Contestation de masse au Bélarus : aux origines du mouvement

Contestation de masse au Bélarus : aux origines du mouvement

Par Raphael Robitaille

La République du Bélarus, pays d’Europe de l’Est situé entre la Russie, l’Ukraine, la Lituanie et la Lettonie, est le théâtre d’un vaste mouvement de contestation contre le régime autoritaire d’Alexander Loukachenko, président indétrônable depuis 1994, en lien avec l’élection frauduleuse du 9 août 2020. Indépendant depuis 1991 à la suite de la dissolution de l’Union soviétique, le pays est désormais connu comme la « dernière dictature d’Europe[1] ». Fortement dépendant économiquement de la Russie, qui subventionne l’économie biélorusse à coup de milliards de dollars en fournissant de l’énergie bon marché, en effectuant des investissements et en achetant l’essentiel de sa production industrielle, le régime de Loukachenko doit en partie sa longévité politique à Moscou, mais aussi à un système qui ne laisse pas de place au pluralisme. Or, les événements de 2020 menacent sérieusement de faire tomber ce système qui a vraisemblablement outrepassé sa durée de vie utile pour une majorité de la population. Refusant d’accéder aux demandes de ses compatriotes pour une transition pacifique, Loukachenko s’accroche au pouvoir, espérant que le temps et les mesures répressives auront raison des manifestations qui ne cessent depuis août, alors qu’une véritable crise politique se déroule sous nos yeux. 

La goutte qui a fait déborder le vase

L’élection présidentielle du 9 août 2020 aura été la plus contestée de la jeune histoire du Bélarus. Sans surprise, une victoire haut la main pour Alexander Loukachenko, qui aurait récolté plus de 80 % des voix, a été annoncée, reconduisant le leader au pouvoir pour un sixième mandat consécutif. L’élection a été dénoncée et jugée frauduleuse par l’opposition et plusieurs membres de la communauté internationale, dont le Canada[2]. Cette situation a poussé des dizaines de milliers de personnes à sortir manifester dans les rues de Minsk et de plusieurs autres villes du pays pour réclamer le départ de Loukachenko[3]. Les autorités sont notamment accusées d’avoir falsifié les résultats du scrutin, qui, selon les témoignages de membres de la commission électorale, auraient donné la victoire à la leader de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa[4]. Cette « victoire » outrageuse de Loukachenko a été l’étincelle qui a enflammé la colère d’une bonne partie du peuple biélorusse. Les manifestations se sont poursuivies sans relâche depuis l’annonce du résultat, et ce, malgré l’intense répression des forces de l’ordre, qui ont arrêté des milliers de personnes incluant des dizaines de journalistes depuis le début des troubles[5]. Il a également été révélé que des centaines de personnes détenues ont été soumises à de graves sévices de la part des policiers. « Des victimes ont décrit des passages à tabac, des mises dans des positions stressantes pendant de longues périodes, des électrochocs et, dans au moins un cas, un viol, et ont affirmé avoir vu d’autres détenu[∙e∙]s souffrir d’abus similaires, voire pires », révélait Human Rights Watch le 15 septembre 2020[6].

Cela s’ajoute aux multiples tentatives du régime de briser le mouvement d’opposition en gestation au courant de la campagne électorale en usant de menaces, d’intimidation et d’arrestations arbitraires. Les trois principaux opposants à Loukachenko – le banquier et philanthrope Viktor Babariko, le youtubeur prodémocratie Sergueï Tikhanovski et l’homme d’affaires Valery Tsepkalo – ont subi une véritable campagne de persécution politique menée par les autorités et visant à neutraliser leurs chances de gagner l’élection en les disqualifiant de la course. Babariko et Tikhanovski ont notamment été arrêtés et placés en détention quelques semaines avant le vote, alors que Tsepkalo, craignant pour sa vie et pour la sécurité de ses enfants, a fui le pays pour éviter les représailles du régime[7]. Un phénomène particulièrement notable de cette campagne est l’émergence d’un triumvirat de femmes à la tête du mouvement d’opposition à la suite de l’arrestation et de la disqualification des principaux candidats. Svetlana Tikhanovskaïa, épouse de Sergueï Tikhanovski, s’est imposée comme la figure de proue de l’opposition après avoir décidé de se présenter à l’élection à la place de son mari et de joindre ses forces à la campagne électorale de Babariko, menée par la musicienne Maria Kolesnikova, et à celle de Tsepkalo, reprise par sa femme Veronika Tsepkalo.

Or, si Loukachenko ne prenait pas au sérieux l’idée qu’une femme puisse le remplacer à la présidence, affirmant que le pays n’était « pas encore prêt à voter pour une femme[8] », il semble avoir gravement sous-estimé la capacité de Tikhanovskaïa et de ses consœurs à fédérer l’opposition et à s’ériger en option crédible pour une majorité de Biélorusses. Dans un contexte économique de plus en plus difficile, un système politique qui asphyxie toute volonté de changement, une situation sanitaire marquée par l’inaction patente du gouvernement face à la pandémie de COVID-19 et le mépris du président envers certaines catégories de personnes (les femmes, les aîné∙e∙s, les victimes du coronavirus ou toute personne qui s’oppose à lui), les Biélorusses semblent bien décidé∙e∙s à en finir avec le régime de Loukachenko, qui dure depuis maintenant 26 ans.

Les revendications de l’opposition sont simples et plutôt modérées : départ de Loukachenko, libération des prisonniers et prisonnières politiques et tenue de nouvelles élections libres et équitables. Il n’a jamais été question d’une « révolution colorée » comme ce qui s’est produit au début des années 2000 dans l’ancien espace soviétique, ni d’un « Maïdan 2.0 »[9]. Tikhanovskaïa a elle-même démenti les accusations en ce sens peu de temps avant le vote en répondant aux questions de Meduza, un média indépendant basé en Lettonie. N’étant pas une politicienne de carrière, elle a affirmé que son ambition n’était pas de rester au pouvoir, mais seulement de créer les conditions propices à des réformes démocratiques[10]. Elle a néanmoins dû s’exiler en Lituanie deux jours après le vote, selon toute vraisemblance après avoir subi la pression du KGB (les services secrets biélorusses ont effectivement conservé le nom, voire les méthodes, des services soviétiques) qui l’aurait questionnée pendant plusieurs heures avant de l’obliger à lire, devant la caméra, un obscur message appelant la population à cesser les manifestations[11]. Tikhanovskaïa poursuit tout de même le combat depuis Vilnius et semble bien décidée à le mener à terme pour le bien de son pays. Sa collaboratrice Maria Kolesnikova, arrêtée à Minsk le 7 septembre, aurait quant à elle évité de justesse la déportation en déchirant son passeport au moment où les autorités la conduisaient à la frontière ukrainienne[12].

Les élections : un vecteur de consolidation autoritaire au Bélarus

Peu de temps après son arrivée au pouvoir en 1994, Loukachenko amorçait un virage vers ce que les spécialistes de la science politique appellent le « populisme autoritaire » ou encore l’« autoritarisme électoral ». Les régimes de ce type portent généralement un certain nombre de caractéristiques dont la plupart sont visibles au Bélarus : lien inextricable entre l’État et son dirigeant ou sa dirigeante; fusion entre les domaines public et privé; loyauté basée sur la peur et les récompenses plutôt que sur une idéologie; absence de contrepoids au pouvoir du ou de la chef∙fe; dédain du pluralisme politique; imprédictibilité du régime et redevabilité des élites[13]. Le régime conserve néanmoins une façade démocratique, en maintenant toutes les institutions formelles propres aux démocraties représentatives, dont des élections en apparence compétitives, mais dont les dés sont pipés à l’avantage de l’élite au pouvoir. Ainsi, dans les régimes de ce type, une certaine opposition est permise afin de maintenir l’illusion de la démocratie et d’offrir un vernis de légitimité aux dirigeant∙e∙s, mais aussitôt qu’un∙e candidat∙e pose une réelle menace aux autorités en place, celles-ci fabriquent un prétexte pour le ou la neutraliser.

Le sens commun voudrait que les régimes autoritaires comme celui du Bélarus soient basés presque exclusivement sur l’usage de la force pour se maintenir en place. Or, ce cadre analytique occulte les autres dimensions – non moins centrales au fonctionnement de ces régimes – que sont la légitimation et la cooptation. Le chercheur allemand Johannes Gerschewski soutient d’ailleurs que légitimation (processus par lequel l’État fomente le consentement des gouverné∙e∙s), répression (usage de la violence physique afin de prévenir certains comportements ou certaines activités) et cooptation (capacité à lier des groupes stratégiquement importants à l’élite en place) forment les trois piliers sur lesquels repose la stabilité des régimes autocratiques et parmi lesquels la légitimation joue un rôle particulièrement important[14]. C’est en ce sens que les élections et autres procédures démocratiques décoratives sont importantes pour les régimes autoritaires : elles contribuent à fabriquer une légitimité nationale et internationale en présentant le régime comme émanant de la volonté populaire. Et il faut bien reconnaître que jusqu’à relativement récemment, Loukachenko a toujours joui d’un appui profondément enraciné de la population[15], et ce, malgré la violation courante des droits les plus élémentaires par ses forces de sécurité, spécialement en période d’élection.

Car l’histoire électorale du Bélarus en est une de répression et de cooptation des mouvements d’opposition menant immanquablement à leur démobilisation, à leur fragmentation postélectorale, et ultimement à leur incapacité à faire vaciller le régime[16]. Les élections, en somme, participent à un processus de renforcement de l’autoritarisme de l’État et de maintien du statu quo grâce à l’utilisation d’une gamme de « technologies politiques » – neutralisation des élections, répression pour décourager l’activisme politique, dépolitisation du parlement, marginalisation et étiquetage des membres de l’opposition comme marionnettes de puissances étrangères, etc. – visant à écarter toute possibilité de transformation du système. Par le jeu des élections, le régime biélorusse en est ainsi venu, pour ainsi dire, à « dépolitiser la politique » : « En arrivant à retirer le politique de l’arène électorale (et de toute arène publique), les dirigeants actuels ont sécurisé leur statut », écrit Sofie Bedford de l’Université d’Uppsala. « Si la politique n’importe plus, changer le gouvernement devient aussi sans importance, ce qui permet au système de raffermir sa position[17] ».

Dans cet ordre d’idée, il est effectivement possible d’identifier un cycle qui se reproduit en des termes semblables à chacune des élections depuis une vingtaine d’années. C’est ce que Konstantin Ash, professeur associé à l’Université de Floride centrale, identifie comme le « piège électoral[18] ». Les leaders de l’opposition, qui sont en quelque sorte esclaves du financement occidental pour leur mouvement en raison des contraintes imposées par le régime, contesteraient les élections non pas dans le but de remporter la victoire – qui est de toute façon hors de portée –, mais plutôt afin de démontrer leur force à leurs partisan∙e∙s ainsi qu’aux pays donateurs. Lorsque la campagne culmine en élections frauduleuses, l’opposition se mobilise contre le résultat, mais est rapidement réprimée et ses principales têtes d’affiche sont arrêtées ou forcées à l’exil. La mise à l’écart des leaders crée ainsi la division dans leurs rangs et mène ultimement à la fragmentation du mouvement. Les nouveaux groupes cherchent à leur tour à obtenir de l’aide financière et se préparent à la campagne suivante, repartant le cycle de plus belle. C’est cette dynamique qui s’est reproduite encore et encore dans l’ensemble des campagnes électorales, tant législatives que présidentielles, qui se sont déroulées sous Loukachenko.

Quel est donc l’intérêt de l’élection de 2020, si chaque élection se déroule sensiblement de la même façon pour les forces d’opposition? La particularité majeure, selon Sofie Bedford, est que cette élection a attiré beaucoup de néophytes de l’activisme politique, c’est-à-dire des personnes qui en sont à leur première implication dans un mouvement d’opposition, et que cela a ébranlé durablement le statu quo[19]. Là se trouve toute la spécificité de ce mouvement : on assiste à un éveil de la société civile biélorusse qui exprime pacifiquement et avec créativité son exaspération envers le régime en s’appropriant l’espace public. Mais dans un pays où le gouvernement s’évertue à retirer le politique de l’espace public depuis des décennies, comment expliquer cette soudaine politisation de la société?

Causes immédiates et causes profondes du mouvement de contestation

Le mouvement d’opposition qui a pris forme dans la foulée de l’élection du 9 août ne sort évidemment pas de nulle part. Il est plutôt le résultat d’une accumulation de facteurs ayant culminé en un ras-le-bol de masse contre les autorités en place. Ainsi, on ne peut pas attribuer le soulèvement uniquement aux causes immédiates que sont les événements survenus en 2020 : la pandémie, les exactions du régime contre l’opposition, ou la fraude électorale. Certes, tous ces éléments ont joué un rôle. Ils ont en quelque sorte contribué à modifier ce que la littérature sur les mouvements sociaux nomme la « structure des opportunités politiques ». Le Dictionnaire des mouvements sociaux la définit comme « l’environnement politique auquel sont confrontés les mouvements sociaux et qui peut, selon la conjoncture, exercer une influence positive ou négative sur leur émergence et leur développement[20] ». Elle peut être transformée par des événements ponctuels qui viennent changer les rapports de force entre l’État et les groupes contestataires. Ainsi, des éléments comme la pandémie, la répression politique ou la fraude électorale, en effritant la crédibilité de Loukachenko et de son gouvernement au sein de la population, ont créé de nouvelles opportunités pour l’opposition de réagir à ce qu’elle considérait comme des menaces émanant du régime. Car comme l’écrivent Charles Tilly et Sidney Tarrow, « la plupart des gens qui se mobilisent le font contre ce qu’ils perçoivent comme des menaces ou des risques[21] ». Ce serait toutefois exagérer le rôle de ces facteurs et minimiser les tendances qui progressent en arrière-plan depuis plusieurs années au sein de la société civile biélorusse que d’attribuer le mouvement actuel uniquement au contexte d’opportunités politiques.

Des causes plus profondes expliquent aussi la soudaine popularité de l’opposition : stagnation économique et déclin du niveau de vie, politisation de la société civile, et « bélarussification » de l’identité nationale. Le développement de la société civile au Bélarus se conjugue intimement avec la question de l’identité nationale, plus spécifiquement sa « bélarussification »[22]. Un aspect particulier des mouvements d’opposition au Bélarus, et plus que jamais, du mouvement actuel, est l’utilisation de symboles nationaux présoviétiques, tels que le drapeau blanc-rouge-blanc qui était de mise lors de l’éphémère période d’indépendance de la République populaire du Bélarus en 1918, soit avant que les bolcheviks ne conquièrent le territoire. Ce symbole ainsi que pratiquement tous ceux qui réfèrent à l’histoire d’avant 1918 sont interdits par le régime, qui depuis 1994 a entrepris de glorifier le passé soviétique en insistant sur la contribution biélorusse à la victoire contre le nazisme et sur le « miracle économique » du Bélarus de l’après-Seconde Guerre mondiale[23]. Loukachenko a cherché à se présenter en continuité avec une époque que sa base électorale considérait comme une sorte d’âge d’or pour le pays. En imposant une identité « soviéto-biélorusse » noyant les spécificités nationales dans la mythologie socialiste héritée de l’Union soviétique, le régime de Loukachenko a consciemment marginalisé la langue biélorusse, supprimé les symboles nationaux, et nié l’histoire présoviétique du pays. Dans l’optique de tracer une distinction claire avec le régime, l’opposition a cherché à retourner contre lui précisément ces symboles qui sont interdits, se dissociant du même coup des symboles soviétiques associés à Loukachenko. 

La question nationale va de pair avec l’enjeu économique, qui est aussi essentiel à la compréhension du mouvement actuel, car elle fait partie intégrante de l’accord tacite qui existait jusque-là entre le gouvernement et la population. Dans la mesure où les conditions économiques permettaient une vie décente et l’espoir de conditions meilleures à la majorité, cette dernière était prête à tolérer un système politique autoritaire, puisque Loukachenko était perçu comme la clé de voûte du « miracle économique » biélorusse[24]. Il faut savoir que le Bélarus est le seul État postsoviétique à ne pas avoir mené à terme la libéralisation et la privatisation de son système économique. Par conséquent, près de 80 % de son économie est encore contrôlée par l’État. Le gouvernement a aussi maintenu un grand nombre d’acquis sociaux datant de l’Union soviétique tels que la gratuité scolaire, les soins de santé universels, un régime de pension acceptable, ce qui a permis à la population de maintenir un niveau de vie relativement élevé dans les années 1990, comparativement aux États postsoviétiques qui se sont lancés tous azimuts dans la thérapie de choc. Les indicateurs économiques du Bélarus durant cette période témoignent largement de cette situation. Les données fournies par la Banque mondiale montrent par exemple qu’entre 1991 et la crise de 2008, le taux de chômage n’a jamais dépassé le pic de 4 % atteint en 1996. Les taux des pays voisins comme la Russie ou l’Ukraine ont quant à eux atteint jusqu’à respectivement 13,3 % (1998) et 11,9 % (1999) durant la même période[25]. Un constat similaire peut être tiré de la croissance annuelle du produit intérieur brut. Alors que la Russie et l’Ukraine ne retrouvent une croissance positive qu’après la crise financière de 1998 (respectivement en 1999 à 6,4 % et en 2000 à 5,9 %), le Bélarus l’atteint dès 1996 avec une croissance de 2,6 % et se maintiendra en moyenne autour de 8 % annuellement jusqu’en 2008[26]. L’essoufflement du modèle biélorusse dans les dernières années, en partie attribuable à la compétitivité déficiente de sa base industrielle et à un tarissement des flux économiques provenant de la Russie, a néanmoins contribué à l’incapacité du gouvernement à remplir sa part de l’entente et a provoqué une insatisfaction grandissante face aux piètres performances économiques du régime. 

Ainsi, entre l’émergence progressive d’une conscience nationale en rupture avec le discours officiel et les difficultés économiques génératrices d’insatisfaction, la société civile biélorusse a pu trouver un terrain fertile où se développer en dépit des embûches posées par l’État. La jeune génération, plus ouverte sur le monde, plus politisée et plus revendicatrice dans un contexte de resserrement perpétuel des contraintes imposées par le pouvoir, s’en trouve en bonne partie responsable. La jeunesse est depuis longtemps aux devants des mobilisations contre le régime, comme on a pu le voir dès l’élection de 2001, voire avant. Elle a cependant toujours été divisée entre les personnes qui s’opposent au régime et les conformistes politiques[27]. On ne peut donc pas affirmer que la jeunesse est uniformément anti-régime. Ce que l’on peut avancer en revanche, c’est que chaque élection contribue à politiser davantage la société civile et l’identité nationale biélorusse en érodant l’emprise de Loukachenko sur sa population[28]. La stratégie du régime visant à substituer la société civile à des organisations non gouvernementales gérées par le gouvernement (ou GONGO : Government-Organized Non-Governmental Organization)[29] ne semble pas avoir été en mesure d’inverser cette tendance.

D’autant plus que cet éveil de la société civile est aussi en partie attribuable aux efforts de promotion de la démocratie par l’Union européenne, par l’entremise de son « Partenariat oriental », qui vise à tisser des liens économiques et politiques avec les pays frontaliers de l’Union en vue d’encourager leur démocratisation. Si, vers la fin des années 2000, plusieurs pointaient du doigt l’échec de la stratégie occidentale de promotion de la démocratie au Bélarus[30], des recherches récentes soulèvent un décalage entre l’apparente absence de progrès sur le plan gouvernemental et les transformations de fond en cours au sein de la société civile[31]. Les efforts de promotion de la démocratie semblent effectivement avoir eu plus de succès lorsqu’ils étaient axés sur des projets qui touchent les individus dans leur vie quotidienne. Plusieurs personnes en sont venues à comprendre et à intérioriser les normes et les processus démocratiques, pour éventuellement demander des changements.

Ultimes recours de Loukachenko

Le mouvement de contestation actuel au Bélarus est sans précédent dans plusieurs de ses dimensions. Il est le résultat d’une convergence de facteurs qui ont provoqué un ras-le-bol généralisé envers les autorités, et envers Loukachenko lui-même. Or, aussi illégitime et détesté que puisse être Loukachenko aux yeux de la population, il peut encore compter sur certaines cartes qu’il tient toujours dans son jeu. L’une d’elles est la force brute. Si presque toutes les couches de la société se sont retournées contre le président, une catégorie de personnes lui reste bien fidèle : les forces de sécurité. Celles-ci forment effectivement l’un des derniers remparts qui restent fidèles à Loukachenko, et ce, malgré la démission de certains membres dans le cadre du mouvement de protestation. Loukachenko jouit aussi toujours du soutien de Moscou. La possibilité que cette dernière intervienne a d’ailleurs été soulevée dès le début des troubles. Certaines clauses d’assistance mutuelle contenues notamment dans le traité d’union entre la Russie et le Bélarus et dans le traité de sécurité collective pourraient notamment servir de base juridique en vue d’une opération visant à porter secours au régime de Loukachenko[32]. Jusqu’à présent toutefois, Moscou s’est gardée d’intervenir directement au Bélarus en affirmant que c’est aux Biélorusses de régler leurs problèmes[33]. D’un autre côté, le Kremlin a aussi été parmi les premiers à reconnaître la victoire de Loukachenko et à le féliciter. La retenue de Moscou dans le conflit s’explique peut-être par le fait que la Russie ne veut pas apparaître comme la puissance réactionnaire qui s’engage dans les affaires de ses voisins. D’autant plus que jusqu’ici, les manifestations ne démontrent pas de caractère antirusse comme ce fut le cas par exemple en Ukraine en 2013-2014, et le leadership de l’opposition n’a aucune volonté de forcer une séparation entre la Russie et le Bélarus, qui sont très proches culturellement, politiquement et économiquement. Intervenir directement contribuerait certainement à faire changer cet état de fait.

Il ne reste plus qu’à espérer un dénouement pacifique à cette crise. Le peuple du Bélarus s’est fait entendre et continue de le faire; c’est maintenant à Loukachenko et à son régime de le reconnaître et de faire cesser les effusions de sang. Les Biélorusses ont aussi le droit de choisir dans quelle sorte de pays elles et ils veulent vivre. Il est encore temps pour Loukachenko de passer le flambeau dignement.

crédit photo : flickr/KPM


[1] David R. Marples, « Europe’s Last Dictatorship: The Roots and Perspectives of Authoritarianism in “White Russia” », Europe-Asia Studies, vol. 57, no 6, 2005: 895-908. http://www.jstor.org/stable/30043929

[2] Affaires mondiales Canada, « Déclaration du ministre Champagne sur les élections présidentielles au Bélarus », Gouvernement du Canada, 17 août 2020. https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2020/08/declaration-du-ministre-champagne-sur-les-elections-presidentielles-au-belarus.html.

[3] Dmitry Kartsev, « The Contest after the Vote: Eight Major Takeaways from the Immediate Aftermath of the Belarusian Presidential Election », Meduza, 10 août 2020. https://meduza.io/en/feature/2020/08/10/the-contest-after-the-vote.

[4] Kristina Safonova, « How Belarus Voted: Minsk Election Commission Members Explain the Shenanigans and Intimidation Used to Stage Alexander Lukashenko’s ‘Landslide Victory’ ». Meduza, 19 août 2020. https://meduza.io/en/feature/2020/08/19/how-belarus-voted.

[5] Radio-Canada, « La répression s’accentue au Bélarus avec des centaines d’arrestations », 7 septembre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1731948/belarus-minsk-arrestations-manifestation-massive-opposition.

[6] Human Rights Watch, « Biélorussie : Passages à tabac et tortures systématiques de manifestants », 15 septembre 2020. https://www.hrw.org/fr/news/2020/09/15/bielorussie-passages-tabac-et-tortures-systematiques-de-manifestants.

[7] Yan Avseyushkin, « ‘I Didn’t Think It Was All so Fragile’: Inside the Breakout Opposition Campaign That Turned the Belarusian Presidential Election on Its Head ». Meduza, 7 août 2020. https://meduza.io/en/feature/2020/08/08/i-didn-t-think-it-was-all-so-fragile.

[8] Propos rapportés dans Tatiana Kalinovskaya, « Trois femmes défient l’homme fort de la Biélorussie », La Presse, 17 juillet 2020. https://www.lapresse.ca/international/europe/2020-07-17/trois-femmes-defient-l-homme-fort-de-la-bielorussie.php.

[9] Le terme « révolutions colorées » réfère à une série de soulèvements populaires similaires soutenus par l’Occident qui sont survenus dans le monde postcommuniste au début des années 2000. Sous l’impulsion du mouvement étudiant serbe Otpor qui a renversé, par la voie de méthodes pacifiques comme la désobéissance civile, le régime du dictateur Slobodan Milosevic en Serbie, plusieurs mouvements ont essaimé en Géorgie (2003), en Ukraine (2004), et au Kirghizstan (2005), des pays gouvernés par des régimes impopulaires et/ou antidémocratiques rongés par la corruption endémique. Pour en savoir davantage sur les révolutions colorées, consulter Régis Genté, « Les ONG internationales et occidentales dans les « révolutions colorées » : des ambiguïtés de la démocratisation », Revue Tiers Monde, n°193, 2008 : 55-66.

La révolution du Maïdan a quant à elle débuté de façon semblable aux révolutions colorées, alors qu’un mouvement populaire s’est érigé, en novembre 2013, contre la décision du président ukrainien Viktor Ianoukovitch de signer un accord économique avec la Russie plutôt qu’avec l’Europe. Après un intense bras de fer entre l’opposition et le gouvernement, lequel n’a pas lésiné sur la répression pour venir à bout du mouvement qu’appuyait l’Occident, Ianoukovitch a dû fuir en Russie suite à sa destitution par le parlement sous la pression des manifestant∙e∙s. Contrairement aux révolutions colorées toutefois, la situation en Ukraine après la destitution d’Ianoukovitch a éventuellement dégénéré en conflit armé entre les forces gouvernementales appuyées des milices d’extrême droite et les séparatistes de l’est du pays appuyé∙e∙s par la Russie. Voir notamment l’ouvrage du journaliste Frédérick Lavoie, Ukraine à fragmentation, Chicoutimi : La Peuplade, 2015.

[10] Svetlana Reiter, « ‘This Is a Turning Point in Belarusian History’: Opposition Leader Svetlana Tikhanovskaya on How Her Presidential Campaign Is Taking on Lukashenko », Meduza, 27 juillet 2020. https://meduza.io/en/feature/2020/07/27/this-is-a-turning-point-in-belarusian-history.

[11] Le message peut être lu en anglais dans son intégralité via le lien suivant : Meduza, « ‘The People of Belarus Have Made Their Choice’: Belarusian Opposition Candidate Svetlana Tikhanovskaya Calls for End to Protests in Suspicious Video Shared Online », 11 août 2020. https://meduza.io/en/feature/2020/08/11/the-people-of-belarus-have-made-their-choice.

[12] Pavel Polityuk, « Belarusian Protest Leader Ripped up Passport to Avoid Expulsion, Allies Say », Reuters, 9 septembre 2020. https://uk.reuters.com/article/uk-belarus-election-idUKKBN25Z0YY.

[13] Steven M. Eke et Taras Kuzio, « Sultanism in Eastern Europe: The Socio-Political Roots of Authoritarian Populism in Belarus », Europe-Asia Studies, vol. 52, no 3, 2000 : 530-2. https://doi.org/10.1080/713663061.

[14] Johannes Gerschewski, « The three pillars of stability: legitimation, repression, and co-optation in autocratic regimes », Democratization, vol. 20, no 1, 2013: 13-38. https://doi.org/10.1080/13510347.2013.738860.

[15] Yuri Drakokhrust, « Public opinion: back to reality », Белорусский ежегодник (Belarussian Yearbook), no 1, 2016 : 204-14. https://cyberleninka.ru/article/n/public-opinion-back-to-reality

[16] Konstantin Ash, « The Election Trap: The Cycle of Post-Electoral Repression and Opposition Fragmentation in Lukashenko’s Belarus », Democratization, vol. 22, no 6, 2015: 1030-53. https://doi.org/10.1080/13510347.2014.899585.

[17] Traduction libre de Sofie Bedford, « “The Election Game”: Authoritarian Consolidation Processes in Belarus », Demokratizatsiya, vol. 25, no 4, 2017 : 404.

[18] Konstantin Ash, « The Election Trap », Op. cit.

[19] Sofie Bedford, présentation lors de la conférence web « Peaceful Revolution? Reclaiming Democracy in Belarus » animée par David Marples, Association for the Study of Nationalities, 24 septembre 2020. https://nationalities.org/virtual-asn/reclaiming-democracy.

[20] Olivier Fillieule, Lilian Mathieu et Cécile Péchu, éd. Dictionnaire des mouvements sociaux. 2e éd. Paris: Presses de Sciences Po, 2020, 593.

[21] Charles Tilly et Sidney Tarrow, Politique(s) du conflit. De la grève à la révolution. Paris: Presses de Sciences Po, 2008, 106-107.

[22] Hannah Vasilevich, présentation lors de la conférence web « Peaceful revolution? Reclaiming Democracy in Belarus », Op. cit.

[23] Nelly Bekus, « Belarus’s Winding Path to a Post-Soviet Identity », Current History, vol. 118, no 810, 2019: 258-64. https://doi.org/10.1525/curh.2019.118.810.258.

[24] L’enjeu économique est abordé plus en détail dans un balado dédié à la question biélorusse, voir : Elena Gapova, « Protest in Belarus », SRB Podcast, diffusé par le Center for Russian, East European, and Eurasian Studies, Université de Pittsburgh, 11 septembre 2020. https://srbpodcast.org/2020/09/11/protests-in-belarus/

[25] Banque mondiale, « Chômage (% de la population active) (estimation nationale) – Belarus, Ukraine, Fédération de Russie (1991-2008) ».

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.UEM.TOTL.NE.ZS?end=2008&locations=BY-UA-RU&most_recent_year_desc=true&start=1991

[26] Banque mondiale, « Croissance du PIB (% annuel) – Belarus, Ukraine, Fédération de Russie (1991-2008) ». https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?contextual=default&end=2008&locations=BY-UA-RU&most_recent_year_desc=true&start=1991&view=chart

[27] Olena Nikolayenko, « Youth Movements and Elections in Belarus ». Europe-Asia Studies, vol. 67, no 3, 2015 : 469.
https://doi.org/10.1080/09668136.2015.1018870.

[28]  C’est du moins ce que laissent croire les études à ce sujet. Voir par exemple Elena Korosteleva, « Was There a Quiet Revolution? Belarus After the 2006 Presidential Election », Journal of Communist Studies and Transition Politics, vol. 25, no 2-3, 2009: 324-46.
https://doi.org/10.1080/13523270902861038;

Uladzimir M. Padhol et David Marples, « The 2010 Presidential Election in Belarus », Problems of Post-Communism, vol. 58, no  1, 2011: 3-15.
https://doi.org/10.2753/PPC1075-8216580101.

[29] Anastasiya Matchanka, « Substitution of Civil Society in Belarus: Government-Organised Non-Governmental Organisations », The Journal of Belarusian Studies, vol. 7, no 2, 2014: 67-94.

[30] David R. Marples, « Outpost of tyranny? The failure of democratization in Belarus », Democratization, vol. 16, no 4, 2009: 756-76.
https://doi.org/10.1080/13510340903082986.

[31] Elena A. Korosteleva, « The European Union and Belarus: democracy promotion by technocratic means? », Democratization, vol. 23, no 4, 2016: 678-98.
 https://doi.org/10.1080/13510347.2015.1005009.

[32] Dmitry Kartsev, « Here’s How Russia Could Invade Belarus, and Also Why It Probably Won’t », Meduza, 16 août 2020. https://meduza.io/en/cards/here-s-how-russia-could-invade-belarus-and-also-why-it-probably-won-t.

[33] « Belarusians Must Solve Their Problems Themselves’: Kremlin Spokesman Dmitry Peskov Finally Comments on the Crisis in Belarus », Meduza, 19 août 2020. https://meduza.io/en/feature/2020/08/19/belarusians-must-solve-their-problems-themselves.

Sénégal : fallait-il l’arrestation d’un homme politique pour savoir que le pays est en crise?

Sénégal : fallait-il l’arrestation d’un homme politique pour savoir que le pays est en crise?

Par Hermann Habib-Kibangou

Né le 15 juillet 1974 à Thiès, Ousmane Sonko est un homme politique sénégalais. Expert fiscal sorti de l’École nationale d’administration (ENA), il intègre la fonction publique en 2001, comme Inspecteur principal des Impôts et des Domaines. Après plusieurs années de travail, il se voit radié de l’administration publique par le décret N°2016-1239 de l’actuel président Macky Sall. Motif : « manquement au droit de réserve ». Il lui est en effet reproché de critiquer le gouvernement et d’accuser l’État sénégalais d’anomalies fiscales et budgétaires. Ces critiques sont mal perçues par le pouvoir en place. Grâce à un discours antisystème, Sonko arrive à séduire la jeunesse sénégalaise ce qui lui vaut la troisième place lors des élections présidentielles de février 2019. Considéré comme l’étoile montantei de la politique sénégalaise, il se présente comme un révolutionnaire. Deux ans après son exploit, l’homme politique, député depuis 2017, auteur de deux ouvrages, dont Solutions pour un Sénégal nouveau (2018) et Pétrole et gaz au Sénégal (2017), fait l’objet d’accusations de viols et de menaces de mort.

La date du 5 mars 2021 marquera sans doute d’une empreinte indélébile les annales de la politique sénégalaise pour ce qui est désormais connu comme « l’affaire Sonko ». Du nom du jeune parlementaire casamançais, leader du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), arrêté quarante-huit heures plus tôt.

Tout commence en début février 2021, lorsque le principal opposant à l’actuel chef d’État sénégalais fait l’objet d’une plainte de la part d’une employée d’un salon de massage qui l’accuse de viols et de menaces de mort. L’homme politique se rendait dans ce salon de massage pour y soulager ses maux de dos. Aussitôt rendues publiques, ces accusations vont prendre une proportion assez étonnante, voire inquiétante pour l’accusé : le 26 février 2021, il voit son immunité parlementaire être levée par l’Assemblée nationale.

Les causes « floues » d’une arrestation

Le 3 mars 2021, l’homme de quarante-six ans est mis en garde à vue. Si au départ, il ne voulait pas se rendre au commissariat pour répondre aux faits qui lui sont reprochés, il va par la suite changer d’avis. En route pour le Tribunal – accompagné de ses partisans – pour répondre aux deux premières accusations portées contre lui, Ousmane Sonko est mis aux arrêts pour deux nouvelles accusations : « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée ». Du point de vue de l’opposant incriminé, ces accusations semblent injustifiées, d’autant plus qu’aucun incident n’avait été signalé ce 3 mars 2021. De l’avis des forces de l’ordre, la présence des manifestants qui accompagnaient leur leader perturbait la circulation. L’affaire, qui était au départ privée, va devenir une affaire publique. Mais si un homme politique, où qu’il soit, quel qu’il soit, a droit à une vie privée, où peut-on situer la frontière entre sa vie privée et sa vie d’acteur politique? Telle est la question que l’on peut se poser au regard des causes de l’arrestation d’Ousmane Sonko.

La prolongation de la garde à vue

Après deux jours passés au commissariat, Sonko voit sa mise en garde à vue prolongée. Nous sommes le 5 mars 2021. Cette arrestation prolongée est à l’origine des manifestations et des affrontements entre les jeunes et les forces de l’ordre; avec malheureusement des pertes en vies humaines. Il reçoit le soutien du front de l’opposition qui comprend des partis politiques et des mouvements de la société civileii. Pour l’accusé, sorti troisième lors de la présidentielle de 2019, il n’y a pas l’ombre d’un doute que c’est le président sénégalais qui est derrière cette affaire et qui veut l’écarter de la présidentielle de 2024, comme cela a été le cas, avant lui, avec les opposants Karim Wadeiii (fils de l’ancien président Abdoulaye Wade) et Khalifa Salliv (ancien maire de Dakar). Il sied de signaler que des manifestations d’une telle ampleur remontent à juin 2011, lorsque le président Wade ambitionnait de réviser la Constitution dans le but de promouvoir son fils Karim au poste de Président de la République. Résultat : face à la pression populaire, il renonça à son projet et évita au pays de sombrer dans la violence et le chaos. Quant à Ousmane Sonko, il sera libéré après cinq jours de détention. Sa libération était la condition avancée par les manifestants pour mettre un terme aux violences. À sa sortie de détention, bien que resté sous contrôle judiciaire, il demande à ses partisans de poursuivre la « mobilisation pacifiquement ». De son côté, le chef de l’État, Macky Sall, sort de son mutisme après trois jours de manifestations, appelant ses concitoyen·ne·s au calme et à la sérénité. « Taisons nos rancœurs et évitons la logique de l’affrontement qui mène au pire »v, renchérit-il, dans son adresse à la nation. Aussi n’a-t-il pas hésité d’alléger le couvre-feu de minuit à cinq heures du matin, de promettre l’aide de l’État aux familles endeuillées et de faciliter l’accès aux soins des personnes blessées. Si les raisons des émeutes de 2011 sont connues, à savoir le projet de modification de la Constitution et le népotisme, celles de 2021 soulèvent toutefois des interrogations et cachent quelques zones d’ombre.

Des questions persistantes et des zones d’ombre

L’analyse de la situation sociopolitique au Sénégal donne lieu à certaines questions : comment l’accusation de viols présumés d’un leader politique peut-elle justifier ce que le monde entier a vu, à savoir : les manifestations violentes, les pillages de structures commerciales d’enseignes françaises ou d’organes de presse proches du pouvoir, la suspension de chaînes de télévision (proches de l’opposition?) ayant fait circuler des images desdites manifestations, la perturbation des réseaux sociaux, l’interdiction de la circulation des deux-roues motorisés, et le décès d’une dizaine de personnes, dans un pays démocratique, alors qu’on se serait attendu à voir ici et là des mouvements de condamnation de viols présumés? En outre, qu’est-ce qui justifie l’arrestation d’Ousmane Sonko, alors qu’il se rendait, quoique accompagné par ses partisans, à la convocation d’un juge d’instruction pour les faits qui lui sont reprochés? De même, pourquoi accuser ensuite de « trouble à l’ordre public » et de « participation à une manifestation non autorisée » un opposant qui se rend au tribunal? Dans la même perspective, pourquoi le nom de la supposée victime est-il resté secret pendant plusieurs semaines?

Ces interrogations sont l’expression d’une situation complexe aux allures d’un film de police « Made in Senegal », tant les zones d’ombre sont nombreuses et persistantes. Nous en retenons principalement trois. Primo, le nom de la supposée victime, à l’origine de la plainte, a été dévoilé au grand public seulement après des pertes humaines et matérielles. Y aurait-il une raison sur le plan juridique qui empêcherait de révéler au grand public l’identité d’une plaignante, fût-elle une adulte? Secundo, l’affaire Sonko laisse planer un doute, quant à la forme, sur les éventuels mobiles cachés. Ces mobiles sont visibles et lisibles dans les manifestations et les affrontements entre les partisans de Sonko (y compris des jeunes militants appartenant à d’autres formations politiques) et les forces de maintien de l’ordre du Sénégal. Tertio, une autre zone d’ombre non moins importante est celle qui concerne les circonstances ayant conduit à la rapide levée de l’immunité du parlementaire, de surcroit opposant principal au régime. On pourrait ajouter que les associations féministes ou le collectif des droits des femmes sénégalaises ne se sont pas assez fait entendre, même si elles ont mis en garde la classe politique sénégalaise contre « une inégalité de traitement ».

Cette situation, toutes proportions gardées, rappelle l’affaire du Sofitel de New York où l’on voit un homme politique accusé de viol par une femme de chambre. Elle a opposé l’ancien directeur du Fonds Monétaire International (FMI) Dominique Strauss-Khan à l’ex-femme de chambre Nafissatou Diallo, en mai 2011. Sur le fond comme sur la forme, les deux situations se ressemblent, mais à l’envers, pourrait-on dire. Pour le Sofitel de New York, l’accusatrice parle à visage découvert, alors que pour l’affaire du salon de massage de Dakar, l’accusatrice est restée anonyme du début à la fin des émeutes. Sur le fond, il s’agit dans les deux cas d’une accusation de viol portée par deux femmes (presque inconnues du grand public) contre deux hommes politiques qui cherchent à briguer la magistrature suprême dans leurs pays respectifs. Si dans l’affaire opposant Dominique Strauss-Khan à Nafissatou Diallo, il y a eu accord entre les deux parties (accord dont les termes restent confidentiels même si l’accusé nie les accusations de viol), dans celle opposant Sonko à la femme dont le nom était jusque-là inconnu, Adji Sarr, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, il n’y a pas eu de confrontation, à notre connaissance, entre l’accusatrice et l’accusé.

Les réponses et les non-réponses à ces questions portent à croire que la gestion dont « l’affaire Sonko » a été l’objet relève davantage de la sphère politique que de la vie privée. La preuve : les réactions violentes de la part des jeunes qui ont secoué le pays, et qui ont cessé avec la libération de l’opposant inculpé, montrent d’une part l’image d’un pays en crise. D’autre part, suite à l’affaire Sonko, la Tribune,vi rédigée par le collectif d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs sénégalais, est la preuve que le pays de la Teranga (l’hospitalité) qu’est le Sénégal vit une crise aux multiples facettes. « L’affaire Sonko » a été sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Ce que cache la violence des jeunes

Comme il a été dit plus haut, on se serait attendu à des manifestations de dénonciation de viols de femmes ou encore de rassemblements pour l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Curieusement, la capitale Dakar et d’autres villes du pays ont vu des jeunes se livrer à des actes dignes d’une guérilla urbaine, après cinq jours de garde à vue de l’opposant Ousmane Sonko. Conséquences : cinq à onze personnes tuées, des organes de presse détruits, la vie quotidienne tournée au ralenti, menaçant ainsi la stabilité nationale.

Mais que cache une telle violence? Selon un documentaire de Sarah Sakho et Elimane Ndaovii, les jeunes du Sénégal souffrent de plusieurs problèmes parmi lesquels la précarité, le manque d’emploi, l’inadéquation entre la formation et les besoins du marché du travail, l’injustice sociale et économique, etc. Ces maux déjà présents ont été aggravés par la pandémie de COVID-19, conduisant à leur paroxysme le malaise déjà présent chez les jeunes. À ces maux s’ajoutent ceux d’ordre continental, comme la sortie du franc CFA (considérée comme une monnaie coloniale) et son corollaire, qui est l’indépendance économique des pays qui partagent le franc CFA, etc.

En somme, c’est le refus d’un système politique qui est remis en cause. Ousmane Sonko, par son discours antisystème, arrive à séduire cette jeunesse sénégalaise. C’est sans doute dans ce contexte que ces paroles de l’économiste togolais prennent toute leur signification :

« Aujourd’hui, écrit-il, ce sont les jeunes qui se sont emparés du sujet, dans des manifestations, des échanges sur les réseaux sociaux, etc. Le Printemps africain se lève et ce sont les peuples qui aujourd’hui, harassés par des gouvernements autoritaires et corrompus, par des conditions de vie indécentes, aspirent à ce sursaut démocratique. Et dans les démocraties – même si les démagogues sont légion – c’est le peuple qui est souverain. L’actuel président français a affirmé il y a peu que la démocratie, ce n’est pas la rue; mais, dans les pays où la parole est trop souvent confisquée, celle-ci est un baromètre d’opinion que l’on ne peut négliger », dixit Kako Nubukpoviii.

Des paroles qui trouvent un écho plus vaste dans la tribune des intellectuel·le·s sénégalais·es qui, ayant mal à leur pays, ont dans une analyse fort intéressante donné suite aux émeutes du 5  mars 2021.

Le diagnostic des citoyen·ne·s responsables

Dans leur tribuneix publiée par Jeune Afrique le 15 mars 2021, ces journalistes, entrepreneur·e·s ou responsables associatifs « mettent des mots à la place des maux » pour reprendre l’expression de Françoise Dolto, en donnant un visage à la crise que traverse leur pays. « La crise actuelle, écrivent-ils, est le résultat d’un échec collectif à bâtir, depuis des décennies, une démocratie qui transcende les échéances électorales et les institutions nationales […] ». Pour sortir de cette crise nationale dont l’affaire Sonkox n’est qu’un des corollaires, ils proposent cinq mesures qu’ils qualifient d’audacieuses. La première mesure porte sur la nomination, à la tête des ministères de la Justice et de l’Intérieur, de personnalités issues de la société civile pour l’élaboration de réformes ambitieuses. La deuxième propose de mettre un terme aux institutions budgétivores comme le Conseil économique et environnemental (CESE) et le Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) qui devraient être remplacés par un Conseil d’orientation de la jeunesse pour écouter les jeunes, dialoguer pour la mise en place de recommandations stratégiques. La troisième mesure vise la mise en place d’un référendum d’initiative partagée pour permettre aux député·e·s minoritaires d’avoir le soutien d’une partie de la population afin de permettre aux premiers de « soumettre des propositions, en matière d’organisation des pouvoirs publics et de réformes de la politique économique, sociale et environnementale ». La quatrième mesure porte sur la révision du mode de gestion du budget de l’État alors que la dernière vise l’établissement d’un cadre national de soutien au développement inclusif des villes intermédiaires et zones rurales.

Ces mesures, à n’en pas douter, peuvent sortir le Sénégal de la crise qui la menace, à la seule condition qu’elles soient prises en considération par les dirigeant·e·s actuel·le·s et à venir. Il en va de l’avenir du pays et surtout de l’amélioration des conditions de vie de la population.

Que conclure?

Les mesures louables avancées par ce collectif sont un signe fort qui montre où se situe le mal sénégalais, si mal il y a. En effet, l’ampleur prise par l’affaire Sonko, tout comme les conséquences que cela a provoqué, a montré l’image d’un Sénégal en profonde crise. L’affaire serait sans doute passée inaperçue si le régime en place s’était montré plus discret. Malheureusement, en voulant profiter de s’attaquer à celui qui est désormais considéré par les jeunes comme un modèle, le régime sénégalais a montré ses propres failles et ses propres limites, se mettant ainsi à dos son propre peuple, avec malheureusement la perte de cinq à onze vies humaines. Si ce régime avait réussi, pour une raison ou une autre, à mettre à l’écart des opposants comme Karim Wade ou Khalifa Sall, il n’a pas pu le faire (du moins pour l’instant), avec Ousmane Sonko. Si pour les deux premiers opposants, les accusations étaient basées sur leur gestion de la chose publique, pour le dernier, il est davantage question d’un cas de vie privée. Et si aujourd’hui, l’accusatrice affirme être enceinte de l’homme politique, ses propos donnent tout de même à penser. « Si Ousmane Sonko n’a jamais couché avec moi, dit-elle, qu’il le jure sur le Coran. »xi Finalement, y a-t-il anguille sous roche ou pas? S’agit-il d’une affaire de viol ou d’un consentement, voire d’une histoire de cœur qui aurait mal tourné? Du point de vue de la sphère privée, une chose est sûre : seuls les protagonistes savent du fond de leur cœur ce qui s’est réellement passé. Du point de vue de la sphère publique, on se demande s’il y a eu manipulation ou pas, tout en déplorant la dizaine de morts et les pertes matérielles. Avoir un point de vue tranché sur cette affaire demandera certainement aux un·e·s et aux autres de préciser leur point de départ ou d’arrivée (sphère privée ou sphère publique?). D’autres auront un avis qui regroupe, peut-être, les deux sphères. Toujours est-il que l’enjeu est de taille. Au final, il s’agit avant tout de l’avenir de ce pays de l’Afrique de l’Ouest ; 16 294 270 habitants selon les statistiques de 2018xii, en majorité des jeunes. Ceux-ci n’ont que faire des jeux politiques et veulent des dirigeant·e·s qui se soucient de leurs conditions de vie. À trois ans des élections présidentielles, « l’affaire Sonko » servira sans doute de baromètre aux dirigeant·e·s de la mouvance présidentielle comme à celles et ceux de l’opposition qui seraient tenté·e·s de briguer la magistrature suprême. Un faux pas, dans un camp comme dans l’autre, pourrait être lourd de conséquences. Ces dirigeant·e·s savent désormais que les actes posés dans la sphère privée comme dans la sphère publique peuvent, selon les circonstances, se retourner contre elles et eux ou pas. Sans être forcément des « prophètes », elles et ils doivent savoir lire les signes des temps, dans un monde où la COVID-19 rend plus que jamais difficile le rythme de la vie quotidienne, et surtout dans un pays où le marché de l’emploi est largement dominé par le secteur informel.

D’ici 2024 (année des prochaines échéances électorales), les femmes et hommes politiques sénégalais, de la majorité comme de l’opposition, y compris celles et ceux du centre, savent désormais que les revendications des jeunes inhérentes à « l’affaire Sonko » peuvent encore se reproduire au cas où un autre incident surviendrait. Si dans son discours à la nation, Macky Sall a appelé à l’unité en affirmant : « Nous sommes une seule famille, unie par une histoire qui nous assigne un destin commun », les différents protagonistes ne doivent pas oublier ce proverbe africain (yombe) : « Les calebasses placées sur le palmier pour la récolte du vin de palme s’entrechoquent nécessairement, mais elles ne se cassent pas ». Signification : « En famille, on se dispute souvent comme des calebasses. Mais la famille ne se casse pas pour autant ». À bon entendeur, salut!

Crédit photo : MONUSCO Photos, Flickr, https://www.flickr.com/photos/monusco/8102324506

i Seydina Aba Gueye, “Portrait de candidat: Ousmane Sonko, l’étoile montante”. Voaafrique.com, 8 février 2019.

https://www.voaafrique.com/amp/portrait-de-candidat-ousmane-sonko-l-%C3%A9toile-montante/4778759.html

ii Ndèye Khady LO, “Ousmane Sonko: pourquoi y a-t-il des manifestations au Sénégal?” bbc.com, 5 mars 2021.

https://www.bbc.com/afrique/region-54373601.amp

iii Malick Rokhy Ba, Sénégal : la Cour suprême confirme la condamnation de Karim Wade pour enrichissement illicite » La Presse, 20 août 2015.

https://www.lapresse.ca/international/afrique/201508/20/01-4894049-senegal-la-cour-supreme-confirme-la-condamnation-de-karim-wade-pour-enrichissement-illicite.php

iv Ibrahima Bayo Jr., « Procès Khalifa Sall au Sénégal : le dernier « Appel » du 5 juin » La Tribune Afrique, 05/06/2018

https://afrique.latribune.fr/politique/2018-06-05/proces-khalifa-sall-au-senegal-le-dernier-appel-du-5-juin-780656.html

v Raphaël Kahane, « Sénégal : avis de tempête ?» France 24, 10 mars 2021. https://youtu.be/qj43URwHeWU

vi Collectif d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs sénégalais. [Tribune] Cinq mesures pour sortir de la crise au Sénégal » Jeune Afrique, 15 mars 2021. https://www.jeuneafrique.com/1136248/politique/tribune-cinq-mesures-pour-sortir-de-la-crise-au-senega/

vii Sarah Sakho et Elimane Ndao, « Contestation au Sénégal : une jeunesse désœuvrée et en colère » France 24, 10 mars 2021. https://youtu.be/QPhVy7jnwpw

viii Kako Nubukpo, “Du franc Cfa à l’Euro en Afrique de l’Ouest”. Études-mars 2021 – n°4280 : 19-32.

ix Collectif d’intellectuels, entrepreneurs ou responsables associatifs sénégalais. [Tribune] Cinq mesures pour sortir de la crise au Sénégal », op. cit.

x L’affaire Sonko n’est pas définitivement résolue puisqu’il reste sous contrôle judiciaire. En outre, une commission d’enquête a été lancée par le gouvernement sénégalais. Lire Baidy, « Affaire Sonko-Adji/Emeutes : L’Etat va mettre en place une « commission indépendante pour …» Ndiaffatactu.com, 8 avril 2021. https://www.ndiaffatactu.com/index.php/2021/04/08/affaire-sonko-adji-sarr-emeutes-letat-va-mettre-en-place-une-commission-independante-pour/

xi Zale Ndiaye, « Adji Sarr dit être enceinte de Ousmane Sonko » Dakar-Écho, 18 mars 2021. https://www.dakar-echo.com/adji-sarr-dit-etre-enceinte-de-ousmane-sonko-et-demande-justice/

xii Beck Baptiste, Richard Marcoux, Laurent Richard et Alexandre Wolff (2018). Estimation des populations francophones dans le monde en 2018. Sources et démarches méthodologiques, Québec, Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, Université Laval, Note de recherche de l’ODSEF, p. 35.

En attendant la prochaine vague : démocratie et militantisme étudiant au Québec

En attendant la prochaine vague : démocratie et militantisme étudiant au Québec

Il y a neuf ans commençaient à apparaître les premiers signes de ce qui deviendrait le mouvement des carrés rouges. Des manifestations quotidiennes à la grève générale illimitée (GGI) qui a touché près de 50 % de la communauté postsecondaire1, le mouvement étudiant devenu social est, à ce jour, encore considéré comme l’un des plus importants de l’histoire du Québec. Depuis les mouvements de 2012 et de 2015, les quelques revendications portées par diverses associations et regroupements d’associations étudiantes font peu de vagues. Quel est l’état de la démocratie et du militantisme étudiant aujourd’hui, près d’une décennie après le « printemps érable », alors que la pandémie de COVID-19 célèbre son premier anniversaire?

« Comme chaque grève étudiante, 2012 a été une formidable expérience de démocratie, ouvrant à l’idée qu’il est possible d’être autre chose qu’un électeur aux quatre ans et un consommateur », affirme à L’Esprit libre le professeur de philosophie Arnaud Theurillat-Cloutier. Depuis 1968, l’expérience de la GGI s’est reproduite neuf fois dans les universités et les cégeps du Québec2, en plus des grèves à durée limitée ponctuelles et des autres moyens de pression déployés par les associations étudiantes de la province. On peut penser au mouvement de 2015 contre les mesures d’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard ou, plus récemment, à la grève pour réclamer la rémunération des stages et de la formation professionnelle à l’université3. Ces mobilisations n’ont toutefois jamais atteint l’ampleur du mouvement des carrés rouges.

Essoufflement

Pour le professeur4, la force de la mobilisation de 2012 s’est en partie construite grâce à « la persistance d’une infrastructure de la dissidence dans le mouvement étudiant, c’est-à-dire l’existence de structures et de pratiques de démocratie directe et d’actions de masse dans les associations étudiantes, en particulier autour de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante [ASSÉ] ». La coalition large de l’ASSÉ, fondée en 2012, soit la CLASSE, s’est imposée comme acteur dominant du syndicalisme étudiant en 20125. Sa collaboration avec la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), deux entités de représentation étudiante moins radicales, a accordé au mouvement une certaine unité et a favorisé le rapport de force dans les négociations avec le gouvernement.

« Il y a une expérience accumulée des luttes étudiantes entre la grève de 2005 et [de] 2012, ce qui s’est traduit par une meilleure et [une] plus grande capacité d’organisation », explique M. Theurillat-Cloutier, qui rappelle l’importance des grandes sommes d’argent, du savoir-faire ainsi que du nombre plus important de militant·e·s et de savoir théoriques que permet la multiplication des mobilisations. Le transfert de connaissances entre militantes et militants s’effectue entre autres par l’organisation d’assemblées générales comme l’organisation de grèves. L’expérience qui a émané de la mobilisation sur les campus en 2012 peut donc expliquer la proximité dans le temps avec laquelle s’est déclenchée la grève contre les mesures d’austérité de 2015. L’ampleur et l’adhésion populaire n’ont cependant jamais atteint les sommets du mouvement des carrés rouges et la population québécoise était pourtant défavorable à la grève6. Le mouvement des carrés rouges a lui-même été perçu comme un échec par plusieurs, puisque la revendication au cœur du soulèvement, soit l’annulation de la hausse des frais de scolarité de 75 % sur cinq ans prévue par le gouvernement de Jean Charest, a finalement été remplacée par une indexation et non par une annulation intégrale de la hausse. « Bref, il n’y a eu aucun gagnant et, comme dans les tragédies, tous sont morts », écrit le sociologue et chercheur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Benoit Coutu, qui soutient qu’« en 2015, l’échec fut plus profond, disloquant le mouvement étudiant jusqu’à nos jours7».

Défauts d’organisation, revendications trop larges, épuisement militant et répression policière accrue8… Les raisons de cet échec sont difficiles à déterminer, mais la désillusion qu’il entraîne et ses conséquences sont claires pour le politologue Alain Savard : « Si aucune grève n’a lieu pendant une période prolongée sur un campus, le noyau militant perdra progressivement les connaissances liées à l’organisation de grèves et aura de la difficulté à recruter une relève, écrit-il. La participation aux assemblées chutera et l’association étudiante perdra son rôle politique. […] La plupart du temps, lorsque cela arrive, l’association étudiante glisse vers l’organisation d’activités sociales comme les partys et s’oriente vers les clubs d’appartenances9 ». La grève du printemps 2015 serait également à la base de la dissolution de l’ASSÉ en mai 2019. « À la suite de celle-ci, plusieurs critiques avaient été formulées comme un manque de transparence et de confiance envers les personnes élues, résultant en un désinvestissement progressif de la structure10 », peut-on lire sur le site du défunt regroupement d’associations.

Aujourd’hui, les associations étudiantes font face à un nouvel obstacle : la pandémie de COVID-19 et les mesures sanitaires qui en ont découlé forcent les acteur·trice·s de la démocratie étudiante à transformer profondément leurs pratiques.

De nouveaux défis

« J’avais l’impression qu’il se passait quelque chose au Québec et qu’enfin je n’étais plus seul à me battre de mon bord, raconte Vincent Boisclair au Huffpost alors qu’il était confiné dans le domicile de ses parents à Victoriaville11. Quand j’ai appris qu’il y avait un mouvement de grève qui s’annonçait, c’était ça ma vie. […] Depuis un an je préparais ça. Ça s’est juste effondré du jour au lendemain », se souvient l’étudiant en environnement de 25 ans, dont les activités militantes écologistes ont pris fin avec l’annonce du confinement en mars 2020. Les manifestations et les actions pour lutter contre les changements climatiques étaient fréquentes depuis quelques mois avec l’avènement de groupes comme Extinction Rebellion Québec. La marche pour le climat de septembre 2019, qui a attiré des milliers de personnes dont la militante écologiste Greta Thunberg, n’est qu’un exemple de la mobilisation multiforme des militant·e·s étudiant·e·s qui s’organisent autour de la question environnementale, du secondaire à l’université12. La pandémie a mis un frein à cet élan.

Les établissements scolaires postsecondaires offrent, depuis la session d’hiver, la majorité de leurs cours exclusivement en ligne afin de ralentir la propagation du virus. Outre les activités académiques, le travail des associations étudiantes est également perturbé par le passage des salles de classe aux visioconférences. « La pandémie affecte beaucoup nos activités étant donné que nous n’avons plus de contact direct avec nos membres », nous confirme Ariane Monzerolle, exécutante à la vie étudiante de l’Association étudiante du cégep de Saint-Laurent (AECSL). Même si l’AECSL réussit à maintenir ses activités régulières et la majorité de ses assemblées générales — celles-ci ne pouvant avoir lieu que lorsqu’est atteint le quorum déterminé par les membres de l’association —, Ariane redoute que les activités militantes ne soient profondément perturbées. « Je ne pense pas que l’association pourrait présentement prendre des actions provinciales comme dans le passé », affirme-t-elle, citant à titre d’exemples les mouvements de 2012 et de 2015 et expliquant que « c’est difficile [de] rassembler des personnes et [d’]avoir des contacts avec elles et eux [qui soient] organiques ».

Alexandra Henkélé, elle, semble plus optimiste. Jointe par téléphone, la responsable aux affaires externes et aux affaires étudiantes du Mouvement des associations générales étudiantes de l’Université du Québec à Chicoutimi (MAGE-UQAC), en poste depuis septembre 2020, admet « que ce sont de nouveaux défis et toute une approche différente, parce que là il faut parler avec les étudiants et les solliciter à distance, mais je pense que [ce sont] de bons défis et de nouvelles façons de faire qu’il faut apprendre, et c’est l’occasion en ce moment de développer de nouvelles stratégies, de nouvelles façons de penser et de mobiliser ».

Parmi ces défis, on compte le fait que les élections du MAGE-UQAC qui devaient avoir lieu à l’été ont été reportées en septembre. Pendant plusieurs mois, la charge de travail a ainsi reposé sur les épaules de trois personnes, alors qu’elle est normalement répartie entre les membres d’une équipe de dix. Alexandra craint également une baisse progressive de la participation aux assemblées générales (AG), tenues via la plateforme Zoom jusqu’à nouvel ordre : « nos AG avant avaient lieu le midi, dans la cantine, et on distribuait de la pizza gratuite, se souvient-elle. Donc c’est sûr que c’était vraiment facile pour [les étudiantes et les étudiants] d’aller manger à la cantine comme tous les jours, de prendre une pizza gratuite et d’être au courant de tout ce qui se passe à l’université! »

La première assemblée générale de la session d’automne 2020 a, contre toute attente, attiré beaucoup de participant·e·s. Un succès qu’Alexandra explique par l’engouement entourant l’un des enjeux y ayant été abordés, soit la lutte contre le projet Énergie Saguenay de GNL Québec. À l’UQAC, l’opposition au projet de construction d’une usine de liquéfaction de gaz naturel remonte à plus de trois ans. Depuis 2017, le MAGE-UQAC a mené de nombreuses actions, des journées de grève, a formé des partenariats avec plusieurs groupes de défense de l’environnement et, surtout, a réussi à mobiliser le corps étudiant et la population de Chicoutimi autour d’enjeux environnementaux. Un engouement qu’elle explique par la portée majeure du projet de GNL Québec, dont le président a d’ailleurs démissionné à la mi-novembre13. « Le projet de loi 21, ça touche beaucoup les étudiants en droit ou en éducation, donc c’est vraiment plus cette communauté-là qui va être mobilisée, alors que l’environnement, ça touche vraiment n’importe qui », soutient la militante et étudiante en intervention plein-air, dont l’association a même participé aux audiences du BAPE cet automne, et ce, malgré la pandémie.

En plus d’avoir rédigé et présenté un mémoire en son nom, le MAGE-UQAC a invité ses membres à envoyer des lettres personnalisées aux autorités du BAPE pour faire valoir leur désaccord face au projet Énergie Saguenay. Alors que la mobilisation étudiante était au plus bas, Alexandra confie que l’association a réussi à relancer le débat et à susciter l’intérêt de ses membres autour du BAPE en utilisant les réseaux sociaux.

Arnaud Theurillat-Cloutier laisse entendre plus de réserve quant au tournant numérique de la démocratie étudiante : « jamais les réseaux sociaux ne pourront nous donner la qualité de ces liens qui émergent dans et à la suite des assemblées générales étudiantes », se désole-t-il, insistant sur le fait qu’il s’agit d’« une perte importante, car nous avons besoin de lieux physiques pour se rassembler, se reconnaître, débattre de vive voix, confronter véritablement nos perspectives en sortant du confort de nos certitudes, développer notre confiance mutuelle, se reconnaître entre allié·e·s ».

En attendant la fin de la crise sanitaire et le retour aux modes d’exercices de la démocratie étudiante pré-COVID, toutes et tous s’entendent sur le fait qu’il leur faudra se surpasser d’ingéniosité pour redéfinir leur fonctionnement, mais également pour s’attarder à de nouveaux enjeux. Avec la pandémie, l’isolement social et la précarité économique qui n’épargnent pas la population étudiante du Québec, les préoccupations des associations étudiantes, dont le mandat principal demeure la représentation et la défense de ses membres, sont également amenées à changer. Problèmes de santé mentale, dégradation de la qualité des cours et frais de scolarités jugés trop élevés, sans accès aux locaux et aux services réguliers des établissements d’enseignement : tous ces problèmes remplacent, pour l’instant, d’autres luttes politiques et sociales qui étaient prévues à l’agenda des associations étudiantes, avant que l’année qui s’achève n’impose son propre ordre du jour.

Révision de fond: Léandre St-Laurent et Any-Pier Dionne; 

Révision linguistique: Laurence Marion-Pariseau

Alain Savard. « Comment le mouvement étudiant démocratise les structures du militantisme » dans Nouveaux cahiers du socialisme. Hiver 2017. https://www.erudit.org/en/journals/ncs/2017-n17-ncs02920/84472ac.pdf

2 Ibid.

Isabelle Maltais. « Une grève étudiante générale est lancée pour la rémunération des stages » dansRadio-Canada. 18 mars 2019. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1159013/greve-etudiante-generale-remuneration-stages

Il était également engagé dans les mouvements étudiants de 2005 et 2012, et a contribué aux ouvrages collectifs À force d’imagination, Lux, 2013 et Un printemps rouge et noir, Écosociété, 2014).

5 Xavier Lafrance. « La route que nous suivons » dansÀ bâbord!. Octobre-novembre 2012. https://www.ababord.org/La-route-que-nous-suivons

Marco Fortier. « Les Québécois condamnent la grève étudiante ». Le Devoir, 11 avril 2015. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/436957/sondage-leger-le-devoir-les-quebecois-condamnent-la-greve-etudiante

Benoit Coutu. « Le mouvement étudiant de 2015 : retour sur un échec » dans Nouveaux Cahiers du socialisme. Automne 2017. https://www.cahiersdusocialisme.org/mouvement-etudiant-de-2015-retour-echec/

Cassandra Harbour et Christophe Tremblay. « Les effets de la répression policière visant les manifestants dans le contexte du « printemps érable » ». Rapport final présenté à la Ligue des droits et libertés – section Québec, avril 2013. http://liguedesdroitsqc.org/wp-content/uploads/2013/08/rapport_final_harbour_et_tremblay.pdf

Savard, Op.cit.

10 Association pour une solidarité syndicale étudiante. Congrès annuel 2018-2019 : les membres de l’ASSÉ votent en faveur de la dissolution. 29 avril 2019. https://nouveau.asse-solidarite.qc.ca/index.html%3Fp=3788.html

11 Florence Breton. « Militantisme et pandémie : “le momentum de nos actions a été perdu” »,Huffpost, 1er septembre 2020. https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/militantisme-pandemie-momentum-perdu_qc_5f4d1af4c5b64f17e140f4e8

12 Ibid.

13 Alexandre Shields. « Le président de GNL Québec quitte son poste » dansLe Devoir. 11 novembre 2020. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/589527/le-president-de-gnl-quebec-quitte-son-poste

Yatnahaw gaa : Le cri d’un peuple qui refuse de se faire voler sa révolution encore une fois

Yatnahaw gaa : Le cri d’un peuple qui refuse de se faire voler sa révolution encore une fois

Par Raouf Bousbia

Dans une annonce de l’agence de presse officielle algérienne du 22 avril 2019, on apprend l’arrestation du milliardaire Issad Rebrab, propriétaire de Cevital, premier groupe industriel privé de l’Algérie. Contrairement à d’autres personnalités arrêtées la même journée, il s’est souvent opposé au clan de l’ancien président déchu Abdelaziz Bouteflika.

Plusieurs militant·e·s du mouvement de contestation en Algérie soupçonnent une mise en scène du régime algérien et une énième manœuvre pour affaiblir la mobilisation populaire pour un changement en profondeur du système politique en place depuis près de 60 ans.

Avec une constitution taillée sur mesure, le pouvoir en place se donne un semblant de respect constitutionnel qui jusque-là n’a jamais été pris en considération.

Le peuple algérien n’est pas dupe, et chaque vendredi des millions de personnes sortent dans les rues pour dire non à la supercherie.

Une révolution populaire et pacifiste est en cours. Elle réussira peut-être à mettre au pas l’un des régimes les plus opaques du monde moderne.

L’Algérie. Ce pays dont on entend peu parler et qu’on connait beaucoup moins que ses voisins marocain et tunisien, qu’on pense si loin et dont nos médias traditionnels font abstraction.

Et Pourtant, l’Algérie est le plus grand pays du continent africain et du bassin méditerranéen, quatrième pourvoyeur d’immigrant·e·s vers le Canada en 2016, premier fournisseur du Québec en pétrole brut avec 40,8 % en 2012 selon le site du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec et principal partenaire économique du Canada en Afrique avec 1,5 milliard de dollars américains d’échanges bilatéraux entre les deux pays en 2017.

Un pays avec une histoire aussi riche et ancienne que l’apparition de l’humanité sur Terre. Un territoire où plusieurs grandes civilisations se succédèrent, se mêlèrent et s’opposèrent aux civilisations berbères autochtones : phénicienne, romaine, vandale, byzantine, arabe, andalouse, ottomane, française, etc. Autant d’influences qui ont façonné l’identité algérienne moderne.

Des pères fondateurs trahis

Après une longue lutte armée sanglante contre la puissance coloniale française, l’Algérie accède à son indépendance le 5 juillet 1962 et choisit d’adopter un système économique basé sur l’égalité, la modernité et les libertés universelles. Mais très vite, les architectes de la toute jeune république algérienne sont écarté·e·s, poussé·e·s à l’exil ou assassiné·e·s. Ce fut le cas d’Ahmed Ben Bella; un des chefs historiques du Front de libération nationale pendant la guerre d’indépendance et président de la république en 1963, renversé par un coup d’État et emprisonné le 19 juin 1965.

Krim Belkacem, un des six pères fondateurs de la révolution d’indépendance, a quant à lui été poussé à l’exil en 1967 et assassiné en Allemagne le 18 octobre 1970.

Ferhat Abbas, président du gouvernement provisoire de la république algérienne, emprisonné dans un camp au Sahara en 1963.

Hocine Aït Ahmed, un des chefs historiques du front de libération nationale. Il est arrêté en 1964, s’évade de prison en 1966, s’exile en Suisse et ne reviendra en Algérie qu’après les événements de 1988.

Mohamed Boudiaf, un des pères fondateurs de la révolution d’indépendance. Il est emprisonné en 1963 puis s’exile au Maroc en 1964 et sera assassiné 28 ans plus tard.

Beaucoup d’autres figures emblématiques de la guerre d’indépendance connaitront des sorts similaires, à l’instigation du clan d’Oujda dont faisait partie Abdelaziz Bouteflika.

Le clan s’est formé pendant la guerre d’indépendance autour des hauts dirigeants de ce qu’on appelait l’armée des frontières basée au Maroc et en Tunisie par opposition à l’armée de l’intérieur qui, elle, combattait les forces coloniales françaises dans les maquis et les villes algériennes. Depuis la ville d’Oujda au Maroc, le clan prit de l’assurance avec l’affaiblissement de ses frères d’armes restés en territoire algérien.

Après l’indépendance, le clan disposait de la plus importante puissance de feu des différentes factions de l’armée de libération nationale et s’est permis un coup de force pour s’attribuer le mérite de la libération du pays et de ce fait la légitimité pour gouverner sans partage.

« De la confiscation de la révolution d’indépendance par une bande clanique, le régime algérien est né »

Ce régime mettra en place un système politique et de gestion du pays digne des grandes dictatures est-européennes sur le modèle stalinien (parti unique au pouvoir : le Front de libération nationale, interdiction de toute opposition ou revendications politiques, presse indépendante interdite, propagande médiatique, culte de la personnalité, centralisation de l’administration et des pouvoirs législatif et exécutif, etc.).

Influencé par l’Union soviétique et le nassérisme, dont l’idéologie est basée essentiellement sur le panarabisme et le socialisme arabe dans le but ultime d’une unification de tous les pays arabes en une seule et grande nation, le pouvoir algérien se lance dans une vaste opération de nationalisation de ses richesses, dont les plus importantes sont celles des mines en 1966 et des hydrocarbures en 1971. Un contrôle qui lui permettra de lancer de grands projets dits d’intérêt national. Des pôles industriels à la soviétique voient le jour, comme les complexes pétrochimiques et gaziers (Arzew et Skikda), sidérurgiques (Annaba), ou encore les constructions mécaniques (Constantine et Rouiba), par exemple.

Ce dynamisme économique entraînera l’augmentation de la population, l’alphabétisation, l’éducation et la réduction du niveau de pauvreté des classes défavorisées. Mais aussi, il assurera une stabilité politique en créant et entretenant une caste qui gravitera autour du pouvoir décisionnel et y participera, dont le peuple sera complètement exclu, réduit à l’état de simple spectateur. On essaiera par tous les moyens de l’homogénéiser en rejetant et en déconstruisant les différentes identités culturelles qui composent la population algérienne.

Le fer de lance de la politique identitaire algérienne est l’arabisation systématique de toutes les institutions nationales et de toutes les régions, sans aucune considération pour les patrimoines culturels et linguistiques des différentes régions et communautés. Les voix qui se lèvent contre ce système sont muselées et d’innombrables patriotes sont persécuté·e·s ou carrément emprisonné·e·s, ce qui les pousse à œuvrer dans la clandestinité ou depuis l’étranger. Ce fut le cas par exemple pour Saïd Saadi, membre fondateur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, qui a été emprisonné pour son militantisme en 1985, ainsi que pour les activistes du courant des frères musulmans tel qu’Abassi Madani, emprisonné en 1982.

Après le deuxième choc pétrolier, l’économie algérienne révèle ses dysfonctionnements et le mythe du miracle algérien s’effondre. On voit les failles d’une économie basée presque exclusivement sur la rente pétrolière, en plus de la corruption et de la bureaucratie qui gangrènent l’administration algérienne. La chute du prix du baril de pétrole est catastrophique, et le gouvernement ne peut plus assurer les dépenses publiques et les programmes de subvention des denrées de première nécessité, primordiales pour acheter la paix sociale. Très vite, la contestation populaire s’installe et de violentes émeutes éclatent le 5 octobre 1988. Le président de l’époque, Chadli Benjedid, fait appel à l’armée pour rétablir l’ordre. Bilan : plus de 500 morts et des milliers d’arrestations.

La torture est une pratique courante des forces de sécurité et beaucoup de jeunes interpellé·e·s sortent traumatisé·e·s. Le monde vient d’assister au premier printemps arabe, bien avant que ne soit inventé le terme 23 ans plus tard.

Pas une, mais plusieurs révolutions confisquées

Le régime algérien ne sort pas indemne de cette crise, et il sera obligé d’opérer des réformes : autorisation du multipartisme, de la presse écrite indépendante (l’audio-visuel continuera à être sous le monopole de l’État), libération et retour des opposant·e·s politiques sont quelques exemples de concessions. Les tenants du pouvoir jubilent et se font passer pour des réformateurs.

Avec l’autorisation de nouveaux partis politiques, un parti se distingue particulièrement avec son discours haineux envers les partis progressistes : le Front islamique du salut (FIS), créé par Abassi Madani, participe au jeu démocratique tout en rejetant la démocratie. Avec une philosophie inspirée d’une lecture rétrograde du Coran, ses membres veulent purifier la nation algérienne des impies qui la corrompent, selon son virulent et turbulent prédicateur Ali Belhadj.

Le vide social laissé par le régime au sein de la population profite au FIS, qui occupe l’espace public et associatif. Le ras-le-bol des Algérien·ne·s vis-à-vis de la politique laisse le champ libre au parti islamiste pour rafler la mise aux élections législatives de 1991.

Voyant que le contrôle de la situation lui échappe, le régime algérien fait intervenir l’armée encore une fois et interrompt le processus électoral, fait emprisonner les chefs du parti islamiste et pousse le président Benjedid à démissionner.

Les militant·e·s du FIS sont des milliers à prendre les armes et rejoignent les maquis tout en appelant la population à se soulever contre le régime. La population ne suit pas, et c’est alors qu’une guerre sans nom s’engage entre Algérien·ne·s. Les un·e·s la nommeront « guerre civile », d’autres « la décennie noire ».

Des exactions sont perpétrées contre les civils, des attentats à la bombe ont lieu dans les villes, on assiste à des embuscades contre les forces de l’ordre ou encore des assassinats de journalistes et d’intellectuel·le·s. L’Algérie est au bord du gouffre, le régime se cherche une légitimité et convainc Mohamed Boudiaf de mettre fin à son exil et de revenir en Algérie pour la sauver. Boudiaf accepte, il revient, et après quelques mois d’exercice, il est assassiné en direct devant les caméras de télévisions lors d’un discours à Annaba le 29 juin 1992.

Les Algérien·ne·s perdent leur dernier espoir et le pays s’enfonce encore plus dans la violence. Des massacres de masse sont perpétrés, des villages et des quartiers entiers sont la proie de hordes d’assassins disant se battre au nom de Dieu. Les massacres de Bentalha, Raïs et Baraki resteront des traumatismes collectifs pour tout·e·s les Algérien·ne·s. Les groupes terroristes n’épargnent rien ni personne. En plus des massacres de civils, ils incendient les écoles, les bus, les infrastructures industrielles, assassinent les étrangers et étrangères qui continuent à vivre et travailler en Algérie. L’armée algérienne est débordée et mal préparée pour faire face à ce nouveau type de conflit, que le reste du monde découvrira un certain 11 septembre 2001.

Malgré tout, le peuple reste uni et fait face à la situation. Des groupes d’autodéfense se constituent dans les différents villages, et la population citadine développe des réflexes pour contrer les attentats et aider les forces de l’ordre à intervenir rapidement et efficacement. L’armée reprend l’initiative et à la fin des années 1990, les groupes islamistes sont à bout de souffle.

Sous l’égide du président Liamine Zeroual, des négociations sont engagées avec certains groupes islamistes armés, comme l’armée islamique du salut, qui se trouve plus à l’est du pays. La lutte continue contre le Groupe islamique armé (GIA) ou le tristement célèbre Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

Sur fond de conflits internes au sein du régime algérien, le président Liamine Zeroual jette l’éponge et décide de démissionner et d’organiser des élections présidentielles anticipées en 1999. Les raisons de sa démission sont jusqu’à présent inconnues.

Bouteflika, l’usurpateur

Dans son livre Bouteflika, une imposture algérienne paru en 2004, l’écrivain et journaliste Mohamed Benchicou explique en détails comment Bouteflika a exigé aux tenants du pouvoir le score qu’il voulait avoir aux élections présidentielles de 1999 pour remplacer Liamine Zeroual.

Le journaliste rapporte dans son livre que Bouteflika demandait un score plus haut que ce qu’avait obtenu Zeroual lors de son élection en 1995. Il aura gain de cause et obtiendra un score de 73,8 % contre 61,3 % pour Zeroual lors de l’élection de celui-ci. À cause de ce livre, Benchicou verra son journal Le Matin fermé et interdit de publication, et lui-même passera deux années en prison.

Comme premières actions de son règne, Bouteflika mettra en place les projets de loi sur la concorde civile en septembre 1999, et la charte pour la réconciliation nationale en 2005. Avec cela, il accordait par voie légale l’amnistie à des milliers de terroristes qui étaient dans les rangs des groupes armés islamistes, et empêchait également toute éventuelle action judiciaire contre les membres des forces de l’ordre et les militaires qui ont perpétré des exactions. Les familles des victimes du terrorisme et des disparu·e·s sont écartées du débat. Bouteflika se permet même de donner des leçons de morale à des mères de disparu·e·s en pleine assemblée populaire avec l’arrogance qu’on lui connait. Preuve de son mépris pour le peuple, cette phrase qu’il dira lors d’un entretien avec la chaîne de télévision France 2 en 1999 avant son élection : « Si je n’ai pas un soutien franc et massif du peuple algérien, je considère qu’il doit être heureux dans sa médiocrité. »

À partir de ce moment, le régime va entretenir le culte de la personnalité de Bouteflika et l’ériger en sauveur du peuple algérien. On le présente comme celui qui a ramené paix et prospérité, reléguant aux oubliettes tous les sacrifices de la population algérienne pendant la décennie noire, la perte de ses intellectuel·le·s, de ses journalistes, de ses jeunes appelé·e·s mort·e·s au champ d’honneur et même du sacrifice de Mohamed Boudiaf, qui n’aura droit à aucune commémoration officielle sous l’ère bouteflikienne.

Les années 2000 sont marquées par l’augmentation du prix des hydrocarbures, une aubaine pour Bouteflika qui se lancera dans des projets ambitieux : autoroutes, logements sociaux, universités, nouveaux complexes gaziers, métros, tramways, téléphériques, etc. Le problème, c’est qu’aucun équipement constituant ces ouvrages n’est fabriqué dans le pays; l’Algérie importe tout et sans compter. On se permet même d’importer de la main-d’œuvre asiatique malgré un chômage galopant dans le pays. En 20 ans de règne, Bouteflika aura dépensé près de 1000 milliards de dollars américains dans des projets qui auraient dû couter la moitié ou le quart des montants initiaux. Et pour cause, la corruption est généralisée à tous les niveaux de la société, aucun projet ou transaction conclue n’est épargné par les scandales politico-financiers. Des enquêtes sont menées par des pays étrangers qui soupçonnent leurs propres compagnies de participer à la corruption, comme ce fut le cas pour la justice italienne qui avait lancé une enquête visant le géant pétrolier ENI et sa filiale Saipem. Même ici, au Québec, l’Algérie figurait dans certains rapports de la commission Charbonneau qui fut diligentée pour faire la lumière sur les affaires de corruption et de collusion dans le milieu de la construction au Québec.

En outre, Bouteflika fera réviser la constitution sans même convoquer le corps électoral, en 2002 et 2008, pour s’octroyer plus de pouvoirs et principalement pour se permettre de briguer un nombre indéterminé de mandats présidentiels, qui étaient limités jusque-là à deux mandats consécutifs. Malgré ses problèmes de santé, qui réduisent ses apparitions en public depuis 2013, il brigue un quatrième mandat en 2014 et procède à une autre révision de la constitution en 2016, où l’accumulation des mandats présidentiels est remise à un maximum de deux mandats consécutifs, ce qui lui confère quand même le droit de briguer un dernier mandat. S’il est élu de nouveau, Bouteflika cumulerait cinq mandats consécutifs.

Ce qui marquera aussi le règne de Bouteflika, c’est l’isolement et le pourrissement de la situation sociale et politique en Kabylie.

La Kabylie, berceau de la contestation démocratique et identitaire de l’Algérie

Grande région du Nord-Centre de l’Algérie, la Kabylie a toujours été une zone indisciplinée pour le régime algérien. Contrairement aux mouvements de contestations que le reste du pays connaissait sporadiquement pour des revendications liées à l’augmentation des prix des denrées alimentaires ou à l’attribution de logements sociaux, les mouvements contestataires en Kabylie revendiquaient toujours le droit à la démocratie, la pluralité et surtout le respect de l’identité et de la culture berbères. Le pouvoir algérien s’est toujours arrangé pour discréditer les leaders des mouvements démocratiques et culturels de cette région. Il a mené des campagnes de dénigrement et de manipulation et usé d’une répression souvent sanglante, comme en attestent les événements connus sous le nom de « printemps berbère » en 1980, ou le « printemps noir » sous le régime de Bouteflika en 2001, qui présente un lourd bilan de 126 mort·e·s et 5000 blessé·e·s, selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme. Le régime de Bouteflika continuera à marginaliser cette région au point qu’une partie des activistes kabyles se radicalisent en soutenant l’option de la sécession pure et simple du reste du pays.

Pour contrer ces nouvelles revendications, en 2016 Bouteflika officialise l’amazigh (langue berbère) sur le plan national et décrète en 2017 Yennayer fête culturelle nationale et jour férié (jour de l’an berbère coïncidant avec le 12 janvier du calendrier grégorien), en s’arrogeant les mérites et les honneurs de l’aboutissement du combat du peuple kabyle.

Malgré cela, la contestation de l’illégitimité du pouvoir algérien ne faiblit pas et encourage les mouvements démocratiques contestataires dans le reste du pays. On peut penser au mouvement Barakat (« ça suffit », en arabe), apparu lors de la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat en 2014. Ce mouvement issu de la société civile bravait l’interdiction de manifester dans la capitale, Alger. Celles et ceux qui y ont participé ont subi à maintes reprises arrestations et intimidation. Sa figure de proue, Amira Bouraoui, nous a accordé une entrevue lors de son passage à Montréal en septembre 2018 dans laquelle elle a déclaré :

« En Algérie, s’opposer à l’absurde et au non-sens est systématiquement catégorisé par le pouvoir en place comme un complot contre la nation, manipulé par une main étrangère. On cherche à infantiliser le peuple algérien. C’est tout un système qui pose problème aujourd’hui. Un nombre de personnes aux visages inconnus décide ce que doit être le scénario politique en Algérie. Nous avons le devoir de dénoncer cela. »

Le mouvement Barakat n’existe plus, mais un autre mouvement citoyen a vu le jour avec la participation d’Amira Bouraoui : le mouvement Mouwatana (« citoyenneté » en arabe), regroupant des personnes de toutes orientations politiques, des personnalités de l’ampleur d’Ahmed Benbitour et de partis politiques tels que Jil Jadid (« nouvelle génération ») ou l’Union pour le changement et le progrès de Zoubida Assoul. Ce mouvement, très encadré, organise depuis 2018 des rassemblements citoyens dans différentes villes d’Algérie. Chaque fois, les autorités répriment ces rassemblements et procèdent à l’interpellation des membres du mouvement.

Le régime algérien et ses décideurs ont toujours su mater leurs dénonciateurs et dénonciatrices organisé·e·s et structuré·e·s. Toutefois, la maîtrise des mouvements spontanés lui échappe complètement et ce genre de mouvement dénonciateur s’est trouvé une tribune, une tribune que même les islamistes n’ont pas osé interdire pendant la décennie noire : les stades de soccer.

Le soccer est le seul loisir accessible à la jeunesse algérienne. Omniprésent dans le quotidien des Algérien·ne·s, le soccer fait presque partie de la composante identitaire nationale. Effectivement, pendant la guerre d’indépendance, ce sport a servi d’arme politique contre le pouvoir colonial. Se retrouver dans les gradins des stades pour encourager son équipe est devenu avec les réseaux sociaux un moyen d’expression, le seul lieu où la jeunesse algérienne peut se retrouver pour chanter et crier son mal-être.

Les partisan·e·s des clubs de soccer de tout le pays innovent et font preuve d’une imagination littéraire et artistique des plus impressionnantes. Ils et elles ont même provoqué un incident diplomatique entre l’Algérie et l’Arabie saoudite et poussé Ahmed Ouyahia, premier ministre algérien pendant les faits, à présenter des excuses officielles aux autorités de la monarchie wahhabite, offusquée par une banderole déployée dans le stade de la ville d’Ain-Mlila lors d’une rencontre entre deux clubs de deuxième division du championnat national le 15 décembre 2017.

L’éveil de tout un peuple

Depuis le 8 mai 2012 à Sétif, où il déclare qu’il est temps de passer le flambeau à la jeunesse lors de son dernier discours public, Bouteflika ne s’adresse à son peuple que par l’intermédiaire de lettres et de messages verbaux transmis par des figures diverses du régime algérien. Et c’est de cette manière qu’il annonce le 10 février 2019 sa candidature pour un cinquième mandat présidentiel aux élections qui devaient se tenir le 18 avril 2019. En réponse à cette annonce, plusieurs voix se sont élevées dans le pays et les premières manifestations contre cette candidature apparaissent à Chleff, Bordj-Bou-Arreridj, Bejaïa, Annaba ainsi qu’à Kherrata, ville marquant le passé révolutionnaire de l’Algérie, où elles prendront plus d’ampleur.

Dans les rues algériennes, c’est l’indignation. Comment a-t-il pu oser?

Des appels à manifester sont lancés sur les réseaux sociaux, le rendez-vous est donné pour le vendredi 22 février 2019 (vendredi étant jour de congé de fin de semaine dans le pays). Le jour J, des centaines de milliers de manifestant·e·s sortent dans les rues de la majorité des villes du pays. Ces manifestations pacifiques surprennent tout le monde, les autorités et l’appareil de l’État sont en total décalage. Aux nouvelles de la télévision d’État, on n’en fait aucune mention, pareil pour les autres chaînes de télévision, toutes proches du cercle présidentiel. Les médias étrangers n’en font qu’un fait divers sans grande importance, alors que des portraits de Abdelaziz Bouteflika sont arrachés des façades des immeubles et piétinés par la foule lors de ces manifestations. Stupéfaites, les forces de l’ordre restent en retrait et n’interviennent pas. Les manifestations se terminent en fin de journée sans heurts, quelques échauffourées autour du quartier du palais présidentiel mises à part.

Le lendemain, on annonce que le président de la république annule sa sortie pour l’inauguration de la grande mosquée d’Alger et le nouveau terminal de l’aéroport Houari-Boumediene, pour raison de déplacement médical vers la Suisse. Les hommes de main du régime se chargent alors de fustiger les manifestant·e·s comme le fit le général et chef d’État-Major Ahmed Gaïd Salah en les traitant lors d’une intervention télévisée « d’ingrats, ignorant les réalisations du président Bouteflika ». Les manifestations continuent pendant toute la semaine, assurées par les étudiant·e·s jusqu’au vendredi 1er mars 2019, où des centaines de milliers de personnes sortent une seconde fois dans une ambiance bon enfant, avec un seul slogan : « Non au 5e mandat de Bouteflika ». Pour les manifestant·e·s, le message est clair et ils et elles pensent que le clan présidentiel a compris. Mais voilà que les figures du régime s’entêtent et vont même brandir le spectre du scénario syrien. Ahmed Ouyahia, premier ministre au moment des premières manifestations et figure emblématique du régime algérien, dira : « Je vous avertis, la révolution en Syrie a commencé avec des roses»

Le 3 mars, Bouteflika officialise sa candidature en déposant par procuration son dossier au conseil constitutionnel, accompagné d’une lettre adressée au peuple algérien dans laquelle Bouteflika s’engage, s’il est élu, à organiser une conférence nationale pour une nouvelle constitution qui établirait la démocratie et enfin, il promet de se retirer avant le terme de son mandat. Le vendredi qui suit cette annonce est la journée mondiale pour les droits des femmes et pour cette occasion, les femmes algériennes sortent massivement dans les rues et viennent grossir encore plus les foules. 24 heures plus tard, Bouteflika rentre de son séjour médical en Suisse et son loyal chef d’État-Major Ahmed Gaïd Salah change de ton à l’égard des manifestant·e·s et annonce qu’il est du côté du peuple et qu’il le soutiendra. Le lendemain, Bouteflika renonce à un cinquième mandat en adressant une nouvelle lettre qui reporte les élections présidentielles à une date indéterminée. Ce délai a pour but, dit-il, d’organiser sa fameuse conférence nationale pour une nouvelle constitution qui ouvrira la voie à la démocratie et aux réformes demandées par le peuple. En d’autres termes, il prolongerait son quatrième mandat.

Le peuple se sent floué et décide de continuer la mobilisation pacifiquement dans toutes les villes d’Algérie, ainsi que dans certaines grandes villes du monde où on compte de fortes communautés algériennes, comme Paris, Londres ou Montréal. En effet, chaque dimanche depuis le 24 février 2019, la communauté algérienne du Québec se donne rendez-vous devant le consulat général d’Algérie à Montréal pour manifester son soutien à ses compatriotes resté·e·s au pays et aussi pour attirer l’attention des autorités canadiennes et de la communauté internationale sur ce qui se passe. Une telle mobilisation à l’international est nécessaire afin d’éviter que les autorités algériennes répriment dans le sang leur population comme ce fut le cas en 1988.

Constatant la ténacité des manifestant·e·s et leur détermination, le chef d’État-Major Gaïd Salah qui se révéla être la clef de voûte du pouvoir algérien empressa le président Bouteflika de démissionner afin d’appliquer l’article 102 de la constitution algérienne pour garder une légitimé constitutionnelle. Il prive ainsi le peuple d’une vraie rupture, car avec l’application de cet article, le régime se donne un délai de trois mois afin d’organiser des élections présidentielles, qu’il contrôlera et dirigera selon sa philosophie habituelle.

Après la démission de Bouteflika, c’est Abdelkader Bensalah qui assure l’intérim au poste de chef d’État, avec un gouvernement nommé au préalable par le désormais ex-président de la république.

Le peuple a d’ores et déjà rejeté les dispositions que génère l’article 102 en sortant massivement dans les rues malgré les appels du gouvernement qui assure se porter garant de la transparence et de la légitimité des élections prévues en juillet.

Les Algérien·ne·s savent que leur révolution pacifique pourrait être encore une fois confisquée par un régime vicieux et manipulateur incarné dans la personnalité de Gaïd Salah, qui a pris l’habitude après chaque vendredi de contestation de prendre la parole et de s’adresser à la nation pour empresser les services judiciaires du pays à traduire en justice certaines personnalités qui auraient trempé dans des affaires de corruption et de malversations. Nous assistons en ce moment à des arrestations spectaculaires très médiatisées d’hommes d’affaires et d’anciens proches du clan de Bouteflika. Une manœuvre pour faire croire au peuple à une opération propre, alors que tout cela a pluôt l’air d’un règlement de comptes entre clans et bandes rivales.

Conscient·e·s de la manipulation, les manifestant·e·s continuent leur lutte, et ce, malgré la répression que le régime accentue présentement pour affaiblir le mouvement, en bloquant chaque vendredi matin les autoroutes desservant Alger pour réduire le nombre des manifestant·e·s dans les lieux symboliques de la capitale comme la place Maurice Audin ou l’esplanade de la grande poste.

Le mouvement populaire semble complètement intouchable malgré ces mesures et n’est nullement essoufflé.

Interrogé par L’Esprit libre sur la situation actuelle en Algérie, l’activiste et ancien militant du mouvement culturel berbère Moussa Nait Amara déclare :

« Les manœuvres du pouvoir visent à essouffler la contestation, mais la mobilisation a démontré que le peuple est déterminé à mener à terme sa révolution, dont la revendication est clairement exprimée dans le slogan Yetnahaw gaa  (« ils vont tous partir » en arabe) dont la signification politique est la rupture avec les visages qui symbolisent le système. […] Le peuple, de son coté, doit continuer sa mobilisation pacifique et cela jusqu’à la démission du gouvernement, la dissolution du parlement, et l’arrêt immédiat de l’intervention du chef d’État-Major dans les questions politiques. »

Il ajoute que « la transition doit être entamée par la création d’une instance présidentielle et d’un gouvernement de technocrates composé de personnalités nationales non partisanes ». On comprend que le régime a pratiquement joué toutes ses cartes, et la seule option qui lui reste est la répression et l’usage de la violence.

Pour la porte-parole du mouvement Mouwatana à Montréal, Amel Benaya, le peuple doit « rester uni et pacifique, comme lors de la première sortie; personne ne pourra rien contre lui ». Les manifestant·e·s répondent aux provocations des forces de l’ordre avec pacifisme et souvent même avec humour. Un humour qui accompagne chaque vendredi leurs pancartes de revendications. Cette révolution n’est pas seulement celle du sourire, mais aussi celle de l’amour et celle de l’art. Les artistes Algérien·ne·s accompagnent la lutte pour remonter le moral des nouveaux combattants et nouvelles combattantes de la liberté. Le sentiment patriotique grandit jour après jour et la jeunesse algérienne se rend enfin compte du pouvoir et de la force qu’elle détient avec son pacifisme qui inspire les peuples libres et provoque le désarroi du totalitarisme.

CRÉDIT PHOTO : Fethi Hamlati, WikiCommons,  https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Manifestation_contre_le_5e_manda…(Blida).jpg?uselang=fr

Jean-Paul Fritz, 30 novembre 2018, « L’algérie, nouveau berceau de l’humanité? », L’Obshttps://www.nouvelobs.com/sciences/20181130.OBS6361/l-algerie-nouveau-berceau-de-l-humanite.html

DN, 2 avril 2019, « Algérie : Bouteflika présente sa démission a Tayeb Belaiz ». https://www.youtube.com/watch?v=IhDGG0hhJ8c

Yassin Ciyow, 12 mars 2019, « Chronologie : le réveil algérien en dates », Le monde.

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/12/le-reveil-algerien-en-dates_5434937_3212.html

Ambassade du Canada en Algérie, 21 novembre 2018, « Relations Canada-Algérie », Gouvernement du Canada. https://www.canadainternational.gc.ca/algeria-algerie/bilateral_relations_bilaterales/index.aspx?lang=fra

Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, « Importations et exportations de pétrole et de produits pétroliers ». https://mern.gouv.qc.ca/energie/statistiques/statistiques-import-export-petrole.jsp

Nadia Lamlili, 21 décembre 2017, « Banderole anti-saoudienne en Algérie : Ahmed Ouyahia n’a pas présenté d’excuses officielles à Riyad », Jeune Afriquehttps://www.jeuneafrique.com/504403/politique/banderole-anti-saoudienne-en-algerie-ahmed-ouyahia-na-pas-presente-dexcuses-officielles-a-riyad/

Agence France-Presse, 20 décembre 2017, « Algérie : ouverture d’une enquête après une banderole anti-saoudienne dans un stade », Jeune Afriquehttps://www.jeuneafrique.com/depeches/504077/politique/algerie-ouverture-dune-enquete-apres-une-banderole-anti-saoudienne-dans-un-stade/

S’inspirer du modèle des conseils pour reconstruire la démocratie: le cas des soviets

S’inspirer du modèle des conseils pour reconstruire la démocratie: le cas des soviets

Par Frédéric Legault

Il y a presque 100 ans jour pour jour, le peuple russe se révoltait contre le régime du tsar Nicholas II en pleine Première Guerre mondiale. Sous le leadership de Vladimir Illytch Oulianov, dit Lénine, les révolutionnaires triomphent et appliquent une doctrine idéologique qui n’existait à ce jour que dans les écrits de Karl Marx et de Friedrich Engels : le communisme.

Pendant le prochain mois, nous publierons chaque semaine un article explorant un enjeu de la révolution bolchévique de 1917 relié à l’actualité politique contemporaine. Nous parlerons de la politique étrangère de l’URSS en 1917 et celle de la Russie aujourd’hui, des conflits gelés et de la question nationale, du communisme dans le monde post-soviétique, et de comment le modèle des conseils (soviets) du temps de la révolution peut contribuer aux stratégies contemporaines pour donner davantage de pouvoir au peuple dans une optique de démocratie directe. Voici le deuxième article de cette série.

Face à l’échec patent des socialismes autoritaires du XXe siècle et du capitalisme à régler les problèmes sociaux, économiques et environnementaux, il importe sérieusement de penser des solutions pour sortir de la crise actuelle. En prenant comme point de départ que le mythe populaire incarné dans la célèbre formule de Margaret Thatcher « There is no alternative » est erroné, cet article vise à apporter de l’eau au moulin des solutions possibles en explorant le modèle horizontal, participatif et décentralisé des conseils russes du début du siècle.

Malgré les dérives autoritaires qu’a connues la Russie au cours du siècle dernier, nous croyons qu’il est possible, en distinguant soigneusement le bon grain de l’ivraie, de s’inspirer des prémisses à l’origine des soviets pour reconstruire notre démocratie sur un modèle plus participatif, horizontal et décentralisé. À l’occasion du centième anniversaire de la révolution russe, un devoir de mémoire s’impose pour trouver des remèdes à la déliquescence de notre démocratie.

Que sont les soviets?

À leurs débuts, en 1905, les soviets[1] sont un système de représentant·e·s d’usine, délégué·e·s révocables et élu·e·s démocratiquement par leurs collègues de travail[2]. Ces personnes s’occupent principalement de questions économiques et, marginalement, de revendiquer des droits politiques, alors que la politisation des soviets – d’origine spontanée et ouvrière – ne vient que plus tard. Leurs activités principales consistent essentiellement à négocier avec les patrons (heures de travail, salaires, etc.), à constituer et gérer un fond de grève, ainsi qu’à organiser et convoquer les assemblées locales. 

Le premier rassemblement à fonctionner sur le modèle des soviets est fondé à la mi-mai 1905 dans la ville d’Ivanovo-Voznesensk, centre textile de la région de Moscou. Auparavant surnommée la « Manchester russe » pour ses conditions de travail difficiles, le berceau des soviets est à cette époque le théâtre de grèves d’une durée et d’une intensité sans précédent. Dans ce contexte, les ouvriers et les ouvrières (majoritairement issu·e·s du secteur du textile) se rassemblent pour revendiquer notamment la suppression du travail de nuit et des heures supplémentaires, la mise en place d’un salaire minimum mensuel et l’abolition d’une forme de police attachée à certaines usines[3]. Simple comité de grève à l’origine, le soviet d’Ivanovo-Voznesensk change de nature lorsque la grève prend fin pour devenir le premier organe de représentation des intérêts ouvriers à l’échelle d’une ville entière. En survivant à la grève, il est reconnu comme une instance représentative non seulement par la classe ouvrière, mais aussi par les employeurs et les autorités, qui acceptent de négocier avec cette nouvelle structure.

C’est donc dans l’optique de rassembler et de converger des luttes considérées comme fragmentées mais partageant l’objectif commun de la défense des intérêts ouvriers que les premiers soviets naissent en 1905, comme en témoigne cet extrait du manifeste de la première réunion du soviet de Pétersbourg :

« On ne peut permettre que les grèves naissent et s’éteignent de façon sporadique. C’est pourquoi nous avons décidé de concentrer la direction du mouvement dans les mains d’un comité ouvrier commun. Nous proposons à chaque usine, à chaque atelier, à chaque profession, [d’élire] des député[·e·]s, à raison de 1 pour 500 ouvriers [et ouvrières]. Les député[·e·]s de chaque usine ou atelier constituent un comité d’atelier ou d’usine. La réunion des député[·e·]s de toutes les usines et ateliers constitue le comité ouvrier général de Pétersbourg ».

À l’instar du soviet d’Ivanovo, celui de Pétersbourg s’est donné comme mandat initial la gestion stricte de la grève, mais y survit également lorsque celle-ci se termine à la fin du mois d’octobre. Il passe ainsi d’un simple comité de grève à celui d’organe fédérateur de la défense des droits ouvriers et devient en quelque sorte la préfiguration des soviets de la révolution de 1917. De par sa seule existence et sa forte notoriété, le modèle des soviets se diffuse par la suite en province pour représenter non seulement les intérêts ouvriers, mais également ceux d’autres groupes sociaux (paysan·e·s, soldats, et marins).

Bureaucratisation et centralisation : le retournement des soviets contre eux-mêmes

Peu après la révolution de Février 1917[4], la renaissance et la diffusion des soviets à l’échelle de la Russie témoigne de la vivacité avec laquelle les soviets sont restés frais dans l’imaginaire révolutionnaire des ouvriers et ouvrières. « Ce fut un mouvement spontané en ce sens que les soviets surgirent partout, indépendamment les uns des autres et sans la moindre préparation théorique, en fonction des impératifs de l’heure[5] ». C’est essentiellement face à l’incapacité des partis politiques et des syndicats de se poser en organisation politique vigoureuse, légitime et représentative des intérêts ouvriers que l’on peut aujourd’hui comprendre la popularité des soviets. 

Dès ses premières semaines d’existence, le soviet de Pétersbourg est cependant rattrapé par sa popularité. Les séances du soviet sont en effet si populeuses qu’elles « [tiennent] bien plus du grand et bruyant concours de peuple que de la séance de travail d’une institution parlementaire[6] ». Selon les bolchéviques, ces assemblées sont trop populeuses pour être efficaces et, conséquemment, une réorganisation s’impose. Certaines mesures qui visent à diminuer le nombre de député·e·s et à « améliorer » le fonctionnement de l’institution sont donc mises en place. Le nombre grandissant de tâches quotidiennes qui incombe au conseil exécutif impose une division du travail de plus en plus poussée ainsi qu’une augmentation de sa taille. 

Dans le même souci de rendre plus efficaces les structures décisionnelles révolutionnaires, les bolchéviques instaurent un nouvel organe à l’intérieur même du conseil exécutif : le bureau du conseil exécutif. Cet organe, chargé des affaires courantes, se voit octroyé le droit de prendre des décisions d’ordre politique en cas d’urgence. Ainsi, en moins de deux mois, le soviet de Pétersbourg passe d’un organe ouvert, populaire et démocratique à un appareil administratif bien huilé composé de plusieurs centaines d’employé·e·s. Ce qu’il gagne en efficacité, nous dit l’auteur de Les soviets en Russie, Oskar Anweiler, il le perd en transparence et en démocratie. Assez rapidement, la structure s’alourdit, l’exécutif s’affranchit des délégué·e·s, les séances s’espacent et la participation diminue. Les réformes mises en place par les bolchéviques inversent ainsi le sens du pouvoir au sein des soviets : plutôt que de structures politiques servant à « faire monter » les demandes du peuple, les soviets sont stratégiquement instrumentalisés par les bolchéviques pour devenir la « courroie de transmission » (selon l’expression consacrée de Staline) et diriger les masses. L’aboutissement de la perversion du principe fondateur des soviets s’est incarné dans le système politique bureaucratique, centralisé, autocratique et coercitif qu’était la dictature bolchévique[7]. Lénine, et les bolchéviques avec lui, ont sacrifié la démocratie au profit de l’efficacité révolutionnaire, ne laissant pas la chance aux soviets de déployer leur plein potentiel démocratique.

Pourquoi s’intéresser aux soviets aujourd’hui?

En s’inspirant du modèle des conseils, il ne s’agit pas de plaquer bêtement sur notre société les reliquats d’une structure politique d’une autre époque ou de tomber naïvement dans le mythe des conseils. Il s’agit plutôt de réfléchir à savoir comment les principes de démocratie directe à l’origine de la mise sur pied des soviets peuvent être repris dans un projet collectif de démocratisation de notre société. Comme en témoigne l’avis de convocation à la première rencontre du soviet de Pétersbourg de 1917, le souci démocratique était effectivement à l’avant-plan dans la mise sur pied du projet des soviets : « Afin que la lutte pour la démocratie soit victorieusement menée à son terme, il faut que le peuple crée lui-même son organe de pouvoir propre[8] ». En ce qui a trait aux valeurs démocratiques, ce serait un piège que de jeter le bébé des soviets avec l’eau du bain de l’URSS.

En plus d’être démocratique, le fonctionnement des soviets de 1905 était très flexible. Que ce soit à l’échelle d’un milieu de travail (soviets de fabrique, soviets d’usine), d’une ville, de l’armée ou d’un quartier, le modèle des conseils s’adapte et permet de penser l’auto-organisation d’une communauté à différents niveaux et dans divers secteurs, tout en restant entièrement sous le contrôle de ses participant·e·s. Cette flexibilité serait un atout pour repenser des structures décisionnelles décentralisées adaptées à la réalité éclatée et plurielle de nos modes de vie et de nos sociétés (ruelles vertes, quartiers, arrondissements, municipalités, milieux de travail, communautés virtuelles, etc.).

Mais l’histoire nous rappelle que le modèle des conseils n’est pas non plus une panacée. Il n’est pas en soi démocratique, comme le rappelle Pierre Broué en préface du livre d’Oscar Anweiler : « Le pouvoir des conseils n’est pas par essence démocratique, et […] la condition pour qu’il le soit est que coexistent, reconnus au sein des masses qui le portent, des tendances, organisations, groupes et partis rivaux acceptant les règles qu’il leur donne et qu’ils imposent[9]. » Il s’agirait d’une structure politique décisionnelle fonctionnant sur des règles assurant une participation équitable qui pourrait être investie à différents niveaux par l’ensemble des membres. Similairement à la cité athénienne, aux communes médiévales, à la Commune de Paris de 1871, aux Town-meetings de la Nouvelle-Angleterre, et, plus récemment, au communalisme kurde du Rojava, les soviets s’inscrivent dans la longue tradition historique de la démocratie directe, des communes et du conseillisme.

Sans tomber dans les écueils antidémocratiques des « socialismes réellement existants » du XXe  siècle, la gauche pourrait s’inspirer de l’histoire pour penser des modèles de sociétés post-capitalistes. Celui des soviets a l’avantage de se placer entre le tout-à-l’État et la propriété privée en proposant une solution mitoyenne qui remet en son cœur la démocratie, la participation et la décentralisation. Ce modèle serait de surcroit en adéquation avec l’ensemble des expérimentations collectives et des innovations sociales qui foisonnent actuellement dans les milieux alternatifs et qui fonctionnent pour la plupart déjà sur des bases horizontales de coopération, de consultation, de partage et d’autogestion[10].

Dans un contexte de crise écologique et d’accroissement des inégalités socioéconomiques, il importe de redéfinir collectivement les bases communes d’un autre monde. Ces bases gagneraient en démocratie et en représentativité si elles s’articulaient autour du modèle des conseils, et ne peuvent donc pas se limiter à la prise du pouvoir d’État.

Il serait à cet égard intéressant de mesurer plus en profondeur la proximité du modèle des soviets avec les thèses du municipalisme, qui avance que les leviers de transformations sociales, économiques et politiques se situent à l’échelle municipale[11]. Autrement dit, il s’agirait de concevoir le changement social par la base et essayer de se réapproprier les municipalités afin d’en reconstruire un système politique et économique ancré dans des formes de participation, de discussion et de décision publiques. 

Cent ans plus tard, la question du « que faire? » reste encore ouverte. La révolution au XXIe siècle ne peut pas se permettre d’omettre des questions qui seront centrales à son déroulement, qui ont pour la plupart déjà été soulevées par les révolutionnaires russes sous diverses formes. Où se situe le précaire équilibre entre la participation populaire de masse la plus représentative possible et une certaine forme de « pragmatisme logistique » qui permette à la démocratie directe d’être fonctionnelle à grande échelle? De quels mécanismes les structures politiques émancipatrices devront-elles se doter pour éviter de sombrer dans l’autoritarisme? Comment opérer une coordination et une communication aussi efficace que démocratique entre les différents conseils? Considérant la forte pluralité dans la composition de nos sociétés, comment le modèle des conseils pourrait-il participer à l’intégration des minorités dans le processus décisionnel politique?

L’histoire se doit certes d’être un puits pour guider l’action collective, et ce qui y est puisé doit inévitablement être réinterprété à la lumière des défis du présent.

Aussi dans ce dossier sur la révolution russe :

Les « conflits gelés » et la question nationale dans l’ex-URSS

Le communisme dans le monde postsoviétique : continuité ou déclin?

Le centenaire de la révolution russe : La politique étrangère à un siècle d’écart

CRÉDIT PHOTO: IISG

[1]                      Le terme « soviet » est dérivé du terme russe « sovet », qui veut littéralement dire « conseil », « comité » en russe.

[2]                     Bien que les postes de pouvoir fussent occupés à forte majorité par des hommes, les femmes ont joué un rôle non négligeable dans les événements de la révolution russe de 1917. Pour approfondir le rôle que les femmes ont joué dans ces événements, voire notamment cet article du Temps (https://www.letemps.ch/societe/2017/03/07/femmes-russes-revolution-17-ar…) ainsi que le chapitre sur la révolution russe dans l’ouvrage de Tony Cliff, Class Struggle and Women’s Liberation, originellement publié en 1984 chez Bookmarks et disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.marxists.org/archive/cliff/works/1984/women/index.htm

[3]                     Oskar Anweiler (1972), Les Soviets en Russie (1905-1921), Gallimard, p.48

[4]                      La révolution de Février se déclencha à la suite d’une grève dans l’usine Poutilov, la plus grande de Pétersbourg. La révolution prit de l’ampleur par une grande manifestation d’origine spontanée et ouvrière à l’occasion de la Journée internationale des femmes, quelques jours après le déclenchement de la grève. Une mutinerie dans les rangs de l’armée, qui se répandit comme une trainée de poudre, fut un événement aussi inattendu que charnière dans la révolution de Février. Ces événements débouchèrent sur l’abdication du tsar Nicolas II et la mise en place d’un gouvernement provisoire, lui-même renversé par les bolchéviques quelques mois après.

[5]                     Ibid., p.137

[6]                     Ibid., p. 132

[7]                     Pour une lecture historique détaillée du processus de centralisation et de bureaucratisation du système politique, voire l’ouvrage de Marc Ferro, Des soviets au communisme démocratique. Les mécanismes d’une subversion, publié originalement en 1980 chez Gallimard.

[8]                     Ibid., p. 129

[9]                     Ibid., p. XVII

[10]                      Le documentaire Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, en fait une recension intéressante.

[11]                      Consulter à ce sujet l’ouvrage de Jonathan Durand Folco, À nous la ville. Traité de municipalisme (2017), publié chez Écosociété. 

Bibliographie

Carrère d’Encausse, Hélène (1979), Lénine, la révolution et le pouvoir, Flammarion, 297p.

Ferro, Marc (2017), Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d’une subversion, Gallimard, 352p.

Lénine, Vladimir Illitch Oulianov (1918), Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets, en ligne, consulté le 2 octobre 2017, 15p. https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1918/04/vil19180428.htm

Nin, Andres (1978), Les soviets : leur origine, leur développement et leurs fonctions, En ligne, consulté le 2 octobre 2017, 21p. https://www.marxists.org/francais/nin/works/1932/00/soviets.htm

Anweiler, Oskar (1972), Les soviets en Russie (1905 -1921), Gallimard, 384p.