Le Canada adopte une protection légale des langues autochtones

Le Canada adopte une protection légale des langues autochtones

La Loi sur les langues autochtones a été sanctionnée le 21 juin 2019 par le gouvernement libéral de Justin Trudeau. Bien que trop peu médiatisée, elle marque un point tournant dans l’évolution des droits autochtones au Canada. En effet, avant 2019, aucune loi n’accordait une véritable protection des langues autochtones, bien que leur vitalité ait été dangereusement en péril. Chères aux peuples et intrinsèquement liées à l’identité des communautés, ces langues ont subi d’importants soubresauts depuis l’ère colonisatrice, puis à plus forte raison depuis les premières lois fédérales sur les « Indiens », qui visaient essentiellement leur assimilation culturelle. À l’heure où les tentatives de réconciliation avec les peuples autochtones sont de plus en plus saillantes et le malaise collectif amplifié par les rapports houleux des commissions d’enquête qui se succèdent, un geste significatif de la part de l’État canadien était vraisemblablement attendu.

Or, l’initiative fédérale de protéger les droits linguistiques autochtones n’est pas complètement inusitée. La sphère juridique et les tribunaux avaient déjà jeté des bases claires qui militaient en faveur d’une reconnaissance juridique des droits linguistiques autochtones en tant que droits ancestraux garantis par la Constitution canadienne1. La loi apparait ainsi comme l’aboutissement d’un cheminement juridique non-négligeable, mais aussi d’un important processus de rapprochement avec les peuples. À ce titre, la satisfaction du ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez, n’est pas restée lettre morte.

« La Loi sur les langues autochtones vient concrétiser l’engagement du gouvernement fédéral à renouveler ses liens avec les Autochtones en misant sur la reconnaissance des droits, le respect et la collaboration. Je tiens à souligner le travail extraordinaire des organisations autochtones partenaires au cours de l’élaboration concertée de la Loi ainsi que du processus législatif. Il s’agit d’un moment marquant sur le chemin de la réconciliation avec les peuples autochtones, et le gouvernement du Canada entend poursuivre ce même travail collaboratif dans le processus de mise en œuvre de la Loi »2.

Une réponse à des préoccupations historiques

Cette pièce législative est le fruit d’une conjoncture politique significative, dont le préambule fait mention expresse.

En effet, l’UNESCO a annoncé que les trois quarts des langues au Canada étaient en danger et a décrété l’année 2019 comme « l’Année internationale des langues autochtones ».

La conception de la loi s’est aussi réalisée dans la foulée de la Commission de vérité et réconciliation tenue au Canada entre 2007 et 2015, dont le rapport final a été accueilli par le gouvernement Trudeau. Cette Commission prenait l’ « engagement [d’]établir de nouvelles relations reposant sur la reconnaissance et le respect mutuels » et a constitué l’occasion pour les personnes touchées par les séquelles des pensionnats autochtones de communiquer leurs récits et leurs expériences3. Ainsi, la Loi sur les langues autochtones se veut plus particulièrement une réponse aux actions 13 à 15 du rapport sur lequel a débouché la Commission, qui ont trait à : (1) la reconnaissance des droits linguistiques autochtones, (2) l’adoption d’une loi témoignant de l’urgence de préserver les langues autochtones et d’accroître l’autonomie des communautés dans la gestion de leurs langues et cultures – tout en reflétant leur diversité intrinsèque -, puis (3) la nomination d’un commissaire chargé de la promotion des langues autochtones et assurant une reddition de compte quant au financement fédéral.

Un peu plus tard, la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones, que le Canada appuie sans réserve depuis mai 2016, a aussi semé les premiers bourgeons de l’écriture d’une loi canadienne. Elle reconnait explicitement une multitude de droits collectifs et individuels aux peuples autochtones à l’échelle mondiale et fournit des lignes directrices aux États afin qu’ils prennent des actions concrètes pour les mettre en application.

Finalement, bien que la loi ne le précise pas textuellement, le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées a été rendu public quelques jours avant l’adoption de la loi. Identifiant les causes systématiques de violences faites aux femmes et les barrières sociales qu’elles subissent, ce rapport recommandait une fois de plus au gouvernement de reconnaître les droits linguistiques autochtones « en tant que droits inhérents et protégés constitutionnellement […] et assurer cette protection »4.

Face à ces multiples incitatifs de collaborer avec les peuples autochtones, plutôt que d’agir unilatéralement dans l’écriture de la loi, le ministère du Patrimoine canadien s’est livré à un processus d’« élaboration conjointe » avec l’Assemblée des Premières Nations, la Nation inuite et la Nation métisse. Rarement observée, cette concertation témoigne a priori d’une volonté de rapprochement encourageante entre les parties prenantes impliquées. Des séances de mobilisation précoces ont d’abord été tenues en 2017 et 2018. En outre, au sein du ministère, un groupe de spécialistes a donné son avis et les conclusions étaient sans équivoque : la vitalité linguistique des langues autochtones, interconnectée avec la culture des peuples et façonnée par leur vision du monde, est en péril et la solution réside dans un système de soutien des langues qui implique les peuples eux-mêmes. On peut donc constater la pression d’agir qui a motivé le ministère à légiférer.

Les droits linguistiques et le droit à l’autodétermination

La loi, dans sa forme actuelle, paraît avant tout comme un énoncé de principes. Elle reconnait d’abord que les droits ancestraux, protégés par la Constitution, « comportent des droits relatifs aux langues autochtones ». Cette avancée est majeure, puisqu’auparavant, les droits ancestraux reconnus étaient plutôt en lien avec des activités territoriales, telles que le droit de pêcher dans une zone définie. Le droit d’apprendre, de pratiquer et d’assurer la vitalité des langues avait pourtant le grand potentiel de se caractériser parmi les activités qui « font partie intégrante de la culture distinctive du peuple autochtone concerné », soit le critère exprimé par la Cour suprême pour reconnaitre un droit ancestral5.

Chose faite, cette protection légale pourrait par exemple ouvrir la voie à l’usage de langues autochtones dans l’octroi de services gouvernementaux, l’enseignement ou l’accès aux tribunaux. Le législateur a d’ailleurs exprimé la volonté du gouvernement d’offrir un soutien à la promotion de l’usage des langues, en plus d’encourager leur présence dans les médias et l’éducation. Par contre, il reste à observer dans quelle mesure le gouvernement sera prêt à poser ces gestes concrets. Reconnaître des droits linguistiques autochtones constitutionnels, c’est admettre l’existence d’une situation de droit – soit le statut conféré par la Constitution aux peuples autochtones – et en accepter les conséquences sur le plan juridique. Ici, l’une des conséquences serait de devoir assurer la sécurité linguistique. Or, celle-ci est dépendante de la protection offerte par l’État, qui se doit d’accomplir des actions positives pour la garantir. La Loi sur les langues autochtones fournit des outils qui représentent un premier pas dans cette direction. Par exemple, elle accorde le « pouvoir » aux institutions fédérales de veiller à ce que les documents acheminés aux Autochtones soient traduits et que des services d’interprétation soient offerts en langues autochtones. Aussi, au plan financier, la Loi sur les langues autochtones met en place une obligation de consulter les corps politiques autochtones en vue d’adopter des mesures pour faciliter un financement adéquat, stable et à long terme destiné à la protection de ces langues.

Outre les droits linguistiques ancestraux, dans le préambule de la loi, il est reconnu aux peuples autochtones un « droit inhérent » à l’autodétermination et à l’autonomie dans leurs relations avec le gouvernement canadien. Cependant, il n’est pas clair comment ce droit à l’autodétermination se traduira en pratique et s’il amènera un gain véritable pour le sort des peuples. Dans une logique d’application hiérarchisée d’une simple loi fédérale, il n’est pas acquis que les peuples autochtones pourront s’enquérir de ce droit en toute circonstance et indépendamment de l’État canadien, surtout devant des instances provinciales qui ne sont pas, en principe, liées par la loi fédérale.

La création du Bureau du commissaire aux langues autochtones

La loi prévoit finalement la création du Bureau du commissaire aux langues autochtones, qui n’est toujours pas en place à ce jour, mais qui fait partie du budget fédéral prévu pour 2019-2020.

Cette entité se veut indépendante, ne faisant pas partie de l’administration publique fédérale. Sa mission sera de promouvoir les langues autochtones, de soutenir les peuples autochtones dans la réappropriation de leurs langues en vue de les revitaliser, les maintenir et les renforcer, d’examiner les plaintes, de sensibiliser le public, etc.

Des mesures de suivi et des services sur demande seront également offerts par le Bureau. Autre point intéressant : le commissariat linguistique sera redevable par un mécanisme de reddition de compte, soit un rapport annuel que le Bureau devra fournir au ministre pour qu’il soit à même de vérifier les besoins et les progrès réalisés, ainsi que de s’assurer de l’efficacité du financement et de la mise en œuvre efficiente de la loi.

L’opposition des groupes inuits et les divergences linguistiques

Bien que ces fondements soient essentiels et chaleureusement appuyés par l’Assemblée des Premières Nations et la Nation métisse, des réserves ont été exprimées notamment par la Nation inuite. Les préoccupations centrales de celle-ci résident dans le fait qu’il s’agit d’une loi symbolique, qui n’est pas adaptée à la réalité des droits linguistiques inuits et ne contient aucun contenu spécifique aux Inuits. Elle déplore l’absence d’obligation pour le gouvernement fédéral de soutenir leurs initiatives.

Ayant désigné leur propre région géographique nommée « Inuit Nunangat », où la majorité des Inuits vivent et où 84 % de la population parle l’inuktitut, elle revendique un système qui leur est propre et une autodétermination dans l’acquisition, l’implantation et l’utilisation des ressources financières reçues du fédéral. Elle aurait aussi souhaité que l’inuktitut bénéficie d’un statut de langue officielle à l’intérieur des frontières de l’Inuit Nunangat. La Nation inuite avance que tout cela devrait être négocié autour des Bilateral Inuit Nunangat Language Accords, au détriment de l’approche actuelle, qu’elle perçoit comme assimilatrice.

Bref, la principale difficulté, avouée dans la loi elle-même, est l’adoption d’une approche qui soit assez flexible pour laisser transparaître la « mosaïque des identités et cultures autochtones et de l’histoire de chaque peuple ». En effet, l’État canadien s’est construit une fâcheuse tendance, datant de l’époque coloniale, à légiférer sur les Autochtones en les « mettant tous dans le même panier », comme si ces peuples étaient des objets de droit plutôt que des sujets de droit. Cette dynamique a donné naissance à des pratiques gouvernementales discriminatoires – les pensionnats autochtones en sont l’exemple flagrant – qui ont contribué à l’érosion des langues, tel que reconnu dans le préambule de la loi. Le mea culpa que le gouvernement y inscrit est noble, bien que probablement insuffisant pour amener de véritables actions concrètes dans une perspective de protection efficiente des langues autochtones en voie de disparition.

1 Gouvernement du Canada, Loi constitutionnelle de 1867, Partie II, Droits des peuples autochtones du Canada, art. 35.

2 Patrimoine canadien, « La Loi sur les langues autochtones reçoit la sanction royale », Gouvernement du Canada, Communiqué de presse, 21 juin 2019. www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/nouvelles/2019/06/la-loi-sur-les-la….

3 Gouvernement du Canada, Commission de vérité et réconciliation du Canada, 19 février 2019. www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1450124405592/1529106060525.

4 Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Réclamer notre pouvoir et notre place: le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, 2019, p. 201.

5 Québec (Procureure générale) c. Lachappelle, par. 27 ; R. c. Van der Peet, par. 549 ; R. c. Sparrow, p. 1099.

Langues autochtones : lutter contre une assimilation subtile

Langues autochtones : lutter contre une assimilation subtile

L’Esprit libre a rencontré Mary-Jane Hannaburg, membre de la communauté mohawk et impliquée au Centre de santé de Kanesatake, pour connaître son point de vue sur certains des enjeux linguistiques qui touchent les communautés autochtones au Québec.

Le taux d’unilinguisme chez les Autochtones du Québec ne cesse de diminuer depuis le recensement de 1986, descendant aujourd’hui sous les 15%, y compris dans les communautés où les langues ancestrales sont bien vivantes. Cette situation est la preuve que l’anglais ou le français s’impose de plus en plus dans les communautés autochtones, particulièrement chez les jeunes.

Bien que le bilinguisme facilite grandement les échanges avec la population majoritaire, dans le contexte québécois, le portrait est alarmant : on a observé que lorsque le taux d’unilinguisme en langue ancestrale était inférieur à 10%, la langue n’est souvent plus transmise aux jeunes, qui apprennent le français ou l’anglais uniquement. Cette dynamique, difficile à renverser une fois en marche, risque de creuser un fossé entre les générations (1). Chez les Inuit par exemple, on peut voir des jeunes de vingt ans qui parlent anglais ou français uniquement, incapables de communiquer avec leurs grands-parents qui, eux, ne parlent qu’inuktitut.

De plus, la langue constitue un repère culturel et identitaire crucial. Pour de nombreux Autochtones, parler la langue ancestrale est un pilier identitaire majeur. En la perdant, on perd une pièce centrale de son identité. Lors de la vague de suicides du printemps dernier, on a d’ailleurs soulevé cet enjeu : les jeunes Autochtones qui ne parlent pas la langue de la communauté et ne vivent pas selon le mode de vie traditionnelle ne se sentent ni Autochtones, ni Québécois.

Mary-Jane Hannaburg, du Centre de santé Kanesatake et membre de la communauté mohawk, a accepté de discuter avec nous des enjeux linguistiques qui touchent présentement les communautés autochtones du Québec.

Q : Il y a onze nations autochtones au Québec. Malgré les différences, est-ce qu’il y a un sentiment d’unité, ou est-ce qu’on devrait plutôt parler de solidarité?

R : Je pense que c’est un peu des deux. C’est un peu de la solidarité parce qu’on appuie les gens. On parle de l’existence d’unité aussi, mais on n’est pas tous pareils. On est différents dans nos langues, on est différents dans nos cultures, dans nos pratiques, mais on a toujours les mêmes valeurs presque : protéger la Terre Mère, protéger les autres, l’environnement, ça c’est les valeurs premières. Et aussi essayer d’améliorer les standards de vie pour les jeunes qui vivent dans la communauté. Sur plusieurs niveaux on tient à la solidarité, mais à d’autres niveaux on est distincts dans nos cultures, nos pratiques, nos croyances. Même les langues sont différentes. Les cris, c’est le cri, les Mohawks parlent une autre langue – c’est le langage mohawk. Dans ce sens-là c’est différent, mais globalement on se tient parce que nos conditions de vie se ressemblent beaucoup. La pauvreté touche toutes les communautés. L’abus d’alcool, la toxicomanie, les problèmes sociaux, psychosociaux, le manque de travail, le manque de chance d’améliorer les vies aussi, ça se ressemble beaucoup.

Q : Quelle place occupent les enjeux linguistiques dans les revendications autochtones actuelles?

R : Honnêtement, c’est une grosse préoccupation. On parle beaucoup de la langue dans les écoles et pas mal de curriculums sont établis en mettant l’accent sur la langue. Je vais parler plutôt pour ma communauté parce que je connais la situation. J’entends plusieurs préoccupations que la langue va disparaître. Mais notre monde a déjà fait des démarches pour essayer de préserver le langage sur des cassettes audio, créer un site web pour apprendre la langue, des cours. Mais tu peux apprendre le langage, mais si tu ne pratiques pas, si tu n’as pas quelqu’un à qui parler dans la langue, c’est perdu, ce que tu as appris, tu vas vite l’oublier. Quand tu es jeune, que tu es petit, tu as plus de chances de retenir la langue. Et pour la retenir, ça prend de la pratique. L’emphase est mise sur rétablir la langue et essayer d’encourager les jeunes à apprendre le langage.

Je pense que pour un enfant dans une école d’immersion où il va parler juste le mohawk, c’est bien, il va apprendre. Et apprendre pas juste la langue. On enseigne beaucoup de choses dans ces écoles-là : les valeurs, la spiritualité, le respect l’un envers l’autre. Les valeurs et l’identité surtout. Mais le langage aussi ça prend beaucoup, beaucoup, beaucoup d’apprentissage, et pour les jeunes c’est correct, c’est comme des éponges, ils peuvent absorber. Mais quand ils reviennent à la maison, ils parlent anglais, ou bien ils parlent français. C’est beaucoup. Mais c’est important aussi parce que c’est à cet âge-là qu’ils peuvent apprendre rapidement, apprendre vite et apprendre bien. Quand tu es plus vieux, c’est un peu plus difficile, c’est un genre de défi. Mais si le monde veut vraiment le faire, ils vont le faire.

J’en connais beaucoup de la communauté qui ont de la misère à apprendre le français. Donc ils disent : « je ne suis pas obligé de l’apprendre. » Mais c’est nécessaire. Je crois qu’au Québec c’est nécessaire. Mais s’ils ne veulent pas apprendre et qu’ils ne font pas d’efforts pour apprendre, on ne peut pas les forcer. On peut demander, on peut espérer, mais on ne peut pas les forcer. Mais ça les limite. Ici, dans cette province, si tu n’as pas le français, essaie d’avoir un travail à l’extérieur de la communauté. On est entourés de francophones, et si tu veux servir la population publique, on a besoin que tu puisses au moins dialoguer avec le client.

Q : Dans le cadre de la Commission Vérité et réconciliation, on a révélé la réalité des pensionnats autochtones, entre autres le mépris des langues autochtones et le fait qu’on empêchait souvent les jeunes qui étaient amenés de force là-bas de parler leur langue maternelle. Il y avait par exemple une femme qui disait qu’elle parlait sa langue quand elle est arrivée au pensionnat, mais on lui a interdit de la parler et quand elle est rentrée chez elle, elle n’a plus jamais voulu parler sa langue. Quand sa mère lui demandait pourquoi, elle disait qu’elle se faisait frapper quand elle la parlait.

R : Oui. Elle se faisait battre.

Q : Comment les peuples autochtones se réapproprient leurs langues et la fierté de les parler après l’expérience des pensionnats?

R : Ça prend du temps. Ça peut prendre du temps. Il faut comprendre ce qu’il s’est passé et aller revisiter les traumatismes et essayer de rebâtir notre fierté, et comprendre que leur méthode c’était d’essayer d’écraser le monde et de les assimiler. Nous [la génération qui a vécu les pensionnats] on a perdu, on n’a pas eu de chance avec ce qu’il s’est passé, mais vous, vous êtes jeunes, vous avez de la chance, on peut changer l’Histoire, […] le niveau de fierté. Et encourager les jeunes à reprendre l’identité, vraiment l’accepter. Parce que quand tu regardes ce qu’il s’est passé, moi j’essaye de ne pas comparer mais de plutôt référer à ce qu’il s’est passé dans l’holocauste pour les personnes juives. Elles ne voulaient pas s’identifier, elles étaient cachées. Mais tu regardes aujourd’hui, la collectivité, la manière qu’ils [la communauté juive] s’aident entre eux-autres. Ils parlent leur langue et ils lisent des livres. C’est encore écrit ; donc ce n’est pas parti.

Aujourd’hui, les peuples autochtones peuvent se regrouper et s’aider entre eux, dans tous les domaines, que ça soit l’économie, l’éducation, la langue… Aller chercher de l’aide, en parler, de ce qu’il se passe. Et c’est important que l’Histoire parle de pourquoi on est rendus à ce point-là. Qu’est-ce qu’il s’est passé. Parce que ça a été subtil. Quand ils voulaient les exterminer [les Juifs], ils ne l’ont pas caché. Il y avait des pays qui savaient, ce n’était pas caché. C’était un plan direct. Mais pour les Autochtones c’était caché, c’était subtil, c’était fait d’une autre manière, et c’était vraiment discret. Mais c’était avec la même mission, le même but. D’assimiler, d’exterminer.

Q : Les francophones à une certaine époque ont été écrasés par les anglophones, et ensuite pour prendre notre place au Québec, on a imposé le français, sans jamais considérer les Autochtones. L’anglais a un statut semi-officiel à cause de l’Histoire, mais pas les langues autochtones. Qu’est-ce que vous en pensez? Est-ce que les francophones oublient d’où ils sont partis?

R : Oui, c’est une erreur, c’est un manque de respect. Ils voulaient juste [qu’il y ait] les anglophones ou les francophones, comme s’il n’y avait pas d’autres peuples qui existaient. Mais là je pense qu’ils commencent à comprendre qu’on est un peuple distinct. Ils commencent à réaliser qu’on ne s’en va pas. Ils ne nous ont pas assimilés jusqu’au point qu’on est disparus. Peut-être que c’est l’intention encore, mais on est encore ici, il y a encore des gens. Il y en a du monde qui parle ojibwé, oui. Il y a en a du monde qui parle cri. On est là, il faut nous respecter. Nous autres on s’est tassés longtemps, longtemps pour d’autres personnes. Maintenant faites-nous de la place, et essayez de nous donner le respect pis notre dignité, n’imposez pas vos lois et votre langue.

Q : Qu’est-ce que vous pensez des termes utilisés en français et en anglais pour parler des réalités autochtones? Par exemple, pendant la crise d’Oka, les journalistes mélangeaient les termes WarriorsAutochtones, etc. Encore aujourd’hui, pour beaucoup, les Premières Nations, les Inuit, les Autochtones, les Métis, les indigènes, c’est la même chose. Est-ce que c’est quelque chose qui vous dérange?

R : Non, ça ne me dérange pas du tout. Ça c’est des termes pour identifier les gens. Nous on sait qui on est. Moi le terme préféré que j’utilise c’est Premières Nations. Je suis un individu des Premières Nations, je suis une femme de nation mohawk.

Je pense que le gouvernement a une liste qui indique les Premières Nations, mais on est catégorisés avec les lois. On est dans une section, sous-section, et catégoriquement, ça s’applique à ça. Comme les pedigrees, les chiens. Si vous êtes en partie chihuahua ou si t’es en partie… Oui, on est la seule population qui s’identifie par les lois du gouvernement fédéral. Mais je ne dis pas que c’est tout mal, parce qu’il y a une certaine protection là-dedans aussi. C’est vraiment mélangeant, c’est vraiment frustrant de comprendre dans quelle catégorie tu tombes, dans quelle catégorie tu vas être. Il peut y avoir une famille qui a la même mère et le même père mais les frères et sœurs ne sont pas tous pareils catégoriquement. Ça dépend quand tu es venu au monde, en quelle année. Parce que si tes parents sont mariés, et que c’est un couple mixte, si ton père est non-autochtone et que ta mère est autochtone, l’enfant né avant le mariage a le statut complet. Si l’enfant avec les mêmes parents est né après le mariage, c’est une autre catégorie, un autre niveau. Tu es moins Indien. Mais tu as les mêmes parents, tu as les mêmes deux parents. C’est vraiment un pedigree. C’est honteux ce que le gouvernement a fait. Moi si j’étais le gouvernement et que j’essayais d’expliquer ça, je mettrais ma tête dans le sable.

(1) http://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/Quebec-8Autochtones-droits_lng.htm…épartition_démographique_et_langues_dusage_

CRÉDIT PHOTO: Philippe Clérin