Iran : Du pain sur la planche pour le nouveau président Ebrahim Raïssi

Iran : Du pain sur la planche pour le nouveau président Ebrahim Raïssi

Par Arthur Calonne

Le nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, est entré en fonction en août 2021, mettant un terme à la cohabitation entre conservateur et conservatrices et modéré·e·s au sommet de l’État. Pressenti pour être le successeur du Guide suprême, Ali Khamenei, l’hodjatoleslam (rang inférieur à celui d’ayatollah dans la hiérarchie religieuse chiite) de 60 ans a emporté haut la main les élections présidentielles de juin dernier : un scrutin particulièrement boudé par les 59 millions d’Iranien·ne·s appelé·e·s aux urnes, en raison du nombre de candidat·e·s précautionneusement écarté·es par le pouvoir afin de paver la voie à l’ancien chef de l’autorité judiciaire iranienne.

Avec un taux de participation d’à peine 48.78 % (contre 71,04 % en 2017), les élections présidentielles qui ont porté Ebrahim Raïssi au pouvoir ont été les moins populaires depuis l’instauration du régime théocratique en 1979. En cause, la mise à l’écart par le Conseil des gardiens de la Constitution, agissant comme conseil électoral, de plusieurs potentiel·le·s successeur·e·s à Hassan Rohani. Parmi elles et eux, des figures politiques majeures du pays telles que l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad ou encore Ali Larijani, qui a occupé le poste de président du parlement pendant douze années. Ne retenant que 7 candidatures sur 600, le Conseil a effectué un véritable « ménage » qui a permis d’assurer à Raïssi, proche du régime et du Guide suprême qui voit en lui son héritier, de s’imposer sans surprise, qui plus est, au premier tour, avec un score de 61,95 %.

Dans un entretien téléphonique avec L’Esprit libre, le directeur de l’École des affaires publiques et internationales de l’université d’État Virginia Tech, Merhzad Boroujerdi, met le doigt sur le désintérêt croissant du peuple iranien pour les processus électoraux. En effet, les élections législatives de 2020 n’avaient pas non plus mobilisé les électeurs et électrices : « On avait eu le plus bas taux de participation de toute l’histoire des élections parlementaires. Ça dit quelque chose sur le niveau d’insatisfaction de la population vis-à-vis du régime », explique-t-il. Un tel taux de participation remet pour lui en cause la légitimité du futur président, puisqu’en Iran, le certificat de naissance des votant·e·s, leur Shenasnameh, est estampillé lors du vote, ce qui les distingue des abstentionnistes. « Les personnes désireuses d’être employées dans une institution gouvernementale sentent qu’elles ont besoin d’avoir ce coup de tampon (sur leur document). Leur participation aux élections ne devrait pas être lue comme un soutien au régime. »

De nombreux dossiers épineux

L’Iran apparait régulièrement à la une des médias du monde entier dans le cadre des négociations pour un possible retour de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) ou de querelles avec des puissances voisines telles qu’Israël. Parfois, ce sont les activités de ses bras armés à l’étranger, comme le Hezbollah au Liban ou le Hachd al-Chaabi en Irak, qui font parler d’eux. Force est de constater que la République islamique est devenue, avec les années, une puissance mondiale incontournable, qui pèse de tout son poids sur l’échiquier géopolitique, allant jusqu’à donner des maux de tête aux cadors de l’OTAN. Mais si Téhéran investit tant d’efforts dans sa volonté de devenir un acteur majeur et respecté sur la scène internationale, c’est au détriment de la population iranienne qui, au sein de ses frontières, est confrontée à de multiples crises gérées de façon chaotique par le pouvoir.

Avec plus de 87 000 décès, un bilan officiel que même les autorités sous-évaluent, l’Iran est le pays le plus endeuillé par la pandémie de COVID-19 du Moyen-Orient[i]. Le gouvernement est notamment blâmé par le peuple pour sa prise en charge catastrophique de la pandémie de COVID-19 et de la campagne de vaccination. En date du 20 juillet 2021, alors que les autorités, faisant face à une cinquième vague, imposaient aux habitant·e·s de la capitale Téhéran un énième confinement, seul·e·s 2,3 millions d’Iranien·ne·s sur 83 millions avaient été entièrement vacciné·e·s, pour un taux de 2,8 %[ii]. Refusant d’acheter des vaccins aux États-Unis et à l’Europe qui pourraient, selon le guide suprême Ali Khamenei, servir à « contaminer » le pays, l’Iran a décidé de faire confiance aux livraisons de doses de vaccins russes et chinois, trop insuffisantes pour assurer une campagne efficace, et ont misé sur le développement de vaccins locaux. Pour une partie de la population qui se sent prise en otage, ces caprices diplomatiques en situation d’urgence sanitaire ne passent tout simplement pas, d’autant plus que les citoyen·ne·s sont relativement sceptiques quant à l’efficacité des vaccins locaux.

L’Iran éprouve aussi de graves difficultés sur le plan énergétique. « Le pays ressent amplement les changements climatiques », affirme Merhzad Boroujerdi, expliquant que dans beaucoup de régions du pays, la température dépasse par moments les 50°C, entrainant des sécheresses face auxquelles la population se retrouve parfois totalement démunie. « Bien des réservoirs d’eau se sont asséchés à cause d’une mauvaise gestion et de la construction de trop de barrages hydrauliques au fil des années ». La gestion de l’eau potable est un tel désastre que même le gouvernement n’a pas pu cacher sa grande appréhension face aux défis qui attendent le pays qui s’apprête, selon le ministre de l’Énergie Reza Ardakanian, à traverser « l’été (dans le calendrier iranien) le plus sec des cinq dernières décennies. Les inquiétudes ne sont pas récentes : en 2015,

l’ancien ministre de l’Agriculture Isa Kalantari avertissait que plus de la moitié de la population iranienne devrait quitter le pays en raison de la sécheresse. En 2016, il affirmait que la « crise de l’eau » constituait une plus grande menace pour l’Iran que le conflit contre l’Irak de Saddam Hussein[iii]. Le 17 mai 2021, M. Kalantari, qui occupe aujourd’hui le poste de chef du Département de l’Environnement, faisait une autre sortie macabre, évoquant une « guerre de l’eau » qui s’étend d’ores et déjà dans les zones rurales : des conflits entre villages voisins pour l’accès à la ressource.

Un peuple sur les dents

De violentes manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes de la province du Khouzestan, dans le sud-ouest du pays, pour dénoncer une situation gravissime. « Concernant l’agriculture, je dois dire que si la situation continue comme ça, nous en serons bientôt au point où il sera impossible de récolter quoi que ce soit, car il n’y aura plus assez d’eau au Khouzestan. À cause de la pénurie, les rares sources sont devenues trop salées et ont rendu impossible certaines activités agricoles comme l’élevage ou l’entretien des vergers », s’alarme un expert de l’eau en Iran interrogé par France 24[iv]. Dans cette région, peuplée par une grande communauté arabe et où plusieurs villes sont complètement privées d’eau courante, la colère était insurrectionnelle. On pouvait y entendre quotidiennement des slogans appelant à la chute du régime et à la mort du guide suprême, ce qui constitue une relative nouveauté.

« Un retour des manifestations pourrait être le talon d’Achille de Raïssi durant sa présidence », suppose Merhzad Boroujerdi, évoquant le mouvement de contestation majeur qui avait secoué le pays en 2019 et 2020, suite à la hausse des prix des carburants. L’agence Reuters estime, suite à une enquête, que plus de 1500 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre au cours de ces émeutes, alors que les autorités iraniennes ont fait preuve d’une répression féroce et inédite. Les premiers pas du président seront sûrement scrutés de près par l’opposition et une redéfinition des politiques sociales – puisque les conservateurs et conservatrices tiennent maintenant les rênes du pouvoir – pourrait rallumer la mèche au sein des couches populaires. M. Boroujerdi s’inquiète notamment du contraste entre l’ampleur de la tâche qui attend le futur président et son inexpérience politique, lui qui a toujours œuvré dans le secteur judiciaire. « Les gens ont peur d’assister à une sorte de bis repetita de l’ère Ahmadinedjad, où des personnes qui n’avaient aucune expérience réelle ont fait des erreurs stupides », estime le chercheur, qui note, de plus, une faible adhésion du peuple au projet politique hérité de l’ayatollah Khomeini et de sa révolution.

Le spécialiste juge, selon les estimations qu’il a consultées et ses observations personnelles, que le régime ne jouit de l’appui que d’environ 30 % de la population, qui se sent délaissée par la politique expansionniste de ses dirigeant·e·s. Et même s’il observe un durcissement de la position des opposant·e·s politiques, de plus en plus nombreux, il ne considère pas que la République islamique ait à craindre pour sa continuité. « Je n’envisage pas la possibilité que le régime soit menacé parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible », clame le chercheur pour qui l’éventualité d’un vide institutionnel effraie beaucoup de monde en Iran. « Il y a ce danger que personne ne reprenne le flambeau, (…) cette peur de devenir la Libye, ou l’Irak. Il pourrait y avoir des mouvements sécessionnistes du côté des Kurdes, des Arabes, des Turques ; cela pourrait déchirer le pays ».

Raïssi est là pour rester

Il est certain que diriger ce mastodonte du Moyen-Orient ne sera pas une promenade de santé pour Ebrahim Raïssi. En mal de légitimité chez lui comme en Occident, où ses antécédents en matière de violations des droits de la personne[v] ont été condamnés, le conservateur n’aura sur nombre de dossier que peu de marge de manœuvre, et ne sera pour le moment, à l’instar de son prédécesseur, qu’un pantin des Gardiens de la Révolution. Réels détenteurs du pouvoir en Iran depuis plus de 40 ans, ceux-ci devront affronter une crise environnementale imminente afin d’éviter le pire. Pour ressusciter l’économie iranienne, ils devront également parvenir à faire lever les sanctions imposées par la communauté internationale en quittant la liste noire du Groupe d’Action financière (GAFI), où l’Iran figure seul avec la Corée du Nord, et en renégociant l’Accord de Vienne. Président aujourd’hui et potentiellement Guide suprême à la mort de l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de 82 ans, Ebrahim Raïssi incarne en dépit de son impopularité le futur de l’Iran, et aura fort à faire dans les prochaines années pour assurer la prospérité de son pays, mais aussi celle d’un régime théocratique qui pourrait vaciller s’il ne trouve pas des solutions aux problèmes du peuple.

Crédit photo : flickr/photo_RNW

Révision linguistique : Kim Kowtaluk

Révision de fond : Any-Pier Dionne

[1] Noé Pignède, « En Iran, des vaccins « nationaux » contre le Covid-19 », La Croix, 20 Juillet 2021, https://www.la-croix.com/Monde/En-Iran-vaccins-nationaux-contre-Covid-19-2021-07-20-1201167106

[1]« Iran : Une semaine de confinement à Téhéran face à une cinquième vague de COVID-19 », Reuters, 20 Juillet 2021 dans La Tribunehttps://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2EQ1GA/iran-une-semaine-de-confinement-a-teheran-face-a-une-cinquieme-vague-de-covid-19.html

[1] MH/PA, “Kalantari: Water shortage more harmful than Iraq’s war on Iran in 1980s”, Tehran Times, 17 Septembre 2016, https://www.tehrantimes.com/news/406486/Kalantari-Water-shortage-more-harmful-than-Iraq-s-war-on-Iran

[1] « « Nous sommes assoiffés ! » : face à la crise de l’eau en Iran, la police tire à balles réelles », France 24, 20 Juillet 2021, https://observers.france24.com/fr/moyen-orient/20210720-iran-crise-eau-manifestations-khouzestan

[1]  Adina Bresge La Presse Canadienne, « Stephen Harper critique le nouveau président iranien », La Presse, 11 Juillet 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-07-11/droits-de-la-personne/stephen-harper-critique-le-nouveau-president-iranien.php

Jean-Luc Mélenchon au firmament?

Jean-Luc Mélenchon au firmament?

Par Théophile Vareille

(DOSSIER) PORTRAIT DES CANDIDAT·ES À LA PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE (1 de 5)

(COLLABORATION SPÉCIALE – Théophile Vareille) Jean-Luc Mélenchon est un personnage : animal médiatique, il a depuis longtemps intégré les codes de la scène politique française, pour en jouer à son avantage s’il le faut. Porté à la théâtralité, Mélenchon clive jusqu’à sa propre famille politique et le revendique, comme il revendique les contradictions qui semblent le définir. Apparatchik du Parti socialiste, il y évolue pendant plus de trente ans, bien qu’il le fustige aujourd’hui. Journaliste à ses débuts, il s’attache dorénavant à violemment attaquer la presse de manière régulière. Une presse pour laquelle il est si bon client, avec laquelle il semble avoir noué une trouble relation de codépendance, entre besoin de se montrer et d’exister, et nécessité de s’afficher comme un candidat hors-système, qui se refuse au copinage et à l’entre-soi. Alors que Mélenchon s’impose ces jours-ci comme le candidat porte-étendard de la gauche devant Benoît Hamon – le candidat investi par les primaires du Parti socialiste –, ses chances de victoire restent maigres, et la question de l’après se pose en filigrane.

Exister, voilà le défi auquel fait face Jean-Luc Mélenchon depuis qu’il a claqué la porte de la gauche du gouvernement. Il semble devoir se contenter d’exister par intermittence, le système politique français étant un système présidentiel qui ne s’enflamme que tous les cinq ans pour ces élections à l’enjeu premier. Ce système bipartite a le plus souvent raison des hommes et femmes politiques qui tentent de persister hors des deux forces principales de gouvernement. L’alternance droite-gauche n’ayant jamais été rompue sous la Cinquième république, Jean-Luc Mélenchon (JLM) s’y attelle tout refusant de tendre la main à un électorat plus modéré.

Candidat de France Insoumise, un mouvement politique sur-mesure lancé en 2016 pour appuyer sa candidature, Mélenchon est aussi investi par le Parti communiste français (PCF). Ce soutien, acquis à la suite d’une houleuse série de revirements, devrait ancrer Mélenchon à l’extrême gauche sur le plan idéologique. Toutefois, l’espace surdimensionné occupé par Mélenchon dans le paysage médiatique français rend son entourage inaudible, communistes compris. Mélenchon s’en retrouve libre de toute entrave, et peut ainsi recueillir l’appui des trotskistes de Gauche révolutionnaire ou des autogestionnaires écolos d’Ensemble! (mouvement politique de gauche) tout en tentant de séduire les déçu·e·s du Hollandisme (1).

Jean-Luc Mélenchon naît à Tanger en 1951, de parents d’origines espagnoles et italiennes. En 1962, alors âgé de onze ans, il s’installe en France avec sa mère, et se retrouve quelques temps après dans le département français Jura, terre qu’il fera sienne par son engagement politique. Actif lors de mai 68 au Lycée, il rejoint l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), syndicat étudiant traditionnellement classé à gauche, dès ses premiers pas à l’Université, à Besançon. En 1972, Mélenchon prend la tête de l’Organisation communiste internationale à Besançon, un mouvement trotskiste via lequel il s’implique dans nombre de luttes ouvrières au Jura. Il la quitte en 1979, trois ans après avoir rejoint un Parti socialiste (PS) revitalisé par François Mitterrand, et amorce sa migration d’une gauche radicale à un gauche rangée.

Fort d’une licence de philosophie, il est professeur de lycée avant de devenir journaliste. Il travaille à Dépêche du Jura et collabore à plusieurs journaux et radios de gauche ou de parti. Il gravit les échelons du microcosme socialiste local, déménage dans le département de l’Essonne pour en devenir président de la fédération socialiste en 1981, avant d’être élu sénateur en 1986. Il est, entre temps, entré chez les francs-maçons, au Grand Orient de France, où il  loge encore aujourd’hui.

Pendant la décennie suivante, il s’installe dans l’aile gauche du Parti socialiste, se peint en opposant d’une « gauche molle », et maintient cette posture de frondeur (2) avant l’heure jusqu’en 2000. Trois ans après avoir été lourdement défait par François Hollande dans sa candidature au poste de premier secrétaire du parti, il entre au gouvernement Jospin en tant que ministre délégué à l’Enseignement professionnel. En 2002, la cohabitation est terminée (3) et Chirac est à nouveau victorieux à la suite de l’historique échec de Lionel Jospin qui, recalé au premier tour, se retrouve derrière Jean-Marie Le Pen avec 16% de votes. Jean-Luc Mélenchon se relance alors avec entrain dans le jeu des courants au sein du Parti socialiste. Mais l’aile gauche est divisée, et éclate à la suite de différends sur la question européenne. Jean-Luc Mélenchon, réticent, si ce n’est opposé, à l’intégration européenne, s’affranchit de la ligne politique du PS qui, elle, y est favorable. Il fait campagne pour le « Non » au référendum du 29 mai 2005 sur une constitution pour l’Europe, allant à l’encontre des consignes explicites du parti.

Néanmoins, il se range derrière Laurent Fabius au congrès du Mans en 2005, et derrière la candidature de Ségolène Royal en 2007, deux nouvelles entreprises perdantes. Il ne se découragera qu’en 2008, lorsque la motion portée par Benoît Hamon (aujourd’hui candidat du PS et son concurrent dans la course à la présidentielle), dont il est signataire et qui représente l’aile gauche du PS, échoue à une décevante quatrième place.

Après 28 ans, il rend sa carte du PS, devant les caméras (4), sur un coup de tête. En un quart de siècle, Jean-Luc Mélenchon aura essuyé nombre d’échecs et de frustrations à l’interne. Il s’émancipe ainsi du parti moins pour se libérer de la chape idéologique qui lui planait dessus que pour nourrir ses ambitions personnelles. Il fonde le Parti de gauche, et contribue à rassembler sous l’enseigne du Front de gauche, initié par le Parti communiste français, de nombreux mouvements tels Gauche unitaire ou Convergences et alternatives (5). Cette dynamique se transmet à sa candidature aux élections présidentielles de 2012. Sa campagne enthousiasme une gauche qui trouve en lui un meneur charismatique qui, s’il porte une ombre sur ceux et celles qui le suivent, les amène à un beau score de 11% des voix au premier tour. Ses rendez-vous de campagne auront à plusieurs reprises réuni des dizaines de milliers de personnes (6,7).

Il termine derrière Marine Le Pen et son Front national, mais il aura fédéré un éventail de mouvements de gauche et d’extrême gauche, et aura initié une nouvelle génération à la gauche radicale, une gauche populaire, ou populiste, altermondialiste, et anti-libérale. Une gauche qui voudrait concilier républicanisme et socialisme, pour de vrai.

De retour en course cinq ans plus tard, il voit cette année Benoît Hamon, son ancien colocataire de l’aile gauche du PS, remporter la primaire socialiste en janvier dernier. Manuel Valls, encore premier ministre quelques semaines plus tôt, est défait. Avec lui, c’est la ligne officielle du parti qui est défaite et un Hollandisme socio-libéral qui est renié. La possibilité d’une candidature commune d’Hamon et Mélenchon flotte pendant quelques semaines. Flottement illusoire : les deux hommes se tournent autour, chacun attendant que l’autre fasse le premier pas. Mélenchon y met fin en réclamant le retrait des investitures de Manuel Valls et autres aux législatives – qui permettent d’être élu·e député·e –, ce que Hamon n’est pas en mesure de promettre (8).

Deux mois après cette victoire surprise de Benoît Hamon, l’acteur Philippe Torreton décrie l’« attitude égotique désastreuse » des deux candidats de gauche (9). Un sentiment possiblement partagé par une base militante qui se retrouve avec deux candidats aux sensibilités apparemment semblables, mais incapables de s’allier pour s’offrir tout espoir de second tour, et de victoire.

Cela n’empêche pas la campagne de Mélenchon de décoller. Ce dernier investit YouTube (10) avec succès, y récoltant les vues par centaines de milliers, ce qu’aucun politicien ou politicienne français·e n’avait réalisé jusqu’alors. Il brille lors d’un débat télévisé inédit (11). Il donne un meeting sous la forme d’hologramme, coup de force médiatique. Mélenchon grimpe dans les intentions de vote (12), distançant Hamon et talonnant François Fillon, candidat du parti de droite Les Républicains en difficulté car croulant sous les affaires et scandales.

Celui qui se réclame tribun du peuple se construit une image moderne et au goût du jour, et séduit ainsi un électorat jeune, désabusé d’un monde politique déconnecté. Si en 2012 il voulait « construire une autre Europe » (13), il veut aujourd’hui « sortir des traités européens » (14). Il manifeste toujours sa volonté de réformer l’Union Européenne, « plan A », mais il envisage dorénavant ouvertement de la quitter, « plan B ». Mis à part ce revirement sur la question européenne, son programme reste semblable à celui de 2012. On y retrouve les mêmes points d’emphase, solidarité économique et haro contre la finance, environnement, refondation de la République, une nation indépendante et humaine à l’heure de la mondialisation effrénée.

S’il est élu, Mélenchon pourrait ne rester à l’Élysée que pour une durée réduite. Il annonce qu’il convoquera une Assemblée constituante citoyenne pour réécrire la Constitution et imaginer une 6e République « démocratique, égalitaire, instituant de nouveaux droits et imposant l’impératif écologique ». Cette nouvelle République mise en place, Mélenchon laisserait alors supposément la place au prochain.

Cette République égalitaire combattrait les inégalités économiques, pour le partage du travail dans une France qui n’a « jamais été aussi riche ». Augmentation des salaires pour les travailleurs et travailleuses, limitation des salaires pour les patron·ne·s, retraite à 60 ans, « sécurité sociale intégrale »… Mélenchon propose une refonte de l’emploi en France : « Réduire le temps de travail, travailler moins pour travailler tous [et toutes]. » Une France idéale, une France isolée, « protectionnisme solidaire » oblige, mais une France qui regardera de l’avant : entre « transition écologique » et « économie collaborative ».

Mélenchon reprend aussi comme « adversaire » la finance, qu’il veut « mettre au pas ». Hollande l’avait promis en 2012, lors de son fameux discours du Bourget (15), en avait récolté les dividendes électorales, mais rien n’avait suivi. Mélenchon veut réguler la finance, protéger l’« économie réelle » et les citoyen·ne·s de ses dérives et excès. Outre les financiers, Mélenchon veut aussi combattre l’évasion fiscale, ce que la présidence actuelle a déjà commencé à faire. Il veut d’ailleurs faire la « révolution fiscale » : Revenu maximum autorisé et imposition des revenus du capital, Mélenchon signe ici quelques-unes des lignes les plus radicales de son programme.

Aux jeunes, il promet une « allocation d’autonomie » entre 18 et 25 ans, mais aussi de « refonder l’enseignement supérieur », aujourd’hui en proie à la marchandisation, tandis que les étudiants et étudiantes font face à la précarité et manquent de moyens. Mélenchon étend cette volonté réformatrice aux filières professionnelles et à l’école, avec notamment une scolarité obligatoire de 3 à 18 ans, 60 000 enseignant·e·s supplémentaires, et un meilleur salaire pour cette profession.

« L’urgence écologique », que Mélenchon place à pied d’égalité avec ses autres priorités, appelle selon lui à un effort de « planification », et s’inscrit dans la lignée de son programme économique. Il faut choisir entre finance et écologie, explique-t-il, car la définanciarisation est conditionnelle à la transition écologique.  Transition écologique, transition énergétique pour une France qui fonctionnerait à 100% d’énergie renouvelable à l’horizon 2050. Une « exigence écologique » qui s’applique à tous les domaines de la société : modes de consommation, modes de transports, agriculture, aménagement du territoire, bâtiments, etc.

Enfin, Mélenchon concilie à son euroscepticisme la vision d’une France s’affirmant comme une puissance humaniste et indépendante sur la scène internationale. S’il veut quitter l’OTAN, le Fonds monétaire international (FMI)  et la Banque mondiale, Mélenchon souhaite « renforcer et réinvestir l’ONU ». Se refusant à la « logique du choc des civilisations », il offrirait l’asile aux sonneurs d’alertes Edward Snowden et Julian Assange, et travaillerait à la « formation d’une nouvelle alliance altermondialiste ». Ambitieux, Mélenchon veut redessiner la carte des alliances et sympathies mondiale. En pratique, il ferait de la France un nouvel électron libre, sa souveraineté retrouvée, s’inscrivant dans un désengagement institutionnel notamment prôné par l’administration Trump. Ambitieux toujours, Mélenchon effeuille les projets : paix en Syrie et entre Israël et la Palestine, union méditerranéenne, et politique de la francophonie. Le Quai d’Orsay, siège du ministère des Affaires étrangères, aurait fort à faire.

Sur la montée, Mélenchon n’a toujours que peu de chance de progresser au second tour des présidentielles. Pour cela, il faudrait que sa cible fétiche, Emmanuel Macron, subisse un sérieux coup d’arrêt. Marine Le Pen, qu’il attaque avec parcimonie car convoitant peut-être son électorat – le Front National a ces dernières années été le premier parti ouvrier –, est hors de portée. S’il récolte un meilleur score qu’en 2012, il ne pourra néanmoins que constater que l’extrême droite progresse aujourd’hui plus vite que l’extrême gauche. Une nouvelle défaite, à 65 ans, l’amènera sans doute à réfléchir à son avenir politique, alors qu’il sera député européen jusqu’en 2019. Ce sera néanmoins la gauche, sa gauche, qui aura le plus de questions à se poser : comment faire après ce personnage gaulliste qui se voulait à lui tout seul le représentant d’une gauche populaire, d’une gauche citoyenne? Pour France Insoumise, comment approchera-t-on cette recomposition de l’échiquier politique en vue, avec la comète En Marche! (16) et un Parti socialiste fragmenté, et ceci dès les élections législatives de juin? Car la France n’a jamais eu son Podemos ou son Syriza, mais cette malléabilité politique ambiante pourrait peut-être s’en accommoder aujourd’hui. Pour Jean-Luc Mélenchon, il sera peut-être difficile de s’en contenter, et de s’effacer.

Aussi dans ce dossier sur les élections françaises 2017 :

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CRÉDIT PHOTO:  CC-BY-SA

1. Alexandre Jassin, « Pour une politique de la main tendue », Agora Vox, 1er avril 2017, http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pour-une-politique-d…, consulté le 9 avril 2017.
2. Marie Simon, « Congrès du PS: les frondeurs irréconciliables n’ont pas fini de fronder », L’Express, 7 juin 2015, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/ps/congres-du-ps-les-frondeur…, consulté le 9 avril 2017.
3. « Troisième cohabitation », Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_cohabitation, consulté le 9 avril 2017.
4. « Mélenchon quitte le PS – Episode 4 – Le départ », Youtube, 10 novembre 2008, https://www.youtube.com/watch?v=CPfNjo2-B5A, consulté le 9 avril 2017.
5. « Parti de gauche (France) », Wikipedia,  https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_de_gauche_(France), consulté le 9 avril 2017.
6. « Ce qu’il faut retenir du discours de Mélenchon à Marseille », Le Parisien, 14 avril 2012, http://www.leparisien.fr/election-presidentielle-2012/candidats/apres-pa…, consulté le 9 avril 2017.
7. Adrien Oster, « Jean-Luc Mélenchon: démonstration de force du Front de Gauche place de la Bastille à Paris », Le Huffington Post, 18 mars 2012, http://www.huffingtonpost.fr/2012/03/18/melenchon-meeting-manifestation-…, consulté le 9 avril 2017.

8. « Jean-Luc Mélenchon détaille ses conditions dans une lettre à Benoît Hamon », Le Point, 17 février 2017, http://www.lepoint.fr/presidentielle/jean-luc-melenchon-detaille-ses-con…, consulté le 9 avil 2017.

9. « Philippe Torreton dénonce l’“attitude égotique désastreuse” des candidats Hamon et Mélenchon », France Info, 30 mars 2017, http://www.francetvinfo.fr/politique/benoit-hamon/philippe-torreton-deno…, consulté le 9 avril 2017.
10. « Jean-Luc Mélenchon », Youtube, https://www.youtube.com/user/PlaceauPeuple, consulté le 9 avril 2017.
11. Diane Malosse, « Et Jean-Luc Mélenchon réveilla le débat », Le Point, 23 mars 2017, http://www.lepoint.fr/presidentielle/et-jean-luc-melenchon-reveilla-le-d…, consulté le 9 avril 2017.
12. « Présidentielle : selon un sondage Mélenchon talonne désormais Fillon et fait tomber Hamon sous les 10% », BFMTV, 31 mars 2017, http://www.bfmtv.com/politique/presidentielle-selon-un-sondage-melenchon…, consulté le 9 avril 2017.
13. « Le Programme du Front de Gauche et de son candidat commun Jean-Luc Mélenchon », 2012, http://www.jean-luc-melenchon.fr/brochures/humain_dabord.pdf, consulté le 9 avril 2017.
14. « Le programme de la France insoumise et de son candidat Jean-Luc Mélenchon : Table des matières », L’Avenir en Commun, 2017, https://laec.fr/sommairehttps://laec.fr/chapitre/4/sortir-des-traites-eeuropeens, consulté le 9 avril 2017. (Tous les éléments de programme cités sont consultables sur ce site, y compris « Sortir des traités européens »)
15. « L’intégralité du discours de François Hollande au Bourget », L’Obs, 26 janvier 2012, http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/election-presidentielle-2012/so…, consulté le 9 avril 2017.
16. « En Marche ! », https://en-marche.fr/, consulté le 9 avril 2017.