Ce texte est extrait du recueil Anguilles sous roche. Pour acheter le livre, visitez votre librairie, ou notre boutique en ligne!
Les théories complotistes ont connu un essor exponentiel depuis le début de la pandémie de COVID-19. Non seulement elles se répandent plus efficacement que jamais, mais elles rallient aussi de plus en plus d’adeptes : le média Politico a d’ailleurs désigné l’année 2020 comme « l’âge d’or des théories du complot1Zack Stanton, “You’re living in the golden age of conspiracy theories”, Politico, 17 juin 2020. www.politico.com/news/magazine/2020/06/17/conspiracy-theories-pandemic-t…. ». Dans les médias et sur nos réseaux sociaux, les fausses nouvelles défilent et les divers « complots mondiaux » et mouvements conspirationnistes s’empilent. En même temps, la pandémie met au jour et exacerbe de nombreuses inégalités, notamment entre les hommes et les femmes, et les protestations contre les mesures sanitaires gouvernementales en Occident font les manchettes. Dans le cadre de cet article, je vais m’appliquer à démontrer la convergence entre antiféminisme, place des femmes et conspirationnisme2Il s’agit d’une proposition et d’une idée originale de Corinne Asselin. Je lui dois également les ressources sur le conspirationnisme ainsi que les contacts des deux chercheuses interrogées dans le cadre de cet article.. Quels liens peut-on établir entre ce contremouvement qu’est l’antiféminisme et le conspirationnisme, qui correspond à un imaginaire « qui favorise et rend possible l’interprétation de l’histoire à partir d’une grille de lecture impliquant un vaste complot à caractère politique au niveau national, international ou mondial3Jérôme Jamin, L’imaginaire du complot : discours d’extrême droite en France et aux États-Unis. Amsterdam University Press, 2009, p. 23. »?
Antiféminisme et conspirationnisme : des liens nouveaux à décortiquer
Il semble important de commencer cet article par une définition plus large de l’antiféminisme et du conspirationnisme. Selon la sociologue et spécialiste des enjeux féministes Marie-Ève Surprenant, l’antiféminisme se définit comme un contremouvement qui ne prône pas de changements sur le plan des rapports sociaux entre les sexes et les genres, mais plutôt le statu quo, voire un retour en arrière : « Les antiféministes réfléchissent au présent en idéalisant un passé auquel ils [et elles] souhaitent retourner. L’antiféminisme s’accompagne souvent de conservatisme politique, moral et/ou religieux4Marie-Ève Surprenant, Manuel de résistance féministe, Montréal : Éditions du Remue-Ménage, 2015, p. 77-78. Sur le sujet spécifique de l’antiféminisme, je propose les sources suivantes : Mélissa Blais, « Masculinisme et violences contre les femmes : une analyse des effets du contremouvement antiféministe sur le mouvement féministe québécois », Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 2018. Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri. (2014). « Antiféminisme : pas d’exception française », Travail, genre et sociétés, no 32, 2014 : 151-156. Mélissa Blais, « Y a-t-il un “cycle de la violence antiféministe” ? Les effets de l’antiféminisme selon les féministes québécoises », Cahiers du Genre, Vol. 52, no 1, 2012 : 167-195. Francis Dupuis-Déri, « Le discours de la “crise de la masculinité” comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe », Cahiers du Genre, Vol. 52, no 1, 2012 : 119-143.. » L’antiféminisme se manifeste entre autres par des mobilisations contre les revendications et avancées féministes. En de nombreuses occasions, les antiféministes poursuivent l’objectif de revenir aux relations de sexe/genre d’un passé idéalisé. Ainsi, de nombreux∙ses antiféministes rattachent les femmes à leur rôle potentiel de mère et revendiquent parfois l’interdiction pure et simple de l’avortement. Ils et elles sont uni∙e∙s par l’idéal de la famille hétérosexuelle et blanche. Leur message se déploie à travers différentes techniques : un argumentaire simple, l’appel aux émotions, la recherche de crédibilité, la démagogie, la dépolitisation des revendications féministes, le détournement du sens des actions féministes, la désinformation, le discrédit du féminisme et de ses porte-parole ainsi qu’une stratégie de division de la société5Ibid., p.81-84.. Des discours et stratégies qui ne sont pas sans rappeler certaines dimensions des mouvements conspirationnistes. Pour le chercheur Emmanuel Taïeb, qui analyse les discours conspirationnistes à travers le prisme de la sociologie politique, « on peut plutôt identifier la posture conspirationniste, quand [le] discours postule que le cours de l’histoire et les événements marquants qui la jalonnent sont provoqués uniformément par l’action secrète d’un petit groupe d’hommes [et de femmes] désireux [∙ses] de voir la réalisation d’un projet de contrôle et de domination des populations6Emmanuel Taïeb, Pierre Hamel, Barbara Thériault et Virginie Tournay, « Logiques Politiques Du Conspirationnisme », Sociologie et sociétés, Vol. 42, no 2, 2010, p.267. ». En effet, certain∙e∙s adeptes des théories conspirationnistes affirment que la COVID-19 a été créée par « les élites mondiales » pour contrôler le monde, une thèse notamment soutenue dans le documentaire conspirationniste français Hold-Up. Dans l’article « The Psychology of Conspiracy Theories », les autrices, chercheuses à l’Université du Kent, affirment que « la croyance aux théories du complot semble être motivée par des raisons qui peuvent être qualifiées d’épistémiques (comprendre son environnement), d’existentielles (être en sécurité et contrôler son environnement) et de sociales (maintenir une image positive de soi et du groupe social)7Traduction libre de Karen M. Douglas, Robbie M. Sutton, et Aleksandra Cichocka, “The Psychology of Conspiracy Theories”, Current directions in psychological science, Vol. 26, no 6, p.538. ».
Les technologies de l’information et de la communication sont utilisées par ces groupes pour partager de fausses informations, groupes qui ont gagné en visibilité avec la présidence de Donald Trump. Dans un contexte généralisé de baisse de confiance envers les médias, les théories du complot touchent un public de plus en plus large, comme nous le verrons à travers le cas spécifique des influenceuses. La sphère numérique, qui permet à toutes et tous de donner son opinion, est un espace idéal pour la propagation de fausses nouvelles, surtout dans un contexte de crise. Ainsi, « l’imaginaire conspirationniste refuse la complexité du monde et offre une lecture inédite de ce dernier dans un cadre simple et compréhensible8Maxime Laprise, « Les conspirationnistes ont (presque) raison », La Presse, 23 août 2020. www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-08-23/les-conspirationnistes-ont-pr…. ». Plusieurs médias s’attellent pourtant quotidiennement à débusquer les fausses nouvelles à travers des rubriques et des émissions spéciales — « Factuel » (Agence France-Presse), « Fake Off » (20 Minutes), « Les Décodeurs » (Le Monde), « Le vrai du faux » (Franceinfo), « Les Décrypteurs » (Radio-Canada), ainsi que les deux rubriques « Fact Check » des agences de presse anglophones Reuters et Associated Press. Depuis le début de la crise sanitaire, ces équipes de rédaction reçoivent un « volume inédit de questions et de fausses informations à vérifier9Thibault Prévost, « Les fact-checkers face à l’épidémie de désinformation », Arrêt sur images, 20 mars 2020. www.arretsurimages.net/articles/les-fact-checkers-face-a-lepidemie-de-de…. ».
Dans cet article qui s’ancre dans un contexte occidental avec des exemples qui concernent principalement le Québec, les États-Unis et la France, je vais faire le lien entre antiféminisme et conspirationnisme sous plusieurs angles. Au fil de mes recherches, j’ai pu constater l’absence de littérature liant ces deux thèmes et il s’agit donc d’un article qui explore de façon nouvelle l’antiféminisme sous le prisme du conspirationnisme et inversement, tout en prenant en compte la question du rôle des femmes. Cet article ne se veut surtout pas exhaustif, mais propose seulement quatre pistes de réflexion intéressantes. De nombreux liens ne sont pas ici spécifiquement abordés, mais mériteraient d’être examinés en profondeur, tels ceux que le conspirationnisme entretient avec le racisme, la lgbtphobie ou le classisme. Interrogées dans le cadre de cet article, les chercheuses Véronique Pronovost et Héloïse Michaud abordent la notion d’« alliance stratégique » entre ces groupes, théorie qui constitue un fil conducteur et une inspiration tout au long de ce texte10Véronique Pronovost (PhD) est membre de la Chaire Raoul-Dandurand et spécialiste des mouvements conservateurs et antiféministes. Héloïse Michaud est candidate au doctorat en science politique à l’Université du Québec à Montréal et travaille sur l’antiféminisme des femmes sur les réseaux sociaux..
Un retour forcé des valeurs conservatrices de « la famille » ?
Depuis mars 2020, les emplois de la santé et plus généralement ceux qui sont considérés comme essentiels ont fait l’objet d’une attention et d’une reconnaissance, surtout symbolique, accrues. Au Canada, ces emplois sont majoritairement occupés par des personnes racisées et issues de l’immigration11Anaïs Elboujdaïni et Mugoli Samba, « Travailleurs racisés : quand la pandémie révèle les injustices », Radio-Canada, 8 mai 2020. www.ici.radio-canada.ca/nouvelle/1701302/travailleurs-racises-essentiels….. La fermeture des écoles et des garderies a laissé un vide dans l’offre de services de garde d’enfants. Bien que, pour les emplois qui le permettent, les hommes soient autant en télétravail que les femmes, ce sont ces dernières qui s’occupent majoritairement des enfants, de leurs soins, de leur scolarité et des tâches ménagères, au détriment de leur emploi rémunéré12Karine Leclerc. « Soins des enfants : répercussions de la COVID-19 sur les parents ». Statistique Canada, 2020. www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2020001/article/00091-fra.htm Radio-Canada. « Les femmes seraient plus touchées par la pandémie sur le plan familial et professionnel », 20 juillet 2020. www.ici.radio-canada.ca/nouvelle/1720973/coronavirus-manitoba-femmes-tra….. D’ailleurs, les femmes ont été plus nombreuses à perdre leur emploi en raison de la pandémie13Conseil du statut de la femme, « Impacts économiques de la pandémie sur les femmes », 2020. www.csf.gouv.qc.ca/article/publicationsnum/les-femmes-et-la-pandemie/eco… ; Véronique Prince, « 68 % des emplois perdus par des femmes au Québec », Radio-Canada, 11 décembre 2020. www.ici.radio-canada.ca/nouvelle/1756478/perte-emplois-femmes-retention-….. Les premières études confirment la tendance redoutée selon laquelle cette situation a conduit à une retraditionnalisation des relations entre les sexes et entre les genres dans la sphère privée du foyer familial. Selon une recherche publiée par le Forum économique mondial, la pandémie de COVID-19 retarde en effet les progrès vers l’égalité femmes-hommes d’une génération. Selon cette étude, il faudra attendre 135,6 années avant de parvenir à une parité à l’échelle mondiale sur les plans politique, économique, de la santé et de l’éducation14World Economic Forum (WEF), Global Gender Gap, Report 2021, 30 mars 2021. www.fr.weforum.org/reports/global-gender-gap-report-2021..
Certain∙e∙s antiféministes pourraient voir dans la situation de crise une occasion de renforcer les modèles familiaux traditionnels, puisqu’ils et elles considèrent que la place des femmes est principalement au foyer. Toutefois, cela n’est pour l’instant qu’une hypothèse qui demeure à prouver, mais dont on peut retrouver des indices à travers certains mouvements contemporains. Notamment, le mouvement conservateur #tradwife, très actif en ligne, qui revendique un retour en arrière drastique pour les droits des femmes. La blogueuse conservatrice Alena Kate Pettitt en est l’une des figures de proue et appelle à « redonner de la valeur au rôle de la femme d’intérieur et de la mère au foyer » sur son compte Instagram.
Ce mouvement n’est pas sans rappeler le travail de la féministe radicale Andrea Dworkin, qui s’est penchée sur « les femmes de droite ». Dans un livre du même nom, elle décortique la position de ces femmes qui, dans un contexte structurel patriarcal, « concluent le marché le plus avantageux : en échange de leur conformité aux rôles traditionnels, la droite leur promet la sécurité, le respect, l’amour. Elles font donc le pari qu’il est préférable de prendre le parti du patriarcat plutôt que de combattre ce système dont la violence est trop souvent meurtrière15Andrea Dworkin, Les femmes de droite, Montréal : Éditions du Remue-Ménage, 2016. ».
« Pastel QAnon » : quand des influenceuses et des blogueuses partagent et diffusent des théories du complot
Un sondage réalisé en mars 2020 a révélé qu’environ 30 % de la population des États-Unis adhère à une théorie du complot liée à la COVID-1916Joseph E. Uscinski et al., “Why do people believe COVID-19 conspiracy theories?”,Harvard Kennedy School Misinformation Review, Vol. 1, no 3, 2020. www.misinforeview.hks.harvard.edu/article/why-do-people-believe-covid-19….. Un quart des personnes qui connaissent QAnon pensent que ce mouvement recèle une part de vérité, et pendant l’élection présidentielle étasunienne de 2020, un Tweet sur vingt concernant l’élection provenait d’un compte associé à QAnon17Sam Sabin, “1 in 4 social media users who have heard of QAnon say its conspiracy theories are at least somewhat accurate”, Morning consult, 14 octobre 2020. www.morningconsult.com/2020/10/14/social-media-qanon-poll; David Gilbert, “QAnon lies are taking over election conversations online”, Vice, 23 novembre 2020. www.vice.com/en/article/g5bv54/qanon-lies-are-taking-over-election-conve….. Cette mouvance conspirationniste d’extrême droite venue des États-Unis postule que l’ancien président Donald Trump est engagé dans une bataille contre l’État profond (Deep state) et qu’il tente de faire tomber un réseau de pédophiles et de trafiquants d’enfants qui compte plusieurs politicien∙ne∙s et célébrités. Il est à rapprocher du célèbre « Pizzagate », théorie du complot selon laquelle il existait un supposé réseau de pédophilie basé dans le sous-sol d’une pizzeria à Washington et qui a poussé un homme à entrer dans ledit lieu armé en décembre 2016.
En général, quand nous pensons à la théorie du complot QAnon, les premiers exemples qui nous viennent au Québec sont ceux de personnes populaires sur les réseaux comme Alexis Cossette-Trudel. Il représente l’une des principales sources de propagation de discours conspirationnistes sur la pandémie dans la province québécoise. Ces personnalités sont reliées aux « radios-poubelles » de Québec qui diffusent depuis des années leurs discours18Dominique Payette, Les brutes et la punaise : les radios-poubelles, la liberté d’expression et le commerce des injures, Montréal : Lux, 2019.. Nous pensons également plus globalement à des espaces virtuels occupés majoritairement par des hommes comme le forum 4chan. Mais depuis l’année 2020, la mouvance QAnon s’infiltre sur des plateformes numériques moins attendues.
De plus en plus d’influenceuses, de mamans blogueuses et de professeures de yoga en ligne relaient des théories conspirationnistes sur leurs réseaux sociaux. Depuis 2020, la théorie du complot QAnon évolue et semble être reprise et même menée par les femmes selon un article de Slate qui décortique le mouvement Pastel QAnon19Lili Loofbourow, “It Makes Perfect Sense That QAnon Took Off With Women This Summer”, Slate, 18 septembre 2020. www.slate.com/news-and-politics/2020/09/qanon-women-why.html.. Certaines influenceuses étasuniennes utilisent depuis l’année dernière le réseau social Instagram pour diffuser les théories de QAnon à coup de mots-clics et de publications à l’esthétique douce et aux couleurs pastel20Eden Gillespie, “‘Pastel QAnon’: the female lifestyle bloggers and influenceurs spreading conspiracy theories through Instagram”, The Feed, 30 septembre 2020. www.sbs.com.au/news/the-feed/pastel-qanon-the-female-lifestyle-bloggers-….. Ces femmes qui partagent habituellement des produits de beauté, des cours de yoga et des selfies utilisent donc désormais leurs plateformes pour diffuser des théories conspirationnistes.
Selon un article de The Atlantic, d’autres le font parfois même sans réaliser qu’elles adhèrent aux théories de QAnon21Kaitlyn Tiffany. “The Women Making Conspiracy Theories Beautiful”, The Atlantic, 18 août 2020. www.theatlantic.com/technology/archive/2020/08/how-instagram-aesthetics-….. Ces dernières sont camouflées derrière le mot-clic consensuel #SaveTheChildren. L’une des mamans-influenceuses témoignant pour The Atlantic affirme que tout est bon pour « diffuser le message [que les enfants sont en danger] », même QAnon22Traduction libre de Ibid.. Ces femmes aux milliers d’abonné∙e∙s s’inquiètent donc du sort d’enfants sans pour autant pousser leurs recherches, certaines citant des comptes Instagram comme leurs sources primaires pour étayer leurs croyances voulant qu’un grand nombre d’enfants disparaissent entre les mains de l’État profond23Ibid.. Cependant, en contexte de crise, « toutes les théories du complot tentent de donner un sens aux ruptures paradigmatiques du monde. Voyez-les comme une sorte de réponse à un traumatisme24Traduction libre de Lili Loofbourow, op. cit. ». Plus encore, la pandémie est particulièrement éprouvante pour les mères qui assument souvent une quadruple journée (travail, enfants, école et maison) dans un même espace, et « l’acuité de ce défi s’est produite en même temps que la montée en puissance de Q-stagram », la succursale de QAnon sur Instagram25Traduction libre de Ibid.
En ce qui concerne le lien plus étroit entre influenceuses et conspirations liées à la pandémie de COVID-19, l’exemple de l’influenceuse française Kim Glow est intéressant. Cette dernière a utilisé son compte Instagram, suivi par plus d’un million de personnes, pour appeler la population à « se réveiller » en affirmant que « nous vivons un génocide, que le virus a été utilisé pour diminuer la population et esclavager (sic) le reste qui survit26La vidéo peut être visionnée en ligne : https://www.huffingtonpost.fr/entry/ces-stories-complotistes-de-kim-glow…. ». Elle cite d’ailleurs le documentaire Hold Up comme étant sa source d’information.
Lorna Bracewell, dans son article « Gender, Populism, and the QAnon Conspiracy Movement » publié en 2020, affirme qu’un examen de la littérature scientifique interdisciplinaire sur le populisme montre que le phénomène est très peu étudié sous le prisme du genre, ce que j’ai pu constater au fil de mes recherches pour la rédaction de cet article27Traduction libre de Lorna Bracewell, “Gender, Populism, and the QAnon Conspiracy movement”, Frontiers in Sociology, Vol. 5, 2020.. En effet, Lorna Bracewell relève que la plupart des articles scientifiques sur la question s’intéressent aux rôles des hommes et de la masculinité et pose l’hypothèse selon laquelle « les déploiements populistes de la féminité sont aussi riches, complexes et puissants que leurs déploiements de la masculinité ». Pour la chercheuse, « QAnon est une étude de cas qui montre comment la féminité, en particulier les identités féminines centrées sur la maternité et le devoir maternel, peut être mobilisée pour engager les femmes dans des projets politiques populistes28Traduction libre de Ibid. ».
Rhétoriques antiféministe et conspirationniste : les antiavortements et les antivaccins
La production et l’usage de discours antiféministes par des associations étasuniennes nationalistes, religieuses et conservatrices est un phénomène bien documenté29Voir notamment : Rosalind Pollack Petchesky, « Antiabortion, antifeminism, and the rise of the New Right », Feminist Studies, Vol. 7, no 2, 1981 : 206-246.. L’antiféminisme est très présent aux États-Unis, notamment puisque les institutions religieuses y sont toujours très influentes et revendiquent l’importance de limiter, voire d’interdire complètement l’avortement, un droit qui continue à être menacé dans de nombreux pays du monde.
Une partie de l’Église catholique effectue un croisement entre revendications antiavortement et antivaccin qui mérite de s’y pencher. Les représentants étasuniens de certaines branches plus fondamentalistes de l’Église spéculent parfois que des forces secrètes sont à l’origine des mesures contre la COVID-19 — un récit de conspiration classique. Certains membres plus ou moins influents affirment que des fœtus avortés sont utilisés pour développer un vaccin contre la COVID-19 et, pour cette raison, les catholiques trouvent ce vaccin moralement inacceptable30Boris Proulx, « Le clergé demande d’éviter les vaccins d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson », Le Devoir, 11 mars 2021. www.ledevoir.com/societe/sante/596659/le-clerge-demande-d-eviter-les-vac….. Selon la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), il faudrait par exemple privilégier les vaccins de Pfizer et de Moderna au détriment de ceux de Johnson & Johnson et d’AstraZeneca. Sur le site internet de la CECC, on peut lire : « Le fait que Santé Canada a récemment autorisé les vaccins AstraZeneca et Johnson & Johnson contre la COVID-19 incite des catholiques à se demander s’il est moralement acceptable de recevoir des vaccins dont le développement, la production ou l’expérimentation clinique ont comporté l’utilisation de lignées cellulaires dérivées de l’avortement. Ces questions sont importantes, car elles concernent le caractère sacré de la vie humaine et sa dignité intrinsèque31Site officiel de la Conférence des Évêques Catholiques du Canada (CECC), consulté le 1er avril 2021. www.cccb.ca/fr/foi-et-questions-morales/soins-de-sante/vaccin-covid-19-q….. » Pourtant, comme expliqué par le groupe de recherche de l’Université d’Oxford sur les vaccins contre la COVID-19, le vaccin AstraZeneca comporte des clones de cellules humaines dont « les cellules originales ont été prélevées sur le rein d’un fœtus légalement avorté en 1973 », ce qui contredit factuellement la théorie avancée par les récits complotistes32Traduction libre de University of Oxford, Vaccine Knowledge Project, Authoritative Information For All. https://vk.ovg.ox.ac.uk/vk/covid-19-vaccines..
Les femmes leaders politiques sur le devant de la scène : haine et tentative d’effacement des femmes politiques
Alors que plusieurs médias mettaient de l’avant la gouvernance efficace des femmes en politique au début de la crise en 2020, il semble qu’un an plus tard, ces articles soient déjà bien loin dans l’imaginaire collectif 33Avivah Wittenberg-Cox, “What do countries with the best coronavirus responses have in common? Women learders”, Forbes, 13 avril 2020. https://www.forbes.com/sites/avivahwittenbergcox/2020/04/13/what-do-coun….. Un article paru dans The Conversation relève qu’en 2020, « un double standard est toujours appliqué aux femmes sur le devant de la scène34Barbara Sherwood Lollar et al, “Even in 2020, a double standard is still applied to women in the spotlight”, The Conversation, 27 septembre 2020. www.theconversation.com/even-in-2020-a-double-standard-is-still-applied-…. », tandis que l’ONU Femmes préconise de considérer les impacts directs de la pandémie sur la participation politique des femmes « en incluant et en soutenant les femmes, ainsi que les organisations et les réseaux qui les représentent, dans les processus décisionnels qui façonneront en définitive l’avenir postpandémique35Traduction libre de Sabine Freizer et al, “COVID-19 and women’s leadership: from an effective response to building back better”, UN Women, 2020. www.unwomen.org/en/digital-library/publications/2020/06/policy-brief-cov…. ». Dans un article étoffé qui examine cette question, les chercheuse et spécialiste Saskia Brechenmacher et Caroline Hubbard expliquent que, bien que les femmes qui participent à la vie politique ont su relever de nombreux défis durant la pandémie de coronavirus, les gouvernements du monde entier devraient prendre des mesures pour préserver l’inclusion politique des femmes pendant et au-delà de cette crise36Saskia Brechenmacher et Caroline Hubbard “How the coronavirus risks exacerbating women’s political exclusion”, Carnegie Endowment for International Peace, 2020. www.carnegieendowment.org/2020/11/17/how-coronavirus-risks-exacerbating-…..
Depuis le début de son mandat comme mairesse de la Ville de Montréal, Valérie Plante est sous le feu des insultes sexistes et misogynes, notamment sur ses comptes de réseaux sociaux. La crise de la COVID-19 ne faisant pas exception, Mme Plante a été projetée au premier plan de la gestion de crise, dans un contexte où la métropole montréalaise concentre le plus de cas actifs du virus au Québec. Depuis, sur ses comptes Twitter, Facebook et Instagram, les insultes d’individus et les demandes de démission fusent. Mais il ne s’agit pas que d’attaques d’inconnus. Par exemple, Richard Martineau s’est fendu d’une chronique ironisant sur le fait que la mairesse s’attaquerait aux vrais problèmes avec les pistes cyclables et le sexisme dans la langue française. Il faut se rappeler que le chroniqueur du Journal de Montréal avait déjà appelé les Montréalais∙es à « se débarrasser d’elle » lors de la prochaine élection37QUB Radio, « Dehors, Valérie Plante, exige Richard Martineau », 26 août 2020. www.journaldemontreal.com/2020/08/26/dehors-valerie-plante-exige-richard…..
Des alliances stratégiques multiples : quand l’antiféminisme et le conspirationnisme s’influencent
Si l’on examine de plus près les principes idéologiques qui sous-tendent l’antiféminisme et le conspirationnisme, il n’est pas surprenant de constater que les deux mouvements se recoupent. L’antiféminisme est étroitement lié aux récits de conspiration notamment à travers l’idée de l’existence d’un « matriarcat », et cela s’intensifie en période d’incertitude et de crise38Idée largement diffusée par la droite au Québec notamment. Voir par exemple : Denise Bombardier, « Le Québec : un matricarcat », leJournal de Montréal, 7 mai 2018. www.journaldemontreal.com/2018/05/07/le-quebec-un-matriarcat.. Une similitude structurelle se trouve dans les stéréotypes abstraits de l’ennemi qui permettent la mobilisation collective de personnes de tout le spectre politique. Durant notre entrevue, la chercheuse Héloïse Michaud aborde Albert Hirschman, auteur du célèbre ouvrage Deux siècles de rhétorique réactionnaire, afin d’illustrer la situation actuelle : « Les discours conservateurs utilisent un argumentaire de mise en péril civilisationnelle et d’une crainte d’invasion. » Selon Mme Michaud, les groupes conspirationnistes utilisent notamment « la panique morale pour mobiliser ». De son côté, la chercheuse Véronique Pronovost met en exergue un lien entre extrême droite et complotisme : il s’agit d’une même rhétorique qui utilise les fausses nouvelles39Note de l’éditrice : Les liens du conspirationnisme avec l’extrême droite sont examinés dans l’article de Corinne Asselin : « Les discours conspirationnistes au temps de la pandémie : cheval de Troie de l’extrême droite ».. « Il y a donc actuellement une reconfiguration des groupes de droite », selon celle qui a récemment travaillé sur ces questions.
Pour Mme Pronovost, ce qui est frappant dans cette convergence entre antiféminisme et conspirationnisme, c’est aussi la constante « remise en question des institutions, de la légitimité des médias, de la politique et de la science ». Un discours de plus en plus prisé par les groupes conservateurs de droite et qui amène à une injustice épistémique. En effet, « selon [la personne] qui s’exprime, ça aura de la valeur ou pas. Par exemple, si ce sont des féministes, elles seront décriées », relève la chercheuse. Nous sommes dans des mouvances qui se reconnaissent entre elles de par leur remise en question de la légitimité des savoirs et leur anti-intellectualisme. Héloïse Michaud confirme qu’il s’agit d’une des dimensions rhétoriques de droite et d’extrême droite : « Dans un monde où “toutes les opinions se valent”, il s’agit d’une forme d’anti-intellectualisme qui se caractérise notamment par ses attitudes hostiles à la méthode et à la pensée scientifiques. » Selon les deux chercheuses, certaines personnes agissent comme courroies de transmission. Elles véhiculent des messages et des discours qui vont remettre en question la science et les institutions, et ce, afin de nourrir les craintes.
Cette stratégie offre un biais de confirmation aux personnes qui pensent que les journalistes, les scientifiques et les politiques sont tou∙te∙s corrompu∙e∙s, sans exception. Les mouvements complotistes risquent d’inculquer à leurs partisan∙e∙s une vision du monde figée et conspirationniste, en permanence associée à des idéologies comme le racisme et l’antiféminisme. Et cette vision est régulièrement l’un des motifs des attentats terroristes d’extrême droite. Selon Héloïse Michaud et Véronique Pronovost, « l’alliance stratégique » et la « réorganisation des groupes conservateurs » pourraient donner lieu à une union à long terme entre les adeptes des théories du complot et les groupes de la droite conservatrice. Plus encore, cette union pourrait aboutir à une politisation des discours ésotériques et antivaccins ainsi que des dimensions antiféministes de ces derniers.
Les protestations contre les mesures sanitaires liées au coronavirus sont bien représentées dans le spectre qui lie l’ésotérique au mouvement d’antivaccination. D’ailleurs, le monde du yoga, du bien-être, de la spiritualité et du scepticisme à l’égard des vaccins s’est croisé avec la propagation rapide de la désinformation en ligne pour créer un mouvement connu sous le nom de « conspiritualité »40Shayla Love, “‘Conspirituality’ explains why the wellness world fell for QAnon”, Vice World News, 16 décembre 2020. www.vice.com/en/article/93wq73/conspirituality-explains-why-the-wellness… Kevin Roose, “Yoga teachers take on QAnon”, The New York Times, 15 septembre 2020. www.nytimes.com/2020/09/15/technology/yoga-teachers-take-on-qanon.html. Note de l’éditrice : la conspiritualité est d’ailleurs abordée plus en détail dans la contribution de Nicholas Cayer au présent recueil : « Comment appréhender la convergence entre le conspirationnisme et la spiritualité ? ».. De nombreux antiféministes sceptiques quant à l’existence du coronavirus partagent en outre une vision antimoderne du monde et présentent fréquemment des arguments dépourvus de fondements scientifiques.
Comme nous l’avons vu, les liens entre antiféminisme et conspirationnisme peuvent s’analyser sous plusieurs angles. Le fait de ne pas prendre la pandémie au sérieux a des conséquences socioéconomiques, notamment sur le plan de l’emploi. Dans un contexte où la répartition des tâches domestiques a un impact négatif plus important sur la carrière des femmes que sur celle des hommes, cela favoriserait une retraditionnalisation des rôles sexuels et familiaux. Les rassemblements publics contre les mesures de lutte contre le coronavirus révèlent notamment l’existence de liens avec l’antiféminisme dans la mesure où les récits de conspiration et de banalisation sur cette pandémie sont liés à la rhétorique antiféministe classique. En effet, nous retrouvons des liens entre les rhétoriques antiavortement et antivaccin. Des influenceuses sur les réseaux sociaux, parfois très suivies, partagent plus ou moins consciemment les messages et idéologies complotistes, particulièrement ceux du groupe QAnon, fervent supporteur de Trump. C’est également ce qui se produit dans le contexte pandémique, quitte à aller jusqu’à remettre en question la véracité de la pandémie et de ce fait, invalider le travail sans relâche des travailleuses et travailleurs essentiel∙le∙s. Enfin, les femmes sur le devant de la scène politique se retrouvent dans des positions instables et sont virulemment attaquées en ligne. Ces agressions envers les femmes en politique se multiplient depuis le début de la pandémie, un phénomène amplement exacerbé par les réseaux sociaux41Pour en savoir plus sur la situation des femmes et des minorités en politique au Québec, voir mon dernier article pour L’Esprit libre : « Exclusions des femmes et des minorités, invisibles dans le champ politique québécois », Paroles de femmes, inclusions politiques, L’Esprit libre, 2019, p. 31-45. Également accessible en ligne : www.revuelespritlibre.org/exclusions-des-femmes-et-des-minorites-invisib… Dominique Degré, « Les attaques envers les femmes en politique se multiplient, constatent plusieurs », Radio-Canada, 11 août 2020. www.ici.radio-canada.ca/nouvelle/1725957/femmes-politiques-attaques-rese…..
Il s’agit d’une proposition et d’une idée originale de Corinne Asselin. Je lui dois également les ressources sur le conspirationnisme ainsi que les contacts des deux chercheuses interrogées dans le cadre de cet article.
3
Jérôme Jamin, L’imaginaire du complot : discours d’extrême droite en France et aux États-Unis. Amsterdam University Press, 2009, p. 23.
4
Marie-Ève Surprenant, Manuel de résistance féministe, Montréal : Éditions du Remue-Ménage, 2015, p. 77-78. Sur le sujet spécifique de l’antiféminisme, je propose les sources suivantes : Mélissa Blais, « Masculinisme et violences contre les femmes : une analyse des effets du contremouvement antiféministe sur le mouvement féministe québécois », Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 2018. Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri. (2014). « Antiféminisme : pas d’exception française », Travail, genre et sociétés, no 32, 2014 : 151-156. Mélissa Blais, « Y a-t-il un “cycle de la violence antiféministe” ? Les effets de l’antiféminisme selon les féministes québécoises », Cahiers du Genre, Vol. 52, no 1, 2012 : 167-195. Francis Dupuis-Déri, « Le discours de la “crise de la masculinité” comme refus de l’égalité entre les sexes : histoire d’une rhétorique antiféministe », Cahiers du Genre, Vol. 52, no 1, 2012 : 119-143.
5
Ibid., p.81-84.
6
Emmanuel Taïeb, Pierre Hamel, Barbara Thériault et Virginie Tournay, « Logiques Politiques Du Conspirationnisme », Sociologie et sociétés, Vol. 42, no 2, 2010, p.267.
7
Traduction libre de Karen M. Douglas, Robbie M. Sutton, et Aleksandra Cichocka, “The Psychology of Conspiracy Theories”, Current directions in psychological science, Vol. 26, no 6, p.538.
Véronique Pronovost (PhD) est membre de la Chaire Raoul-Dandurand et spécialiste des mouvements conservateurs et antiféministes. Héloïse Michaud est candidate au doctorat en science politique à l’Université du Québec à Montréal et travaille sur l’antiféminisme des femmes sur les réseaux sociaux.
Traduction libre de Lorna Bracewell, “Gender, Populism, and the QAnon Conspiracy movement”, Frontiers in Sociology, Vol. 5, 2020.
28
Traduction libre de Ibid.
29
Voir notamment : Rosalind Pollack Petchesky, « Antiabortion, antifeminism, and the rise of the New Right », Feminist Studies, Vol. 7, no 2, 1981 : 206-246.
Note de l’éditrice : Les liens du conspirationnisme avec l’extrême droite sont examinés dans l’article de Corinne Asselin : « Les discours conspirationnistes au temps de la pandémie : cheval de Troie de l’extrême droite ».
Pour en savoir plus sur la situation des femmes et des minorités en politique au Québec, voir mon dernier article pour L’Esprit libre : « Exclusions des femmes et des minorités, invisibles dans le champ politique québécois », Paroles de femmes, inclusions politiques, L’Esprit libre, 2019, p. 31-45. Également accessible en ligne : www.revuelespritlibre.org/exclusions-des-femmes-et-des-minorites-invisib… Dominique Degré, « Les attaques envers les femmes en politique se multiplient, constatent plusieurs », Radio-Canada, 11 août 2020. www.ici.radio-canada.ca/nouvelle/1725957/femmes-politiques-attaques-rese….
Bien que le Québec soit l’une des sociétés dans le monde où les luttes féministes aient mené aux plus grandes avancées sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes, la parité n’est pas toujours atteinte au niveau politique. Le Conseil du statut de la femme1 explique ce constat par la socialisation qui diffère dès le plus jeune âge filles et garçons, par le partage inégal du travail domestique et familial, par le manque de ressources financières des femmes ou encore par la culture des partis et des institutions politiques qui, comme nous le verrons, ne mettent pas toujours en place les mesures nécessaires pour augmenter le nombre de femmes dans leurs rangs.
Clés historiques et quantitatives
Nous sommes le 25 avril 1940 au Québec et les femmes obtiennent enfin le droit de vote, mais aussi le droit de se porter candidates aux élections. Sept années plus tard, une première femme se présente lors d’une élection partielle, mais ne sera pas élue et il faudra attendre le 14 décembre 1961 pour que l’Assemblée nationale accueille sa première députée. Il s’agit de Claire Kirkland-Casgrain2 qui sera élue sous la bannière du Parti libéral du Québec et à qui on doit notamment la loi 16 qui permit de mettre fin à l’incapacité juridique des femmes mariées. Pendant plus de 12 ans, elle sera la seule femme à siéger comme députée à Québec, entourée par une centaine de collègues masculins.
Selon Élections Québec, qui a réalisé un rapport sur les femmes en politique3, alors que les Québécoises ont obtenu leur droit de vote et de candidature plus tard que celles des autres provinces canadiennes, elles étaient en 2012 en bonne position quant à leur représentation parlementaire avec un taux de 32,8 % de femmes. Pourtant, seulement deux ans plus tard, la situation change et le Québec compte seulement 27,2 % d’élues. Un phénomène qui prouve qu’en matière de luttes pour les causes des femmes, rien n’est jamais acquis. Du côté des Conseils des ministres, les données officielles de l’Assemblée nationale révèlent que la représentation des élues oscille entre 30 % et 34 % depuis les années 2000, à l’exception de la période 2007-2008 sous le gouvernement Charest qui correspond à une parité avec 50 % d’élues, si l’on exclut le premier ministre. L’ensemble de ces chiffres se situe donc loin de l’idéal de parité, et on parle alors d’une sous-représentation persistante des femmes en politique. Cette sous-représentation se manifeste également au niveau de la politique municipale. Selon un rapport du Conseil du statut de la femme datant de 2015, les femmes représentent seulement 17,3 % des mairesses4 du Québec. Mais il est tout de même souligné que dans les villes dont la population est de 100 000 personnes et plus, on trouve la plus forte proportion d’élues, avec une moyenne de 35 %. Plus encore, parmi les 10 plus grandes villes au Québec, quatre ont atteint la zone paritaire, soit Montréal, Québec, Sherbrooke et Longueuil. Un fossé entre petites et grandes municipalités qui s’expliquerait par « la diversité des enjeux, la proximité et les salaires plus élevés des élus des grandes villes » qui permettraient aux femmes de se consacrer à temps plein à leurs obligations politiques tout en restant près de leur famille5.
Un autre phénomène qu’il convient de souligner est que depuis ces deux dernières décennies, la proportion de femmes occupant un siège de ministre est supérieure à celle des députées au sein de l’Assemblée nationale, ainsi qu’en rendent compte les tableaux suivants. Ce constat coïncide avec les résultats de Magali Paquin, agente de recherche à l’Assemblée nationale6.
Tableau 1 : Conseil exécutif
Année de formation du cabinet
Cabinet
Nombre de ministres excluant le premier ministre
Nombre de femmes ministres
Pourcentage7
2001
Landry
23
7
30,43
2003
Charest
24
8
33,33
2007
Charest
18
9
50
2008
Charest
26
13
50
2012
Marois
23
8
34,78
2014
Couillard
26
8
30,77
Source : Site de l’Assemblée nationale du Québec8
Tableau 2 : Assemblée nationale
Dates
Sièges
Élues
Pourcentage
2003
125
38
30,4
2007
125
32
25,6
2008
125
37
29,6
2012
125
41
32,8
2014
125
34
27,2
Source : Site de l’Assemblée nationale du Québec9
Quelques facteurs et concepts explicatifs
Appuyée d’une littérature éclairante sur le sujet, Magali Paquin, sans expliquer directement ce phénomène, dresse une liste non exhaustive de facteurs qui influencent l’accès des femmes aux postes exécutifs : il s’agit des conditions socioéconomiques, de la culture politique ou organisationnelle, de l’influence des groupes de pression ou de la communauté internationale, du système électoral et partisan, de l’intensité de la compétition partisane, du cycle électoral, des positions idéologiques des partis et du caractère généraliste ou spécialisé du Cabinet. La sous-représentation politique des femmes peut également s’expliquer par le fait qu’elles soient susceptibles d’être des « agneaux sacrificiels » (sacrificial lambs) selon l’expression utilisé dans la littérature scientifique, c’est-à-dire qu’elles sont davantage nominées dans des circonscriptions dans lesquelles elles sont susceptibles de perdre10. Des spécialistes du sujet comme Melanee Thomas et Marc Bodet ont utilisé des données sur les élections fédérales canadiennes entre 2004 et 2011 qui ont validé cette théorie. Plus encore, leurs recherches indiquent aussi que les places au sein des gouvernements ne sont pas aussi sécurisées pour les femmes que pour les hommes, et que ces deux facteurs expliquent, du moins partiellement, pourquoi les femmes sont sous-représentées dans la sphère politique.
Pourtant, quand on creuse davantage, les données semblent plus nuancées au Québec. Selon Manon Tremblay qui a analysé les élections québécoises entre 1976 et 2003, les candidates féminines n’auraient pas spécifiquement eu moins accès aux forteresses politiques de leur parti que les hommes au Québec. L’autrice ajoute même que, selon ses résultats, « le mode de scrutin majoritaire et uninominal ne peut être décrété comme étant systématiquement hostile aux femmes »11 :
« […] les femmes qui aspiraient à décrocher un premier mandat de représentation parlementaire ont été candidates dans des circonscriptions compétitives, c’est-à-dire qui, d’un point de vue statistique, offraient le même potentiel de victoire que celles où les hommes se présentaient. Un sous-groupe de candidates fait toutefois exception à cette observation générale, soit les héritières dont le tiers s’est vu léguer des circonscriptions de moindre compétitivité au chapitre de la marge de victoire à l’élection précédente et de la performance passée de leur parti dans les comtés où elles se présentèrent ainsi que du potentiel de victoire défini par l’alternance PLQ/PQ au niveau national.12 »
Dans le même ordre d’idée, selon une analyse réalisée par Radio-Canada, les femmes ont désormais autant de chances d’être élues que les hommes au Québec, et même plus de chances de devenir ministres13. À l’aide d’une compilation de résultats électoraux de l’ensemble des élections générales et partielles depuis le 25 avril 1940, Radio-Canada remonte le fil des élections et non-élections féminines pour relever que « c’est finalement à partir des années 90 que les hommes et les femmes ont les mêmes chances d’être élu[·e]s, soit 1 sur 6. Il n’y a plus d’écart entre les deux sexes »14. Cette affirmation semble surprenante à la vue des chiffres et des études précédemment évoquées, mais leur recherche précise tout de même qu’il y plus d’hommes qui deviennent ministres que de femmes. Plus encore, selon l’analyse d’Allison Harell qui commente cette étude, les femmes accèdent au statut de premières ministres au Canada à des moments spécifiques de l’histoire des partis, c’est-à-dire « quand ils sont en difficulté ou en déclin. L’argument, c’est qu’on cherche une femme pour prendre soin de l’organisation, pour reprendre un langage très genré »15. Harell relève également le fait que les femmes considèrent la politique « comme un environnement hostile », notamment par rapport à la question de la médiatisation et du harcèlement en ligne16.
D’ailleurs, en période d’élections, la question de la couverture médiatique ne peut être mise de côté. Selon les chercheuses du projet Plus de femmes en politique? Les médias et les instances municipales, des acteurs clés!17, les politiciennes sont largement sous-représentées dans les médias. Grâce à l’analyse de 1100 articles issus de la presse écrite et de médias communautaires écrits francophones du Québec pendant la campagne électorale municipale entre le 22 septembre et le 6 novembre 2017, les chercheuses ont pu relever que seulement 29 % de la médiatisation a été accordée aux femmes candidates contre 71 % pour les hommes. Plus encore :
« L’appartenance ethnoculturelle, comme le montre Erin Tolley (2016), est un autre marqueur identitaire qui exerce une influence sur le cadrage médiatique associé aux politiciennes. À travers une analyse de la représentation des femmes politiques s’identifiant comme des minorités visibles, Tolley expose la tendance des médias écrits à présenter d’abord l’appartenance ethnoculturelle ou de genre de ces femmes, avant de les introduire comme des actrices politiques18. »
Système politique de l’entre soi
En ce qui concerne spécifiquement le système politique québécois, il faut également prendre en compte le fait que le choix des membres du cabinet revient souvent à la personne élue à la tête du gouvernement, soit le premier ministre. Ainsi, il est avancé par Paquin que « sa décision est teintée de sa personnalité, de ses affinités, de ses préférences personnelles, des objectifs politiques qu’elle s’est fixée et de l’image qu’elle souhaite projeter »19. Cela peut alors impliquer un certain degré de jugement non seulement sur la compétence des femmes, surtout en ce qui concerne les portefeuilles ministériels les plus importants, mais aussi des personnes issues des minorités visibles ou Autochtones20. En effet, tel que souligné par Malinda Smith, qui étudie le cas des universitaires, il subsiste un mythe tenace qui suppose que la diversité implique moins d’excellence ou de mérite21.
Cela se confirme au Québec par un rapide exercice de sociologie visuelle qui nous permet d’émettre un constat : le nombre de femmes n’augmente pas, mais plus encore, les minorités sont invisibles. En effet, en parcourant les photos de groupe des Conseils des ministres de ces deux dernières décennies, le constat est clair : les Conseils des ministres sont très majoritairement masculins et blancs. Et alors que les flux de migration sont « sous le contrôle serré de l’État […], les principaux lieux de prise de décision demeurent encore inaccessibles aux personnes issues de ce flux, même après plusieurs générations »22. Ainsi, l’exercice professionnel de la politique semble encore réservé à une élite sociale, blanche et masculine. Ce constat renvoie au concept de la fabrique de l’entre-soi, qui se définit comme une « production renouvelée d’un ordre du genre toujours fondé sur la différenciation des catégories de sexe qui empêche les entrantes de construire une identité gouvernante et de subvertir les logiques de fonctionnement du champ politique »23.
Les données abordées précédemment illustrent une sous-représentation des femmes qui est également conceptualisée par la littérature avec la notion de plafond de verre (glass ceiling). Ce concept désigne l’inaccessibilité pour certaines catégories de personnes à certains niveaux hiérarchiques. Plus précisément, il s’agit d’une « barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder aux hautes sphères du pouvoir, des honneurs et des rémunérations »24. Dans cette définition, il s’agit spécifiquement des femmes, mais ce concept concerne également les Autochtones, les minorités visibles25, les personnes vivant une situation de handicap ou encore les personnes issues de la communauté LGBTQIA +. Mais précisons tout de même que les femmes ne sont pas un groupe minoritaire dans la société car elles en constituent la moitié.
D’autres autrices comme Farida Jalalzai ont analysé la question du plafond de verre dans un contexte politique. Dans son texte Women Rule: Shattering the Executive Glass Ceiling, l’autrice examine l’ensemble des cas des femmes présidentes et des premières ministres entre les années 1960 et 2007 afin d’explorer les liens genrés entre postes de pouvoir et autorité, entre pouvoir et indépendance. Alors qu’aux États-Unis en 2008 (et plus tard en 2016) une femme nommée Hillary Clinton est plus proche qu’aucune autre femme avant elle d’accéder à la présidence étasunienne, d’autres ailleurs ont déjà brisé le plafond de verre au Libéria, en Allemagne et au Chili26. Pour l’autrice, les facteurs institutionnels sont centraux pour comprendre la représentativité et l’accession des femmes au pouvoir. Les différences entre le poste de président ou de premier ministre ferait en sorte que les femmes ont plus de chance d’être élues lorsqu’elles se présentent pour le second, car « une Première ministre qui partage le pouvoir avec un parti est plus souvent vue comme tolérable »27.
Les idéologies genrées sont alors également à prendre en compte.
Pourquoi vouloir plus de femmes en politique?
Le constat est clair : là où est le pouvoir, les femmes, les minorités visibles et les Autochtones sont sous représenté·es, et la sphère politique se garde bien de montrer l’exemple. Pourtant, des décisions sont prises par le gouvernement en place pour l’ensemble de la population. Ainsi, il semblerait juste que celui-ci soit représentatif du groupe qu’il représente, qu’il s’agisse des questions de sexe et de genre, de l’origine ethnique et de la classe sociale. Il faut également souligner le fait que les femmes ne sont pas un groupe homogène et elles se distinguent à de nombreux égards. Pourtant, certaines politiques publiques touchent l’ensemble d’entre elles (par exemple : l’avortement, l’accès à la contraception, etc), et touchent également directement ou indirectement les hommes. Alors, est-ce que les intérêts des femmes sont mieux représentés quand plusieurs d’entre elles occupent des postes ministériels clés? L’histoire nous montre qu’il est déjà arrivé à des femmes membres de partis politiques différents de s’allier afin de faire voter des lois qui vont dans le sens des revendications des mouvements féministes. Dans un de ses rapports, le Conseil du statut de la femme souligne comme exemple à ce phénomène la Loi sur le patrimoine familial (1989), la Loi sur la perception automatique des pensions alimentaires (1995) et la Loi sur l’équité salariale (1996)28.
Ensuite, alors que l’on parle de sous-représentation, il est aussi question des différents types de représentation. Il y a d’abord la représentation descriptive qui prend en compte les caractéristiques des individus élus et non leurs actes. Ainsi, lorsque l’on parle de parité à 50 %, c’est parce qu’il s’agit du pourcentage moyen de femmes dans la population. Ici intervient alors un argument d’égalité et de justice. Puisque la population québécoise est bien composée à moitié de femmes, il serait juste que celles-ci soient équitablement présentes dans les instances de pouvoir. Ensuite, il y a la représentation substantive des femmes qui réfère « aux opinions exprimées et aux actions posées par les législatrices afin de changer et d’améliorer les expériences collectives des femmes »29. Et qui dit amélioration collective pour les femmes, dit amélioration pour la société québécoise dans son ensemble. Enfin, la représentation symbolique correspond à l’impact que peut avoir une certaine catégorie de personnes élues sur la population. Par exemple, l’hypothèse selon laquelle la présence des femmes dans la sphère politique pourrait encourager d’autres femmes à présenter leur candidature, à s’impliquer politiquement, peut être émise, idem pour les minorités visibles et les Autochtones.
Alors, à la question « pourquoi plus de femmes en politique? » une réponse simple pourrait être énoncée : pour plus d’équité et de justice sociale. Et il en est de même pour les minorités visibles et les Autochtones. En effet, sans vouloir tomber dans le jeu du débat sur le multiculturalisme qui fait encore rage dans les colonnes de certains journaux, et qui est toujours d’actualité au Québec, les statistiques réalisées au Canada prouvent que le Québec est une société plurielle avec 12,96 % de minorités visibles dans l’ensemble du Québec et 34,18 % à Montréal30. D’ailleurs, les critiques vives et les réactions parfois même racistes suite à la candidature d’Ève Torres, qui aurait été la première femme voilée à se présenter aux élections provinciales si elle l’emportait dans la nouvelle circonscription de Mont-Royal-Outremont, cristallisent le malaise d’une partie de la population québécoise sur la question intersectionnelle entre genre et diversité.
Quelques pistes de solutions ?
À l’exemple de nombreux États dans le monde, des mesures incitatives ont été mises en place au Québec, au niveau gouvernemental, partisan et sociétal. Parmi celles-ci, nous pouvons citer les tentatives de réformes, d’abord en octobre 2002, avec une proposition de la Commission des institutions pour un mode de scrutin proportionnel qui pourrait être le moyen d’avoir davantage de femmes à l’Assemblée nationale31. Également, le Comité directeur sur la réforme des institutions démocratiques qui, lors d’une première tentative de réforme du mode de scrutin dans les années 2000, a publié un rapport contenant plusieurs recommandations pour améliorer la représentation des femmes en politique. On suggère par exemple la création d’un fond privé pour soutenir les femmes dans leur entrée en politique, la mise en place d’un système de remboursement bonifié des dépenses électorales pour un parti qui, suite à une élection générale, compte au moins 30 % de femmes dans sa députation, jusqu’à atteindre 50 % de représentation féminine, et la reconduction du programme « À égalité pour décider » avec l’augmentation de ses ressources financières32. Il s’agit d’une liste non exhaustive de propositions et de tentatives de réformes, et jusqu’à maintenant, seule la prolongation du programme « À égalité pour décider » semble avoir franchi le filet33.
Du côté des partis politiques, des comités de femmes ont été créés afin de favoriser la présence féminine dans les partis. Le Parti libéral du Québec, par exemple, a eu, entre 1950 et 1971, une structure nommée la « Fédération des femmes libérales du Québec », avant que celle-ci vote pour être intégrée à la structure du parti contre 50 % des votes au congrès plénier annuel, et 20 % du vote dans les autres instances du parti34. De son côté, le Parti québécois a eu un comité d’action politique des femmes jusqu’en 2011, et une représentation minimale des femmes est garantie au conseil exécutif du parti par 4 postes de conseillères sur les 8 postes de conseillères et conseillers. Enfin, Québec solidaire assure la parité dans ses instances et tous les organes nationaux du parti doivent être composés de femmes et d’hommes à part égale, idem pour les comités de coordination locale, pour les élections générales, ainsi que pour les porte-paroles qui doivent en tout temps être un homme et une femme.
Au niveau de la société, un des organismes principaux qui travaille sur la représentation des femmes en politique est le Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), dont la mission est notamment l’éducation à la population et à l’action citoyenne et démocratique, ainsi que la promotion d’une plus grande participation des femmes à la vie politique35. Il faut souligner l’existence d’un Secrétariat à la condition féminine, dont le plus récent plan d’action met l’accent sur une plus grande participation des femmes aux instances officielles. De son côté, le Conseil du statut de la femme produit des mémoires sur les questions qui sont déposées en commissions parlementaires, mémoires qui demandent des mesures concrètes pour la représentation des femmes en politique.
La France est le premier pays à avoir mis en place une loi parité, la loi du 6 juin 2000, mais elle ne semble pas être la panacée pour plus d’égalité dans la sphère politique. Tout d’abord, selon l’analyse de Mariette Sineau, l’avènement de la Cinquième République en France en 1958 représente pour les femmes « la fin des grandes espérances politiques et le début d’une longue traversée du désert »36. Elle soulève que les femmes vont être pénalisées par le scrutin uninominal, « un système qui personnalise l’élection et favorise les notables en place »37. Cela se vérifie notamment par le fait que, durant les vingt premières années (1958-1978) de la Cinquième République, les femmes sont une minorité d’environ 2 % à siéger à l’Assemblée nationale38. Et même l’élection d’un parti de gauche socialiste en 1981, après vingt-trois ans de gouvernements de droite, n’inverse pas la tendance et l’Assemblée nationale est toujours à très grande majorité composée d’hommes39. La loi du 6 juin 2000 surnommée « loi sur la parité », bien que ce mot n’y figure pas officiellement, entraîne dans son sillon une augmentation de la proportion totale de candidates qui passe de 23,2 % en 1997 à 39,3 % en 2002, et pourtant, la parité est loin d’être atteinte40. Au niveau des élections législatives, cette loi n’a rien de contraignant, car seulement incitative, et les partis qui ne présentent pas 50 % de candidates se voient alors imputer une retenue financière41. À ce propos, l’autrice souligne que :
« […] dans un mode de scrutin qui privilégie les notables, les grands partis ont préféré payer des amendes, même lourdes, plutôt que féminiser leurs investitures, surtout les « bonnes ». Au terme d’un calcul non dénué de cynisme, ils ont parié que le nombre d’élus obtenu (à partir desquels est calculée la seconde fraction de l’aide publique) rapporterait davantage que ce que coûteraient les pénalités financières pour non-respect de la parité des candidatures42. »
Parce que nous sommes en 2018!
Dans le cadre de l’élection provinciale de 2018, Le Devoir43 avait mis en place une vigie parité afin de vérifier en un coup d’œil le taux de candidatures féminines dans chaque parti. Voici les pourcentages finaux pour un total de 47,2 % de candidates par ordre croissant44 : le Parti québécois avait 40,80 % de candidatures féminines, le Parti libéral du Québec avait 44 % de candidatures féminines, la Coalition avenir Québec avait 52 % de candidatures féminines, une première quand on sait que le parti ne comptait que 23 % de candidates en 2014, et arrivait donc à égalité avec Québec Solidaire qui comptabilise également 52 % de candidatures féminines et une candidature non-genrée45.
Lors de cette élection, 52 femmes ont été élues, ce qui constitue un record dans l’histoire politique québécoise, représentant ainsi 41,6 % des députés avec 28 d’entre elles (pour 74 député·es) sous le drapeau de Coalition avenir Québec, 16 pour le Parti libéral (pour 31 député·es), 5 pour Québec solidaire (pour 10 député·es) et 4 pour le Parti québécois (pour 10 député·es). Un contraste notable quand on sait qu’elles étaient seulement 34 femmes élues à l’Assemblée nationale en 2014. De plus, François Legault avait fait une promesse : s’il était élu, son cabinet serait paritaire. Le 18 octobre 2018, cette promesse est tenue avec un conseil de 26 ministres composé de 13 femmes et de 13 hommes. À noter que c’est une femme, Geneviève Guilbeault, qui est choisie en tant que vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, qui est un portefeuille très important. Le trio économique lui, par contre, est exclusivement masculin.
Bien qu’on soit encore loin d’une représentation fidèle de la société québécoise, ce nouveau gouvernement compte davantage de personnes élues issues de la diversité. Une progression qui est, selon un article du Devoir, dû à « un plus grand nombre de candidat[·e]s de toutes origines dans le bassin des 500 candidat[·e]s présenté[·e]s par les quatre principaux partis »46 avec davantage de minorités visibles que par le passé pour la Coalition avenir Québec. L’autre avancée relevée par Le Devoir est la présence de candidat·es de la diversité dans des circonscriptions en région, ce qui est une nouveauté, notamment les deux candidat·es caquistes Olive Kamanyana, dans Pontiac, et Mathieu Quenum, dans Matane-Matapédia. En contraste, moins de 24 heures après l’annonce de la composition de son cabinet, François Legault s’est emparé du « dossier de la laïcité », s’attirant ainsi les foudres de l’élu montréalais Jim Beis, qui s’oppose au projet d’interdiction des signes religieux dans la fonction publique du nouveau gouvernement47. Il est également à relever que les Autochtones sont absent·es du gouvernement.
Conclusion
Cette dernière élection provinciale semble représenter un avancement, davantage sur la question de la parité que de la diversité en politique. Malgré tout, il est indispensable de rester alerte et de garder l’œil ouvert lors d’éventuels remaniements ministériels, lors des prochaines élections, mais aussi et surtout sur les projets politiques du nouveau gouvernement caquiste majoritaire. Concernant la parité, l’exemple de la France illustre que la mise en place de quotas, bien qu’accompagnée de mesures financières punitives, ne peut être suffisante. Du côté québécois, les efforts sont visibles, mais intègrent davantage les femmes blanches que toute autre catégorie dans ses plus hautes sphères décisionnelles. Et bien que les formulaires de recensement et d’autodéclaration fassent partie de la politique statistique canadienne et québécoise, il n’existe pas de données sur la diversité dans la fonction publique et sur les élu·es. À travers les différents points de cet article, nous avons traversé une partie de l’histoire politique québécoise et un fait semble à retenir : la cause paritaire avance certes depuis les années 1990, mais elle avance encore trop difficilement, et les reculs ne sont pas impossibles, tel qu’illustré par les données quantitatives sur le sujet depuis les deux dernières décennies. Le travail semble alors immense tant il s’agit de changer toute une culture politique qui est bâtie par et pour le masculin, depuis des siècles. Bien heureusement, les mobilisations et les luttes féministes continuent… pour un Québec plus juste et équitable.
CRÉDIT PHOTO: Ozinoh -FLICKR
1 Julie Champagne et Audrée-Anne Lacasse, septembre 2015, La parité en politique, c’est pour quand?, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec. www.csf.gouv.qc.ca/speciale/femmes-en-politique/
3 Rosalie Readman, 2014, Femmes et politique : facteurs d’influence, mesures incitatives et exposé de la situation québécoise, Directeur général des élections du Québec, Collection Études Électorales, Gouvernement du Québec. www.electionsquebec.qc.ca/documents/pdf/DGE-6350.12.pdf
6 Magali Paquin, 2010, « Le profil sociodémographique des ministres québécois : une analyse comparée entre les sexes », Recherches féministes, vol.23, no.1, pp.123-141. dx.doi.org/10.7202/044425ar
7 Cette section a été ajoutée au tableau original afin de clarifier la comparaison avec le tableau suivant.
17 Caterine Bourassa-Dansereau, Laurence Morin, Marianne Théberge-Guyon et Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie, 2018, « Les représentations médiatiques des femmes aux élections municipales », Plus de femmes en politique ? Les médias et les instances municipales, des acteurs clés!, Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal et Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie, Montréal et Longueuil. tcgfm.qc.ca/download/Representations-Mediatiques-Femmes-Elections-Municipales-Rapport
18 Ibid, p.20.
19 Magali Paquin, op. cit.
20 L’article se concentre sur la question du genre mais il semble impossible d’occulter la question de la race (comme construit social), qui est tout aussi primordiale, bien qu’il soit question d’enjeux complexes qui mériteraient bien plus que de partielles citations dans un article. De plus, la binarité femmes-hommes est omniprésente dans la littérature scientifique sur la parité en politique, et il s’agit d’un angle mort qui doit être relevé, et ce, également dans cet article.
21 Malinda Smith, 2017, « Discilipary silences : race, indigeneity, and gender in the social sciences », dans Frances Henry, Enakshi Dua, Carl E. James, Audrey Kobayashi, Peter Li, Howard Ramos et Malinda S. Smith (dirs.) Equity Myth, Racialization and Indigeneity, UBC Press, Vancouver, p.243.
22 Sid Ahmed Soussi, 2011, « Diversité ethnoculturelle et conflictualité sociale. Enjeux identitaires ou politiques? », dans Micheline Labelle, Jocelyne Couture et Frank W. Remiggi (dirs.) La communauté politique en question, Regards croisés sur l’immigration, la citoyenneté, la diversité et le pouvoir, Presses de l’Université du Québec Québec, p.223.
23 Catherine Achin et Sandrine Lévêque, 2014, « La parité sous contrôle: Égalité des sexes et clôture du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no.4, p.119. doi.org/10.3917/arss.204.0118
24 Laure Bereni, Catherine Marry, Sophie Pochic et Anne Revillard, 2011, « Le plafond de verre dans les ministères : regards croisés de la sociologie du travail et de la science politique », Politiques et Management Public, vol.28, no.2. journals.openedition.org/pmp/4141
25 Il est question ici du terme de minorités visibles tel que défini par Statistiques Canada, : « Il s’agit de personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche. Il s’agit de Chinois, de Sud-Asiatiques, de Noirs, de Philippins, de Latino-Américains, d’Asiatiques du Sud-Est, d’Arabes, d’Asiatiques occidentaux, de Japonais, de Coréens et d’autres minorités visibles et de minorités visibles multiples. », sur www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-004-x/def/4068739-fra.htm
26 Farida Jalalzai, 2008, « Women Rule: Shattering the Executive Glass Ceiling », Politics & Gender, vol.4, no.2, p.206. doi.org/10.1017/S1743923X08000317
33 Il est à noter qu’aucune information récente sur ce programme n’a pu être trouvée en ligne. Dans un appel à projets en matière d’égalité femmes-hommes pour 2017, le Secrétariat à la condition féminine fait une proposition en continuité des objectifs du programme « À égalité pour décider ».
36 Mariette Sineau, 2002. « La parité en peau de chagrin ou la résistible entrée des femmes à l’Assemblée nationale ». Revue Politique et Parlementaire, no.10209-1021, p.1.
Entre le 7 et le 18 novembre 2016, le Maroc a accueilli la COP22, un an après la Conférence de Paris sur le climat. Cette dernière réunion, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes à Marrakech dont 80 chefs d’États et de gouvernements, suit la ligne des sommets mondiaux orchestrés par l’Organisation des Nations unies sur la question climatique. L’utilité de cette 22e Conférence a été questionnée dans plusieurs médias occidentaux. Quelle analyse peut-on faire de cette réunion organisée sous l’égide des Nations unies, à présent que plusieurs mois se sont écoulés depuis cet événement ?
Une suite à l’accord de Paris
La COP21[i] de Paris avait pris des engagements ambitieux sur la question du réchauffement climatique. Après un an, le bilan semble positif avec un accord qui a été adopté à l’unanimité par 195 pays le 12 décembre 2015 et une entrée en vigueur rapide qui a eu lieu le 4 novembre 2016, avec le chiffre de 55 pays émettant 55% de gaz à effet de serre atteint. Le temps écoulé entre l’adoption et l’entrée en vigueur semble être un facteur important du point de vue de la coopération internationale[ii] et est ici perçu de façon très positive. En effet, les ratifications prennent généralement plus de temps étant donné que les gouvernements se tournent vers leur Parlement respectif pour obtenir l’autorisation d’implémenter les changements nécessaires au respect des accords. À titre de comparaison, la ratification du protocole de Kyoto avait pris huit ans. La COP21 est le premier traité dans lequel tous les pays s’engagent à faire un effort pour diminuer l’impact anthropique sur le climat, alors que des COP sont organisées dans différentes métropoles chaque année depuis 1995. Lors du déroulement de la COP22, les grands émetteurs de gaz à effet de serre tels que les États-Unis, la Chine, l’Inde, l’Union européenne et 92 États avaient déjà ratifié l’accord de Paris, lequel devrait s’appliquer à partir de 2020.
Climat et politique
L’un des grands objectifs de l’accord de Paris vise à ne pas dépasser les 2 degrés d’augmentation de la température moyenne de la planète. Il s’agit d’un objectif ambitieux, dans la mesure où les recherches sur le sujet, notamment celles du Potsdam Institute for Climate Impact Research et du Climate Analytics, affirment qu’il faudrait plutôt ne pas dépasser 1.5 degré d’augmentation[iii]. Ainsi, la COP22 de Marrakech semblait importante afin de préparer l’application de l’accord de Paris, une préparation qui sera d’ailleurs un enjeu similaire pour les COP à venir. Cependant, le temps manque et la communauté internationale avait déjà fixé un objectif de limitation de 2 degrés d’ici 2050 lors de la Conférence de Copenhague en 2009[iv], les scientifiques ayant considéré qu’il s’agissait du seuil de sécurité à ne pas franchir. Ainsi, la COP de Marrakech découlait aussi d’un besoin politique, soit celui de dynamiser la coopération internationale sur l’enjeu climatique pour pouvoir aller plus loin. C’était en outre l’occasion pour les États de rappeler leurs contributions sur le plan climatique[v]. Il s’agissait également de mettre en place un mécanisme de contrôle incitatif et non coercitif. En effet, même en ayant une valeur de traité international, l’accord ne prévoit pas de sanctions[vi] contrairement au protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005. Les COP s’avèrent être une façon d’adapter le problème climatique aux relations internationales et de répondre à la demande de transparence des populations.
L’activité humaine au coeur des préoccupations
Le processus de négociation paraît aussi favorable, car des retours positifs des secteurs publics et privés ont été émis suite à la COP21 et à la COP22. Mais les émissions de gaz à effet de serre continuent de s’accumuler et les promesses des États semblent insuffisantes. En effet, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) place une trajectoire d’augmentation entre 2 et 4 degrés selon les scénarios analysés[vii]. Sans surprise, il s’agit d’un seuil extrêmement dangereux pour notre planète et pour la vie humaine[viii]. Pour pouvoir contextualiser ces chiffres, il faut aussi mettre en lumière le processus et comprendre le mécanisme de réchauffement de la planète. Lorsque la terre est éclairée par le soleil, sa surface réémet une partie du rayonnement qu’elle a reçu vers l’espace. Mais les gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone, le méthane ou le protoxyde d’azote, retiennent une partie de ces rayonnements infrarouges émis par la terre et ils les lui renvoient, ce qui contribue à son réchauffement. C’est cette mécanique, d’abord naturelle et essentielle pour la vie humaine et les écosystèmes, que l’être humain a déréglée[ix], entre autres avec la combustion du pétrole et du gaz, la déforestation et l’agriculture intensive. Depuis la révolution industrielle, les activités humaines émettent une quantité très importante de gaz à effet de serre qui s’accumulent dans l’atmosphère et atteignent des niveaux records. Ainsi, l’effet de serre s’intensifie et les conséquences sont dramatiques et visibles[x] : augmentation des températures, fontes des glaces provoquant des élévations du niveau des mers avec 30% de superficie fondue en Arctique depuis les années 1980, augmentation des précipitations dans les latitudes moyennes et hautes de l’hémisphère, mais avec des sécheresses plus longues et intenses dans les pays arides[xi] et finalement, acidification des océans.
Les femmes davantage touchées par les changements climatiques
La COP22 avait également pour objectif d’appuyer des décisions prises durant la COP21 concernant une autre réalité : l’inégalité des sexes face au réchauffement climatique. En effet, les changements climatiques ne « sont pas neutres au regard du genre[xii] ». Au cours des 10 dernières années, 87% des catastrophes climatiques étaient reliées au climat et ont touché toutes les couches de la population. Mais les chiffres démontrent que les femmes et les enfants sont les premiers·èont touché·e·s. Tel était notamment le cas pour le tsunami qui a frappé l’océan Indien où 67% des victimes étaient des femmes[xiii], ou encore durant la catastrophe qui a frappé le Myanmar en 2008, période durant laquelle les femmes ont eu plus de difficultés à se remettre, notamment en raison de leurs revenus plus faibles et d’un niveau de malnutrition plus élevé. Entre lois discriminantes, pauvreté et charges de travail plus importantes, les femmes disposent de moins d’outils pour se protéger et se relever après des sinistres. Plus encore, selon ONU Femmes : « les femmes sont souvent les dernières à s’enfuir après avoir assuré la sécurité des membres de leur famille avant la leur […] après une catastrophe les femmes et les filles qui sont en charge de recueillir de l’eau et des denrées alimentaires deviennent vulnérables aux violences sexuelles[xiv] ». En politique, les multiples conférences montrent que cette question est souvent mise de côté. Ainsi, le programme Femmes à la COP22 a pu ramener la question du genre au cœur de celle du réchauffement climatique en organisant divers événements, des rencontres et des conférences. Le sujet a été davantage traité quinze ans après la première décision sur la question des femmes et du climat lors de la COP7 qui avait également eu lieu à Marrakech.[xv]
Une position plus forte pour les pays en développement ?
Le fait que le Maroc ait accueilli cet événement d’envergure internationale a également permis de déplacer le point de vue habituellement très occidental pour aller vers le nord du continent africain, ce qui est d’autant plus important, alors que pour les pays situés dans les régions les plus chaudes du globe, les prédictions sont extrêmement inquiétantes : baisses des précipitations, sécheresse, hausse des vagues de chaleur, raréfaction de l’eau pourtant moteur du développement économique[xvi]. Ainsi, ces changements climatiques vont avoir des conséquences sociales, économiques, gouvernementales et agricoles alors que de nombreuses terres sont déjà inaptes à la culture. Dans ce tableau, le Maroc essaie de prévenir les conséquences de la hausse des températures avec le Plan Maroc vert adopté en 2008 qui concerne les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire[xvii]. Il s’agit de s’attaquer à plusieurs défis majeurs tels que la gestion durable des ressources en eau, l’économie d’énergie et la réduction des gaz à effet de serre ou encore l’amélioration des revenus des femmes et des jeunes. Des projets d’avenir[xviii] donc, mais qui ne sont pas réalisables à la même échelle dans tous les pays situés dans des zones plus arides, notamment à cause d’un manque de ressources et de soutien financier. La présence de la COP22 à Marrakech aura donc également permis de mettre en lumière les projets environnementaux entrepris par le Maroc.
Le climat est à l’agenda politique mondial depuis plus de vingt ans. Les sommets, réunions, conférences, négociations s’enchaînent et semblent toujours laisser un arrière-goût de défaite. Alors que des processus multilatéraux se mettent en place, les dérèglements climatiques atteignent des niveaux records. Les expert·e·s débattent dans les médias, les scientifiques recherchent, analysent et nous font parvenir des données alarmantes. Plus que jamais, le besoin de coopération interétatique se fait sentir et les événements organisés sur la question du réchauffement climatique qui touche tous les pays ne peuvent plus être vains
[i] COP : acronyme pour Conférence des parties, en anglais : Conference of the Parties
[ii] Amy Dahan-Dalmédico, Stefan C.Aykut, Gouverner le climat ? : vingt ans de négociations internationales, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 2014
[iii] Rapport préparé pour la Banque mondiale par le Potsdam Institute for climate impact research et Climate Analytics, « Baissons la chaleur, pourquoi il faut absolument éviter une élévation de 4°C de la température de la planète », résumé analytique, novembre 2012. En ligne : http://documents.worldbank.org/curated/en/666371468159328715/pdf/632190W…, consulté le 27 février
[v] Réunion parlementaire à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, Paris, 5 et 6 décembre 2015. En ligne : http://www.ipu.org/splz-f/cop21/outcome.pdf, consulté le 27 février
[vii] Recherche menée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Résumé à l’intention des décideurs, Scénarios d’émissions, 2000. En ligne : https://www.ipcc.ch/pdf/special-reports/spm/sres-fr.pdf, consulté le 22 janvier 2017
[viii] Rapport préparé pour la Banque mondiale par le Potsdam Institute for climate impact research et Climate Analytics, « Face à la nouvelle norme climatique », résumé analytique, 2014. En ligne : http://documents.worldbank.org/curated/en/392931468016245898/pdf/927040v…, consulté le 27 février
-Banque mondiale, « Un nouveau rapport annonce qu’avec le réchauffement climatique de la planète, des millions de personnes seront prises au piège de la pauvreté », Londres, juin 2013. En ligne : http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2013/06/19/warmer-wo…, consulté le 28 février