Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

Une communauté autochtone conteste les fondements du régime minier québécois

La communauté algonquine de Lac Barrière (nation algonquine de Mitchikanibikok Inik) tente de forcer le gouvernement du Québec à réformer la Loi sur les mines pour que toute activité d’exploration minière sur son territoire soit précédée d’une consultation en bonne et due forme. Cette contestation juridique est une première au Québec et plusieurs jugent qu’elle pourrait avoir des impacts majeurs sur le régime minier québécois.

La communauté de Lac Barrière a intenté une poursuite en janvier 2020 contre le gouvernement du Québec pour que la Loi sur les mines soit modifiée. « C’est vraiment le régime juridique au complet, dans son essence même, qui pose problème », résume l’avocat de la communauté, Marc Bishai.

Ce qui est en cause : le mode d’attribution des titres miniers (plus communément appelés les claims). Les claimspermettent à une entreprise d’effectuer des travaux d’exploration minière afin de trouver un gisement économiquement rentable et, éventuellement, d’ouvrir une mine. Les entreprises et individus achètent des titres miniers en ligne, via l’interface GESTIM du gouvernement, pour ensuite obtenir l’autorisation d’effectuer des travaux sur le territoire visé.

Pour expliquer ce qu’est un « titre minier », le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) mentionne sur son site qu’il procure « le droit exclusif d’y chercher les substances minérales » et que le « mode d’acquisition est un procédé simple et rapide » . Le régime « s’appuie sur un accès le plus large possible au territoire, un droit de recherche ouvert à tous, sans égard aux moyens des demandeurs », mentionne également le MERN.


« Le principe, c’est la liberté de prospection, ou le free mining, qui permet à quiconque d’enregistrer automatiquement, quasiment, des claims miniers et ce, sans consultation préalable de la communauté autochtone qui occupe déjà le territoire, déplore Me Bishai. C’est, selon nous, inconstitutionnel. »

« Il est dans l’intérêt de tous [et toutes], à mon avis, incluant les acteurs de l’industrie, que le régime minier soit constitutionnel parce que ça accorde une plus grande prévisibilité » — Marc Bishai, avocat 

La loi constitutionnelle de 1982 oblige l’État à consulter les communautés autochtones sur les projets d’exploitation des ressources naturelles qui pourraient se développer sur leur territoire, souligne Me Bishai. C’est sur cette base que la communauté de Lac Barrière a intenté sa poursuite.

Un conflit avec une entreprise d’exploration minière

La récente contestation juridique trouve plus précisément racine dans un conflit qui a opposé, il y a quelques années, la communauté de Lac Barrière au gouvernement du Québec et à l’entreprise d’exploration minière Copper One.

La communauté protestait contre les travaux d’exploration minière aux abords de son territoire. En fait, elle s’opposait surtout à tout possible projet minier puisqu’il serait incompatible avec sa vision de l’occupation du territoire.

Un conflit qui s’est conclu en 2017 par le versement, de la part du gouvernement du Québec, d’une somme de 8 M $ à Copper One pour qu’elle délaisse ses titres miniers. « [La communauté] a alors constaté qu’il y a absence de consultation avant que des transactions aient lieu concernant des claims sur son territoire », explique Me Bishai.

Par voie de communiqué, le chef de la nation algonquine de Mitchikanibikok Inik, Casey Ratt, a déclaré en janvier dernier que la loi est, selon lui, « dépassée ». « Notre territoire comprend plusieurs sites importants d’un point de vue écologique et culturel qui sont essentiels pour assurer notre survie. Nous ferons tout en notre pouvoir pour le protéger des projets miniers risqués », a-t-il souligné.

Un dossier suivi par l’industrie

Au moment d’écrire ces lignes, la position du gouvernement dans cette affaire n’était pas connue. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a décliné notre demande d’entrevue « puisqu’il s’agit d’un dossier judiciarisé ».

L’Association d’exploration minière du Québec (AEMQ), qui représente des entrepreneurs et des minières, a quant à elle accepté de répondre aux questions de L’Esprit libre, en se gardant toutefois de commenter en détail cette affaire.

Le directeur de projet pour l’AEMQ, Alain Poirier, précise que l’obligation de consulter les communautés autochtones est une responsabilité qui incombe au gouvernement et non à l’industrie. Il martèle que cette poursuite concerne donc davantage l’État que l’industrie. « On ne peut pas se substituer au rôle du gouvernement (de consulter). C’est lui le gestionnaire du territoire », explique-t-il.

M. Poirier concède toutefois que la poursuite sera suivie de près par les membres de l’association. « On veut savoir ce qui va en sortir comme jugement, affirme-t-il. Ce sont souvent des causes qui sont portées jusqu’en Cour suprême et les jugements viennent modifier l’approche que les gouvernements vont avoir. »

La Loi sur les mines est peu critiquée, selon l’AEMQ

Les entreprises qui souhaitent procéder à des travaux d’exploration minière aux abords des communautés autochtones recueillent toutefois les préoccupations de celles-ci avant de procéder, assure M. Poirier. « Normalement, tu vas rencontrer la communauté, tu veux les informer, parce que tu veux savoir quelles sont leurs préoccupations et s’il y a des secteurs où il ne faut pas aller », souligne-t-il. Le chargé de projet explique, à titre d’exemple, qu’il n’est pas rare qu’après discussions, des entreprises consentent à paver certaines routes ou à arrêter leurs opérations en période de chasse.

« L’industrie a évolué. L’industrie parle beaucoup plus aux gens des communautés qu’elle ne le faisait il y a 10 ans, 15 ans ou 20 ans, parce que c’est comme cela que ça fonctionne aujourd’hui. » — Alain Poirier, directeur de projet pour l’AEMQ

De son point de vue, les contestations de la Loi sur les mines sont rares au Québec. « La Loi sur les mines a été modifiée à plusieurs reprises et on n’entend pas beaucoup de contestations ni de commentaires négatifs, juge M. Poirier. Il y a [le processus] d’octroi des claimsqui est contesté, mais par une seule communauté pour le moment. »

Seulement 4 % du territoire est claimé, selon l’AEMQ

En ce qui concerne le système d’attribution des claims, M. Poirier ne pense pas que l’industrie a une marge de manoeuvre inappropriée. « Ce n’est pas vrai que parce tu as un claim, tu peux tout faire. Tu ne peux pas exproprier les gens ou faire des travaux qui ont des impacts sur la forêt sans demander de permis », cite-t-il en exemple.

Il mentionne également que 33 % du territoire québécois est visé par une interdiction de travaux d’exploration minière ou sous contrainte. Par contrainte, il cite en exemple la présence d’aires protégées.

Il reconnait cependant que le fonctionnement actuel n’implique pas de consultation préalable avant l’obtention de claim. « À l’heure actuelle, ça ne se fait pas », constate-t-il. « La demande de claim déclenche un processus de validation du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, qui [va] valider avant de donner le droit », avance-t-il. C’est pourquoi, à ses yeux, la contestation de la procédure actuelle concerne d’abord le gouvernement, et non l’industrie.

Il précise cependant qu’il y a « une immense différence entre avoir un claim et une mine ». Seulement 4 % du territoire québécois est actuellement claimé, selon M. Poirier. « Les mines qui ouvrent aujourd’hui ont été découvertes il y a 10, 15, 20 ans, ce qui fait que c’est un processus extrêmement long », ajoute-t-il. Des travaux d’exploration peuvent s’effectuer sur de vastes territoires alors qu’un éventuel projet minier n’est développé que sur une fraction de cette superficie.  

Malgré les réformes de la loi, les problèmes demeurent, selon une chercheuse

La professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Sophie Thériault, est spécialiste des droits des peuples autochtones dans le contexte de l’extraction des ressources naturelles. Elle estime que le régime minier québécois « est structuré de telle manière à rendre impossible la consultation préalable des peuples autochtones avant l’enregistrement du claim. […] L’entrepreneur minier peut obtenir de manière unilatérale un claimsans que l’État exerce un pouvoir discrétionnaire », précise-t-elle.

Cette situation est, selon elle, un enjeu de taille notamment pour les territoires des communautés autochtones non conventionnées et qui n’ont donc jamais été cédés. Les Algonquin·e·s de Lac Barrière font partie de ce cas de figure. « Ils [et elles] peuvent toujours revendiquer l’existence de titres ancestraux, explique Mme Thériault. Un titre ancestral en droit canadien est défini comme le droit exclusif d’occuper un territoire, de l’utiliser et de bénéficier de l’exploitation de ses ressources. »

« Il y a une collision frontale entre le régime de claim minier et le titre ancestral » — Sophie Thériault, professeure de droit à l’Université d’Ottawa

Puisque le territoire n’a jamais été cédé, l’État est dans l’obligation de consulter les communautés lorsqu’une mesure étatique est susceptible d’être préjudiciable aux droits des peuples autochtones, précise Mme Thériault. Plusieurs communautés anishinabées ont tenté par le passé de négocier un traité avec les gouvernements, mais le processus n’a jamais abouti.

« À mon avis, l’enregistrement d’un claim minier sur un territoire potentiellement détenu en vertu d’un titre ancestral devrait donner lieu à une obligation de consultation », tranche Mme Thériault, qui se dit convaincue que certaines dispositions de la Loi sur les mines ne respectent pas les droits constitutionnels des Autochtones.

« L’État au service de l’industrie minière »

Mme Thériault soutient que ces enjeux de non-respect des droits ancestraux sont connus depuis longtemps. Elle émet l’hypothèse que la logique de free mining datant du XIXe siècle a survécu aux différentes réformes de la Loi sur les mines – dont la dernière remonte à 2013 — parce que cette approche est « favorable aux investisseurs miniers ». « Les entrepreneurs [et entrepreneuses] miniers réclament haut et fort l’accès le plus libre possible au territoire pour pouvoir mener des activités d’exploration et augmenter les chances de trouver un gisement rentable », constate-t-elle.

Selon elle, le système minier est à ce point favorable à l’industrie qu’il est reconnu internationalement comme tel par les grandes entreprises minières. « L’enjeu de l’économie politique ici est de dire que l’État est au service de l’industrie minière qu’il promeut également », affirme-t-elle.

Les entrepreneurs qui investissent pour effectuer des travaux d’exploration minière s’attendent d’ailleurs à pouvoir démarrer une mine s’ils trouvent un gisement intéressant. « On s’attend à ce que, s’il y a découverte d’un gisement rentable, on ait le droit de pouvoir exploiter le gisement en question », mentionne-t-elle.

Les fondements de la loi

Les fondements du free mining proviennent des ruées vers l’or du XIXe siècle et des codes miniers qui ont été développés par les prospecteurs eux-mêmes, selon la professeure. « Ils ont fait une pression importante sur les législateurs pour que ces codes miniers servent de base pour les législations étatiques, parce que les mineurs savaient que ces codes étaient favorables à l’expansion de l’industrie minière », explique-t-elle.

Le free mining est devenu une « forme de système de pensée qui est très ancrée dans les cultures minières et dont il est très difficile de faire abstraction », ajoute Mme Thériault, pour expliquer sa non-remise en question par les gouvernements.

Un enjeu aussi pour les allochtones

Selon Mme Thériault, la décision dans l’affaire opposant Lac Barrière au gouvernement du Québec pourrait devenir un « précédent très important et susceptible d’influencer le développement du droit dans d’autres juridictions ».

Elle croit également que cette contestation pourrait être bénéfique pour les communautés non autochtones. « Dans l’éventualité où l’État est forcé de restructurer son régime minier de manière à obliger la consultation avec les communautés autochtones, on va être mieux en mesure d’intégrer des processus décisionnels beaucoup plus ouverts, puis de laisser une place beaucoup plus grande aux démocraties locales », conclut-elle.

Le traitement de cette contestation judiciaire sera retardé en raison de la pandémie.

Photo : Peter B. Carter sur Flickr

Évènements culturels : en route vers un financement écoresponsable?

Évènements culturels : en route vers un financement écoresponsable?

Dans la difficile recherche de financement qui sous-tend tout événement culturel, pour se dire « écoresponsable », les festivals doivent-ils tourner le dos à certaines industries polluantes et controversées? Portrait de la situation.

Alors que la saison des festivals s’achève au Québec et que plusieurs ont pu en profiter et s’amuser au rythme de leurs artistes favori·te·s, les préoccupations de plus en plus importantes en rapport à l’environnement et à la lutte aux changements climatiques se transposent dans l’organisation même de ces rassemblements collectifs. L’utilisation de verres et de gourdes réutilisables en échange d’une consigne, les services de transports en commun, les stations d’eau potable, la mise en valeur de nourriture et d’alcool locaux, la vaisselle biodégradable, le compostage et le recyclage figurent parmi les mesures mises en place par de plus en plus de festivals au Québec. Or, si, dans certaines facettes de leur organisation, les festivals de musique, et plus largement les évènements culturels, passent au vert, ils continuent de nouer des partenariats avec des industries que certain·e·s qualifieraient de « polluantes et controversées ». Est-ce que le volet financement demeure exclu des considérations environnementales?

Le cas de Rouyn-Noranda

La relation parfois délicate qui peut s’établir entre un évènement culturel et un commanditaire controversé avait déjà été exposée en mai 2019 dans la ville de Rouyn-Noranda en Abitibi-Témiscamingue. En pleine conférence de presse pour le Festival des Guitares du Monde, l’artiste Richard Desjardins a critiqué un commanditaire du festival, soit la Fonderie Horne du géant mondial Glencore. À ce moment, M. Desjardins ne s’est pas gêné pour dénoncer le fait que la fonderie située en pleine ville dépassait de 67 fois la norme provinciale en termes d’émission d’arsenic dans l’atmosphère. Il disait du même coup que « Glencore, la valeur de cette compagnie-là, c’est 17 milliards, elle pourrait bien avoir un peu d’argent pour régler le problème de l’arsenic »[i]. Suite à cette déclaration, les organisateurs du festival ont demandé aux journalistes de ne pas diffuser cette partie de l’entrevue, de peur de déplaire à leur commanditaire[ii]. Or, Glencore n’en est pas à son premier scandale. Ailleurs dans le monde, cette entreprise est liée à des allégations d’évasion fiscale et de pollution, révélées notamment par les Paradise Papers[iii]. Présente aussi dans des pays du sud, par exemple en République démocratique du Congo où elle exploite une grande mine de cuivre et de cobalt (Katanga Mining), Glencore, exploite sa mine au Congo en passant par plusieurs filiales qui seraient situées dans des paradis fiscaux[iv]. De plus, comme le rapporte Radio-Canada, selon les documents issus des Paradise Papers, il y a plusieurs relations d’affaires entre Glencore et Dan Gertler dans les projets de Katanga Mining[v]. Il faut comprendre que le milliardaire Dan Gertler apparait, en raison de ses activités en RDC, « depuis longtemps dans les enquêtes d’ONG comme Rights and Accountability in Development (RAID) »[vi].   Bref, la liste des allégations qui concernent Glencore pourrait s’allonger sur plusieurs pages. L’idée ici est plutôt de soulever le fait que, malgré ces multiples scandales et ce lourd héritage que porte la compagnie, des festivals continuent d’établir des partenariats avec elle. Pensons ici au festival Osisko en lumière qui en a fait son « coprésentateur officiel », ou bien au Festival de musique émergente (FME) qui le présente comme « partenaire », allant même jusqu’à nommer une scène à son nom. D’autres partenariats pourraient être soulevés, par exemple celui avec la compagnie IAMGOLD (aussi « coprésentatrice officielle » d’Osisko en lumière). En août 2019, cette compagnie a été accusée de fraude et de trafic d’or illégal au Burkina Faso[vii]. Dans le passé, comme le rapportent les travaux d’Alain Deneault, IAMGOLD a aussi été mêlée à des cas de pollution causée par ses activités minières au Mali, empoisonnant les sources d’eau potable d’une communauté locale. Le bilan s’est soldé par la mort d’oiseaux, de bétail, mais surtout, par un nombre alarmant de fausses couches pour les femmes de cette région, touchant quatre femmes sur cinq, selon un rapport du ministère de la Santé du Mali[viii].

Malgré les partenariats créés entre ces industries et ces festivals, offrant publicité au premier en échange de moyens financiers aux seconds, les organisations de ces évènements, comme c’est le cas pour le FME et Osisko en lumière, font tout de même des efforts en matière d’écoresponsabilité sur d’autres points. À cet effet, chacun de leurs sites web respectifs présente une section « écoresponsable » dans laquelle les festivals énumèrent les actions entreprises pour réduire leur empreinte environnementale. Par exemple, ces deux festivals mentionnent leur association avec le Groupe ÉCOcitoyen de Rouyn-Noranda (GÉCO) afin d’obtenir de l’aide dans la gestion des matières résiduelles. Cependant, comme en témoigne ce qui vient d’être rapporté, le volet financement est exclu des considérations environnementales. À cet effet, à savoir si la notion d’écoresponsabilité devrait inclure un volet relatif au financement, la directrice générale du FME, Magalie Monderie-Larouche, voit l’enjeu d’un autre œil : « Il y a l’écoresponsabilité dans un festival, mais il y a aussi le lien social que ces entreprises-là ont avec les gens dans la région ». Selon elle, il ne faut pas réduire l’enjeu du financement de telles entreprises qu’à cette problématique : « C’est peut-être des pollueurs, mais pour nous en région, c’est aussi des employeurs, c’est aussi des citoyens corporatifs, ça fait vraiment partie de notre paysage, alors pour nous ce n’est pas que lié à ça. » Concernant plus spécifiquement le scandale de la Fonderie Horne de Glencore, Magalie Monderie-Larouche ne croit pas que ce soit le rôle du FME d’intervenir dans l’affaire : « Je pense que c’est vraiment au gouvernement et à la ville de gérer ça. Ce n’est vraiment pas à nous comme évènement de gérer ces scandales-là. » Dans le même ordre d’idées, questionnée à savoir si un festival devrait faire attention à ne pas nouer de partenariats avec des entreprises controversées à l’échelle mondiale, comme Glencore, par exemple, elle juge que « ce n’est pas notre rôle ». Dans le cas de Glencore et de la fonderie, elle ajoute que « la Fonderie Horne, c’est vrai qu’elle a été achetée par Glencore, mais c’est un partenariat qui existe depuis bien avant et c’est une entreprise qui est quand même dans notre ville depuis bien avant aussi […] C’est un partenaire qui est naturel pour nous à Rouyn-Noranda ».

L’Esprit libre a tenté de rejoindre plusieurs fois le festival Osisko en lumière, mais nous n’avons pas été en mesure d’obtenir leurs commentaires dans un délai raisonnable. Glencore et IAMGOLD n’ont pas répondu à notre demande d’entrevue.

Reconnaitre les efforts

Dans le but d’encourager les virages verts pour les évènements culturels, le Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER) a vu le jour en janvier 2008. Cet organisme à but non lucratif travaille depuis sa fondation avec des organisateurs d’évènements situés partout au Québec. Le CQEER offre différents services, allant de l’offre de formations et conférences, à l’accompagnement et à la conception d’outils pour les organisateurs souhaitant adopter des pratiques plus saines pour l’environnement[ix].

Le CQEER est aujourd’hui l’un des neuf organismes certifiés sous la norme BNQ 9700-253. Ce cadre émis par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) permet à des organismes comme le CQEER d’accompagner des évènements dans un processus de classification. Rencontrée dans son bureau situé à Montréal, Sara Courcelles, conseillère en développement durable au CQEER, explique que ce processus de classification vient évaluer un organisme en le situant sur une échelle de niveaux allant d’un à cinq. Pour obtenir la classification, c’est le groupe désirant être reconnu par cette norme qui doit approcher le CQEER : « Ils viennent vers nous et on les accompagne, on détermine avec eux quelles exigences ils vont être en mesure de remplir ». Une fois cette certification acquise, l’organisme qui l’obtient reçoit une reconnaissance officielle qui salue son travail en matière d’écoresponsabilité, mais profite aussi d’un avantage auprès du public et de ses partenaires. À cet effet, Sara Courcelles note que « le gros avantage au niveau de la norme, c’est [surtout] au niveau des communications, parce que ça se communique très bien ». Il semble aussi que le CQEER ressent un engouement de plus en en plus important envers ses activités et son expertise de la part des évènements. Au sujet de cette tendance, Sara Courcelles affirme sans hésiter que « définitivement, au CQEER, on offre beaucoup de formations aussi, et, dans la dernière année, on a vraiment vu une augmentation des formations qu’on va donner dans les organismes, dans les municipalités, on fait vraiment plus appel à nous ». Cependant, questionnée à savoir si leur cadre de classification en cinq niveaux utilisé pour évaluer et accompagner un évènement se penchait sur le volet du financement, la représentante du CQEER répond que « non, malheureusement ». Par contre, loin d’être fermée à l’idée, Sara Courcelles nous dit que « ça pourrait être une bonne idée d’ajouter un volet sur le financement ».

Quelles responsabilités pour les artistes?

Alors qu’il semble y avoir une prise de conscience environnementale de plus en plus grande de la part des évènements, comme en témoignent les expériences du CQEER, par exemple, qu’en est-il de celles et ceux qui occupent le devant de la scène, à savoir les artistes? À cet effet, des efforts semblent déjà être faits, comme en atteste le projet québécois Artistes Citoyens en tournée (ACT). Lancé par l’artiste Laurence Lafond-Baulne du groupe Milk & Bone, Aurore Courtieux-Boinot qui évolue dans l’évènementiel, ainsi que par Caroline Voyer, directrice du Réseau québécois des femmes en environnement (RQFE) et fondatrice du CQEER, ACT a pour mission de « promouvoir les pratiques écoresponsables dans le milieu du spectacle »[x]. Les objectifs du mouvement sont, entre autres, de « faire prendre conscience aux artistes de leur pouvoir d’action envers l’environnement, de bâtir des outils simples et efficaces afin de réduire l’empreinte environnementale des spectacles et tournées, ainsi que d’accompagner les artistes qui le souhaitent vers une certification afin de faire reconnaitre leur engagement et d’inspirer leur public »[xi]. Par rapport à la certification, un·e artiste ou un groupe, en s’embarquant dans le mouvement ACT, se voit attribuer un niveau de un à trois, en fonction des actions accomplies.

Le mouvement des Artistes Citoyens en Tournée comprend déjà près de 30 artistes solo ou groupes, dont Klo Pelgag, Fuudge, Charlotte Cardin et plusieurs autres.

L’enjeu du financement : une question de cohérence?

Au-delà des efforts réels entrepris par certain·e·s artistes, organisateurs et organisatrices de festivals ainsi que par des organismes comme le CQEER, le volet financement semble exclu de ces considérations. En termes de cohérence, il semble que pour se dire écoresponsable, un festival qui choisit de se tourner vers du financement provenant d’industries polluantes ou controversées doit se préparer à défendre cette prise de position, selon le CQERR : « On conseille aux gens de faire attention, s’ils veulent se dire écoresponsables et qu’ils sont financés par une industrie polluante, ils ouvrent le flanc aux critiques. » De son côté, Marc Nantel, porte-parole du groupe environnementaliste Regroupement Vigilance Mines de l’Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT), abonde dans le même sens : « Il est tout à fait à propos qu’un évènement culturel qui désire être identifié comme vert cherche du financement provenant de bailleurs de fonds qui ne sont pas des pollueurs. »

Situation financière délicate

Pour un évènement culturel, le recours à du financement d’entreprises dites polluantes ou controversé témoigne peut-être aussi d’une situation plus complexe. Questionnée à savoir si le CQEER pouvait intervenir au niveau des ententes entre un évènement et un commanditaire controversé, Sara Courcelles affirme que ce n’est pas le rôle de son organisme d’entrer en jeu à ce moment. C’est plutôt au niveau de l’accompagnement que le CQEER peut aider : « Nous, on va conseiller l’évènement sur comment atténuer les possibles retombés négatives de cette association, entre une compagnie et leur évènement. » Par contre, elle est consciente que l’enjeu du financement peut-être plus complexe dans le cas d’un festival en Abitibi : « Je n’irai pas dire à un évènement en Abitibi qui, sans l’appui d’une minière, ne pourrait pas avoir lieu […)] « non, ne prend pas cet argent-là ». »

Pour Marc Nantel du REVIMAT, cette situation est le résultat du « néo-libéralisme [qui] a fait son œuvre au niveau de la gouvernance des évènements culturels ». Selon lui, « ce sont nos gouvernements qui se sont délestés de leur mission d’aider les communautés et de travailler pour le bien commun ». Ce serait donc ce retrait de l’État en termes de financement de la culture qui pourrait pousser les évènements à se tourner vers ce type de partenariats : « Nos gouvernements, soi-disant pour diminuer les impôts des citoyen[·ne·]s, ne cherchent pas à financer ces évènements. Ils laissent donc au privé le soin de s’impliquer. » Le REVIMAT pense que ce sont les fonds publics qui devraient financer un gros pourcentage des couts, et que la balance seulement devrait revenir au secteur privé. Cela permettrait de « montrer clairement que c’est grâce à la collectivité que l’on peut se payer ces évènements », alors qu’en ce moment « les dons sont indirectement assumés par nous par des mesures fiscales avantageuses aux entreprises comme des remboursements d’impôts, des redevances faibles et un pourcentage d’impôts très bas »[xii]. On se trouverait donc dans une situation où les dons et commandites que versent certaines entreprises seraient remboursés par la collectivité sous forme de remboursement d’impôts, alors que celles-ci jouissent déjà d’un très faible fardeau fiscal, toujours selon M. Nantel. À l’heure actuelle, pour très peu de couts, l’entreprise qui finance un évènement culturel obtient beaucoup en échange. Marc Nantel précise que « ce qu’il faut comprendre du financement des entreprises dans les évènements culturels, c’est que ce ne sont pas juste les citoyennes et citoyens qui bénéficient de l’évènement. L’entreprise gagne gros en couverture médiatique et sur son image corporative. Elle gagne aussi sur son influence politique ».

De son côté, l’Association minière du Québec (AMQ) s’est déjà positionnée sur l’enjeu un peu plus tôt cette année. Alors jointe par Radio-Canada concernant la pratique répandue des dons et commandites émis par certaines minières, la présidente de l’AMQ, Josée Méthot, avait déclaré : « On encourage nos membres à avoir de bonnes relations avec les communautés, avec les collectivités où elles opèrent. Ça fait partie de cette relation de bien connaitre et d’aider les gens localement, c’est une forme d’implication également dans la communauté, alors les dons et commandites, c’est à cela que ça sert. »[xiii]

Des solutions possibles?

Des solutions à court terme existent pour les évènements culturels qui se tournent vers des industries polluantes, voire controversées. S’ils ne peuvent cesser de nouer des partenariats avec ces industries, les organisateurs pourraient, par exemple, comme le suggère le CQEER, demander à une entreprise d’« acheter des crédits carbone pour compenser pour les gaz à effet de serre qui sont émis lors les déplacements des festivaliers [et festivalières] ou pour l’organisation » ou bien, autre exemple relatif à l’Abitibi « cette minière-là va payer pour notre classification avec le BNQ ». Le porte-parole du REVIMAT croit aussi qu’un festival pourrait négocier avec une compagnie polluante un partenariat plus écoresponsable. L’organisation pourrait « exiger qu’elles posent des gestes dans le quotidien pour pouvoir se qualifier comme bailleuses de fonds ». Il ajoute qu’une organisation de festival pourrait « exiger qu’une entreprise réduise ses émissions atmosphériques de CO2 de 10 à 20 % ou qu’elle compense ses émissions de CO2 en plantant annuellement le nombre d’arbres [nécessaires] pour annuler ses émissions. Ou encore, exiger que la compagnie fasse des investissements pour réduire ses rejets ».

Il est clair que de plus en plus d’évènements culturels cherchent aujourd’hui à se positionner sur l’enjeu de l’environnement. L’écoresponsabilité est revendiquée par différents festivals, alors que l’attention du public et de différents organismes encourage les organisateurs et organisatrices de ces rassemblements collectifs à réduire leur empreinte écologique. Si l’enjeu du financement demeure central pour tout évènement culturel, une question demeure : est-il possible d’envisager un financement écoresponsable, ou du moins, cela est-il souhaitable? Le débat est lancé.

CRÉDIT PHOTO: Flickr – Patrice Katalyu

[i] Deshais, Thomas « Commandites des grandes entreprises : leviers de développement ou outils de contrôle de la population? », Radio-Canada, 12 juin 2019. https://ici.radiocanada.ca/nouvelle/1174360/commandites-entreprises-priv…

[ii] Ibid.

[iii] Joncas, Hugo « Glencore, un propriétaire aux mille controverses », Journal de Montréal, 10 septembre 2018. https://www.journaldemontreal.com/2018/09/10/glencore-un-proprietaire-au…

[iv] Harel, Gino « De l’Afrique au Yukon, une mine de controverses », Radio-Canada, 7 novembre 2017. https://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2017/paradise-papers/glenc…

[v] Ibid.

[vi] Ibid.

[vii] Agence France-Presse, « De l’or caché dans des convois de charbon », Le Devoir, 8 août 2019. https://www.ledevoir.com/monde/560220/burkina-iamgold-essakane-et-bollor…

[viii] Alain Deneault, « Faire l’économie de la haine : Douze essais pour une pensée critique », Montréal : Écosociété, 2011.

[ix] Conseil québécois des événements écoresponsables, https://evenementecoresponsable.com. Page consultée le 25 août 2019.

[x] Artistes Citoyens en Tournée, http://www.act-tour.org. Page consultée le 25 août 2019.

[xi] Ibid.

[xii] Ibid.

[xiii] Deshais, Thomas « Commandites des grandes entreprises : leviers de développement ou outils de contrôle de la population? », Radio-Canada, 12 juin 2019. https://ici.radiocanada.ca/nouvelle/1174360/commandites-entreprises-priv…