L’incommensurable lutte de Julian Assange

L’incommensurable lutte de Julian Assange

Il y a quelques mois, le compte Twitter de WikiLeaks ainsi que celui dédié à la campagne pour défendre son fondateur Julian Assange annonçaient le risque imminent de son expulsion de l’ambassade équatorienne où il était réfugié depuis juin 2012. Force est de constater que les craintes de WikiLeaks n’étaient pas infondées. En effet, tous et toutes en furent témoins, alors que les images d’Assange se faisant traîner de force par les policiers britanniques, invités à venir le saisir dans l’ambassade, ont fait le tour du monde le 11 avril dernier.

La lutte d’Assange est d’une importance primordiale alors que l’avenir démocratique des sociétés occidentales est remis en question par l’opacité grandissante des gouvernements, le monopole des technologies de communication par quelques grandes entreprises et l’émergence de mécanismes de surveillance puissants déployés contre les citoyen·ne·s. En effet, l’information et la presse constituent des outils essentiels pour comprendre l’état actuel de la société et revendiquer un rééquilibre du pouvoir. Par ailleurs, alors que se dessinent aujourd’hui des plans d’intervention et de guerre en Iran et au Vénézuélai, le rôle qu’ont les médias de fournir un exposé des faits et des enjeux est fondamental. Or, le cas d’Assange laisse présager qu’un désir de bâillonner celles et ceux qui présentent la vérité anime la classe politique. Aujourd’hui persécuté par les Américain·e·s par leur Espionage Act de 1917, Julian Assange constitue un cas de figure pour les journalistes qui oseraient exposer les mécanismes voilés du pouvoir.

Des publications qui dérangent

Le cas de Julian Assange peut sembler complexe et particulier. En 2006, l’informaticien originaire d’Australie fonde un site web — qui s’appellera WikiLeaks — dédié à la publication d’informations secrètes fournies par des lanceurs d’alertes. Le mandat de l’organisation est de publier toute information qui, n’étant pas autrement accessible au public, revêt une valeur historique, éthique, diplomatique et/ou politiqueii. Jusqu’alors peu connu, WikiLeaks se retrouve au cœur de l’actualité mondiale en 2010, après la publication de la vidéo intitulée « Collateral Murder » (meurtre collatéral)iii. La vidéo en question montre l’assassinat de deux journalistes de l’organisation Reuters par les forces armées américaines. Il s’ensuit une série de révélations, que l’on nomme respectivement les Iraq War LogsThe Afghan War Diaries et Cablegate. Le public et les militant·e·s pour les droits de la personne voient dans ces révélations d’importantes preuves de crimes de guerres et de violations des droits de la personne commis par le gouvernement américain.

Des figures politiques et militaires américaines dénoncent rapidement les activités de WikiLeaks, affirmant que la publication d’informations classifiées et confidentielles pose un danger pour la sécurité nationaleiv (bien que, selon le témoignage en cour de dirigeants de l’armée américaine en 2013v, aucune preuve n’existe de décès causés par les publications de WikiLeaks). Ces révélations ont pour effet de placer Julian Assange dans la ligne de mire des autorités américaines, si bien que celles-ci s’acharnent à tenter de capturer le fondateur de WikiLeaks pendant près d’une décennie. Rappelons qu’en 2010, au moment de la publication des câbles diplomatiques — une révélation de plus de 250 000vi « câbles » ou rapports provenant des ambassades américaines à travers le monde et offrant un portrait jusqu’alors secret des opinions et opérations diplomatiques menées par les États-Unis — plusieurs commentateurs et commentatrices demandent ouvertement l’emprisonnement à vie, voire l’assassinat de Julian Assange. On pense à l’analyste Bob Beckel qui, lors d’une apparition à Fox News en 2010, affirme qu’« un homme mort ne peut pas publier »vii. Au Canada, l’ex-conseiller de Stephen Harper, Tom Flannagan, a suggéré qu’Obama devrait faire taire Assange à l’aide d’un droneviii.

L’affaire suédoise

L’histoire de M. Assange se complexifie davantage peu de temps après la publication des câbles diplomatiques, lorsqu’il fait subitement face à des allégations d’inconduite sexuelle en Suède. Selon les faits présentés devant la cour britannique, deux femmes se seraient rendues dans un poste de police afin de savoir si elles pouvaient inciter M. Assange à passer un test de dépistage contre les ITSix. Selon le témoignage de la poursuite suédoise, la police conclut, par cet échange, qu’un crime aurait potentiellement été commis. Les services de police ouvrent ainsi une enquête et interpellent Julian Assange. Ce dernier répond à quelques questions préliminaires, à la suite de quoi la procureure décide de rejeter la majorité des accusationsx. Or, quelques semaines plus tard, un autre procureur décide d’ouvrir l’enquête et d’interpeller à nouveau le suspect, qui se trouve désormais en Grande-Bretagne, afin de le soumettre à un autre interrogatoire. C’est le début d’un long et ardu litige qui finira par impliquer quatre nations différentesxi : le Royaume-Uni, où Julian Assange se trouve; la Suède, qui poursuit son enquête préliminaire pour inconduite sexuelle; les États-Unis, qui veulent mettre la main sur Assange en raison de ses publications; et l’Équateur, qui l’héberge dans son ambassade londonienne.

De la Grande-Bretagne, Julian Assange combat son extradition en Suède pendant près de deux ans. Ce dernier fait alors valoir que la Suède a un passé douteux et peu transparent quant à sa volonté d’extrader des suspects aux autorités américaines, souvent sous prétexte de guerre au terrorismexii. En raison de cette crainte, le fondateur de WikiLeaks offre de retourner en Suède, pourvu que les autorités lui garantissent qu’il ne sera pas ensuite extradé aux États-Unis. Elles refusent à répétition cette offre, offre qui demeure à ce jour la position officielle adoptée par M. Assange et ses avocats.

Face à cette impasse, M. Assange accepte de se soumettre de nouveau à un interrogatoire, mais sur le territoire britannique selon le traité d’assistance judiciaire mutuelle. Cette offre est également initialement refusée par les autorités suédoises qui iront finalement l’interroger en 2017xiii. La Suède et la Grande-Bretagne demeurent intransigeantes et, à la suite des procès en appel, la cour anglaise ordonne l’extradition de Julian Assange en juin 2012xiv.

Internement à l’ambassade et arrestation

C’est à ce moment que M. Assange met pied dans l’ambassade équatorienne, située dans le quartier aisé de Knightsbridge à Londres. Craignant d’être extradé aux États-Unis, il y demande l’asile politique. Le gouvernement progressiste de Rafael Correa accepte cette demande en août. Bien qu’il soit invité à se réfugier en Équateur, le gouvernement britannique refuse de lui accorder le passage à l’aéroport pour s’y rendre. Le réfugié se retrouve donc captif dans l’ambassade, qui fait la taille d’un petit appartement londonien, incapable de franchir la porte de sortie sous peine d’emprisonnement. Il y reste pendant près de sept ans, sans accès à la lumière du jour ou à l’air frais ni aux soins médicaux qui deviennent essentiels alors que son état de santé se détériore à cause conditions de son internementxv.

Malgré sa captivité, le fondateur de WikiLeaks n’abandonne pas la mission de l’organisme. Les révélations se succèdent pendant son confinement. En 2016, il s’attire une nouvelle vague de reproches, alors qu’il publie les courriels de John Podesta, le coordonnateur de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton. On y découvre, entre autres, un coup monté par l’élite démocrate contre le candidat progressiste Bernie Sandersxvi. Cependant, pour la plupart des commentateurs, commentatrices et journalistes, la faute d’Assange est alors impardonnable : celui-ci aurait délibérément cherché à déstabiliser Hillary Clinton au service de la campagne de Donald Trump. On l’accuse d’être un pion russe ou encore un supporteur de la droite alternative. Tour à tour, M. Assange rejette ces accusations.

On ne s’étonnera donc pas de la réaction des médias lorsque ce dernier fut finalement arrêté par la police britannique en avril dernier. En effet, les titres le qualifiant de « hacker », de « violeur », ou encore de « celui qui a voulu déjouer la justice » défilent partout dans le mondexvii. Si plusieurs médias comme The GuardianThe New York Times et Le Monde se réjouissaient autrefois des révélations de WikiLeaks et d’Assange, ils sont maintenant prêts à lui tourner le dos en dénonçant ses méthodes de publication et en lui reprochant son rôle dans l’élection américaine de 2016xviii. On se plait même à publier des détails insipides sur sa vie à l’ambassade, par exemple qu’il aurait fait de la planche à roulettes dans les couloirs ou encore qu’il oubliait de faire la litière de son chatxix.

L’antagonisme entre Assange et les médias de masse est important. Si les journalistes travaillant pour les grands médias évoquent souvent le devoir de censurer certaines informations sous prétexte de préserver l’intégrité physique ou morale des sujets de leurs publications et préfèrent, ainsi, présenter l’information sous forme d’articles et d’analyse, WikiLeaks privilégie la publication de documents de source primaire, les rendant directement accessibles au public et n’y expurgeant l’information qu’en cas d’extrême nécessité (en cas de risque pour la vie par exemple). Cette distinction théorique se traduit par la volonté de WikiLeaks de publier l’information que n’osent pas publier les médias de masse. Depuis sa création, WikiLeaks publie les informations qui gênent le pouvoir et démontre l’ampleur de la censure des médias traditionnels. Ce conflit théorique et idéologique a provoqué une rupture entre Assange et les médias de masse. C’est la raison pour laquelle les causes réelles de son expulsion et des poursuites nouvellement intentées à son égard ne font pas les manchettes. Si le gouvernement néolibéral de Lenin Moreno (élu pour succéder à Correa en 2017) affirme que l’Équateur l’a expulsé en raison de son comportement désobligeant, un examen plus attentif des faits révèle que l’éviction d’Assange s’inscrit dans la volonté de la classe dirigeante actuelle du pays de se rapprocher du pouvoir américain en reformulant la politique étrangère équatoriennexx. Le pays s’est d’ailleurs vu accorder un prêt du Fonds monétaire international (FMI), organisation hautement contrôlée par les États-Unis qui y détiennent la majorité des voixxxi, de 4,2 milliardsxxii de dollars quelques jours avant l’expulsion du réfugié. Parmi les alliés n’ayant pas déserté Assange, John Pilger, ancien correspondant de guerre australien aujourd’hui connu pour ses documentaires politiques, craint que « l’Équateur ait vendu » le lanceur d’alerte pour plaire aux demandes américainesxxiii. En effet, quelques heures après son arrestation en avril dernier, on annonce officiellement qu’il est détenu sous la demande des autorités américaines qui s’apprêtent à réclamer son extraditionxxiv.

Julian Assange, désormais interné à la prison Belmarsh du sud de Londres, attend présentement son procès d’extradition. C’est le Royaume-Uni qui décidera s’il sera d’abord extradé aux États-Unis, où l’on vient de lui accoler 18 chefs d’accusation qui l’exposent à une peine pouvant aller jusqu’à 175 ans de prisonxxv, ou en Suède, où on a annoncé en mai dernier la réouverture de l’enquête sur l’accusation d’inconduite sexuelle — pourtant officiellement abandonnée en 2017 après le témoignage d’Assange recueilli dans l’ambassadexxvi. Notons que jusqu’à présent, la justice suédoise n’a formulé aucune accusation et que l’affaire est toujours en enquête préliminaire. S’il est envoyé puis inculpé aux États-Unis, Assange risque de passer le reste de sa vie derrière les barreaux.

WikiLeaks et l’avenir démocratique

Pourquoi le cas de Julian Assange est-il important? À priori, la poursuite américaine contre le fondateur de WikiLeaks s’attaque directement à la liberté d’expression, certes, mais plus concrètement, elle s’en prend à la liberté de la presse. La raison d’être des médias, en dehors de tout calcul économique et marchand, est de rendre un service public essentiel. Ils sont notamment responsables de la redevabilité de la classe politique. Noam Chomsky explique :

« Une presse réellement indépendante refuse de se subordonner au pouvoir et à l’autorité. Elle rejette l’orthodoxie, remet en question ce que les personnes bien-pensantes prennent pour acquis, expose la censure implicite, rend accessible au public l’information et la diversité d’opinions nécessaires à la participation valorisée à la vie sociale et politique, et de surcroit, offre une plateforme qui permet aux gens de débattre et discuter des enjeux qui les préoccupent. Ce faisant, la presse accomplit sa fonction comme fondement d’une société véritablement libre et démocratique. »xxvii

Une presse légitime se doit donc de chercher à exposer les dérapages et les injustices en offrant au public la vérité. Or, si l’on criminalise l’acte de publier de l’information vérifiée, si l’on pourchasse et emprisonne ceux et celles qui exposent les faits et dévoilent l’injustice et les violences systémiques des États, comment pouvons-nous alors prétendre à la démocratie?

Une presse éthique et efficace aurait, par exemple, rapidement démasqué les mensonges ostentatoires de l’administration Bush pour justifier la guerre d’Irak, ce à quoi les médias de masse comme le New York Times et le Washington Post ont échouéxxviii. Ce n’est pas surprenant, dès lors qu’ils choisissent d’obscurcir leur propre échec en rejetant le travail de WikiLeaksxxix. Le paradoxe est clair. Celui qui a osé publier des crimes de guerres et autres violations du droit est détenu, alors que ceux et celles qui ont ordonné et sanctionné ces violations demeurent libres, voire respectés. Néanmoins, les grands médias ignorent cette incohérence. L’importance de WikiLeaks et du travail d’Assange, qui nous offrent un aperçu des mécanismes cachés du pouvoir en publiant des documents de source primaire, ne peut donc être contestée.

Enfin, n’oublions pas l’embrouille diplomatique et légale à laquelle se sont livrés l’Équateur, la Suède, la Grande-Bretagne et les États-Unis pour finalement mettre la main sur Julian Assange. Ce dernier n’était pas simplement réfugié dans l’ambassade, mais bien citoyen équatorien depuis 2018xxx. Imaginez que votre nation décide de vous livrer sans procès ni même avertissement à un autre État pour des raisons politiques. Plus encore, les accusations formulées aux États-Unis reposent sur le fameux Espionage Act

qui date de la Première Guerre mondiale. L’instrumentalisation de cette loi, souvent critiquée par les

militant·e·s pour la liberté d’expression à cause de son ambiguïtéxxxi, pose un réel et grave danger pour tou·te·s les journalistes qui publient des informations sur l’État américain – d’autant plus lorsque celui-ci se permet de pourchasser un journaliste étranger (Assange est Australien et non Américain) qui a commis les soi-disant actes criminels à l’extérieur de la juridiction américaine (les révélations de WikiLeaks n’ayant pas été publiées aux États-Unis)xxxii. On ne peut donc ignorer le danger que pose le pouvoir exceptionnel et extraterritorial déployé par les États-Unis contre la liberté d’expression.

Le cas d’Assange démontre clairement que toute violation du droit est possible, et même acceptée, si celles et ceux qui vous persécutent sont assez puissant·e·s pour faire fi de vos droits. Ceux et celles qui osent dénoncer le pouvoir américain verront leurs droits bafoués : voilà le message envoyé par les autorités américaines. En bref, il est impératif de dénoncer la situation dans laquelle se trouve le fondateur de WikiLeaks, non pas parce que nous voulons sauver Julian Assange, mais bien pour sauver la liberté d’expression, de presse et ce qu’il nous reste de droit et de démocratie.

CRÉDIT PHOTO : Romina Santarelli

i Tom O’Connor, « Iran Defends Venezuela as U.S Warns of ‘All Options’ Against Two More Oil-Rich Nations » 5 mars 2019, Newsweekhttps://www.newsweek.com/iran-defends-venezuela-all-options-oil-1414237

ii Wikileaks, What is Wikileaks, Consulté le 17 mai 2019,

https://wikileaks.org/What-is-WikiLeaks.html

iii Wikipedia, Raid aérien du 12 juillet 2007, Consulté le 17 mai 2019

https://fr.wikipedia.org/wiki/Raid_a%C3%A9rien_du_12_juillet_2007_%C3%A0_Bagdad

iv Greg Myre, 12 avril 2019, « How Much did Wikileaks Damage U.S National Security », NPR,

https://www.npr.org/2019/04/12/712659290/how-much-did-wikileaks-damage-u-s-national-security

v Ed Piklington, « Bradley Manning leak did not result in deaths by enemy forces, court hears », 31 juillet 2013, The Guardianhttps://www.theguardian.com/world/2013/jul/31/bradley-manning-sentencing-hearing-pentagon

vi Scott Shane et Andrew W. Lehren, « Leaked Cables Offer Raw Look at U.S. Diplomacy », 28 novembre 2010, The New York Times, https://www.nytimes.com/2010/11/29/world/29cables.html?_r=2&bl

vii Huffington Post, « Fox News’ Bob Beckel Calls For ‘Ilegally’ Killing Assange: ‘A Dead Man Can’t Leak Stuff’ (VIDEO) », 7 décembre 2010,

https://www.huffpost.com/entry/fox-news-bob-beckel-calls_n_793467

viii CBC, « Flanagan regrets WikiLeaks assassination remark », 1er décembre 2010,

https://www.cbc.ca/news/politics/flanagan-regrets-wikileaks-assassination-remark-1.877548

ix Submission to the Supreme Court regarding facts agreed on by the appellant and the respondent. Assange v. Swedish Prosecution Authority, Adopté par la Cour suprême britannique le 1er février 2012. https://www.scribd.com/document/80912442/Agreed-Facts-Assange-Case

x Ibid.

xi BBC, Julian Assange: Why is the Wikileaks co-founder a wanted man?, 12 avril 2019, https://www.bbc.com/news/uk-47912180

xii Michael Bilton, « Post-9/11 renditions: An extraordinary violation of international law », 2 mai 2012, https://www.icij.org/investigations/collateraldamage/post-911-renditions-extraordinary-violation-international-law/

xiii Esther Addley « Swedish prosecutors drop Julian Assange rape investigation », 19 mai 2017, The Guardian

xiv BBC News, « Julian Assange in the Ecuadorian Embassy Timeline », 23 mai 2019, https://www.bbc.com/news/world-europe-11949341

xv Ewen MacAskill, « Julian Assange’s health in ‘dangerous’ condition, say doctors », 24 janvier 2018, The Guardianhttps://www.theguardian.com/media/2018/jan/24/julian-assanges-health-in-dangerous-condition-say-doctors

xvi Maquita Peters, « Leaked Democratic Party Emails Show Members Tried To Undercut Sanders », 23 juillet 2016, NPRhttps://www.npr.org/sections/thetwo-way/2016/07/23/487179496/leaked-democratic-party-emails-show-members-tried-to-undercut-sanders

xvii Kate Lyons, « ‘Whiffyleaks’: what the papers say about Julian Assange’s arrest », 12 avril 2019, The Guardian https://www.theguardian.com/media/2019/apr/12/whiffyleaks-what-the-papers-say-about-julian-assanges-arrest

xviii Damien Leloup, « Pourquoi WikiLeaks soutient Trump ? », 9 octobre 2016, Le Monde

https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/19/les-ennemis-de-hillary-clinton-sont-les-amis-de-wikileaks_5016125_4408996.html

xix José M. Abad Linan, « The life of Julian Assange, according to the Spaniards who watched over him », 14 avril 2019, El Paishttps://elpais.com/elpais/2019/04/14/inenglish/1555239431_083712.html?rel=mas

xx Ethan Bronner et Stephan Kueffner, « The Socialist Who Gave Up Julian Assange and Renounced Socialism », 29 mai 2019, Bloomberg Businessweek https://www.bloomberg.com/news/features/2019-05-29/ecuador-s-leader-kicked-out-assange-shunned-venezuela-and-embraced-the-u-s

xxi Dan Beeton, « US and Europe Continue to Maintain Control of IMF Despite Small Changes in Voting Structure », Center for Economic Policy Research http://cepr.net/press-center/press-releases/us-and-europe-continue-to-maintain-control-of-imf-despite-small-changes-in-voting-structure

xxii International Monetary Fund, IMF Executive Board Approves US$4.2 Billion Extended Fund Facility for Ecuador, https://www.imf.org/en/News/Articles/2019/03/11/ecuador-pr1972-imf-executive-board-approves-eff-for-ecuador

xxiii John Pilger, « Assange Arrest a Warning from History », 12 avril 2019, Consortium News https://consortiumnews.com/2019/04/12/assange-arrest-a-warning-from-history/

xxiv Bill Van Auken, « Amid corruption scandals and deals with IMF and Washington, Ecuador’s government betrays Assange », 12 avril 2019, World Socialist Web Site https://www.wsws.org/en/articles/2019/04/12/ecua-a12.html

xxv Jon Swaine, « New US charges against Julian Assange could spell decades behind bars », 24 mai 2019, The Guardianhttps://www.theguardian.com/media/2019/may/23/wikileaks-founder-julian-assange-with-violating-the-espionage-act-in-18-count-indictment

xxvi Esther Addley « Swedish prosecutors drop Julian Assange rape investigation », 19 mai 2017, The Guardian

xxvii Noam Chomsky, « The independence of journalism », https://chomsky.in

Le Yasuni perd la bataille face au péril pétrolier

Le Yasuni perd la bataille face au péril pétrolier

Par Raouf Bousbia

Le 15 août 2013, l’Équateur annonce finalement que la décision a été prise de procéder à l’exploitation du pétrole amazonien du parc Yasuni, et cela après l’échec de la concrétisation de l’accord signé en 2010 entre l’Équateur et la communauté internationale. Le président Correa s’était alors engagé pour une exploitation responsable et respectueuse de l’environnement.

Crée en 1979 par le gouvernement équatorien et décrété Réserve mondiale de biosphère par l’UNESCO en 1989, le parc Yasuni se situe au Nord-Est de l’Équateur, en pleine Amazonie entre les fleuves Napo et Curaray. Un petit paradis vert considéré comme un des plus riches espaces au monde pour sa biodiversité, car effectivement une multitude d’espèces animales et végétales y trouvent refuge. Une richesse écologique qui ne cesse d’émerveiller et de passionner les botanistes et autres scientifiques et chercheur-e-s qui n’ont toujours pas terminé de tout répertorier.

Différentes populations autochtones peuplent depuis des millénaires ce parc couvrant une superficie de 9500 km², en l’occurrence les communautés Huaorani et Kichwa, parfaitement établies aux fins fonds de la forêt et sur les rives des fleuves et rivières. Ces communautés pratiquent la chasse, la cueillette, une agriculture traditionnelle et des industries artisanales comme la fabrication d’ustensiles de cuisine, vêtements, sacs, filets, bijoux, pirogues et toitures pour habitations. Des produits qui facilitent et encouragent les échanges commerciaux entre les différentes tribus et communautés.

S’ajoutant au luxuriant environnement aérien, le sous-sol du Yasuni regorge d’une immense richesse pétrolière convoitée par les plus grands groupes pétroliers depuis 1930, année de la première découverte d’hydrocarbures dans ce territoire.

Il s’agit d’un potentiel estimé à 850 millions de barils de brut, soit 20% des réserves nationales équatoriennes en pétrole, une manne financière non négligeable, qui profiterait au gouvernement équatorien pour lancer des projets d’envergure et relever le PIB, mais surtout pour acheter la paix sociale. Cette dernière devenait de plus en plus dure à entretenir, comme l’atteste, le 30 septembre 2010, la mutinerie et l’appel à la grève des forces de l’ordre après le vote d’une loi prévoyant la réduction des salaires dans le secteur public, et tout particulièrement ceux des forces de police. Après une attaque contre lui, le président équatorien fut transporté à l’hôpital où les mutins ont pu s’introduire et le séquestrer. L’armée restée fidèle à Correa est intervenue avec force pour le libérer et rétablir l’ordre.

Cet épisode montre à quel point le gouvernement avait besoin de nouvelles sources de financement afin de redresser une situation économique et sociale désastreuses qui s’amplifiait de jour en jour.

Alors que ses pays voisins connaissaient une assez forte croissance économique en grande partie grâce à leurs secteurs pétroliers qui, à cette époque, connaissaient une recrudescence du prix du baril, l’exploitation de Yasuni se présenta comme une solution rapide et rentable pour renflouer les caisses de l’État.

Se présentant comme un écologiste confirmé, Raffael Correa exposa en septembre 2007, devant l’assemblée générale des Nations unies, la proposition de sanctuariser le parc Yasuni et de renoncer à toute forme d’exploitation d’hydrocarbures en son sein. En contrepartie, l’Équateur demandait à la communauté internationale une indemnité de 3,6 milliards de dollars, soit la moitié des recettes qui pourraient être générées par une éventuelle exploitation. Un accord est signé en août 2010, et l’initiative Yasuni ITT est créée. (ITT sont les initiales des trois villes délimitant le parc : Ishpingo, Tambococha, Tiputini.) Mais voilà, seuls 13,3 millions de dollars ont été réellement versés.

Ainsi, avec une large majorité de 108 voix « Pour » et 25 « Contre », les parlementaires équatoriens n’ont pas hésité à dire « oui » au président qui annonça le 15 août 2013 la mise en œuvre de l’exploitation des gisements du parc, ignorant les contestations des écologistes et des populations autochtones qui étaient sorti-e-s dans les rues pour protester contre cette décision irresponsable et qui n’ont vu en l’initiative Yasuni ITT qu’un leurre, un chantage international, afin de rejeter la faute et les conséquences d’un désastre à venir comme le douloureux épisode de l’affaire Texaco-Chevron.

Effectivement, le groupe pétrolier Texaco avait exploité de 1964 à 1990 plusieurs gisements dans la zone nord de l’Amazonie équatorienne. Après l’extraction de 1,5 milliards de barils de pétrole, le déversement de 84 milliards de déchets et de résidus en pleine nature et des actions de réparations insuffisantes, l’Équateur fit face à la plus grande pollution environnementale de toute son histoire.

C’est alors que s’engagea une procédure judicaire de plus de 20 ans. En 2011, un juge de Largo Agrio en Équateur avait condamné la compagnie américaine à verser 9,5 milliards de dollars d’amende, une somme qui pourrait doubler si Texaco ne présentait pas d’excuses. La condamnation de 19 milliards de dollars fut confirmée en appel début janvier 2012; il s’agissait de la condamnation la plus sévère jamais prononcée pour une pollution industrielle. Texaco s’était pourvu en cassation, refusa de payer et poursuivit dans les tribunaux américains les militant-e-s et les victimes de cette pollution pour complot et extorsion. Contre toute attente, la justice américaine lui avait donné raison.

En 2015, la cour suprême du Canada engage une procédure judiciaire pour la reconnaissance et l’exécution du jugement prononcé en Équateur. Tout cela présage que l’affaire Texaco-Chevron en Équateur est loin d’être terminée et cette nouvelle ouverture du président Correa envers les compagnies pétrolières ne fera que répéter l’épisode tragique de Texaco ainsi que les conséquences que vivent jusqu’à présent les populations autochtones de l’Amazonie : pollution des eaux, disparition de la faune aquatique, contamination des sols, maladies cutanées et respiratoires, augmentation des taux de mortalité dans les zones touchées.

Se présentant toujours comme un défenseur des droits de la nature, de l’Amazonie et des peuples qui y habitent, Correa s’engage à exploiter le pétrole du Yasuni avec la plus grande prudence. Sa méthode : « Il n’y aura pas de routes dans la forêt, tout se fera par hélicoptère, avec des oléoducs enterrés, avec des techniques de pointe. »

En novembre 2015, nous avons pu constater par nous-mêmes le décalage entre le discours officiel et la réalité sur le terrain. Partis visiter le parc Yasuni et la réserve biologique Limoncocha, nous découvrîmes au-delà de notre espérance un monde naturel extrêmement riche mais aussi très fragile.

Longeant les routes, un enchevêtrement d’oléoducs et de tuyauteries sont construits loin des normes qu’exige cette industrie dans d’autres pays à tradition industrielle pétrolière : à peine un à deux mètres les séparent de la chaussée et parfois même quelques centimètres, posés non sur des supports construits dans les normes qu’exige souvent le secteur, mais sur des supports fabriqués à partir de tubes d’échafaudage rouillés, aucun alignement, pratiquement aucune vanne permettant la fermeture en cas d’incidents et encore moins un système d’identification des fluides coulant dans les différentes tuyauteries qui changent de position au gré des courbes et obstacles du terrain parcouru. Enjambant régulièrement des rivières, aucune infrastructure de « type Rack » (1) n’a été construite pour le passage de ces tuyauteries; une rivière qui grossirait emporterait tout sur son passage et les produits pétroliers se déverseraient à travers des milliers de kilomètres de cours d’eau et des millions d’hectares de terre.

Aux stations de pompage et de stockage, on remarque qu’aucun système de détection/extinction d’incendies n’a été réalisé et la grandeur des cuves de retenue creusées autour des bacs de stockage sont relativement petites pour retenir le brut en cas de déversement. En définitive, nous sommes très loin de la promesse du président équatorien pour une exploitation responsable avec des techniques de pointe; on voit plutôt des infrastructures de l’industrie pétrolière des années 1930.

Ce que nous avons vu nous laisse imaginer l’horreur de ce qui se fait à l’abri des regards dans la forêt profonde et nous nous demandons ce qui ne va pas avec le discours du pouvoir équatorien. Est-ce que ce sont les cahiers des charges imposés aux compagnies pétrolières qui ne sont pas assez rigoureux sur la sécurité et la qualité du travail? Ou bien ça serait plutôt un laxisme des contrôleurs et contrôleuses et des agent-es d’inspection des maîtres d’œuvres, l’État équatorien en l’occurrence.

Bien des organisations dénoncent cet état de fait et l’organisation Yasunidos en est l’exemple le plus marquant, qui a pu même se mobiliser pendant la dernière conférence des parties de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques tenue à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015 (COP21).

Mais le président Rafael Correa était là aussi et continuait à se borner à dire et à réaffirmer lors d’un entretien accordé au journal Le Monde que l’exploitation au Yasuni est basée sur des techniques de « pointe ». Il va plus loin encore, en dénonçant les organisations et les populations qui s’opposent au massacre de leur habitat en les accusant d’être soutenues et payées par l’Occident.

Un discours pour discréditer tous ceux et celles qui tirent la sonnette d’alarme et étouffer la contestation grandissante des populations touchées.

Avec une telle politique, le parc Yasuni n’est qu’au début de ses peines, et ce qui a mis des millions d’années à se créer prendra beaucoup moins de temps à disparaître.

Malgré les cours actuels du pétrole, qui ont connu une dégringolade vertigineuse ces dernières années, 116,75 $US le baril de Brent en juillet 2011 à 32,20 $US en février 2016, des pétrolières continueront à se remplir les poches et le gouvernement équatorien fera en sorte que des populations dociles aient quelques miettes à se mettre sous la dent et que les populations qui le sont moins se taisent. Et peut-être que le souhait du président Correa pour la création d’un tribunal pénal international sur l’environnement se réalisera, et pourquoi pas, ironie du sort, assistera à sa comparution.

Loin des turpitudes politiques et financières, la vie paisible dans le sous-bois inexploité du Yasuni fait de la résistance. Espérons que ça puisse encore durer longtemps.

Références 

(1) Pont fabriqué généralement en charpente métallique pour supporter un ou plusieurs pipelines traversant un obstacle, comme les rivières et cours d’eau.

(Pour le franchissement des routes il est plus sécuritaire de faire des traversées souterraines.)

Crédit photo: Organisation Yasunidos