Des villes qui dépouillent, rendent malades et dépriment : Medellín

Des villes qui dépouillent, rendent malades et dépriment : Medellín

Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile
Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando

La ville idéale et idéalisée, où l’on ne pense qu’à l’avenir, à la paix et à la tranquillité, cache derrière elle une logique de marché qui influence les pratiques de planification urbaine et les décisions publiques, tout en restant camouflé derrière un discours de façade prônant le progrès pour tous·tes. Le contrôle est à la fois sa grande force et sa grande faiblesse. En effet, ce contrôle diffus des autorités permet des alliances entre des acteurs légaux et illégaux, des forces unies par des charnières solides qui permettent une coordination parfaite et qui maintiennent en vie la machine productive du capital, peu importe si elle œuvre dans la légalité ou non.

En fait, Medellín est l’illusion d’une ville charmante, harmonieuse, pacifiée, le résultat d’une histoire typique d’un urbanisme néolibéral. En somme, il s’agit de la ville du déni, qui cache et invisibilise l’évidence, l’injustice sociale, spatiale, structurelle à des échelles colossales, le déni de l’avenir, les violations et les souffrances constantes et profondes. Il s’agit d’une ville qui invisibilise les contradictions de la lutte des classes directe et constante. La paix et la violation du droit à la ville sont des axes qui ne semblent pas se croiser, mais ils sont jumelés, entrelacés. L’un définit l’autre. Ce sont des questions complexes aux implications sociales, économiques et politiques.

Aujourd’hui, la ville (désormais district) de Medellín souffre de plusieurs maux structurels résultant d’une accumulation résultant de toutes les décisions prises par les gouvernements locaux et nationaux successifs, décisions qui ont favorisé la concentration du pouvoir, de richesses, des possibilités de mobilité sociale et de privilèges. Ce modèle de ville a été imposé par le sang et le feu et a donné vie à une ville néolibérale, configurée pour le marché, qui favorise la négation des droits et qui cache ses problèmes profonds. Or, nous avançons que ce sont ces problèmes qui doivent éclater au grand jour pour être solutionnés, et ce, pour avoir enfin la paix.

Ces réalités cachées

1. Déplacement forcé

En raison du conflit armé, la ville s’est développée en périphérie. De nos jours, ses habitant·e·s doivent vivre avec le contrôle exercé par les réseaux criminels paramilitaires qui entrainent des déplacements forcés. La municipalité est également bouleversée par des travaux d’aménagement urbain, par les changements climatiques et par la pauvreté et le manque d’emploi.

2. Inégalités socio-économiques

La ville de Medellín est l’une des villes de la région où les inégalités sont les plus importantes. Il n’y existe pas d’accès aux services de base, à un logement adéquat, à une éducation de qualité ou à des possibilités d’emploi. Même si la situation semble s’être améliorée, du moins dans les statistiques, elle reste très grave.

3. Inégalités d’accès aux transports

Le système de métro, unique en son genre dans le pays, exacerbe le manque d’infrastructures de transport adéquates. La ville accuse des inégalités criantes pour l’accès à ces services, ce qui rend plus difficile l’accès à l’éducation, la possibilité de se trouver du travail ou de participer à des activités de loisirs dans les différentes parties de la ville.

4. Marginalisation, groupes vulnérables

Il y a eu une augmentation significative du nombre de sans-abri, de l’extrême pauvreté, du nombre de personnes migrantes, de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et d’autres groupes vulnérables qui se heurtent à d’énormes obstacles pour accéder aux services de base et participer à la vie sociale et culturelle de la ville1Susana Cogua, « ¿Por qué hay indígenas asentados a las afueras de un colegio público en Medellín? » Qhubo, 23 avril 2023. Récupéré sur https://www.qhubomedellin.com/solidaridad-qhubo/mi-ciudad/por-que-hay-indigenas-a-las-afueras-de-colegio-publico-en-medellin/ (consulté le 13 août 2023).

5. Manque de participation effective des citoyens

Il existe une participation miroir, fonctionnelle, sans impact réel sur la résolution des conflits structurels, ni sur la définition d’un modèle de ville qui se décline en politiques urbaines garantissant la prise en compte effective de leurs besoins et de leurs droits2Norela Mesa Duque, Daniela Londoño Días, Alfonso Insuasty Rodríguez et al., (2023). Desarrollo Urbano: Afectaciones Y Resistencias En Medellín. UNAULA : Medellín, 2023. Récupéré sur https://kavilando.org/lineas-kavilando/observatorio-k/9535-desarrollo-urbano-afectaciones-y-resistencias-en-medellin-libro (consulté le 13 août 2023).

6. Discrimination et ségrégation

L’existence de politiques de ségrégation est évidente, que ce soit pour favoriser le tourisme ou la promenade tranquille des étrangers. Cela accroît les barrières et la discrimination fondée sur l’ethnicité, le genre, l’orientation sexuelle ou le handicap et génère une forte ségrégation spatiale et accroît l’exclusion sociale3Sebastián Estrada, « Este martes será cercado El Parque Lleras como pasó con el Parque Botero », Caracol, 1er mai 2023. Récupéré sur https://caracol.com.co/2023/05/01/este-martes-sera-cercado-el-parque-lleras-como-paso-con-el-parque-botero/ (consulté le 13 août 2023).

7. Pollution environnementale

Medellín est l’une des villes où le niveau de pollution atmosphérique est le plus élevé du pays. Cela a des répercussions négatives sur la santé et le bien-être de ses habitants4Divulgación Científica UPB, « 5 datos que no sabías sobre la contaminación del aire en Medellín », UPB, 22 août 2019. Récupéré sur https://www.upb.edu.co/es/central-blogs/divulgacion-cientifica/contaminacion-aire-medellin (consulté le 13 août 2023).

8. Établissements informels, déficit de logements et logements inadéquats

Medellín abrite un nombre important d’établissements informels ou de bidonvilles, dans lesquels les conditions de vie sont précaires. Ils sont aussi le plus souvent sans accès aux services de base. Selon le Plan d’occupation des sols de Medellín (Plan de Ordenamiento Territorial de Medellín – POT), en 2019, il manquait 133 000 logements dans la ville. Au déficit quantitatif s’ajoute un déficit qualitatif, avec de nombreux logements qui ne répondent pas aux normes minimales de qualité.

Le modèle de ville configure les types de personnes qui habitent la ville

1. Travail du sexe et consommation de substances psychoactives

Dans les dernières années, l’industrie touristique de Medellín a connu une croissance importante. Par la même occasion, il y a eu une explosion de l’offre de services sexuels et de la consommation de substances psychoactives, ce qui implique d’importantes sommes d’argent5El Tiempo, « ONU denuncia Narco-Turismo en Medellín y turismo sexual », El Tiempo, 23 octobre 2012. Récupéré sur https://kavilando.org/lineas-kavilando/territorio-y-despojo/2114-onu-denuncia-narco-turismo-en-medellin-y-turismo-sexual (consulté le 13 août 2023).

2. La culture du traqueto

Renán Vega Cantor affirme que le traqueto se définit comme une manière de régler tout problème par la violence physique directe, en proclamant son machisme profond, en s’exhibant en public, avec des proches ou autres convives. C’est aussi faire étalage des meurtres commis et de dilapider au cours d’une soirée le paiement reçu pour avoir exécuté un assassinat ou transporté une cargaison de drogue en dehors du territoire colombien. La personne qui s’adonne au traqueto achète tout ce qui est à sa portée (femmes, sexe, amis), même si elle est pauvre, déteste les pauvres ou si, au nom de la morale catholique, elle déteste tout ce qui sent la lutte sociale dans le quartier, à l’école ou sur le lieu de travail. Il s’agit d’« un schéma culturel qui s’est répandu comme un idéal »6RenánVega Cantor, « La formación de una cultura “traqueta” en Colombia », 18 février 2014, Rebelión. Récupéré sur https://rebelion.org/la-formacion-de-una-cultura-traqueta-en-colombia (consulté le 13 août 2023).

3. Les personnes vivant dans la rue

Ce problème prend de l’ampleur. Au cours des trois dernières années, leur nombre a augmenté de 150 %, dépassant la capacité des autorités à faire face à de ce problème7El Colombiano. (). Habitantes en calle crecieron casi un 150% en 3 años, El Colombiano, 24 septembre 2022. Récupéré sur https://www.elcolombiano.com/antioquia/aumento-de-habitantes-de-calle-en-medellin-AO18701652 (consulté le 13 août 2023). Il faut dire que la volonté politique manque également. En outre, la ville compte 25 000 consommateurs de substances psychoactives qui sont à deux doigts de vivre dans la rue8El Colombiano, « Medellín tiene 25.000 drogadictos a un paso de ser habitantes de calle », El Colombiano, 8 janvier 2017. Récupéré sur https://www.elcolombiano.com/antioquia/la-drogadiccion-es-el-problema-mas-complejo-de-medellin-dice-secretario-de-inclusion-BM5718056 (consulté le 13 août 2023).

4. La population carcérale augmente

Depuis 2016, la surpopulation dans les centres de détention temporaire de Valle de Aburrá a doublé. Les postes de police sont parfois plein à 713 % de leur capacité et cela touche la population juvénile en particulier.

5. Suicides

Medellín a enregistré 214 suicides en 2022 et plus de 3 000 tentatives de suicide, des chiffre élevés à l’échelle nationale et latino-américaine, « l’angoisse face à un présent plein d’inconvénients, un avenir incertain et les pressions culturelles de la consommation et du succès, sont derrière les motivations qui abîment et rendent malades des milliers de personnes »9Libardo Sarmiento Anzola, « Medellín activa alarma por suicidios », DesdeAbajo, 20 avril 2023. Récupéré sur https://www.desdeabajo.info/ediciones/edicion-no-300/item/medellin-activa-alarma-por-suicidios.html (consulté le 13 août 2023) .

VICTIMES DU DÉVELOPPEMENT

À ce panorama, il faut ajouter la fabrication accélérée de victimes du développement face à l’avancée et à l’approfondissement de l’extractivisme urbain. Il s’agit d’un phénomène qui suit la voie de la dépossession, désormais accompagnée du discours du bien commun.

Selon une étude menée en 2017 auprès des communautés affectées par le développement urbain à Medellín, il s’agissait d’un phénomène croissant. En même temps, une première rencontre des communautés affectées par le développement a été organisée. En 2019, un rapport sur ce phénomène a été présenté par à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). La même année, une audience publique a été convoquée par le Congrès de la République, par l’entremise du représentant du parti Omar Restrepo Comunes. Pendant la pandémie, le harcèlement des familles lors d’expulsions de leurs maisons ou pour des travaux d’aménagement urbain n’a pas cessé. En 2021, la table ronde des victimes du développement et de l’administration municipale (Mesa de Interlocución Victimas del Desarrollo y Administración municipal) a été créée et un rapport a été dûment publié.

Après cet exercice, nous avons pu repérer ces répercussions.

Nous estimons qu’un total cumulé de plus de 9 826 000 de personnes a été affecté par la mise en œuvre des travaux de développement. Les chiffres pourraient en fait être beaucoup plus élevés et nous ne nous référerons qu’à quelques cas.

Total, personnes affectées par chaque macroprojet en 2021

MacroprojetTotal,
personnes affectées
Ramed de tramway Ayacucho2790
Metro Cable Picacho1750
Parc Bicentenario760
Pont de la Madre Laura2100
Tunnel Occidente226
Métro de la 80 (Barrio El Volador)2200
Total, personnes affectées9826

Source : Préparation propre (estimations basées sur le nombre de parcelles nécessaires et le nombre de personnes (en moyenne) par famille occupant chaque parcelle).

Ces répercussions générales sont donc mises en évidence :

AffectationAxes
Les inégalités se creusent et l’appauvrissement de la population s’accroît.La mise en œuvre du développement dans la ville et la destruction des entreprises de subsistance.
De nombreuses entreprises sont installées dans les maisons qui feront l’objet d’évictions, ce qui permet de réduire les coûts. Cela touche aux biens, aux idées d’entreprise et aux propriétaires d’entreprise. 
Les propriétés sont évaluées de manière irrégulière à bas prix et les paiements sont retardés. 
Passage de propriétaires à possesseurs déracinés. 
Effets psychosociaux et communautaires graves.L’individu est affecté sur le plan émotionnel : perte de vision de l’avenir, désorientation, dépression.   
Les conflits familiaux, l’éclatement de la famille, les conflits intergénérationnels et le manque d’efficacité au travail et dans les études sont accentués. 
Effets sociaux et communautaires : perturbation du tissu social, du voisinage, de la solidarité et de la subsistance. 
La démocratie et la crédibilité des institutions publiques sont fracturées.La manière dont ces travaux sont mis en œuvre et gérés est médiatisée par la tromperie, les menaces, les renseignements incomplets, la confusion, la désinformation, une logique de taxation descendante.
La participation est fonctionnelle, les besoins et les griefs des personnes concernées ne sont pas réellement pris en compte. 
Le temps, c’est de l’argent. C’est pourquoi les pressions augmentent à mesure que la bureaucratie prend du retard et il y a manque de diligence raisonnable. Les gens sont laissés à eux-mêmes dans un état d’anxiété. 

Source : Rapport 202110Hernán Darío Martínez Hincapié, Edison Villa Holguín, et Alfonso Insuasty Rodríguez (30 juin 2022), « El desarrollo urbano que impulsa la brecha de la desigualdad. Caso Medellín – Colombia », 14(1), 7-20. de https://kavilando.org/revista/index.php/kavilando/article/view/444 (consulté le 13 août 2023).

Medellín n’a pas eu l’intelligence de se mettre d’accord sur des solutions à nos graves problèmes. Il n’est pas intelligent d’être la ville la plus innovante du monde et en même temps l’une des plus inéquitables. Il n’est pas intelligent de vouloir développer un quartier d’innovation technologique et d’affaires et en même temps de ne pas pouvoir payer un prix juste pour le logement. Il n’est pas intelligent de construire le plus grand pont urbain du pays et de laisser, dans la tromperie, plus de 1000 familles sans logement. Il n’est pas intelligent de concevoir le système de Metrocable pour le quartier de La Paralela  sans penser à des solutions de logement décentes pour les 600 familles qui y habitent. Il n’est pas intelligent d’attendre que la Moravie brûle pour empêcher 256 familles de construire à nouveau et ne pas leur offrir de solution de logement définitive. Il n’est pas intelligent de laisser les familles pauvres résoudre seules leur problème de logement et de les accuser en même temps de ne pas respecter les réglementations et d’effectuer de la construction très risquée. Une société ne peut pas être intelligente si, après avoir subi 30 ans de guerre, elle ne se reconnaît pas comme une victime et ne veut pas de la paix. Le développement n’est pas intelligent s’il est construit sur la douleur11Op. Cit., note 10.

En 2023, avec l’avancement des travaux du métro léger sur la route 80, ces problèmes préexistant se sont aggravés en raison des mensonges, des retards, des abus, des tromperies, du manque d’information, des évaluations dérisoires et des répercussions ci-dessous. Plus de 594 propriétés ont été touchées et 725 l’ont été partiellement12Sergio Zuluaga, « Con 816 predios censados avanza la gestión sociopredial del Metro de la 80 », mairie de Meddellín, 12 décembre 2022. Récupéré sur https://www.medellin.gov.co/es/sala-de-prensa/noticias/con-816-predios-censados-avanza-la-gestion-sociopredial-del-metro-de-la-80/ (consulté le 13 août 2023) et plus de 10 000 entreprises ont été affectées13El Tiempo, « Los ‘sacrificados’ para que Medellín tenga un nuevo tramo del Metro », El Tiempo, 16 octobre 2020. Récupéré sur https://www.eltiempo.com/colombia/medellin/medellin-la-historia-de-los-afectados-por-la-entrega-de-predios-para-nuevo-tramo-del-metro-543358 (consulté le 13 août 2023). Le discours de la ville la plus innovante pèse lourdement sur les personnes qui s’y opposent et qui, contre elle, revendiquent leurs droits. En effet, elles sont aux prises avec leurs propres croyances et aux contradictions vécues au quotidien, à la répression, aux violations des droits de la personne et elles ne connaissent que trop bien le prix que leur coûte cette ville-illusion, cette « ville plus ». Il s’agit d’une réorganisation criminelle du territoire14Eulalia Borja Bedoya, José Fernando Valencia Grajales, et Alfonso Insuasty Rodríguez, (2022). « ¿Gentrificación o reordenamiento criminal del territorio urbano? Caso Medellín (Colombia) » Ratio Juris, 263-288. Obtenido de Revista Ratio Juris: https://kavilando.org/lineas-kavilando/observatorio-k/9339-gentrificacion-o-reordenamiento-criminal-del-territorio-urbano-caso-medellin-colombia (consulté le 13 août 2023).En référence à la chanson de Kortatu15Groupe de punk basque, actif de 1984 à 1988., sommes-nous condamnés à vivre et à habiter une « ville de merde »16Giuseppe Aricó, José A. Mansilla et Marco Luca Stanchieri, Mierda de Ciudad. Una rearticulacion crítica del urbanismo neoliberal desde las ciencias sociales. Bacelona : Pol-Len Edicions, SCCL, 2015.?

Et la paix?

Jusqu’à présent, nous n’avons pas parlé des réseaux criminels qui contrôlent les quartiers, les communes, l’économie locale et enfin, même la vie quotidienne et la participation politique, et ce, suivant une logique paramilitaire. Et la paix? C’est en effet la question la plus importante. Or, cette absence de paix est le symptôme d’un mal structurel que nous devons reconnaître et qui va de pair avec le modèle de ville autoritaire qui nous est imposé. Medellin est ville néolibérale qui doit être transformée. Enfin, si on veut la paix, il faut parler de ces problèmes structurels et leur trouver des solutions.

Et les résistances ?

Il y a de nouvelles organisations sociales ad hoc qui revendiquent des droits. Il y en a d’autres, plus anciennes, qui ont compris que la lutte est longue et elles en sont arrivées à une réflexion qui les amène à remettre en question le modèle de ville, qui leur a été imposé par le sang et le feu dans le cadre d’une alliance criminalité-entreprises-État. C’est une réalité qui doit être étudiée et soulignée.

Il y a plusieurs villes qui débattent de questions différentes en fonction de leur propre réalité, mais ces questions portent toutes sur les conséquences du même modèle. Il est impératif de gagner en qualification, en articulation et en mobilisation, et ce, afin de contester, d’une part, les outils de planification du prochain examen approfondi du plan d’occupation des sols, prévu pour 2027, conformément à la réglementation en vigueur et, d’autre part, afin de consolider un plan d’action commun de la ville, et ce, pour produire un ou des modèles de ville populaire pour aborder des questions qui n’ont pas été entendues, ou qui ont été ignorées ou étouffées. Nous souhaitons ainsi donner lieu à une planification insurgée, une sorte de libération urbaine permanente.

CRÉDIT PHOTO: FLICKR / Reg Natarajan


La criminalité entre les entreprises et l’État : une alliance efficace pour la dépossession en Colombie

La criminalité entre les entreprises et l’État : une alliance efficace pour la dépossession en Colombie

Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile
Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando. 

Parmi les entreprises condamnées à la restitution des terres dont elles s’étaient accaparées pendant le conflit armé, on retrouve Cementera Argos, la multinationale du charbon Drummond, les sociétés minières Continental Gold Limited, Anglo Gold Ashanti, le Fondo Ganadero de Córdoba, des sociétés agro-industrielles qui œuvrent dans les secteurs de l’huile de palme et de la banane ainsi que des sociétés immobilières1Alfonso Insuasty Rodríguez, « La defensa del territorio y la avanzada paramilitar », Desinformémonos, 2023. https://desinformemonos.org/la-defensa-del-territorio-y-la-avanzada-paramilitar-en-colombia/ (consulté le 29 mai 2023).

En Colombie, le pouvoir avait prêché la haine contre l’accord de paix qui aura été conclu entre les FARC-EP et l’État et a sans doute pu, par ce moyen, inciter la population à voter contre la paix lors du référendum d’octobre 2016. L’objectif sous-jacent était de limiter la portée des discours pour la vérité et la justice. Il s’agissait d’un moyen pour les hommes et les femmes d’affaires, les politicien·ne·s, les cadres de l’armée et les entreprises étrangères responsables de la dépossession, de la violence et de la douleur de se protéger et de perpétuer un modèle économique de la mort2Norela Mesa Duque et Alfonso Insuasty Rodríguez, « Criminalidad corporativa y reordenamiento territorial en Urabá (Antioquia, Colombia) », Ratio Juris, 595-622, 2021. https://publicaciones.unaula.edu.co/index.php/ratiojuris/article/view/1243 (consulté le 29 mai 2023), tout en assurant leur survie et leur expansion. Tout cela se poursuit au moment où ces lignes sont écrites3Omar Eduardo Rojas Bolaños, Alfonso Insuasty Rodríguez, Norela Mesa Duque, Jose Fernnado Valencia Grajales et Héctor Alejandro Zuluaga Cometa, Teoría social del Falso Positivo. Manipulación y muerte, 2020. http://biblioteca-repositorio.clacso.edu.ar:8080/bitstream/CLACSO/4966/1/0_16.pdf (consulté le 29 mai 2023)..

Après la signature de l’accord de paix entre les FARC et le gouvernement colombien en 2016, le pouvoir en place a bénéficié d’une impunité qui lui a permis de continuer d’agir librement pour influencer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l’armée et les médias. Ces derniers ont huilé la machinerie de guerre qui, aujourd’hui, a plongé le pays dans une spirale de violence renouvelée sur des territoires riches en ressources, exploités ou à la veille de l’être.

En fait, le pays n’en est pas encore arrivé à mette en lumière les diverses responsabilités des gros bonnets de la politique nationale et internationale, du monde des affaires (des tiers civils, terceros civiles dans le jargon judiciaire colombien) impliqués dans la perpétuation du conflit. Ielles maintiennent et profitent du statu quo tout en se posant comme un barrage policier sur la voie du progrès. Ielles refusent de laisser avancer certaines réformes nécessaires dont le gouvernement de Gustavo Petro fait la promotion avec insistance : de petits ajustements au cadre législatif, institutionnel, culturel et la transformation des idéologies qui ont permis à un très petit groupe de personnes de s’assurer des privilèges considérables. Dans l’ouvrage Élites, poder y principios de dominación en Colombia (1991-2022): Orígenes, perfiles y recuento histórico, les auteurs concluent : « 1281 personnes identifiées comme appartenant à l’élite colombienne, au cours des trois dernières décennies, soit 0,02 % de la population, ont dirigé le cours de l’État et de l’économie en Colombie »4Jenny Pearce, Juan David Velasco Montoya, (16 de febrero de 2023). Élites, poder y principios de dominación en Colombia (1991-2022): Orígenes, perfiles y recuento histórico, 2023.  https://kavilando.org/lineas-kavilando/conflicto-social-y-paz/9448-elites-poder-y-principios-de-dominacion-en-colombia-1991-2022-origenes-perfiles-y-recuento-historico-libro-libre (consulté le 29 mai 2023)..

Cependant, les décisions qui ont été prises, parmi lesquelles la restitution des terres, ont révélé le modus operandi qui a mené les élites locales, régionales, nationales et internationales à accumuler un pouvoir et une richesse importantes grâce à la machine de guerre. Faisant de prime abord irruption dans les territoires avec des discours soi-disant progressistes, se heurtant à la résistance des communautés locales, ils se sont imposés par la violence. La guerre leur a ainsi permis d’accumuler terres et capital.

Dans un rapport de 2023, l’organisation Fundación Forjando Futuros (FFF) a souligné que 435 condamnations avaient été prononcées pour la restitution des terres accaparées par diverses entreprises depuis 2012. En effectuant un suivi du nombre de causes entendues par année, il est possible de constater que l’année 2018 a ertainement été la plus occupée, avec 108 décisions rendues. En 2022, 72 décisions ont été rendues, obligeant les entreprises à restituer des terres5Fundación Forjando Futuros, « 72 Empresas fueron obligadas a restituir tierras en 2022 », 11 avril 2023. https://www.forjandofuturos.org/72-empresas-fueron-obligadas-a-restituir-tierra-en-2022/ (consulté le 29 mai 2023).. Ce chiffre est le deuxième le plus élevé de l’histoire depuis la mise en œuvre de la Loi 1448, connue sous le nom de Loi sur les victimes (Ley de víctimas). Ces décisions obligent les entreprises à restituer les terres dépossédées. De plus, pour l’année 2022, 15 entreprises ont comparus pour la première fois sur la scène des restitutions territoriales, parmi lesquelles des institutions financières qui ont dû annuler des titres hypothécaires (voir tableau ci-dessous), cinq banques qui avaient déjà été sanctionnées au cours des années précédentes et qui l’ont été de nouveau et cinq autres banques qui ont essuyé des sanctions.

Les entreprises tenues de procéder à des restitutions sont Agropecuaria Cuba S.A.S., Sociedad Pegados Restrepo y CIA S.C.A., Inversiones Silva Silva y CIA S.A.S., Agropecuaria Cuba S.A.S. et Agropecuaria Cuba S.A.S., Inmobiliaria Santander, Agropecuaria Santander, Financiera Santander, Constructora Santander, Agropecuaria Cesar, Inmobiliaria Cordoba, Agropecuaria Bolívar, Multinational Drummond LTDA, Fondo Ganadero de Córdoba, Bananera la Florida, Todo Tiempo S.A.S., Inversiones JAIPERA.

Avant 2022, de grandes entreprises bananières, le cimentier Argos du puissant groupe entrepreneurial de l’Antioquia (Grupo Empresarial Antioqueño) et Bancolombia avaient été condamnés à annuler des hypothèques, comme, par ailleurs, l’entreprise Las Palmas LTDA, Palmas de Bajirá, Palmagan S.A. et les entreprises minières Continental Gold Limited et Anglo Gold Ashanti, entre autres6El Universal, « Estas son las empresas que han sido condenadas a restituir tierras », 3 novembre 2016. https://www.eluniversal.com.co/colombia/estas-son-las-empresas-que-han-sido-condenadas-restituir-tierras-239156-OXEU347292  (consulté le 29 mai 2023)..

Dans le cas de la puissante multinationale charbonnière Drummond, que la réputation en matière de mauvaises pratiques précède, elle a été condamnée non seulement à restituer des terres, mais les dirigeant·e·s de la Juridiction spéciale pour la paix (Jurisdicción Especial para la Paz – JEP) ont aussi sommé l’entreprise de rendre des comptes de l’assassinat de trois membres importants de la centrale syndicale des travailleur·euse·s des mines (Sindicato Nacional de trabajadores de la industria Minera – Sintramienergética), dont Gustavo Soler, président du syndicat en 2001. Selon les déclarations de l’ancien chef paramilitaire7Alfonso Insuasty Rodríguez, « ¿De qué hablamos cuando nos referimos al paramilitarismo?», El Ágora USB, 17(2), 338–367. https://doi.org/10.21500/16578031.3278 (consulté le 29 mai 2023). Jairo Jesús Charris, « les principaux responsables de ces crimes sont le président de la multinationale de l’époque, Augusto Jiménez Mejía, le propriétaire de Drummond, Gary Drummond, et l’ancien président mondial Mike Tracy »8WRadio. (13 de 04 de 2023). « JEP: señalan a expresidente de Drummond y a ‘Jorge 40′ por homicidio de sindicalistas ». https://www.wradio.com.co/2023/04/13/jep-senalan-a-expresidente-de-drummond-y-a-jorge-40-por-homicidio-de-sindicalistas/ (consulté le 29 mai 2023).. La plupart des victimes d’assassinat sont des paysan·e·s qui possédaient de petites parcelles de terre. Quant aux responsables des assassinats, 75 % étaient des paramilitaires, 15 % des gueriller@s et, dans 6 %, des cas étaient dus à des affrontements.

Il convient de noter que l’Agence de restitution des terres (Agencia de Restitución de Tierras – ART), une organisation créée grâce à la Loi sur les victimes qui a commencé à œuvrer en 2012, s’était donné comme objectif principal de restituer 300 000 propriétés, mais 10 ans plus tard, en 2023, elle n’a atteint qu’un peu plus de 4 % de cet objectif. Les obstacles à l’effectivité de ces restitutions sont nombreux, mais le principal est l’absence de volonté politique claire de la part des gouvernements en place, qui bloque l’application de la loi. En fait, une série de dispositifs et de procédures administratives alourdissent le processus de restitutions et s’ajoutent aux obstacles judiciaires déjà présents, ce qui entrave la plupart des restitutions. Le gouvernement actuel de Gustavo Petro s’est penché sur cette question et a pris des décisions qui ont progressivement permis d’affronter et de surmonter les obstacles accumulés.

L’élevage, l’industrie agro-alimentaire, l’exploitation minière et le secteur financier sont accusés de tirer profit de la guerre en Colombie. Derrière cela, c’est tout un réseau institutionnel de collusion qui émerge, mis au service de ce génocide et de cette dépossession qui se poursuivent : dans les secteurs, militaires, politiques et de justice. Il s’agit de tout un réseau de criminalité qui amalgame les entreprises et l’État, une alliance malveillante dont les répercussions sont désastreuses pour le pays

Néanmoins, la vérité émerge lentement. À notre avis, le rapport de la commission de la vérité a manqué de force à cet égard. Hébert Veloza García, connu sous le pseudonyme de H.H., chef paramilitaire condamné en vertu de la Loi de justice et de paix (Ley de Justicia y Paz), a été extradé par le président de l’époque, Álvaro Uribe Vélez. Selon H.H., il s’agissait d’une manœuvre visant à étouffer la vérité. Or, l’homme qui détient cette vérité est désormais de retour en Colombie après avoir purgé sa peine aux États-Unis et demande une audience devant la JEP, affirmant qu’il y a encore beaucoup de révélations à faire, lesquelles permettraient de mettre en lumière les raisons qui expliquent le retour du conflit armé. Il affirme que cette dépossession a été possible grâce au soutien des forces de sécurité, de l’État et des entreprises. Pour tourner la page, tous·tes les acteur·trice·s du conflit doivent être traduit·e·s en justice, y compris les politicien·ne·s et les industriel·le·s influents de Colombie et de l’étranger qui poursuivent leur activité, nouant des alliances macabres pour empêcher la véritable justice de fonctionner.

Quelques pistes de réflexion

Ce texte souligne l’existence de tout un réseau criminel, institutionnalisé et protégé par l’État lui-même. Ce réseau ne fait qu’accélérer le rythme d’une transformation violente du territoire dans les régions riches en ressources naturelles. Il s’agit d’une logique, d’une dynamique et d’une réalité qui évoluent aujourd’hui dans un contexte de crise mondiale où le modèle extractif se renforce, malgré la prépondérance du discours écologiste.

Pour mettre fin à une guerre qui perdure et qui ne profite qu’à quelques familles et propriétaires et afin d’en arriver à une paix totale, le processus de résolution des conflits doit aller encore plus loin. Le milieu des organisations sociales, populaires et ethniques ainsi que le monde universitaire engagé et militant doivent mettre en œuvre une construction des savoirs, des moyens de formation et de sensibilisation, en dévoilant, en communiquant et en approfondissant la dynamique d’une vérité libératrice, émancipatrice, celle qui permet de comprendre les origines d’une guerre qui se poursuit encore et qui sert à protéger les privilèges d’une minorité.

CRÉDIT PHOTO : eliasfalla/ Pixabay


La défense du territoire et l’avancée paramilitaire en Colombie

La défense du territoire et l’avancée paramilitaire en Colombie

Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile
Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando.

Plusieurs événements survenus au cours d’une très courte période de temps depuis le début de l’année 2023 font état d’une même réalité : d’une part, le projet de réorganisation violente des territoires en faveur de corporations va toujours bon train, et d’autre part, la nécessité de consolider les organisations sociales, autochtones, paysannes et populaires pour la défense de la vie, de l’autonomie et des territoires est encore plus importante, avec ou sans gouvernement progressiste au pouvoir.

À l’heure actuelle, divers projets d’extraction, légaux et illégaux, progressent dans les territoires et nous assistons à une réingénierie et à une avancée du paramilitarisme, et ce, en collaboration, dans plusieurs régions, avec les forces de sécurité de l’État. Face à cette situation s’organise une défense du territoire par des communautés qui souhaitent compter sur un gouvernement progressiste qui est à leur écoute, sans pour autant être en mesure de se montrer à la hauteur de la situation. Nous ne mentionnons ci-bas que quelques exemples particulièrement probants qui ont eu lieu au début du mois de janvier 2023.

Siège humanitaire à Vista Hermosa (Meta)

Le village de Vista Hermosa, un parc de la Sierra Macarena, région de la grande Amazonie, un territoire très affecté par le conflit armé entre les FARC et l’État, vivait dans une certaine tranquillité depuis la signature de l’accord de paix de 2016. Toutefois, le 18 janvier dernier, cette tranquillité a été perturbée en raison du non-respect de l’accord par le gouvernement d’Iván Duque, la mise en œuvre de multiples projets extractifs, l’augmentation des groupes armés illégaux qui se sont emparés du territoire pour le commerce de la feuille de coca et l’exploitation minière illégale, ainsi que des actions agressives et stigmatisantes des forces de sécurité contre la population.

Ainsi, face au non-respect des accords d’investissement et de soutien avec les communautés de Meta et de Guaviare qui avaient été alors conclus, ces dernières ont décidé d’organiser une résistance pour revendiquer leurs droits. À cette fin, elles ont créé un siège humanitaire contre un groupe de 30 soldats installés dans la région, leur demandant de se retirer de ce corridor écologique de paix, tout en demandant au gouvernement de respecter les accords et les promesses de soutien à leurs initiatives communautaires. De leur côté, les médias n’ont fait qu’aggraver la situation, en déformant la réalité et, pire encore, en faisant passer les justes revendications des paysan·ne·s pour une action d’une des factions dissidentes des FARC, ce qui a posé un risque grave pour la sécurité de ces populations, tout en sabotant, évidemment, leur mouvement de résistance.

Finalement, le gouvernement a lancé une commission et un dialogue a été entamé avec les collectivités et la situation a été temporairement solutionnée. Le siège humanitaire a été levé, mais non sans avoir convenu d’un échéancier et de mesures de suivi pour la satisfaction des justes demandes des communautés qui visent à protéger leur qualité de vie et à défendre leur territoire.

Il est important de souligner qu’il s’agit d’une zone riche en eau, en biodiversité et en ressources pétrolières et gazières. À ce stade, il est aussi important de noter que « de 2004 à 2021, période du Plan Colombia-Patriota y Consolidación, le nombre de zones d’exploitation d’hydrocarbures est passé de 255 à 892 en 2017, et ce, sous la présidence de Juan Manuel Santos. Ce dernier nous a accusés d’être de la narcoguérilla et s’est tiré avec notre pétrole »1Estefania Ciro, « Magia Salvaje », La Jornada, 18 novembre 2022. https://www.jornada.com.mx/notas/2022/11/13/politica/magia-salvaje-20221113/?from=page&block=politica&opt=articlelink (consulté le 21 mars 2023). En arrière-plan, le trafic de drogue, l’élevage extensif de bétail, l’agriculture industrielle et les projets d’extraction continuent d’aller de l’avant.

Les populations résistent à l’entrée des entreprises nationales et multinationales dans la région2Semana Rural, « Petróleo y deforestación, las amenazas que enfrenta La Macarena », Semana Rural. https://semanarural.com/web/articulo/petroleo-y-deforestacion-las-amenazas-que-enfrenta-la-macarena/495 (consulté le 21 mars 2023) et construisent et mettent en œuvre des projets pour une vie commune. Il convient de noter que, depuis la signature de l’accord de paix, les organisations communautaires de défense du territoire ont pris de l’expansion.

Grève illimitée dans la région de Dos Rios

Le 22 janvier, les communautés de la région de Dos Rios se sont mobilisées dans le cadre d’une « grève régionale illimitée pour la vie et la permanence sur le territoire », exigeant que le conflit historique sur la terre, l’extraction de ses richesses, le génocide et la destruction sur le territoire aux mains des paramilitaires prennent fin.

Le 26 janvier dernier, le gouvernement a entamé un dialogue avec ces communautés, aux termes duquel un accord a été conclu. Selon cet accord, notamment, « le gouvernement reconnaît qu’il existe dans les régions rurales de la Colombie une crise humanitaire et qu’y sont commises, en raison d’une reconfiguration des groupes paramilitaires, de graves violations des droits de la personne, un enjeu non seulement militaire, mais aussi politique, culturel, économique et social »3Comunidad, & Gobierno, « Gobierno y Comunidades acuerdan crear comisión para la solución de la #EmergenciaHumanitaria. Macrorregión Magdalena Medio. Colombia », Kavilando, 26 janvier 2023. https://kavilando.org/lineas-kavilando/formacion-genero-y-luchas-populares/9421-gobierno-y-comunidades-acuerdan-crear-comision-para-la-solucion-de-la-emergenciahumanitaria-macrorregion-magdalena-medio-colombia (consulté le 21 mars 2023). Les parties ont également convenu d’une stratégie et d’un échéancier, tombant d’accord pour parler d’une « urgence humanitaire » en vertu d’une loi administrative et ainsi surmonter à long terme les causes structurelles de l’urgence.

La région constitue une vaste zone enclavée par les rivières Magdalena et Cauca, deux artères fluviales importantes de la Colombie. Il s’agit d’un territoire d’une grande richesse hydrique, avec des terres fertiles, sur lequel sont menées des activités d’élevage extensif et des activités agro-industrielles, notamment de production d’huile de palme, d’extraction d’or, d’argent, de zinc, de cuivre (un minerai clé pour la transition énergétique), de pétrole, de gaz, de charbon et, enfin, la production de cultures destinées à un usage illicite.

Selon le rapport intitulé Expansión Paramilitar y represión contra comunidades en la región de los dos Ríos (Expansion paramilitaire et répression contre les communautés de la région de Dos Rios) présenté en janvier 2023 par un réseau d’organisations communautaires qui défendent le territoire, cette région a subi les effets d’une militarisation, qui comprend des activités paramilitaires, et ce, en fonction d’intérêts économiques. Les communautés concernées réaffirment que, à l’heure actuel, le pouvoir des paramilitaires sur le territoire et ses sociétés est consolidé par une présence accrue de ses membres, mais aussi par ses structures établies en collaboration avec l’armée.

En effet, la deuxième division de l’armée nationale, sa cinquième brigade, le 48e bataillon de jungle (Batallón de Selva Nº 48), la force opérationnelle conjointe de Marte (la Fuerza de tarea conjunta Marte), le 8e bataillon chargé des voies de transport et de l’énergie (Batallón Vial y Energético No. 8), qui protège l’entreprise Gran Colombia Gold, opèrent dans cette zone. Des groupes paramilitaires connus sous le nom de Caparrapos, le Clan du Golfe, composé des groupes Autodefensas Unidas de Colombia (AUC) et Autodefensas Gaitanistas de Colombia (AGC), le Jalisco Nueva Generación, certaines factions dissidentes des FARC et l’ELN sont également présents dans la région.

La présence militaire et paramilitaire et la complicité entre ces derniers trouvent leur raison d’être dans des intérêts économiques et politiques précis, et mènent à un contrôle territorial et social efficace. Dans de vastes zones, ces groupes exercent un contrôle sur, entre autres, la mobilité des populations et sur l’aménagement du territoire ainsi que sur l’approvisionnement. Ils sont devenus des expressions de facto du pouvoir sur le territoire, pouvoir maintenu par l’intimidation de sa population. Dans d’autres régions, ils agissent en tant que promoteurs de la culture de la coca et acheteurs de feuilles de coca, prêteurs et constructeurs d’infrastructures de base, de routes et d’entrepôts, pour ne mentionner que quelques éléments4Organizaciones sociales y firmantes, « Expansión Paramilitar y represión contra comunidades en la región de los dos Ríos. Colombia. Informe », Kavilando, 21 janvier 2023. https://kavilando.org/lineas-kavilando/territorio-y-despojo/9413-expansion-paramilitar-y-represion-contra-comunidades-en-la-region-de-los-dos-rios-colombia (consulté le 21 mars 2023).

Leur arrivée et le maintien de leur présence modifient peu à peu les logiques territoriales, culturelles et relationnelles, engendrent des répercussions sur l’environnement dont l’ampleur est incommensurable et transforment la composition de la population. Il s’agit d’une réingénierie socioterritoriale complète qui va à l’encontre de la volonté des communautés qui habitent et protègent ces territoires et du pouvoir populaire et qui sont constamment victimes de diverses formes de violence et d’assassinats.

Caravane humanitaire

Du 17 au 21 janvier, une caravane humanitaire a été lancée dans le Bajo Calima et le Medio San Juan, afin de mettre en œuvre les accords sur l’aide humanitaire conclus lors du premier cycle de négociations entre le gouvernement national et l’ELN.

L’objectif est d’établir un diagnostic sur l’intensification du conflit armé au cours des derniers mois, qui a entraîné de graves conséquences, comme le déplacement et le confinement de la population civile, dans le but de tracer un échéancier souple qui, à moyen terme, permettra aux communautés de sortir de leur confinement ou, dans les cas où il y a eu un déplacement forcé, de retourner sur leurs territoires si elles le souhaitent, et ce, en toute dignité et en toute sécurité.

« Mettre en œuvre des mesures humanitaires immédiates » est l’appel lancé à la fin de la caravane humanitaire de Calima et San Juan. Contenir la crise vécue par les communautés déplacées dans les abris et les installations de Cali, Dagua et Buenaventura, ainsi que par la population confinée dans les territoires5Caravana Humanitaria, « Implementar medidas humanitarias inmediatas. El llamado al cierre de la Caravana Humanitaria Calima y San Juán. Colombia ». 23 janvier 2023. https://kavilando.org/lineas-kavilando/conflicto-social-y-paz/9416-implementar-medidas-humanitarias-inmediatas-el-llamado-al-cierre-de-la-caravana-humanitaria-calima-y-san-juan-colombia (consulté le 21 mars 2023). Des rapports persistants font état entre autres, d’actions coordonnées entre les paramilitaires de l’AGC et l’armée colombienne, de pressions sur les communautés, de confinement, de déplacement, d’affrontements avec l’ELN dans plusieurs régions et de contrôle permanent de la mobilité.

Parallèlement, les projets d’exploitation de palmiers à huile, de cultures illicites, de bois, de mines d’or et de platine6El Tiempo, « Rebelión contra permisos para la minería en Calima El Darién (Valle)», El Tiempo, 21 décembre 2021. https://www.eltiempo.com/colombia/cali/rebelion-contra-tres-proyectos-de-mineria-en-calima-el-darien-valle-638140 (consulté le 21 mars 2023) et de cuivre progressent. En outre, les rivières qui constituent des voies de transport rapides vers et depuis la mer suscitent un intérêt particulier des groupes impliqués dans la région7Alfonso Insuasty Rodríguez, « El pacífico entre fuegos, Kavilando », 5 janvier 2020.  https://kavilando.org/lineas-kavilando/observatorio-k/7379-el-pacifico-entre-fuegos (consulté le 21 mars 2023).

En guise de conclusion

Le mouvement social, populaire et ethnique des paysan·ne·s doit être renforcé et doit continuer d’exiger ce qui est juste, avec ou sans gouvernement progressiste. Le modèle économique extractiviste, ancré dans des stratégies militaires, paramilitaires et même juridiques de persécution, sévit toujours, et ce, dans l’impunité. Il s’agit de zones très riches en ressources naturelles, que ce soit en eau, en sols fertiles ou en minéraux précieux.

L’abandon de l’État ou, en autres mots, la présence de groupes militaires et paramilitaires comme abandon par l’État de sa fonction dans cette région persiste. En outre, certains accords n’ont pas été respectés, notamment l’accord de paix entre les FARC et le gouvernement colombien. Les conditions structurelles qui permettent la perpétuation du conflit armé et de la violence dans le cadre d’un modèle économique extractiviste massif et destructeur n’ont pas encore cessé. La reprise de contrôle du territoire par les armes est aujourd’hui caractérisée par des intérêts divers, mais ce qui est certain, c’est que la stratégie de contrôle social, politique, économique et armé des territoires se repositionne, avec la complicité des forces armées et c’est ce que dénoncent les communautés qui en sont elles-mêmes victimes.

Au fur et à mesure que cette stratégie de prise de contrôle territorial progresse, les initiateurs de projets miniers et agro-industriels, qu’ils soient légaux ou illégaux, agissent impunément et avec agressivité, ce sur quoi il faut enquêter et ce qu’il faut dénoncer. Il convient de souligner l’attitude d’ouverture au dialogue du gouvernement de Gustavo Petro et de Francia Márquez, qui sont à la recherche de solutions, mais qui, sans avoir de position claire, sans agir rapidement et efficacement, pourraient vite voir leurs élans frustrés. La mobilisation collective des communautés est la voie vers la construction d’un tissu territorial autonome, et la force organisationnelle est la première garantie de protection, car elle a été en mesure de poser des conditions à l’État ainsi qu’à d’autres formes et tentatives de contrôle de la population et du territoire.

Ces défis dépendent, sans aucun doute, de la volonté politique forte et claire des organisations sociales, paysannes, ethniques et populaires, ainsi que de la volonté politique forte du gouvernement progressiste actuel, visant à promouvoir des transformations rapides par le biais de plans et d’actions efficaces pour exécuter les accords et les lois existants, ainsi que pour mettre en œuvre les réformes nécessaires et structurelles. Insister pour que des solutions durables soient apportées à moyen et à long terme implique en soi un exercice constant et dynamique de participation contraignante des différents secteurs de la société et du territoire.

En quatre ans de gouvernement de Gustavo Petro, même dans le meilleur des cas (ce qui est peu probable), des changements structurels suffisants ne seront pas réalisés, de sorte que le mouvement renforcé devra faire preuve de la clarté politique nécessaire pour permettre la poursuite des changements, tout en défendant ses acquis. Avec ou sans progressisme, les luttes des communautés pour la consolidation et l’affirmation de leurs projets de vie collective, la défense de leurs territoires, leur autodétermination, sont toujours d’actualité.

CRÉDIT PHOTO : Ákos Helgert / Pexels


Expansion mercantile et poursuite de la dépossession

Expansion mercantile et poursuite de la dépossession

Traduction d’Alexandre Dubé-Belzile
Cet article a été publié par nos partenaires de Colombie, la revue Kalivando. 

Le deuxième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme que la catastrophe est déjà inévitable. Il faut maintenant, de toute urgence, nous efforcer d’en minimiser les répercussions1Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Rapport de 2021, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/. L’influence néfaste des grandes entreprises sur les modes de fonctionnement démocratiques est accentuée et d’autant plus percutante dans la manière dont elle consolide non seulement le pouvoir d’une minorité2OXFAM, Democracias Capturadas: el gobierno de unos pocos. Bruxelles : Oxfam, 2019, récupéré sur https://www.oxfam.org/es/informes/democracias-capturadas-el-gobierno-de-unos-pocos (consulté le 30 janvier 2023), mais aussi dans la manière dont elle fait obstacle ou retarde les transformations essentielles qui nous permettraient de vraiment prendre soin de la planète et de la vie. Cela nous éclaire sur l’affirmation sans équivoque du GIEC3Op. Cit., note 5., selon laquelle, même face aux avertissements, les gouvernements n’ont rien fait. Ils n’ont pas pris les mesures les plus fondamentales à la prévention de la crise ou à tout le moins, les mesures nécessaires pour en minimiser les conséquences4Organisation des Nations unies (ONU), « Los líderes mundiales han fracasado en su batalla contra el cambio climático, según un informe de la ONU », 20 février 2022, récupéré sur https://news.un.org/es/story/2022/02/1504702 (consulté le 30 janvier 2023).

Sans aucun doute, aujourd’hui plus que jamais, la Terre joue un rôle de premier plan, actrice elle-même à part entière dans des aspects de ce monde qui dépassent toute logique, qu’elle soit diplomatique, issue des us et coutumes occidentaux ou autre. La planète vibre, prend parti en tant que sujet politique, fait pression sur les gouvernements de par le monde et nous permet en même temps de constater l’urgence d’un changement de culture et de valeurs pour les habitant·e·s submergé·e·s par la logique du capital.

La catastrophe

L’Organisation météorologique mondiale (OMM) nous prévient que, actuellement, plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à de l’eau potable et que le problème devrait s’exacerber dans les années à venir5Organisation météorologique mondiale (OMM), « La Coalición para el Agua y el Clima pide medidas urgentes para proteger a las personas », 9 mars 2022, récupéré sur https://www.iagua.es/noticias/organizacion-meteorologica-mundial/coalicion-agua-y-clima-pide-medidas-urgentes-proteger (consulté le 30 janvier 2023). Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), (2022), le nombre de personnes souffrant de l’insécurité alimentaire et de la faim dans le monde augmente aussi rapidement6Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Informe Global sobre Crisis Alimentarias 2022, récupéré sur  https://eacnur.org/es/actualidad/noticias/inseguridad-alimentaria-hambre-2022#:~:text=Informe%20Global%20sobre%20Crisis%20Alimentarias%202022 (consulté le 30 janvier 2023). Il convient de noter que l’Organisation des Nations Unies (ONU) prévoit que, d’ici 2050, il y aura plus de 9 milliards d’habitant·e·s, dont 70 % vivront dans des villes, adoptant un modèle de consommation intenable7ONU, « Las ciudades seguirán creciendo, sobre todo en los países en desarrollo », 2018, récupéré sur  https://www.un.org/development/desa/es/news/population/2018-world-urbanization-prospects.html (consulté le 30 janvier 2023). Selon le World Wildlife Fund (WWF)8World Wildlife Fund (WWF), Informe Planeta Vivo 2020. Revertir la curva de la pérdida de la biodiversidad, récupéré sur https://wwfeu.awsassets.panda.org/downloads/lpr20_full_report.pdf (consulté le 30 janvier 2023), ce modèle de société capitaliste a dévoré des ressources irrécupérables en limitant l’espace de la biodiversité. Au cours des 50 dernières années, la population de mammifères, d’oiseaux, de poissons, de reptiles et d’amphibiens a diminué de 68 % en moyenne. Les données sur l’Amérique latine sont d’autant plus troublantes, car elles font état d’une réduction de 94 %.

Malgré ces faits alarmants, les discussions des récents sommets de la COP26 (Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de Glasgow) et de Davos (Réunion Annuelle du Forum Économique Mondial) font surtout états de préoccupations relatives à la réactivation de l’économie dans le cadre du modèle capitaliste et à l’endiguement de la contestation de plus en plus importante qui résulte d’un mécontentement général9Alfonso Insuasty Rodríguez et Gustavo Muñoz Gaviria, « Disputas por el territorio, tensiones entre la guerra y la paz », 30 novembre 2021, récupéré sur https://www.biodiversidadla.org/Documentos/Disputas-por-el-territorio-tensiones-entre-la-guerra-y-la-paz (consulté le 30 janvier 2023). Les solutions sont de plus en plus hors d’atteinte. Quelle que soit la voie que peut sembler emprunter l’humanité, les changements essentiels ne sont pas en vue10Convida20, « Los poderes globales no apuntan sus decisiones a la satisfacción de necesidades humanas ni el cuidado de la Casa Común », 28 mars 2022, récupéré sur https://kavilando.org/lineas-kavilando/territorio-y-despojo/9014-los-poderes-globales-no-apuntan-sus-decisiones-a-la-satisfaccion-de-necesidades-humanas-ni-el-cuidado-de-la-casa-comun (consulté le 30 janvier 2023). Les pays développés et les grandes entreprises voient plutôt cette tragédie climatique comme une possibilité de faire des affaires, ce qui n’entraîne qu’une révision de la réglementation des institutions, simplement pour pouvoir retarder la dilapidation totale des ressources, tout en offrant un discours plus écologiste.

De plus, le conflit en Ukraine qui s’est amorcé au début de 2022 accélère et met en péril les faibles progrès réalisés par les pays de l’Union européenne par rapport aux accords de Paris et, au contraire, nous fait courir le risque de revenir en arrière par rapport aux gains réalisés en matière de politiques, et ce, en raison de la dépendance indubitable et accentuée au gaz, au pétrole et à ses dérivés. Dans un même ordre d’idées, on constate, entre autres, l’augmentation de la demande de charbon11Prensa Latina, « Demanda mundial de carbón alcanzará récord en 2022 », récupéré sur https://www.prensa-latina.cu/2022/12/23/demanda-mundial-de-carbon-alcanzara-record-en-2022 (consulté le 30 janvier 2023), qui entraînera sans aucun doute une augmentation des émissions mondiales de CO2. Les grandes entreprises et les pays développés qui les protègent ne réparent toujours pas les dégâts qui résultent de leurs activités et ne comprennent pas la gravité de l’état actuel de la planète.

L’expansion de l’extractivisme

Les tenant·e·s du modèle économique actuel reniflent déjà les dernières réserves naturelles de la planète où ielles pourront continuer de mener leurs activités, parmi lesquelles les forêts primaires et les terres disponibles et productives du poumon de la planète, l’Amazonie. Le synode sur l’Amazonie a affirmé : « la forêt amazonienne est un “cœur biologique” pour la terre de plus en plus menacée […] Il est scientifiquement prouvé que la disparition du biome amazonien aura un impact catastrophique pour toute la planète! »12« … la selva amazónica es un “corazón biológico” para la tierra cada vez más amenazada (…) ¡Está comprobado científicamente que la desaparición del bioma Amazónico tendrá un impacto catastrófico para el conjunto del planeta! …» Source : Secretaría General del Sínodo de los Obispos, Documento Preparatorio del Sínodo para la Amazonía, récupéré sur http://secretariat.synod.va/content/sinodoamazonico/es/documentos/documento-preparatorio-para-el-sinodo-sobre-la-amazonia.html  (30 janvier 2023) Ce biome important contient plus d’un tiers des réserves de forêts primaires du monde et constitue l’une des plus grandes réserves de biodiversité, contenant notamment 20 % de l’eau douce non gelée de la planète13AIDA, « Pronunciamiento de AIDA ante la crisis en la Amazonía », 22 août 2019, récupéré sur https://aida-americas.org/es/prensa/pronunciamiento-de-aida-ante-la-crisis-en-la-amazonia (30 janvier 2023). Aussi, 410 peuples autochtones coexistent dans les 8 470 209 km2 de l’Amazonie14Red Información Socioambiental Georreferenciada (RAISG). Atlas Amazonía Bajo Presión, 2020..

Face à l’incompétence fonctionnelle des États et à la protection à tout prix de l’avancée perverse des grandes entreprises, les communautés autochtones, paysannes, afro-américaines et les organisations populaires ont décidé de confronter les activités dévastatrices du capital, donnant ainsi lieu aux luttes de première ligne, ce qui les expose aussi aux agressions du système de mort qu’elles affrontent. La militarisation, la stigmatisation, la criminalisation et l’extermination sont les réactions qu’entraîne la défense de leurs justes causes. Le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, le Venezuela, le Suriname, la Guyane et la Guyane française sont des pays qui ont une relation directe avec l’Amazonie.

Entre 2017 et 2020, en Amazonie, sur les territoires de la Bolivie, de la Colombie, de l’Équateur et du Pérou, plus de deux millions d’hectares de forêts primaires ont été perdus. En 2020, la plus forte augmentation a été enregistrée, avec plus de 500 000 hectares déforestés. Depuis, 76 % des brûlages ont été enregistrés dans des zones non protégées du bassin, tandis que les 24 % restants ont eu lieu dans des territoires autochtones et des zones protégées15Monitoring of the Andean Amazon Project (MAPP), « La deforestación grave continúa dentro el Parque Nacional Chiribiquete », 2020, récupéré sur https://www.maaproject.org/2022/chiribiquete-colombia-2022/ (30 janvier 2023). Un total de 13 235 km2 a été déboisé en Amazonie brésilienne entre avril 2020 et avril 2021, le pire chiffre depuis 15 ans enregistré par l’Institut de l’homme et de l’environnement d’Amazonie (Instituto do Homem e Meio Ambiente da Amazônia). En avril 2022, le système d’alerte à la déforestation (DAS), qui fait partie de l’Institut, a fait état d’une augmentation de 54 % du phénomène16Instituto do Homem e Meio Ambiente da Amazônia (IMAZON), « Desmatamento na amazonia cresce 54 e atinge pior abril dos últimos 15-anos », 2022, récupéré sur : https://imazon.org.br/imprensa/desmatamento-na-amazonia-cresce-54-e-atinge-pior-abril-dos-ultimos-15-anos/ (30 janvier 2023). Dans une large mesure, la combustion de cette biomasse est associée à la pénétration de l’élevage, de l’agriculture extensive et de l’exploitation minière.

Colombie

La Colombie se classe au sixième rang mondial en matière de déforestation de la forêt primaire17World Resource Institute (WRI), Forest Pulse: The Latest on the World’s Forests, 2022, récupéré sur  https://research.wri.org/gfr/latest-analysis-deforestation-trends (30 janvier 2023). Selon les chiffres mondiaux, les forêts tropicales ont perdu 11,1 millions d’hectares en 2021, dont 3,75 millions dans les forêts tropicales primaires. La Colombie occupe la première place en ce qui a trait à l’avancement de la déforestation en Amazonie. De grands incendies ont été enregistrés à l’intérieur du parc national de Chiribiquete avec plus de 6 000 hectares brûlés depuis 2018, dont 2 000 hectares entre septembre 2021 et février 2022.18Op. cit., note 16.

Enfin, les groupes qui luttent contre les changements climatiques y sont perçus comme nuisible : « [celles et] ceux qui défendent à juste titre la vie dans un environnement sain font l’objet de menaces, de harcèlement et d’assassinats […] les progrès de la technologie et de la science ne semblent pas être utilisés pour adopter des politiques, des plans ou des actions qui visent le développement durable. Au contraire, ces progrès se font dans un esprit de développement négligent, corrosif et excluant »19Red Eclesial Panamazónica (REPAM), « Introducción del 2º Informe sobre la Vulneración de los DDHH en la Amazonía », p. 8..

La poursuite de la dépossession

Parallèlement, la machinerie extractiviste agricole et industrielle, dont celle de l’huile de palme, poursuit son cours, continue son expansion, avec ses effets néfastes, et ce, avec le soutien de l’État. Le 27 mars 2022, le gouvernement d’Iván Duque, par l’intermédiaire de l’Autorité nationale des licences environnementales (Autoridad Nacional de Licencias Ambientales-ANLA), a annoncé qu’un permis d’exploitation avait été accordé pour le développement du premier projet pilote de fracturation, appelé Kalé, qu’Ecopetrol a l’intention de réaliser dans la municipalité de Puerto Wilches, dans le département de Santander20Compromiso. (2022). « Rechazamos la aprobación de primer proyecto piloto de fracking en Colombia, en un contexto de amenazas contra líderes, lideresas ambientales y el territorio », récupéré sur  https://r.search.yahoo.com/_ylt=AwrFeFOM.9Zj0zkLOSqrcgx.;_ylu=Y29sbwNiZjEEcG9zAzIEdnRpZAMEc2VjA3Ny/RV=2/RE=1675062284/RO=10/RU=https%3a%2f%2fddhhcolombia.org.co%2fwp-content%2fuploads%2f2022%2f03%2fComunicado-rechazo-pilotos-fracking-en-Santander-2.pdf/RK=2/RS=TorofNaBmCWdw42R5BM3hf6QuEw- (30 janvier 2023)

Pour sa part, le gouvernement national a ignoré l’arrêt de la Cour suprême de justice qui protège les droits à la santé, à l’eau et à la sécurité alimentaire des communautés autochtones de La Guajira, ignorant les risques encourus par le détournement du ruisseau Bruno, qu’elle a autorisé en faveur des multinationales Glencore et Angloamerican.

« Se moquant de l’arrêt SU 698 de 2017 de la Cour constitutionnelle, les institutions gouvernementales ont annoncé leur décision d’entériner la destruction du cours naturel du ruisseau Bruno, au sud de La Guajira. Cette décision du gouvernement a été motivée par étude falsifiée, inadéquate tant sur le plan technique que scientifique, sans rigueur et dont données proviennent principalement de l’entreprise étrangère Carbones del Cerrejón, qui n’a pas bénéficié d’une participation réelle des communautés Wayuu de Paradero et de La Gran Parada qui faisaient pression n’a pas été validée par les technnicien·ne s impliqué·e·s ou fait l’objet d’un contrôle judiciaire »21Prensa CAJAR, « Alerta urgente: Gobierno avala la destrucción del arroyo Bruno », 17 avril 2022, récupéré sur https://www.colectivodeabogados.org/alerta-urgente-gobierno-avala-la-destruccion-del-arroyo-bruno/.

Le gouvernement a annoncé des mesures visant à faciliter l’accès et l’exploitation minière dans les localités d’El Roble et de Volador pour les sociétés canadiennes Atico Mining et Rugby Mining, ainsi que Mandé Norte, filiale de la société étatsunienne Muriel Mining Corporation, et Minera Cobre. De même, les projets à grande échelle de la multinationale Anglo Gold Ashanti et de la société Minerales Córdoba à Quebradona et dans les départements de Putumayo et de Nariño sont situés dans ce qu’on appelle la ceinture de cuivre du Pacifique, qui s’étend du Chili au Panama. On y trouve aussi du lithium, un minéral crucial pour la transition énergétique22Portafolio, « Chocó marca el hito para la operación de cobre en el país », 7 février 2018, récupéré sur https://www.portafolio.co/negocios/choco-marca-el-hito-para-la-operacion-de-cobre-en-el-pais-514053.

La situation est la même pour l’exploitation du charbon, et ce, en réponse à la demande à l’échelle mondiale. Or, les communautés racisées, paysannes, afrocolombiennes, les écologistes actif·ve·s au sein des centres urbains, les artistes, les éducateur·trice·s, les chercheur·e·s qui assument leur responsabilité écosociale ont articulé des demandes et mené des luttes acharnées, ont réussi à réaliser des gains en matière de territoires, ont fait avancer des projets de lois, ont fait suspendre des projets extractivistes, mais ielles sont, en conséquence, victime de persécution, de criminalisation et d’assassinats. L’unité d’enquête et d’accusation de la juridiction spéciale pour la paix (Unidad de Investigación y Acusación de la Jurisdicción Especial para la Paz) a publié une alerte au regard de l’augmentation des menaces de mort contre les militant·e·s écologistes à Santander, le département où la plupart des menaces ont été proférées contre des personnes qui « s’opposent publiquement à des projets d’extraction pétrolière ou minière ». Selon le rapport, au cours des 18 derniers mois, neuf de ces militant·e·s ont été tué·e·s à Puerto Wilches23La Silla Vacía, « Aún sin arrancar el fracking, la violencia se profundiza en puerto Wilches », 2022, récupéré sur https://www.lasillavacia.com/historias/silla-nacional/aun-sin-arrancar-e….

Un nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir en Colombie. En effet, Gustavo Petro a pris les rênes du pays en octobre 2022. De profonds changements sont attendus, mais le paramilitarisme prends de l’expansion dans les territoires et les mégaprojets miniers et énergétiques, l’élevage extensif et l’agriculture industrielle, notamment l’huile de palme, sont en pleine expansion. Il reste à voir si le nouveau gouvernement apportera vraiment les changements espérés.

CRÉDIT PHOTO : Pixabay/ Turiano L P Neto