La montée du terrorisme : une croisade contre les masses désunies

La montée du terrorisme : une croisade contre les masses désunies

Depuis plusieurs mois, l’arrivée des réfugié-e-s syrien-ne-s intervient sur fond de crise politique que ravivent les récents attentats perpétrés en sol parisien. En réaction à ces évènements tragiques, les classes politiques ont d’un même élan embrassé l’option sécuritaire (1). Néanmoins, les mesures de sécurité préconisées par François Hollande répondent aux attentats sans interroger les causes profondes à l’origine de la crise que vit actuellement le peuple français. L’histoire récente permet de voir comment le phénomène de masse inscrit le terrorisme dans un contexte de crise culturelle des sociétés occidentales contemporaines. Nous voulons voir comment le concept de masse fournit un éclairage pour mieux comprendre le phénomène mondial du terrorisme.

L’état d’une crise

Depuis la chute du rideau de fer en 1989, les sociétés connaissent un vide que met en évidence l’absence d’alternative au capitalisme triomphant. La possibilité d’une guerre mondiale voit ainsi rejaillir les haines du passé envers un ennemi qui menace de l’intérieur le monde occidental « civilisé » ainsi que ses alliés. Le phénomène de masse dans lequel s’inscrit aujourd’hui le terrorisme oppose ceux et celles que la peur isole à ceux et celles qui, au nom de la peur, cherchent à imposer à la planète leur conception abstraite du monde. Le fondamentalisme religieux s’inscrit précisément dans cette logique de déstabilisation des populations dont l’isolement doit contribuer à ériger un nouvel ordre mondial né du désordre.

Le phénomène de masse qui caractérise le terrorisme contemporain s’inscrit donc dans un contexte d’atomisation des sociétés européennes. Les barrières culturelles s’estompent en même temps que se globalise la menace d’une terreur sans frontières. Les individus isolés deviennent les cibles d’un adversaire ayant rompu tout lien avec la collectivité. C’est à l’intérieur d’un contexte de massification des sociétés que s’inscrit la crise sociale actuelle dont le terrorisme est l’une des manifestations et, bien entendu, non la moindre.

Contrairement à ce qui s’observe dans un contexte de guerre, le terrorisme vise surtout à déstabiliser l’adversaire. Il s’agit de semer la peur dans les esprits plutôt que détruire physiquement l’ennemi, le nombre de victimes important moins que l’impact psychologique résultant des tueries. Cela s’explique en partie par la faiblesse militaire dont disposent les assaillant-e-s. En effet, les cellules terroristes sont souvent composées de quelques individus qui ne peuvent rivaliser avec un ennemi supérieur en taille et en puissance. Comme le fait remarquer le politologue Gérard Chalian : « Les groupes terroristes sont petits, de quelques personnes à plusieurs milliers, et la majorité d’entre eux ne comprennent que quelques dizaines à quelques centaines de membres (…). Dans de telles circonstances, les groupes terroristes ne peuvent en aucun cas espérer gagner la bataille physiquement » (2). Le phénomène de masse crée donc la possibilité pour les terroristes de maximiser les dommages collatéraux avec un minimum de force requis, sortant du contexte d’une guerre conventionnelle où il s’agit de neutraliser l’ennemi par des moyens imposants. Dans un contexte de masse, au contraire, l’insécurité se diffuse de manière exponentielle sans que ne soit mobilisée une force de frappe importante. Le risque se mesure non seulement au danger réel, mais à la peur que suscite la possibilité d’une nouvelle attaque autant ou encore plus meurtrière que la précédente.

En plus de prendre pour cible les masses, le terrorisme en est aussi le produit, résultat de l’isolement vécu par certaines personnes se sentant extérieures à la société. Bien qu’appartenant à un groupe, les terroristes cultivent un même ressentiment vis-à-vis du monde dont ils-elles se sentent étranger-ère-s. Jacqueline Barus-Michel, professeure émérite en psychologie sociale, parle d’une « recherche désespérée d’identités » chez des gens que plus rien ne rattache à la collectivité et à ses règles de fonctionnement. Se développe alors une communauté restreinte où la quête d’identité passe par le ralliement « à des images fortes, dans lesquelles la violence se trouve condensée sous des formes symboliques (plutôt des signaux) simples (mots d’ordre, slogans, représentations élémentaires du bien et du mal) et qui offrent des filiations directes en substitution à celles qui sont défaillantes (personnage charismatique puissant et impitoyable, héros médiatisés) » (3).

Si l’essor des masses remonte aux bouleversements survenus au siècle dernier, il trouve ses prolongements dans une crise du lien social que vivent actuellement nos démocraties. C’est en effet dans le contexte d’une crise civilisationnelle qu’il faut comprendre le phénomène du terrorisme mondial. Les régimes de masse du siècle dernier et le terrorisme de masse ont en commun l’usage de la terreur comme outil de propagande au service d’une idéologie totalitaire. En effet, le totalitarisme désigne non seulement un régime, mais aussi une manière de penser et de concevoir le monde. Comme le souligne le politologue Alexandre Del Valle : « Ce qui caractérise le plus profondément le totalitarisme, ce n’est pas uniquement la violence et l’hypertrophie d’un État liberticide, mais l’idéologie elle-même (…) le fait d’expliquer le mouvement de l’histoire comme un processus unique et cohérent déduit à partir d’une idée centrale : la loi de la nature et de la race pour le nazisme, de l’histoire ou de la lutte des classes pour le marxisme, ou encore de la soumission de l’humanité à Allah, et donc la lutte des religions et des civilisations pour l’islam » (4). Cette vision n’est jamais destinée à aboutir, puisqu’elle projette sur le monde des valeurs absolues qui visent à changer intégralement la réalité, à réaliser dans l’histoire l’essence de la vérité. On voit donc comment le passé ressurgit aujourd’hui sous des formes parfois un peu différentes, mais tout aussi violentes.

Dans son ouvrage intitulé « Les origines du totalitarisme », la philosophe Hannah Arendt s’intéresse aux sociétés de masse nées des ruines des anciennes puissances impériales ayant connu une expansion considérable entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle. Elles ont ensuite décliné en raison des conséquences socioéconomiques de la Grande Guerre et des désastres humanitaires provoqués par la grande crise financière de 1929. Il nous faut revenir un peu en arrière pour comprendre l’essor du phénomène de masse qui s’observe aujourd’hui par la montée en puissance de mouvements qui, tant ici qu’ailleurs, révèle un malaise identitaire profondément enraciné dans nos sociétés. Bien que le terrorisme de masse soit un phénomène récent, il fait écho à la terreur de masse des régimes totalitaires de l’entre-deux-guerres. On assiste alors à la montée en puissance d’une masse qui prétend ne plus appartenir aux sociétés passées. Les gens ne s’identifient plus à une classe partageant avec le reste de la société un certain nombre de valeurs et de principes communs. La radicalisation de certains individus isolés est en fait l’expression la plus aboutie de ce phénomène qui a connu plusieurs développements dans l’histoire.

D’une crise à l’autre, vers la puissance des masses

Les phénomènes de masse décrits par Hannah Arendt sont nés du déclin des sociétés impérialistes du XIXe siècle. Ces dernières ont assisté le triomphe du capitalisme industriel mondial et l’essor des États-nations en Europe. La puissance montante d’une bourgeoisie régnant sur l’ensemble du continent succède à l’époque où l’aristocratie tenait d’une main ferme les rênes des principaux centres de pouvoir partout sur le continent. L’impérialisme bourgeois, succédant à l’impérialisme des puissances royales, a connu deux phases d’expansion : un pouvoir s’imposant à l’ensemble des classes de la société et une domination s’étendant aux pays colonisés en dehors du « monde civilisé ». C’est ainsi que Arendt distingue deux formes d’impérialisme séparées dans le temps. En effet, l’impérialisme continental précède chronologiquement l’impérialisme colonial des grandes puissances européennes imposant leur domination sur les populations d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient.

Ce contexte s’inscrit dans un mouvement expansionniste. Le sentiment d’appartenance des différentes classes à l’idée de nation constitue l’origine commune que partagent entre eux les membres d’une même société. Ainsi, note Arendt : « Le seul lien qui subsistait entre les citoyen[-ne-]s d’un État-nation où il n’y avait plus de monarque pour symboliser leur communauté fondamentale semblait devoir être un lien national, c’est-à-dire une origine commune » (5).

À l’autorité providentielle qu’incarnait autrefois la personne du prince se substitue l’idée de nation. C’est sur elle que repose l’unité d’un peuple mue par un héritage culturel commun et une vision universelle du progrès humain. Cette vision distingue différentes sociétés selon leur degré d’évolution sur l’échelle de l’humanité. On comprend aisément alors que le racisme puisse devenir le porte-étendard d’une conception de l’humanité où les races inférieures doivent être éduquées par les peuples supérieurs, absolument convaincus d’être les dignes représentants de l’humanité. De cela émerge un sentiment de supériorité qui permet de distinguer les peuples entre eux en fonction de leur positionnement respectif sur l’échelle des races humaines.

L’essor de l’anthropométrie à la fin du XIXe siècle servira d’ailleurs de cadre théorique à la pensée eugéniste contemporaine promouvant des différences de nature séparant entre elles les classes et les cultures. C’est sur cette conception du monde que s’appuient au XIXe siècle les mouvements annexionnistes européens qui se prolongent au siècle suivant, culminant dans un vaste mouvement de décolonisation à partir des années 1940. Reste qu’au XIXe siècle, les différences de races justifient les entreprises coloniales menées au nom du progrès de l’humanité : « Les mouvements annexionnistes prêchaient l’origine divine de leurs peuples respectifs par opposition à la foi judéo-chrétienne en l’origine divine de l’homme » (6).

Les évènements décisifs ayant conduit à la Grande Guerre annoncent pour leur part le déclin des États-nations, remplacés par les régimes de masse d’où vont naître les mouvements totalitaires européens florissant de part et d’autre du continent jusqu’au désastre du deuxième grand conflit mondial. Le phénomène de masse diffère de la référence à l’idée de populace ; cette dernière constitue un mouvement étranger à l’influence des idéologies totalitaires qui n’apparaissent qu’à compter du XXe siècle, accompagnant la montée en puissance des masses.

Le concept de masse et les conséquences de la Grande Guerre

Hannah Arendt oppose le concept de masse à celui de classe sociale pour montrer comment chacun désigne deux phénomènes bien distincts. Tandis que les classes sociales ont des intérêts spécifiques partagés par certains groupes aux valeurs communes, les « masses ne sont pas unies par la conscience d’un intérêt commun ». Ce faisant, note Arendt, « [l]e terme de masse s’applique seulement à des gens qui, soit du fait de leur seul nombre, soit par l’indifférence, soit pour ces deux raisons, ne peuvent s’intégrer dans aucune organisation fondée sur l’intérêt commun, qu’il s’agisse de partis politiques, de conseils municipaux, d’organisations professionnelles ou de syndicats » (7).

Le phénomène de massification s’observe donc à l’intérieur de toute société précisément là où certains individus se trouvent en marge de la communauté, mais c’est dans des périodes de crise identitaire que ce phénomène s’affirme de manière plus éloquente.

Dans le cas des personnes exclues suite aux ravages de la Première Guerre mondiale, la part des mécontent-e-s comprend toutes les classes de la société qui ressentent massivement les conséquences sociales et économiques d’une guerre coûteuse en vies humaines et en biens matériels. Ce sont les anciens soldats, les inadapté-e-s sociales-aux, les marginales-aux, les masses grandissantes de chômeur-euse-s, qui dénoncent le système des partis politiques responsables des malheurs ayant mené l’Europe au bord du gouffre et ayant provoqué la misère des peuples. Ce qui caractérise cette époque tumultueuse, c’est la disparition de l’idée de classe au profit d’une idéologie de masse qui galvanise autour de principes abstraits différents groupes de la société. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le fascisme de Mussolini trouve ses racines dans un radicalisme anarchiste qui connaît à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle une influence importante parmi les gens déclassés.

Personne ne se reconnaît plus dans l’ancien système de classes sociales, préférant à la société de type libéral un modèle de société total où les différences de statuts s’effacent . C’est notamment le cas de l’Allemagne et de l’Italie, grandes perdantes de la Grande Guerre, d’où vont naître les premiers mouvements fascistes d’Europe qui entraîneront celles-ci dans les méandres d’une guerre totale. 

Le constat d’échec des démocraties européennes renforce le sentiment d’isolement vécu par une masse d’individus dont les intérêts ne sont plus représentés par les organisations politiques et par les dirigeants issus d’un monde révolu. On assiste alors à une dissolution du lien social traditionnel basé sur l’autorité des partis au profit d’une atomisation des citoyen-ne-s entraîné-e-s par le vent des masses déferlant sur une Europe en crise. Désormais simples agents d’une masse déclassée, tentant par d’autres moyens que ceux des organisations politiques traditionnelles d’influencer le sort de la société, les grands mouvements totalitaires trouvent des adeptes chez des gens que l’ancienne société n’interpelle plus. C’est ce qui précède la mise en place des régimes dictatoriaux qui recevront le support inattendu des masses durant l’accalmie de l’entre-deux-guerres jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale.

Il s’agit d’une crise des valeurs humanistes classiques qui reflète une transformation en profondeur des sociétés contemporaines. C’est ce qui caractérise l’âge des extrêmes, pour reprendre une expression consacrée par l’historien Éric Hobsbawn (8). C’est aussi l’époque d’un durcissement des positions politiques où s’affrontent désormais de part et d’autre des matrices idéologiques qui rallient des gens issus de milieux très différents. Les différences de classes sont alors momentanément éclipsées par ce ralliement général à une volonté de domination totale sur le monde.

L’existence de masses anomiques, où ne coexistent que des individus, contraste ainsi avec l’époque où les classes sociales composaient le paysage politique des États nationaux. Cette perte de référence s’observe aussi aujourd’hui : en effet, les démocraties représentatives ne parviennent plus à rallier l’intérêt des masses. À la massification des groupes prêtant allégeance au terrorisme, s’observe une massification des populations qui, bien que ne suivant plus la voie tracée par les idéologies extrêmes, n’en sont pas moins réduites à un isolement et à un désenchantement apparemment sans dénouement possible.

Un double phénomène de massification s’observe donc chez les citoyen-ne-s désemparé-e-s et chez les individus radicalisés. Ceux-ci forment des noyaux atomisés cherchant à propager leur message de terreur dans une société profondément divisée de l’intérieur. Pierre Rosavallon pose un diagnostic similaire à celui d’Arendt sur l’état actuel de nos démocraties et la dissolution des différences de classe au profit d’une vision trouble de la réalité sociale. Plutôt qu’à la montée en puissance d’une idéologie totalitaire rejoignant l’ensemble des masses, on assiste à l’indifférence tranquille des peuples que la politique n’intéresse plus. L’auteur décrit cet effritement de la manière suivante :

« Se sont simultanément effrités, à partir des années soixante-dix, le système de la démocratie des partis, le rôle joué par les syndicats et les formes de démocraties sociales préalablement instituées. La crise de la représentation politique s’est inscrite depuis ce moment dans le cadre d’une panne beaucoup plus large de la figuration sociale. La moins grande visibilité des systèmes de différenciation dans nos sociétés, qu’il s’agisse du clivage des classes, des appartenances religieuses ou même du rapport à l’idée de nation, a contribué dans l’ensemble à faire entrer le système représentatif dans cette nouvelle crise » (9).

Quelques éléments hérités du passé refont donc surface dans nos sociétés. L’âge de la méfiance n’est pas sans trouver certaines résonnances avec l’âge des extrêmes dans un contexte où s’opposent l’extrême de l’indifférence et l’extrême de l’épouvante venue d’un ennemi solitaire. Plusieurs individus ne se reconnaissent plus dans un monde où le triomphe de l’économie laisse peu de place au changement et où la possibilité de transformer réellement le monde relève d’un vœu pieux. Se présentent alors des réactions pathologiques qui profitent aux idéologies à vocation totalitaire dont l’influence reste néanmoins limitée et diffuse en comparaison à la fascination exercée par les régimes totalitaires du siècle dernier. Certes, une même conception abstraite du monde s’observe dans le terrorisme d’État et le terrorisme de masse où s’affirme de part et d’autre l’idée d’un monde qu’il faut renverser et reconstruire. Dans les deux cas, c’est la terreur qui est mise à profit pour répandre la peur. L’historien Gérard Chaliand note à ce propos : « Le terrorisme d’État, c’est-à-dire le terrorisme du fort au faible, et le terrorisme du faible au fort, ont de nombreux points en commun. La campagne de terreur a pour but de répandre un sentiment d’insécurité générale qui doit pouvoir atteindre n’importe qui, n’importe quand » (10). C’est dans un contexte de masse que le terrorisme profite de la désorganisation pour aggraver une crise déjà extrêmement vive. Plusieurs exemples permettent d’en témoigner, parmi lesquels figure celui de la France. Le cas français montre bien comment s’est progressivement dilué le vernis social qui permettait d’inscrire les luttes sociales dans un contexte culturel lié à l’idéal républicain de la nation fraternelle. Cet idéal connaît aujourd’hui une crise d’autant plus grande que rien ne semble pouvoir s’y substituer.

Le modèle français : vers une implosion sociale

Le communautarisme français répond à une incertitude ambiante davantage qu’à un problème concret touchant une certaine classe de personnes dont les intérêts seraient directement menacés par la venue des étranger-ère-s. Le vide politique et le discrédit des classes politiques laissent libre cours à des formes de révoltes parfois campées sur des certitudes que ravivent les anciennes croyances. Emmanuel Todd observe comment se traduit cette réaction en fonction de l’emplacement géographique des populations.

Davantage que la classe sociale, c’est l’héritage religieux passé qui influence le degré de peur que suscite la présence étrangère des musulman-e-s en France et le type de réaction de la part du peuple. Les résidus de croyances chrétiennes, très forts à la périphérie du territoire Français, sont néanmoins moins prégnants au centre du pays où s’affirme plutôt un « individualisme homogénéisant ». Ainsi, de « l’individualisme égalitaire du système central dérive l’idéal d’un État régnant sur une société homogène composée d’atomes équivalents » (11), s’opposant à une France plus traditionnelle attachée à la distinction des rangs et à la différence de statuts. N’en demeure pas moins que cette opposition s’inscrit dans une vision plus large d’une république servant de référence où l’étranger-ère doit à tout prix être assimilé-e. Les manières et les modalités que prend cette assimilation sont dictées par le milieu auquel appartient chaque groupe, ce qui n’empêche pas le modèle républicain d’avoir atteint ses limites et de devoir repenser en profondeur ses stratégies d’intégrations des étranger-ère-s.

Le cas de la France met ainsi en évidence un esprit néo-républicain où l’exclusion de l’autre devient paradoxalement la condition de son acceptation. C’est dans un tel contexte qu’on demande à l’immigrant-e de renier ses origines au nom d’un idéal républicain reposant sur l’inclusion par l’exclusion sur fond de valeurs inscrites dans l’histoire nationale du pays. Todd dit ceci à propos de cet universalisme négatif et exclusif : « Le néo-républicanisme est une étrange doctrine, qui prétend parler la langue de Marianne, mais définit dans les faits une République d’exclusion » (12).

On assiste alors à une homogénéisation des points de vue où le sentiment de peur face au monde étrange transcende les barrières de classe et met en évidence un phénomène de massification. C’est ce qui s’est observé durant l’entre-deux-guerres et ce qui trouve des résonnances dans la situation actuelle que vit l’Europe « civilisée ». C’est ainsi qu’on a dit des terroristes qui ont récemment perpétré les attentats à Paris qu’ils étaient des individus sans attaches ou déracinés de leur milieu d’origine. Il s’agirait plus précisément, note la criminologue Sylvia Bréger, d’une « haine farouche envers le monde « extérieur » (13) se manifestant sous la forme d’une double exclusion. D’abord exclus du fait de leurs origines, ils s’auto-excluent par un processus de radicalisation qui leur permet de se constituer en groupe isolé à l’intérieur de la masse. En fait, les terroristes se sont solidarisé-e-s en même temps qu’ils-elles se sont radicalisé-e-s avec d’autres individus vivant comme eux de façon humiliante certains échecs ayant contribué à leur isolement.

Deux alternatives se présentent alors à eux-elles : soit rejoindre la masse, soit se constituer en marge d’elle, c’est-à-dire se marginaliser dans et à l’intérieur de la masse. Un article de Farhad Khosrokhavar, journaliste à Europe solidaire sans frontières, résume cette double issue de la manière suivante : « Par un rude labeur, une partie de ces jeunes parvient à surmonter l’exclusion et à rejoindre les classes moyennes. [Elles et] ils rompent alors souvent les liens avec leur quartier et leurs ancien[-ne-]s ami[-e-]s. D’autres trouvent dans la délinquance le moyen d’acquérir facilement de l’argent et vivre selon le modèle rêvé des classes moyennes. Le mal dont [elles et] ils souffrent le plus est la victimisation : [elles et] ils ont, en effet, tendance à penser que la seule voie d’accès aux aménités des classes moyennes se trouve dans la délinquance, la société leur ayant fermé l’accès à toutes les autres issues » (14).

Se crée alors ce que le politologue Marc Sageman appelle un processus d’implosion sociale parmi un clan qui évolue en dehors de la masse pour mieux s’y fondre : « Dans sa pure expression, le clan est un réseau dense de nœuds, où chacun est connecté à tous les autres. La dynamique à laquelle il obéit ressemble à un processus d’implosion sociale, l’ensemble du clan se repliant sur lui-même jusqu’à se couper totalement du monde extérieur » (15). Le groupe de terroristes responsable des attentats à Paris témoigne de ce processus de marginalisation où un clan aux intérêts communs s’est désolidarisé du monde jusqu’à en nier l’existence. Le terrorisme de masse devient alors symptomatique de ce déracinement qui affecte plus largement l’ensemble des classes.

Cela témoigne d’une réalité plus large liée aux sociétés en déclin où les identités et les groupes se fondent dans la masse des individus anonymes eux aussi en perte de références dans un monde en pleine crise des identités et des valeurs. L’absence d’horizon culturel englobant l’ensemble des communautés génère des îlots de résistance dont les formes sont parfois violentes, comme dans le cas du terrorisme de masse. Il prend d’autres fois une forme passive, comme dans la course effrénée au consumérisme des foules en quête d’un bonheur illusoire. Contrairement à la massification englobante, qui prévalait durant la période de l’entre-deux-guerres, nous assistons aujourd’hui à une massification éparse sur arrière-fond d’une économie triomphante de laquelle personne ne réussit à sortir. Il y a néanmoins une indifférence politique qui s’exprime par un désintéressement de plus en plus répandu qui caractérise le contexte de massification à l’ère du désenchantement. L’indifférence au monde et le repli sur soi sont devenus symptomatiques d’une manière de vivre en société. Le vernis qui protégeait les institutions culturelles a disparu et le terrorisme contemporain n’est qu’un symptôme de cette déliquescence. Comme l’affirmait Arendt à propos du siècle dernier, l’autorité des partis ne constitue plus l’horizon politique auquel se rallient les différentes classes de la société. C’est ainsi, note Bernard Manin, que le comportement électoral ne s’explique plus par « les caractéristiques sociales, économiques et culturelles des citoyen[-ne-]s » (p.279). Au contraire, les « résultats du vote peuvent varier significativement d’une élection à l’autre alors même que les caractères sociaux, économiques et culturels des électeurs [et électrices] restent à peu près identiques pendant la période considérée ».

C’est dans ce contexte de massification des sociétés qu’il nous faut comprendre le terrorisme comme phénomène social. Que ce soit par une vision simplifiée de la religion ou par une pensée purement instrumentale, c’est toujours la forme qui prime sur le contenu, l’action sur la réflexion lorsque vient l’urgence de transformer radicalement la société. Il est intéressant de voir comment l’idéologie de la terreur, autrefois liée à un mouvement européen ayant mené à l’expérience totalitaire, s’exprime aujourd’hui sous une forme diffuse, mais tout aussi inquiétante pour l’avenir de notre civilisation. S’exprime le fantasme de détruire un monde qu’il faut faire renaître de ses cendres, comme autrefois les nations devaient faire table rase de leur passé en érigeant un monde préservé des dangers d’une contamination venant de l’extérieur. Comme naguère du temps des idéologies totalitaires, le monde semble se diviser en deux groupes, c’est-à-dire ceux et celles que juge l’histoire et ceux et celles qui se font juges de l’histoire.

(1) http://www.ladepeche.fr/article/2015/11/15/2217700-union-nationale-pour-…

(2) Chaliand, Gérard, « Lénine, Staline et le terrorisme d’État » dans Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daesh, Paris, Fayard, 2015, p.37.

(3) Barus-Michel, Jacqueline, « Crise et identité » dans La violence politique (dir. Max Pagès), Paris, Érès, 2003, p.64.

(4) Del Valle, Alexandre, Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Paris, Éditions des Syrtes, 2002, p.88.

(5) Arendt, Hannah, Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p.511-512.

(6) p.516.

(7) Ibid., p.618-619.

(8) Voir Habsbown, Éric, L’âge des extrêmes : Le court XXe siècle, 1914-1991, Paris, Éditions poche, 2003.

(9) Rosanvallon, Pierre, Le peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998, p.417.

(10) Chaliand, Gérard, « Lénine, Staline et le terrorisme d’État » dans Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daesh, Paris, Fayard, 2015, p.229.

(11) Todd, Emmanuel, Qui est Charlie? Sociologie d’une crise religieuse, Paris, du Seuil, 2015, p.126.

(12) Ibid., p.151.

(13) https://www.linkedin.com/pulse/la-psychologie-du-terrorisme-sylvia-bréger

(14) http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article36452

(15) Sageman, Marc, Le vrai visage du terrorisme : psychologie et sociologie du djihad, Paris, Denoël impacts, 2005, p.304.

Bibliographie

Arendt, Hannah, Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002.

Barus-Michel, Jacqueline, « Crise et identité » dans La violence politique (dir. Max Pagès), Paris, Érès, 2003.

Habsbown, Éric, L’âge des extrêmes : Le court XXe siècle. 1914-1991, Paris, Éditions poche, 2003.

Manin, Bernard, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996.

Rosanvallon, Pierre, Le peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998.

Sageman, Marc, Le vrai visage du terrorisme : psychologie et sociologie du djihad, Paris, Denoël impacts, 2005.

Todd, Emmanuel, Qui est Charlie? Sociologie d’une crise religieuse, Paris, du Seuil, 2015.

Burkina Faso: bilan d’un coup d’État rejeté par les citoyens-ennes

Burkina Faso: bilan d’un coup d’État rejeté par les citoyens-ennes

Le 17 septembre dernier, le général Gilbert Diendéré, à la tête du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), a instauré un gouvernement provisoire par un coup  d’État, le « Conseil national pour la démocratie ». Face à des pressions de la rue, de la communauté internationale et de l’Armée nationale qui s’est déployée autour de la capitale, les putschistes ont finalement déposé les armes et cédé le pouvoir au Conseil national de transition (CNT). Nous avons rencontré le politologue Issiaka Mandé pour faire le point sur ces événements.

Un rapide retour en arrière s’impose pour bien comprendre les récents événements. Les 30 et 31 octobre 2014, des manifestations d’envergure ont eu lieu pour réclamer le départ du président de l’époque, Blaise Compaoré. Celui-ci souhaitait modifier la constitution afin d’être en mesure de se présenter une nouvelle fois aux élections présidentielles. Il avait obtenu le pouvoir en 1987 grâce à un coup d’État ayant mené à l’assassinat du président socialiste de l’époque, Thomas Sankara.

Malgré plusieurs pertes de vies humaines et des destructions matérielles considérables, le dénouement des événements d’octobre 2014 avait surpris les analystes en raison d’un retour au calme relativement rapide et d’un exil sans grande effusion de sang de l’ancien chef d’État, Blaise Compaoré. Les forces en présence avaient alors mis sur pied le Conseil national de transition (CNT), formé de représentant-e-s de différentes sphères de la société civile et des partis politiques. Le parti de Compaoré, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) avait alors été de facto exclu de ce gouvernement provisoire. Michel Kafando fut désigné comme Président intérimaire jusqu’à l’organisation d’élections initialement prévues en octobre 2015, mais qui sont maintenant reportées, compte-tenu de la situation.

De « séquestration » à coup d’État

Le 17 septembre 2015, le RSP séquestre le Président de la transition, le Premier ministre et deux ministres au palais présidentiel de Kosyam. Le RSP exige que son régiment ne soit plus menacé de dissolution.

Ce qui semblait au début n’être qu’une prise d’otages dans le but d’obtenir des gains rapides s’est plutôt avéré être un coup d’État « en règles ». Le matin du 18 septembre, on annonçait la dissolution du CNT et la formation d’un nouveau gouvernement ayant à sa tête le Général Diendéré. Selon le politologue Issiaka Mandé, il est difficile de savoir s’il s’agissait d’un coup d’État réellement planifié : « Est-ce que c’est un coup préparé ou c’est un coup qui a « tourné », été récupéré? Initialement, une des hypothèses, c’est que c’est une simple séquestration en réaction au rapport du Conseil Consultatif sur les réformes politiques qui avaient proposé la dissolution du RSP. » Selon le Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA), qui a réagi par voie de communiqué, il est étrange que les événements se soient déroulés le 17 septembre et ce « à quelques heures de l’audience du juge d’instruction dans l’affaire Sankara. Il avait convoqué le 17 septembre les avocats de la CIJS Campagne Internationale Justice pour Sankara pour leur révéler le résultat de l’expertise balistique et d’ADN. Il est très probable que ceci contribuerait à incriminer le Général Diendéré. Il est notoirement reconnu comme un des membres du peloton d’assassins qui a mis un terme sanglant à l’épisode révolutionnaire du Burkina en 1987. » De pus, le GRILA accuse les membres du RSP de « disposer de confortables rentes dans le secteur minier, le transport et l’immobilier. Ils se sont auparavant enrichis dans les guerres du Sierra Leone et du Libéria, par le contournement des diamants de l’UNITA en Angola, la déstabilisation de la Côte d’Ivoire ou des médiations  ambiguës lors des prises d’otages et l’instrumentalisation terroriste dans le Sahel.»

Des milliers de Burkinabés se sont presque instantanément mobilisé-e-s malgré la répression. Partout au pays, des citoyen-e-s ont érigé des barricades et ont bloqué les grandes routes. Une délégation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec à sa tête Macky Sall, président du Sénégal depuis 2012, mais impliqué en politique avec l’ex-président Abdoulaye Wade depuis la fin des années 1980, ont entamé des pourparlers avec les putschistes. Un accord a été proposé afin d’assurer le retour du gouvernement de transition. Cet accord garantit l’amnistie des putschistes, le report des questions reliées au remaniement de l’armée (dissolution du RSP) et la possibilité pour les candidat-e-s du CDP de Compaoré de se présenter de nouveau aux prochaines élections. L’accord du CEDEAO est fortement décrié par la rue, qui considère les propositions comme étant injustifiées.

Durant la nuit du 20 au 21 septembre, plusieurs corps de l’armée nationale sont entrés dans Ouagadougou pour exiger la reddition du RSP. Le mercredi 23 septembre, le Président Michel Kafando a finalement repris du service et les forces du RSP ont déposé les armes.

Entrevue avec Issiaka Mandé, politologue 

Q. Blaise Compaoré, est-ce l’homme derrière le coup d’État?

R. « Le problème c’est que le RSP est toujours redevable à Blaise Compaoré. Est-ce qu’il y a un lien direct avec ce qui se passe? Il y a des informations qui circulent et qui semblent dire que Blaise Compaoré aurait eu une rencontre secrète avec Diendéré à Abidjan, deux semaines avant le coup d’État. Est-ce qu’il aurait effectivement planifié ce coup? On attend de voir, mais pour l’instant, la direction opérationnelle revient quand même à Diendéré. »

Q. Est-ce que la proposition de sortie de crise de la CEDEAO vous semble appropriée? Que pensez-vous de la proposition d’amnistie pour les putschistes et de celle de la réintégration des candidats du CDP, ancien parti de Blaise Compaoré?

R. « Concernant l’amnistie, c’est une demande qui ne peut pas être prise en compte, qui est vouée à l’échec compte-tenu du contexte politique. Sur la prise en compte ou la non-prise en compte des candidats du CDP dans le processus électoral, on peut avoir une lecture de démocrate qui serait de dire « oui, il faut laisser tout le monde compétitionner et que oui, c’est le peuple qui décide en dernier ressort. Mais il faut aussi tenir compte du contexte et là, si on ne se fie pas uniquement à des considérations purement juridiques, mais si on tient compte d’une analyse politique, la raison d’être de la transition est avant tout pour démanteler l’État Blaise Compaoré. De deux, il y a aussi le sentiment de la population qui est que, des gens qui ont voulu cautionner une forfaiture, c’est-à-dire, modifier un élément fondamental de la constitution, ne sont pas crédibles pour défendre cette même constitution. Donc, la dimension, elle, est multiple. Le contexte du coup d’État remet en jeu aussi la chose. Puisque tout le Parti, et tout l’entourage qui était avec Blaise Compaoré ont cautionné le coup d’État à travers leurs déclarations une nouvelle fois. »

Q. Que pensent les juristes de cette exclusion?

R. «Les juristes et les constitutionnalistes aussi ont une opinion similaire. En fait, puisqu’ils (les députés du CDP) ont été démis, et qu’on ne leur a pas permis de se présenter aux élections présidentielles, ils veulent maintenant passer par un coup d’État pour s’imposer ? Si on leur laissait le droit de se présenter et que ces individus ne gagnaient pas les élections, que feraient-ils? Ils vont massacrer toute la population pour pouvoir s’imposer?  Il ne faut pas oublier que dans ce contexte, c’est le Conseil constitutionnel qui les a disqualifiés, alors comment le Conseil national de transition pourrait revenir sur cette décision ? Il y a un réel problème avec l’accord proposé par la CEDEAO. Il y a plusieurs autres problèmes juridiques en fait. Par exemple, on demande l’amnistie, mais celle-ci est supposée être uniquement accordée par le Président. »

Q. Pourquoi la CEDEAO a-t-elle proposé un accord qui semble aussi « favorable » pour les putschistes?

R. « Selon Macky Sall, qui est l’architecte de cet accord, c’était pour éviter un bain de sang, pour des raisons humanitaires et puis aussi, pour favoriser la cohésion de la société burkinabè. Dans les faits, c’est plutôt l’effet contraire que cela a produit. Cet accord est à l’encontre de tous les principes édictés par l’Union africaine, tous les principes même de la CEDEAO. L’autre interprétation, d’un certain nombre d’analystes, voire de la population burkinabè, c’est que les chefs d’État de la CEDEAO ont peur de la rue, parce que là, c’est la rue qui dit « non ». C’est quand même surprenant de la part d’un démocrate comme Macky Sall. Cet accord bancal, c’est un accord qui remet en cause l’architecture du Comité national de transition, qui remet en cause tout le travail qui a été élaboré et avec des éléments qui ne tiennent pas au niveau juridique. Même la dernière position de la CEDEAO, sortie de la réunion d’Abuja, c’est un recul. Le problème d’amnistie a été remis en cause, le problème de l’inclusion de ces gens, c’est à rediscuter. Ce qu’il faut aussi dire avec la position de la CEDEAO, c’est que ce n’est pas la première fois. La CEDEAO n’a jamais compris la situation du Burkina. À croire qu’il n’y a pas d’analystes au niveau des organisations internationales, parce que déjà, en 2014, quand il y a eu l’insurrection populaire et que le Burkina a demandé l’intervention de la CEDEAO, c’était également des décisions totalement « à côté de la plaque ».»

Q. Est-ce que sans la mobilisation massive des citoyens, le coup d’État aurait pu être un succès?

R. « Le principe même d’un coup d’État en Afrique est quelque chose qui est remis en cause globalement. Les coups d’États ne sont plus réellement « acceptés » par les instances africaines. De deux, la population elle-même, n’est pas prête à accepter les coups d’États. Le besoin de démocratie est quelque chose d’important et surtout quand on sort d’un régime oppressif, tel que cela a été le cas du Burkina avec Blaise Compaoré. D’autant plus que, c’est un coup d’État conduit par une garde prétorienne, il ne faut pas l’oublier. »

Q. L’Armée nationale n’est intervenue que plusieurs jours plus tard, pourquoi?

R. « Ce « discrédit » de ne pas intervenir vient aussi des populations. Est-ce qu’on a affaire à une armée nationale ou à une « armée de majorettes » ? Dans ce cas, il faudrait changer les tenues de cette armée… C’est un peu ça la question qui est posée. Si c’est une armée d’apparat, bien il faut aussi clairement le dire. L’autre chose, c’est qu’il ne faut pas oublier que l’armée est un corps social comme tout autre, qui est traversé par les tensions qui existent à travers la société burkinabè. Les analystes sur le Burkina le disent très clairement aussi. À l’intérieur de l’armée, il y a des jeunes officiers qui veulent aussi le changement. Même si Diendéré se fait un malin plaisir de dire que les Chefs de corps sont tous des amis, qu’ils sont tous des promotionnaires, certes, mais les jeunes officiers et sous-officiers et les hommes de rang, ils ont d’autres aspirations. Ce sont aussi leurs amis qui sont dans les rues. Quand je discute avec mes amis qui sont dans l’armée et que je leur pose la question à savoir s’ils auraient tiré sur la foule lors du soulèvement d’octobre 2014, Ils me répondent que de tirer sur la foule, c’est comme de tirer sur des copains avec qui on sort boire de la bière le soir. Ils savent qu’ils sont sur les barricades. Il y a aussi cet élément qu’il faut prendre en compte. Au Burkina Faso, nous avons affaire à une population jeune moins âgée que le temps de Blaise Compaoré au pouvoir. C’est une population très jeune, et une population avec un avenir plus ou moins sombre, donc on est dans un contexte où ils veulent du changement. »