par Frédéric Lajoie-Gravelle | Mar 17, 2020 | Feuilletons
Dans les librairies commerciales de grande surface, je vois les livres d’Hermann Hesse (1877-1962) qui sont exposés en présentoir parmi les grands noms de la littérature. Siddhartha, Le Loup des steppes, Le jeu des perles de verre, Narcisse et Goldmund, L’art de l’oisiveté sont les œuvres que je croise souvent, avec parfois Demian. Mon constat, confirmé par un libraire, est que les livres de Hermann Hesse sont encore, presque 100 ans après leurs premières parutions, abondamment vendus et lus.
Contrairement à la croyance populaire, le libraire m’a assuré que ce ne sont pas que des adolescent·e·s ou de jeunes adultes qui lesachètent. J’étais étonné de cette information. En effet, lorsque je discute avec des adultes de mon entourage ayant plus de 30 ans, plusieurs ne l’ont soit pas lu ou bien réfèrent à un passé de jeunesse où les transformations identitaires se manifestaient le plus. J’ai trouvé révélatrice cette information, car les livres de Hesse sont du type à être consultés à un certain moment de la vie. J’ai donc voulu en savoir plus sur ses lecteurs.
De quoi traitent les romans de Hermann Hesse? Ou encore : quel message portent leurs personnages? Les protagonistes que sont Siddhartha, Harry Haller, Goldmund, Joseph Valet et Émil Sinclair se retrouvent tous dans un cadre qui met leurs aventures intellectuelles de l’avant sous la forme d’un récit d’apprentissage, ce qu’on appelle, en littérature, des romans initiatiques. Ces personnages font face à des défis, parfois internes, parfois externes. Ils évoluent et trouvent éventuellement une voie qui passe par la découverte d’un monde intérieur, d’ordre métaphysique. Ces individus croient vivre en contradiction avec le contexte social qui les entoure. Pourquoi? Parce qu’ils sentent qu’ils ont un destin supérieur, que la vie ne peut pas simplement se résumer à être sur terre et se fondre dans la masse, à acquérir des biens matériels, à travailler et à être comme les autres. Avons-nous vraiment une raison unique ou suprême de vivre, une raison profondément individuelle, comme l’exprime Hermann Hesse lorsqu’il écrit que la mission de chaque humain est de « parvenir à soi-même »? Est-ce que nous pouvons encore prétendre qu’il y a, devant une vie qui semble déterminée par la science, une possibilité de croire en quelque chose de supérieur, souverain et propre à chaque individualité? Voilà des questions que pose Hermann Hesse à travers ses personnages.
Pourquoi retrouve-t-on encore fréquemment des romans traitant de ces questions (qu’il s’agisse de Siddhartha, Le loup des steppes ou Le jeu des perles de verre) sur les étagères, mais aussi en vedette sur les présentoirs des librairies? Sans nier l’aura dont bénéficient les œuvres de Hesse, je me demande : pourquoi est-on amené à lire Hermann Hesse de nos jours ? Les lecteurs et les lectrices de Hesse retrouvent-ils aujourd’hui les mêmes enjeux que ceux qui lui étaient contemporains? Telles sont les questions qui me taraudent.
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Les romans de Hesse touchent souvent à des aspects métaphysiques, transcendantaux. L’auteur place ses protagonistes face à des problèmes. Ils sont mus par le désir intérieur d’être plus que ce qu’ils sont. Ils sont en quête de sens, de liberté. Ils rêvent. Ce sont des personnages qui trouveront éventuellement la voie vers eux-mêmes, un royaume intérieur. Les dénouements des romans laissent parfois perplexes et songeurs. Nous nous demandons : est-il vraiment possible de mener la vie qu’ils ont menée? Ou devons-nous seulement retenir le symbole de leur quête? Peut-être faut-il voir dans la pérennité des succès des livres de Hermann Hesse notre vision, très occidentale, du fanatisme de l’épanouissement de l’être humain.
En tant qu’écrivain et artiste, Hermann Hesse est autant un représentant idéal de son époque que ses personnages. Ils évoluent dans ce qu’ils conçoivent comme un désenchantement et une souffrance spirituelle. De ce point de vue, il devient essentiel de redonner sens à l’existence, ou d’exprimer ses souffrances existentielles : élément manifeste théorisé de nos jours, comme à son époque, par des crises existentielles. Sa particularité et celle de ses œuvres — au-delà du fait qu’il a reçu le Prix Nobel de littérature en 1946 — est qu’il est devenu un porte-parole de l’idéologie de la réalisation de soi-même, cette injonction bien moderne d’être responsable de sa propre vie, qui prend des racines dépassant Hermann Hesse.
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Au-delà de leur intérêt métaphysique, on retient des personnages de Hesse qu’ils mettent tout en œuvre pour parvenir à une quête inconnue au lectorat. Il y a un jeu d’énigmes avec les notions de vie, d’existence et d’être où chacune d’elles s’entremêle pour donner un aspect mystique au roman. Autant Siddhartha, Demian, Harry Haller que Joseph Valet sont porteurs d’un message qui leur semble plus grand que dans d’autres types de romans, de par le caractère initiatique. Ils ont ce caractère bien particulier d’être dans des œuvres symboliques qui représentent des idées plus grandes que ce que notre « réalité » nous offre. Les romans de Hesse persistent dans le temps, on pourrait en faire l’hypothèse, parce qu’ils présentent des personnages aux idéaux intemporels. Ces idées, ce sont la quête de sens, la quête identitaire et la quête existentielle : ce sont, je crois, des quêtes aussi caractéristiques des personnages que de notre siècle, comme en font foi les succès de Paulo Coelho et Éric-Emmanuel Schmitt.
Quiconque s’attarde un peu aux œuvres qui se vendent le plus dans les librairies d’aujourd’hui et qui, en les lisant, ne s’attarde pas seulement aux personnages et à leur transformation, mais aussi à la manière de se réaliser, se demandera : les Siddhartha, Harry Haller et Joseph Valet sont-ils vraiment maîtres de leur destin ? Sont-ils les produits d’une conception humaniste qui valorise la liberté et l’autodétermination?
La conscience collective se nourrit de ces idées de liberté, de mythe de soi, de spiritualité, de nature : il suffit de regarder les autres présentoirs de la librairie pour s’en convaincre. Je crois que la limite des œuvres de Hesse se trouve toutefois dans la présentation de deux seuls destins : s’épanouir à l’extérieur du monde ou souffrir dans la société.
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Hesse construit toujours la structure de ses romans autour d’un personnage unique. Leur cadre social — le théâtre magique pour Harry Haller, le jeu des perles de verre pour Joseph Valet, le bouddhisme pour Siddhartha — ne sert qu’à mieux servir le message porté, c’est-à-dire illustrer le pouvoir de réalisation que possède tout individu.
Pour cette raison, je pense très bien comprendre pourquoi ses livres se vendent encore : ils bénéficient d’une aura combinée à une réputation de mystère et d’initiation. Je suppose que ses lecteurs et ses lectrices veulent nourrir cette impression qu’il est toujours possible de s’épanouir et que nous possédons cet épanouissement en nous. Ils et elles voient le monde autour d’eux exercer un certain déterminisme social, mais veulent aussi croire à leur volonté. Un regard sur l’époque de Hesse nous montre que la manifestation de ces idées n’est pas née d’hier. Toutefois, Hermann Hesse a plausiblement ce quelque chose en plus : il y dévoile un foisonnement intellectuel comportant une richesse philosophique et une construction du sens humaniste. Une question persiste néanmoins : qui lit encore Hermann Hesse de nos jours et dans quel but? Aujourd’hui, lire Hermann Hesse, c’est lire l’espoir d’être un jour plus que la personne qui va errer dans une librairie.
par Laurie Fournier-Dufour | Août 10, 2019 | Culture, Entrevues, Québec, Societé
Cet article a été publié dans notre recueil Paroles de femmes, inclusions politiques. Vous pouvez vous le procurer via notre boutique en ligne.
Alors que la littérature jeunesse compose une part importante de l’éducation de nos enfants, elle s’insère également comme élément-clé d’une culture en représentant différentes normes sociales d’un lieu et d’une époque donnée. Pourtant, une consultation de celle-ci nous permet de nous questionner : de quelles manières sont représentés les genres et quels modèles cela présente-t-il aux jeunes lecteurs et lectrices? Entrevues avec Émilie Rivard, auteure jeunesse, et Line Boily, agente de développement pour le projet Kaléidoscope du YWCA.
Les attentes sociales face aux femmes et aux hommes varient énormément. Alors que « […] la société attend des femmes qu’elles soient émotives, sensibles, attentionnées, dépendantes et non violentes […] »1, les attitudes et comportements attendus chez les hommes sont, bien souvent, liés à quatre injonctions principales présentées par Pollack : les hommes devraient, selon les exigences sociales, être forts, autant mentalement que physiquement, affirmés, en contrôle et ne devraient, en aucune situation, s’exprimer sous un mode « féminin »2.
Ces injonctions sociales s’observent dans diverses sphères, telles que l’employabilité, les choix quant aux activités ou encore les rôles sociaux occupés. Notamment, on s’attendra à ce qu’une femme choisisse un métier dans lequel elle pourra prendre soin des autres ou démontrer de la douceur. D’un autre côté, on s’attendra à ce qu’un homme occupe des emplois liés au pouvoir ou à la force physique.
Ces exigences sociales se fondent sur divers stéréotypes sexués et genrés étant véhiculés dans notre société occidentale actuelle. Selon Dionne et al., « [c]ertains auteurs [et autrices] (Gooden et Gooden, 2001; Montarde, 2003; von Stockar-Bridel, 2005), sont d’avis qu’en tant que produits culturels, les livres destinés aux jeunes lecteurs [et lectrices] sont le reflet de la société. C’est donc dire qu’un examen attentif de la littérature jeunesse devrait permettre de rendre compte de certaines valeurs culturelles ou de certaines idéologies qui sont valorisées par la société »3.
Pourtant, alors que les gouvernements québécois et canadien affirment valoriser l’équité et la parité femmes-hommes, plusieurs stéréotypes de genre inquiétants s’insèrent toujours dans notre littérature jeunesse. Selon une étude sur les livres jeunesse québécois publiée dans la revue Lurelu, « […] le déséquilibre persiste encore quant à la représentation des personnages féminins et masculins » 4. Un autre constat réalisé dans cette étude est que « […] certains traits [demeurent] cantonnés à l’un ou l’autre sexe, comme si l’intériorité était une caractéristique surtout féminine et que d’être énergique et tout autre qualificatif de ce genre était surtout un trait masculin »4.
Selon un article d’Évelyne Daréoux paru en 2007, on assisterait à une dévalorisation du féminin par rapport au masculin, notamment en ce qui a trait à la présence et à la visibilité. Alors que les personnages masculins se retrouvaient dans 78 % des titres, ceux féminins n’occupaient que 25 % de ceux-ci. Daréoux mentionne également qu’au niveau des représentations parentales, « […] 83 % des pères occupent le rôle du héros contre 17 % des mères »5.
Dans les livres pour enfants, les filles et les femmes seront fréquemment représentées comme secondaires. En plus de ne pas participer activement à l’action, on insistera fréquemment sur leur beauté, sur leur douceur ou sur leur coquetterie5. Selon Serge Chaumier, les filles seront confinées à trois rôles principaux : la séduction, la maternité et le domestique. À l’opposé, on présentera des garçons ou des hommes confiants, ambitieux et forts6. Cela ne laisse que très peu d’espace pour les femmes fortes ou pour les hommes sensibles, par exemple, et encore moins pour les jeunes trans. Cela peut conduire à ce que Michèle Babillot aborde comme de l’auto-censure : « Les garçons et les filles s’interdissent certaines activités, certains jeux sans qu’il n’y ait jamais rien de dit mais [cela est dit] de manière complètement implicite »7.
À ce sujet, une rencontre avec Émilie Rivard, autrice jeunesse, nous permet d’en apprendre davantage sur les réalités associées à ce métier et ce, spécifiquement par rapport aux stéréotypes de genre.
Rencontre avec Émilie Rivard
Comme le souligne Émilie Rivard, le fait de questionner les stéréotypes de genre ne signifie pas d’éliminer toutes différences entre les garçons et les filles :
Ça prend un équilibre, aussi. Les livres de princesses, c’est parfait. Je pense que ça prend de tout, en fait. […] Les histoires d’amour, ce n’est pas problématique en soi. C’est d’avoir une majorité de livres qui sont comme ça, de n’avoir que ça, en fait [qui est problématique]. Le message que je veux passer serait le suivant : si tu as envie d’être une princesse, vas-y. Si c’est vraiment ça que tu veux, vas-y. Aucun problème! Mais l’autre fille qui veut être scientifique, elle aussi devrait pouvoir avoir ce modèle-là. C’est aussi ça, le défi8.
Selon l’autrice jeunesse, le défi consiste à préserver une diversité dans les personnages présentés aux jeunes et ce, notamment, « pour montrer aux petits gars qu’une fille, ce n’est pas juste une princesse à sauver, ce n’est pas juste rose et girly. Ça peut être beaucoup de choses aussi. » 8 L’auteure aborde tout de même la part de défi liée au fait d’écrire des livres non-stéréotypés :
C’est sûr que le livre genré, ça vend. C’est plate, mais de parler directement aux filles ou de parler directement aux gars, c’est très efficace encore aujourd’hui. […] Donc ça, je pense que c’est un gros défi, d’y aller de différentes façons, [pour rejoindre les jeunes sans créer des personnages stéréotypés]. Avoir un cover de livre super rose, mais de passer un autre message à l’intérieur, c’est une autre façon de faire, d’y aller comme on peut8.
C’est d’ailleurs ce que l’autrice observe par rapport aux ventes de son livre Mimi Moustache. Sur la couverture, on peut y apercevoir Mimi, coquette, avec un fond rose. Alors que la popularité de ce livre est très forte chez les jeunes filles, Mme Rivard explique que, dans ce livre destiné aux 6-10 ans, on assiste aux péripéties de Mimi, une jeune fille qui n’en peut plus de devoir participer à des concours de beauté comme sa mère le souhaite :
« Sois belle et tais-toi. ». Mimi a l’impression que ce dicton a été inventé juste pour elle. Et maintenant, elle en a assez! Elle ne veut plus participer à ces stupides concours de beauté, mais sa mère ne l’écoute jamais! Si seulement elle pouvait s’enlaidir… […]9
Dans ce livre, la jeune fille parvient donc, grâce à la magie, à se faire pousser une moustache. Cet acte pourrait donc être interprété comme un désir de la jeune fille de se défaire de certains stéréotypes de beauté, lui permettant ainsi de se retirer des concours de beauté qu’elle trouve stupides. En questionnant l’autrice sur l’importance de montrer des modèles non-stéréotypés aux jeunes, Mme Rivard explique que, selon elle, il y a un manque de ces modèles auprès des jeunes : « Dans la culture populaire, on ne voit pas tant que ça de modèles qui ne sont pas stéréotypés. […] Ce n’est pas notre mandat, du tout, mais je pense que si on peut montrer une plus grande palette de personnages, de montrer plus de diversité dans les personnages qu’on montre et dans les héros qu’on présente, ça peut juste être sain. » 8
L’autrice aborde également l’importance de créer des personnages aux facettes multiples : « C’est de montrer que la fille n’est pas juste romantique et amoureuse, qu’elle est avant tout persévérante, passionnée ou fonceuse, tout dépendant. » 8. Elle poursuit en affirmant que, selon elle, pour qu’un·e personnage soit intéressant·e, il ou elle doit avoir l’air réel en ayant plusieurs façades : « Que la fille soit juste belle, ça ne marche pas. Que le garçon soit juste fort, ça ne marche pas non plus » 8.
Finalement, l’autrice suggère qu’une plus grande diversité permettrait à la fois de créer des personnages intéressant·e·s tout en permettant à un plus grand nombre de jeunes de se reconnaître dans les héros et héroïnes qui se trouvent dans leurs livres. Mme Rivard, autant dans son rôle de mère que dans son rôle d’écrivaine, suggère toutefois de proposer des livres aux jeunes plutôt que d’en interdire certains : « À partir du moment où ils ont un livre dans les mains, peu importe quoi, c’est gagné. C’est un pas de plus. » 8
Rencontre avec Line Boily, du projet Kaléidoscope
Afin d’en apprendre davantage sur les rapports égalitaires véhiculés dans la littérature jeunesse, nous avons également rencontré Line Boily, agente de développement au projet Kaléidoscope.
Initié par l’équipe du Centre filles du YWCA Québec en 2016, le projet Kaléidoscope cherche à « […] favoriser des représentations d’enfants non-stéréotypées et, du même coup, participer à la construction d’un monde plus égalitaire et inclusif »10.
Ce projet consiste en une sélection de 200 livres pour les 0-12 ans faisant la promotion de rapports et de rôles sociaux plus égalitaires : « Très tôt dans leur vie, on assigne aux enfants des rôles sociaux distinctifs reliés au fait d’être un garçon ou une fille, d’être d’une origine culturelle ou d’une autre, de provenir d’une famille hétérosexuelle ou non, de répondre aux standards de beauté ou pas. Certains comportements, souvent transmis ou adoptés de façon inconsciente, sont l’expression de discriminations et d’inégalités. » 10 Le recueil, autant dans sa version papier qu’informatisée10, est divisé en huit catégories, soit Égalité des sexes, Affirmation de soi, Diversité corporelle, Diversité culturelle, Diversité familiale, Diversité fonctionnelle, Diversité sexuelle et de genre et Sociétés.
Line Boily, agente de développement de Kaléidoscope depuis la mi-juin, m’explique les actions prévues pour la deuxième phase du projet, financée par le Secrétariat à la condition féminine :
Notre intention c’est vraiment de faire connaître notre sélection de livres et d’y intégrer davantage d’œuvres québécoises. Nous souhaitons qu’elle reflète la réalité culturelle des jeunes et qu’elle devienne une référence pour les adultes qui travaillent auprès des enfants, que ce soit le personnel enseignant, les éducateurs/éducatrices en petite enfance, les bibliothécaires, les animateurs[·trices] en lecture11.
Pour permettre la diffusion de cette sélection, Kaléidoscope a une entente avec l’Association des bibliothèques publiques du Québec (ABPQ) pour les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches pour que les livres faisant partie de la sélection soient identifiés par un autocollant et que 30 à 40 livres phares soient mis en valeur dans une étagère imprimée au visuel de Kaléidoscope et exprimant leurs valeurs. C’est un important processus d’implantation qui vise à faciliter l’accès aux livres ayant des contenus égalitaires et non-stéréotypés :
D’ailleurs, un comité consultatif composé de six bibliothécaires se réunira vers la fin du mois de septembre afin de valider le choix du modèle d’étagère. De plus, les membres du comité participeront à la planification des outils promotionnels de Kaléidoscope. Il nous apparaît important de travailler de concert avec les gens du milieu puisqu’ils connaissent bien les besoins de leur clientèle et les meilleures pratiques de communication pour les rejoindre. Dans une première étape et d’ici la fin de l’année, ce sera une vingtaine de bibliothèques des régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches qui accueilleront cette étagère offerte gracieusement. En deuxième année, nous nous développerons sur ce même modèle dans la région de Montréal et en troisième année dans les régions du Québec qui se montreront intéressées.11
Pour marquer encore plus le coup, Mme Boily souligne qu’il est nécessaire de sensibiliser les futur·es intervenant·es et de les outiller davantage. En questionnant celle-ci sur la responsabilité que peuvent avoir les enseignant·es et les parents dans les choix de livres que font les enfants, Mme Boily souligne qu’ils et elles ont un rôle de premier plan puisqu’ils et elles sont des modèles : « Il est possible qu’un adulte ne pense pas naturellement à présenter des œuvres littéraires aux contenus égalitaires et non-stéréotypés si, dans son enfance, il ou elle n’a pas été en contact avec celles-ci. » 11. Pour ce faire, Mme Boily prévoit une prise de contact avec divers départements des cégeps et des universités afin de présenter, dans un esprit de collaboration et de sensibilisation, la sélection aux futur·es enseignant·es ainsi qu’aux futur·es éducateur·trices :
On veut […] les soutenir et encourager le développement de leurs compétences à choisir les œuvres littéraires qu’ils [et elles] pourront exploiter auprès des jeunes; les éveiller à l’importance de présenter des personnages variés, provenant de diverses réalités sociales et culturelles. À se poser des questions telles que : est-ce qu’on donne des chances égales aux filles et aux garçons en leur présentant ces histoires-là, en leur présentant ces contenus-là? Est-ce qu’on fait attention que les personnages principaux soient des filles ou que s’ils sont en personnages secondaires, qu’elles ne soient pas juste passives, mais qu’elles participent à l’action? […] Montrer des filles volontaires, des modèles féminins qui sont plus actuels pour les encourager à développer leur plein potentiel et rappeler aux garçons qu’ils ont le droit de ressentir des émotions, à comprendre qu’il n’y a pas de rôles fixes dédiés aux filles et d’autres aux garçons11.
En contactant les futur·es intervenant·es, Mme Boily affirme vouloir éduquer celles et ceux qui éduquent :
Nous, comme organisme, on ne peut pas rejoindre les dizaines, centaines de milliers d’enfants, mais je pense que si on sensibilise et qu’on forme les adultes qui les côtoient, […] ils [et elles] deviendront des agent[·e·]s multiplicateur[·trice·]s, des ambassadeur[·e·]s. Je considère aussi que ces rencontres seront des occasions enrichissantes de partager des pratiques éducatives, ce qui ouvrira des pistes de réflexions communes11.
Tout de même, Mme Boily dresse un portrait assez positif de la littérature jeunesse québécoise des dernières années :
Je trouve que, dans les dix dernières années, il y a plus d’éditeurs québécois qui n’hésitent pas à publier les auteur[·trices] qui abordent des sujets plus sensibles, comme l’homosexualité, la diversité familiale, l’intimidation. Cela se faisait moins dans les années 90 lorsque j’ai commencé comme animatrice littéraire11.
Vers davantage de diversité
En consultant des livres destinés aux jeunes, plusieurs études témoignent de différences marquées quant aux rôles et aux attitudes des personnages féminins et masculins :
Les recherches démontrent qu’au cours des ans, malgré quelques fluctuations en ce qui a trait à la représentation de rapports égalitaires entre les personnages des deux genres dans la littérature jeunesse, des asymétries importantes persistent toujours (Hamilton, Anderson, Broaddus et Young, 2005; Ly Kok et Findlay, 2006; Turner-Bowker, 1996). De façon générale, on constate que les personnages féminins sont sous-représentés dans les histoires, les titres, les rôles centraux et les illustrations et que les images du masculin et du féminin qui sont offertes au lecteur [ou à la lectrice] sont stéréotypées (Daréoux, 2007; Ferrez et Dafflon Novelle, 2003) 3.
Alors que d’importants stéréotypes persistent dans la littérature jeunesse, ceux-ci contribuent à de nombreuses inégalités de genre en perpétuant des préjugés et des contraintes sociales. Selon Line Boily, une plus grande égalité dans la littérature jeunesse pourrait permettre de diminuer celles-ci :
Je pense que [plus d’égalité dans la littérature jeunesse] va modifier les rapports entre les garçons et les filles. Ça va également favoriser le fait que les filles vont choisir des carrières qui leur ressemblent vraiment, mais qui ne seront pas dictées par ce qu’on attend d’elles. Je pense que ça pourrait éventuellement aider à une plus grande parité dans tous les domaines9.
Nos discussions avec Line Boily et Émilie Rivard ainsi que quelques recherches nous permirent d’identifier certains livres jeunesse démontrant une belle diversité. Parmi ceux-ci, voici différents coups de cœur :
- Tu peux d’Élise Gravel : dans ce livre pour les enfants entre 4 et 9 ans, Élise Gravel présente différents droits que les enfants ont, sans différenciation selon leur genre. « Que tu sois une fille ou un garçon, tu peux être toi-même. »12
- Assignée garçon de Sophie Labelle : cette bande dessinée en ligne présente, pour les enfants âgés entre 6 et 12 ans, le quotidien et l’histoire de Stéphie, une jeune trans de 11 ans13.
- L’enfant mascara de Simon Boulerice : Ce livre pour adolescent·e·s et pour adultes présente l’histoire d’amour à sens unique de Larry/Léticia, une jeune trans qui choisit de se maquiller pour se rendre à l’école secondaire. On peut y découvrir son quotidien et ses difficultés, mais également rencontrer un personnage fort de détermination et de ténacité. Ce récit s’inspire d’un meurtre transphobe survenu aux États-Unis en 200814.
Outre les livres jeunesse favorisant la diversité, d’autres lieux et maisons d’édition peuvent avoir à cœur de promouvoir une littérature moins discriminatoire entre les individus. Notamment, la librairie féministe L’Euguélionne propose une large sélection de livres usagés et neufs appartenant à la littérature des femmes, mais également des ouvrages « […] féministes, queer, lesbiens, gais, bisexuels, trans, intersexe, […], etc. ». Cette coopérative de solidarité à but non-lucratif se trouve à Montréal et organise également des événements variés promouvant la diversité15. Également, la nouvelle maison d’édition Dent-de-lion favorise des valeurs féministes et promeut les personnages non-stéréotypés. Son premier livre, Derrière les yeux de Billy, sortira le 6 octobre 201916.
CRÉDIT PHOTO: Vincent Fuh – Flicr
1 Francine Descarries, Marie Mathieu et Marie-Andrée Allard, 2010, Étude : Entre le rose et le bleu : stéréotypes sexuels et construction sociale du féminin et du masculin, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec. www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/etude-entre-le-rose-et-le-bleu.pdf
2 William S. Pollack, 2001, De vrais gars : sauvons nos fils des mythes de la masculinité, Éditions AdA, Varennes, Québec.
3 Patricia Balcon, Aïcha Benimmas, Yasmina Bouchamma et Anne-Marie Dionne, 2007, « Étude des stéréotypes sexistes à l’égard des parents dans la littérature jeunesse canadienne », Revue de l’Université de Moncton, vol.38, no.2., pp.111-143. doi.org/10.7202/038493ar
4 Danièle Courchesne et Rachel Roy-Ringuette, 2018, « Filles et garçons : égaux ou pas? », LURELU, vol.40, no.3, pp.15-19, Montréal. id.erudit.org/iderudit/87396ac
5 Évelyne Daréoux, 2007, « Des stéréotypes de genre omniprésents dans l’éducation des enfants ». Empan, vol.65, no.1, pp.89-95, Toulouse. doi.org/10.3917/empa.065.0089
6 Serge Chaumier, cité dans Évelyne Daréoux, 2007. « Des stéréotypes de genre omniprésents dans l’éducation des enfants », Empan, vol.65, no.1, pp.89-95, Toulouse. doi.org/10.3917/empa.065.0089
7 Michèle Babillot, citée dans Évelyne Daréoux, 2007. « Des stéréotypes de genre omniprésents dans l’éducation des enfants », Empan, vol.65, no.1, pp.89-95, Toulouse. doi.org/10.3917/empa.065.0089
8 Échanges avec Émilie Rivard, communication personnelle, 27 juillet 2018.
9 Émilie Rivard, 2018, Mimi moustache, Éditions Andara, Blainville. www.leslibraires.ca/livres/mimi-moustache-emilie-rivard-9782924146743.html
1 0 Kaléidoscope, 2018. « Kaléidoscope : Livres jeunesse pour un monde égalitaire », Centre filles YWCA Québec, Québec. kaleidoscope.quebec/
1 1 Échanges avec Line Boily, communication personnelle, 25 juillet 2018.
1 2 Élise Gravel, 2018, Tu peux, Éditions La courte échelle, Montréal.
elisegravel.com/wp-content/uploads/2017/07/tupeuxfin2.pdf
1 3 Sophie Labelle, 2014. Assignée garçon, Tumblr, assigneegarcon.tumblr.com/
1 4 Simon Boulerice, 2016, L’enfant mascara, Édition Leméac Jeunesse, Montréal. www.leslibraires.ca/livres/l-enfant-mascara-simon-boulerice-978276094226…
1 5 Pour plus d’informations sur la Librairie féministe L’Euguélionne, librairieleuguelionne.com/
1 6 Pour plus d’informations sur Dent-de-lion, éditions jeunesse. www.editionsdentdelion.com/