Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

La communauté algonquine de Lac Barrière (nation algonquine de Mitchikanibikok Inik) tente de forcer le gouvernement du Québec à réformer la Loi sur les mines pour que toute activité d’exploration minière sur son territoire soit précédée d’une consultation en bonne et due forme. Cette contestation juridique est une première au Québec et plusieurs jugent qu’elle pourrait avoir des impacts majeurs sur le régime minier québécois.

La communauté de Lac Barrière a intenté une poursuite en janvier 2020 contre le gouvernement du Québec pour que la Loi sur les mines soit modifiée. « C’est vraiment le régime juridique au complet, dans son essence même, qui pose problème », résume l’avocat de la communauté, Marc Bishai.

Ce qui est en cause : le mode d’attribution des titres miniers (plus communément appelés les claims). Les claimspermettent à une entreprise d’effectuer des travaux d’exploration minière afin de trouver un gisement économiquement rentable et, éventuellement, d’ouvrir une mine. Les entreprises et individus achètent des titres miniers en ligne, via l’interface GESTIM du gouvernement, pour ensuite obtenir l’autorisation d’effectuer des travaux sur le territoire visé.

Pour expliquer ce qu’est un « titre minier », le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) mentionne sur son site qu’il procure « le droit exclusif d’y chercher les substances minérales » et que le « mode d’acquisition est un procédé simple et rapide » . Le régime « s’appuie sur un accès le plus large possible au territoire, un droit de recherche ouvert à tous, sans égard aux moyens des demandeurs », mentionne également le MERN.


« Le principe, c’est la liberté de prospection, ou le free mining, qui permet à quiconque d’enregistrer automatiquement, quasiment, des claims miniers et ce, sans consultation préalable de la communauté autochtone qui occupe déjà le territoire, déplore Me Bishai. C’est, selon nous, inconstitutionnel. »

« Il est dans l’intérêt de tous [et toutes], à mon avis, incluant les acteurs de l’industrie, que le régime minier soit constitutionnel parce que ça accorde une plus grande prévisibilité » — Marc Bishai, avocat 

La loi constitutionnelle de 1982 oblige l’État à consulter les communautés autochtones sur les projets d’exploitation des ressources naturelles qui pourraient se développer sur leur territoire, souligne Me Bishai. C’est sur cette base que la communauté de Lac Barrière a intenté sa poursuite.

Un conflit avec une entreprise d’exploration minière

La récente contestation juridique trouve plus précisément racine dans un conflit qui a opposé, il y a quelques années, la communauté de Lac Barrière au gouvernement du Québec et à l’entreprise d’exploration minière Copper One.

La communauté protestait contre les travaux d’exploration minière aux abords de son territoire. En fait, elle s’opposait surtout à tout possible projet minier puisqu’il serait incompatible avec sa vision de l’occupation du territoire.

Un conflit qui s’est conclu en 2017 par le versement, de la part du gouvernement du Québec, d’une somme de 8 M $ à Copper One pour qu’elle délaisse ses titres miniers. « [La communauté] a alors constaté qu’il y a absence de consultation avant que des transactions aient lieu concernant des claims sur son territoire », explique Me Bishai.

Par voie de communiqué, le chef de la nation algonquine de Mitchikanibikok Inik, Casey Ratt, a déclaré en janvier dernier que la loi est, selon lui, « dépassée ». « Notre territoire comprend plusieurs sites importants d’un point de vue écologique et culturel qui sont essentiels pour assurer notre survie. Nous ferons tout en notre pouvoir pour le protéger des projets miniers risqués », a-t-il souligné.

Un dossier suivi par l’industrie

Au moment d’écrire ces lignes, la position du gouvernement dans cette affaire n’était pas connue. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a décliné notre demande d’entrevue « puisqu’il s’agit d’un dossier judiciarisé ».

L’Association d’exploration minière du Québec (AEMQ), qui représente des entrepreneurs et des minières, a quant à elle accepté de répondre aux questions de L’Esprit libre, en se gardant toutefois de commenter en détail cette affaire.

Le directeur de projet pour l’AEMQ, Alain Poirier, précise que l’obligation de consulter les communautés autochtones est une responsabilité qui incombe au gouvernement et non à l’industrie. Il martèle que cette poursuite concerne donc davantage l’État que l’industrie. « On ne peut pas se substituer au rôle du gouvernement (de consulter). C’est lui le gestionnaire du territoire », explique-t-il.

M. Poirier concède toutefois que la poursuite sera suivie de près par les membres de l’association. « On veut savoir ce qui va en sortir comme jugement, affirme-t-il. Ce sont souvent des causes qui sont portées jusqu’en Cour suprême et les jugements viennent modifier l’approche que les gouvernements vont avoir. »

La Loi sur les mines est peu critiquée, selon l’AEMQ

Les entreprises qui souhaitent procéder à des travaux d’exploration minière aux abords des communautés autochtones recueillent toutefois les préoccupations de celles-ci avant de procéder, assure M. Poirier. « Normalement, tu vas rencontrer la communauté, tu veux les informer, parce que tu veux savoir quelles sont leurs préoccupations et s’il y a des secteurs où il ne faut pas aller », souligne-t-il. Le chargé de projet explique, à titre d’exemple, qu’il n’est pas rare qu’après discussions, des entreprises consentent à paver certaines routes ou à arrêter leurs opérations en période de chasse.

« L’industrie a évolué. L’industrie parle beaucoup plus aux gens des communautés qu’elle ne le faisait il y a 10 ans, 15 ans ou 20 ans, parce que c’est comme cela que ça fonctionne aujourd’hui. » — Alain Poirier, directeur de projet pour l’AEMQ

De son point de vue, les contestations de la Loi sur les mines sont rares au Québec. « La Loi sur les mines a été modifiée à plusieurs reprises et on n’entend pas beaucoup de contestations ni de commentaires négatifs, juge M. Poirier. Il y a [le processus] d’octroi des claimsqui est contesté, mais par une seule communauté pour le moment. »

Seulement 4 % du territoire est claimé, selon l’AEMQ

En ce qui concerne le système d’attribution des claims, M. Poirier ne pense pas que l’industrie a une marge de manoeuvre inappropriée. « Ce n’est pas vrai que parce tu as un claim, tu peux tout faire. Tu ne peux pas exproprier les gens ou faire des travaux qui ont des impacts sur la forêt sans demander de permis », cite-t-il en exemple.

Il mentionne également que 33 % du territoire québécois est visé par une interdiction de travaux d’exploration minière ou sous contrainte. Par contrainte, il cite en exemple la présence d’aires protégées.

Il reconnait cependant que le fonctionnement actuel n’implique pas de consultation préalable avant l’obtention de claim. « À l’heure actuelle, ça ne se fait pas », constate-t-il. « La demande de claim déclenche un processus de validation du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, qui [va] valider avant de donner le droit », avance-t-il. C’est pourquoi, à ses yeux, la contestation de la procédure actuelle concerne d’abord le gouvernement, et non l’industrie.

Il précise cependant qu’il y a « une immense différence entre avoir un claim et une mine ». Seulement 4 % du territoire québécois est actuellement claimé, selon M. Poirier. « Les mines qui ouvrent aujourd’hui ont été découvertes il y a 10, 15, 20 ans, ce qui fait que c’est un processus extrêmement long », ajoute-t-il. Des travaux d’exploration peuvent s’effectuer sur de vastes territoires alors qu’un éventuel projet minier n’est développé que sur une fraction de cette superficie.  

Malgré les réformes de la loi, les problèmes demeurent, selon une chercheuse

La professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Sophie Thériault, est spécialiste des droits des peuples autochtones dans le contexte de l’extraction des ressources naturelles. Elle estime que le régime minier québécois « est structuré de telle manière à rendre impossible la consultation préalable des peuples autochtones avant l’enregistrement du claim. […] L’entrepreneur minier peut obtenir de manière unilatérale un claimsans que l’État exerce un pouvoir discrétionnaire », précise-t-elle.

Cette situation est, selon elle, un enjeu de taille notamment pour les territoires des communautés autochtones non conventionnées et qui n’ont donc jamais été cédés. Les Algonquin·e·s de Lac Barrière font partie de ce cas de figure. « Ils [et elles] peuvent toujours revendiquer l’existence de titres ancestraux, explique Mme Thériault. Un titre ancestral en droit canadien est défini comme le droit exclusif d’occuper un territoire, de l’utiliser et de bénéficier de l’exploitation de ses ressources. »

« Il y a une collision frontale entre le régime de claim minier et le titre ancestral » — Sophie Thériault, professeure de droit à l’Université d’Ottawa

Puisque le territoire n’a jamais été cédé, l’État est dans l’obligation de consulter les communautés lorsqu’une mesure étatique est susceptible d’être préjudiciable aux droits des peuples autochtones, précise Mme Thériault. Plusieurs communautés anishinabées ont tenté par le passé de négocier un traité avec les gouvernements, mais le processus n’a jamais abouti.

« À mon avis, l’enregistrement d’un claim minier sur un territoire potentiellement détenu en vertu d’un titre ancestral devrait donner lieu à une obligation de consultation », tranche Mme Thériault, qui se dit convaincue que certaines dispositions de la Loi sur les mines ne respectent pas les droits constitutionnels des Autochtones.

« L’État au service de l’industrie minière »

Mme Thériault soutient que ces enjeux de non-respect des droits ancestraux sont connus depuis longtemps. Elle émet l’hypothèse que la logique de free mining datant du XIXe siècle a survécu aux différentes réformes de la Loi sur les mines – dont la dernière remonte à 2013 — parce que cette approche est « favorable aux investisseurs miniers ». « Les entrepreneurs [et entrepreneuses] miniers réclament haut et fort l’accès le plus libre possible au territoire pour pouvoir mener des activités d’exploration et augmenter les chances de trouver un gisement rentable », constate-t-elle.

Selon elle, le système minier est à ce point favorable à l’industrie qu’il est reconnu internationalement comme tel par les grandes entreprises minières. « L’enjeu de l’économie politique ici est de dire que l’État est au service de l’industrie minière qu’il promeut également », affirme-t-elle.

Les entrepreneurs qui investissent pour effectuer des travaux d’exploration minière s’attendent d’ailleurs à pouvoir démarrer une mine s’ils trouvent un gisement intéressant. « On s’attend à ce que, s’il y a découverte d’un gisement rentable, on ait le droit de pouvoir exploiter le gisement en question », mentionne-t-elle.

Les fondements de la loi

Les fondements du free mining proviennent des ruées vers l’or du XIXe siècle et des codes miniers qui ont été développés par les prospecteurs eux-mêmes, selon la professeure. « Ils ont fait une pression importante sur les législateurs pour que ces codes miniers servent de base pour les législations étatiques, parce que les mineurs savaient que ces codes étaient favorables à l’expansion de l’industrie minière », explique-t-elle.

Le free mining est devenu une « forme de système de pensée qui est très ancrée dans les cultures minières et dont il est très difficile de faire abstraction », ajoute Mme Thériault, pour expliquer sa non-remise en question par les gouvernements.

Un enjeu aussi pour les allochtones

Selon Mme Thériault, la décision dans l’affaire opposant Lac Barrière au gouvernement du Québec pourrait devenir un « précédent très important et susceptible d’influencer le développement du droit dans d’autres juridictions ».

Elle croit également que cette contestation pourrait être bénéfique pour les communautés non autochtones. « Dans l’éventualité où l’État est forcé de restructurer son régime minier de manière à obliger la consultation avec les communautés autochtones, on va être mieux en mesure d’intégrer des processus décisionnels beaucoup plus ouverts, puis de laisser une place beaucoup plus grande aux démocraties locales », conclut-elle.

Le traitement de cette contestation judiciaire sera retardé en raison de la pandémie.

Photo : Peter B. Carter sur Flickr

Le Plan Nord : un développement responsable?

Le Plan Nord : un développement responsable?

« Plan Nord : Plan mort », scandaient les étudiant·e·s et manifestant·e·s en 2012, après la défaite de Jean Charest, premier architecte du Plan Nord actuel. On croyait que ce projet, qui vise à développer les territoires situés au nord du 49e parallèle, serait abandonné. Ce ne fut toutefois pas le cas. Pauline Marois proposait « Le Nord pour tous », puis Philippe Couillard a officiellement relancé le Plan Nord en 2015. Seize milliards ont déjà été investis dans cet immense chantier, aux dires du premier ministre[i]. Bien qu’on entende relativement peu parler de ce qu’il se trame aujourd’hui sur cette vaste étendue, de nombreux projets y sont bel et bien en cours.

Le gouvernement du Québec présente son Plan Nord comme un modèle de développement « responsable et durable »[ii]. Mais ce projet titanesque est-il réellement « responsable » des points de vue environnemental, social et économique ? C’est à cette question à laquelle ont voulu répondre Bruno Massé, géographe, activiste et écrivain ; Marie-Ève Blanchard, animatrice en défense de droits et poète féministe ; Frédéric Lebel, géographe et consultant en planification territoriale et en stratégies de développement local ; et Alice de Swarte, coordonnatrice en conservation et analyse politique à la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), lors de notre brunch-discussion du 29 avril dernier. Elles et ils ont abordé le contexte économique et politique dans lequel est né et se développe le Plan Nord, ses impacts sur les femmes, ainsi que les engagements gouvernementaux en matière de protection des territoires.

Le Plan Nord en bref

La Société du Plan Nord, soit l’organisme responsable de la mise en œuvre du projet depuis le 1er avril 2015[iii], affirme que le projet a « pour but de mettre en valeur le potentiel minier, énergétique, social, culturel et touristique du territoire québécois situé au nord du 49e parallèle »[iv]. Le gouvernement prévoit des investissements publics et privés totalisant près de 50 milliards de dollars entre 2015 et 2035, date prévue de la fin du projet. La région touchée représente 72 % de la superficie du Québec. Environ 120 000 habitant·e·s — soit 1,5 % de la population de la province —, y vivent, dont près du tiers sont autochtones, note Frédéric LeBel[v].

Toutefois, comme l’a souligné chaque intervenant·e lors de l’événement du 29 avril dernier, le Plan Nord est d’abord et avant tout un projet de développement minier, assorti de« petits bonus » promis pour le développement social et la protection de l’environnement. Bruno Massé dénonce le fait que le projet gravite sur l’exploitation minière. De plus, il souligne que les mesures sociales annoncées dans le cadre du Plan Nord (construction de logements sociaux au Nunavik,de serres, etc.) sont à la remorque du développement minier. Selon lui, la population se trouve « prise en otage » : pour avoir droit à ces mesures sociales, les communautés sont contraintes d’accepter le Plan Nord et tous ses chantiers miniers et énergétiques.

De plus, pour la période allant de 2015 à 2020 seulement, le gouvernement promet des investissements publics de l’ordre de deux milliards de dollars, auxquels pourront s’ajouter des contributions du gouvernement fédéral. Ces investissements visent à « mettre en place les conditions nécessaires pour favoriser le développement et l’accès au territoire »[vi]. Cependant, Frédéric LeBel avance que les infrastructures de transport (routes, aéroports, ports) construites pour augmenter l’accessibilité du territoire sont destinées avant tout à l’industrie minière. En effet, il explique que les principales infrastructures visent à leur faciliter l’accès aux minerais et à leur permettre de l’exporter plus aisément.

Le gouvernement avance que le Plan Nord créera des emplois et générera des revenus à la fois pour les communautés touchées et pour les Québécois·es en général. On fait miroiter un projet « rassembleur pour la société québécoise »[vii]. Toutefois, comme cela a été souligné pendant la période de discussion avec le public, ce mégaprojet exacerbe les tensions entre les communautés et dans les communautés. De plus, comme l’a dénoncé un membre du public, la façon dont est créée et redistribuée la richesse est choquante, voire « humiliante » : les ressources minières qui sont le cœur du Plan Nord sont non renouvelables. Et pourtant, on favorise une approche « terriblement capitaliste », au nom de laquelle « on sort tout, tout de suite », pour le profit des actionnaires, s’offusque-t-il. Rien dans l’approche préconisée ne garantit la pérennité des ressources ou la transformation locale de la matière pour créer des emplois dans les secteurs secondaires et tertiaires[viii].

Par ailleurs, certain·e·s estiment que la promesse du gouvernement de protéger 50 % du territoire au nord du 49e parallèle n’est que poudre aux yeux. Comme le souligne Frédéric LeBel, le gouvernement vend l’idée qu’il faut exploiter ce territoire pour en protéger une partie, alors qu’il serait tout à fait possible de le préserver sans prôner une exploitation à grande échelle. De son côté, Bruno Massé avance que les mesures environnementales ont été créées dans le but de rallier l’opinion publique et de manufacturer le consentement face à ce titanesque projet.

Pourquoi « développer » le Nord ?

Plusieurs raisons expliquent la volonté gouvernementale de « développer » le Nord. Le message officiel des libéraux est que ce plan vise à relancer l’économie et à stimuler l’emploi[ix]. Cependent, Pierre Arcand, ex-ministre responsable du Plan Nord, avouait dans un article de La Presse en 2017 que, « [l]orsqu’on a lancé le Plan Nord, c’était en réaction à des investissements miniers très importants qui étaient soudainement apparus »[x].

Bruno Massé avance que, en vérité, le Plan Nord serait fortement lié au « boom minier » qui a éclaté en 2011. Selon lui, on connaissait depuis longtemps le fort potentiel minier du Nord québécois, mais on a attendu que le contexte économique justifie l’exploitation avant d’aller de l’avant. En effet, le « boom minier », qui résulte à la fois de la hausse de la demande en métaux des marchés asiatiques et de la rareté des ressources minières, rentabilise désormais l’exploitation de mines dans le Nord québécois, d’après le géographe. La fonte du pergélisol, la qualité du sol composé à 90 % de roche précambrienne (dite « favorable », car facile à exploiter) et l’arrivée de nouvelles technologies sont des arguments de plus qui justifient l’exploitation minière sur ce territoire, ajoute Frédéric LeBel.

Toutefois, malgré le contexte mondial de rareté de la ressource et la forte demande en minéraux, la faiblesse majeure qui freinait les investissements de l’industrie minière au Québec est l’éloignement du marché et la difficulté d’accéder aux ressources. En effet, les marchés désireux d’acheter les matières premières extraites des mines, comme l’expliquait Frédéric LeBel, sont plutôt éloignées du Québec, la majorité se trouvant en Asie. Les infrastructures de transport inappropriées rendaient l’exportation du minerai difficile, mais le gouvernement du Québec a tenu à rassurer les compagnies minières et à les encourager à choisir le Nord québécois pour investir. Pour ce faire, il avait promis de construire et d’entretenir des infrastructures de transport pour leur permettre d’accéder aux ressources, mais aussi de l’exporter. Le gouvernement a donc financé la construction de routes pour se rendre aux mines et en sortir le minerai[xi], d’aéroports et d’un port en eau profonde à Sept-Îles. Le gouvernement assurera également en grande partie les coûts reliés à l’entretien de ces infrastructures, qui sont particulièrement vulnérables en raison du climat hostile pour les chaussées des régions nordiques. Pour Frédéric LeBel, on parle de « socialiser le risque par la dette publique ».

Pour ajouter au contexte économique favorable aux investissements de l’industrie minière, Québec a fait le choix de maintenir un faible taux de redevances minières, signale Frédéric LeBel. En 2015, dans Le Devoir, Alexandre Shields révélait que « les minières ont versé un milliard de dollars de redevances depuis 2009, tandis que la valeur des minerais tirés du sol dépasse les 54 milliards ». Le journaliste déplorait que ce taux était bien inférieur à la moyenne canadienne[xii].

Par ailleurs, poursuit Frédéric LeBel, d’un point de vue géopolitique, l’ouverture du passage du Nord-Ouest, qui résulte des changements climatiques et de la fonte des glaciers, facilite l’exportation des matières extraites vers l’Asie et, en particulier, vers la Chine, dont la demande en minéraux est très forte. Cette situation est favorable pour l’industrie minière qui cherche un marché accessible où vendre les minerais Les changements climatiques leur assurent donc un nouveau passage plus rapide vers leurs principaux acheteurs.

L’enjeu du positionnement géopolitique du Québec dans l’arctique est également un facteur clef qui explique cette volonté de développer le Nord, croit Frédéric LeBel. Le Québec est la province possédant le plus grand accès aux mers nordiques du Canada, mais, étant donné son statut politique de province, elle ne peut y transiter à titre de nation indépendante. On peut prévoir que le passage du Nord-Ouest entre le Manitoba et la Russie deviendra un espace essentiel pour le commerce mondial, d’où l’intérêt pour le Québec d’occuper le territoire nordique et de se projeter dans les mers, note le géographe.

Les femmes « charriées » par le Plan Nord

D’un point de vue social, le Plan Nord engendre de graves conséquences sur la situation des femmes. Au fil de ses recherches à titre de citoyenne engagée, Marie-Ève Blanchard a constaté que « l’implantation de mégaprojets extractifs et énergétiques s’accompagne souvent d’une dévaluation de la condition de vie des femmes, d’une hausse des agressions physiques et sexuelles, et d’une hausse du marché sexuel », et ce, entre autres conséquences négatives.

Le monde politique semble toutefois peu sensible à ces répercussions dramatiques. Marie-Ève Blanchard relate un échange « éclairant » datant de 2015, entre Alexa Conradi (alors présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ)) et André Spénard, député de la Coalition avenir Québec (CAQ) et membre de la commission parlementaire sur les choix budgétaires. Lorsque Alexa Conradi critiquait les investissements associés au Plan Nord, argumentant que, autant les agressions sexuelles que l’industrie du sexe sont en nette hausse sur la Côte-Nord – région fortement touchée par le Plan Nord –, le député caquiste lui a répondu : « On n’arrêtera pas les ressources naturelles et l’extraction du minerai de fer, de cuivre, ou l’or, parce qu’il y a plus d’agressions sexuelles dans ce coin-là! […] Vous me charriez ! »

Les chiffres donnent cependant raison à la présidente de la FFQ de sonner l’alarme. Selon une analyse de l’Institut national de la santé publique du Québec, de 2002 à 2011, le nombre de voies de fait, excluant les agressions sexuelles, a augmenté de façon significative sur l’ensemble de la Côte-Nord. Ce taux était deux fois plus élevé que la moyenne en 2009 et et 2011, mais comparable à celui de 2002[xiii], s’offusque Marie-Ève Blanchard. Fait à noter : 2009 marque l’ouverture du premier campement près du chantier La romaine, un complexe hydro-électrique construit dans le cadre du Plan Nord.

De plus, le nombre d’agressions sexuelles est en hausse sur tout le territoire du Plan Nord. On rapportait 67 agressions en 2011-2012, 81 agressions 2012-2013, puis 102 agressions en 2013-2014[xiv], soit une augmentation constante, rapporte Marie-Ève Blanchard. On observe également une hausse des voies de fait contre la personne en contexte conjugal de 300 % dans la région de la Minganie, touchée par le Plan Nord. Difficile de ne pas faire de liens entre ces statistiques aberrantes et les chantiers du Plan Nord ou les projets extractifs et énergétiques, comme le laisse entendre la poète féministe.

En effet, comme mentionné précédemment, le Plan Nord a pour clef de voûte sur l’exploitation minière, une industrie à forte prédominance masculine. Une membre du public faisait justement remarquer que la minière connue comme étant la plus responsable au Québec employait à peine 7 % de femmes (dans des postes administratifs pour la plupart). Elle ajoutait qu’en Abitibi-Témiscamingue, région où les minières sont omniprésentes, les femmes gagnent 60 % du revenu des hommes, soit le plus grand écart salarial au Québec après la Côte-Nord[xv]. Cet écart peut s’expliquer par la forte présence des mines, « où l’on retrouve des salaires très élevés »[xvi], et d’où la grande majorité des femmes sont exclues.

Par ailleurs, d’après Marie-Ève Blanchard, le navettage (plus connu comme « fly-in/fly-out »), nouveau mode d’organisation du travail préconisé sur les chantiers miniers et énergétiques, exacerbe les comportements jugés répréhensibles (excès de drogues ou d’alcool, prostitution, agressions sexuelles). Elle explique que le navettage ne favorise pas la création d’un sentiment d’appartenance à la communauté d’accueil. Les employé·e·s viennent travailler, souvent 12 heures par jour pendant 14 jours consécutifs, puis repartent dans leur communauté d’origine pour 14 jours de congé, avant de recommencer ce voyagement constant. C’est un mode de travail de plus en plus répandu sur les différents chantiers du Plan Nord et qui aurait des répercussions néfastes importants — quoiqu’encore méconnus — sur le tissu social tant de la communauté d’origine que celui de la communauté de travail des employé·e·s[xvii].

D’ailleurs, « plusieurs milieux féministes autochtones formulent l’hypothèse que […] s’attaquer à l’autonomie et aux droits des femmes et ainsi fragiliser le tissu social d’une communauté serait un moyen d’atténuer la capacité de résistance des communautés touchées pour contrôler plus aisément un territoire convoité pour le développement extractif », signale Marie-Ève Blanchard. Selon elle, cette « stratégie de destruction » se trouverait au cœur même du Plan Nord, et viserait à faire taire les résistances. Elle décrit la stratégie de développement du Nord, qui laisse tomber les femmes et qui ne prend pas en compte les répercussions des multiples chantiers sur ces dernières.

Des promesses environnementales bafouées

Alice de Swarte, de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), a résumé les engagements gouvernementaux en matière de protection du territoire dans le cadre du Plan Nord. Elle explique que le gouvernement du Québec a promis de conserver 50 % du territoire touché d’ici la fin prévue du projet en 2035. Pour ce faire, on compte mettre sur pied des aires protégées représentatives de la biodiversité nordique. Elle affirme que ce chiffre est tiré de plusieurs études qui démontrent que pour endiguer la perte de biodiversité, il faut soustraire de 25 % à 75 % du territoire à l’exploitation industrielle. Le chiffre de 50 % se veut donc une moyenne, l’équivalent du « deux degrés » pour limiter l’impact des changements climatiques.

Le gouvernement s’est engagé à atteindre cette cible en trois étapes majeures : il souhaitait protéger 12 % du territoire pour 2012, 20 % pour 2020, puis 50 % pour 2035. Pour l’instant, précise Alice de Swarte, seulement 12 % du territoire du Plan Nord est protégé. Il faudra donc y ajouter 8 % en moins de deux ans pour remplir l’objectif de 2020. Pour y arriver, il faudra donc accélérer drastiquement le rythme auquel on crée des aires protégées.

Toutefois, plusieurs défis sont à relever pour atteindre ces cibles, déplore Alice de Swarte. On pense aux claims miniers, qui ont préséance sur les autres usages du territoire. Un claim minier est un droit à l’exploration minière qui peut être loué en échange d’un certain montant par des compagnies ou des personnes[xviii]. Cela veut dire que si un territoire donné est « claimé » par une compagnie, l’exploration minière — et éventuellement l’exploitation de la ressource — ont priorité sur création d’aires protégées, résume Alice de Swarte.

Alice de Swarte dénonce également les ministères à vocation économique qui « font de l’obstruction » à la création d’aires protégées, ainsi que la culture au sein du ministère des Ressources naturelles qui permet de mettre un droit de veto sur la plupart des projets de protection. Elle s’offusque du fait que la vision des acteurs économiques finit, dans 90 % des cas, par aller à l’encontre de la préservation de l’environnement.

De plus, elle estime qu’il y a un manque de cohérence dans la vision gouvernementale, et qu’on manque d’outils pour gérer le territoire de façon équilibrée et pour mettre les communautés au centre des enjeux de conservation. Elle regrette « l’absence quasi totale de balises pour s’assurer d’un développement responsable ». Notamment, le gouvernement n’a toujours pas fait d’étude de l’effet cumulatif des conséquences de multiples chantiers du Plan Nord sur l’environnement. En effet, la SNAP est préoccupée par l’ouverture du territoire par la construction de nombreuses infrastructures de transport sur un territoire « dont l’isolement constituait jusqu’à maintenant la meilleure garantie de protection »[xix].

Par ailleurs, Alice de Swarte s’inquiète du manque de respect du consentement libre, préalable et éclairé des communautés autochtones par le gouvernement. Elle déplore le manque de ressources pour leur permettre de mener à terme leurs projets de protection du territoire face à la machine gouvernementale et aux industries.

Elle demande également à ce que les activités industrielles menées sur le territoire fassent l’objet d’une surveillance indépendante, car, pour l’instant, ce sont les compagnies qui exploitent des ressources naturelles qui sont chargées de s’autosurveiller, avec toutes les lacunes qu’un tel fonctionnement peut causer.

Pour conclure, à la lumière des explications des intervenant·e·s qui ont pris la parole lors de cette discussion sur le Plan Nord, il semble évident que ce projet comporte plusieurs lacunes sur le plan économique, social et environnemental. Malgré les belles promesses du gouvernement, le Plan Nord dans sa forme actuelle est loin d’être un « modèle de développement durable et responsable », comme le clame le gouvernement du Québec.

CRÉDIT PHOTO: Parolan Harahap / FLICKR

[i]       Jocelyne Richer, « Philippe Couillard inaugure une aire protégée dans le Grand Nord », La Presse, 26 octobre 2017. Page consultée le 10 mai 2018 : http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201710/…

[ii]      Société du Plan Nord, Gouvernement du Québec, 2014. Page consultée le 10 mai 2018 : https://plannord.gouv.qc.ca/fr/

[iii]     Société du Plan Nord, « Plan stratégique 2016-2020 », Gouvernement du Québec, 2016, p. 9. https://plannord.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2017/05/Plan_strategique_SPN_2016-2020.pdf

[iv]    Société du Plan Nord, Gouvernement du Québec, 2014. Page consultée le 10 mai 2018 : https://plannord.gouv.qc.ca/fr/

[v]     Société du Plan Nord, « Le territoire du Plan Nord et ses principales caractéristiques », 2014. Page consultée le 10 mai 2018 : https://plannord.gouv.qc.ca/fr/territoire/

[vi]    Société du Plan Nord, « Cadre financier », Gouvernement du Québec, 2014. Page consultée le 10 mai 2018 : https://plannord.gouv.qc.ca/fr/vision/cadre-financier/

[vii]   Société du Plan Nord, Gouvernement du Québec, 2014. Page consultée le 10 mai 2018 : https://plannord.gouv.qc.ca/fr/

[viii]  Alexandre Shields, « Forcer la transformation du minerai ici serait néfaste pour le Québec », Le Devoir, 7 février 2012. Page consultée le 10 mai 2018 : https://www.ledevoir.com/societe/environnement/341982/forcer-la-transfor…

[ix]    Secrétariat du Plan Nord, « Le Plan Nord à l’horizon 2035. Plan d’action 2015-2020 », Gouvernement du Québec, 2015, page iii. https://plannord.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2017/05/Synthese_PN_FR_IMP.pdf

[x]     Émilie Laperrière, « Plan Nord : Le Québec est « mieux organisé » pour la relance », La Presse, 23 mai 2017. Page consultée le 10 mai 2018 : http://www.lapresse.ca/affaires/portfolio/plan-nord/201705/23/01-5100462…

[xi]    Alain Mondy, « Prolongement de la route 167 : pour un meilleur accès aux ressources minières », ministère des Transports du Québec, novembre 2011. Page consultée le 10 mai 2018 : https://mern.gouv.qc.ca/mines/quebec-mines/2011-11/prolongement.asp; Laurence Royer, « 489 M$ pour les routes de la Côte-Nord », Radio-Canada, 26 mars 2018. Page consultée le 10 mai 2018 : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1091580/investissement-routes-cote-nord; Steeve Paradis, « Plan Nord : la route 389 asphaltée sur 40 km de plus », La Presse, 30 août 2011. Page consultée le 10 mai 2018 : https://www.lesoleil.com/actualite/plan-nord-la-route-389-asphaltee-sur-…

[xii]   Alexandre Shields, « Le Québec, cancre canadien », Le Devoir, 26 octobre 2015. Page consultée le 10 mai 2018 : https://www.ledevoir.com/societe/environnement/453528/redevances-miniere…

[xiii]  Institut national santé publique du Québec, « Violence conjugale dans la région de la Côte-Nord », avril 2011. https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1245_ViolenceConjugaleCoteNord.pdf

[xiv]  Catherine Lévesque, « Plan Nord au féminin : une vie pas toujours rose (infographie) », Huffington Post, 1er décembre 2014. Page consultée le 23 mai 2018 : https://quebec.huffingtonpost.ca/2014/12/01/plan-nord-au-feminin–une-vi…

[xv]          « Portrait : Les femmes et le marché du travail (Abitibi-Témiscamingue) », Emploi-Québec Abitibi-Témiscaminge,      janvier 2016. Page consultée le 10 mai 2018 :http://www.emploiquebec.gouv.qc.ca/uploads/tx_fceqpubform/08_Portrait-femmes.pdf

[xvi]  Jocelyn Corbeil, « L’écart salarial entre les hommes et les femmes demeure important en Abitibi-Témiscamingue », Radio-Canada, 7 mars 2018. Page consultée le 10 mai 2018 : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1087791/ecart-salarial-hommes-femme…

[xvii] Julie Tremblay, « Fly-in, fly-out : extraire des ressources et des travailleurs », Radio-Canada, 12 janvier 2018. Page consultée le 10 mai 2018 : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1077627/fly-in-fly-out-travailleurs…

[xviii] Simplement géologie, « Les claims miniers – un aperçu », 10 avril 2012. Page consultée le 10 mai 2018 : http://www.simplegeo.ca/2012/04/les-claims-miniers-un-apercu.html

[xix]  Patrick Nadeau, « Ouverture du Nord : les dépenses s’accumulent – les impacts environnementaux aussi », SNAP Québec, 12 avril 2012. Page consultée le 10 mai 2018 : http://snapqc.org/news/ouverture-du-nord-les-depenses-saccumulent-les-im…