par Émile Duchesne | Sep 26, 2016 | Entrevues
ENTRETIEN AVEC FRANCIS DUPUIS-DÉRI
La peur du peuple, est le prochain ouvrage signé par le politologue Francis Dupuis-Déri. Cette fois-ci, le chercheur se penche sur l’opposition entre les agoraphobes (pourfendeurs de la démocratie directe) et les agoraphiles (défenseurs de la démocratie directe). L’Esprit libre s’est entretenu avec lui afin d’en savoir plus sur cet ouvrage qui plonge au cœur du débat entre démocratie directe et démocratie représentative.
Q. Dans votre livre Démocratie. Histoire politique d’un mot, vous vous êtes intéressé au glissement de sens associé au mot démocratie. Ainsi, à partir d’une conception directe et populaire de la démocratie, les élites en sont venues à imposer un nouveau sens à ce mot: démocratie est aujourd’hui synonyme de régime électoral. Peut-on établir une continuité entre cet ouvrage et La peur du peuple ?
R. Oui, effectivement, la lecture de textes du XVIIe siècle — discours, manifestes, journaux, lettres personnelles, etc. — m’avait fait comprendre que ceux que l’on nomme les «pères fondateurs» des soi-disant «démocraties» modernes, en particulier aux États-Unis et en France, étaient ouvertement antidémocrates, c’est-à-dire qu’ils ne se réclamaient pas de la démocratie, et qu’ils utilisaient le mot «démocratie» comme un repoussoir, un épouvantail. Les «démocrates», ce sont les «autres», les irresponsables qui prônent le chaos, la tyrannie des pauvres, etc. Mais vers 1830-1850, l’élite politique va s’approprier le label «démocrate» à des fins électorales, constatant que ce label attire des suffrages des classes populaires. En un temps très court, tous les candidats vont prétendre être pour la démocratie (un phénomène d’ailleurs discuté par les journaux de l’époque). Mais ce que désigne le mot a changé, en deux générations : les pères fondateurs entendaient par «démocratie» un régime où le peuple se gouverne directement, par des assemblées populaires et délibératives; or maintenant, le terme désigne le régime électoral. Exit, donc, la «démocratie directe», et vive la «démocratie représentative».
Considérant ce changement de signification, à la fois descriptive (ce que le mot désigne) et normative (la démocratie c’est le mal, puis finalement le bien), je ne parvenais pas moi-même à utiliser de manière satisfaisante des notions telles que «antidémocrate» pour désigner une position politique précise. En effet, ce mot pouvait désigner parfois des opposants à la démocratie «directe», d’autres fois des opposants au régime électoral. C’est donc par souci de précision que j’ai eu à ce moment l’idée d’emprunter à la psychologie la notion d’«agoraphobie», pour désigner spécifiquement la peur du peuple assemblé pour délibérer et se gouverner, donc la peur de la démocratie directe. Puis j’ai avancé dans ma réflexion, et j’ai aussi proposé le terme «agoraphilie», pour désigner les partisans de la démocratie directe. Si j’ai brièvement présenté ces deux nouveaux concepts dans le premier livre, ce nouvel ouvrage est entièrement consacré à discuter de cette opposition entre agoraphobie et agoraphilie, autant en philosophie politique que dans les luttes sociales.
Q. Dans l’invitation au lancement de votre livre, il est dit que vous avez une « très bonne connaissance des expériences de la démocratie directe, y compris hors de l’Occident ». Quelle place prendront les exemples non-occidentaux dans votre ouvrage et peut-on toujours parler de démocratie si les pratiques en question ne sont pas senties comme telles par les peuples qui les portent ?
R. La pratique qui consiste à s’assembler dans une agora formelle ou non, pour délibérer au sujet des affaires communes et prendre des décisions collectivement, semble aussi ancienne que l’humanité. On la retrouve à peu près partout, y compris dans des contextes où règnent des gouvernements par ailleurs très autoritaires (en Chine, par exemple, ou au Moyen Âge en Europe). Dans mon ouvrage, je rappelle, par exemple, que les colonisateurs qui arrivaient en Nouvelle France constataient que les Autochtones pratiquaient ce mode d’autogouvernement, et qu’il y avait des assemblées d’anciens, de femmes et de l’ensemble du village. Je discute aussi de l’expérience des assemblées en pays Kabyle, des assemblées non-mixtes de femmes chez le peuple Igbo au Nigéria, ou encore de l’expérience plus récente des Zapatistes au Mexique. Tous ces exemples sont très inspirants pour réfléchir à la manière dont s’articule aujourd’hui le conflit entre la pensée de l’agoraphobie politique et celle de l’agoraphilie politique. Ainsi, l’agoraphobie politique affirme qu’en Occident aujourd’hui, la démocratie directe est tout simplement impossible à mettre en place, pour des raisons d’excroissance démographique, de complexification des sociétés et d’un individualisme trop développé. Nous serions donc, en Occident, à la fois les représentants de la civilisation qui se considère comme la plus évoluée de tous les temps, mais aussi des individus incapables de s’autogouverner, alors que des peuples considérés comme «primitifs» en ont été capables pendant des siècles, voire des millénaires. La question n’est donc pas de savoir si ces peuples s’identifiaient à des notions comme «démocratie» ou «anarchie», mais de réfléchir aux débats qui nous préoccupent ici et maintenant, en nous inspirant d’expériences humaines qui ne sont pas uniquement celles de l’Occident, ou de manière encore plus restrictives celles des États-Unis et de la France (les deux pays les plus souvent pris comme exemple, lors des discussions au sujet de la démocratie). Cela dit, je mobilise aussi des exemples inspirant pour l’agoraphilie et tirés de l’histoire occidentale, comme les conseils ouvriers ou des collectifs féministes.
Q. Votre livre plonge au cœur d’un débat qui en intéresse plusieurs. Qu’est-ce que peut apporter la lecture de votre à livre à une personne qui cherche à faire vivre la démocratie directe au jour le jour dans ses implications politiques ou dans son milieu de travail par exemple ?
R. Je ne sais pas, il faudrait lui demander… Mais ce que j’espère, c’est qu’il est possible d’y trouver des outils pour mieux saisir la logique des arguments contre la démocratie directe (c’est inefficace, c’est trop long, etc.), et d’y répondre par des contre-arguments crédibles, d’un point de vue philosophique, historique et politique. C’est sans doute d’autant plus nécessaire, selon moi, que l’agoraphobie fleurit aussi bien chez les réactionnaires et les conservateurs que chez les progressistes et même les révolutionnaires (je discute d’exemples d’agoraphobes de gauche dans l’ouvrage : Lénine, évidemment, mais aussi les philosophes Chantal Mouffe et Frédéric Lordon, entre autres). Les arguments de l’agoraphobie politique peuvent se résumer, pour faire bref, à l’idée que les individus qui s’assemblent pour délibérer sont irrationnels, et donc des proies faciles pour les démagogues qui les encouragent à prendre de mauvaises décisions, sans compter que l’agora est un lieu dominé par des conflits entre des cliques qui cherchent à en prendre le contrôle. L’agoraphilie politique, pour sa part, renverse ces arguments en rappelant que les individus qui veulent nous gouverner pour notre bien sont également irrationnels (passion pour le pouvoir, pour les honneurs et la gloire, etc.), pratiquent la démagogie et constituent une élite qui a des intérêts contraires au reste du peuple (dès qu’il y a une distinction entre gouvernants et gouvernés, il y a une inégalité politique et des intérêts contradictoires). De plus, l’agoraphilie politique peut rappeler des exemples historiques et contemporains pour démontrer que le peuple assemblé sait bien se doter de rituels et procédures pour faciliter le plus possible un bon processus de prise de décision. Évidemment, il n’est pas question de prétendre que la démocratie directe est un régime parfait (l’être humain étant imparfait, il ne peut donc y avoir de régime politique parfait), mais plutôt d’admettre que c’est le seul régime dans lequel le peuple est politiquement libre, puisqu’il n’est pas gouverné.
Q. Un des objectifs de votre nouveau livre est d’exposer le rapport délicat entre « le peuple assemblé à l’agora pour délibérer (le dêmos) et celui qui descend dans la rue pour manifester, voire pour s’insurger (la plèbe) ». Lors de la grève étudiante de 2012, les liens entre dêmos et plèbe ou entre l’assemblée générale et la rue étaient clairs pour les étudiante.es et une certaine partie de la population, mais beaucoup moins pour le gouvernement et les élites. Est-ce que c’est ce genre de rapports qui vous intéresse dans La peur du peuple et comment les traitez-vous ?
R. Oui, tout à fait : je présente de nombreux exemples d’expressions de l’agoraphobie politique dans des déclarations publiques à l’occasion du Printemps érable, mais aussi d’Occupy et de Nuit debout, entre autres. Un fait intéressant : en 2012, les médias étaient saturés de critiques contre la «démocratie étudiante» et les assemblées générales, présentées comme des lieux chaotiques contrôlés par une clique manipulatrice d’anarcho-syndicalistes… Or, curieusement, je n’ai trouvé aucune critique adressée à des assemblées qui ont voté contre la grève; on ne critiquait que les assemblées qui votaient pour la grève. Est-ce donc, alors, la démocratie directe qui est problématique, ou plutôt le choix que prennent certaines assemblées? Mais si c’est le choix (de faire la grève), pourquoi alors critiquer la démocratie directe elle-même ? C’est ce type d’incohérence que je tente d’identifier dans les discours de l’agoraphobie politique.
Quant au lien entre s’assembler pour délibérer et s’assembler pour manifester, il n’est pas pure illusion. Dans l’histoire, l’amalgame est souvent présent dans les discours de l’agoraphobie politique, comme on peut le constater au sujet des interdictions pour les esclaves de s’assembler dans les colonies britanniques, ou dans les règlements municipaux contre les attroupements illégaux, ou encore dans les propos à l’égard de Nuit Debout, à Paris au printemps 2016 : non seulement les «nuitdeboutistes» étaient présentés comme de doux rêveurs assemblés Place de la République pour le simple plaisir insignifiant de parler, parler, parler, mais on leur reprochait aussi d’accueillir des «casseurs» qui se lançaient à l’assaut de la ville. Or, j’ai essayé de comprendre en quoi il y a réellement un lien entre la pratique de l’assemblée et celle de la manifestation ou de l’émeute (même si, évidemment, toute émeute n’est pas précédée d’une assemblée délibérante). J’ai essayé aussi de complexifier l’analyse, en étudiant dans un premier temps comment l’agoraphilie politique (l’amour du peuple assemblé) est traversée par une tension entre une tendance plutôt «assembléiste» et une tendance «insurrectionnaliste», puis, dans un second temps, comment des pratiques insurrectionnelles interviennent en assemblée (par exemple, des lesbiennes perturbant des assemblées féministes pour dénoncer la lesbophobie ambiante), et comment il est possible de s’assembler et délibérer en manifestation, voire en émeute. J’ai aussi rappelé que lors d’insurrections, le peuple très souvent se dote d’espace délibératif (par exemple lors de la Révolution française de 1789, en Espagne en 1936, en Hongrie en 1956, en Argentine au début des années 2000, etc.).
Q. Dans la description de l’ouvrage, il est dit que celui-ci se situe « à la croisée des chemins entre la philosophie politique, l’anthropologie et la sociologie ». Pensez-vous que le temps des champs disciplinaires est révolu ? Comment une pluralité d’approches intellectuelles vous permet-elle de mieux cerner votre objet sans perdre de vue vos objectifs ?
R. Il s’agit d’une démarche personnelle, mais qui — je l’espère — est stimulante : le travail de théorisation et de conceptualisation de la philosophie politique est d’autant plus fructueux (c’est mon pari) s’il s’inspire de la réalité anthropologique, historique et sociale. J’articule donc ma réflexion en m’inspirant de « grands » philosophes, mais en discutant leurs thèses à la lumière de la réalité sociopolitique. Cela dit, mon approche m’amène aussi à considérer que la philosophie s’incarne et s’exprime dans les pratiques sociopolitiques, ainsi que dans les discours de « simples » individus. C’est une manière de suggérer que le débat entre l’agoraphobie et l’agoraphilie politiques porte aussi sur cette question essentielle : à qui appartient la pensée politique, qui la « produit » et pourquoi ? Le « premier » agoraphobe était Socrate (médiatisé par Platon), qui jugeait que le dêmos était une bête irrationnelle et dangereuse, incapable de saisir le Vrai (il semble d’ailleurs que ni Socrate, ni Platon, ne daignaient participer à l’assemblée citoyenne)… Or l’agoraphilie est, par définition, contre l’idée de « philosophes-rois » qui détiendraient le monopole du pouvoir aussi bien en politique qu’en philosophie.
Francis Dupuis-Déri est professeur au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal et chercheur à l’Institut de recherches et d’études féministes. La peur du peuple sera disponible en librairie dès le 27 septembre 2016.
par Émile Duchesne | Juil 17, 2015 | Entrevues
Entrevue avec le chef Rodrigue Wapistan
Depuis mercredi, les Innus de Nutashkuan, appuyés par ceux d’Ekuanitshit, ont érigé un blocus sur la route d’accès de la Romaine. Émile Duchesne a rencontré le chef Rodrigue Wapistan pour L’Esprit Libre. Voici ce que le chef avait à dire.
Q. À quelle heure avez-vous commencé le blocus aujourd’hui?
R. On a commencé ça tantôt (mercredi 15 juillet), à 15h40. On a déclaré un blocus à l’accès du chantier de la Romaine. Ce que je veux, c’est rencontrer le premier ministre pour discuter du processus de mise en œuvre du projet de la Romaine par Hydro-Québec.
Q. Quelles sont vos revendications?
R. Le problème, c’est que dans les bassins qui vont être noyés, presque 50 % de la population d’arbres sera inondé. Le bassin numéro 2 a déjà été fait, mais il reste les bassins 3 et 4. Hydro-Québec n’a pas tout déboisé, donc ça va faire du mercure dans ces bassins-là pour les prochaines générations. Pour nous, dans notre culture, dans notre jargon aussi de discussion, c’est intolérable. Soit on laisse passer cela et on sera affectés dans cinq ou six ans, soit je bouge là. J’invite les gens à venir ici, au blocus. On a l’appui de tous les chefs de la nation innue, des 9 communautés. On va se battre jusqu’à la fin, ça c’est sûr. On va se faire entendre puis on ne lâchera pas.
Q. Combien de temps espérez-vous que le blocus dure?
R. On ne sait jamais. Ça vient de commencer et nous on va aller jusqu’au bout. On n’a pas peur que la police vienne démanteler notre blocus. On est prêt, un point, c’est tout. Nous aussi on va intervenir, avec notre force contre leur force, c’est comme ça. On ne laissera pas l’impact environnemental et le désastre se faire sans qu’on ait un mot à dire là-dessus.
Q. Avez-vous d’autres revendications?
R. Oui, on a d’autres revendications par rapport à Hydro-Québec. On a fait le déboisement, mais ils ne veulent plus amener de bois à notre scierie et ils n’engagent plus nos débroussailleurs. On est encore perdant dans tout ça parce qu’Hydro-Québec ne respecte pas l’entente qu’on a établie avec eux en 2008.
Q. Ce n’est pas le premier blocage que les Innus érigent contre le projet de la Romaine. À Nutashkuan, est-ce que c’est votre premier?
R. Non, ce n’est pas notre premier; on en a fait plusieurs autres auparavant. Dans mon mandat, en tant que chef, c’est mon deuxième blocus, mais j’ai aussi participé à d’autres auparavant. J’ai bloqué la construction d’un pont à la rivière Nutashkuan parce qu’on ne savait pas comment les choses allaient être faites. Après ça et suite à des analyses, on a décidé de faire le travail quand même, mais ça s’est mieux fait que c’était supposé l’être, ça c’est certain.
Q. Comment diriez-vous que le blocus se passe jusqu’à présent?
R. Écoute. Jusqu’à maintenant, ça se passe bien, mais je te dirais qu’on essaye de garder la stabilité plus loin que ça. Ce blocus, c’est mon plus gros. Aujourd’hui, on a eu une centaine de personnes et on va en avoir plus demain. On n’est pas une très grosse communauté : 1100 membres dont 300 sont hors réserve. Alors pour nous, c’est quand même bon. Nous autres, on est des chasseurs et des trappeurs, et je pense qu’Hydro-Québec a mal choisi ses clients comme on dit!
par Émile Duchesne | Juin 3, 2015 | Entrevues
«Quelque chose qui traîne, ça salit »
Depuis le 5 mars 2013, 450 mécaniciens et mécaniciennes syndiqués à la CSD (1) ont été mis en lock-out par leurs employeurs, représentés par la Corporation des concessionnaires automobiles du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Après près de deux ans et trois mois de lock-out, aucune résolution du conflit ne point à l’horizon; il ne semble y avoir eu aucune progression dans les négociations et le conflit s’embourbe dans la judiciarisation (2). Récemment, le Ministère du travail, de l’emploi et de la solidarité sociale a fait savoir qu’il comptait intervenir dans le dossier, sans dévoiler le moment et la nature de ladite intervention (3). L’Esprit libre a rencontré des lock-outés de Dupont Auto d’Alma sur leur ligne de piquetage. Voici ce qu’ils nous ont dit.
Un conflit prémédité
« Tous les concessionnaires ont acheté des petits garages pour faire de la sous-traitance et ils ont posé des caméras avant que ça commence. On voyait que quelque chose s’organisait. Les concessionnaires gardaient 50 $ par véhicule pour se faire un « fond de lock-out ». Ça, on l’a su par après. C’était planifié, c’était prémédité. On [les syndiqués] savait où ça s’en allait. Pour la durée [du lock-out], on savait que ça allait être long, mais de là à aller jusqu’à deux ans… c’est un lock-out sauvage » explique M. Daniel Savard, le délégué syndical des employés de Dupont Auto Alma.
« Christian avait demandé à un patron si on travaillait le lundi. Le patron a dit de venir comme d’habitude, mais au fond il le savait. Quand on est arrivé le lundi, les barrières étaient fermées, nos deux patrons étaient là. On a demandé: « Qu’est-ce qui se passe ? » Ils ont dit: « Les gars, allez-vous en chez vous, on ferme les portes. » Ça commencé comme ça. Et les patrons avaient le sourire aux lèvres, en plus… » rajoute-t-il.
« Quand ils ont présenté la convention, c’était sans queue ni tête… Personne n’aurait accepté ça. Ils ont pris notre convention collective et l’ont débâtie au complet. Ils l’ont fait exprès, parce qu’ils savaient qu’on allait obtenir un vote fort contre la convention. Ils voulaient faire comme un transfert et dire « Vous avez voté à 99,1%, c’était une grève ou c’était un lock-out, ça revient au même ». Sauf qu’à partir du 5 mars, ils auraient pu négocier encore 20 jours. Il n’y a jamais eu de négociation. Il y a eu cette convention-là et c’est tout. Ils ont essayé de nous imposer leur convention et de nous ridiculiser… On fait rire de nous par certaines personnes. Les gens ne savent pas ce qu’on peut vivre ici », explique quant à lui Christian Tremblay, un lock-outé de Dupont Auto d’Alma.
L’indifférence de la population
« Notre moyen d’action, c’est de convaincre la population de ne pas acheter de véhicule… Mais je te dirais que pour les Québécois, c’est « je, me, moi »… Je ne mets pas tout le monde dans le même panier, certains sont vraiment solidaires avec nous, mais ils ne sont pas assez nombreux, c’est pour ça que ça fait deux ans et quelques qu’on est dehors », raconte M. Savard.
« Il y a beaucoup de jalousie là-dedans. Prends celui qui travaille, disons, au magasin de pièces. Lui, il va parler de nous, mais il va nous jalouser. Parce que veut, veut pas, on a de bonnes conditions de travail. Ils se foutent bien de nous, maintenant qu’on est dans la rue. Mais ces gens-là ne se sont jamais donné la peine d’être bien, de se tenir et de se donner une convention collective. Moi, ça m’écœure un peu », dit à son tour M. Tremblay.
« Le problème avec les médias, c’est qu’eux [les patrons], ils leur envoient des annonces pour vendre des automobiles. Ils sont parmi les plus gros annonceurs ici. Ils font vivre les journaux », explique un autre lock-outé qui a conservé l’anonymat.
« On a tous des familles, et chacun a dans la sienne quelqu’un qui a acheté un véhicule. Mon beau-frère en a acheté un. Ils sont au courant, donc, côté solidarité… », poursuit ce dernier.
L’indifférence des élites
« Deux ans après [le début du lock-out], il est trop tard parce que le mal est fait. Le gouvernement, c’est seulement pour bien paraître qu’il fait ça [intervenir dans le conflit] , en lien avec ce qui s’en vient ici. Enlève-nous le sommet économique qui s’en vient dans la région et le gouvernement, on ne l’entend pas. PKP est venu dans la région il y a deux mois. Il y a des gens qui lui ont posé des questions sur le conflit dans l’automobile. À partir de ce moment-là, il était au courant qu’il y avait un conflit dans la région. Dernièrement, il est redescendu ici et il a dit qu’il n’était pas au courant, qu’il ne savait pas qu’il y avait un conflit dans la région. Il y a quelques semaines, il s’est fait accueillir, comme on dit [le 12 mai dernier, des lock-outés ont fait les manchettes pour avoir refusé de serrer la main de Pierre-Karl Péladeau en disant qu’il était le pire employeur du Québec (4), NDRL]. Pour eux, je pense que c’est pour bien paraître. Si le gouvernement intervient dans le conflit, c’est pour son propre intérêt, ce n’est pas pour nous », nous dit M. Tremblay.
« Nous, on s’endette, et ces gens-là [les employeurs], ils continuent de vivre avec le même train de vie. Ils ont fait les rénovations qu’ils avaient à faire chez eux, ils n’ont pas gelé de l’hiver parce qu’ils travaillaient au chaud, ils font leurs voyages dans le Sud… Nous, on est presque à la rue, et ils ne font que prolonger le conflit. Ils nous envoient à la Cour avec leurs injonctions et tout, mais eux, ils vont continuer à vivre quand même », poursuit M. Tremblay.
« Moi, ce qui m’enrage le plus, c’est que maintenant, on voit des gens des petits garages indépendants arriver à la porte du concessionnaire, klaxonner et entrer. Maintenant, les gars viennent ici, je ne sais pas ce qu’ils ont fait, ils ont dû réparer une voiture en dedans… C’est grave, ils font notre travail. Ils n’ont pas le droit de faire ça, mais ils [les patrons] ont tous les droits du monde… Je te le dis, ils s’en foutent… Eux, pour faire de l’argent, ils s’en foutent … », s’indigne M. Savard.
« Moi, ce qui me fait le plus mal au cœur, c’est quand le patron vient nous voir et qu’il nous dit que c’est de notre faute si on s’est fait mettre dehors. Ils nous mettent ça sur le dos parce qu’on n’a pas accepté [la nouvelle convention collective]. Ils n’assument pas ce qu’ils ont fait. Moi, si je lance un œuf et qu’il se casse au visage de quelqu’un, je n’irais pas me cacher derrière quelqu’un d’autre en disant que ce n’est pas moi », raconte M. Tremblay.
« Il y a bien des choses que j’ai de la misère à comprendre et que je pense que je ne comprendrai jamais de ma vie, parce qu’il y a des menteurs de l’autre côté. Ce sont des putains de menteurs. Je vais te dire quelque chose : pour vendre des voitures quand tu es en conflit comme ça, il faut que tu racontes des mensonges quelque part, parce qu’il y a des gens en dedans [au concessionnaire] qui doivent se poser des questions. Ils m’ont appelé chez moi en janvier pour me vendre une voiture. J’ai gardé la ligne pour voir ce qu’ils allaient me dire. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de problème et que le conflit était presque réglé, qu’il ne restait qu’à signer de la paperasse », poursuit M. Tremblay. « Ils se sont servis de nous. On est presque à la rue, on ne peut pas faire grand-chose et en plus, il y a des caméras partout. On lève le doigt et ils nous envoient une injonction », rajoute-t-il encore.
La solidarité syndicale
« Il y a450 travailleurs qui ne paient plus d’impôts depuis deux ans. Pour des villes comme ici, c’est gros. Avec ce qui s’en vient, il y a d’autres choses qui vont arriver si on abandonne. Il ne faut pas lâcher sinon ça va suivre ailleurs, et ce sont d’autres travailleurs qui vont se faire taper sur la tête, et pas seulement dans l’automobile… », explique un lock-outé qui passait.
« Elle ne fait pas grand-chose, la classe moyenne. Mais la grosse classe au-dessus, elle, s’efforce de toujours nous faire mal paraître. Nous, on doit toujours se battre par rapport à ça. On ne fait rien de grave mais il faut toujours se battre, parce qu’il y en a qui essayent de nous écraser. Nous, on veut juste vivre », raconte M. Tremblay.
« On eu l’appui de six autres centrales syndicales quand ça a fait deux ans qu’on était en lock-out. Les syndicats, ils ne nous appuient pas financièrement, mais ils sont au moins là moralement. Pour ça, l’appui syndical est là à 100%. Le 1er mai, il y a eu d’autres syndicats qui sont venus bloquer des concessionnaires à Saint-Félicien et qui sont venus nous voir ici, à Alma, aussi. Nous, on a participé aux activités qu’il y a eu toute la journée. On a bloqué la route du parc des Laurentides. C’était ben l’fun! » explique M. Savard.
Le 5 mars 2015, deux ans après le début du conflit, six centrales syndicales (la FTQ, la CSN, la CSQ, l’APTS, le SFPQ et le SPGQ) ont fait une conférence de presse commune pour donner leur appui aux lock-outés des concessionnaires automobiles syndiqués à la CSD.
« On a eu des appuis des étudiants de la région. Il y a des jeunes filles qui sont venus nous voir. Même qu’à Chicoutimi, il y a des étudiants qui sont entrés dans un concessionnaire pour faire du grabuge. Ils ont eu des contraventions eux aussi », raconte M. Tremblay.
Le quotidien et la suite des choses
« Pour essayer de joindre les deux bouts, on a fait des sacrifices. Moi, j’ai vendu ma camionnette, j’ai vendu ma roulotte et je fais moins de choses. On n’est nulle part. On ne paye plus d’impôt, on ne paye plus rien. On est des no name », se désole M. Savard.
« Venir ici [sur le trottoir], ce n’est pas une vie… Si tu savais ce qui se dit, parfois, avec les gens qui viennent acheter des voitures. Il y en a qui s’en foutent de nous. Ils nous disent: « Moi, j’arrêterai pas de vivre pour ça », « C’est pas mon problème », « Allez travailler » », poursuit M. Savard.
« Regarde toute la merde qu’ils [les patrons] nous ont donné. Ils nous mettent dans la rue, nous, mais ils mettent aussi nos enfants dans la rue. Moi, je ne fais pas ça pour me plaindre, mais on travaille fort pour que nos familles n’écopent pas. Tant que notre famille et nos enfants sont heureux… Mais ils vivent le conflit à leur manière, eux aussi, parce que quand tu arrives chez toi, que tu as passé une mauvaise journée, que les clients t’ont envoyé des mauvais commentaires, tu es bougon; veut, veut pas, tu es peut-être plus bourrasseux envers tes enfants, envers ta femme… Ils payent le prix, jusqu’à un certain point », explique M. Tremblay.
« Quand on va devoir retourner travailler, on ne rentrera pas à quatre pattes, ce n’est pas vrai. Jamais. Moi, je vais rentrer la tête haute, peu importe la convention qu’on va avoir. Le patron, je vais lui dire : « J’ai fait deux ans dehors et c’est à cause de toi. » Le retour au travail, ça va être le ring de boxe, mon homme », conclut M. Temblay.
« Le protocole de retour au travail, d’après moi, va être aussi épais que la convention collective, ha ha! » s’exclame M. Savard avant de quitter.
(1) Centrale des syndicats démocratiques
(2) http://www.985fm.ca/regional/nouvelles/le-lock-out-se-judiciarise.-70434…
(3) http://ici.radio-canada.ca/regions/saguenay-lac/2015/05/06/002-lock-out-…
(4) http://www.journaldemontreal.com/2015/05/12/les-lockoutes-interpellent-l…
par Émile Duchesne | Avr 14, 2015 | Opinions
Le terme répression trouve son origine dans le mot latin reprimere (1) qui signifie refouler. Malgré une utilisation relativement ancienne du terme, le sens de celui-ci à très peu changé jusqu’à aujourd’hui : contenir et châtier sont deux sens qu’on accole toujours au mot «répression» (2). Si les mouvements sociaux québécois n’en sont pas à leur première rencontre avec l’appareil répressif de l’État, il reste néanmoins surprenant que la mobilisation étudiante de 2015 soit aussi rapidement la cible d’une répression dont l’intensité et la violence en indigne plusieurs. Sans vouloir apporter une réponse exhaustive je proposerai ici quelques pistes pouvant permettre d’orienter notre réflexion sur la répression et sur la violence policière que subit le mouvement étudiant.
Des super-bureaucrates
En schématisant à peine, on peut dire que les policiers-ères ne sont en fait que des « super-bureaucrates », c’est-à-dire des bureaucrates armé-e-s. Tout comme les bureaucrates, ils et elles doivent remplir de longs rapports et autres formulaires et appliquer des règlements dont la logique échappe à la majorité de la population. Le métier de policier au jour le jour se révèle donc être ennuyant et souvent peu efficace. Par ailleurs, nombre d’études en sciences sociales ont démontré que la pratique des patrouilles policières et l’augmentation des effectifs n’affectaient aucunement les taux de criminalités (3). D’autre part, les policiers-ères passent la plupart de leur temps à faire respecter (c’est-à-dire par la menace de l’usage de la violence légitime) des règlements administratifs (4). Une fois que l’on sait cela, certaines choses s’éclaircissent. L’application du règlement P-6, avec entre autre l’obligation qui en découle pour les manifestant-e-s de remettre un itinéraire, représente une tactique bureaucratique par excellence. Remettre un itinéraire implique de faire une demande, que cette demande soit traitée et enfin acceptée ou refusée comme n’importe quel formulaire que l’on remettrait à la RAMQ (5) ou la SAAQ (6). Avec un tel règlement, la Ville de Montréal est capable de légitimer le fait que les policiers-ères provoquent volontairement des quasi-émeutes et procèdent à des arrestations de masse. D’ailleurs, l’administration de la ville a pris le temps de souligner que cette année le règlement P-6 serait appliqué sans aucune tolérance (7) et ce avant même le début des manifestations et malgré l’abandon de 1965 charges pour infraction au règlement P-6 (8). Il y a beaucoup de parallèles à tracer entre l’obsession pour l’itinéraire du règlement P-6 et la répression des manifestations ailleurs dans le monde. À Montréal si on veut « légalement » manifester il faut soumettre son trajet à l’arbitraire policier. Dans beaucoup de pays totalitaires, on demande aux organisateurs d’une manifestation de faire une demande des mois à l’avance pour que celle-ci ait lieu et on les cantonne dans une place publique obscure, loin de tout regard. C’est entre autres ce qu’a fait la Russie aux Jeux Olympiques de Sotchi et ce que font des pays comme la Chine. La différence entre le règlement P-6 et la logique répressive de ces régimes totalitaires en est une de degré et non pas de nature. Cet aveuglement face à la réalité sur le terrain est typique de la bureaucratie. La procédure bureaucratique signifie globalement de faire fi de toute les subtilités de l’existence et de tout réduire à des modèles préconçus (9). Pour être provoquant, on pourrait dire que le règlement P-6 est une invention des plus stupides au sens où il réduit la réalité à un schéma simpliste (du type pas de trajet = gaz lacrymogènes, même si on risque de provoquer une émeute et des blessés) qui permet l’utilisation de la menace de violence physique. C’est d’ailleurs le propre de la violence de rendre caduque toute réponse intelligente et posée. Les policiers-ères sont donc les bureaucrates par excellence grâce à la possibilité qu’ils ont d’utiliser la menace de la violence physique. Bien sûr, c’est l’arbitraire policier-ère qui détermine en dernière instance quand cette violence est appliquée, la menace reste quant à elle omniprésente. Comme Max Weber l’a remarqué, toute forme de bureaucratie se rend indispensable à l’élite au pouvoir, et il est presque impossible de s’en débarrasser (10). De la même façon, les policiers-ères au Québec se rendent indispensable aux gouvernements en place (que ce soit le PQ, le PLQ, Coderre ou Labeaume) afin que ceux-ci conservent leur pouvoir. Mais aussi on imagine difficilement le gouvernement renvoyer simultanément toute sa garde armée …
La culture policière
La culture policière représente ce système de valeurs et de savoirs partagés qui sont passés d’une génération de policiers-ères à une autre et qui permet de « faire sa place » dans l’organisation (11). Elle représente des pratiques informelles et est terreau fertile pour les pratiques non-professionnelles (12). Cette culture policière se développe dès l’entrée des nouveaux-elles policiers-ères dans les services de police mais aussi au long de leur formation alors qu’ils et elles sont entouré-e-s d’ancien-ne-s policiers-ères qui leur transmettent cette culture. Il est d’ailleurs fascinant d’observer comment cette culture et cet esprit de corps se déploient chez les étudiant-e-s en technique policière lorsqu’il y a une assemblée de grève dans leur Cégep … En terme de valeurs partagées, la culture policière permet au corps policier de différencier les bon-ne-s citoyen-ne-s des mauvais-es. Parlant du sociologue John Van Maanen, Didier Fassin écrit : « Selon cet auteur, (13) les assholes constituent un ensemble peu différencié de personnes allant du travailleur social au jeune militant en passant par le vagabond et l’alcoolique qui vont faire l’objet de l’attention des forces de l’ordre […] et qui vont se comporter de façon inadaptée, en demandant ce qu’on leur veut, en discutant de la légitimité du contrôle ou en contestant l’autorité du policier » (14) En manifestant chaque soir dans les rues de Montréal en 2012, les étudiant-e-s se sont très certainement assuré-e-s une place notoire dans le palmarès des « assholes » du SPVM. La haine que peuvent entretenir les policiers-ères envers les étudiant-e-s nourrit une certaine banalisation de la violence faite envers ceux-ci. Rien n’empêche un-e policier-ère de se faire justice soit même dans la rue (voyant que beaucoup d’étudiant-e-s s’en tirent avec un retrait des charges) en allant frapper un-e pauvre étudiant-e avant qu’il ne déguerpisse comme un lièvre. Suite aux émeutes des banlieues de 2005 en France, nombre « d’émeutiers-ères » arrêté-e-s se sont vu relâché-e-s. La réponse des policiers-ères fût de faire leur propre justice dans les rues de France (15). La tombée des accusations concernant le règlement P-6 a peut-être eu cet effet sur les policiers-ères du SPVM. Quoi qu’il en soit, il reste difficile de savoir sur quoi portent les conversations dans les postes de polices, même si certains indices ne mentent pas.
Les médias
Dans un article publié dans le média Ricochet (16), Gabriel Nadeau-Dubois nous parlait de « brutalité médiatique » et de son impact sur les services de police. On le sait, plusieurs médias diffusent quotidiennement dans l’espace publique des propos haineux envers certains groupes de la société. Certains nomment ces médias « radios poubelles » (17) ou « vendeurs de haine » (18). La légitimation de la violence faites aux étudiant-e-s par ces médias conforte la police dans ses exactions car elle sait que sa violence sera par la suite justifiée (souvent en utilisant une rhétorique paternaliste) par des médias qui sont capables d’atteindre un nombre d’auditeurs-trices relativement élevé. Je voudrais néanmoins déplacer la question des médias vers un autre point qui se situe plutôt au plan de l’imaginaire collectif. Alors, petit exercice, combien existe-t-il de séries policières à la télévision ? Beaucoup. Et qu’est-ce qu’on montre dans ces séries ? Des policiers et des policières qui résolvent des crimes flamboyants et qui démontrent leur courage par leur bravoure et leur personnalité de dur-à-cuire. Le fait est que ces séries télévisées donnent un regard faussé du métier de policier. Comme il a été dit plus haut l’essentiel de la profession policière consiste à appliquer des règlements relativement insignifiants (i.e. pas le droit de boire à cet endroit, pas le droit de dormir à tel endroit, etc.) et à remplir de la paperasse. On est loin de ce qu’on voit à la TV. Les policiers et policières se retrouvent donc dans un train-train quotidien ennuyeux, alors qu’on leur dépeint une réalité fictive dans laquelle ils et elles rêvent d’intervenir et de devenir des héros (19). Il y a ainsi un décalage important entre la profession et l’image que l’on en a. D’autre part, cette situation a un effet important sur le regard qu’a le public sur le travail policier. La population est constamment bombardée de séries et de romans policiers et est donc constamment appelée à s’imaginer dans la peau d’un policier ou d’une policière. La majorité de la population est donc appelée régulièrement a effectuer un travail interprétatif afin de se « mettre dans la peau » d’un policier. Quand peut-on voir des séries télévisées qui mettent en scène des manifestant-e-s ? Pratiquement jamais. Le travail interprétatif ne se fait que d’un seul côté (20). Il est plus facile pour la population de comprendre le point de vue de la police et de s’y identifier que de le faire avec des manifestant-e-s, puisque la population est quotidiennement appelée à effectuer un travail interprétatif afin de comprendre la perspective des policiers-ères.
Conclusion
Les trois conceptions de la police présentées ici nous permettent de porter un autre regard sur les épisodes de répression que le mouvement étudiant a vécu ces derniers jours et de dépasser les stéréotypes simplistes sur la question de la répression. L’austérité et le système politique qui la supporte sont des structures violentes. Elles ne peuvent être créées et maintenues qu’à partir de la menace de violence physique et ce même si cette violence physique n’a pas à être déployée à tous les jours (21). Cette violence structurelle limite nos capacités à imaginer des alternatives à notre mode de vie, car nous vivons dans un monde où être réaliste signifie prendre au sérieux l’usage systématique de la menace de violence physique (22). Les manifestations étudiantes ont réveillé la violence dormante de nos structures sociales. Dans un monde aseptisé et schématisé au maximum, l’imagination se fait rare. Contre une vision du monde qui sabote la finalité de l’agir humain, il faut promouvoir l’imagination et apprendre à ne pas être « réalistes ». L’opinion exprimée dans le cadre de cette lettre d’opinion, est celle de son auteur et ne reflète pas nécessairement l’opinion, ni n’engage la revue l’Esprit libre. CRÉDIT PHOTO: Caroline Cheade
(1) Dictionnaire étymologique Larousse (1964 : 644). (2) Multi dictionnaire de la langue Française (2009 : 1414). (3) La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers (Fassin, 2011 : 113). (4) The Utopia of Rules : On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy (Graeber, 2015 : 73). (5) Régie de l’Assurance Maladie du Québec. (6) Société de l’Assurance Automobile du Québec. (7) http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201503/25/01-4855369-manifestations-p-6-sera-applique-previent-ladministration-coderre.php page consultée le 8 avril 2015 (8) http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201502/25/01-4847318-p-6-montreal-retire-les-accusations-pendantes.php page consultée le 8 avril 2015 (9) Op. cit (Graeber, 2015 : 75). (10) From Max Weber : Essays in Sociology (Weber, 1946 : 233-34). (11) Using Bourdieu’s Framework for Understanding Police Culture in Droit et Société (Chan, 2004 : 328). (12) Ibid (13) The assholes in Policing : A View from the Street(Van Maanen, 1978). (14) Op. cit (Fassin, 2011 : 152). (15) Op. cit (Fassin, 2011 : 293). (16) https://ricochet.media/fr/371/les-policiers-ne-vivent-pas-dans-un-bocal page consultée le 8 avril 2015 (17) http://sortonslespoubelles.com/ page consultée le 8 avril 2015 (18) http://ucl-saguenay.blogspot.ca/2013/09/lancement-du-livre-radio-x-les-vendeurs.html page consultée le 8 avril 2015 (19) Op. Cit (Fassin, 2011 : 100). (20) Op. cit (Graeber, 2015 : 81). (21) Op. cit (Graeber, 2015 : 59). (22) Op. cit(Graeber, 2015 : 86).