De la démocratie au Moyen-Orient : l’expérience du Rojava (2/2)

De la démocratie au Moyen-Orient : l’expérience du Rojava (2/2)

Au cœur du conflit syro-iraquien, alors que se déploie avec violence le fruit de décennies d’intervention occidentale, une minorité enclavée tente de mettre en application les idées du penseur anarchiste Murray Bookchin. Le présent article fait suite à un premier texte sur le Rojava en décrivant les fondements théoriques et le fonctionnement de cette expérience de démocratie directe, qui est également, avec toutes ses fioritures théoriques, un vaste projet de développement communautaire antihiérarchique et anticapitaliste. Nous décrivons également les hauts et les bas de ce projet libertaire en le comparant au gouvernement kurde autonome établi en Irak.

Le fonctionnement du Rojava

À l’aube du XXIe siècle, de sa cellule de prison turque, Abdullah Öcalan – un des membres fondateurs du Parti des travailleurs du Kurdistan – , sous l’influence de Bookchin et des zapatistes, a proposé un nouveau modèle de société que les militant×e×s du Rojava ont tenté de mettre en place. Selon Öcalan, le modèle d’un État-nation, amené par l’administration française, est impraticable en Syrie et au Moyen-Orient. Pour mettre fin à l’instabilité politique, il serait essentiel de le délaisser[1]. Le Rojava est devenu le foyer d’une « résistance capable de faire échec à la planification centralisée », mais également le laboratoire de « capacités innovatrices ». Les idées d’Öcalan, inspirées du municipalisme libertarien de Bookchin, ont servi d’« utopie mobilisatrice » pour les militant×e×s de plusieurs horizons qui se rassemblent sous la bannière du Kurdistan. Contrairement au marxisme orthodoxe, sans oublier le panarabisme pseudo-socialiste du parti Baath, l’approche auto-organisée du Rojava tient compte de la pluralité des horizons sociaux et culturels pour ne pas s’embourber dans la pensée politique unique d’un État centralisateur[2].

Cependant, pour qu’une expérience d’autonomisation fonctionne, il faut que le leadership puisse « favoriser la construction de compromis sans pour autant esquiver les débats[3]». Cela est essentiel pour permettre la coopération de militant×e×s issu×e×s de tous les horizons. Pour comprendre le degré de réussite du leadership au Kurdistan syrien, il faut se pencher sur le fonctionnement de ses institutions politiques et la manière dont les décisions y sont prises. Selon Laurence Bherer, professeure au département de science politique de l’Université de Montréal, « la participation publique étant liée à un contexte local, des formes diversifiées de participation seraient nécessaires pour répondre aux spécificités de la configuration[4] ». Le Rojava, bien qu’il ne dispose que d’une seule charte ou contrat social, est divisé en trois cantons, qui ont chacun leur constitution, leur gouvernement, leur parlement et qui répondent d’une charte commune. Au sein des cantons, des communes ont été fondées dans les quartiers des villes et villages. La commune est la plus petite unité du système politique du Rojava. Ce sont les assemblées au sein desquelles les problèmes du quotidien sont discutés. Chaque commune comporte six comités : le comité social, le comité des femmes, le comité de la paix, le comité d’autodéfense et le comité économique. Chaque commune est gérée par deux co-leaders (un homme et une femme) élu×e×s au suffrage universel par ses membres. Ce sont les conseils municipaux qui font le relais entre les communes et le conseil public du Canton.

Les problèmes de plus petite envergure sont réglés au sein des communes. Lorsqu’ils sont plus importants, plusieurs communes peuvent se réunir pour traiter de la question. Par exemple, puisque l’approvisionnement en électricité reste un problème au Rojava, les communes ont rassemblé des fonds auprès de leurs membres pour acheter des générateurs. Les cantons, de leur côté, ont aidé à la réparation des câbles électriques. Le comité de paix est l’un des plus actifs au sein des communes et règle des problèmes qui pourraient traîner des mois, et même des années, dans les tribunaux du parti Baath, qui existent encore dans certaines villes du Rojava. Les problèmes relatifs aux disputes familiales, tribales, aux questions de location de logement, de transaction commerciale et autres questions sociales sont discutés au sein de ce comité d’un point de vue éthique et non juridique. Cela s’explique par le fait que les lois seraient considérées comme appartenant à un ordre hiérarchique, étatique, sur lequel les militant×e×s du Rojava tentent de tourner la page.

Toutefois, comme le soulignent certain×e×s intervenant×e×s, il est parfois difficile de faire comprendre aux gens la véritable utilité des communes, qui sont parfois perçues comme des organisations de charité. En effet, tandis que les populations les plus démunies s’y sentent interpellées, les plus favorisées ne sentent pas le besoin de s’y impliquer. Aussi, même s’il n’y a pas de comité politique au sein des communes, d’anciennes rivalités entre partis et groupes politiques semblent subsister. Certaines figures d’autorité de l’ancien système peuvent avoir du mal à se retrouver soudainement sur un même pied d’égalité avec les autres. Selon les militant×e×s du Rojava, l’individualisme néolibéral[5] qui résulte d’une société capitaliste est la cause principale des maladies spirituelles et psychologiques qui ruinent la société. Les communes se veulent un remède à cet individualisme[6].

Révolution et pouvoir d’agir des femmes (autonomisation[7])

Pour Asieh Abdullah, un des co-leaders du Parti de l’union démocratique (PYD en arabe), l’émancipation des femmes doit s’intégrer au processus révolutionnaire dès le début et ne devrait pas attendre le règlement de la question kurde. Il s’agit plutôt d’un prérequis à l’abolition des rapports de pouvoir[8]. Abdullah Öcalan en parle en ces mots : « Libérer la vie reste une impossibilité sans une révolution féminine radicale qui transformerait la vie des hommes et leur mentalité. […] Ce sont cinq mille ans d’histoire appartenant à une ancienne civilisation caractérisée par [la lutte] des classes qui ont laissé la femme dans une situation pire que celle de l’homme. Par conséquent, une révolution de genre serait par la même occasion une libération de l’homme[9]. » Dans les cantons du Rojava, les femmes doivent constituer 40 % dans les institutions et elles disposent de leur propre branche des forces armées[10],[11]. La manière dont la révolution du Rojava traite de l’identité est intéressante. Elle rejoint l’idée d’Alain Badiou selon laquelle le « progrès scientifique implique de transcender toutes les identités[12] ». « Il s’agit de trouver, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une identité générique, une identité de l’anonymat, une identité qui est au-delà de toute identité[13]. » En effet, même si l’expérience politique qui se déroule au Rojava émane d’un mouvement identitaire kurde, la lutte qui y est menée l’est au nom de tou×te×s les opprimé×e×s , tou×te×s les exclu×e×s.

Pour comprendre ce qu’est « transcender toutes les identités », il est particulièrement révélateur de comparer le Rojava avec les autres entités politiques qui jouent un rôle au sein du conflit syro-iraquien. Selon Anahita Hosseini, du King’s College London, Daech[14] engendre des « homo sacers », c’est-à-dire des exclu×e×s de la société, en raison de leur appartenance religieuse, sexuelle, politique ou autre, alors que le Rojava s’affaire à les inclure[15]. Dans les mots d’Agirî Yilmaz, combattant des Unités de protection du peuple (YPG) : « Si on en croit la mentalité des combattant×e×s de Daech, les femmes sont faibles. Elles ne peuvent combattre. […] De notre côté, nous croyons que les femmes peuvent s’organiser elles-mêmes et s’autogérer[16]. » Les paroles d’Öcalan sur la révolution de genre font écho au concept d’autonomisation, qui traite des femmes « en tant que sujets actifs de leur propre histoire[17] », et ce, après cinq millénaires de phallocratie. Ces luttes pour « reconquérir la citoyenneté[18] » s’inscrivent également dans « la pédagogie des opprimé[×e×]s » de Paolo Freire[19]. Nous constatons que, d’une part, même si les mouvements sociaux du Rojava « inventent et construisent des alternatives participatives à l’intérieur du système[20] », leurs efforts mènent également à la « décontextualisation » et la « déterritorialisation[21] » de leur lutte qui échappe aux griffes du parti Baath pour bâtir une utopie, à l’abri d’un État providence devenu cannibale. En ce sens, le Rojava constitue un regroupement d’« espaces et d’arènes » où divers mouvement et acteurs et actrices « marginalisé[×e×]s, abandonné[×e×]s par un discours et des pratiques hégémoniques » prennent en main leur destin et trouvent des solutions nouvelles et innovatrices, puisant dans les écrits anarchistes de Bookchin, d’Öcalan et même dans ceux de Wallenstein et de Foucault[22].

La chercheuse Srilatha Batliwala[23] définit l’autonomisation comme « un processus de transformation des relations de pouvoir entre individus et groupes sociaux ». Selon elle, ces rapports de pouvoir peuvent être affectés « en remettant en cause l’idéologie qui justifie les inégalités […], en changeant les modalités d’accès et de contrôle des ressources économiques, naturelles et intellectuelles et en transformant les institutions et les structures qui renforcent et maintiennent les rapports de pouvoir existants[24] ». Dans le même ordre d’idée, les féministes distinguent généralement l’autonomisation du rapport de pouvoir d’un individu ou d’un groupe sur un autre. L’autonomisation est plutôt « un pouvoir créateur qui rend apte à accomplir des choses […], un pouvoir collectif et politique mobilisé notamment au sein des organisations de base […] et un pouvoir intérieur […] qui renvoie à la confiance en soi et à la capacité de se défaire des effets de l’oppression intériorisée[25] ».

La lutte des femmes du Kurdistan est un danger pour la mentalité de Daech et de tou×te×s celles et ceux qui voudraient utiliser le nom d’Allah pour satisfaire leurs propres intérêts. Elle est également un danger pour la bourgeoise libérale et capitaliste qui pointe du doigt le fondamentalisme religieux, mais qui, par un autre discours soi-disant féministe, asservit tout autant les femmes. En effet, la manière des sociétés capitalistes de conférer du pouvoir d’agir est de nommer des femmes à des postes haut placés, les intégrant ainsi à l’appareil répressif, que ce soit comme femme d’affaires, ministre, professeure, docteure, avocate, policière ou comme gardienne de sécurité. Selon les militant×e×s du Rojava, cette pratique n’est que de la poudre aux yeux et n’a rien à voir avec l’autonomisation telle que définie plus haut. L’égalité n’a rien à voir avec quelques possibilités de mobilité sociale qui ne sont qu’une manière de mettre fin aux revendications féministes. La véritable autonomisation se fait par la consolidation des mouvements sociaux de femmes et des mécanismes participatifs, ce qui fait d’ailleurs l’objet des luttes au Rojava[26].

L’économie sociale au Rojava

Pour ce qui est des activités économiques du Rojava, c’est le système coopératif qui a été adopté. Selon Öcalan et les militants du Rojava, le système libéral présente les salarié×e×s comme libres alors qu’elles et ils ne sont rien de moins que des esclaves. Celui ou celle qui succombe au travail salarié devient donc comme « un chien tenu en laisse[27] ». Les initiatives d’économie sociale « émergent généralement en grappes sous la poussée d’une dynamique socio-économique, dans une situation de grande crise économique[28]». Au Rojava, l’économie n’est pas vue comme une science qui vise à enrichir au maximum un certain groupe, ce qui revient à un « mécanisme sophistiqué de pillage financier, intellectuel et culturel ». Au contraire, elle est un moyen de subvenir aux besoins de la communauté[29]. Selon Öcalan, l’économie sociale est le contraire du libéralisme économique, sans toutefois être planifiée par un gouvernement central. Elle ne tire pas non plus sa légitimité de lois, mais de la nature de la société et de l’éthique. Cette économie embrasse toutes les activités écologiques dans tous les secteurs : agricole, industriel et commercial. « Avant qu’elle ne soit considérée comme séparée de la société, l’économie désignait les règles d’aménagement d’un milieu de vie respectant ses particularités et ses limites naturelles[30]. »

Les principes du système économique du Rojava protègent la propriété privée. Toutefois, l’écologie et la sécurité sociale sont assurées par la mise en commun des ressources. Au Rojava, il existe un marché, sans monopole, réglementé par des politiques de redistribution du revenu. Dans ce contexte, l’économie n’a plus comme objectif le profit. « L’économie sociale perd son sens si elle n’est pas vue comme la démocratie elle-même[31]. » La majeure partie de la production se réalise au sein des coopératives et des communes. Tous les ouvriers et toutes les ouvrières doivent y travailler. Et la valeur d’utilisation des biens produits prévaut sur la valeur d’échange, ce qui fait que le commerce se fait généralement à l’intérieur des communes. Il n’y a pas de culture ou de production d’exportation[32].

Pour conclure : le Kurdistan irakien au bord du désastre

Même si la révolution au Rojava suscite l’enthousiasme aux quatre coins du globe et fait couler beaucoup d’encre, il reste énormément à faire. Le Nord de la Syrie n’est pas complètement épargné des perturbations qui ravagent le reste de la Syrie. Le mouvement doit lutter pour la survie des institutions qu’il a mises en place. S’il est encore trop tôt pour parler de pérennité de ces actions, la comparaison avec le Kurdistan irakien nous laisse confiant×e×s en l’avenir du système du Rojava. Nous aimerions d’ailleurs conclure sur les résultats de la gouvernance de l’oligarchie du Gouvernement régional kurde en Irak. Cette région homologue a adopté une approche développementale alignée avec l’Occident, l’illusion décrite par Rist et Latouche. Derrière l’érection de gratte-ciels et d’hôtels et une horde de femmes et d’hommes d’affaires qui ont les yeux plus gros que le ventre, la prospérité de la région n’est que l’écho d’un « capitalisme aux stéroïdes » qui cache mal les milliards de dollars injectés dans la région après l’invasion de l’Irak en 2003. La classe dirigeante s’enrichit et gagne le soutien des masses en distribuant des miettes. Des villages entiers ont ainsi été abandonnés et l’agriculture, qui assurait une certaine sécurité alimentaire, a été négligée. Ayant perdu son autosuffisance alimentaire, le Kurdistan dépend de l’aide extérieure distribuée par le gouvernement régional du Kurdistan. Les besoins de la population ont ainsi été ignorés. L’argent de l’aide au développement acheminée au Kurdistan irakien est utilisé par les élites afin d’« acheter des votes et renforcer leurs milices privées ». La corruption y est un fléau disproportionné pour une si petite administration et la région manque encore d’écoles et d’hôpitaux[33].

    

[1]Kurdistan National Congress (KNK). (2014). Canton Based Democratic Autonomy of       Rojava (Western Kurdistan – Northern Syria) : A transformation Process, from      Dictatorship to Democracy. Bruxelles : KNK.

[2]Jalbert, L. (1990). De l’espace pour le local. Revue internationale d’action communautaire, 445-493.

[3]Schepper-Valiquette, B. (2014). Le concept de décroissance chez Serge Latouche : une résistance au capitalisme, mémoire de maitrise. Université du Québec à Montréal; Latouche, S. (novembre 2003). Pour une société de décroissance. Le Monde Diplomatique, 18-19. Récupéré sur https://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/LATOUCHE/10651.

[4]Bherer, L. (2011). Les relations ambiguës entre participation et politiques publiques. Participations, 105-133.

[5]Charbonneau, J. (1998). Lien social et communauté locale : quelques questions    préalables. Lien social et Politiques, 115-126.

[6]Omrani, Z. (4 octobre 2015). Introduction To The Political And Social Structures Of Democratic Autonomy In Rojava. Kurdish Question. Récupéré sur http://www.kurdishquestion.com/oldarticle.php?aid=introduction-to-the-po…

[7] « Empowerment » ou pouvoir d’agir.

[8]Omrani, Z. (2 novembre 2014). Zanyar Omrani interview with Asieh Abdullah, YPG leader : We chose a third way. Récupéré sur Akhbar Rooz: http://www.akhbar-rooz.com/article.jsp?essayId=63374

[9]Öcalan, A. (2013). Liberating Life : Woman’s revolution. Cologne: International Initiative Edition. Récupéré sur http://www.freeÖcalan .org/wp-content/uploads/2014/06/liberating-Lifefinal.pdf. C’est nous qui traduisons.

[10]Kurdistan National Congress (KNK). (2014). Canton Based Democratic Autonomy of Rojava (Western Kurdistan – Northern Syria) : A transformation Process, from Dictatorship to Democracy. Bruxelles : KNK.

[11]Matin, K. (7 novembre 2014). On Kobanê, Rojava and the Iraq-Syria wars. Récupéré sur International Viewpoint: http://www.internationalviewpoint.org/spip.php?article3703

[12]Hosseini, A. (2016). The Spirit of the Spiritless Situation: The Significance of Rojava as an Alternative Model of Political Development in the Context of the Middle East. Critique, 253-265.

[13]Farhadpour, M., Najafi, S., Beigi, A. A., & Saba, F. (2009). Alain Badiou, Philosophy, Politics, Art and Love. Tehran: Frahang Saba. C’est nous qui traduisons.

[14] Daech, acronyme arabe pour l’État islamique en Irak et au Levant, connu aussi comme l’État islamique (EI) ou ISIS en anglais.

[15]Hosseini, A. (2016). The Spirit of the Spiritless Situation: The Significance of Rojava       as an Alternative Model of Political Development in the Context of the Middle East.      Critique, 253-265.

[16]Anarchist Popular Unity (UNIPA). (mars 2015). Communiqué 44. Brésil : Uniao   Anarquista. Récupéré sur https://uniaoanarquista.wordpress.com/2015/06/24/war-       and-revolution-in-the-trenches-of-rojava-position-of-the-revolutionary-anarchists/. C’est nous qui traduisons.

[17]Friedman, J. (1992). Empowerment: The Politics of Alternative Development. Cambridge, Massachusetts: Blackwell.

[18]Panneton, A. (2014). Avec le dos de la cuillère : cuisines collectives, autonomisation et citoyenneté, mémoire de maîtrise. Montréal: Université du Québec à Montréal.

[19]Freire, P. (1974). Pédagogie des opprimés. Paris: Éditions Maspero.

[20]Mendell, M. (2006). L’Empowerment au Canada et au Québec : enjeux et opportunités. Géographie, économie, société, 63-85.

[21]Deleuze, G., & Guattari, F. (1972). Capitalisme et schizophrénie. Paris : Éditions de         minuit.

[22]Ibid no 18

[23]Batliwala, S. (1994). Women’s Empowerment in South Asia : Concepts and Practices. Mumbai, India: Asian-South Pacific Bureau of Adult Education.

[24]Calvès, A.-E. (2009). « Empowerment » : généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement. Revue Tiers Monde, 735-749.

[25]Calvès, A.-E. (2009). « Empowerment » : généalogie d’un concept clé du discours           contemporain sur le dévelopement. Revue Tiers Monde, 735-749.

[26]Ibid no 14

[27]Ibid no 6

[28]Bouchard, M., Bourque, G. L., Lévesque, B., & Desjardins, É. (2001). L’évaluation de l’économie sociale dans la perspective des nouvelles formes de régulation. Cahiers de recherche sociologique, 31-53.

[29]Yousef, A. (11 octobre 2016). The Social Economy in Rojava. Récupéré sur Fair Coop : The Earth cooperative for a fair economy : https://fair.coop/the-social-economy-in-rojava/

[30]L’Italien, F. (2016). Défendre l’appartenance au territoire. Relations, 25-26.

[31]Ibid no 27

[32]Ibid no 27

[33]Karem, H., & Chomani, K. (8 mars 2015). The KRG Economy: Booming or Dooming? Kurdistan Tribune. Récupéré sur http://kurdistantribune.com/krgeconomyboomingordooming/

De la démocratie au Moyen-Orient : aux origines de la révolte des Kurdes syrien-ne-s (1/2)

De la démocratie au Moyen-Orient : aux origines de la révolte des Kurdes syrien-ne-s (1/2)

Les Kurdes sont éparpillé×e×s dans près d’une dizaine de pays au Moyen-Orient, sans compter la diaspora dispersée ailleurs dans le monde. L’initiative entreprise par les révolutionnaires syrien×ne×s du Kurdistan a pour but de combler le vide engendré par l’affaissement du gouvernement central de la Syrie, alors que le pays est plongé dans la guerre civile. Pour pallier l’échec du projet étatique, les militant×e×s kurdes ont donc dû mettre sur pied leurs propres initiatives. Dans ce premier article sur la révolution au Rojava, nous présenterons les conditions socio-historiques et les circonstances ponctuelles qui ont préparé l’émergence du gouvernement autonome créé par le PYD, un vaste projet anti-autoritaire.

Les États-Unis ont soutenu le régime de Saddam Hussein et ont indirectement aidé le tyran de Bagdad à perpétrer le génocide de Halabja contre les Kurdes[1]. L’Union soviétique a, quant à elle, offert son soutien au régime des Assad, qui a également mené des politiques qui défavorisaient les Kurdes en son territoire. En effet, l’État avait mis en place, entre autres, des politiques d’arabisation et de colonisation interne afin de consolider l’« identité arabe »[2]. Dans les deux cas, ces pétrocraties ont adopté un modèle développementaliste aux hydrocarbures soutenu par une dictature militaire qui assurait le contrôle sur la population par une économie centralisée et une police secrète brutale[3].En Syrie, à l’occasion du printemps arabe, des milliers de syrien×ne×s se sont soulevé×e×s contre la dictature de Bachar Al-Assad. Le président avait alors envoyé les soldats pour mener une intervention musclée. Une partie de l’armée a alors déserté, après avoir refusé d’obéir aux ordres de tirer sur la foule. En dépit d’un certain nombre de déserteurs et déserteuses, des milliers de manifestant×e×s ont perdu la vie. Ces déserteurs et déserteuses ont formé l’Armée syrienne libre[4]. D’autres groupes qui se réclamaient d’une idéologie islamique ont profité de la situation pour prendre possession de lambeaux du territoire syrien déchiré. Dans un de ses textes, le sociologue syrien Yasser Munif, professeur au collège Emerson de Boston, a expliqué ce qu’il appelle « l’économie politique du pain [5] ». Il explique comment le régime d’Hafez Al-Assad avait assujetti la population syrienne au moyen d’une économie agroalimentaire centralisée et comment les militant×e×s révolutionnaires ont tenté de s’en affranchir. Pour les Kurdes, les circonstances qui ont entouré le printemps arabe se sont avérées propices à la mise en pratique d’un autre modèle de développement.

La révolution au Rojava

La révolution au Rojava, région désormais autonome au nord de la Syrie, s’inscrit dans une approche de développement communautaire parce qu’elle émane du bas vers le haut, en réponse à la situation du Kurdistan syrien post-printemps arabe, mais aussi devant l’échec désopilant du projet étatique syrien[6]. Uni×e×s non seulement par un sentiment d’appartenance à l’ethnie kurde, mais à toutes les minorités exclues et opprimées, les militant×e×s de cette région ont mis en application un mode de gestion participatif et horizontal[7]. Des initiatives solidaires innovantes ont ainsi pullulé au Kurdistan, lui permettant d’acquérir son autonomie politique. Le professeur Yasser Munif a d’ailleurs décrit comment l’État syrien, même après la révolution et la libération du territoire kurde, avait continué de payer les employé×e×s de ses moulins à grains afin de maintenir le contrôle sur la population. Voyant que cela ne fonctionnait guère, l’armée syrienne s’est mise à bombarder les files d’attente devant les boulangeries d’État pour couper les vivres aux rebelles. Plus tard, les communautés insurgées ont pris le contrôle des moulins pour « décontextualiser » et « déterritorialiser »[8] leur lutte contre l’économie politique du pain imposée par l’État syrien et auto-organiser leur propre initiative de développement. Yasser Munif a également décrit comment, par la suite, des groupes armés « islamistes » ont tenté de prendre possession de ces moulins pour se munir d’une certaine influence sur la population locale. Depuis lors, le territoire a été disputé entre les forces kurdes et les milices des différents mouvements d’inspiration religieuse. À l’instar de ces moulins, la révolution en Syrie et ailleurs dans le monde arabe a subi des tentatives de prise en otage par des mouvements « théofascistes »[9].

CRÉDIT PHOTO: Alberto Hugo Rojas

[1]Zunes, S. (26 octobre 2007). The United States and the Kurds: A Brief History. Récupéré sur Common Dreams : Breaking News & Views for the Progressive Community : http://www.commondreams.org/views/2007/10/26/united-states-and-kurds-bri…

[2]Sharnoff, M. (2009). The Syria-Soviet Alliance. Récupéré sur Jewish Policy Center : https://www.jewishpolicycenter.org/2009/02/28/the-syria-soviet-alliance/

[3]Cemgil, C., & Hoffmann, C. (2016). The ‘Rojava Revolution’ in Syrian Kurdistan: A Model of Development for the Middle East? Institute of Development Studies Bulletin. Doi : 10.19088/1968-2016.144

[4]Harress, C. (1er octobre 2015). What Is The Free Syrian Army? Russia Targets CIA-Trained Rebels Opposed To Assad Regime. Récupéré sur International Business Times : http://www.ibtimes.com/what-free-syrian-army-russia-targets-cia-trained-…

                O’Bagy, E. (2013). MIDDLE EAST SECURITY REPORT 9 : The Free Syrian Army. Washington D.C. : Institute for the Study of War.

[5]Munif, Y. (2015). The Geography of Bread and an Invisible Revolution. Emerson College, Boston : Manuscrit non publié.

[6]Charbonneau, J. (1998). Lien social et communauté locale : quelques questions préalables. Lien social et Politiques, 115-126.

[7]Dionne, H., Klein, J.-L., & Tremblay, P.-A. (1997). L’action collective et l’idéal communautaire : bases territoriales d’un nouveau type de mouvement social? Dans Collectif, Au-delà du néolibéralisme. (pp. 44-46). Sainte-Foy, Québec: Presses de l’Université du Québec.

[8]Deleuze, G., & Guattari, F. (1972). Capitalisme et schizophrénie. Paris: Éditions de minuit.

                Paquette, J., & Lacassagne, A. (2013). Subterranean subalterns: Territorialisation, deterritorialisation, and the aesthetics of mining. Culture and Organization, 242-260.

[9]Bey, H. (2004). Jihad Revisited. Récupéré sur The Anarchist Library : https://theanarchistlibrary.org/library/hakim-bey-jihad-revisited

Les théoriciens de la révolution syrienne

Les théoriciens de la révolution syrienne

Cet article tentera de porter un autre regard sur le conflit syrien, au-delà du problème DAECH, en s’intéressant aux écrits de deux intellectuels syriens qui, très tôt, se sont intéressés aux soulèvements du printemps arabe, à l’organisation populaire et aux idéaux occultés par DAECH. Il s’agit en quelque sorte d’une « contre-plongée » sur la révolution syrienne.

« Si Carl von Clausewitz avait écrit De la guerre au 21e siècle, il aurait peut-être dit la chose suivante : les médias ne sont que la continuation de la guerre par d’autres moyens. »

 – Yasser Munif, sociologue syrien (1)

Désigné comme l’État islamique en Occident, DAECH (2) est une organisation issue du groupe Al-Qaïda en Iraq, dirigé par Abu Mus’ab al-Zarqawi. Ce Jordanien, truand et proxénète repenti, est un ancien du djihad afghan (3). En effet, il a été au nombre de ceux qui ont été financés et entraînés avec l’aide de la CIA pour combattre les troupes soviétiques en Afghanistan (4). Le groupe aurait tiré profit de la sectarisation de l’Iraq après la chute de Saddam, et l’aurait même provoqué, paradoxalement, de concert avec l’occupation américaine. Lorsque Yasser Munif affirme que les médias sont « la continuation de la guerre par d’autres moyens », ces moyens sont de mieux en mieux utilisés par les forces dissidentes (5). DAECH est le reflet d’un fantasme occidental. À l’heure actuelle, l’Occident est terrifié parce que l’Orient qu’il a créé à son image ne peut plus lui servir de miroir.

« Le peuple veut la chute du système ! » (6)

Les analystes s’entendent généralement pour dire que l’immolation du jeune vendeur ambulant Mohammed Bouazizi a mis le feu aux poudres et que ce qu’on a appelé le printemps arabe a été l’explosion résultante. Cependant, il reste que certains analystes, comme le professeur Tariq Ramadan dans son livre L’Islam et le réveil arabe, considèrent que, très paradoxalement, la chute de Saddam Hussein sous les projectiles étatsuniens a été un précurseur de cette révolte (7). Par contre, si la chute du régime iraquien a été un renversement due à une cause totalement extérieure, la chute des régimes tunésiens, égyptiens et yéménites qui ont résulté lors du printemps arabe ont été des renversements réalisés sans l’aide des forces de l’impérialisme américains et de leurs chars d’assaut, et sans chef, sans que le mouvement soit monopolisé par des chiites, des sunnites, ou des gauchistes (8). Ce fut une révolte en grande partie auto-organisée, qui donna lieu, tout particulièrement en Syrie, à des formes de sociétés auto-organisées.

Omar Aziz : de mai 68 au printemps arabe

Les textes de Omar Aziz ont été publiés sur le compte Facebook de Mohamed Sami El-Kayal, vraisemblablement après sa mort dans les prisons d’Al-Assad, sous le titre Les documents fondateurs du principe des comités locaux . Le professeur Omar Aziz est un économiste né à Damas. Il a été initié aux thèses anarchistes lors de ses études à Grenoble, en France. Il a pris part aux événements de mai 68 qui ont marqué l’évolution de ses idéaux sociaux et politiques.

Évidemment, un tel profil ne lui a pas permis de vivre en Syrie. Il a donc vécu en exil une bonne partie de sa vie, jusqu’aux événements de 2011, lorsqu’il a décidé de participer à la révolution. Toutefois, sa contribution n’est pas celle de la lutte armée. Il a d’abord organisé une collecte de données sur les crimes du régime de Damas. Il sillonnait inlassablement les quartiers et les banlieues de la ville pour rassembler des témoignages. Il participait également à l’organisation d’équipes de soin, de distribution de nourriture. C’est dans le quartier de Barzeh, une banlieue de Damas, qu’il a organisé le premier comité local de coordination pour l’« organisation contre l’État » (8). Il a couché les grandes lignes de cette expérience révolutionnaire sur papier. Nous résumons ci-dessous les propos tenus dans ces documents..

Après le soulèvement de 2011, le pouvoir de l’État s’est effrité, et peu à peu, l’amplitude du contrôle qu’il exerçait sur la société s’est réduite dans l’espace et dans le temps. Certains endroits échappaient complètement à son contrôle. D’autres y échappaient à certaines heures, à la tombée de la nuit par exemple. Pour chaque révolutionnaire, le danger d’une telle situation est de ne pouvoir s’occuper de la révolution qu’à l’intérieur d’un certain cadre spatiotemporel et de toujour se voir contraint-e, à un moment ou un autre, de retourner dans le tronçon de société encore sous le contrôle de l’État pour subvenir à ses besoins et vaquer à sa profession. Les comités d’auto-organisation avaient pour but d’éviter cette situation.

Ainsi, les révolutionnaires pouvaient s’organiser pour subvenir à leurs besoins et pouvaient s’« organiser contre l’État » afin de bâtir un nouveau système tout en vivant « au rythme de la révolution et non au rythme du pouvoir » (9). Le comité local aspire à être le mariage de la vie révolutionnaire avec la vie quotidienne pour engendrer une révolution qui possède une solide base populaire. Les documents rédigés par Omar Aziz rapportent que le peuple syrien a fait preuve d’un grand esprit de coopération dans le cadre des comités locaux. Il est rapporté que les comités n’ont cessé de « s’enrichir, en un arc-en-ciel de nuances d’expression, des différences socioculturelles régionales » (10). L’« auto-organisation de la société » (11) est présentée comme le moyen de liquider la dictature sans provoquer « l’effondrement moral » (12) ou adopter la « solution des armes qui fait peu à peu de la révolution et de la société des otages du fusil » (13). En somme, il est expliqué que pour émasculer une dictature, il faut que la vie révolutionnaire et la vie quotidienne ne fassent qu’un. Pour ce faire, Omar Aziz a proposé les « comités locaux de coordination » (14).

Les comités étaient composés d’individus de la plus grande diversité culturelle et sociale possible. Les membres y ont contribué tous ensembles, afin de vivre sans dépendre des institutions du régime, bâtir un espace d’expression collective qui renforce la coopération et l’implication politique et étendre la coopération de manière horizontale. Les objectifs énumérés par le professeur Aziz comprennent une aide alimentaire, une aide au logement, la collecte et la gestion d’informations sur les prisonniers politiques, l’installation d’hôpitaux temporaires ainsi que la coordination de la formation et de l’éducation. Il propose également la mise en place d’une « agora » dans laquelle seraient discutées et débattues les questions d’ordre social, politique et économique. Il traite de l’organisation d’une défense et de collaboration avec l’armée syrienne libre. Il propose également la mise sur pied d’un conseil national pour gérer la coordination entre les différents comités (15).

Enfin, le contraste par rapport à ce qui s’est fait lors de l’occupation de l’Iraq est évident. En Iraq, toutes les institutions étatiques ont été réduites à néant et la population est passée du joug de la dictature de Saddam Hussein au joug de l’occupation ou de l’une ou l’autre des millices.La logique du système d’Omar Aziz est un exemple, car elle propose une organisation révolutionnaire par laquelle la société pourrait se construire à son image et, après un certain temps, se débarrasser de la dictature comme un serpent se débarrasse d’une vieille peau lorsqu’il mue. À la base du mouvement révolutionnaire, il y avait une organisation qui pourvoit aux besoins de toutes et tous. Selon ces documents, la coopération empêche la scission de la société, la plongée du pays dans le chaos et donne lieu à la prise en charge de la société par la société elle-même. Selon nous, malgré la mort d’Omar Aziz et l’occultation quasi totale de son mouvement par DAECH, nous croyons que ces documents et ces idées sont extrêmement importants. De fait, ils sont inspirés de l’expérience d’un homme qui connaissait les théories anarchistes et qui a donné sa vie pour le bien des opprimés. De plus, ces textes nous aident à ne pas oublier que les Syriennes et les Syriens avaient la volonté de s’émanciper du régime d’Al-Assad et à ne pas oublier les origines du conflit et la révolution syrienne volée par DAECH.

La politique économique du pain

Le professeur Yasser Munif (17) nous donne un exemple d’une autre expérience semblable. Cette dernière s’est déroulée dans la ville de Manjib, dans le nord de la Syrie. Il se réfère aux théories de Michel Foucault (18) pour décrire les mécanismes de contrôle du gouvernement baasiste, qu’il appelle « l’économie politique du pain ». Le gouvernement de Hafez al-Assad a développé la production du blé pour pouvoir fournir du pain à bas prix aux Syrien-nes et ainsi garder un contrôle sur la population. Cet équilibre a été rompu au moment de la révolution, lorsque le territoire syrien a été morcelé par la guerre civile. La plus grande production de blé était réalisée dans le Nord, qui est maintenant sous le contrôle des révolutionnaires.

Le professeur Yasser Munif parle plus en détail de la tentative de sabotage du processus révolutionnaire par l’État par cette « politique économique du pain ». L’État continuait de payer les employé-es du moulin à grain pour garder la mainmise sur l’approvisionnement en nourriture des rebelles et distribuait du pain à bas prix pour entretenir un réseau de sympathisants. Quand le conseil révolutionnaire de Manjib finalement réussi à prendre le contrôle du moulin, les forces d’Al-Assad ont commencé à bombarder les files d’attente devant les boulangeries, toujours avec la même logique de contrôle. Selon l’analyse qui est faite suivant les théories de Guattari et Deleuze (19), deux philosophes de gauche, très influencés par la psychanalyse, auteurs d’un ouvrage intitulé Capitalisme et schizophrénie, les révolutionnaires auraient « décontextualisé » la politique économique du pain. Pour ce faire, ils ont élaboré un réseau de distribution et ainsi reconfiguré, c’est-à-dire « recontextualisé » l’économie politique de Manjib, permettant d’en exclure l’État. Cela revient à l’idée de Omar Aziz de « s’organiser contre l’État ».

Le récit d’un autre événement nous a inspirés pour traiter de toute la question des groupes comme DAECH et Jaich al Mahdi. Malheureusement, cette reconfiguration de la « géographie du pain » n’a pas pu être mise en œuvre sans que d’autres milices et puissances régionales tentent de s’approprier le contrôle du moulin. Monsieur Munif mise beaucoup sur une approche microéconomique et sociale de la révolution plutôt qu’une vision macro-économique et politique. Celle-ci, souvent utilisée dans les grands médias, fausse la réalité en représentant la guerre civile comme un conflit entre islamistes et le gouvernement Assad, entre Sunites et Chiites (20). Néanmoins, ce qui contribue à l’extrême pertinence de l’analyse de Yasser Munif, c’est qu’il traite de la révolution par sa racine.

Même dans le microcontexte de Manjib, une ville d’environ 200 000 habitants, le groupe salafiste Ahram-al-Sham a tenté de prendre le contrôle du moulin pensant ainsi gagner la loyauté de ses habitant-es. Nous pensons que c’est dans la même logique que DAECH a volé la révolution en Syrie et de la même manière qu’ils avaient gagné un certain contrôle en Iraq. En même temps, ils ont instrumentalisé la question sectaire. Fort heureusement, le conseil révolutionnaire de Manjib a réussi à repousser ces milices en formant des groupes d’autodéfense. D’ailleurs, cette autodéfense est une question de grande importance pour toute la mouvance révolutionnaire. Celle-ci s’étend dans tout le nord de la Syrie, comme dans la région du Rojava, où les militant-es Kurdes rejoint-es par des gens de toutes les ethnies et de toutes les religions ont bâti une forme d’organisation sociale très progressiste (21). Bref, tout en s’organisant contre l’État, les mouvements révolutionnaires ont également eu à s’organiser contre tous ceux qui voudraient prendre illégitimement la place de ce dernier (22).

« La continuation de la guerre par d’autres moyens »

Ce à quoi DAECH a excellé dans sa tentative de s’approprier la révolution, c’est la propagande. Le groupe a tiré un profit maximum de l’utilisation des médias. Il n’a eu qu’à produire une vidéo pour que les réseaux sociaux, et même les grands médias, y fassent écho. Ces grands médias ont amplifié chaque déclaration de DAECH. L’organisation n’a eu qu’à lancer un galet à l’eau pour que l’Occident en fasse un raz-de-marée. Elle a su réagir savamment aux événements. Dans leur journal de propagande Dabiq, après le meurtre de deux militaires par Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau, DAECH a glorifié leurs actes et en ont fait des saints… même si ceux-ci n’avaient à priori aucun lien avec l’organisation (23).  Pour ce qui est du vendredi 13 de Paris, l’un des agresseurs avait sur lui un faux passeport syrien (24). Il est possible que les objectifs de DAECH fussent précisément de freiner la vague d’émigration. En fait, leur but plus général serait de semer la zizanie par la provocation et la radicalisation des musulmans et de l’Occident.. Il s’agit d’un dangereux stratagème de polarisation planétaire. Tristement, les États ont réagi exactement comme DAECH le voulait, terrassés par la peur, alors que le moyen de les combattre est précisément de ne pas y céder. En fait, DAECH repose davantage sur une construction malsaine de notre imaginaire collectif et la terreur, élément central du terrorisme, dont les systèmes de télécommunication ont été l’amplificateur.

(1) Munif, Y. (2006). Media is the continuation of War with Other Means: The New York Times’

(2) Sigle de Ad-dowla al islamiyyah fil Iraq wa cham, c’est-à-dire l’État Islamique en Iraq et au Levant.coverage of the Israeli War in Lebanon. The MIT Electronic Journal of Middle East Studies, 126-140. Récupéré sur http://www.mafhoum.com/press10/292P6.pdf

(3) Barrett, R. (2014). The Islamic State. New York: The Soufan Group. Récupéré sur http://soufangroup.com/wp-content/uploads/2014/10/TSG-The-Islamic-State-Nov14.pdf

(4) Cooley, J. K. (1999). Unholy Wars: Afghanistan, America and International Terrorism. London: Pluto Press.

(5) Munif, Y. (2006). Media is the continuation of War with Other Means: The New York Times’coverage of the Israeli War in Lebanon. The MIT Electronic Journal of Middle East Studies, 126-140. Récupéré sur http://www.mafhoum.com/press10/292P6.pdf

(6) Slogan utilisé lors des manifestions du printemps arabe : Ach-chab yourid al-isqat an-nidham.

(7) Ramadan, T. (2011). L’Islam et le réveil arabe. Paris: Presses du Châtelet.

(8) Filiu, J.-P. (2011). The Arab Revolution : Ten Lessons From the Demopcratic Uprising. New York:Oxford University Press.

(9) Aziz, O. (2013). Sous le feu des snipers, la révolution de la vie quotidienne :Programme des comités locaux de coordination de Syrie. Paris: Éditions Antisociales. Récupéré sur http://www.editionsantisociales.com/pdf/Abou_Kamel.pdf

(10) lbid no. 7

(11) lbid no. 7

(12) lbid no. 7

(13) Ibid no. 7

(14) lbid no. 7

(15) lbid no. 7

(16) lbid no. 7

(17) Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Paris: Éditions Gallimard.

(18) Sociologue syrien, professeur au Emerson College de Boston, spécialiste de la révolution syrienne qui a eu l’occasion de se rendre plusieurs fois sur le terrain. (http://www.emerson.edu/academics/faculty-guide/profile/yasser-munif/3004)

(19) Les Sunnites regroupent la majorité des musulmans et les Chiites, issus d’une scission politique après la mort du troisième Calife, ont développé un système de croyances distinct.

(20) Deleuze, G., & Guatteri, F. (1972). Capitalisme et schizophrénie. Paris: Editions de Minuit.

(21) Collectif Marseille-Rojava. (2014). Où en est la révolution au Rojava ? Marseille: Collectif Marseille-Rojava. Récupéré sur https://paris-luttes.info/chroot/mediaslibres/mlparis/ml-paris/public_html/IMG/pdf/rojava-brochure1.pdf

(22) Munif, Y. (2015). The Geography of Bread and the Invisible Revolution. Emerson College, Boston:À paraître.

(23) Kestler-D’Amour, J. (26 Octobre 2014). Muslim-Canadians decry attacks amid backlash.Récupéré sur Al Jazeera: http://www.aljazeera.com/indepth/features/2014/10/muslimcanadians-decry-attacks-amid-backlash-2014102692556982844.html

(24) Al Jazeera. ( 17 novembre 2015). Confusion mounts over Syrian passport found at Paris attack site. Récupéré sur Al Jazeera America: http://america.aljazeera.com/articles/2015/11/17/confusion-over-syrian-p… in-paris.html

SOURCE PHOTO: Franco Pagetti/Fickr

Du repli nationaliste aux appels à la solidarité : la crise des migrants divise l’Europe

Du repli nationaliste aux appels à la solidarité : la crise des migrants divise l’Europe

Qui dit crise politique dit crise morale : les valeurs de l’Union européenne

Qu’est-ce que l’Union européenne? À en croire le récit fondateur que promulguent aussi bien son site officiel que les manuels d’histoire et de géographie des lycées français (1), il s’agirait d’un espace économique, politique et culturel commun dont la construction se serait effectuée sur la base de valeurs que ses pays membres se seraient engagés à promouvoir et à partager, soit l’idéal d’une Europe « pacifique, unie et prospère (2) ».

Or, il semblerait que l’augmentation constante du nombre de migrants sur le territoire européen constatée depuis 2010 a contribué à ébranler les fondements de cette utopie politique, au point où le chef de la diplomatie française Laurent Fabius a récemment estimé que cette situation de crise mettrait en cause « le fonctionnement et la raison d’être de l’Europe (3) ». Un tel raisonnement serait-il exagéré?

En tout cas, le moins que l’on puisse dire, c’est que si l’Allemagne, la France, la Pologne et la Hongrie luttent ensemble pour assurer le maintien de la paix et d’une relative prospérité économique en Europe, les méthodes par lesquelles ces différents pays s’acharnent à défendre leurs valeurs prétendument communes divergent considérablement en ce qui concerne les politiques à adopter face à l’immigration.

La crise des migrants en Europe: quelques points de repère

On entend beaucoup parler dans les médias de cette « crise des migrants » qui touche les États de l’Union européenne depuis le début des années 2010. La plupart des articles portant sur le sujet laissent souvent entendre qu’il s’agirait d’un phénomène assez nouveau qu’il convient de mettre directement en relation avec la guerre civile en Syrie. Sans être fausse, une telle manière de présenter la situation provoque toutefois l’impression qu’il s’agirait surtout pour l’Union européenne de faire face à l’afflux de réfugiés syriens depuis que l’intervention de l’organisation État islamiste a provoqué une intensification du conflit, donnant lieu à une véritable crise migratoire à partir du début de l’année 2015.

Les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) révèlent toutefois que non seulement le pourcentage de migrants d’origine syrienne n’a pas augmenté depuis 2014, mais également qu’il ne totalise que 14 % des demandes d’asile qui sont parvenues jusqu’à la Commission européenne depuis le début de l’année –à tel point qu’il convient d’affirmer que les migrants ont aujourd’hui des origines plus hétérogènes qu’au cours des années précédentes (4). Cette conclusion peut surprendre, dans la mesure où les médias tendent à mettre l’accent sur la situation des réfugiés de guerre plutôt que sur celle des migrants « ordinaires », dont les différentes origines peuvent être pour le moins inattendues. Par exemple, peu de gens ont à l’esprit que cette année, il y a eu autant de demandes d’asile venant de la Syrie que de la Serbie et du Kosovo (14 %), alors que les ressortissants de ces deux régions ne comptaient que pour 4 % des demandeurs en 2014. Les migrants africains sont, pour leur part, également représentés dans les demandes d’asile. Cependant, la diversité de leurs origines ne permet pas d’en faire un groupe ethnique comparable à celui des Syriens et des Serbes dans les statistiques de l’OCDE; songeons par exemple aux migrants de l’Érythrée, qui ne comptent que pour 4 % des demandeurs d’asile, tandis que les Somaliens ne forment que 2 % des demandes,  à l’instar des Nigériens.

Enfin, il peut être utile de rappeler que l’augmentation du nombre de migrants dans l’Union européenne n’est pas un fait récent. Depuis 2010, toujours selon les statistiques de l’OCDE, nous pouvons constater qu’il s’agit d’un phénomène graduel : les autorités ont enregistré 259 000 demandes d’asile en 2010 ; 309 000 en 2011 ; 335 000 en 2012 ; 431 000 en 2013 et 625 000 en 2014. Il est vrai, cependant, que selon Le Point, cet organisme prévoit un million de nouvelles demandes d’ici 2015 (5). Mais, si tel est le cas, il semblerait que l’on ait surestimé le nombre de migrants que compte accueillir l’Allemagne, si l’on se fie au chiffre exubérant que l’Office fédéral pour les migrations et les réfugiés allemand a annoncé au mois d’août –ce dernier prévoyant enregistrer 800 000 migrants d’ici la fin de l’année, soit l’équivalent de 1 % de sa population (6).

Est-il bien réaliste d’estimer qu’un seul pays parviendrait à accueillir 80 % des migrants de l’année 2015, même si celui-ci est réputé pour être le plus prospère de l’Union européenne?

Nationalisme et solidarité: une division Est-Ouest?

C’est vraisemblablement pour éviter une telle situation que la Commission européenne s’est proposé, grâce à un système de quotas, de répartir plus équitablement l’afflux d’immigrants à travers les 28 États de l’Union européenne. Ce système, que l’on qualifie généralement de « mécanisme des 120 000 » car il prévoit la relocalisation, sur une base obligatoire (7) à travers l’UE, de 120 000 demandeurs d’asile arrivés en Grèce, en Italie et en Hongrie, résulte d’un projet controversé qui a été formulé le 9 septembre dernier.

En dépit des discussions interminables dont elle fait l’objet, il convient de rappeler que cette initiative demeure très modeste, dans la mesure où le chiffre avancé par la Commission européenne (120 000 migrants) ne correspond pas même à un cinquième du nombre total de réfugiés qui ont pris la direction de l’Europe durant les neuf derniers mois. Malgré tout, le consensus est loin d’être établi, et ce projet continue à se heurter au refus d’États tels que la Slovaquie et la République tchèque, tandis que le chef polonais de l’opposition conservatrice du parti Droit et justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski, rejette la responsabilité de la crise migratoire en Europe sur les efforts de solidarité prônés par la politique allemande (8).

La réaction de la Hongrie est, quant à elle, plus radicale : après avoir vu arriver sur son territoire 140 000 migrants depuis le début de l’année, cet État s’est directement opposé à la politique d’accueil de la Commission européenne en érigeant une clôture de 4 mètres de haut sur ses 179 km de frontière avec la Serbie (9), en dépit de l’indignation que cette attitude a suscitée chez certains représentants des pays de l’Ouest.

Malgré tout,  il serait trop simple de présenter cette situation comme un clivage opposant le repli nationaliste des pays de l’Est à la solidarité qui semble davantage être le fait des pays de l’Ouest de l’Europe, avec l’appui de l’Amérique du Nord. Une telle analyse des faits contribue en effet à estomper l’hétérogénéité des prises de position que l’on observe au sein d’un même pays, leur affrontement continuel donnant lieu à des réactions d’opposition assez fortes dans un camp comme dans l’autre.

Ce phénomène se constate ici même, au Québec : tandis que l’Université McGill a annoncé qu’elle triplera le nombre d’étudiants réfugiés qu’elle accueillera à compter de l’automne prochain (10) –un geste qui n’est pas sans faire écho aux positions de Thomas Mulcair et de Justin Trudeau lorsqu’ils ont accusé Stephen Harper d’invoquer des motifs de sécurité nationale pour chercher à bloquer l’arrivée de réfugiés syriens sur le territoire canadien (11) –, la création d’une division québécoise de la PÉGIDA est révélatrice d’une certaine montée de discours xénophobes, dont la popularité croissante suscite des inquiétudes, comme en a entre autres témoigné Guillaume Lavoie, un conseiller de Projet Montréal, en mars dernier (12).

« Changer ou partir » : voilà le choix auquel l’ethos nationaliste confronte aujourd’hui encore les minorités culturelles, comme l’a récemment commenté Marie-Michèle Sioui, journaliste à La Presse, résumant la posture que la division québécoise de la PÉGIDA a adoptée à l’égard des communautés musulmanes (13). Serait-ce pour se donner le beau rôle que les représentants des pays occidentaux tendent à expliquer l’absence de consensus dont ces politiques font l’objet par un repli nationaliste de l’Europe de l’Est, dont l’identité chrétienne serait « menacée » par l’afflux de tous ces immigrants musulmans (14) ?

Sans doute devrait-on plutôt de relier ce phénomène à ce que Michel Foucher, diplomate et essayiste français, appelle « l’obsession des frontières » dans un ouvrage éponyme. Il y rappelle que « plus de 28 000 kilomètres de nouvelles frontières internationales ont été instituées depuis 1991 », tandis que « 24 000 autres ont fait l’objet d’accords de délimitation et de démarcation (15) ». Tout porte à croire que nous sommes encore loin de cette « fin de l’Histoire » qui devait constituer la phase ultime de la mondialisation et que, loin d’évoluer vers la création d’un gouvernement mondial, comme le craignent certains groupes, il semblerait que nous assistions plutôt à la résurgence de l’État-nation à l’échelle internationale.

Une piste de réflexion pour l’avenir: la position de Zizek

Il conviendra, pour finir, de se reporter à un récent article intitulé « La non-existence de la Norvège » dans lequel le philosophe slovène Slavoj Zizek résume bien la situation selon une perspective d’autant plus intéressante qu’elle contraste fortement avec la manière dont cette « crise des migrants » tend à être traitée à la fois par les politiciens et par les médias (16).

Selon Zizek, les prises de position européennes sur la question des migrants sont essentiellement divisées en deux groupes : d’une part, celui des libéraux de gauche, dont la logique « pro-solidarité » semble appeler à une disparition des frontières, d’autre part, celui des « populistes anti-migrants »,  qui privilégient une politique isolationniste visant à préserver leur mode de vie. Comme nous l’avons vu, les médias semblent avoir fait de la chancelière allemande Angela Merkel et du premier ministre hongrois Viktor Orbán les chefs de file de ces deux mouvements, contribuant de ce fait à créer une division « Est-Ouest » dans l’opinion publique. Or, l’auteur ne manque pas de souligner l’hypocrisie de ces deux types de discours, dans la mesure où l’un comme l’autre s’appuient sur l’idée utopique selon laquelle les sociétés d’Afrique et du Moyen-Orient parviendront éventuellement à régler leurs problèmes par elles-mêmes. En vérité, cependant, les crises politiques, économiques et sociales qui divisent ces sociétés sont directement liées à l’ingérence militaire des pays occidentaux au sein d’États « déchus » tels que la Syrie, l’Iraq, la Somalie et la République démocratique du Congo. Il est difficile de nier qu’une telle politique a effectivement eu pour effet de saper l’autorité des gouvernements en question.

« Cette désintégration du pouvoir de l’État n’est pas un phénomène local. Elle s’explique par les politiques internationales et par le système économique mondial et même, dans certains cas –comme pour la Libye et l’Irak–, il s’agit d’une conséquence directe de l’intervention occidentale », écrit Zizek, rappelant également que la source du problème remonte beaucoup plus loin, soit à la dissolution des empires coloniaux. S’il est vrai que l’intervention militaire américaine en Iraq a créé les conditions nécessaires à la montée de l’organisation État islamique (ce qui en fait un problème « récent »), plusieurs pays du Moyen-Orient tentent encore de surmonter les problèmes dûs au traçage des frontières par la France et l’Angleterre au terme de la Première Guerre mondiale.

Dans un tel contexte, ne conviendrait-il pas plutôt de remonter à la source du problème en interrogeant les politiques impérialistes des pays occidentaux, plutôt que de concentrer l’attention du public sur le nombre de migrants que tels ou tels États se disent prêts à accueillir pour manifester leur « solidarité » à l’égard des réfugiés provenant de ces pays « défaillants »? Peut-on véritablement espérer, comme le suppose implicitement la position des libéraux de gauche, que le déplacement massif de ces populations contribuera à stabiliser la situation de crise qui perdure non seulement en Syrie mais également au sein d’une multitude d’États, dont les conflits revêtent visiblement une importance inférieure à celle de la menace posée par la montée du groupe État islamique aux yeux de l’Occident? À bien y réfléchir, cette position ne semble pas plus soutenable que celle des « populistes » de l’Est qui adoptent une politique hostile à l’immigration.

C’est pourquoi, sans aller jusqu’à supposer que les déplacements de population sont problématiques en soi (ce qui reviendrait à adopter à cet égard le slogan nationaliste : « À chaque peuple son pays »), il est urgent d’aborder le problème des migrations politiques et économiques autrement qu’en vue de trouver un compromis visant à minimiser l’impact négatif qui pourrait être causé par l’intégration de ces réfugiés au sein de sociétés prospères. Il est également de plus en plus crucial d’aborder cette crise selon une perspective visant à découvrir des solutions à long terme. Comment pouvons-nous contribuer à faire disparaître les conditions qui poussent ces populations vers l’exil? Risque-t-on d’exacerber ces crises en cherchant à les résoudre, comme en témoigne l’exemple des interventions militaires occidentales au Moyen-Orient?

Ce sont des questions qu’il faut continuer à se poser bien que, selon toute probabilité, elles ne contribueront malheureusement ni à diminuer la peur de l’Autre dans un futur immédiat ni à mieux comprendre la résurgence du racisme au Québec, alors que le Canada –même selon les scénarios optimistes de Trudeau et de Mulcair– ne se propose d’accueillir qu’une quantité infime de migrants. Comme quoi, quoique l’on fasse, toute interrogation portant sur un objet extérieur finit toujours par nous confronter à la nécessité de réfléchir sur nous-mêmes et de continuer à questionner les dynamiques qui gouvernent nos propres sociétés.

L’opinion exprimée dans le cadre de cette publication, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion, ni n’engage la revue l’Esprit libre.

(1) Je songe ici en particulier à la section portant sur « L’Europe de 1945 à nos jours » dans les sections L (littéraire) et ES (économique) en Première et en Terminale, en vue de préparer l’examen du baccalauréat. À ce sujet, l’on peut consulter par exemple : http://www.touteleurope.eu/actualite/baccalaureat-la-construction-europeenne-est-un-aspect-important-du-programme-pour-les-eleves-d.html (accédé le 3 octobre 2015).

(2) Voir le site officiel de l’Union Européenne, onglet « Histoire » : http://europa.eu/about-eu/eu-history/index_fr.htm (accédé le 3 octobre 2015).

(3) Source : Le Point, 22 septembre 2015, « Laurent Fabius : la crise des réfugiés met en cause la « raison d’être de l’Europe » : http://www.lepoint.fr/politique/laurent-fabius-la-crise-des-refugies-met-en-cause-la-raison-d-etre-de-l-europe-22-09-2015-1966891_20.php (accédé le 3 octobre 2015).

(4) OECD, Migration policy debates, nº7, septembre 2015, « Is this humanitarian migration crisis different? », http://www.oecd.org/migration/Is-this-refugee-crisis-different.pdf (accédé le 9 octobre 2015), p. 6.

(5) Le Point, 22 septembre 2015, « Migrants : une crise humanitaire « sans précédents » selon l’OCDE », Mathieu Lehot, http://www.lepoint.fr/monde/migrants-une-crise-humanitaire-sans-precedent-selon-l-ocde-22-09-2015-1966915_24.php, accédé le 11 octobre 2015.

(6) OECD, ibid, p. 4.

(7) Le Monde, 22 septembre 2015, « L’Union Européenne pressée de trouver un accord sur la crise des migrants », Cécile Ducourtieux, http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/22/l-union-europeenne-encore-a-la-recherche-d-un-accord-sur-l-accueil-des-refugies_4766739_3214.html (accédé le 11 octobre 2015).

(8) Le Monde, 22 septembre 2015, « La crise des réfugiés déchire la Pologne », http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/22/la-crise-des-refugies-dechire-la-pologne_4766645_3214.html (accédé le 11 octobre 2015).

(9) Le Figaro, 31 août 2015, « L’Europe sommée d’agir sur la crise des migrants » : http://www.lefigaro.fr/international/2015/08/30/01003-20150830ARTFIG00164-l-europe-sommee-d-agir-sur-la-crise-des-migrants.php (accédé le 9 octobre 2015).

(10) McGill Reporter, 25 septembre 2015, « McGill to increase refugee-student placements », http://publications.mcgill.ca/reporter/2015/09/mcgill-to-increase-refugee-student-placements/ (accédé le 9 octobre 2015).

(11) CBC news, « Stephen Harper denies PMO staff vetted Syrian refugee files », Louise Elliott, 8 octobre 2015, http://www.cbc.ca/news/politics/canada-election-2015-refugee-processing-pmo-1.3262423 (accédé le 9 octobre 2015).

(12) TVA Nouvelles, « Les Montréalais invités à tourner le dos à Pégida Québec », Améli Pineda, agence QMI, 6 mars 2015, http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/montreal/archives/2015/03/20150306-153434.html (accédé le 9 octobre 2015).

(13) Dans le numéro du 20 septembre 2015 du journal La Presse, Marie Michèle Sioui explique que la division québécoise de PÉGIDA (l’acronyme allemand de « Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident ») a été créée par Jean-François Asgard, un Québécois qui estime que les musulmans qui habitent la province doivent « changer ou partir » (http://www.lapresse.ca/actualites/elections-federales/201509/20/01-4902188-une-candidate-du-bloc-appuie-pegida-quebec-par-erreur.php, accédé le 21/09/2015). Cette expression constitue le point de départ de l’appel à communications du 8e colloque estudiantin organisé par le Département de langue et de littérature françaises de l’Université McGill intitulé : « Changer ou partir : poétique de l’exil » (28 et 29 janvier 2016).

(14) Le Figaro, 3 septembre 2015, « Migrants : l’identité chrétienne menacée selon Viktor Orban », http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/09/03/97001-20150903FILWWW00260-migrants-l-identite-chretienne-menacee-selon-viktor-orban.php, accédé le 11 octobre 2015.

(15) Grenoble, École de Management, CLES : comprendre Les Enjeux Stratégiques, 26 février 2015, « Vers un grand retour des frontières ? », http://notes-geopolitiques.com/vers-un-grand-retour-des-frontieres/ (accédé le 11 octobre 2015). Voir également L’obsession des frontières par Michel Foucher, Perrin, coll. Tempus, 219 p.

(16) « The Non-Existence of Norway », The London Review of Books, Slavoj Zizek, 9 septembre 2015, http://www.lrb.co.uk/2015/09/09/slavoj-zizek/the-non-existence-of-norway (accédé le 3 novembre 2015).