Le perroquet des faiseurs d’opinion pyromanes : réponse à Christian Rioux pour « Victoires à la Pyrrus »
par Missila Izza, Candidate au doctorat en science politique, Université de Montréal
Christian Rioux s’allie dans sa chronique de lundi le 8 juillet aux éléments de langage des commentateurs des plateaux français dont l’analyse se bute plus souvent que l’inverse au mur du réel. Bon nombre de chroniqueurs et d’analystes politiques bien établis étaient persuadés que le Rassemblement National arriverait au pouvoir le 7 juillet, et ce, appuyé des seuls sondages qu’ils voulaient bien entendre. Le scénario opposé était pourtant souligné comme bien plus probable par certains experts, dont Brice Teinturier, Directeur général délégué d’Ipsos. Comment expliquer cet échec d’analyse ?
Tisser la toile
Pour ce qui est de la petite chanson de l’alliance « contre nature », le « front républicain » permet dans les faits de rassembler les voix d’électeurs de toutes les couleurs politiques pour empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir. Cette opération a permis d’éviter l’accession à la présidence du négationniste et tortionnaire de l’OAS, Jean-Marie Le Pen, puis à deux reprises celle Marine Le Pen, qui a consacré sa vie à refaire une beauté marketing au Front National, renommé Rassemblement National. L’exemple choisi par Rioux pour illustrer « l’alliance contre-nature » est qu’Edouard Philippe, de centre-droit, a voté communiste dans sa circonscription. Horreur ! Pas du tout en fait, puisque c’est exactement comme cela que fonctionne le front républicain : voter de façon stratégique pour le candidat qui n’est pas fasciste. Alors, la complainte selon laquelle « le portrait qu’offre cette nouvelle Assemblée est à l’opposé de celui que dessinent les suffrages exprimés » est entièrement fausse.
Avant le deuxième tour des législatives dans les circonscriptions où personne n’a obtenu la majorité nécessaire, bon nombre de candidats en troisième position se sont désistés pour permettre au candidat faisant face au RN d’obtenir ses voix. Nombre d’électeurs ont donc dû voter pour des candidats ne correspondant pas à leur choix du premier tour, comme 70% des électeurs de gauche qui ont voté pour Les Républicains (droite) dans des duels avec le RN. Il est donc malhonnête de comparer les résultats finaux du RN en comptant séparément les voix obtenues par la gauche, le centre et la droite pour défendre que le parti d’extrême-droite aurait dû l’emporter, comme le fait Christian Rioux qui est censé connaître ces notions électorales de base.
La gauche a obtenu moins de voix absolues au second tour car c’est la formation politique qui a opéré le plus de désistements pour permettre de battre l’extrême-droite. Malhonnêteté ou incompétence ? Le journaliste a qualifié le chiffre de 10,1 millions de voix pour le RN de progression « avec l’apport de voix propres et non d’alliances circonstancielles », ce qui est encore faux puisque le chiffre réel est 8,7 millions. Les résultats finaux de l’élection législative sont clairs : l’écrasante majorité des Français n’a pas voté pour l’extrême-droite, et cela sans même compter les abstentions au nombre le plus faible depuis 1981.
Tomber le masque
Que veut Christian Rioux ? Certainement pas la gauche au pouvoir. Il s’affole que le programme du Nouveau Front Populaire (quelques paragraphes après avoir prétendu qu’il n’existait pas) « plongerait dans un chaos indescriptible» la France. Rioux se permet d’omettre que le programme du NFP est le seul qui soit entièrement chiffré et que 300 économistes, y compris la prix Nobel d’économie 2019, Esther Duflo, le soutiennent. Il ajoute ensuite que l’« arrivée d’un premier ministre comme Jean-Luc Mélenchon apparaîtrait comme un coup fatal », affirmation basée sur rien, mais qui néglige surtout d’informer le lectorat que l’union de la gauche était à ce moment précis en pourparlers sur la composition du gouvernement[1]. Pourquoi ? Parce que le criaillement que Rioux imite est celui qui participe à la démonisation d’un mouvement politique. Aucune distance.
À la fin de sa chronique, le masque tombe. Il joue à ce que Gabriel Attal appelle « sujet, verbe, immigration » en disant qu’« immigration » et « insécurité » « figurent à peine dans les programmes du centre et de la gauche. » Si le mot « insécurité » est absent du programme des vainqueurs, ce n’est pas, comme le sous-entend Rioux, qu’il n’y a aucune mesure pour assurer l’intégrité physique des individus. La gauche préfère les termes « sûreté, sécurité et justice », à l« insécurité », connotée à droite, voire à l’extrême droite. Le Nouveau Front Populaire propose par exemple, le rétablissement de la police de proximité, ce qui a tendance à baisser la criminalité avec moins de violence- au grand dam de l’extrême-droite dont c’est la partie préférée.
Le terme immigration est bel et bien présent dans le programme du NFP : pour abroger les lois asile et immigration (considérées comme victoire idéologique de l’extrême-droite), pour la création de voies légales et sécurisées d’immigration, ainsi que pour réviser un pacte européen pour un accueil digne des migrants. Christian Rioux n’a-t-il pas lu ce programme ou est-il en fait déçu ? Évitons de faire semblant que Rioux ne fait pas un lien direct entre « insécurité » et « immigration ». La gauche a en effet le défaut, dans le regard des fascistes et des racistes, de ne pas prendre les immigrants comme l’épouvantail de tous les maux du monde. Du côté du RN, c’est à se demander si, en enlevant le mot « immigration » de son programme, il ne resterait pas que les images.
Monsieur Rioux ose même mettre le terme d’extrême-droite entre guillemets pour cette chronique où il étale sa panique face à sa défaite. Quand il dit de façon péremptoire que « les idées du RN n’ont jamais été aussi populaires », peut-être veut-il dire qu’elles n’ont jamais été aussi populaires avec lui.
Rioux verse aussi dans le conspirationnisme en sortant de nulle part l’idée selon laquelle le Rassemblement National « n’a toujours pas le droit de s’approcher du pouvoir. » Le droit ? Croit-il qu’au Québec les idées d’extrême-droite sont normalisées au point de laisser passer ce genre d’insinuations de trucage ou d’injustice envers une formation politique championne de l’exclusion ? Tout cela pour défendre une formation fasciste qui a investi au moins 106 candidats ayant été pris en flagrant délit de haine tombant sous le coup de la loi ou de complotisme, incluant une en casquette de la Luftwaffe ou un autre qui attaque une ancienne ministre de l’Éducation en disant qu’elle n’aurait pas dû accéder à ces fonctions parce que binationale franco-marocaine. Soyons bien clairs : ces gens sont des fascistes. Ils veulent hiérarchiser les citoyens selon leurs origines, retirer des nationalités arbitrairement et déporter des êtres humains. Le livre de chevet de Marine Le Pen, Camp des Saints, est basé sur l’idée suivante : « L’incompatibilité des races lorsqu’elles se partagent un même milieu ambiant. »
Alors quand, en parlant de la déconfiture électorale du Rassemblement National, Christian Rioux nous dit « tout cela n’est peut-être que partie remise », j’hallucine. Comment ce coming-out d’extrême-droite se retrouve-t-il dans les pages du Devoir ? Force est de constater que Christian Rioux est devenu une courroie de transmission de la normalisation des idées du Rassemblement National au Québec. La question qui se pose est celle de la responsabilité de donner une telle tribune dans un des plus grands quotidiens du Québec à un homme qui a désormais renoncé au journalisme au profit de l’extrême-droite.
[1] Depuis la publication de la chronique de Rioux, le Nouveau Front Populaire a donné le nom de Lucie Castets pour qu’elle soit désignée première ministre. Le président, Emmanuel Macron, a largement ignoré ce fait et a décrété une « trêve olympique » lors de laquelle le gouvernement démissionnaire gouverne.