Financement et liberté académique : la recherche universitaire au Québec

Financement et liberté académique : la recherche universitaire au Québec

Un rapport sur « L’Université québécoise du futur » a été rendu public à la fin septembre 20201. La liberté académique est au centre des préoccupations et des recommandations du groupe de travail présidé par le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, qui considère que « sa protection revêt même d’une certaine urgence à cause de l’économisme ambiant, qui menace de tout soumettre à ses lois». 

La suspension d’une professeure de l’Université d’Ottawa pour avoir employé en classe le « mot en n » a été jugée « liberticide » par certain·e·s défenseur·e·s de la liberté académique3. La censure que condamne une partie du corps professoral inquiète également M. Quirion, qui accuse « un accroissement de la rectitude politique influençant les discours publics et les débats de société », peut-on lire dans le rapport déposé à la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann4.

« La liberté académique, ça couvre les propos qu’on tient en classe ou dans l’espace public, dans les médias, mais ça couvre aussi la liberté de recherche, la liberté de choisir ses sujets de recherche et de décider si ses résultats vont être publiés ou non », soutient Jean Portugais, rejoint par L’Esprit libre. Le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), qui rassemble plus de 8 000 professeur·e·s et 18 syndicats et associations, met en garde contre l’impact du sous-financement public et l’influence du financement privé sur l’état de la recherche universitaire au Québec5

Un avertissement secondé par le rapport sur « L’Université québécoise du futur », dont l’exercice a découlé d’une conférence sur les enjeux de l’université au XXIᵉ siècle donnée par le scientifique en chef du Québec en mai 2019 et dans lequel sont soulignés le rôle et les conditions nécessaires à la bonne santé de la recherche : « L’institution universitaire et la recherche qu’elle abrite doivent être adéquatement financées pour outiller les nations face aux graves problèmes qui, au-delà de la récente pandémie, continuent de menacer l’avenir de l’espèce humaine6 ». Censée servir l’intérêt public, donc, la recherche est-elle aujourd’hui détournée au bénéfice des entreprises privées? 

Pressions multiples

Entre 2017 et 2018, le montant total des contrats et subventions de recherche dans les universités québécoises s’élevait à 1,3 milliard de dollars et les trois quarts de ce financement provenaient du secteur public7. On constate également que le financement canadien de la recherche est en constante augmentation depuis 2002 alors que les portefeuilles alloués par Québec et par le secteur privé, eux, accusent la tendance inverse8.  

Même si la majorité du financement de la recherche provient de sources publiques, le professeur à la TÉLUQ et spécialiste de la question du financement universitaire Michel Umbriaco s’inquiète de ce qu’il reste de moins en moins, année après année, d’argent pour la recherche libre à l’université, c’est-à-dire la recherche dont l’orientation soit déterminée uniquement par les chercheur·se·s. En référence à la recherche sur la COVID-19 et ses différentes implications, il soutient que la recherche doit parfois être orientée pour des raisons d’intérêts publics.  Cependant, « dans certains cas, le gouvernement insiste pour orienter la recherche et que ça serve les besoins de l’entreprise privée même s’il finance finalement peu la recherche », poursuit M.Umbriaco, citant à titre d’exemples les secteurs de l’exploitation minière et forestière, dont la recherche-développement est encouragée par les gouvernements successifs. Le rôle du ministre de l’Économie et de l’Innovation dans l’attribution du financement de la recherche fait également pencher la balance vers des domaines susceptibles de créer de la richesse — de la richesse qui ne soit pas qu’intellectuelle9. Les sciences sociales reçoivent effectivement moins de financement que les domaines scientifiques, la médecine en particulier10

Des dizaines de chaires de recherche financées par le privé sont actives aux quatre coins de la province, comme la Chaire Desjardins en finances responsables de l’Université de Sherbrooke, la Chaire de journalisme Bell-Globemédia à l’Université Laval, la Chaire Power Corporation sur les régimes de retraite et les assurances au HEC ou encore la Chaire RBC sur la motivation au travail à Concordia11.

Malgré un sous-financement persistant du milieu de l’éducation supérieure, les rectorats continuent à embaucher des professeur·e·s. Par contre, malgré qu’il y ait le même financement distribué entre de plus en plus de chercheur·se·s, ce sont toujours les mêmes qui finissent par en bénéficier, affirme M. Umbriaco. Ces propos font échos aux inquiétudes de Cécile Sabourin12, qui écrit dans la revue À bâbord! : « Rendus vulnérables par un contexte hyper compétitif, des pressions à la performance, l’insuffisance des budgets de recherche, la valorisation du prestige et de la notoriété, les professeur[·e·s] se trouvent de plus en plus devant des dilemmes. Pour accroître leurs succès aux concours, elles et ils optent pour des projets s’inscrivant dans des priorités clairement énoncées et débouchant sur des résultats concrets et transférables à l’entreprise privée13 ».

Les pressions qu’exercent les entreprises privées vont parfois jusqu’à empêcher la libre publication de résultats de recherches, par la voie d’un interdit de publication ou d’une poursuite bâillon menés par le bailleur de fonds, explique également M. Portugais. Il donne l’exemple de l’affaire Maillé14, au cours de laquelle la chercheuse a dû mener une longue bataille juridique pour faire valoir la protection de l’anonymat de ses sources, que lui demandait de dévoiler publiquement une entreprise15.

Le futur des universités 

Malgré les aides financières que le gouvernement a accordées au secteur de l’enseignement supérieur pour faire face à la pandémie de COVID-19, les universités canadiennes pourraient faire face à « des pertes de plusieurs milliards de revenus16 », estime Universités Canada.

Une nouvelle difficulté qui vient s’ajouter au problème de sous-financement des universités, auquel souhaite s’attaquer la FQPPU. « On vit dans un climat d’instrumentalisation de l’université à des fins commerciales, commente Jean Portugais, et la Fédération [québécoise des professeures et professeurs d’université] est opposée à cette vision mercantile de l’université. On pense que, sans balises, on est en train de brader une partie de notre bien public auprès d’entrepreneurs » qui peuvent tirer profit de l’exploitation des biens publics, dénonce-t-il. 

La FQPPU et son directeur ne se contentent pas de critiquer les failles du système de financement de la recherche. Dans leur mémoire présenté au groupe de travail sur les universités québécoises du futur, plusieurs propositions sont mises de l’avant. Pour éviter que tous les financements se retrouvent entre les mains de seulement quelques chercheur·se·s ou dans certains secteurs de recherches – la recherche dite « pratique » étant souvent favorisée au détriment des sciences pures ou des humanités, par exemple —, la Fédération propose d’attribuer une allocation de base à l’ensemble des professeur·e·s pour qu’elles et ils puissent financer leurs projets de recherche. 

Elle tente également d’encourager, auprès de la ministre McCann, l’écriture d’un projet de loi sur la liberté académique « parce que, si le législateur ne fait rien et qu’on laisse ça aux mains des recteurs d’université, aux conseils d’administration ou aux services de relation de travail des universités, rien ne va changer », selon M. Portugais. 

« Le financement privé, c’est oui, mais à condition qu’il y ait des balises », soutient-il. Enthousiaste quant au rapport de M. Quirion et aux efforts que semblent démontrer les différents paliers de gouvernement pour réfléchir à la question du financement universitaire, il rappelle que « la recherche, ça sert aux gens et pas juste [aux scientifiques] dans leurs fameuses tours d’ivoire universitaires. Ça a beaucoup d’impact pour la société ». 

1 La Presse canadienne, « La censure perturbe les universités, s’inquiète un groupe de travail », La Presse, 28 septembre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1737253/censure-universites-groupe-travail-rapport

Fonds de recherche du Québec, « L’Université québécoise du futur. Tendances, enjeux, pistes d’action et recommandations », 15 septembre 2020. http://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/UduFutur-FRQ-1.pdf 

3 La Presse canadienne, « Université d’Ottawa : des professeurs rapportent un climat d’intimidation », Radio-Canada, 27 octobre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1744573/universite-ottawa-controverse-mot-professeur-lieutenant-duval-climat-toxique-lettre-ouverte?depuisRecherche=true

4 La Presse canadienne, « La censure perturbe les universités, s’inquiète un groupe de travail », op.cit. 

De 2013 à 2019, le financement provincial des universités est passé de 3 081 millions de dollars à 3 352 et de 582 millions à 683, ce qui représente une faible augmentation. Fonds de recherche du Québec, op.cit

Fonds de recherche du Québec, op.cit

Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Consultation publique sur l’université québécoise du futur. Positions et propositions de la FQPPU, 23 octobre 2020. https://fqppu.org/wp-content/uploads/2020/10/UFutur_consultation_FQPPU_final.pdf

Fonds de recherche du Québec, op.cit.

Ce poste est actuellement occupé par Pierre Fitzgibbon.

10 Fonds de recherche du Québec, op.cit. 

11 Isabelle Porter, « Les liens entre entreprises et universités se multiplient », Le Devoir, 16 janvier 2020. https://www.ledevoir.com/societe/570878/familiprix-s-offre-une-chaire-a-l-universite-laval 

12 Au moment d’écrire ces lignes, l’autrice est professeure à l’UQAT et coordinatrice du comité Québec-Canada de la Charte des Responsabilités humaines. 

13 Cécile Sabourin, « La recherche universitaire sous influence », À bâbord!, octobre-novembre 2008. https://www.ababord.org/La-recherche-universitaire-sous 

14 Pour plus de détails sur l’affaire Maillé : Marie-Ève Maillé, L’affaire Maillé, Montréal : Écosociété, 2018, 192p.

15 FQPPU,op.cit.

16 Mathieu Dion, « Financement : les universités pourraient perdre des milliards », Radio-Canada, 31 août 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1730093/rentree-universites-revenus-pandemie 

En attendant la prochaine vague : démocratie et militantisme étudiant au Québec

En attendant la prochaine vague : démocratie et militantisme étudiant au Québec

Il y a neuf ans commençaient à apparaître les premiers signes de ce qui deviendrait le mouvement des carrés rouges. Des manifestations quotidiennes à la grève générale illimitée (GGI) qui a touché près de 50 % de la communauté postsecondaire1, le mouvement étudiant devenu social est, à ce jour, encore considéré comme l’un des plus importants de l’histoire du Québec. Depuis les mouvements de 2012 et de 2015, les quelques revendications portées par diverses associations et regroupements d’associations étudiantes font peu de vagues. Quel est l’état de la démocratie et du militantisme étudiant aujourd’hui, près d’une décennie après le « printemps érable », alors que la pandémie de COVID-19 célèbre son premier anniversaire?

« Comme chaque grève étudiante, 2012 a été une formidable expérience de démocratie, ouvrant à l’idée qu’il est possible d’être autre chose qu’un électeur aux quatre ans et un consommateur », affirme à L’Esprit libre le professeur de philosophie Arnaud Theurillat-Cloutier. Depuis 1968, l’expérience de la GGI s’est reproduite neuf fois dans les universités et les cégeps du Québec2, en plus des grèves à durée limitée ponctuelles et des autres moyens de pression déployés par les associations étudiantes de la province. On peut penser au mouvement de 2015 contre les mesures d’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard ou, plus récemment, à la grève pour réclamer la rémunération des stages et de la formation professionnelle à l’université3. Ces mobilisations n’ont toutefois jamais atteint l’ampleur du mouvement des carrés rouges.

Essoufflement

Pour le professeur4, la force de la mobilisation de 2012 s’est en partie construite grâce à « la persistance d’une infrastructure de la dissidence dans le mouvement étudiant, c’est-à-dire l’existence de structures et de pratiques de démocratie directe et d’actions de masse dans les associations étudiantes, en particulier autour de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante [ASSÉ] ». La coalition large de l’ASSÉ, fondée en 2012, soit la CLASSE, s’est imposée comme acteur dominant du syndicalisme étudiant en 20125. Sa collaboration avec la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), deux entités de représentation étudiante moins radicales, a accordé au mouvement une certaine unité et a favorisé le rapport de force dans les négociations avec le gouvernement.

« Il y a une expérience accumulée des luttes étudiantes entre la grève de 2005 et [de] 2012, ce qui s’est traduit par une meilleure et [une] plus grande capacité d’organisation », explique M. Theurillat-Cloutier, qui rappelle l’importance des grandes sommes d’argent, du savoir-faire ainsi que du nombre plus important de militant·e·s et de savoir théoriques que permet la multiplication des mobilisations. Le transfert de connaissances entre militantes et militants s’effectue entre autres par l’organisation d’assemblées générales comme l’organisation de grèves. L’expérience qui a émané de la mobilisation sur les campus en 2012 peut donc expliquer la proximité dans le temps avec laquelle s’est déclenchée la grève contre les mesures d’austérité de 2015. L’ampleur et l’adhésion populaire n’ont cependant jamais atteint les sommets du mouvement des carrés rouges et la population québécoise était pourtant défavorable à la grève6. Le mouvement des carrés rouges a lui-même été perçu comme un échec par plusieurs, puisque la revendication au cœur du soulèvement, soit l’annulation de la hausse des frais de scolarité de 75 % sur cinq ans prévue par le gouvernement de Jean Charest, a finalement été remplacée par une indexation et non par une annulation intégrale de la hausse. « Bref, il n’y a eu aucun gagnant et, comme dans les tragédies, tous sont morts », écrit le sociologue et chercheur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Benoit Coutu, qui soutient qu’« en 2015, l’échec fut plus profond, disloquant le mouvement étudiant jusqu’à nos jours7».

Défauts d’organisation, revendications trop larges, épuisement militant et répression policière accrue8… Les raisons de cet échec sont difficiles à déterminer, mais la désillusion qu’il entraîne et ses conséquences sont claires pour le politologue Alain Savard : « Si aucune grève n’a lieu pendant une période prolongée sur un campus, le noyau militant perdra progressivement les connaissances liées à l’organisation de grèves et aura de la difficulté à recruter une relève, écrit-il. La participation aux assemblées chutera et l’association étudiante perdra son rôle politique. […] La plupart du temps, lorsque cela arrive, l’association étudiante glisse vers l’organisation d’activités sociales comme les partys et s’oriente vers les clubs d’appartenances9 ». La grève du printemps 2015 serait également à la base de la dissolution de l’ASSÉ en mai 2019. « À la suite de celle-ci, plusieurs critiques avaient été formulées comme un manque de transparence et de confiance envers les personnes élues, résultant en un désinvestissement progressif de la structure10 », peut-on lire sur le site du défunt regroupement d’associations.

Aujourd’hui, les associations étudiantes font face à un nouvel obstacle : la pandémie de COVID-19 et les mesures sanitaires qui en ont découlé forcent les acteur·trice·s de la démocratie étudiante à transformer profondément leurs pratiques.

De nouveaux défis

« J’avais l’impression qu’il se passait quelque chose au Québec et qu’enfin je n’étais plus seul à me battre de mon bord, raconte Vincent Boisclair au Huffpost alors qu’il était confiné dans le domicile de ses parents à Victoriaville11. Quand j’ai appris qu’il y avait un mouvement de grève qui s’annonçait, c’était ça ma vie. […] Depuis un an je préparais ça. Ça s’est juste effondré du jour au lendemain », se souvient l’étudiant en environnement de 25 ans, dont les activités militantes écologistes ont pris fin avec l’annonce du confinement en mars 2020. Les manifestations et les actions pour lutter contre les changements climatiques étaient fréquentes depuis quelques mois avec l’avènement de groupes comme Extinction Rebellion Québec. La marche pour le climat de septembre 2019, qui a attiré des milliers de personnes dont la militante écologiste Greta Thunberg, n’est qu’un exemple de la mobilisation multiforme des militant·e·s étudiant·e·s qui s’organisent autour de la question environnementale, du secondaire à l’université12. La pandémie a mis un frein à cet élan.

Les établissements scolaires postsecondaires offrent, depuis la session d’hiver, la majorité de leurs cours exclusivement en ligne afin de ralentir la propagation du virus. Outre les activités académiques, le travail des associations étudiantes est également perturbé par le passage des salles de classe aux visioconférences. « La pandémie affecte beaucoup nos activités étant donné que nous n’avons plus de contact direct avec nos membres », nous confirme Ariane Monzerolle, exécutante à la vie étudiante de l’Association étudiante du cégep de Saint-Laurent (AECSL). Même si l’AECSL réussit à maintenir ses activités régulières et la majorité de ses assemblées générales — celles-ci ne pouvant avoir lieu que lorsqu’est atteint le quorum déterminé par les membres de l’association —, Ariane redoute que les activités militantes ne soient profondément perturbées. « Je ne pense pas que l’association pourrait présentement prendre des actions provinciales comme dans le passé », affirme-t-elle, citant à titre d’exemples les mouvements de 2012 et de 2015 et expliquant que « c’est difficile [de] rassembler des personnes et [d’]avoir des contacts avec elles et eux [qui soient] organiques ».

Alexandra Henkélé, elle, semble plus optimiste. Jointe par téléphone, la responsable aux affaires externes et aux affaires étudiantes du Mouvement des associations générales étudiantes de l’Université du Québec à Chicoutimi (MAGE-UQAC), en poste depuis septembre 2020, admet « que ce sont de nouveaux défis et toute une approche différente, parce que là il faut parler avec les étudiants et les solliciter à distance, mais je pense que [ce sont] de bons défis et de nouvelles façons de faire qu’il faut apprendre, et c’est l’occasion en ce moment de développer de nouvelles stratégies, de nouvelles façons de penser et de mobiliser ».

Parmi ces défis, on compte le fait que les élections du MAGE-UQAC qui devaient avoir lieu à l’été ont été reportées en septembre. Pendant plusieurs mois, la charge de travail a ainsi reposé sur les épaules de trois personnes, alors qu’elle est normalement répartie entre les membres d’une équipe de dix. Alexandra craint également une baisse progressive de la participation aux assemblées générales (AG), tenues via la plateforme Zoom jusqu’à nouvel ordre : « nos AG avant avaient lieu le midi, dans la cantine, et on distribuait de la pizza gratuite, se souvient-elle. Donc c’est sûr que c’était vraiment facile pour [les étudiantes et les étudiants] d’aller manger à la cantine comme tous les jours, de prendre une pizza gratuite et d’être au courant de tout ce qui se passe à l’université! »

La première assemblée générale de la session d’automne 2020 a, contre toute attente, attiré beaucoup de participant·e·s. Un succès qu’Alexandra explique par l’engouement entourant l’un des enjeux y ayant été abordés, soit la lutte contre le projet Énergie Saguenay de GNL Québec. À l’UQAC, l’opposition au projet de construction d’une usine de liquéfaction de gaz naturel remonte à plus de trois ans. Depuis 2017, le MAGE-UQAC a mené de nombreuses actions, des journées de grève, a formé des partenariats avec plusieurs groupes de défense de l’environnement et, surtout, a réussi à mobiliser le corps étudiant et la population de Chicoutimi autour d’enjeux environnementaux. Un engouement qu’elle explique par la portée majeure du projet de GNL Québec, dont le président a d’ailleurs démissionné à la mi-novembre13. « Le projet de loi 21, ça touche beaucoup les étudiants en droit ou en éducation, donc c’est vraiment plus cette communauté-là qui va être mobilisée, alors que l’environnement, ça touche vraiment n’importe qui », soutient la militante et étudiante en intervention plein-air, dont l’association a même participé aux audiences du BAPE cet automne, et ce, malgré la pandémie.

En plus d’avoir rédigé et présenté un mémoire en son nom, le MAGE-UQAC a invité ses membres à envoyer des lettres personnalisées aux autorités du BAPE pour faire valoir leur désaccord face au projet Énergie Saguenay. Alors que la mobilisation étudiante était au plus bas, Alexandra confie que l’association a réussi à relancer le débat et à susciter l’intérêt de ses membres autour du BAPE en utilisant les réseaux sociaux.

Arnaud Theurillat-Cloutier laisse entendre plus de réserve quant au tournant numérique de la démocratie étudiante : « jamais les réseaux sociaux ne pourront nous donner la qualité de ces liens qui émergent dans et à la suite des assemblées générales étudiantes », se désole-t-il, insistant sur le fait qu’il s’agit d’« une perte importante, car nous avons besoin de lieux physiques pour se rassembler, se reconnaître, débattre de vive voix, confronter véritablement nos perspectives en sortant du confort de nos certitudes, développer notre confiance mutuelle, se reconnaître entre allié·e·s ».

En attendant la fin de la crise sanitaire et le retour aux modes d’exercices de la démocratie étudiante pré-COVID, toutes et tous s’entendent sur le fait qu’il leur faudra se surpasser d’ingéniosité pour redéfinir leur fonctionnement, mais également pour s’attarder à de nouveaux enjeux. Avec la pandémie, l’isolement social et la précarité économique qui n’épargnent pas la population étudiante du Québec, les préoccupations des associations étudiantes, dont le mandat principal demeure la représentation et la défense de ses membres, sont également amenées à changer. Problèmes de santé mentale, dégradation de la qualité des cours et frais de scolarités jugés trop élevés, sans accès aux locaux et aux services réguliers des établissements d’enseignement : tous ces problèmes remplacent, pour l’instant, d’autres luttes politiques et sociales qui étaient prévues à l’agenda des associations étudiantes, avant que l’année qui s’achève n’impose son propre ordre du jour.

Révision de fond: Léandre St-Laurent et Any-Pier Dionne; 

Révision linguistique: Laurence Marion-Pariseau

Alain Savard. « Comment le mouvement étudiant démocratise les structures du militantisme » dans Nouveaux cahiers du socialisme. Hiver 2017. https://www.erudit.org/en/journals/ncs/2017-n17-ncs02920/84472ac.pdf

2 Ibid.

Isabelle Maltais. « Une grève étudiante générale est lancée pour la rémunération des stages » dansRadio-Canada. 18 mars 2019. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1159013/greve-etudiante-generale-remuneration-stages

Il était également engagé dans les mouvements étudiants de 2005 et 2012, et a contribué aux ouvrages collectifs À force d’imagination, Lux, 2013 et Un printemps rouge et noir, Écosociété, 2014).

5 Xavier Lafrance. « La route que nous suivons » dansÀ bâbord!. Octobre-novembre 2012. https://www.ababord.org/La-route-que-nous-suivons

Marco Fortier. « Les Québécois condamnent la grève étudiante ». Le Devoir, 11 avril 2015. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/436957/sondage-leger-le-devoir-les-quebecois-condamnent-la-greve-etudiante

Benoit Coutu. « Le mouvement étudiant de 2015 : retour sur un échec » dans Nouveaux Cahiers du socialisme. Automne 2017. https://www.cahiersdusocialisme.org/mouvement-etudiant-de-2015-retour-echec/

Cassandra Harbour et Christophe Tremblay. « Les effets de la répression policière visant les manifestants dans le contexte du « printemps érable » ». Rapport final présenté à la Ligue des droits et libertés – section Québec, avril 2013. http://liguedesdroitsqc.org/wp-content/uploads/2013/08/rapport_final_harbour_et_tremblay.pdf

Savard, Op.cit.

10 Association pour une solidarité syndicale étudiante. Congrès annuel 2018-2019 : les membres de l’ASSÉ votent en faveur de la dissolution. 29 avril 2019. https://nouveau.asse-solidarite.qc.ca/index.html%3Fp=3788.html

11 Florence Breton. « Militantisme et pandémie : “le momentum de nos actions a été perdu” »,Huffpost, 1er septembre 2020. https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/militantisme-pandemie-momentum-perdu_qc_5f4d1af4c5b64f17e140f4e8

12 Ibid.

13 Alexandre Shields. « Le président de GNL Québec quitte son poste » dansLe Devoir. 11 novembre 2020. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/589527/le-president-de-gnl-quebec-quitte-son-poste

Aires protégées au Québec : vers un objectif de conservation de la biodiversité?

Aires protégées au Québec : vers un objectif de conservation de la biodiversité?

Il y a dix ans, le Québec s’est engagé à protéger 17 % de son territoire terrestre et 10 % du milieu marin sous sa juridiction d’ici la fin 2020 1. À quelques semaines de cette échéance, la superficie du territoire constituée en aires protégées a atteint les 12,7 %, et dépasse à peine les 1 % en eaux territoriales 2. Encore loin de ses objectifs, fixés en 2010 à Nagoya dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique aux côtés de 165 pays 3, Québec doit-il adopter une nouvelle stratégie de conservation? 

Une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associées 4», d’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une autorité en la matière. Cet outil de conservation de la biodiversité aurait de nombreux bénéfices environnementaux, mais aussi socio-économiques, dont la diversification de l’économie locale, la sensibilisation du public à la nature ou encore le support à l’économie touristique et à l’éco-tourisme 5

En mars 2020, le Québec comptait près de 5 000 aires protégées, ce qui représente un déficit de 100 000 kilomètres carrés à combler avant la fin de l’année en cours 6. Dans la décennie qui s’est écoulée depuis l’entrée en vigueur du Protocole de Nagoya, la province a uniquement protégé un 2,5 % supplémentaire du territoire, alors que de nombreux projets proposés par différents acteurs régionaux sont sur la tablette depuis des années 7. Début décembre, Québec annonçait la protection de 30 000 kilomètres carrés supplémentaires au Nunavik, dans le Nord de la province 8. Interrogé sur la possibilité d’atteindre les objectifs lors d’une entrevue au Journal de Québec, le ministre de l’Environnement Benoît Charette déclarait : « Je confirme qu’on va y arriver 9».

« Le gouvernement a entre ses mains toutes les cartes pour doubler la superficie des aires protégées au Québec », affirme en entrevue la directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard, convaincue que la cible du Protocole qui a trait aux aires protégées pourrait être atteinte en seulement quelques jours.

Blocages

Il existe différentes catégories d’aires protégées, délimitées en fonction de critères déterminés par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), en accord avec ses différents engagements internationaux. Avant d’être adoptés, les projets d’aires protégées sont proposés directement par le MELCC ou par des acteur·trice·s locaux et régionaux. « Jusqu’en 2010, c’était beaucoup le ministère de l’Environnement [et de la Lutte contre les changements climatiques] qui avait le lead sur la proposition de territoires à protéger, mais, pour la décennie en cours, ils ont vraiment fait un effort de déléguer l’identification des aires protégées au niveau des régions pour augmenter l’acceptabilité sociale des projets et pour que ça parte beaucoup plus du milieu », explique à L’Esprit libre la coordonnatrice en conservation et analyste politique à la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Alice de Swarte. Jusqu’à sa dissolution en 2016, c’est principalement la Conférence régionale des élu[·e·]s (CRÉ) qui porte le dossier, tout en assurant des tables de consultation. Avec la disparition de la CRÉ, « les élu[·e·]s qui avaient pu porter ces dossiers-là n’avaient plus le mandat de les porter, donc forcément le momentum s’est un peu perdu », analyse Mme de Swarte, pour qui cela a contribué à ce que certains projets d’aires protégées passent à la trappe. 

Les projets maintenus doivent, quant à eux, être approuvés par le MELCC, en concertation avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) et le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Le principal blocage à la création d’aires protégées résiderait dans le fait que ces deux derniers ministères « ne donnent pas leur aval à ces projets d’aires protégées puisqu’ils veulent protéger leur droit d’exploiter les ressources sur ces territoires-là », selon Mme Simard. Un problème que souligne également l’analyste à la SNAP : « [le MFFP et le MERN] vont contre les intentions gouvernementales et contre les objectifs gouvernementaux et ils ne collaborent même pas », ajoute Mme de Swarte, qui affirme qu’il est quasi-impossible d’entreprendre des négociations avec les représant·e·s de ces ministères. 

Au Québec, il n’existe pas de mécanisme imposant un délai de réponse aux ministères pour rendre leur décision concernant les projets d’aires protégées. Les délais peuvent parfois dépasser un an voir 18 mois, nous indique Mme de Swarte, rappelant que « pendant ce temps-là ce sont des territoires qui continuent à être mis sous pression, dans lesquels tu peux avoir de la planification forestière, des passages de lignes d’Hydro-Québec, des [réclamations] mini[ères], etc. ».

En réponse à ce problème, la SNAP propose la création de claims Nature, sur le modèle de l’industrie minière 10. « Pendant que des communautés autochtones, des élu[·e·]s locaux et des groupes citoyens voient leurs projets d’aires protégées être tablettés, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles permet à sa clientèle d’acquérir, en quelques clics et pour quelques dollars, des droits sur des kilomètres carrés. Le ministère des Forêts dispose quant à lui de 27 millions d’hectares de forêts disponibles pour la récolte forestière », peut-on lire dans un communiqué de presse publié par l’organisme, le 27 octobre dernier 11. Cité dans le même communiqué, le directeur général Alain Branchaud, soutient qu’ « alors que les autres ministères se réservent de larges territoires avec leurs potentiels forestiers ou énergétiques, leurs claims miniers et leurs permis gaziers et pétroliers, il faut donner la possibilité au ministère de l’Environnement d’en faire autant avec des potentiels de biodiversité, des potentiels écotouristiques, des claims Nature ou des permis de rêver à un monde meilleur et plus vert ».

Réformes et appréhensions

À la mi-novembre 2019, le gouvernement caquiste de François Legault déposait à l’Assemblée nationale le projet de loi n° 46, la Loi modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine et d’autres dispositions 12, dont un des buts officiels serait d’accélérer le processus de création d’aires protégées 13

« Le projet de loi 46 amène plusieurs nouveaux éléments intéressants », soutient Alice-Anne Simard citant, à titre d’exemple, « certaines nouvelles catégories d’aires protégées qui pourraient avoir un beau potentiel ». Nature Québec n’a cependant pas donné son aval au projet qui, dans son état actuel, est jugé incomplet par l’organisme : « il y a une proposition de projet d’aire protégée à utilisation durable, qui est un projet qui pourrait permettre que dans certaines aires protégées il y ait une certaine forme d’exploitation des ressources qui soit permise. Par contre, nous il faut absolument qu’on s’assure que ce soit seulement des ressources qui sont renouvelables qui soient permises, donc qu’on interdise toutes les activités d’exploitations d’hydrocarbures, d’exploitation minière », soutient-elle, rappelant que cette interdiction formelle ne se trouve pas dans le projet de loi sous sa forme actuelle. 

De son côté, la SNAP craint que le projet de loi à l’étude n’ait pour conséquence d’affaiblir le statut des aires protégées, et rejette en bloc la possibilité de permettre certaines activités d’exploitation des ressources naturelles sur les territoires protégés ou ceux qui seront amenés à le devenir. « C’est bon d’amener une modernisation de la loi sur la conservation du patrimoine naturel, c’est bon de vouloir diversifier les outils qu’on utilise », commente Mme de Swarte, précisant cependant qu’il y a une pression importante des lobbies industriels, qui feraient selon elle, pression sur le gouvernement et ses organes ministériels pour « abaisser un peu la barre » législative. Mme Simard garde elle aussi ses précautions : « il faut seulement s’assurer que ce n’est pas une façon détournée de permettre des immenses aires protégées dans lesquelles, au final, on fait la même chose que d’habitude et il n’y a pas de réelle conservation », affirme-t-elle. 

Étant toujours à l’étude, le projet de loi n° 46 ne pourra toutefois pas aider le gouvernement à atteindre ses objectifs pour 2020. Des négociations internationales, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), sont présentement en cours pour déterminer le prochain seuil d’aires protégées, qui serait potentiellement de 30 % pour l’année 2030 14. Au Québec, les organismes de protection de la diversité s’entendent pour dire qu’il faudrait également favoriser une diversification du type d’écosystèmes à préserver, et chercher à couvrir plus de territoire au sud du 49e parallèle, où seulement 5 % du territoire est actuellement constitué en aires protégées 15

Si l’UICN considère qu’« un réseau adéquat d’aires protégée doit être à la base de toute stratégie de conservation », l’association WWF-Canada 16 met en garde contre une approche par pourcentage qui serait purement politique et pas nécessairement applicable à tous les écosystèmes. « Par exemple, les écosystèmes rares ou de très faible superficie ou encore ceux qui sont très vulnérables aux perturbations anthropiques ou dont il ne reste que quelques échantillons intacts, nécessitent une protection quasi-totale », peut-on lire dans un article signé par la géographe Mélanie Desrochers et la biologiste Gaétane Boisseau et paru en 2006. 

Mme de Swarte est convaincue que « sans cible chiffrée, il n’y aurait absolument aucun progrès sur ces dossiers-là », mais rappelle tout de même l’importance d’enjeux de gouvernance comme la représentativité et l’équité dans une démarche de conservation de la biodiversité. Elle souligne notamment l’importance de la participation des communautés autochtones dans les processus de consultation et de prise de décision entourant les projets d’aires protégées, notant une augmentation de leur implication dans les dernières années, qu’elle explique par une prise de conscience que « la conservation peut être un outil pour eux [et elles afin de] préserver des lieux importants, que ce soit des sites sacrés ou juste des territoires sur lesquels ils [et elles] peuvent continuer de pratiquer leurs activités traditionnelles ».

Une prise de conscience généralisée à l’ensemble de la population et qui concerne également la préservation de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques, d’après Mme Simard. Un constat doux-amer, pour la directrice générale de Nature Québec : « malheureusement, la dégradation de la biodiversité ne freine pas. Il y a vraiment une dégradation fulgurante de la biodiversité partout dans le monde, et il faut trouver les moyens de la conserver », s’inquiète-elle, alarmant sur le fait qu’« à chaque fois qu’une espèce disparaît, c’est l’espèce humaine qui se rapproche un petit peu plus de l’extinction ».

Patrice Bergeron, « Aires protégées : Québec veut plus de souplesse sur la protection », La Presse, 14 novembre 2019. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2019-11-14/aires-protegees-quebec-veut-plus-de-souplesse-sur-la-protection

« Québec veut 17 % d’aires protégées d’ici la fin de l’année », Le Quotidien, 30 octobre 2020. https://www.lequotidien.com/actualites/quebec-veut-17–daires-protegees-dici-la-fin-de-lannee-fa7407743d58fd25d7d508aab063ca8b/quebec-veut-17–daires-protegees-dici-la-fin-de-l-annee-672f6ff49008277600b2dfbe2bd3f613 

Ibid.

4 Conseil régional de l’environnement de la Côte-Nord (CRECN), « Aires protégées », 2008. http://www.crecn.org/main.php?sid=m&mid=37&lng=2 

Ibid.

Le Quotidien, op.cit.

7 Ibid.

Henri Ouellette-Vézina, « Québec protège 30 000 kilomètres carrés au Nunavik », La Presse, 5 décembre 2020. https://www.lapresse.ca/actualites/2020-12-05/quebec-protege-30-000-kilo….

9Ibid.

10 « Le claim est le seul titre minier d’exploitation qui peut être délivré pour la recherche des substances minérales du domaine de l’État », et qui s’obtient par désignation sur carte ou « par jalonnement sur certains territoires déterminés à cette fin ». Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, « Le claim », 2015. https://mern.gouv.qc.ca/publications/enligne/mines/claim/leclaim.asp

11 Société pour la nature et les parcs du Canada – section Québec, « La SNAP Québec réclame la mise en place de “claims Nature“ », 27 octobre 2020. https://snapquebec.org/la-snap-quebec-reclame-la-mise-en-place-de-claims-nature/

12 Assemblée nationale du Québec, « Projet de loi n° 46, Loi modifiant la Loi sur la conservation du patrimoine et d’autres dispositions ». http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-46-42-1.html 

13 Le Quotidien, op.cit. 

14 Le Quotidien, op.cit.

15 Ibid.

16 Mélanie Desrochers et Gaétane Boisseau, « Pourquoi le Québec a-t-il besoin d’aires protégées? », WWF-Canada, mars 2006. http://cef-cfr.ca/uploads/Membres/desrochersboisseau.pdf 

Les cours d’eau au Québec : gouvernance, barrages et consensus

Les cours d’eau au Québec : gouvernance, barrages et consensus

Autrefois prise pour acquis, l’eau douce est aujourd’hui considérée comme une ressource précieuse et limitée. Le territoire du Québec compte à lui seul 4 500 rivières et plus de 500 000 lacs1, dont la gouvernance repose sur une gestion intégrée des ressources en eau (GIRE)2. Plus de quinze ans après son adoption, quel regard peut-on poser sur le modèle québécois de gouvernance des cours d’eau? 

Un cinquième des ressources en eau douce de la planète se trouvent en territoire canadien3. La quantité n’est cependant pas synonyme de qualité, qui est jugée médiocre dans les zones les plus densément peuplées du Québec4. Cette tendance ne risque pas de s’inverser, en raison des conséquences des changements climatiques. La baisse envisagée de 20 % du débit du fleuve Saint-Laurent d’ici 2055 ou encore la contamination des eaux par des produits de plus en plus difficiles à détecter5 compte au nombre des facteurs qui pourraient dégrader la qualité des cours d’eau, dont dépendent des secteurs entiers de l’économie québécoise. 

Le diagnostic est clair : les cours d’eau sont malades, et les sources de ce mal sont multiples. L’industrie manufacturière, l’agriculture et l’élevage ne sont pas les seuls secteurs à polluer. En 2019, des eaux usées ont été rejetées 57 231 fois dans les rivières du Québec, selon la Fondation Rivières6. Les 870 stations d’épuration et les 4 684 ouvrages de surverses — des chambres souterraines permettant d’acheminer les eaux usées vers les égouts et les cours d’eau — sont insuffisants, voire désuets. Certaines municipalités enregistrent plus de 3 000 déversements annuellement, comme ce fut le cas de la capitale nationale l’an dernier7. La quantité d’eaux usées qui se retrouve dans les rivières est difficile à répertorier, puisque les données sont compliquées à récolter et que certaines municipalités ne fournissent pas d’informations sur les déversements, en dépit d’une loi qui les contraint à le faire depuis janvier 20168.

La collecte de données est un des piliers de la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement de Dublin (1992), durant laquelle ont été dégagés les principes fondamentaux de la Politique nationale de l’eau du Québec (PNE), en vigueur depuis 20029

Un modèle particulier

Au Québec, la gouvernance de l’eau est mise en oeuvre selon la division territoriale en quarante bassins versants, une « unité spatiale délimitée par la ligne de partage des eaux et dans laquelle toutes les eaux de surface sont drainées vers un même cours d’eau jusqu’à son embouchure10 ». Chacune de ces divisions administratives est prise en charge par « des organismes à but non lucratif qui sont mandatés par le gouvernement du Québec pour gérer des projets à l’échelle des bassins versants », explique à L’Esprit libre Anthoni Barbe, chargé des communications pour l’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi (OBVBM). 

« Notre mandat principal, c’est d’élaborer un plan directeur, poursuit-il, c’est-à-dire une sorte de gros rapport qui évalue tout ce qui a été fait au niveau scientifique pour dresser le portrait le plus complet du territoire » afin de cibler les enjeux spécifiques au milieu hydrique concerné et de pouvoir y répondre. Les problèmes vont de la pollution des cours d’eau à la destruction d’habitats, en passant par les catastrophes naturelles comme les inondations. 

Jusqu’à l’adoption de la PNE, les autorités québécoises priorisaient une approche sectorielle, communiquant isolément avec chaque acteur du milieu. Individuels ou collectifs, ces acteurs sont nombreux et variés. Les municipalités, les municipalités régionales de comté (MRC), les entreprises industrielles, les agriculteur·trice·s, etc. : tous et toutes sont amené·e·s à collaborer au sein d’institutions non coercitives basées sur la recherche du consensus. « L’idée étant que, dès lors qu’il y a concertation et qu’on trouve un consensus, ça va être difficile ensuite pour les acteurs de se retirer et de ne pas appliquer ce qui a été convenu », nous renseigne le professeur de géographie à l’Université Laval, Frédéric Lasserre. 

« Sur papier, ça fait des projets excellents », affirme le spécialiste de la géopolitique de l’eau en entrevue téléphonique. « Dans la pratique, évidemment, ça ne marche pas toujours comme en théorie », met-il en garde, affirmant qu’il peut parfois être difficile d’intéresser les acteurs·trice·s concerné·e·s à la problématique et aux mécanismes de gestions auxquels ils sont supposés prendre part. 

Limites et perspectives 

En matière de gestion des cours d’eau et de réduction de la pollution, rien ne contraint les acteurs et actrices à mettre la main à la pâte. Les OBV « ont une carotte, mais elles n’ont pas beaucoup de bâtons », dit M. Lasserre, délaissant la métaphore pour donner l’exemple concret de la Côte-Nord, où « l’industrie minière dans son ensemble estime effectivement que c’est dans l’intérêt de ses membres de participer au processus de gouvernance [de l’eau], ne serait-ce qu’en terme d’image, de relations publiques. Mais, dans la pratique, il y a beaucoup d’entreprises minières sur la Côte-Nord qui font de l’absentéisme et ne participent pas beaucoup au processus de concertation et de consultation », regrette-t-il. La principale limite du système québécois se loge précisément, selon lui, dans le fait que « s’il n’y a pas de bonne volonté […], on ne peut pas amener les acteurs [et actrices] à participer à ce processus ». 

Un des cinq membres d’une équipe en charge de cours d’eau aussi importants que le lac Champlain ou la rivière Richelieu, M. Barbe dénonce le manque d’effectif et de moyens économiques dont bénéficient les OBV pour remplir leur mission. Plus de quinze ans après leur création, certains OBV n’ont pas encore rendu leur plan directeur au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC)11 auquel ils sont redevables. 

Le professeur attribue quant à lui une partie de ces blocages aux luttes de pouvoir entre les différents acteurs et actrices. « Il y a concurrence entre les modèles de l’OBV et les modes de gestion que préconisent les MRC », explique-t-il, ajoutant que certaines municipalités se sentent également mal représentées au sein du système qui régit actuellement la gouvernance de l’eau. 

« Ce système produit également des réussites », rassure M. Barbe, qui nous renseigne sur les initiatives menées par l’Union des producteurs agricoles (UPA) pour encourager les producteur·trice·s à « favoriser certains types de culture », dit-il. L’UPA a d’ailleurs un site internet dédié à la promotion des bandes riveraines, une pratique qui présente des bénéfices considérables pour lutter contre l’érosion des sols et la pollution des cours d’eau12. Dans un des publireportages accessibles sur leur site, on peut lire le témoignage de Marcel Loiselle : « La plupart des gens qui n’ont pas de bandes riveraines cultivent très près du cours d’eau pour aller chercher le maximum de leur terre. Selon moi, poursuit-il, ce n’est pas une bonne idée. On le voit chez certains de nos voisins [et voisines] qui ont encore des problèmes d’érosion. Nous, on voit que les bandes riveraines valent l’investissement! », s’exclame le copropriétaire d’une ferme laitière à Saint-Marc-sur-Richelieu, en Montérégie13.

Micropolluants, augmentation de la pollution diffuse d’origine agricole, évasement ou présence d’espèces envahissantes… Même si de nouvelles menaces pour les milieux hydriques continuent d’émerger et d’autres, de se perpétuer, « il y a eu des progrès », estime M. Lasserre. « La pollution d’origine industrielle a beaucoup diminué, par exemple. Quand j’étais petit, le Saint-Laurent n’avait pas la même couleur qu’aujourd’hui », se souvient-il.

Face aux limites du modèle actuel, faudrait-il revenir à une approche sectorielle? Une question à laquelle il est dur de répondre autrement qu’en émettant des hypothèses. « Moi, je pense que les deux [modèles] sont compatibles, croit Frédéric Lasserre. On peut très bien envisager une approche gouvernementale par le biais de la réglementation et des normes, tout en favorisant aussi un dialogue à l’échelle locale, régionale. » 

De son côté, Anthoni Barbe défend le modèle des OBV : « puisque tout est interconnecté, affirme-t-il en référence au gigantesque réseau de cours d’eau qui se déploie sur le territoire du Québec, c’est dur d’aborder ces enjeux-là au niveau d’une seule municipalité ou d’une seule MRC. Ça prend une synergie d’acteurs [et d’actrices], de volonté [et] de pression citoyenne » pour assurer aux ressources québécoises, canadiennes et mondiales en or bleu, un avenir doré.

Husk, John et Antoine Verville. 23 août 2020. « L’eau comme levier de prospérité pour nos régions » dans Radio-Canada. [En ligne]. https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-08-23/l-eau-comme-levier-de-prosperite-pour-nos-regions.php (page consultée le 11 octobre 2020)

Commissaire au développement durable. Juin 2020. Conservation des ressources en eau. [En ligne]. https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-cdd/164/cdd_tome-juin2020_ch03_web.pdf (page consultée le 12 octobre 2020)

WWF.En santé, l’eau douce au Canada? [En ligne]. https://watershedreports.wwf.ca/fr/?_ga=2.79638611.67169963.1602245684-323381826.1602245684#intro (page consultée le 11 octobre 2020)

Brun, Alexandre. 1er juillet 2009. « L’approche par bassin versant : le cas du Québec » dans Policyoptions. [En ligne]. https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/canadas-water-challenges/lapproche-par-bassin-versant-le-cas-du-quebec/ (page consultée le 9 octobre 2020)

Marcotte-Latulippe, Isabelle et Catherine Trudelle. Eau Québec, quel avenir pour l’or bleu? [En ligne]. https://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/volume_42/42-3-Latulippe-Trudelle.pdf (page consultée le 10 octobre 2020)

Fondation Rivières. [En ligne]. https://fondationrivieres.org/ (page consultée le 12 octobre 2020)

Ibid.

8 Ibid.

Brun, op.cit.

10 Ibid.

11 Commissaire au développement durable, op.cit.

12 Union des producteurs agricoles (UPA). Mythes et réalité de la bande riveraine. [En ligne]. https://www.bandesriveraines.quebec/ (page consultée le 12 octobre 2020)

13Ibid.

Cryptomonnaies, promesses et inquiétudes

Cryptomonnaies, promesses et inquiétudes

Grâce au faible coût de l’électricité et aux températures froides, le Québec est un endroit de choix pour accueillir les puissants serveurs nécessaires au bon fonctionnement de bitcoin, ethereum, ripple et autres monnaies numériques. Alors que les cryptomonnaies ont d’abord été conçues pour court-circuiter les banques, les acteurs de la finance traditionnelle leur font aujourd’hui de l’œil. 

Entre deux quarts de travail, Victor Chevalier a rencontré L’Esprit libre dans une brasserie branchée du Plateau Mont-Royal. À seulement 26 ans, le Montréalais d’origine française se prépare à la retraite : après avoir complété un diplôme en génie mécanique à l’École de technologie supérieure (ETS), il multiplie les emplois dans le but d’atteindre l’autonomie financière avant de souffler sa 30e bougie. Mais il n’y a pas que son salaire qui remplit ses coffres. 

Victor fait partie des millions d’utilisateurs et d’utilisatrices ayant fait la transition de la finance traditionnelle vers les cryptomonnaies, dont la célèbre Bitcoin, créée en 2009 par Satoshi Nakamoto. « J’ai trouvé dans les cryptomonnaies un moyen de faire travailler l’argent pour moi », raconte Victor, qui a commencé à investir il y a environ trois ans, encouragé par la « bulle Bitcoin » durant laquelle la valeur de cette monnaie numérique a atteint près de 20 000 dollars canadiens l’unité1

Celui qui a commencé à «trader » avec des sommes variant entre 10 et 100 dollars canadiens peut désormais passer de six à huit heures par jour sur les différentes plateformes de transactions, sur lesquelles s’échangent plus de 6 500 cryptomonnaies actuellement en circulation2. Mais au-delà de son profit personnel, Victor investit aussi dans un projet de société : celui de la finance décentralisée. 

Projet ou utopie? 

La cryptomonnaie est une sorte de monnaie numérique, mise en circulation sur les chaînes de blocs (« blockchains » en anglais), c’est-à-dire « [des] base[s] de données, où les transactions sont validées et stockées de manière sûre3 », sans instance centrale pour assurer la validation des transactions et la maintenance de la chaîne. Le bon fonctionnement du système des cryptomonnaies est donc pris en charge par les ordinateurs des utilisateurs et utilisatrices, sans intermédiaires, ce qui serait équivalent à priver les banques de leur rôle dans une transaction financière traditionnelle. 

La technologie de la chaîne de blocs permet aux échanges de capitaux de se faire à moindre coût, plus rapidement, de manière plus sécuritaire et en tout anonymat4. Les transactions ne peuvent donc être retracées par les appareils de surveillance étatique, et c’est le code lui-même qui fait autorité, entamant la privatisation et la décentralisation de la finance en brisant le monopole étatique sur la création et la réglementation de la monnaie5.

Un monopole qui n’a pas toujours existé, puisque les banques centrales n’ont vu le jour qu’au XIXe siècle, après une série de crises financières6

C’est l’économiste libéral Friedrich Hayek qui, dans les années 1970, popularise l’idée d’un marché monétaire sans contrôle étatique, partant du principe que « les principales entraves à la concurrence proviennent de l’État et de ses réglementations7 ». Or, la concurrence est essentielle au libre-marché dans un système capitaliste globalisé, tel que souhaite le maintenir Hayek et ses collègues de l’école autrichienne. Pour les libéraux, l’inflation est également à éviter : la perte de pouvoir d’achat et l’augmentation des prix qu’elle entraîne découlent, selon eux, d’une émission monétaire trop importante8. Le bon fonctionnement du marché implique donc une monnaie au volume limité… comme dans le cas des cryptomonnaies, dont la valeur découle justement de leur rareté. 

À l’avant-garde du mouvement, le bitcoin naît juste après la crise des prêts à haut risque de 2008-2009, et « s’affiche clairement comme une alternative au capitalisme contemporain, dont la dynamique est portée par une collusion Banques-Gouvernements9 ». Il ne s’agit donc pas de dépasser le capitalisme, mais de le reconfigurer, en « démocratisant » la finance et en restituant le contrôle de la monnaie, considérée comme un « bien commun », aux individus10.

La cryptomonnaie est « une manne alimentée par la méfiance du consommateur [ou de la consommatrice] à l’égard du système financier11 », appétissante pour les startups de la Silicon Valley comme pour certain·e·s gauchistes et anticapitalistes. Elle rappelle d’ailleurs à l’historien Edward Castelton le Freigeld (« argent libre » en allemand) du négociant socialiste Silvio Gesell qui, au début du XXe siècle, crée une monnaie déflationniste dans le but de faire « baisser les taux d’intérêt et, par conséquent, les revenus des détenteurs [et détentrices] de capitaux12 ». Cela a pour effet de limiter la thésaurisation, c’est-à-dire l’accumulation de capital qui ne soit pas utilisé à des fins de placement ou de circulation, et de freiner la concentration des richesses. Le Freigeld sort de la circulation après la Grande Dépression, les banques centrales craignant sa popularité croissante, de l’Europe jusqu’aux États-Unis13.

À l’image de « l’argent libre », les monnaies numériques permettent théoriquement à leurs instigateurs et instigatrices de leur attribuer toutes les caractéristiques qu’iels souhaitent et d’avoir prise sur le marché. En pratique, les cryptomonnaies semblent pourtant aussi loin des ambitions de Gesell que de celles d’Hayek. 

La réalité du numérique

Une étude de Cornestone Advisers révèle que 15 % des Américain·e·s possèdent de la cryptomonnaie, dont plus de la moitié l’ont acquise au cours des six premiers mois de 202014. Les transactions de cryptomonnaies ont d’ailleurs connu une hausse importante à compter de février, soit dès le début de la pandémie de COVID-1915

« Les cryptomonnaies demeurent tout de même un phénomène relativement marginal », d’après le chercheur et professeur à la Toulouse School of Economics (TSE) Matthieu Bouvard. Un phénomène qui a tout de même retenu l’attention du Fonds monétaire international (FMI) qui, dans une vidéo mise en ligne sur Twitter, vantait les mérites des cryptomonnaies et concédait même qu’elles « sont peut-être la prochaine étape dans l’évolution de la monnaie16 ». Le G7 s’est aussi intéressé à la question lors de sa rencontre de juillet 2019, affirmant dans sa déclaration officielle que certains projets de monnaies numériques « soulèvent de sérieuses inquiétudes systémiques et de réglementation, qui doivent toutes être traitées avant que ces projets puissent être mis en œuvre17 », faisant notamment référence à la libra. 

Annoncé par le réseau social Facebook en 2019, la création d’une nouvelle cryptomonnaie, la libra, a créé une onde de choc au sein de la communauté internationale : à la différence de monnaies comme le Bitcoin, « il y a une vraie crainte que soit créé [avec la libra] un système de paiement parallèle avec possibilité d’entraîner des problèmes pour les banques centrales, la stabilité financière, etc. », commente M. Bouvard, qui s’est intéressé aux cryptomonnaies dans le cadre de ses recherches. En entrevue à L’Esprit libre, il explique que la monnaie numérique de Facebook, parce qu’en lien avec des entreprises commerciales, pourrait concurrencer les monnaies locales, tout particulièrement dans les petits pays, et les moins riches d’entre eux. L’objectif principal de Facebook demeure pour l’instant de faciliter le commerce en ligne18.

Fin juin 2020, le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI), sorte de banque centrale des banques centrales, énonçait que « la crise du COVID-19, et l’essor des paiements électroniques qui l’accompagne, est susceptible de doper le développement des monnaies numériques de banque centrale19 », témoignant des interactions de plus en plus intriquées entre les cryptomonnaies et la finance traditionnelle. 

Une monnaie numérique comme Ripple a par exemple été conçue « pour faciliter les transferts d’argent à l’intérieur du système bancaire, dit M. Bouvard. C’est une monnaie qui a été construite pour être parfaitement intégrée au sein du système », utilisant la technologie de la chaîne de blocs pour servir des fins quasi opposées à celles auxquelles aspiraient les créateurs du Bitcoin. 

Le projet bitcoin n’est pas non plus ce qu’il était : la validation des transactions s’opère toujours grâce à un consensus entre les utilisateurs et utilisatrices (consensus appelé « proof of walk » en anglais), mais demande des ordinateurs ultrapuissants, d’après M. Bouvard, puisqu’« il repose sur le fait qu’il y a des gens qui soient capables de résoudre des problèmes cryptographiques très compliqués ». Il y a donc une concentration des acteurs et actrices responsables de la « proof of walk » : il y a aujourd’hui dix entreprises de « minage » qui représenteraient entre 90 et 95 % du processus de validation des transactions, d’après le professeur de la TSE. 

La cryptomonnaie est aussi pointée du doigt pour être très polluante : une transaction bancaire génère 0,0045 gramme de déchets électroniques par transaction, contre 134,5 grammes pour les bitcoins20.

Prise entre les régulations étatiques, la convoitise des géants du numérique et les collaborations potentielles avec les acteurs financiers traditionnels, il est difficile d’estimer la place que prendront les cryptomonnaies dans les prochaines années. 

Pour Victor, une chose est évidente, et c’est qu’il continuera d’investir. Une pinte à la main, il réaffirme sa confiance envers les promesses incarnées par la chaîne de blocs et la cryptographie : « Quand tu regardes des vidéos de micros-trottoirs dans les années 1970, où les journalistes demandent aux passant·e·s c’est quoi internet, personne ne sait quoi répondre. […] Les cryptomonnaies, c’est pareil, soutient-il. Bientôt, tout le monde va en utiliser sans même le savoir. » 

Agence France Presse. 15 novembre 2018. « Le bitcoin retombe à ses niveaux d’avant la bulle » dans La Presse. [En ligne]. https://www.lapresse.ca/affaires/marches/201811/15/01-5204287-le-bitcoin-retombe-a-ses-niveaux-davant-la-bulle.php (page consultée le 9 septembre 2020)

Dréan, Gérard. 2 septembre 2020. « Le FMI face aux cryptomonnaies » dans Contrepoints. [En ligne] https://www.contrepoints.org/2020/09/02/379303-le-fmi-face-aux-cryptomonnaies (page consultée le 4 septembre 2020)

Castleton, Edward. Mars 2016. « Le banquier, l’anarchiste et le bitcoin » dans Le monde diplomatique. [En ligne] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/03/CASTLETON/54957 (page consultée le 5 septembre 2020)

Telegraph Reporters. 17 août 2018. « What is cryptocurrency, how does it work and why do we use it? » dans The Telegraphhttps://www.telegraph.co.uk/technology/0/cryptocurrency/ (page consultée le 6 septembre 2020)

Klein, Olivier. 7 octobre 2018. « Les crypto-monnaies, une utopie anarcho-capitaliste » dans Les Échos. [En ligne]. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/les-cryptomonnaies-une-utopie-anarcho-capitaliste-141086 (page consultée le 6 septembre 2020)

Ibid.

El Idrissi, Abdelhak. 11 janvier 2018. « Bitcoin : la réalisation d’une utopie anarcho-capitaliste » dans France Culture. [En ligne]. https://www.franceculture.fr/economie/bitcoin-la-realisation-dune-utopie-anarcho-capitaliste (page consultée le 6 septembre 2020)

El Idrissi. Op.cit.

Desmedt, Ludovic et Lakomski-Laguerre, Odile. Automne 2015. « L’alternative monétaire Bitcoin : une perspective institutionnaliste » dans Revue de la régulation. [En ligne] https://journals.openedition.org/regulation/11489#ftn23 (page consultée le 8 septembre 2020)

10 Ibid.

11 Castelton, Op.cit.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Shevlin, Ron. 27 juillet 2020. « Coronavirus Cryptocurrency Craze : Who‘s Behind the Bitcoin Buying Bindge? » dans Forbes. [En ligne]. https://www.forbes.com/sites/ronshevlin/2020/07/27/the-coronavirus-cryptocurrency-craze-whos-behind-the-bitcoin-buying-binge/#451bac512abf (page consultée le 5 septembre 2020)

15 Ibid.

16 Fonds monétaire international (FMI). « What are cryptocurrencies? » sur Twitter. [En ligne] https://twitter.com/IMFNews/status/1297640002604527621 (page consultée le 8 septembre 2020)

17 Dréan, Op.cit.

18 Moutot, Anaïs. 18 juin 2019. « La cryptomonnaie de Facebook, une menace pour les autres Gafa » dans Les Échos. [En ligne] https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/la-cryptomonnaie-de-facebook-une-menace-pour-les-autres-gafa-1030191 (page consultée le 9 septembre 2020)

19 Agence France Presse (AFP). 24 juin 2020. « La pandémie accélère la réflexion sur les monnaies numériques de la banque centrale » dans La Tribune. [En ligne] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/cryptomonnaie-la-pandemie-accelere-la-reflexion-sur-les-monnaies-numeriques-de-banque-centrale-851093.html (page consultée le 8 septembre 2020)

20 An Vu Van, Binh. 4 avril 2019. « Le bitcoin génère plus de déchets électroniques que le système bancaire » dans Radio-Canada. [En ligne]. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1161743/bitcoin-pollution-banques-etude-vries-alex-energie-environnement (page consultée le 6 septembre 2020)