
Du Plateau-Mont-Royal à Rivières-des-Prairies, des petits médias fournissent une information locale rare aux résident·es des quartiers montréalais. Malgré les difficultés financières, ces médias locaux assurent un journalisme de proximité indispensable à la vie démocratique.
Résidente du Mile End, la journaliste Gaëlle Engelberts s’est rapidement rendue compte que l’information sur le quartier était difficilement accessible. « Ce n’est pas qu’elle n’existait pas, c’est plus qu’elle était éparpillée », raconte-t-elle. Pour savoir ce qu’il se passe dans le quartier, les résident·es devaient jongler entre les sites de l’arrondissement, de la ville, des organismes communautaires, ainsi que les réseaux sociaux et les grands médias.
Lorsque son congé maternité est arrivé, la journaliste s’est alors mise à collecter l’information qui concernait le Mile End, en allant la chercher sur ces différents médiums. Elle rassemble le tout dans une infolettre, un « format efficace, qui vient directement à nous », estime-t-elle. C’est ainsi qu’a débuté Mon Plateau, à l’origine une infolettre hebdomadaire, et aujourd’hui un média hyperlocal en ligne, composé d’une éditrice et d’un journaliste.
« Le focus médiatique est parfois concentré sur le centre-ville ou sur certains arrondissements où il y a plus d’effervescence », regrette Justine Aubry, rédactrice en cheffe de l’EST MÉDIA Montréal. C’est pour répondre à ce désert médiatique que le journaliste André Bérubé crée en 2018 un média en ligne destiné à couvrir les arrondissements de l’est de Montréal, qui emploie aujourd’hui six personnes.
Au-delà de ces deux médias, on retrouve d’autres titres locaux comme Nouvelles d’ici, qui couvre les arrondissements du sud, ou le Journal des Voisins, qui officie à Ahunstic-Cartierville
Ces médias locaux sont souvent les seuls à couvrir leur territoire, fournissant une information rare sur leurs quartiers et leurs arrondissements. L’EST MÉDIA Montréal est l’unique média local grand public à couvrir ce secteur, pourtant immense. Du côté du Plateau, Gaëlle Engelberts estime que sans Mon Plateau, la couverture locale du quartier serait inexistante.
« C’est important de parler des États-Unis etc., mais qu’est-ce qui se passe ici maintenant ? Il y a des enjeux très importants dans les municipalités, et il faut en parler aussi », plaide Justine Aubry.
Un traitement long
Ce n’est en effet pas les enjeux locaux qui manquent. L’est de Montréal est un territoire en plein développement, traversé par des enjeux immobiliers, industriels, d’emploi et de mobilité, que l’EST MÉDIA Montréal couvre à travers des nouvelles et des reportages.
« On est plus dans le style magazine que dans l’actualité day-to-day », explique la rédactrice en cheffe. Être un média local n’empêche pas de fournir des textes étoffés, au contraire : « Pour certains sujets locaux, les gros journaux vont parfois faire une couverture plus large, tandis que nous, on va vraiment en profondeur dans les enjeux qui concernent nos territoire, […] par exemple en faisant le suivi d’un même projet au fil des ans. »
Le journalisme local est un journalisme de terrain, avance Justine Aubry : « Je ne sais pas si les gros médias ont la chance d’avoir cette proximité avec les personnes du terrain ; nous ça nous permet d’être au devant de la scène. »
L’EST MÉDIA Montréal met ainsi en lumière des acteur·ices et des réalités différent·es des médias mainstream. « On va aller chercher des gens qui ont pas nécessairement le micro », raconte la rédactrice en cheffe. Dans le cas d’un article sur la crise du logement, le média va par exemple s’entretenir avec le comité logement de Rivières-des-Prairies plutôt qu’un regroupement d’organismes plus central.
Une couverture hyperlocale
Le média Mon Plateau traite quant à lui d’une échelle encore plus réduite, celle de l’hyperlocal. Gaëlle Engelberts estime qu’au-delà de l’arrondissement, il est essentiel d’avoir une couverture médiatique par quartier. « La réalité de la personne qui habite dans le Mile End est différente de celle qui habite sur Papineau ou de celle qui habite à Milton Parc. » Son média propose ainsi des infolettres différentes pour chacun des trois secteurs identifiés sur le Plateau.
En plus de l’infolettre, Mon Plateau publie des articles de nouvelles, « au départ très pratico-pratiques », selon l’éditrice, avec des informations sur les chantiers en cours, les services offerts ou les fermetures de commerce. Puis, la couverture s’est élargie à la vie démocratique, avec la couverture des conseils d’arrondissements ou la mise en avant des organismes communautaires.
Comme son confrère de l’est, Mon Plateau tire son information « à 100% » du terrain. En recrutant un journaliste, Gaëlle Engelberts avait d’ailleurs comme critère qu’il habite l’arrondissement. « C’est vraiment un emploi qui lié à la communauté », soutient l’éditrice, et l’équipe du média gagne à en faire partie.
Un journalisme d’impact
Depuis son congé maternité où elle a commencé l’infolettre, Gaëlle Engelberts s’est lancée à temps plein dans le développement de Mon Plateau. Elle dit avoir « l’impression de faire une plus grande différence dans la vie des gens » que lorsqu’elle travaillait pour de grands médias nationaux, en raison de la proximité avec son public. C’est également une fierté pour elle « d’avoir pu contribuer comme résidente du Plateau à ramener un média local dans l’arrondissement », dit-elle.
Quant à Justine Aubry, c’est le traitement long de la couverture locale qui lui a particulièrement plu en tant que journaliste. « On va prendre le temps de vraiment trouver la réponse à nos questions, de soulever l’enjeu, de trouver un angle, d’appeler les gens », apprécie-t-elle. Le tout entourée d’une « petite équipe passionnée ».
Une constante fragilité financière
Bien qu’essentiels, les médias locaux demeurent fragiles en raison d’un contexte économique difficile pour les médias – d’autant plus pour les plus petits d’entre eux. Gaëlle Engelberts évoque à ce titre la fermeture du journal Métro en 2023 pour des raisons financières, « ce qui restait de la presse locale » sur le Plateau selon elle.
« C’est sûr que ce n’est pas facile au niveau financier pour les médias », admet Justine Aubry, « il faut être très créatif pour trouver des moyens d’être rentable ». Les responsables des médias locaux travaillent alors à chercher des subventions, des partenaires publicitaires, des abonnements et des dons, afin de diversifier leurs sources de revenu et de limiter les risques.
Malgré cela, les personnes à la tête de ces médias disent rester optimistes et redoubler d’efforts. « Tout ça pour continuer notre mission », rappelle Justine Aubry, celle de « fournir un journalisme local de qualité ».
