La moukhabarat

La moukhabarat

Le présent texte d’Alexandre Dubé-Belzile, même s’il n’a pas paru dans le recueil poético-politique Contre-attaque esthétique, s’inscrit dans un même état d’esprit. D’une part, cet essai littéraire se penche sur les conséquences du printemps arabe et du 11 septembre 2001 sur l’imaginaire occidental et sa vision de l’Orient. D’autre part, il s’intéresse aux raisons qui pousseraient des personnes issues de l’Occident à accepter l’Islam, et ce que cela signifie au regard de la politique à caractère identitaire qui a refait surface au cours des dernières années. La « moukhabarat » est le nom donné à la police secrète dans le monde arabe qui est, entre autres en Égypte, reconnue pour sa brutalité. Ce récit de voyage de l’auteur imprégné de rêveries et de réflexions personnelles est ponctué de passages poétiques. Il est à noter que le premier passage poétique est de Khwaja Abdullah Ansari, le sage d’Hérat, ville aujourd’hui en Afghanistan, qui a vécu au XIe siècle. Les poèmes qui suivent sont de l’auteur et ont été rédigés au cours du voyage dont il est question. On y constate l’influence de la poésie soufie, dont le texte d’Ansari est un exemple. 

Le meurtri y trouve le parfum d’un baume :  

Sa mémoire console l’âme des épris.  

Par milliers derrière les ombres, en quête de Son éclat  

Sanglotant comme Moïse : « Seigneur, montre-toi! »  

Je les vois par millier dans un désert de douleur,  

Errant sans but mais dans l’espoir  

« Allah! Allah! »  

Je vois des poitrines déchirées par la séparation  

Je vois des yeux débordant d’agonie.  

Agités de culpabilité et de refoulement  

Les épris s’exclament : « Notre pauvreté est notre orgueil! »  

Pir-i Ansar est alangui, imbibé de vin  

Intoxiqué tel Majnoun  

Vagabond désorienté i  

Je suis arrivé à Assouan depuis Le Caire un après-midi brûlant. J’étais parvenu à traverser les points de contrôle militaire sans trop de problèmes. Depuis la révolution et la chute du scélérat Hosni Mubarak, porter une barbe ne posait plus de problème. On nous disait qu’il n’y avait plus de moukhabaratii, plus de prisons secrètes, plus de sévices, plus de disparitions. À l’époque, on y avait prêté foi, et beaucoup d’Égyptien·e·s aussi. J’avais entendu l’histoire de ce prêcheur qui avait eu les yeux arrachés par les interrogateurs du régime et dont les bourreaux devaient maintenant lécher la poussière pour se voir momentanément soulagés des affections qui les dévoraient vivant. D’ailleurs, la mort de Khalid Saïd sous la torture des policiers de Moubarak, filmée et diffusée en ligne, ainsi que le mouvement Kulina Khalid Said (nous sommes tous Khalid Said) avaient été un catalyseur de la rage qui a jeté le dictateur en bas de son perchoiriii. Le mot haq (حقّ) en arabe vaut autant pour la « vérité » (ou réalité) que « droit ». Les histoires d’horreurs d’un système dans lequel les murs avaient des yeux et des oreilles abondaient. Dès mon arrivée à la station de bus, j’avais fait la rencontre d’étudiants qui voulaient m’accueillir à la résidence de leur université. Ils m’ont amené jusqu’au centre-ville dans une vieille Peugeot déglinguée que le oleil décapait. Les vapeurs qui s’en élevaient engendraient des mirages entre les hautes structures des rues étroites de l’agglomération nubienne et nilotique.  

Ô Seigneur 

Sous quelle ombre lourde vas-tu me laisser vagabonder 

Et quelles fatigues me font pourrir? 

Pour que je puisse crever vers le haut 

J’ai grouillé dans la poussière tel Éblis 

Pour ne pas frire dans le brasier 

Ô Seigneur des Univers 

Qui règle les rotations et les révolutions 

Les élections des lunes et des roitelets éphémères 

Ma créativité abonde & 

Coule en lèchements  

Dans ma chair d’angoisse 

Des langues de viande 

S’engourdissent et s’agitent 

De ma tête de bois 

À pieds de terre cassée 

Allah, je fus créé 

Esclave au sang froid 

La nausée jusque dans les reins 

Cette coulée de beurre avarié 

Une créature aux os d’airain 

De lourdes jointures soudées 

Dans la fonte désertique 

Le torse broyé 

Par le silence qui murmure 

De fil en aiguille, d’une rue poussiéreuse et fébrile à l’autre, on a fini par m’amener coucher chez le Cheikh Ridwan. Je crois que quelques bureaucrates un peu zélés m’avaient refusé l’accès à la résidence. Cheikh Abdoul Karim Ibrahim, connu sous le nom de Ridwan, était un vieil homme chaleureux, toujours vêtu d’une tunique bleue. Il tenait aussi une boutique au coin de la rue dont les étagères étaient presque vides. Cependant, il ne semblait guère s’en soucier. Il y lisait le Coran à longueur de journée. Il ouvrait ses portes juste après la prière de l’aube et retournait chez lui tard le soir. Il m’avait accueilli dans un appartement vide au-dessus de chez lui. Chez lui, j’étais tranquille. Le logement était poussiéreux et semblait servir d’entrepôt, mais on s’en accommodait. De plus, les armoires étaient encore pleines de haricots, de pâtes déshydratées et de riz.  

Avant de venir à Assouan, j’avais passé le jeûne du Ramadan dans le désert frontalier à la Libye. Juste de l’autre côté de la frontière, Khadafi venait de tomber. Jeûner dans un climat désertique procurait une certaine ivresse. Exalté, j’avais beaucoup songé au dictateur déchu. Il avait été sodomisé à la baïonnette et traîné nu dans les rues de Syrte, sa ville natale. Le dictateur libyen, dont les idées politiques avaient été publiées dans Le livre vertiv, combinait marxisme et islam en un singulier amalgame que certains ont rapproché de l’anarcho-syndicalisme, et que d’autres, dont le gouvernement saoudien, ont qualifié d’hérésiev. Le philosophe anarchiste américain Hakim Bey (pseudonyme de Peter Lamborn Wilson) a gardé de bons souvenirs de sa visite dans le pays dans les années 1990, lors de laquelle il avait participé à une conférence et abordé la révolution libyenne comme une résistance mystique soufie contre l’Islam corrompu de la monarchievi Khadafi est encore largement admiré en Afrique et dans le monde arabe comme un leader anti-impérialiste. Enfin, je le voyais bien, pendant ce jeûne dans les régions désertiques, la chaleur m’amenait en des lieux insoupçonnés de la conscience : 

Le désert me mord les pieds 

Avec ses saveurs de rouille 

Les braillements d’âne égoïnent le jour et la nuit 

Chaïtan y dépose les heures 

Traîne l’humanité dans sa nuit empruntée 

Allah laisse galoper & murmure mes réveils 

Dans les nuits éveillées de cette oasis 

Un jardin de melons éventrés 

Aux fibres essorées sous le sable 

Les ruelles accueillent des étangs inexistants 

Parsemées de galets, de pieds de poulets & de pieds de mouton 

De traînées d’huile aussi noires que le jais 

Et le sang coagulé en gâteaux de sable 

Le souffle brûlant s’en prend à l’intimité de mes yeux 

 J’étais irrigué de longues rêveries qui m’amenaient d’une ruelle à l’autre du petit village où je séjournais, parfois à pied, parfois dans une charrette de paysan tirée par un âne. J’y ai même fait la rencontre d’une famille de véritables nomades afghans, qui avaient grandi à Montréal, puis vécu en Syrie, en Somalie, au Yémen, aux Émirats arabes unis et en Iraq. Nous avions commencé à briser le jeûne ensemble un jour, puis une amitié s’est installée. Les quatre frères vivaient avec leur mère dans un petit appartement et y étudiaient le Coran avec les cheikhs locaux. J’aurai eu l’horreur d’apprendre plus tard que le plus vieux frère, Rashid, fut tué à l’étranger, dans une guerre prétendument sainte qui ne le concernait pas vraiment. Pour moi, ce drame incarnerait la fuite vers l’avant de jeunes apatrides, toujours prêt à changer de pays lorsqu’un visa expire ou qu’un autre pays leur octroie l’hospitalité. Enfin, c’est pendant ce jeûne que j’ai décidé d’entreprendre la traversée vers le Soudan, par voie fluviale. Je pris donc la route vers Assouan, le temps d’obtenir mon visa au consulat, l’estomac rongé par la rouille dont le gorgeait le jeûne. 

Le ventre cru répond, grogne 

Et se laisse pénétrer 

Se laisse éventrer 

La trompe des intestins répand sa souillure rauque 

Sur ces veines rousses dégorgées 

La langue rouillée racle 

Arrache les veines de rouille nues 

Sur un pavé flottant 

Le jour du départ enfin arrivé, j’ai rencontré un Afro-américain converti à l’Islam dans le magasin vide du cheikh Ridwan. Il maîtrisait parfaitement l’arabe et revenait tout juste du Yémen. Yaqoob, de son nom de converti, attendait mon départ pour occuper l’appartement du cheikh. Nous avons discuté de nos voyages pendant un certain temps. Le Yémen subissait alors une grave crise économique et un dollar valait littéralement quelques kilos de billets yéménites. Yaqoob avait fui la persécution en Pennsylvanie. Il avait été la cible de la moukhabarat étatsunienne après le 11 septembre. En effet, à l’aube de l’ère du PATRIOT actvii, qui conférait de nombreux pouvoirs aux services de renseignements étatsuniens, il n’était pas le seul à subir ce sort, à voir ses communications surveillées et à être intimidé et contraint de servir d’informateur. Il avait également, dans le cadre de ses études universitaires, rédigé une thèse hallucinante sur les révoltes d’esclaves africains musulmans qui avaient eu lieu aux États-Unis, au XIXe siècle, dans la ville de Bâton Rouge, puis en Floride, s’alliant aux autochtones séminoles, mais aussi à Salvador, au Brésilviii. Il y soulignait l’importance d’entretenir une conscience historique pour parer au colonialisme interne des nations des Amériques.  

Il avait dû fuir après que son texte ait causé une tentative révolutionnaire dans un pénitencier fédéral. Il avait ensuite vécu en Chine, au Nigéria et au Mali. Il est la dernière personne que nous avons saluée avant de prendre le taxi vers le port. Il y a lieu de se demander pourquoi tant de personnes afro-américaines se convertissent à l’Islam. Dans un rassemblement récent à Trinidad-et-Tobago, j’ai pu constater que l’écrasante majorité des convertis américains étaient d’origine afro-américaine. Certains d’entre eux ont expliqué qu’ils avaient d’abord appartenu à la Nation of Islam, mouvement sectaire auquel s’était aussi joint El-Hajj Malik El-Shabazz, plus connu sous le nom de Malcolm X, avant d’accepter l’Islam dans sa forme plus répandue. Le message d’égalité dont est empreint l’Islam semble une forte résonance au sein de la communauté afro-américaine. Aussi, étant donné que l’Islam est établi depuis très longtemps en Afrique, il peut s’agir d’un moyen de se démarquer du christianisme teinté de colonialisme et revenir « aux origines », et ce, même si beaucoup d’Africain·e·s voient dans l’Islam une forme d’hégémonie sur le continent.  Je me questionne parfois sur certains liens qui existaient déjà entre le FLQ et la Black Panthers dès la fin des années Nègres Blancs d’Amérique (mal informées), Pierre Vallières, avait reçu le soutien du groupe marxiste-léniniste afro-américain lors de son emprisonnement aux États-Unisix. Aujourd’hui, de nombreuses personnes au Québec acceptent l’Islam, beaucoup plus que dans le reste du Canada, semble-t-il. Or, il apparaît que, au revers de cette vision fortement implantée d’un Islam hostile, une minorité y voit l’incarnation d’un mode de vie  contre-courant l’aliénation de la consommation, que ce soit au Québec ou aux États-Unis, à moins que ce soit une séduction par ce qui est vue comme la seule force réellement capable de bousculer l’ordre des choses, et ce, surtout après le 11 septembre.   

Y a-t-il lieu de faire le lien avec le séparatisme islamique en Francex  Outre la forme assez totalitaire que peut parfois y prendre l’Islam, nous pourrions y voir une tentative d’autonomisation contre l’ancienne puissance colonisatrice, une tentative de ronger la France de l’intérieur. Au final, l’Islam aurait beaucoup servi, en Occident, à incarner cet ennemi de l’intérieur dans les discours hégémoniques. Malheureusement, force est de constater que, de nos jours, une certaine forme de militantisme islamique appartient surtout à la droite voire à l’extrême droite, tout le contraire des mouvements progressistes teintés d’Islam des années 1970 (mouvements palestiniens, le FLN algérien et à une certaine époque, le gouvernement révolutionnaire libyen de Mouammar Khadafi). Enfin, cette droite islamique (dont les différences idéologiques avec la alt-right raciste sont moins importantes qu’on peut le croire), sert souvent de catalyseurs de frustration et de haine, ce qui explique sans doute les attentats suicide, ce désir d’en emporter le plus possible avec soi comme dernier moyen de laisser sa marque sur le monde, de se sacrifier pour la cause.  

À ce propos, au Québec, j’avais connu une convertie qui avait terminé dans un pénitencier pour avoir tenté, comme Rashid, d’aller guerroyer à l’étranger. Jeune Québécoise originaire de Maniwaki, le cheminement exact de sa conversion m’échappait. Amna aurait été impliquée dans la vente de fentanyl pour soi-disant financer son voyage. Elle avait été arrêtée un beau matin, avec quelques complices. Même dans le pénitencier de Joliette pour femmes, elle avait été malmenée pour avoir proféré des menaces de mort  ses copénitencières n’avaient pas très bien prises. Elle disait : « Si tu ne te joins pas à nous, ils vont tuer ta famille! ». Comme l’affirme Peter Lamborn Wilson, dans The New Nihilismxi on peut comprendre qu’une personne veuille tout faire sauter, qu’elle veuille exercer vengeance contre une société monolithique, qui est aussi prétentieuse quant à son caractère avant-gardiste qu’elle est bornée et aliénée. Je suis moi-même tout à fait apte à comprendre ce sentiment, que j’ai aussi éprouvé, sans pour autant basculer de l’autre côté du miroir obscène.  

À vrai dire, il m’a toujours été difficile de voir un quelconque bien-fondé dans les tendances de l’Islam politique, le plus souvent carrément islamofascistes. Même si certains liens entre l’Islam et la gauche sont intéressants, c’est le cas des idées de l’iranien Ali Shariati, considéré comme le penseur de la révolution islamique en Iran, la richesse que j’ai trouvée dans l’Islam se trouvent plutôt dans son mysticisme, sa « radicale tolérance »xii pour reprendre les mots de Hakim Bey, qui a passé de nombreuses années en Afghanistan et en Iran dans les années 1970. Son contact avec les mystiques de l’Islam (avant la révolution islamique en Iran et avant le régime communiste en Afghanistan et l’invasion soviétique) a fortement influencé sa pensée anarchiste. Même s’il n’a jamais formellement accepté l’Islam, il est sûrement plus proche de ce que je vois dans cette vision spirituelle. Enfin, du port au navire, puis du navire au Nil, je suis entré en collision avec la nuit, pendant laquelle une ivresse semblable à celle du jeûne allait se saisir de moi, ravivant cette colère enfouie sous des couches de graisse et de carne. 

I  

Ô vautours en orbite 

Telles les aiguilles d’une montre 

Vous portez des yeux aveugles 

En vos becs charognards 

Je est le cloaque invisible 

Le cadavre social a les neurones en transe  

Les neutrons s’enfoncent et son flanc pourrissant 

Ballonné par l’accumulation scatologique 

Il étouffe par endoctrinement 

L’inconscient collectif 

Y est remplacé par un lapidé imposteur 

La créativité, par l’anthropophagie 

Entre la destinée et la conscience individuelle 

Gronde un océan agité 

Vaste, d’une profondeur ineffable 

II 

Au loin, j’entrevois 

Les longues surfaces cuivrées 

Les fleuves de sperme 

Qui ont amené l’humanité à cogiter 

Mais la larve s’est métamorphosée 

En désertification 

Où es-tu violé, ma créativité? 

Sur une plage d’yeux vitreux 

Au bord d’un océan de mères noyées 

Où es-tu violé, ma créativité? 

Toi, ô « je » qui fut soustrait au Néant 

Nous en sommes la plénitude 

Quelques heures plus tard, j’étais affaissé sur la carapace d’acier brûlant du navire. Les paillasses et les châles des passagers et des passagères tapissaient le pont supérieur du vaisseau africain. Des centaines de corps en sueurs semblaient catalyser toute la chaleur de la nuit. Cette chaleur nous irradiait et faisait flotter nos corps, détrempés des sueurs qui se mélangeaient. Nous étions en proie à une sorte de rêverie collective et nos âmes étaient devenues des protubérances qui s’exhibaient à demi hors de nos corps. Tel un champ de cordes entrelacées nous gisions, dans nos vêtements comme des feuilles de chou collées et gluantes. Nos torses et nos jambes s’étaient soudés à nos tuniques, torturés de démangeaisons absurdes, de picotements intermittents et de morsures d’insectes aux quatre extrémités. Nous étions ivres d’une nuit blanche de guerre avec les puces, sales et en sueur, coagulés les uns contre les autres sous un ciel désertique. Un monument de silence y avait été érigé de fatigués entortillés entre eux et contre les tiges chaudes et rongées des garde-fous. 

Juste avant l’aube, avec la transition de la nuit noire vers la nuit bleutée qui précède l’aube, les silhouettes se retiraient des fanges de la stupeur, maquillées des affres de la traversée nocturne. L’engin grondait d’un assommant tonnerre de ferraille. La voix de l’appel à la prière se déversait telle une psalmodie contre la marée, audible avec l’apparence d’un écho lointain. Lentement et maladroitement, les uns cherchaient leurs galoches pendant que d’autres patientaient en position fœtale ou sur le flanc parmi les sacs et les caisses. La lune nous observait, l’appel à la prière se poursuivait. Mon turban de coton noir dénoué sur l’épaule, je suis descendu dans le gouffre fumant du bateau par une cage d’escalier squelettique. Puis, au bout d’un étroit passage à travers les machines en dégueulades, j’entrais dans la gargote à foul (fève fava), le bouche-creux égyptien. Au Soudan, l’eau avec laquelle sont cuites les fèves est recyclée, c’est-à-dire achetée par les moins nantis et mêlée avec des morceaux de pain. Ils appellent cette mixture le Bush. Une confection semblable faite avec du lait se nomme Obamaxiii. Cela témoigne du ressentiment de la population à l’égard des sanctions des États-Unis (maintenant abolies). En fait, à l’époque où j’étais au Soudan, on priait pour la destruction des États-Unis dans certaines mosquées. Enfin, je n’ai pas connaissance d’une recette pour le Trump. L’appel se poursuivait. 

Mes yeux tentent de noyer l’ennui 

Dans les cieux liquéfiés et les fanges lentes 

Mais seul Ton nom existe, dévêtant toutes les nuits 

Sous leurs silhouettes soupire mon âme gémissante 

Ô Allah, pardonne à un halluciné à demi suicidé 

Une ombre à l’ombre d’un univers vaporeux 

Ô Allah, retire mon squelette de sa vierge de fer 

Pour le déposer là où il ne sera plus déchiré d’hier 

Dans ce paradis sans nausée, sans soif débordante 

Bien au-delà des profondeurs aux voix hurlantes 

Les crevasses de mes regards visqueux 

Sont les oblongs boudoirs 

D’un rêve dont tu as sculpté mes yeux 

Ces placards profanés, ces éteignoirs 

Ce crâne floconneux de cendre gelée 

De son silence d’humilié éclate 

Telles mille langues fumées 

Par le souffle de géhenne écarlate 

Ô Allah, pardonne à un halluciné à demi suicidé 

Une ombre à l’ombre d’un univers vaporeux 

Je ne sais pas encore exister 

Je reste une limace engluée de vivre 

Enlisé de feu pour m’y noyer 

À moins que Tes faveurs m’enivrent 

Mes yeux se sont faufilés dans le compartiment de classe supérieure, muni de grandes banquettes sans rembourrage, une ventilation quelconque, capharnaüm avec éclairage tamisé, discussions et volutes de fumée se propulsaient dans ce qui restait d’espace. J’enjambais les corps en concerts de ronflements pour me faufiler dans la ligne qui oscillait énergiquement vers les latrines. Des femmes endormies étaient bien ensevelies dans leurs niqabs enluminés ou léopards, les pieds tatoués de henné resurgissant comme des télescopes. Au-dessus de ces pieds, l’appel se poursuivait. Le type derrière moi, avec de grands verres noirs et miroitants, une calotte aux couleurs jamaïcaines sur son crâne imberbe me racontait : « Je suis né au fond de ces eaux mon frère, avant qu’ils ne construisent le barrage et que tout soit englouti. Je vis depuis 25 ans à Vancouver. » Au-dessus de la tête de ce type, l’appel continuait.  

Ma cervelle navire-proie 

Se dérobe vers l’acide du bain ancien 

Parmi les yeux qui flottent 

Les nerfs optiques sanglotent 

Chaque œil y est un grain de sable 

D’une ivresse déshydratée 

Chaque dune du décor 

Était une population de viols 

Mes paupières ne sont plus que des faisceaux oblongs! 

À l’endos de mes paupières mi-closes 

Se creusent deux étroits paysages 

Deux souterrains à la Van Giap 

Deux intestins cancéreux 

Dévaloirs incendiés vers le feu 

Vers les bas-fonds telluriques  

J’y vois ma chair pourrie combustible 

Et mon sang carbonisé 

À l’intérieur, les toilettes turques avaient débordé et l’eau du Nil avec ses matières en suspension nous passait entre les orteils. Nous utilisions le petit lavabo pour faire nos ablutions. Au-dessus de toilettes turques débordantes, l’appel se poursuivait encore. J’avais lavé mon visage et ma barbe. J’introduisais mes bras dans l’évier minuscule, puis passai mes mains mouillées sur mes cheveux. Enfin, je terminai par les pieds, un à un, une poigne ferme sur le hublot, lavant d’abord ma jambe droite, m’assurant que la peau soit rincée jusqu’aux chevilles. L’appel a fini par prendre fin. Le temps de remonter sur le pont supérieur, nous formions les rangs pour la prière. Les hommes se faufilaient un à un pour boucher les interstices. L’espace a été totalement occupé très rapidement. Un étranger hirsute au teint d’Européen se tenait au milieu des rangs. Debout et stupéfait, il restait enfoncé, immobile comme un épouvantail. Sa chevelure était nouée d’un élastique au-dessus du crâne. La touffe blonde giclait aux courants d’air comme une flamme jaune ou un drapeau. Orientés vers La Mecque, le navire a cessé pour un moment d’exister. 

Par qui les cœurs s’inondent 

Toi par qui les cœurs s’inondent 

Par qui bourdonnent et s’écrasent les mondes 

De quelles guerres ma langue est-elle amputée? 

Tel un serpent, pour quelle tentation a-t-elle déserté? 

Comment irais-je la récupérer? 

Là où mes paupières seraient arrachées 

Poses-y ton pied ô Allah seigneur des mots versés 

Avec force, ne la laisse pas traverser 

Le désert de fiel des idoles menacées, 

Des miroirs grisâtres d’opiacés 

Comment irais-je la récupérer? 

Là où mes paupières seraient arrachées 

Où suis-je pour ne plus me voir dans les cieux? 

Les sables mouvants me dévisagent d’immenses yeux 

Puisque ces telluriques entités s’enracinent dans mes jarrets 

Ma langue définitivement se dérobe 

Comment irais-je la récupérer? 

Lorsque mes yeux sont crevés 

Plus tard, une fois le Soleil bien haut, nous sommes arrivés à Wadi Halfa, la ville frontalière du côté soudanais. Il n’y avait pas grand-chose à part quelques auberges, ou plutôt des murailles d’argiles formant des cours intérieures dans lesquelles étaient alignés des lits de corde directement sur le sable, et quelques cafés rudimentaires bondés de fumeurs de narguilé. Quoi qu’il en soit, j’y ai fait la connaissance d’un étudiant qui voulait bien m’accompagner jusqu’à Khartoum. Dans l’arrêt de bus, le portrait du général Bachir en uniforme, dictateur du Soudan pendant près de 30 ans, de 1989 à 2019, guettait nos moindres mouvements. Après avoir flotté en provenance d’un pays en révolution, la Tunisie, moins d’un an après l’auto-immolation du vendeur ambulant Bouazizi, qui en avait l’étincelle, je me retrouvais dans la contrée encore habitée par la moukhabarat et l’excision pharaonique, une phallocratie antédiluvienne, multimillénaire qui n’avait pas encore été châtrée.   

Ô Seigneur des ouïes 

J’ai subsisté sur ta poussière 

J’ai traversé tes étendues sans miroir 

Ma chair y a suppuré sa sanie 

Ma chair et son « je » sont ta créature 

Ô Seigneur des yeux des cœurs 

Tu as vu mon tronc sec d’idolâtre 

Sa faim de ténèbres se repose 

À mon épaule fendue 

Cette langue T’implore de guérir 

Un habitant de l’Univers 

Seigneur de la compréhension 

Mon intelligence s’est amaigrie 

N’est plus qu’un désert 

De fibres et de membranes d’argile 

Des réflexions piliers de l’angoisse 

Le sang et les larmes sont coagulés 

Dans mon cerveau affaissé  

Mes membres glissent dans les actes du brasier 

Je crains les liseurs de grimaces 

Purifie mon visage! 

Je crois respirer le remugle de la tombe 

Et le parfum de mon crâne en bouillonnements 

Ô Seigneur des déchirements et des fumoirs 

J’ai étranglé mon intelligence 

Pour une mâchoire de chien, un os de datte 

Est-ce que je suis encore un esclave cadavérique? 

La moukhabarat soudanaise avait la réputation d’écraser les testicules avec des pinces lors de ses interrogatoires. Heureusement, je n’ai pas eu d’interactions, à ma connaissance, avec ces agents de la terreur. J’allais toutefois faire la rencontre d’anciens janjawid, les escadrons de la mort qui sévissaient au Darfour dans un conflit opposant, depuis 2003, le gouvernement et des milices paramilitaires à des rebelles issus de tribus non arabes. Ce conflit très complexe aurait eu pour cause à la fois la découverte de ressources pétrolières, les changements climatiques ayant causé sécheresse et les politiques racistes du gouvernement qui favorise les populations arabes du paysxiv. Ces anciens janjawid étaient des adolescents, parfois même des enfants, qui avaient pour la plupart eux aussi des enfants. Ils n’avaient rien de monstres, malgré les horreurs qu’ils avaient pu commettre et subir. J’allais passer des mois en leur compagnie à dormir dans les mosquées, à bénéficier de leur hospitalité, véritables trésors des déserts. L’un d’entre eux travaillait-il pour la moukhabarat?  

Je me souviens d’une nuit brûlante, lors de laquelle, dormant dans une petite mosquée à quelques kilomètres de Khartoum, dans le désert, j’ai été tiré de mon sommeil par le souffle violent d’une explosion. J’apprenais le lendemain qu’un avion israélien avait bombardé une usine d’armement du régime. Cela n’avait cependant que contribué au discours antiaméricain de l’État, qui ne tomba que près d’une décennie plus tard, en 2019, sous les pressions des révoltes populaires. Le pays est à ce jour en pleine transition…xv  

J’irai comme un cheval fouxvi 

Étourdi dans les sueurs ocres  

Et l’amertume des brûleries 

Médusement, ma céphalée absorbe 

Les murs et les enluminures 

Des matières violées pour mon œil 

La nuit hurle de ses pattes et de ses mains 

L’obscurité ronge l’ampoule nue 

Saigne le verre des vitrines de vide 

La nuit lèche la fange avec vacarme 

Laisse ses crocs couler le long des herbes 

Les fumées et les vapeurs 

S’accouplent et muent 

De cireux ossements se font lâches 

Et viennent se poser sur un front insomniaque 

i Khwaja Abdullah Ansari, Intimate Conversations, traduction de Wheeler M. Thackston, Paulist Press, New York, 1978, cité par Peter Lamborn Wilson. 2014. Spiritual Journeys of an Anarchist, Autonomedia, Brooklyn, 2014, p.43 (Nous avons assuré la traduction vers le français). 

ii Nom donné à la police secrète dans la plupart des pays arabes. Elle est notoire en Égypte, au Soudan, en Iraq et en Syrie, entre autres régimes, pour sa brutalité.  

iii Al Jazeera, « My Arab Spring: Egypt’s silent protest »,  Al Jazeera, 24 janvier 2016. https://www.aljazeera.com/news/2016/01/arab-spring-egypt-silent-protest-160124101244868.html

iv Mouammar Kadhafi, Le Livre vert, Éditions Cujas, Paris, 1976. 

v Al-Sulami, Muhammad. 2011. « Saudi Arabian Scholars Support Libyan Uprising ». Eurasia Review, 1 mars 2011. https://www.eurasiareview.com/01032011-saudi-arabian-scholars-support-libyan-uprising/

vi Hakim Bey, « Jihad Revisited », 2009, https://theanarchistlibrary.org/library/hakim-bey-jihad-revisited

vii Nouvel Observateur. 2006. « Qu’est-ce que le Patriot Act ? » Nouvel Observateur, 6 septembre 2006. https://www.nouvelobs.com/monde/20060906.OBS0822/qu-est-ce-que-le-patriot-act.html

viii Pour avoir visité cette ville récemment, je suis resté troublé par la manière dont l’islam africain y avait été presque totalement effacé. De nos jours subsiste un Islam surtout à Sao Paulo, communauté essentiellement palestinienne, syrienne et libanaise. 

ix Louis Fournier, F.L.Q.: Histoire d’un mouvement clandestin, Lanctôt, Montréal, 1998. 

x Pierre Michaud, « France : Macron lance la lutte contre le “séparatisme islamiste” ». Euronews, 21 février 2020. https://fr.euronews.com/2020/02/18/france-macron-lance-la-lutte-contre-le-separatisme-islamiste

xi Peter Lamborn Wilson, The New Nihilism, Bottle of Smoke Press, North Salem, NY, 2018. 

xii Peter Lamborn Wilson, Spiritual Journeys of an Anarchist. Autonomedia, Brooklyn, 2014, p.64. 

xiv La page Wikipedia, dans ce cas-ci, propose une bonne synthèse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Darfour 

xv Al Jazeera, « 12 defining moments in Sudan’s 12-month uprising ». Al Jazeera, 18 décembre 2019. https://www.aljazeera.com/news/2019/12/12-defining-moments-sudan-12-month-uprising-191215151600227.html

xvi Le premier vers de ce poème est aussi le titre d’un film de Fernando Arrabal, réalisé en 1973 et tourné, en grande partie, n Tunisie. Le protagoniste du film fuit dans le désert et y rencontre un nain extraordinaire qui lui fait découvrir un autre univers de sens. Ce film surréaliste évoque pour moi, métaphoriquement, le mysticisme islamique et ce qu’il représente pour moi.   

Le corps de Sally l’anathème : les voies d’une transitude de l’Islam anarchiste

Le corps de Sally l’anathème : les voies d’une transitude de l’Islam anarchiste

Par Mohamed Abdou

Extrait traduit par Alexandre Dubé-Belzile

Publié avec la permission de l’auteur

L’article original publié en anglais dans la revue Anarchist Developments in Cultural Studies est également téléchargeable dans sa langue source sur The Anarchist Library.

Cet article traite de l’affaire Sayyid-Sally, une personne trans égyptienne. Elle était étudiante en médecine à l’Université Al-Azhar, éminente institution d’études islamiques. Sayyid-Sally a été expulsée en 1982 en raison de son identité sexuelle. J’y examine donc le point de vue d’Al-Azhar sur la question et l’édit religieux, ou fatwa, prononcée à cette occasion. Même après le dévoilement de son identité, après son opération et même après qu’Al-Azhar ait admis l’existence de l’ « hermaphroditisme » dans certaines interprétations légales de la jurisprudence islamique, des orientations de genre hétéronormatives ont tout de même été réétablies et remises en vigueur par l’institution religieuse égyptienne. J’avance que cette prise de position d’Al-Azhar reflète un ordre logique binaire qui impose une dichotomie entre hermaphroditisme naturel et hermaphroditisme non naturel. Sayyid-Sally était, au mieux, tolérée, même neuf ans après que la Cour administrative du Caire ait renversé la décision d’expulsion de Sayyid-Sally. Je mets de l’avant que l’anarchisme peut conférer une tout autre orientation à ce débat au sein de l’Islam pour dépasser la simple tolérance et développer une doctrine d’acceptation. Je le fais afin de permettre aux anarchistes et aux personnes de confession musulmane ouvertes d’esprits (donc non essentialistes/non dogmatiques) de mieux se comprendre et de collaborer dans le contexte de ce que Richard J. F. Day a qualifié de « nouveaux » mouvements sociaux.

[…]

Sayyid AbdAllah est une personne trans de 19 ans étudiant à l’Université Al-Azhar, une éminente institution d’études islamique située au Caire, en Égypte. En 1982, cette dernière a consulté le psychologue Salwa Jurgis Labib en affirmant souffrir d’une profonde dépression. Salwa a examiné Sayyid et a conclu que l’identité sexuelle de Sayyid se trouvait psychiquement perturbée. D’un point de vue clinique, Sayyid était un « hermaphrodite psychique » (Mu-Khunath nafsiyan). Pendant trois ans de thérapie, tous les efforts possibles avaient été déployés afin de restaurer l’identité sexuelle mâle de Sayyid, sans succès. Salwa a donc décidé de référer Sayyid à un chirurgien du nom d’Izzat Asham Allah Jibra’il afin que Sayyid puisse subir une chirurgie de changement de sexe. L’opération a été effectuée le 29 janvier 1988. Avant cette opération, Izzat avait tout de même référé Sayyid à un autre psychologue du nom de Hani Najib, qui avait tiré les mêmes conclusions que Salwa, affirmant aussi que la chirurgie était la meilleure solution. Par la suite, en préparation pour la chirurgie, Sayyid a dû ingurgiter des hormones féminines, expérimenter avec le port de vêtements féminins et la fréquentation du sexe opposé. Cela a duré un an, après quoi Izzat a procédé à l’ablation du pénis de Sayyid pour créer un nouvel orifice urinal et un vagin artificiel1.

La nouvelle de la chirurgie a éclaté au grand jour le 4 avril 1988, à l’occasion d’une entrevue de Sally pour le journal Al-Ahram. La nouvelle de la chirurgie de Sally a fait bien plus qu’émoustiller l’intérêt des médias : elle a entraîné des répercussions auprès des autorités religieuses, gouvernementales, administratives et légales ainsi qu’auprès de la population égyptienne dans son ensemble. La première de ces répercussions a été le refus de la faculté de médecine d’Al-Azhar d’octroyer à Sally, qui se trouvait à la quatrième année de ses études, le droit de subir les examens finaux afin d’obtenir son diplôme. La deuxième a été le refus des autorités de l’Université de la transférer à la faculté de médecine pour femmes. Pour Al-Azhar, Sally devenait un symbole de l’immoralité de cette époque, un khawal; un « homme efféminé qui accepte de jouer un rôle passif, féminin, lors d’un rapport sexuel avec d’autres hommes »; « un terme connu comme servant à désigner la plus basse et la plus dégradante masculinité »; « considéré comme une porte vers l’hermaphroditisme, qui à son tour peut mener au crime abominable qu’est l’homosexualité »2. L’éminente institution islamique a alors établi un comité pour mener une enquête sur le corps de Sally. À ce comité siégeaient le Conseil de fatwa (Lajnat Al-Fatwa) et le moufti du Haut Conseil des affaires islamiques (Al-Majlis Al-Aola li Sh-Shu’un Al-Islamiya).

Le comité a ainsi effectué, entre autres choses, un ultrason de sa prostate, et a conclu que Sally était tout à fait masculin, à l’intérieur comme à l’extérieur. Il va sans dire qu’après cet incident, Sally a systématiquement refusé d’être examinée. Comme conclusion, le comité a déclaré : « Nous avons ici un jeune musulman qui étudie à la vénérable institution Al-Azhar et qui consulte des psychologues occidentaux. De plus, ces derniers lui disent de se laisser aller aux tentations de la perversité pour devenir une femme. Cependant, ce qui résulte de ces transformations n’est ni un homme ni une femme, mais quelque chose entre les deux »3. Le comité d’enquête a donc procédé, « en vertu de l’article 240 du Code pénal islamique, pour avoir décidé d’infliger une blessure [ou mutilation] permanente à son patient », à la condamnation de la chirurgie qui avait été menée sur Sayyid. Ironiquement, c’est au même moment que le principal représentant du syndicat des médecins (Niqabat al-Atba) de Gizeh, a demandé à un autre médecin, Husam ad -Din Khatib, de mener une enquête sur l’affaire. Pour ce faire, le conseil des médecins avait convoqué le chirurgien Izzat, l’anesthésiste Ramzi Michel Jadd, et le psychologue Salwa. Enfin, le conseil a décidé que les trois personnes en question avaient commis une erreur de jugement dans l’exercice de leur profession. Ils n’avaient pu confirmer de manière scientifique la pathologie de Sayyid avant d’effectuer la chirurgie, une accusation dont les médecins ont d’ailleurs confirmé le bien-fondé. Aussi, le Conseil et le syndicat, tout comme Al-Azhar, ont pris à part le chirurgien et ont affirmé qu’« Izzat avait commis une sérieuse erreur médicale en ne confirmant pas la présence d’une maladie [l’hermaphroditisme psychologique] avant d’opérer […]. [Au contraire,] la procédure adéquate aurait été d’arrêter le traitement hormonal et de poursuivre une simple psychothérapie »4.

Le 14 mai 1988, le syndicat des médecins a envoyé une lettre à Sayyid Tantawi, le grand moufti de la République d’Égypte qui est à la tête des théologiens de l’université Al-Azhar, afin que ce dernier émette une fatwa (un édit religieux) sur la question. Tantawi a prononcé la fatwa le 8 juin 1988, tirant la conclusion selon laquelle, si le chirurgien décidait que l’opération était le seul remède pour Sayyid, cette dernière serait alors autorisée. Toutefois, Tantawi, dans sa fatwa, affirmait aussi que « ce traitement ne peut être entrepris suite à la seule manifestation du désir de changer de sexe, car cela constituerait une menace aux principes, aux valeurs et au code éthique de la société égyptienne ». La fatwa prononcée par Tantawi était vague et imprécise en ce qui concerne l’« hermaphroditisme psychique », un terme clinique emprunté par Al-Azhar à la psychologie occidentale et utilisé systématiquement pour décrire Sally. Il est incertain si cet hermaphrodisme psychique devait constituer ou non une raison suffisante et admissible d’un point de vue médical afin de pouvoir considérer une personne comme trans. En effet, l’acceptation de Sally en tant que femme devait pouvoir ouvrir un espace au sein de la pensée islamique pour ses droits et ceux de tous les trans. Cependant, pour Tantawi, Sally « avait été un homme et l’était toujours, seulement un peu moins, en raison de l’ablation de ses organes génitaux masculins qui avaient été remplacés par des organes artificiels, imparfaits et féminins. Elle n’était pas un homme complet, sûrement pas une femme et encore moins, par conséquent, un véritable hermaphrodite »5. De son côté, le syndicat a supprimé l’inscription d’Izzat parmi ses membres et a imposé à l’anesthésiste une amende de 300 livres égyptiennes pour sa participation à l’opération.

Sans aucun point de vue favorable à la chirurgie exprimé dans les journaux, le 29 décembre 1988, la question a finalement été laissée entre les mains de l’État. Aussi, le procureur général et son substitut ont fini par acquitter le chirurgien des accusations qui pesaient contre lui, en infraction à l’article 240 qui interdisait l’infliction de lésions permanentes et de mutilations. Aussi, selon le rapport final du procureur, publié un an plus tard en octobre 1989, Sally pouvait être considérée comme une femme si la chirurgie avait été effectuée selon les normes, les règles et les lois qui régissent ce type d’opérations. Les calamités qui avaient affligé Sally n’ont pas pris fin pour autant, car Al-Azhar continuait de refuser de la reconnaître comme une femme ou de l’admettre à la faculté de médecine pour femmes. Enfin, après l’ouverture par Sally d’une brèche dans le discours du pouvoir, Al-Azhar a commencé à documenter et à institutionnaliser des cas de ce qu’elle considérait comme des hermaphrodites naturel·les. Pour Al-Azhar, un ou une hermaphrodite naturel·le est caractérisé·e par la présence des organes sexuels naturels, mâle et femelle respectivement, dont le genre est déterminé par le sexe duquel jaillit le plus d’urine. Al-Azhar a aussi déclaré que, lorsqu’une quantité égale d’urine jaillit des deux sexes, il y a ambiguïté. On devrait également attendre la puberté et chercher sur le corps des caractéristiques propres à un sexe ou l’autre : pilosité du visage, grossesse, lactation. Si aucune de ces caractéristiques ne fait son apparition, ou si apparaissent à la fois des caractéristiques féminines et masculines, il s’agit d’un véritable cas d’hermaphroditisme6. En novembre 1989, Sally a enfin reçu un document certifiant qu’elle était une femme, soit près de deux ans après la chirurgie. Un an et demi plus tard, la Cour administrative a infirmé la décision d’expulsion d’Al-Azhar qui l’avait empêchée de subir ses examens finaux7.

 […]

En tant que musulman anarchiste, ma critique de la fatwa de Tantawi vise à faire la promotion de pratiques éthiques et politiques qui assureraient la collaboration entre les musulman·es et les anarchistes au sein de ce que Richard J. F. Day décrit comme « les plus récents mouvements sociaux »8. De façon générale, les prétendus mouvements anarchistes occidentaux et les militant·es de la nouvelle gauche acceptent sans aucune remise en question les représentations conservatrices et orientalistes de l’Islam et des musulmans et des musulmanes auxquelles ils et elles sont confronté·es. Selon les représentations les plus répandues parmi les anarchistes, encore plus que parmi le reste de la population, toutes les personnes musulmanes et toutes les interprétations de l’Islam sont empreintes d’une mentalité autoritariste, dogmatique, transphobique, et ce, sans qu’on puisse vraiment en douter. Ce point de vue prédominant nuit aux relations politiques entre musulman·es et anarchistes au sein de groupes comme No One Is Illegal (NOII) et Solidarity Across Borders (SAB), qui comptent parmi les « plus récents mouvements sociaux »9. Cette pratique a été baptisée par Leela Gandhi la politique d’amitié dans un écrit intitulé Affective Communities : Anti-Colonial Thought, Fin-De-Siècle Radicalism, and the Politics of Friendship (2006), inspirée par Jacques Derrida, Jean Luc Nancy, et Maurice Blanchot.

[…]

Je fais ainsi en sorte de déconstruire les perceptions dogmatiques et essentialistes du genre autant chez les anarchistes que chez les musulman·es d’Occident. Je mène à bien cette tâche en évitant d’aborder les pratiques sexuelles de Sally ainsi que ses intersections et insurrections relatives au genre pour plutôt centrer mon propos, dans la mesure où ce court article le permet, autour de la politique trans telle que conçue au sein de cet État postcolonial et capitaliste qu’est l’Égypte, gouverné par une dictature. Dans le cadre de cet essai, je n’entends pas aborder les présumées pratiques sexuelles de Sally au regard de son corps trans. Contrairement à Al-Azhar, je ne me permets pas de supposer que Sally aurait voulu être opérée seulement pour pouvoir avoir des relations homosexuelles. Le genre et la sexualité comme discours diffèrent. Des intersections peuvent exister entre ces deux discours, mais il n’y a pas nécessairement de corrélation.

[…]

En dépit de ce qui semble être un précédent légal de grande importance, la tolérance relative exprimée dans la fatwa de Tantawi ne représente pas le premier cas de transitude en Islam. La République islamique d’Iran, d’un point de vue statistique, se trouve tout juste derrière la Thaïlande pour ce qui est des chirurgies trans, avec entre 15 000 et 20 000 chirurgies par année depuis leur légalisation par l’Ayatollah Khomeini en 1980. Qui plus est, hormis l’existence de personnes trans à l’époque du prophète, selon Everett Rowson, « nous disposons de preuves tangibles qu’une certaine forme d’efféminité et de travestisme chez les hommes était reconnue et institutionnalisée à l’époque préislamique et au cours des premières années de vie des sociétés islamiques de l’Arabie. Contrairement aux autres hommes, ces efféminés ou mukhannathun pouvaient interagir librement avec des femmes, étant donné qu’ils n’avaient, en principe, aucune attirance sexuelle pour elles. Ils ont ainsi agi comme intermédiaires lors des arrangements de mariages ou pour des relations peut-être plus officieuses »10.

Abdulwahab Bouhdiba décrit le point de vue de Tantawi de la manière suivante : « Tout ce qui viole l’ordre [binaire du genre] n’est que grave « désordre », source de mal et foncière anarchie »11. Pour Tantawi, la bipolarité du monde repose sur une stricte séparation entre les deux ordres : le féminin et le masculin. Il affirme aussi que le meilleur moyen de donner forme à l’harmonie voulue par Allah est que les hommes assument leur masculinité et que les femmes assument complètement leur féminité »12. Les allégations rigides et hérétiques de Tantawi relèvent d’une logique binaire, platonique et essentialiste qui dépend d’une tension entre nature et culture, entre noir et blanc, entre vérité et rhétorique, entre parole et écrit, entre le naturel et le non-naturel, entre ceux qui sont contre et ceux qui sont avec nous, sans aucune zone grise. La construction d’une telle pensée binaire révèle un désir misogyne de contrôle et d’amalgame. Les « parties de chacune de ces paires ne sont pas égales. La première y domine plutôt la deuxième, qui devient cet « autre » de la première »13. Pour Tantawi, Sally souffrait d’une « maladie physique dont seule la chirurgie peut avoir raison »14. Tantawi parle de la chirurgie comme un remède qui révèle des organes sexuels « dissimulés ou ensevelis ». Il affirme qu’Allah n’a pas envoyé de maladie sans y donner de remède, traçant ainsi la ligne entre les apparences (zahir), qui peuvent être trompeuses, et l’essence profonde (batin), qui, elle, est toujours vraie15.

[…]

La transphobie est similaire au racisme. Comme Deleuze et Guattari le décrivent, « le racisme procède par détermination des écarts de déviance, en fonction du visage de l’homme blanc […] en intégrant dans des ondes de plus en plus excentriques et retardées les traits qui ne sont pas conformes, tantôt pour les tolérer à telles places et dans telles conditions […] tantôt pour les effacer sur le mur qui ne supporte jamais l’altérité »16. La hiérarchie établie par la fatwa de Tantawi opérait non seulement par détermination du degré de déviance en ce qui a trait à l’homme blanc non efféminé, l’ancien colonisateur, ou même l’homme égyptien non efféminé produit postcolonialement pour chaque réoccupation subséquente, mais en relation avec comment il croit que l’Islam considère une personne trans naturelle. La logique binaire mise en œuvre par Tantawi et Al-Azhar pointe du doigt et déclare : « Ah, ah! Il ne s’agit ni d’un homme ni d’une femme, alors ce doit être un travesti! » Cette logique n’est pas inhérente à l’Islam. La logique d’Al-Azhar et de Tantawi se fonde sur l’idée que voir serait vaticiner alors que l’essence de Sally était balayée du revers de la main comme une « perturbation psychologique », non seulement par Al-Azhar, mais aussi par les psychologues. Enfin, si tel est le cas, alors « montrez-moi Dieu ». Le problème avec leur vision est la logique qu’ils y mettent en œuvre, selon laquelle le corps de Sally ne correspondait pas à un véritable genre duquel il existerait non pas deux possibilités pour chaque personne, mais trois selon ce qu’a admis Tantawi et qualifié de « naturel », avec des mots sortant de sa propre bouche17.

La distinction entre le naturel et le non-naturel démontre la construction, à la fois par Tantawi et par Al-Azhar, d’une hiérarchie comprenant la catégorie « transitude », à des fins d’institutionnalisation, tout spécialement en ce qui concerne la transitude « naturelle » ou « véritable ». Leur propre vision a orienté la pensée musulmane à l’effet que « chaque être humain n’est que d’un seul genre, le « vrai », et que, d’une certaine manière, existe l’idée qu’un·e hermaphrodite soit engagé·e dans un processus d’approfondissement ou de sortie de son état, c’est-à-dire que l’hermaphroditisme serait un processus réduit à des mouvements corporels et psychologiques constants »18. Pour Tantawi, le corps de Sally ne s’articulait et ne s’élevait pas suffisamment ou adéquatement pour avoir le privilège d’être considéré comme un véritable cas d’hermaphroditisme19. Tantawi lui-même affirmait : « Il est permissible d’opérer afin de révéler ce qui était caché des organes sexuels masculins ou féminins. En effet, il est obligatoire de le faire et de le considérer comme un traitement, lorsqu’un docteur digne de confiance le recommande. Toutefois, il n’est pas permis de le faire en raison d’un simple désir de changer de sexe, de devenir un homme pour une femme et vice versa »20. Tantawi veut rationaliser pour lui-même la personne transgenrée de Sally à son stade liminal afin de la discipliner, la classifier et la (ré)insérer. Il le fait en prétendant qu’il n’y aucun antécédent historique de la sorte, consolidant ainsi la dualité normative du genre dans un effort visant à renforcer les hiérarchies de genre en Égypte, un pays à majorité musulmane. Tantawi croyait que le secret de Sally ne nécessitait qu’une solution exacte et chirurgicale. La logique de Tantawi en est une qui renforce la dichotomie esprit-corps par la mobilisation de la conception binaire, une logique qui implique certaines activités dont la mise en œuvre « n’est pas assurée par le droit, mais par la technique; non par la loi, mais par la normalisation; non par le châtiment, mais par des méthodes de contrôle »21.

 […]

Tantawi affirme que la « bivalence est vouloir de Dieu, et la sexualité, qui est mise en relation du mâle et de la femelle, n’est qu’un cas particulier d’une volonté divine absolument universelle »22. Toutefois, pour faire de la rhétorique, nous pourrions demander quel est ce grossier personnage autoritaire responsable de la réglementation d’un corps donné par Allah, c’est-à-dire, qui est Tantawi pour donner priorité au corps sur l’esprit ou à l’esprit sur le corps alors qu’Allah a créé Sally avec un esprit et un cœur, qui n’est ni plus ni moins naturel qu’une personne trans naturelle ou un corps naturel23? Tantawi explique les régulations qu’il propose à la lumière d’un véritable souci et d’un désir d’établir aussi précisément et avec autant de sérieux que possible les limites du sexe pour finalement se rendre compte, selon ses propres aveux, que « la plupart des frontières intersexuelles s’avèrent difficiles à détailler en dépit de l’importance qu’elles ont au regard de la conscience musulmane qui se trouve de plus en plus poussée à ériger des murs impénétrables entre les sexes »24. Tantawi ne prend en considération que les états dits naturels des genres en fonction d’un cadre inaltéré des paramètres biologiques des organes génitaux et répète encore son argument dans sa fatwa selon lequel « un homme véritable est défini par un pénis pleinement fonctionnel » comme source de pouvoir phallique. On en vient donc à se demander si l’analyse freudienne d’Al-Azhar et de Tantawi mobiliserait la même logique pour examiner la situation d’un homme castré lors d’un accident et dont le statut social se trouve compromis au Caire, car cette perte phallique lui ferait perdre, d’un point de vue légal, sa masculinité. Comme l’écrit Paula Sanders, « en cas de doute, la règle [de Tantawi] semble être d’accorder un statut inférieur aux hermaphrodites. Ce qui était important est que le statut supérieur de l’homme soit protégé avec succès. Ces règles assuraient qu’aucun hermaphrodite ne se verrait doté de ce statut à moins qu’il y ait une preuve claire qu’il s’agit d’un homme »25. Tantawi ne considèrent pas les situations pour lesquelles le « véritable » genre ne peut être rendu visible par une chirurgie, tout particulièrement dans les cas où les personnes concernées n’ont pas les moyens de payer pour la chirurgie.

[…]

Le monde est détrempé par des océans de sublime folie qui restent inexplorés. Il ne s’agit pas de la folie des asiles, mais bien de celle qui habite chacun de nous, une folie dissimulée, qui affame et qui libère, une folie de nos (contre)façons intérieures, de notre propre devenir26. Même dans les années qui se sont écoulées depuis 1982, lorsqu’Al-Azhar fut gagnée par la panique et par des fantasmes ancrés en Sally, source de folie, cette « maléfique anarchie » considérée comme « inacceptable à notre époque » résista à son exorcisme et poursuivit son chemin. Sally mena sa vie. Ce n’est que par des procédés artistiques d’autocréation, comme le disait Deleuze, que nous « pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir sur la Lune »27. Le devenir de Sally était sa plus précieuse possession, son asile, sa surface. Plus la panique déchaînée émergeant de la torture publique s’aggravait et plus la folie était affamée au sein d’une tyrannie omniprésente, plus le délire avec lequel Sally résistait était absolu. Imaginez-vous en pleine ville du Caire, dévisagée de toutes parts, essayant d’oublier la surveillance des yeux du monde. Hélas, il était déjà trop tard. Sally n’était déjà plus prisonnière, et ce, depuis longtemps, libérée de son pire fardeau, de ses murs intérieurs. Elle se réconciliait avec un dieu quelconque. Elle devenait, jouant le jeu à fond, explorant le genre, habitée d’une certaine folie, perforant sa coquille pour nager dans le vaste océan. Sally, sans patron, sans usine, ne demandait la permission qu’à elle-même, brisant la dichotomie corps-esprit au Caire, en Égypte, en 1982. Il ne s’agissait pas de la première occurrence de transitude au sein de l’univers islamique, mais Sally résistait, psychiquement, au sein d’une société qui la prenait pour un objet de publicité émeutière, une sorte de vedette de la folie. Elle fit cela à contre-courant de l’opinion publique et d’Al-Azhar dans un pays qui se déclare toujours en état d’« urgence et de terreur »28 depuis plus de 27 ans.

Photo : Jon Ramlan sur Pixabay

1 Jacob Skovgaard-Petersen, Defining Islam for the Egyptian State: Muftis and Fatwas of the Dar Al-Ifta, Leiden : Brill Academic Publisher, 1997, p. 320

2 Ibid., p. 326

3 Jacob Skovgaard-Petersen, Al-Azhar 1922-2006, Copenhague : Vandkunsten, 2007, p. 5

4 Ibid.

5 Ibid., p. 326

6 Abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en Islam, Paris : Presses universitaires de France, 1975, p. 55

7 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit.

8 Richard J. F. Day, Gramsci is Dead : Anarchist Currents in the Newest Social Movements, Toronto : Pluto Press, 2005.

9 Ibid., pp. 189-190

10 Everett K. Rowson, « The Effeminates of Early Medina », Journal of the American Oriental Society, vol. 4, n° 111, 1991, p. 671

11 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 43.

12 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 30.

13 Jane Flax, Thinking Fragments : Psychoanalysis, Feminism, and Postmodernism in the Contemporary West, Oakland : University of California Press, 1990, p. 36.

14 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 330.

15 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 332.

16 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et scizophrénie 2 : Mille Plateaux, Paris : Les éditions de minuit., 1980, p. 218.

17 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 3.

18 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 8.

19 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 3.

20 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 3.

21 Todd May, Political philosophy of poststructuralist anarchism, Pennsylvania State University Press, 1994.

22 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 15.

23 Jacob Skovgaard-Petersen, 2007, op. cit., p. 8.

24 Abdelwahab Bouhdiba, op. cit., p. 43.

25 Paula Sanders, « Gendering the Ungendered Body : Hermaphrodites in Medieval Islam », dans Women in Middle Eastern History : Shifting Boundaries in Sex and Gender, sous la direction de Nikki R. Keddie et Beth Baron, New Haven, Londres : Yale University Press, 1991, p. 81.

26 Félix Guattari, Chaosophy, Semiotext(e), 2009, p. 129.

27 Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris : Presses universitaires de France, 1964, p. 55

28 Félix Guattari, op. cit., p.72