontés à des évictions acceptent de quitter les lieux sans contester pour limiter le stress. D’autres qui vivent du harcèlement sur une longue période voient leur santé mentale se dégrader : « […] on voit souvent les locataires tomber en dépression parce qu’ils se sentent incompris, qu’ils n’ont pas de ressources, qu’ils appellent la police et que lorsque les agents se présentent chez la propriétaire, elle feint d’être couchée », confie Mme Lavigne du Comité logement de la Petite Patrie.
Pour celles et ceux qui contestent, le harcèlement peut parfois s’intensifier. Des locataires qui ont demandé de l’aide au Comité de logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC) ont vécu des situations pénibles et ont témoigné sous l’anonymat dans le journal communautaire du quartier, le Journal des voisins. Parmi eux, une dame de 83 ans qui demeure au même endroit depuis 28 ans s’est fait dire par son propriétaire qu’il était temps qu’elle aille vivre en résidence alors qu’elle était parfaitement autonome. Elle a vécu pendant des mois la pression de son propriétaire qui ne se gênait pas pour constamment revenir à la charge avec de nouvelles astuces pour intimider sa locataire, et ce, malgré l’implication des tribunaux. Cette histoire a grandement affecté sa qualité de vie.
L’inflation en cause
La principale raison de l’augmentation marquée du coût des logements selon la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) serait l’inflation de 6,7 % de la dernière année au Québec. En entrevue avec Paul Arcand au 98,5 FM, le directeur des affaires publiques et relations gouvernementales de la CORPIQ, Marc-André Plante, a expliqué aux auditeur·trice·s que les propriétaires d’immeubles doivent aussi subir les coûts supplémentaires associés à l’inflation : « Les propriétaires […] sont confrontés comme tout le monde à l’inflation galopante depuis un an ». Le porte-parole du RCLALQ, Martin Blanchard, a quant à lui répondu que « les loyers montent beaucoup plus vite que l’inflation » en précisant que « les profits dans l’immobilier n’ont jamais été aussi importants ».
Un communiqué de presse publié sur le site internet de la CORPIQ en réponse aux grilles annuelles des hausses de loyers du TAL indique que les augmentations de loyer sont « faibles » et que « les propriétaires locatif[·tive·]s devront donc, encore une fois, absorber une part importante de l’inflation […] ». Selon l’organisme, la grille de calcul du TAL est une formule désuète qui devrait subir une réforme. En revanche, le RCLALQ croit que des mesures concrètes pour contrôler le prix des loyers doivent être adoptées par le gouvernement du Québec. L’organisme juge que très peu de locataires savent qu’ils peuvent refuser une augmentation de loyer, croyance renforcée par les propriétaires qui n’indiquent que deux choix sur leurs avis d’augmentation : accepter la hausse ou déménager.
Trouver une solution
En 2021, le TAL recommandait une hausse de 0,8 % des loyers. Pourtant, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logements, les locataires québécois ont connu une augmentation moyenne de 3,6 % du prix de leur loyer au cours de la même période.
C’est pourquoi dans un communiqué de presse publié sur leur site internet, le RCLALQ demande au gouvernement Legault de rendre obligatoires les taux moyens d’augmentation de loyer du TAL. Il demande également de mettre en place un registre public des loyers pour permettre aux locataires de connaitre avec exactitude l’ancien loyer payé et ainsi « freiner l’augmentation vertigineuse des loyers ». Finalement, l’organisme exige un contrôle obligatoire des loyers puisqu’il juge que les règles en place ne fonctionnent pas et contribuent même à l’explosion des prix.
Québec solidaire propose également des solutions pour limiter les répercussions de la crise du logement dans son Guide du logement publié sur son site internet. L’une d’elles concerne un projet de loi déposé par leur député responsable en matière de logement, Andrés Fontecilla, en novembre 2021 qui permettrait l’annulation de toute demande d’augmentation pour un an et la suspension du droit du propriétaire d’augmenter le loyer d’un bail de logement privé pour la même durée. Québec solidaire propose aussi un moratoire sur les évictions permises par la loi pour un taux d’inoccupation inférieur à 3 % dans le but de contrer la tendance des « rénovictions », en plus de réclamer un plafonnement des hausses de loyer en fonction de l’indice de fixation des loyers du TAL. Selon eux, « […] il s’agit d’une solution simple et efficace pour mieux encadrer les hausses de loyer ».
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