Marc Bourcier dans son bureau, après la première réunion de la matinée.
À travers sa série Portraits d’élu·es, L’Esprit Libre suit des élu·es municipaux·les le temps d’une journée, pour retracer leur parcours et raconter leur quotidien. Pour cet article, nous nous sommes rendus à Saint-Jérôme, pour rencontrer le maire Marc Bourcier, né ici et élu en 2021.
En arrivant dans son bureau en ce lundi matin, le maire de Saint-Jérôme Marc Bourcier affiche un grand sourire, comme si l’hôtel de ville lui avait manqué pendant la fin de semaine. Casquette des Canadiens de Montréal vissée sur la tête, il s’empresse d’enfiler son veston rose de travail qui l’attendait dans un placard.
Au fond de sa pièce de travail trône les drapeaux du Québec et de St Jérôme, au milieu desquels est encadrée la photo d’équipe de la saison 1955-56 des Habs. Outre les nombreuses références à sa grande passion pour le hockey, on repère un imposant dictionnaire placé au milieu de son bureau, une figurine du cow-boy de Toy’s Story, et des cartes de Star Trek.
Son adjointe administrative Annie Larouche passe alors une tête à travers la porte et l’enjoint à se diriger dans la salle de réunion adjacente pour planifier les événements à venir. Elle nous apprend alors que cette journée est typique d’un lundi. Après l’agenda et les correspondances matinales s’en suivront une entrevue pour un média local, un dîner avec un élu, une réunion avec le service des communications, et une rencontre avec les conseillers municipaux.
Une vie dédiée à Saint-Jérôme
Si M. Bourcier a attendu ses 56 ans pour se lancer en politique, Saint-Jérôme n’a rien de nouveau pour lui, comme il nous l’explique après la réunion matinale. Né ici, il y a également vécu toute ses vies. Il a tout d’abord consacré 35 ans de carrière d’enseignant aux élèves de sixième année de l’école Notre Dame de Saint-Jérôme. Il prend sa retraite prématurément en 2013, pour vivre d’autres choses, dit-il. Il se présente alors comme conseiller municipal, et est élu avec la troisième plus grande majorité pour un conseiller cette année-là. Il s’implique en politique pour « être sur le terrain et changer les choses », notamment en améliorant la vie des enfants de son ancienne école, qui résident dans un quartier défavorisé.
Le nouvel arrivé en politique fait ensuite un passage par le provincial. En 2016, le député péquiste de la ville Pierre Karl Péladeau démissionne, et M. Bourcier est élu pour le remplacer. Cette expérience de deux ans entre Québec et Saint-Jérôme est très formatrice, et lui permet d’acquérir une vision politique plus globale et des contacts qui seront utiles par la suite en tant que maire, juge-t-il.
C’est la force des choses qui le fait revenir au municipal, lorsque le maire de l’époque Stéphane Maher est reconnu coupable de fraude électorale, et est destitué de ses fonctions en 2021. « Je l’ai vécu assez tough […]. Les gens de Saint-Jérôme avaient honte, moi aussi », raconte M. Bourcier. L’ancien enseignant a alors senti le besoin de s’impliquer de nouveau aux affaires municipales pour « essayer de réparer la ville », après un épisode qui a ébranlé la confiance des citoyens et la réputation de Saint-Jérôme. Il se présente alors aux élections de 2021, et obtient 42,58% des voix. Son parti, Avenir St-Jérôme, remporte 10 sièges sur 12 au conseil municipal.
Le maire donne une entrevue à un journal local.
Rendre la ville agréable à vivre
Ses trois ans et demi de mandat ont eu pour objectif de rendre les résident·es heureux·ses et fier·ères d’habiter à Saint-Jérôme. Cela après que l’affaire Maher ait créé un « climat de défiance », mais aussi que la réputation de la ville n’ait jamais été très bonne, confère le maire depuis son bureau. Encore aujourd’hui, la ville est parfois attaquée dans les médias ou sur les forums pour son centre-ville insécuritaire ou son manque d’intérêt.
M. Bourcier se lève alors et sort sur la terrasse du troisième étage, qui surplombe la place de la Gare et la cathédrale Saint-Jérôme. L’attrait de la ville, dit-il, repose notamment par la programmation culturelle et la mise en valeur du patrimoine. Il pointe alors du doigt l’ancienne gare et l’amphithéâtre Rolland où prennent place de nombreux événements culturels. « On a une programmation estivale gratuite, il y a parfois 10 000 personnes qui viennent. Il y a aussi des activités pratiquement tous les jours dans les quartiers », relate-t-il fièrement. St Jérôme est la capitale régionale des Laurentides, comme le rappelle le maire, et « se doit de l’assumer » en attirant des visiteur·ses et ses propres résident·es.
Le maire désigne ensuite le kilomètre zéro du réseau cyclable du P’tit train du Nord, qui trouve son départ au pied de l’hôtel de ville. C’est un endroit qu’il affectionne particulièrement, et qu’il a mis en valeur à travers plusieurs projets depuis le début de son mandat. Ce parc linéaire contribue, avec les 125 autres parcs de la ville et la rivière qui la traverse, à faire de Saint-Jérôme la ville la plus verte au Canada depuis deux ans. « Il fait bon vivre à St Jérôme. Une partie des habitant·es disent que c’est la ville avec les attraits de la campagne, et une autre partie disent que c’est l’inverse », s’amuse-t-il.
De retour dans son bureau, M. Bourcier attire notre attention sur la photo d’une patinoire, peut-être l’accomplissement dont il semble le plus fier. Il s’agit de la patinoire tricolore des Canadiens, située dans le quartier de son ancienne école, pour laquelle il a milité pendant plus de 14 ans, raconte-t-il : « Pendant des années, j’écrivais à la Fondation des Canadiens pour qu’ils viennent [installer une patinoire] et que nos jeunes défavorisés puissent bouger. » Aujourd’hui, la patinoire accueille 18 000 visiteurs par an selon les données de M. Bourcier, et attire des amateur·rices venu·es de toutes les Laurentides.
Le sport est l’un des vecteurs sur lesquels s’appuie M. Bourcier pour développer l’attractivité de la ville, et en faire une « cité des sports ». Son administration a également conclu une entente avec l’équipe de football des Alouettes de Montréal pour qu’elle installe son camp d’entraînement à Saint-Jérôme pendant trois ans, qui s’accompagne d’une programmation sportive et festive destinée aux citoyens.
Faire le bilan
À quelques mois de la fin de son mandat, M. Bourcier estime avoir « remis la maison en ordre ». Des défis persistent toujours, liés notamment à la densification de la ville, aux enjeux d’itinérance et aux attraits du centre-ville.
Le maire quittera toutefois ses fonctions à la fin de son mandat, comme il l’avait prévu. Autant par principe que pour prendre du temps pour lui et sa famille, explique-t-il. « J’ai un livre sur le sport à écrire, puis je veux faire de la musique », ajoute-t-il. Un retour à des occupations plus « normales », après dix ans d’engagement politique pour Saint-Jérôme, dont quatre ans en tant que maire de la ville.
M. Sabourin lors de la Commission du développement du territoire et de l’habitation, dont il est le président – Charline Caro
À travers sa série Portraits d’élu·es, L’Esprit Libre suit des élu·es municipaux·les le temps d’une journée, pour retracer leur parcours et raconter leur quotidien. Pour cet épisode, nous nous sommes rendus à Gatineau, pour rencontrer le conseiller municipal Louis Sabourin, qui a choisi de ne briguer qu’un seul mandat.
À 9 h du matin, l’Hôtel de ville de Gatineau est encore calme, malgré le passage de quelques fonctionnaires. Situé à la frontière du Québec et de l’Ontario, l’édifice surplombe la rivière des Outaouais, de l’autre côté de laquelle se trouve la colline parlementaire d’Ottawa. Loin de l’agitation fédérale, nous restons sur la rive québécoise, pour passer une journée avec un conseiller municipal de la Ville de Gatineau.
C’est au quatrième étage que nous avons rendez-vous avec le conseiller Louis Sabourin, élu lors des dernières élections municipales de 2021 pour le parti d’Action Gatineau. M. Sabourin a accepté ce reportage après notre appel à volontaires aux conseiller·ères du Québec, dans le but de montrer les aspects positifs de la fonction d’élu municipal et de « donner envie aux gens de se lancer ».
Les bureaux des conseillers se succèdent le long d’un couloir, jusqu’à celui de M. Sabourin. Pas de chance pour notre hôte du jour, le tirage au sort l’a fait hérité d’un local sans fenêtre. L’élu s’affaire derrière son ordinateur, en compagnie de son agent de recherche et assistant Gautier Chardin. Derrière lui se trouve une carte du district de Limbour, à Gatineau, qu’il habite depuis vingt ans et dont il est le conseiller municipal depuis trois ans.
M. Sabourin dans son bureau, avec une carte de son district de Limbour en arrière – Charline Caro
M. Sabourin n’avait jamais fait de politique auparavant. Lorsque nous lui demandons des précisions sur sa carrière professionnelle, son assistant et lui échappent un rire. L’élu déballe alors son curriculum vitae : « J’ai été infirmier quand même assez longtemps, puis enseignant au primaire moins longtemps. J’ai aussi été courtier immobilier, puis inspecteur en bâtiment. J’ai eu plusieurs entreprises dans des domaines différents, et me suis impliqué dans le communautaire. » Le conseiller explique alors aimer changer de travail régulièrement, « tous les quatre ans en moyenne », afin de vivre de nouvelles expériences.
Il reconnaît toutefois un fil conducteur à cette carrière très diversifiée : « C’est le service à la personne, le fait de voir du monde et d’aider les gens », croit-il. La politique municipale lui apparaît ainsi comme une « suite logique ». En 2021, il se présente alors aux élections municipales, avec comme motivation principale d’apprendre de cette nouvelle expérience, et est élu.
L’expérience du terrain
À 10 h, le conseiller et son assistant M. Chardin quittent l’Hôtel de ville pour se rendre au premier rendez-vous de la journée. Dans la voiture qui nous y mène, M. Sabourin dit être « content de [s’être] lancé en politique maintenant, et pas avant ». Les expériences professionnelles qu’il a multipliées jusqu’ici lui sont très utiles dans son quotidien d’élu, juge-t-il. Sa fonction le place notamment en relation directe avec les citoyen·nes, qui lui adressent de nombreuses requêtes. Alors que tous ces « gens fâchés » peuvent parfois éreinter certain·es élu·es, lui estime avoir l’habitude de gérer et de comprendre les plaintes : « Quand j’étais infirmier, les gens attendaient huit heures dans une salle d’urgence avant de voir un médecin, on peut se dire qu’ils étaient très fâchés. »
Sa matinée est d’ailleurs dédiée aux requêtes qui lui ont été adressées par les citoyen·nes de son district. Après dix minutes de voiture, nous arrivons au centre de services de Gatineau, où M. Sabourin doit rencontrer le directeur territorial, en charge des services municipaux. Une réunion hebdomadaire dans laquelle le conseiller municipal fait remonter les plaintes des citoyens concernant les services de la ville : un déneigement mal effectué sur un trottoir, un nid de poule à reboucher, ou des bus trop nombreux sur une rue. Dans une ambiance conviviale, MM. Sabourin et Chardin reprennent un à un les signalements qui leur ont été faits, et envisagent des solutions avec le directeur territorial et son assistante.
MM. Sabourin et Chardin au centre de services de Gatineau, où ils rencontrent le directeur territorial et son assistante pour traiter les requêtes des citoyens.
Le choix d’un seul mandat
Après une heure de réunion, l’élu et son assistant se rendent dans un café avoisinant le centre de services de Gatineau. Ils s’installent au fond de la salle, latte et sandwich à la main. En guise de compte-rendu de la réunion, M. Sabourin raconte que son travail est assez routinier : « en hiver, c’est le déneigement, au printemps les nids de poule, et en été le gazon ». Un mandat de quatre ans revient selon lui à faire « quatre fois le même tour du jardin », et c’est suffisant. Son assistant sourit, connaissant l’aversion de son conseiller pour la routine.
Son expérience politique n’échappera pas à la règle : elle durera quelques années seulement, comme ses précédentes expériences professionnelles. Le conseiller confie entre deux bouchées qu’il sait « depuis le début » qu’il ne sollicitera pas de deuxième mandat. Un fait rare pour un élu, alors que la quasi-totalité de ses collègues se représentent aux élections municipales de novembre, dont certains pour la troisième ou la quatrième fois.
Après avoir salué le directeur général d’Action Gatineau qui entrait dans le café, M. Sabourin explique qu’au-delà d’être un choix personnel, le mandat unique a des avantages sur le plan politique. « Les décisions que je prends ne sont jamais électoralistes, car les prochaines élections n’ont aucun poids dans la balance », expose-t-il, soutenant que son seul intérêt est le bien commun. En raison de sa courte expérience en politique, il se considère plus comme un citoyen politicien que l’inverse, et davantage connecté aux réalités du terrain. Il n’est toutefois pas le seul politicien à défendre de nobles motivations.
Sachant qu’il n’avait que quatre ans devant lui, M. Sabourin estime également avoir maximisé son implication, en multipliant les dossiers et les commissions dont il a la charge. « Je pense qu’un élu qui sait qu’il n’a qu’un mandat mettra beaucoup plus d’énergie que celui qui en fait deux ou trois », expose-t-il, tout en précisant qu’il respecte les choix de chacun·e. Adepte de sport d’endurance, l’élu tente une comparaison avec la course à pied : « Si je fais 4km, je vais courir vite, mais si j’en fais huit ou douze, je vais y aller plus mollo ».
Il est midi, et c’est le moment de rentrer à l’Hôtel de ville. Dans la voiture, le conseiller et son assistant échangent sur la course à pied, sans métaphore politique cette fois-ci. M. Chardin nous apprend que son élu prépare le marathon de l’île Perrot en mai. Si M. Sabourin veut faire seulement 4 km en politique, il en courra 42 au mois prochain.
À 11h, M. Sabourin et son assistant se retrouvent dans un café avant de retourner à l’Hôtel de Ville.
Apprendre de la politique
Dans l’après-midi, M. Sabourin préside la Commission du développement du territoire et de l’habitation, dont la séance du jour porte sur la mise en œuvre de logements abordables. Le conseiller se rend à la salle Mont-bleu, au premier étage de l’Hôtel de ville, dans laquelle une dizaine de conseiller·ères sont installé·es autour d’une table en U. Les autres membres de la commission, issus du monde politique et des affaires, des secteurs communautaires ou des citoyen·ne·s, ont rejoint la réunion par un appel en visioconférence projeté sur un grand écran.
M. Sabourin avait déjà eu affaire à ces enjeux lorsqu’il était courtier immobilier ou inspecteur en bâtiment. Mais y faire face depuis le côté politique est une toute autre chose, témoigne-t-il. « Cela m’amène à avoir une vision beaucoup plus large du développement d’une ville, et plus globalement de ma façon de voir le monde », relate-t-il. En tant que conseiller municipal et président de commission, M. Sabourin doit prendre en compte une variété de points de vue, à l’image des différent·es représentant·es d’entreprises ou d’OBNL qui s’expriment au cours de la commission.
En tant que citoyen, l’élu estime que c’est une grande chance de « voir l’autre côté de la médaille », et de comprendre les rouages de la prise de décision publique. S’il s’est lancé en politique, c’était d’ailleurs avant tout pour apprendre, comme il en faisait part dans la matinée : « C’est comme un quatre ans d’université […] durant lequel j’ai énormément appris ». À la fin de son mandat en novembre prochain, M. Sabourin redeviendra un citoyen, « mais un citoyen mieux outillé ».
Mais alors, qu’a-t-il compris de la politique ? Après quelques secondes de réflexion, l’élu affirme que « la politique est tout autour de nous ». Il n’est même pas indispensable d’être élu·e pour en faire, car comme l’affirme M. Sabourin avant de finir sa journée, « si tous les chemins mènent à Rome, tous les sujets mènent à la politique ».
Le récent discours du Trône a confirmé ce que beaucoup espéraient depuis les élections fédérales, avec la confirmation d’une légalisation du cannabis au courant de l’année 2016. Un engagement « révolutionnaire », s’il faut en croire certain-e-s spécialistes.
Le récent discours du Trône a confirmé ce que d’aucun-e-s espéraient depuis les dernières élections fédérales : le nouveau gouvernement libéral s’engagera sur la voie de la légalisation du cannabis dès 2016. Après une quarantaine d’années de recommandations en ce sens de la part de nombreux-euses expert-e-s (1), et après le marasme entretenu sur la question par presque dix années de domination conservatrice, il n’est guère étonnant que cet engagement officiel soit considéré par certain-e-s comme « révolutionnaire » (2). Néanmoins, les bases de cette « révolution » sont bien ancrées au Canada depuis maintenant deux décennies. En 1997, la Loi sur les aliments et les drogues est amendée pour y inclure des dispositions concernant le cannabis; en 2001 est adopté le Règlement sur l’accès à la marijuana à des fins médicales. Il sera abrogé et remplacé en 2014 par le Règlement sur la marijuana à des fins médicales, ayant pour but de réguler, via Santé Canada, la culture, la distribution et la consommation de cannabis en collaboration avec les professionnel-le-s de la santé. Malgré le fait que le cannabis sous sa forme la plus commune –séché– ne soit pas un médicament approuvé par Santé Canada, les tribunaux ont statué que les Canadien-ne-s doivent bénéficier d’un accès raisonnable à une source légale de cannabis à des fins médicales. Il est donc déjà possible, pour tout individu muni d’une autorisation médicale, de se procurer légalement du cannabis par l’achat direct dans un dispensaire agréé, ou via la culture personnelle.
De plus, si, jusqu’à présent, la répression policière et judiciaire des distributeurs (dealers et dispensaires) semble se maintenir sur l’ensemble du territoire, à quelques exceptions près, les tribunaux canadiens cultivent de plus en plus une certaine clémence vis-à-vis des délits de simple possession (3).
La légalisation-régulation annoncée n’est donc en réalité que la suite logique d’un processus débuté il y a de cela une vingtaine d’années, par ailleurs renforcé par le dégel américain progressif de la règlementation liée au cannabis récréatif, réduisant considérablement une pression internationale qui semblait jusqu’alors constituer le frein le plus important aux ambitions canadiennes en la matière.
Du fait de l’ampleur de la question géopolitique, du droit de tous les citoyen-ne-s à bénéficier d’un accès égal aux soins de santé sur l’ensemble du territoire canadien et de la compétence fédérale en matière de régulation des médicaments et des drogues, circonscrire les réflexions au sujet du cannabis à une échelle pan-canadienne semblerait souhaitable. Le projet de légalisation viendrait ainsi logiquement s’insérer, telle une note de bas de page, dans le récit centenaire du nation-building canadien (du moins tel qu’il est présenté par les partisans d’un nationalisme canadien centralisateur) axé sur un gouvernement fédéral bienveillant qui, de la Confédération réalisée grâce au chemin de fer transcanadien en passant par l’assurance santé et le rapatriement constitutionnel, s’arroge la responsabilité d’unir, mari usque ad mare, un peuple canadien paisible et progressiste.
Ce serait néanmoins faire fi du rôle avant-gardiste joué par de nombreux acteurs locaux qui, quelque peu invisibilisés, préparent le terrain depuis des décennies, malgré la répression à laquelle ils ont fait –et font encore– face au quotidien. En ce sens, si la légalisation du cannabis au Canada peut se parer des atours de la nouveauté révolutionnaire, il est à parier que la responsabilité en incombe au travail acharné d’un activisme local dont la promesse fédérale n’en est que le fruit le plus jeune. Il suffit pour s’en convaincre de tourner nos regards vers l’Ouest, en direction de Vancouver.
La conquête de l’Ouest
Du fait de nombreux facteurs –politiques, environnementaux, territoriaux, culturels–, la Colombie-Britannique est à la tête de l’activisme pro-cannabis depuis des années. On y trouve les plus vieux dispensaires du pays, et les marches annuelles du 20 avril y sont populaires et populeuses; ajoutons à ce tableau une figure prophétique de stature internationale, celle de Marc Emery, le « Prince of Pot », dont les activités commerciales et politiques, basées à Vancouver depuis 1995, lui ont valu cinq ans d’emprisonnement aux États-Unis. Or, si la tolérance populaire du cannabis à des fins récréatives comme médicales semble assurée sur la côte Ouest, elle y est également renforcée par un soutien politique du conseil municipal vancouverois depuis le printemps 2015. En effet, bien qu’il soit de la responsabilité fédérale de réguler les questions relatives au domaine de la santé (dont le cannabis fait évidemment partie), les élu-e-s municipaux-ales ont approuvé un règlement local créant une catégorie de licence pour les commerces liés au cannabis, dont les dispensaires sont les principaux bénéficiaires. Ainsi, moyennant 30 000 $ par an, et à condition de respecter un éventail restreint de règles (interdiction d’opérer à moins de 300 mètres de distance des écoles, des centres communautaires et d’autres dispensaires, interdiction aux mineur-e-s, etc.) tout entrepreneur-euse motivé-e est en droit d’ouvrir son propre dispensaire. Pour avoir accès à de tels commerces, il n’est pas non plus nécessaire d’être muni-e d’une prescription médicale, contrairement à la norme en vigueur dans le reste du Canada : il suffit bien souvent de se rendre sur place. Après avoir rempli quelques documents légaux (principalement un engagement à ne pas revendre les produits achetés) et s’être soumis à une entrevue rapide, la plupart du temps via Skype, avec un-e professionnel-le de la santé, une dizaine de minutes d’attente suffisent bien souvent avant d’être officiellement admis en tant que membre du dispensaire en question. Ne reste plus qu’à procéder à l’achat de cannabis sous quelque forme que ce soit : intégré dans des produits comestibles allant des friandises aux boissons « énergétiques » en passant par les traditionnels biscuits; en produits dérivés de résine (haschich et huile de haschich cristallisée, aussi connue sous le nom de shatter); en application topique (pommades et huiles essentielles); voire même en liquide à vapoter.
Les raisons motivant ce coup de force politique sont plurielles. Elles sont d’abord organisationnelles et juridiques : la culture, la distribution et la consommation de cannabis connaissent une telle progression à Vancouver que, depuis quelques temps déjà, la justice a ouvertement pris la décision de ne considérer que les délits les plus graves en la matière afin de ne pas engorger les tribunaux. Ainsi, parmi les résidences converties en lieux de cultures ayant fait l’objet de raids policiers au cours des dernières années, seules la moitié font l’objet de poursuites au criminel. Le reste de ces maisons de culture ont été fermées sans autre forme de procès et déclarées impropres à l’habitation en l’absence de travaux de rénovation, principalement du fait des dommages liés à l’humidité. En validant des règlements municipaux favorables à la distribution du cannabis, le conseil municipal de Vancouver cherche à désengorger le travail du système judiciaire, tout comme celui de sa force de police, même si la Vancouver City Police continue néanmoins, dans certains cas, de contrôler périodiquement quelques établissements.
De toute évidence, des motivations financières jouent également un rôle prépondérant. S’il est un peu tôt pour en jauger les recettes, le récent règlement municipal vient renforcer l’augmentation annuelle du nombre de commerces liés au cannabis sur son territoire, dont le nombre semble osciller aujourd’hui autour d’une centaine de dispensaires. Les taxes foncières et commerciales acquittées par ces commerces constituent un revenu additionnel conséquent et bienvenu pour la municipalité, en droite ligne des bénéfices engrangés par les États américains ayant mis en place des législations permissives au cours des deux dernières années.
Sans doute existe-t-il également des raisons éthiques à cette évolution. Que l’on considère la question de la légalisation avec stoïcisme (« Because it’s 2015 » (« Parce qu’on est en 2015 »), pour citer le premier ministre Justin Trudeau) ou de manière plus normative, il est quelque peu aberrant que le droit –dont la mission est en partie de valider des normes culturelles dominantes– et son incarnation dans l’appareil juridique canadien continuent de pénaliser des individus pour des pratiques aujourd’hui normales, à en juger par le peu de remous que la légalisation provoque (sauf peut-être au sein d’une frange minoritaire de conservateurs), ou par les statistiques nationales concernant la consommation récréative.
Pour autant, et malgré le succès apparent de la manœuvre vancouveroise (la promesse du conseil municipal de Victoria d’imiter sa voisine a été accueillie par l’émergence fulgurante de nombreux dispensaires dans la capitale provinciale), celle-ci se retrouve, légalement parlant, dans une zone grise. Elle a d’ailleurs été accueillie froidement par Santé Canada, qui a rappelé à la population à de nombreuses reprises au cours de l’été 2015 que les mesures votées à Vancouver étaient parfaitement illégales, le cannabis n’étant pas à proprement parler légal et relevant exclusivement du champ de compétences fédéral. Et si les forces de police de Vancouver et Victoria ont réduit drastiquement leurs raids sur les dispensaires de ces deux villes, les commerces ayant voulu profiter du momentum dans d’autres petites agglomérations de la province continuent de subir la répression de la GRC, les municipalités en question ne bénéficiant souvent pas de leur propre force de police.
Révolutionnaire, oui, mais…
Comme dans beaucoup de révolutions historiques, une agglomération d’événements individuels, de tendances àde long terme et d’un lent travail de sape organisé par de petites avant-gardes isolées unies principalement par un même objectif ultime aboutit à un changement d’importance. Comme pour toute évolution de ce genre, c’est avant tout le regard extérieur, ultérieur et constructiviste qui permet d’élaborer une image « révolutionnaire » du changement.
L’adjectif « révolutionnaire » semble donc approprié pour qualifier les tendances actuelles entourant la légalisation du cannabis au Canada. Non seulement du fait de la structure des tendances qu’il décrit, mais surtout parce qu’il rappelle que le changement politique, loin de reposer uniquement sur les appareils légitimes du système dit démocratique et représentatif, trouve sa source et son véhicule principal dans des communautés locales; des communautés fortes, diverses imputables et le plus souvent effrontées face à une hiérarchie politique dont la légitimité populaire est inversement proportionnelle au nombre d’individus qu’elle entend représenter.