par Rédaction | Avr 23, 2017 | Analyses, International
Par Théophile Vareille
(DOSSIER) PORTRAIT DES CANDIDAT·ES À LA PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE (5 de 5)
En cette période électorale, L’Esprit libre vous fait le portrait des cinq candidat·e·s majeur·e·s à la présidentielle française dont le premier tour aura lieu ce dimanche 23 avril.
François Fillon devrait être un homme à terre. « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen? » s’interrogeait-t-il en août passé. François Fillon a été mis en examen en mars1. Cette pique contre Nicolas Sarkozy, alors candidat à la primaire de la droite et du centre, s’est retournée contre François Fillon, au contraire de son électorat. Alors que les accusations pleuvent et que les affaires juridiques font surface les unes après les autres, François Fillon reste à un niveau stable dans les intentions de vote2. Sa base électorale semble ne pas pouvoir s’effriter. Faute aux affaires, on ne parle alors plus du programme de François Fillon. Un programme qui ne paraît pas taillé pour séduire au-delà de son parti, Les Républicains. François Fillon, se retrouve en difficulté dans une élection imperdable pour la droite de gouvernement étant donné l’impopularité du président Hollande.
Cette victoire est aujourd’hui incertaine, car François Fillon est au coude-à-coude dans les intentions de vote avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron, et Jean-Luc Mélenchon3. Cette indécision est en partie due à une campagne phagocytée par le candidat. Fin janvier, le Canard Enchaîné, journal satirique réputé en France, affirme que Pénélope Fillon, l’épouse galloise de François Fillon, aurait été rémunérée par son mari, en tant qu’assistante parlementaire, ceci pendant huit ans, à partir de 19984. Rien d’illégal à ceci, mais le Canard avance que Pénélope Fillon n’a jamais travaillé aux côtés de son mari, il s’agirait d’un emploi fictif.
S’en suit un grand déballage sur le passé de celui qui se voulait le candidat de la droiture autant que de la droite, et dont la version des faits évoluera dorénavant avec l’actualité. « En trente ans, mon nom n’a jamais été associé à une affaire ou à un comportement contraire à l’éthique», affirmait-il en novembre 20145. Il aura fallu attendre qu’il se présente aux présidentielles pour en entendre parler. Il est aujourd’hui difficile de garder compte de ces affaires. Sud-Ouest en dénombre six: rémunération de sa femme en tant qu’attachée parlementaire, et en tant que conseillère littéraire auprès de la Revue des deux mondes; rémunération de ses enfants comme collaborateurs parlementaires; prêt de 50 000 euros sans intérêts souscrit auprès du milliardaire Marc Ladreit, propriétaire de la Revue des deux mondes; se faire offrir deux costumes pour une valeur de 13 000 euros; mettre en relation un des clients de sa société de conseil avec Vladimir Poutine6. France Info en ajoute quatre : l’embauche par Marc Ladreit d’une collaboratrice de François Fillon; les activités opaques de sa société de conseil; des «“commissions occultes”» touchées au Sénat; le reversement à leurs parents par les enfants Fillon du salaire qu’ils touchaient de leur père7.
Une campagne prise en otage
Les affaires auront parasité la campagne, et monopolisé l’attention médiatique8. François Fillon se défend et contre-attaque, il dénonce un « assassinat politique », remet en cause l’indépendance et la légitimité de la justice9. Il attise les conspirations en décriant l’existence d’un « cabinet noir », une cellule de renseignement secrète, au sein de l’Élysée, là ou siège le président de la République10. François Fillon fait diversion, il noie l’information sous ces déclarations polémiques. Homme du système, François Fillon se peint pourtant en victime du système. Il se sert des accusations portées à son encontre et des démarches juridiques entreprises pour nourrir dans son bastion un sentiment anti-élites, un esprit de siège.
Celles et ceux qui le soutenaient, d’ailleurs, le lâchent, et l’appellent à se retirer. La campagne de Fillon, vainqueur de la primaire de la droite et du centre en novembre 2016, avec près de trois millions de voix au second tour, repose sur les militant·e·s. Celles et ceux qui l’appuyaient le quittent par centaines, son directeur de campagne y compris11. « I could stand in the middle of Fifth Avenue and shoot somebody and I wouldn’t lose any voters » [Je pourrais me tenir au milieu de la cinquième avenue et tirer quelqu’un sans perdre un seul vote, traduction libre] proclamait Donald Trump en janvier 201612, lucide. François Fillon aujourd’hui n’est plus inquiété par les affaires : il avait promis de retirer sa candidature s’il était mis en examen, il ne l’aura pas fait13. Le dimanche 5 mars 2017, quelques jours après être mis en examen, François Fillon réunit 200 000 personnes, selon lui, 40 000 selon la presse, sous la pluie au Trocadero : « Ils pensent que je suis seul, ils veulent que je sois seul, merci pour votre présence, vous qui avez su braver les intempéries, les injonctions, les caricatures et parfois même les invectives »14.
Quatre décennies de carrière politique
Né le 4 mars 1954 au Mans, François Fillon obtient un diplôme d’études approfondies en droit public en 1976, et débute la même année comme assistant parlementaire du député gaulliste Joël Le Theule, après avoir hésité à entrer en journalisme. L’année suivante, il rejoint le Rassemblement pour la République de Jacques Chirac. En 1981, il est élu député, reprenant le siège de Joël Le Theule, décédé l’année précédente. Il est à 27 ans le benjamin de l’Assemblée générale. Il se lie à Philippe Séguin et son gaullisme social, une ligne politique qui se veut transpartisane. En 1983, il est élu maire de Sablé-sur-Sarthe, et président du conseil général de Sarthe en 1992. Toujours député, il s’est entre temps opposé au Traité de Maastricht, traité père de l’Union européenne. Il entre en 1993 au gouvernement Balladur, cohabitant avec la présidence de François Mitterrand, en tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Aux élections présidentielles de 1995 il choisit le mauvais cheval avec Balladur, contre Chirac, mais reste tout de même au gouvernement, ministre des Technologies, de l’Information et de la Poste. Il est réélu député en 1997.
En 1998, il est élu président du conseil régional des Pays de Loire. En 1999, il apporte son soutien à Nicolas Sarkozy, président par intérim du RPR (ancêtre des Républicains d’aujourd’hui, ndlr) après le retrait de Séguin. Il tente d’accéder à la présidence du parti la même année mais échoue. Il se rapproche alors de Jacques Chirac et travaille avec lui à la création de l’Union pour un Mouvement Populaire, nouvelle machine électorale englobant tous les partis de droite. En 2002, il devient numéro 3 du gouvernement Raffarin, derrière Sarkozy à l’intérieur (le ministère de la police, ndlr), et se retrouve ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité. En 2004, il perd la présidence du conseil régional de la Sarthe à la gauche mais est nommé ministre de l’Éducation nationale. Il est aussi élu sénateur. Il propose une réforme du baccalauréat mais renonce face à une forte mobilisation des lycéens et lycéennes. Il apporte son soutien à Nicolas Sarkozy dès 2005, qui le nomme premier ministre le 17 mai 2007. François Fillon servira pendant cinq ans de faire-valoir à l’hyper-président Sarkozy. En 2012, il concourt à la présidence de l’UMP, mais perd face à François Copé. Dans de forts soupçons de fraude, il va jusqu’à créer son propre groupe à l’Assemblée, avant de se ré-amarrer au groupe UMP (ancêtre des Républicains d’aujourd’hui, ndlr).
En 2016, il est enfin le vainqueur surprise d’une primaire de la droite et du centre qui devait couronner Alain Juppé, représentant une droite modérée contre la droite plus conservatrice de François Fillon. Fillon se fait le candidat de cette droite catholique qui a battu le pavé sous l’étendard de la « Manif pour tous », au début du quinquennat Hollande, contre le mariage entre personnes de même sexe.
Un programme anti-électoraliste
Le programme de François Fillon est ainsi celui d’une droite traditionnelle, conservatrice sur les questions sociétale, libérale et économique15.
François Fillon veut la fin de la semaine de 35 heures; les entreprises décideront du temps de travail. Il désire réduire les charges pour les entreprises et « simplifier » le code du travail. Ce sont 100 milliards de dépenses publiques en moins qu’il prévoit, et 500 000 fonctionnaires non-remplacé·e·s à leur départ, en cinq ans. 500 000 fonctionnaires en moins, sans que les domaines concernés ne soient spécifiés. Il ambitionne aussi de réformer les institutions de l’État, instaurant notamment de « nouvelles règles sur la transparence de la vie publique », dont de meilleurs « mécanismes de contrôle de déontologie » pour les assemblées, et la « publication obligatoire des liens de parenté entre les parlementaires et les collaborateurs ».
L’impôt de solidarité sur la fortune, soit l’impôt pour les plus riches, sera supprimé. Il sera remplacé par un taux d’imposition unique sur le patrimoine de 30%. La taxe sur la valeur ajoutée, taxe indirecte sur la consommation, sera elle augmentée de deux points pour financer les baisses de charges pour les entreprises. La retraite sera repoussée à 65 ans, et le compte pénibilité, permettant de partir en retraite plus tôt pour celles et ceux effectuant un travail contraignant, sera supprimé. Les petites pensions seront révisées à la hausse. Révisées, ses propositions pour la santé l’ont aussi été. Alors qu’il semblait avancer une « santé à plusieurs vitesses », privatisant les « petits soins », l’assurance publique se concentrant sur «les affections graves ou de longue durée », François Fillon est revenu au statu quo. Il ne propose plus que quelques amendements au système de santé français, dont la suppression de l’aide médicale d’État pour les sans-papiers16.
En faveur d’une allocation sociale unique et d’une allocation familiale universelle, François Fillon s’oppose à l’adoption par les couples homosexuels. Il s’oppose aussi à la procréation médicalement assistée pour les femmes en couple ou seules. François Fillon s’engage à avoir un gouvernement paritaire et à faire de l’égalité homme-femme une priorité. Il insiste aussi sur la laïcité, qu’il oppose au communautarisme et qu’il veut appliquer plus grandement, notamment dans le financement des cultes et la gestion des lieux de cultes. Il s’engage à « lutter contre le totalitarisme islamique avec la plus grande fermeté », incluant « au premier chef les représentants du culte musulman ».
Pour l’éducation, Fillon veut y « réaffirmer le sens de l’effort et le respect de l’autorité », mais aussi abroger la réforme du collège, mesure socialiste sous Hollande, et redonner une autonomie aux lycées. Enfin, l’éducation est un vecteur de propagation du roman national, il ne faut pas que l’élève ait « honte » de son pays, honte par exemple de cette « France [qui] n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord », comme l’a déclaré François Fillon lors d’un discours en août dernier17.
Question immigration, François Fillon veut la « réduire au strict minimum », contexte économique oblige. Il souhaite aussi renégocier l’espace Schengen afin de rétablir des contrôles inopinés aux frontières. Il compte « réserver la nationalité française aux étrangers clairement assimilés ». Enfin, il veut « mettre fin à la crise migratoire » au niveau européen.
Lui qui d’ailleurs fait le diagnostic d’un projet européen « à l’arrêt », veut une zone Euro plus forte au sein de l’Union européenne et est contre l’accord de libre-échange avec les États-Unis. Des États-Unis, il voudrait que la France devienne indépendante, se rapprochant de la Russie, dont lui-même est proche à titre personnel. Faisant de la lutte contre le terrorisme international sa priorité, François Fillon avait déclaré lors de la primaire qu’il fallait se « tourner vers les Russes et le régime syrien pour éradiquer les forces d’État islamique ». L’attaque au gaz de sarin d’Assad sur ses citoyen·ne·s l’a mené à réévaluer sa position, mais il conditionne encore un départ d’Assad à l’accord de Moscou18. Il se donne pour objectif à long-terme d’atteindre les 2% du PIB pour le budget de la défense, comme prévu par l’OTAN.
S’il progresse au second tour, François Fillon sera alors favori face à Marine Le Pen, dont la présence y est fort probable. Lui est à la peine dans les intentions de vote, d’habitude précises en France. S’il est défait, il ne bénéficiera pas de l’inviolabilité présidentielle, le protégeant de toute poursuite. François Fillon aura ré-ancré la droite dans sa tradition conservatrice, tout autant qu’il aura durablement mis à mal la crédibilité de la justice et des institutions françaises. Quelle que soit l’issue du scrutin, les législatives suivant la présidentielle, en juin, retiendront sûrement toute son attention, ou du moins celle de son parti : Les Républicains. Le parti y briguera la majorité, alors que les trois formations lui faisant face aujourd’hui, Front National, En Marche ! et France insoumise, n’ont aujourd’hui qu’une très faible ou aucune représentation à l’Assemblée nationale.
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CRÉDIT PHOTO: UMP
(1) Geoffroy Clavel, « “Le général de Gaulle mis en examen” François Fillon président des arroseurs arrosés », Huffington Post, 1er mars 2017, http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/01/le-general-de-gaulle-mis-en-exam…, consulté le 18 avril 2017.
(2) Les décodeurs, « Que disent les sondages de la présidentielle 2017 », Le Monde, 12 avril 2017, http://abonnes.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/visuel/2017/04/12…, consulté le 18 avril 2017.
(3) «Présidentielle: ce que les sondages disent à cinq jours du premier tour», France Info, 18 avril 2017, http://www.francetvinfo.fr/elections/sondages/infographie-presidentielle…, consulté le 18 avril 2017.
(4) « Révélations du Canard Enchaîné, Mme Fillon était rémunérée comme attachée parlementaire de son mari », France Inter, 25 janvier 2017, https://www.franceinter.fr/politique/revelations-du-canard-enchaine-mme-…, consulté le 18 avril 2017.
(5) Alexandre Lemarié, « François Fillon, le candidat de “l’honnêteté”, touché en plein coeur », Le Monde, 27 janvier 2017, http://abonnes.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/01/2…, consulté le 18 avril 2017.
(6) Vincent Romain, « François Fillon: les six affaires qui empoisonnent sa campagne », Sud Ouest, 22 mars 2017, http://www.sudouest.fr/2017/03/22/francois-fillon-les-six-affaires-qui-e…, consulté le 18 avril 2017.
(7) Simon Gourmellet, « Les huit affaires qui plombent la campagne de François Fillon », France Info, 1er février 2017http://www.francetvinfo.fr/politique/francois-fillon/penelope-fillon/les…, consulté le 18 avril 2017.
(8) Yohan Blavignat, « Le CSA point en février un temps de parole “anormalement élevé” de François Fillon », Le Figaro, 8 mars 2017, http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/03/08/35003-201703…, consulté le 18 avril 2017.
(9) Clémence Bauduin, « François Fillon dénonce un “assassinat politique” », RTL, 1er mars 2017, http://www.rtl.fr/actu/politique/francois-fillon-denonce-un-assassinat-p…, consulté le 18 avril 2017.
(10) « “Cabinet noir”: François Fillon assure avoir des preuves contre Hollande et promet des poursuites », Le Parisien, 6 avril 2017, http://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-je-pour…, consulté le 18 avril 2017.
(11) « Le compteur des lâcheurs de Fillon », Libération, 9 mars 2017, http://www.liberation.fr/apps/2017/03/compteur-lacheurs-fillon/, consulté le 18 avril 2017.
(12) Reuters, « Donald Trump: ‘I could shoot somebody and I wouldn’t lose any voters’ », The Guardian, 24 janvier 2016, https://www.theguardian.com/us-news/2016/jan/24/donald-trump-says-he-cou…, consulté le 18 avril 2017 .
(13) Geoffrey Bonnefoy, « “Mis en examen, je ne serai pas candidat”: quand Fillon contredit François », L’Express, 1er mars 2017, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/mis-en-examen-je-ne…, consulté le 18 avril 2017.
(14) « François Fillon en meeting au Trocadéro: “Je vous dois des excuses” », RFI, 5 mars 2017, http://www.rfi.fr/france/20170305-francois-fillon-meeting-trocadero-excu…, consulté le 18 avril 2017.
(15) François Fillon, « Mon projet pour la France », Fillon 2017, https://www.fillon2017.fr/projet, consulté le 19 avril 2017.
(16) François Béguin, « Sur la santé, François Fillon dévoile un programme plus consensuel », Le Monde, 21 février 2017, http://abonnes.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/02/2…, consulté le 18 avril 2017.
(17) « Pour François Fillon la colonisation visait à “partager sa culture” », L’Express, 1er septembre 2016, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/pour-francois-fillon-la-colon…, consulté le 18 avril 2017.
(18) Alexandre Lemarié, « Syrie : François Fillon continue de regarder vers la Russie », Le Monde, 7 avril 2017. http://abonnes.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/04/0…, consulté le 20 avril 2017.
par Rédaction | Avr 18, 2017 | Analyses, International
Par Théophile Vareille
(DOSSIER) PORTRAIT DES CANDIDAT·ES À LA PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE (1 de 5)
(COLLABORATION SPÉCIALE – Théophile Vareille) Jean-Luc Mélenchon est un personnage : animal médiatique, il a depuis longtemps intégré les codes de la scène politique française, pour en jouer à son avantage s’il le faut. Porté à la théâtralité, Mélenchon clive jusqu’à sa propre famille politique et le revendique, comme il revendique les contradictions qui semblent le définir. Apparatchik du Parti socialiste, il y évolue pendant plus de trente ans, bien qu’il le fustige aujourd’hui. Journaliste à ses débuts, il s’attache dorénavant à violemment attaquer la presse de manière régulière. Une presse pour laquelle il est si bon client, avec laquelle il semble avoir noué une trouble relation de codépendance, entre besoin de se montrer et d’exister, et nécessité de s’afficher comme un candidat hors-système, qui se refuse au copinage et à l’entre-soi. Alors que Mélenchon s’impose ces jours-ci comme le candidat porte-étendard de la gauche devant Benoît Hamon – le candidat investi par les primaires du Parti socialiste –, ses chances de victoire restent maigres, et la question de l’après se pose en filigrane.
Exister, voilà le défi auquel fait face Jean-Luc Mélenchon depuis qu’il a claqué la porte de la gauche du gouvernement. Il semble devoir se contenter d’exister par intermittence, le système politique français étant un système présidentiel qui ne s’enflamme que tous les cinq ans pour ces élections à l’enjeu premier. Ce système bipartite a le plus souvent raison des hommes et femmes politiques qui tentent de persister hors des deux forces principales de gouvernement. L’alternance droite-gauche n’ayant jamais été rompue sous la Cinquième république, Jean-Luc Mélenchon (JLM) s’y attelle tout refusant de tendre la main à un électorat plus modéré.
Candidat de France Insoumise, un mouvement politique sur-mesure lancé en 2016 pour appuyer sa candidature, Mélenchon est aussi investi par le Parti communiste français (PCF). Ce soutien, acquis à la suite d’une houleuse série de revirements, devrait ancrer Mélenchon à l’extrême gauche sur le plan idéologique. Toutefois, l’espace surdimensionné occupé par Mélenchon dans le paysage médiatique français rend son entourage inaudible, communistes compris. Mélenchon s’en retrouve libre de toute entrave, et peut ainsi recueillir l’appui des trotskistes de Gauche révolutionnaire ou des autogestionnaires écolos d’Ensemble! (mouvement politique de gauche) tout en tentant de séduire les déçu·e·s du Hollandisme (1).
Jean-Luc Mélenchon naît à Tanger en 1951, de parents d’origines espagnoles et italiennes. En 1962, alors âgé de onze ans, il s’installe en France avec sa mère, et se retrouve quelques temps après dans le département français Jura, terre qu’il fera sienne par son engagement politique. Actif lors de mai 68 au Lycée, il rejoint l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), syndicat étudiant traditionnellement classé à gauche, dès ses premiers pas à l’Université, à Besançon. En 1972, Mélenchon prend la tête de l’Organisation communiste internationale à Besançon, un mouvement trotskiste via lequel il s’implique dans nombre de luttes ouvrières au Jura. Il la quitte en 1979, trois ans après avoir rejoint un Parti socialiste (PS) revitalisé par François Mitterrand, et amorce sa migration d’une gauche radicale à un gauche rangée.
Fort d’une licence de philosophie, il est professeur de lycée avant de devenir journaliste. Il travaille à Dépêche du Jura et collabore à plusieurs journaux et radios de gauche ou de parti. Il gravit les échelons du microcosme socialiste local, déménage dans le département de l’Essonne pour en devenir président de la fédération socialiste en 1981, avant d’être élu sénateur en 1986. Il est, entre temps, entré chez les francs-maçons, au Grand Orient de France, où il loge encore aujourd’hui.
Pendant la décennie suivante, il s’installe dans l’aile gauche du Parti socialiste, se peint en opposant d’une « gauche molle », et maintient cette posture de frondeur (2) avant l’heure jusqu’en 2000. Trois ans après avoir été lourdement défait par François Hollande dans sa candidature au poste de premier secrétaire du parti, il entre au gouvernement Jospin en tant que ministre délégué à l’Enseignement professionnel. En 2002, la cohabitation est terminée (3) et Chirac est à nouveau victorieux à la suite de l’historique échec de Lionel Jospin qui, recalé au premier tour, se retrouve derrière Jean-Marie Le Pen avec 16% de votes. Jean-Luc Mélenchon se relance alors avec entrain dans le jeu des courants au sein du Parti socialiste. Mais l’aile gauche est divisée, et éclate à la suite de différends sur la question européenne. Jean-Luc Mélenchon, réticent, si ce n’est opposé, à l’intégration européenne, s’affranchit de la ligne politique du PS qui, elle, y est favorable. Il fait campagne pour le « Non » au référendum du 29 mai 2005 sur une constitution pour l’Europe, allant à l’encontre des consignes explicites du parti.
Néanmoins, il se range derrière Laurent Fabius au congrès du Mans en 2005, et derrière la candidature de Ségolène Royal en 2007, deux nouvelles entreprises perdantes. Il ne se découragera qu’en 2008, lorsque la motion portée par Benoît Hamon (aujourd’hui candidat du PS et son concurrent dans la course à la présidentielle), dont il est signataire et qui représente l’aile gauche du PS, échoue à une décevante quatrième place.
Après 28 ans, il rend sa carte du PS, devant les caméras (4), sur un coup de tête. En un quart de siècle, Jean-Luc Mélenchon aura essuyé nombre d’échecs et de frustrations à l’interne. Il s’émancipe ainsi du parti moins pour se libérer de la chape idéologique qui lui planait dessus que pour nourrir ses ambitions personnelles. Il fonde le Parti de gauche, et contribue à rassembler sous l’enseigne du Front de gauche, initié par le Parti communiste français, de nombreux mouvements tels Gauche unitaire ou Convergences et alternatives (5). Cette dynamique se transmet à sa candidature aux élections présidentielles de 2012. Sa campagne enthousiasme une gauche qui trouve en lui un meneur charismatique qui, s’il porte une ombre sur ceux et celles qui le suivent, les amène à un beau score de 11% des voix au premier tour. Ses rendez-vous de campagne auront à plusieurs reprises réuni des dizaines de milliers de personnes (6,7).
Il termine derrière Marine Le Pen et son Front national, mais il aura fédéré un éventail de mouvements de gauche et d’extrême gauche, et aura initié une nouvelle génération à la gauche radicale, une gauche populaire, ou populiste, altermondialiste, et anti-libérale. Une gauche qui voudrait concilier républicanisme et socialisme, pour de vrai.
De retour en course cinq ans plus tard, il voit cette année Benoît Hamon, son ancien colocataire de l’aile gauche du PS, remporter la primaire socialiste en janvier dernier. Manuel Valls, encore premier ministre quelques semaines plus tôt, est défait. Avec lui, c’est la ligne officielle du parti qui est défaite et un Hollandisme socio-libéral qui est renié. La possibilité d’une candidature commune d’Hamon et Mélenchon flotte pendant quelques semaines. Flottement illusoire : les deux hommes se tournent autour, chacun attendant que l’autre fasse le premier pas. Mélenchon y met fin en réclamant le retrait des investitures de Manuel Valls et autres aux législatives – qui permettent d’être élu·e député·e –, ce que Hamon n’est pas en mesure de promettre (8).
Deux mois après cette victoire surprise de Benoît Hamon, l’acteur Philippe Torreton décrie l’« attitude égotique désastreuse » des deux candidats de gauche (9). Un sentiment possiblement partagé par une base militante qui se retrouve avec deux candidats aux sensibilités apparemment semblables, mais incapables de s’allier pour s’offrir tout espoir de second tour, et de victoire.
Cela n’empêche pas la campagne de Mélenchon de décoller. Ce dernier investit YouTube (10) avec succès, y récoltant les vues par centaines de milliers, ce qu’aucun politicien ou politicienne français·e n’avait réalisé jusqu’alors. Il brille lors d’un débat télévisé inédit (11). Il donne un meeting sous la forme d’hologramme, coup de force médiatique. Mélenchon grimpe dans les intentions de vote (12), distançant Hamon et talonnant François Fillon, candidat du parti de droite Les Républicains en difficulté car croulant sous les affaires et scandales.
Celui qui se réclame tribun du peuple se construit une image moderne et au goût du jour, et séduit ainsi un électorat jeune, désabusé d’un monde politique déconnecté. Si en 2012 il voulait « construire une autre Europe » (13), il veut aujourd’hui « sortir des traités européens » (14). Il manifeste toujours sa volonté de réformer l’Union Européenne, « plan A », mais il envisage dorénavant ouvertement de la quitter, « plan B ». Mis à part ce revirement sur la question européenne, son programme reste semblable à celui de 2012. On y retrouve les mêmes points d’emphase, solidarité économique et haro contre la finance, environnement, refondation de la République, une nation indépendante et humaine à l’heure de la mondialisation effrénée.
S’il est élu, Mélenchon pourrait ne rester à l’Élysée que pour une durée réduite. Il annonce qu’il convoquera une Assemblée constituante citoyenne pour réécrire la Constitution et imaginer une 6e République « démocratique, égalitaire, instituant de nouveaux droits et imposant l’impératif écologique ». Cette nouvelle République mise en place, Mélenchon laisserait alors supposément la place au prochain.
Cette République égalitaire combattrait les inégalités économiques, pour le partage du travail dans une France qui n’a « jamais été aussi riche ». Augmentation des salaires pour les travailleurs et travailleuses, limitation des salaires pour les patron·ne·s, retraite à 60 ans, « sécurité sociale intégrale »… Mélenchon propose une refonte de l’emploi en France : « Réduire le temps de travail, travailler moins pour travailler tous [et toutes]. » Une France idéale, une France isolée, « protectionnisme solidaire » oblige, mais une France qui regardera de l’avant : entre « transition écologique » et « économie collaborative ».
Mélenchon reprend aussi comme « adversaire » la finance, qu’il veut « mettre au pas ». Hollande l’avait promis en 2012, lors de son fameux discours du Bourget (15), en avait récolté les dividendes électorales, mais rien n’avait suivi. Mélenchon veut réguler la finance, protéger l’« économie réelle » et les citoyen·ne·s de ses dérives et excès. Outre les financiers, Mélenchon veut aussi combattre l’évasion fiscale, ce que la présidence actuelle a déjà commencé à faire. Il veut d’ailleurs faire la « révolution fiscale » : Revenu maximum autorisé et imposition des revenus du capital, Mélenchon signe ici quelques-unes des lignes les plus radicales de son programme.
Aux jeunes, il promet une « allocation d’autonomie » entre 18 et 25 ans, mais aussi de « refonder l’enseignement supérieur », aujourd’hui en proie à la marchandisation, tandis que les étudiants et étudiantes font face à la précarité et manquent de moyens. Mélenchon étend cette volonté réformatrice aux filières professionnelles et à l’école, avec notamment une scolarité obligatoire de 3 à 18 ans, 60 000 enseignant·e·s supplémentaires, et un meilleur salaire pour cette profession.
« L’urgence écologique », que Mélenchon place à pied d’égalité avec ses autres priorités, appelle selon lui à un effort de « planification », et s’inscrit dans la lignée de son programme économique. Il faut choisir entre finance et écologie, explique-t-il, car la définanciarisation est conditionnelle à la transition écologique. Transition écologique, transition énergétique pour une France qui fonctionnerait à 100% d’énergie renouvelable à l’horizon 2050. Une « exigence écologique » qui s’applique à tous les domaines de la société : modes de consommation, modes de transports, agriculture, aménagement du territoire, bâtiments, etc.
Enfin, Mélenchon concilie à son euroscepticisme la vision d’une France s’affirmant comme une puissance humaniste et indépendante sur la scène internationale. S’il veut quitter l’OTAN, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, Mélenchon souhaite « renforcer et réinvestir l’ONU ». Se refusant à la « logique du choc des civilisations », il offrirait l’asile aux sonneurs d’alertes Edward Snowden et Julian Assange, et travaillerait à la « formation d’une nouvelle alliance altermondialiste ». Ambitieux, Mélenchon veut redessiner la carte des alliances et sympathies mondiale. En pratique, il ferait de la France un nouvel électron libre, sa souveraineté retrouvée, s’inscrivant dans un désengagement institutionnel notamment prôné par l’administration Trump. Ambitieux toujours, Mélenchon effeuille les projets : paix en Syrie et entre Israël et la Palestine, union méditerranéenne, et politique de la francophonie. Le Quai d’Orsay, siège du ministère des Affaires étrangères, aurait fort à faire.
Sur la montée, Mélenchon n’a toujours que peu de chance de progresser au second tour des présidentielles. Pour cela, il faudrait que sa cible fétiche, Emmanuel Macron, subisse un sérieux coup d’arrêt. Marine Le Pen, qu’il attaque avec parcimonie car convoitant peut-être son électorat – le Front National a ces dernières années été le premier parti ouvrier –, est hors de portée. S’il récolte un meilleur score qu’en 2012, il ne pourra néanmoins que constater que l’extrême droite progresse aujourd’hui plus vite que l’extrême gauche. Une nouvelle défaite, à 65 ans, l’amènera sans doute à réfléchir à son avenir politique, alors qu’il sera député européen jusqu’en 2019. Ce sera néanmoins la gauche, sa gauche, qui aura le plus de questions à se poser : comment faire après ce personnage gaulliste qui se voulait à lui tout seul le représentant d’une gauche populaire, d’une gauche citoyenne? Pour France Insoumise, comment approchera-t-on cette recomposition de l’échiquier politique en vue, avec la comète En Marche! (16) et un Parti socialiste fragmenté, et ceci dès les élections législatives de juin? Car la France n’a jamais eu son Podemos ou son Syriza, mais cette malléabilité politique ambiante pourrait peut-être s’en accommoder aujourd’hui. Pour Jean-Luc Mélenchon, il sera peut-être difficile de s’en contenter, et de s’effacer.
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CRÉDIT PHOTO: CC-BY-SA
1. Alexandre Jassin, « Pour une politique de la main tendue », Agora Vox, 1er avril 2017, http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pour-une-politique-d…, consulté le 9 avril 2017.
2. Marie Simon, « Congrès du PS: les frondeurs irréconciliables n’ont pas fini de fronder », L’Express, 7 juin 2015, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/ps/congres-du-ps-les-frondeur…, consulté le 9 avril 2017.
3. « Troisième cohabitation », Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_cohabitation, consulté le 9 avril 2017.
4. « Mélenchon quitte le PS – Episode 4 – Le départ », Youtube, 10 novembre 2008, https://www.youtube.com/watch?v=CPfNjo2-B5A, consulté le 9 avril 2017.
5. « Parti de gauche (France) », Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_de_gauche_(France), consulté le 9 avril 2017.
6. « Ce qu’il faut retenir du discours de Mélenchon à Marseille », Le Parisien, 14 avril 2012, http://www.leparisien.fr/election-presidentielle-2012/candidats/apres-pa…, consulté le 9 avril 2017.
7. Adrien Oster, « Jean-Luc Mélenchon: démonstration de force du Front de Gauche place de la Bastille à Paris », Le Huffington Post, 18 mars 2012, http://www.huffingtonpost.fr/2012/03/18/melenchon-meeting-manifestation-…, consulté le 9 avril 2017.
8. « Jean-Luc Mélenchon détaille ses conditions dans une lettre à Benoît Hamon », Le Point, 17 février 2017, http://www.lepoint.fr/presidentielle/jean-luc-melenchon-detaille-ses-con…, consulté le 9 avil 2017.
9. « Philippe Torreton dénonce l’“attitude égotique désastreuse” des candidats Hamon et Mélenchon », France Info, 30 mars 2017, http://www.francetvinfo.fr/politique/benoit-hamon/philippe-torreton-deno…, consulté le 9 avril 2017.
10. « Jean-Luc Mélenchon », Youtube, https://www.youtube.com/user/PlaceauPeuple, consulté le 9 avril 2017.
11. Diane Malosse, « Et Jean-Luc Mélenchon réveilla le débat », Le Point, 23 mars 2017, http://www.lepoint.fr/presidentielle/et-jean-luc-melenchon-reveilla-le-d…, consulté le 9 avril 2017.
12. « Présidentielle : selon un sondage Mélenchon talonne désormais Fillon et fait tomber Hamon sous les 10% », BFMTV, 31 mars 2017, http://www.bfmtv.com/politique/presidentielle-selon-un-sondage-melenchon…, consulté le 9 avril 2017.
13. « Le Programme du Front de Gauche et de son candidat commun Jean-Luc Mélenchon », 2012, http://www.jean-luc-melenchon.fr/brochures/humain_dabord.pdf, consulté le 9 avril 2017.
14. « Le programme de la France insoumise et de son candidat Jean-Luc Mélenchon : Table des matières », L’Avenir en Commun, 2017, https://laec.fr/sommaire, https://laec.fr/chapitre/4/sortir-des-traites-eeuropeens, consulté le 9 avril 2017. (Tous les éléments de programme cités sont consultables sur ce site, y compris « Sortir des traités européens »)
15. « L’intégralité du discours de François Hollande au Bourget », L’Obs, 26 janvier 2012, http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/election-presidentielle-2012/so…, consulté le 9 avril 2017.
16. « En Marche ! », https://en-marche.fr/, consulté le 9 avril 2017.