Le Comité autonome des travailleur.ses du sexe souhaite créer des syndicats autonomes dans les salons de massage et les clubs de danse québécois, pour permettre aux travailleur·ses du sexe de défendre leurs droits.

Longtemps, les travailleur.ses du sexe (TDS) ont tu leurs mauvaises conditions de travail par peur que la répression légale et policière soit décuplée. Le travail du sexe étant criminalisé au Canada, les travailleur.ses de ce milieu stigmatisé ne voulaient pas « donner raison aux personnes qui veulent abolir l’industrie ». C’est ce que nous expliquent Adore Goldman et Melina May, membres du Comité autonome des travailleur.ses du sexe (CATS), un collectif de TDS qui milite pour défendre leurs droits.

Le modèle légal en vigueur vise à « protéger les femmes » de l’exploitation sexuelle, selon les TDS rencontrées. Toutefois, ces dernières défendent leur droit à exercer l’activité professionnelle qu’elles veulent. Pour beaucoup, le travail du sexe est un moyen d’améliorer leur qualité de vie, souligne Melina May. C’est un moyen plus rapide et plus flexible de subvenir à leurs besoins, alors que les conditions de vie des femmes, des personnes queer et migrantes sont davantage précarisées. « Notre féminisme à nous prend moins une position morale ou idéaliste, et est davantage centré sur nos conditions matérielles », poursuit Melina May.

Plutôt que de protéger les TDS, la criminalisation participe à produire des conditions de travail précaires et dangereuses, selon les membres du CATS. Les TDS sont ainsi confisqué·es de leurs droits du travail et se retrouvent face à des patrons qui agissent en toute liberté grâce à l’absence de régulation. « On ne peut pas aller aux normes du travail et dire que notre patron ne nous respecte pas, on ne peut pas se syndiquer, on n’a aucun levier car notre travail n’est pas reconnu », dénoncent Adore Goldman et Melina May. 

Des enjeux de violence et d’insalubrité 

Face au cercle vicieux que représente la criminalisation et les mauvaises conditions de travail, les membres du CATS ont décidé de « prendre le taureau par les cornes », comme l’image Melina May, et de s’organiser pour leurs droits malgré le statut illégal de leur activité.

Le collectif de travailleur·ses du sexe a ainsi réalisé une enquête militante sur les conditions de travail des TDS en salon de massage à Montréal. S’appuyant sur le témoignage de 14 masseuses, l’enquête vise à « collecter de l’information sur nos milieux de travail et de documenter les résistances pour en faire de nouveaux moyens de lutte », relate Melina May. Plutôt que de fournir des histoires sensationnalistes qui nourrissent le discours abolitionniste, le CATS veut montrer que « c’est vrai que ces histoires-là existent, mais que la solution, ce n’est pas la criminalisation », poursuit Adore Goldman.

Si les conditions de travail varient d’une situation à l’autre, les enjeux de violences et d’insalubrité sont récurrents dans les salons de massage. Selon l’enquête, « toutes les personnes interrogées ont déclaré avoir subi une forme de violence – physique, sexuelle, économique ou psychologique » au travail. Celle-ci peut tout d’abord s’exercer de la part de clients violents, à travers des agressions, des gestes non négociés au préalable, des propos discriminatoires, ou des violences économiques. Ces clients problématiques sont souvent tolérés par les patrons de ces salons, qui se rangent de leur côté en vue de maximiser les profits. 

Les patrons sont également à l’origine de mauvais traitements. « Ce sont des petits rois, c’est eux qui font les règles », témoigne Adore Goldman. Les gérants imposent ainsi des pratiques interdites par les normes du travail, tels que des quarts de travail plus longs, l’interdiction de sortir à l’extérieur, le harcèlement ou les renvois arbitraires. Les TDS sont aussi généralement tenues d’effectuer le travail ménager de manière gratuite. La répartition des tâches étant assez floue, c’est souvent à elles que revient la tâche de nettoyer les chambres, les douches, et parfois les espaces communs. 

Concernant la salubrité, la moitié des répondantes se disent répugnées par les conditions d’hygiène. Il manque régulièrement d’équipements et d’outils de nettoyage, et certains salons présentent des infestations d’insectes nuisibles, des moisissures ou des infiltrations. Dans ce contexte, les plaintes des TDS sont rarement prises en compte par les patrons, et les personnes les plus militantes s’exposent à des renvois arbitraires. 

S’organiser pour mieux se protéger

Face à l’absence de protection légale, le CATS vise à s’organiser en mouvement de travailleur·ses, afin de revendiquer des droits auprès des patrons et d’améliorer les conditions de travail, sans attendre la décriminalisation. « Dans un secteur fortement stigmatisé et criminalisé, où nous ne pouvons pas compter sur la direction ou même sur le gouvernement pour assurer notre sécurité, nous devons mobiliser notre force collective contre ces injustices », peut-on lire dans le Manifeste sur l’organisation dans nos milieux de travail, publié par le CATS pour l’occasion.

Cette organisation prendrait ainsi la forme de syndicats autonomes dans les salons de massage et les clubs de danse, gérés par les TDS elleux-même et non-reconnus légalement. À travers eux, les employé·es pourront agir collectivement pour revendiquer l’accès aux mêmes droits que les autres travailleur·ses auprès de leur direction : des conditions de travail sécuritaires, une meilleure rémunération, des congés maladie, ou encore la dénonciation des abus.

Pour y parvenir, le CATS veut employer des actions similaires à celles des syndicats traditionnels : le piquetage, la grève ou les démissions collectives, indique le manifeste. « Ce sont des moyens d’action qui ressemblent pas mal à ce qu’on connaît », souligne Melina May.

Cette syndicalisation des TDS ne serait pas une première. À Los Angeles, des strippers ont obtenu la liberté d’horaire, l’encadrement des renvois et une meilleure protection face aux clients après avoir fait grève pendant un an et demi. Ce genre d’exemple « donne espoir aux gens que c’est possible de se syndiquer dans ces milieux-là », raconte Adore Goldman.

C’est ce qui peut expliquer le succès de la soirée de lancement du mouvement syndical du CATS, qui a réuni une trentaine de TDS intéressé·es par le projet. « Un public quand même gros pour nos activités », s’enthousiasme Melina May, qui décèle un engouement important pour ce mouvement parmi ses collègues.

Vers davantage de reconnaissance 

À travers leur mobilisation autonome, les TDS veulent également montrer à l’État qu’elles ont besoin de droits, et que cela passe par la décriminalisation. « On veut forcer la reconnaissance par notre organisation », expliquent les deux membres du CATS. En prenant les devants, le comité de défense des TDS espère pousser le gouvernement à se positionner sur les conflits de travail qui émaneront, et le faire sortir de sa « frilosité » à l’égard du travail du sexe, ajoute Melina May.

Alors que les TDS sont fortement stigmatisées dans la sphère politique, mais aussi sociale, cette mobilisation pourrait contribuer à les « humaniser davantage » auprès des responsables politiques et du grand public, espère Adore Goldman : « On est des travailleur·ses qui luttons pour nos conditions de travail, c’est une cause à laquelle tout le monde peut s’identifier. »

Auteur

  • Charline Caro est journaliste à L'Esprit Libre, où elle couvre divers sujets de société à travers des reportages. Diplômée en science politique, elle aime mettre en lumière les réalités sous-représentées dans les médias.

    View all posts