par Julien Gauthier-Mongeon | Juil 15, 2015 | Analyses, International
En mai dernier, le parquet de Paris annonçait l’ouverture d’une enquête faisant suite à des allégations de viols d’enfants par des soldats français mobilisés dans le cadre d’une mission de paix en Centrafrique (1). Les faits se seraient déroulés entre décembre 2013 et juin 2014 près de l’aéroport de Bangui, dans le camp de réfugiés de Mpoko. Or, ce n’est qu’en avril dernier que le journal britannique The Guardian faisait écho de l’affaire, relayant l’information obtenue par un employé des Nations unies qui a préféré rester anonyme. Ce rapport confidentiel, tenu secret par les plus hautes instances onusiennes, fait état de viols commis par des soldats en service lors d’une opération militaire menée par la France (2). Cet évènement particulier met en lumière une problématique générale ayant trait au statut d’une mission de paix dans le contexte d’une intervention militaire. Se pose dès lors la question de la nature d’une telle mission de paix impliquant des soldat(e)s dont le métier est de combattre.
La France en République centrafricaine
La mission Sangaris est née en décembre 2013 sur l’initiative du gouvernement français suite à une résolution du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui se disait « profondément préoccupé par la détérioration de la situation humanitaire en République centrafricaine et par le fait que l’accès aux organismes humanitaires soit réduit en conséquence de l’insécurité accrue et des agressions contre le personnel humanitaire » (3). Cautionnée par la résolution 2127 du conseil de sécurité, la mission Sangaris devait « apporter la sécurité, rétablir la stabilité en Centrafrique et protéger la population », soulignait pour sa part François Hollande dans une déclaration en date du mois de décembre 2013 (4).
Après bientôt deux ans d’opérations militaires et de support logistique à la mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), à laquelle participent des soldats venant du Gabon, du Cameroun et du Tchad, la France amorce un retrait progressif du pays d’ici la fin de l’année 2015 (5). On évoque une démobilisation militaire de la France, qui passe le relais aux forces de sécurité intérieures directement sous le contrôle de l’ONU (6). L’affaire des viols d’enfants en République centrafricaine est pourtant loin de connaître son dénouement, comme en témoigne la vitesse à laquelle les choses ont évolué depuis l’annonce du scandale.
Le 22 juin dernier, une magistrate canadienne, Marie Deschamps, est nommée pour enquêter non pas sur les accusations de viols mais sur la gestion de l’ONU de cette affaire devenue internationale. On reproche aux Nations unies, entre autres choses, d’avoir sanctionné un fonctionnaire ayant fait couler l’information auprès du gouvernement français sans l’autorisation de ses supérieur(e)s hiérarchiques et « au mépris des procédures» (7) habituelles. Celui-ci aurait cherché à étouffer un éventuel scandale susceptible de ternir l’image de l’armée française, selon le porte-parole adjoint de l’ONU, Monsieur Farhan Haq. Une autre version prétend, au contraire, que le fonctionnaire exaspéré aurait agi pour contester l’inaction des autorités onusiennes (8). Tandis que l’affaire fait grand bruit à l’échelle internationale, la République centrafricaine continue de s’entredéchirer dans une guerre qui paraît interminable dans laquelle semble se rejouer l’histoire des conflits passés.
Les guerres en Centrafrique
La République centrafricaine a connu pas moins de trois guerres civiles au cours des dix dernières années. La première remonte à 2004, un an après l’arrivée au pouvoir de François Bozizé et de son gouvernement hostile à la minorité musulmane du pays. C’est à l’occasion d’un voyage à l’étranger du président de l’époque, Ange-Félix Patassé, que Bozizé s’est autoproclamé président en promettant la tenue d’élections démocratiques dès le mois de février de l’année suivante (9). On constate alors des irrégularités qui viennent ternir l’image de cette démocratie émergente; par exemple, des hommes armés auraient fait irruption dans les bureaux de scrutins afin que « les démarches de dépouillement se déroulent sous leur contrôle » (10). Signe de la fragilité d’un État miné par des conflits que nourrissent les tensions religieuses, Bozizé sera à son tour renversé en mars 2012 par une organisation de confession musulmane, la Séléka, nouvellement créée par le général Michel Djotodia. Formé en tant que militaire, Djotodia est chef de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement des membres de la Séléka (UFDR), une organisation composée des forces politiques rebelles opposées au président Bozizé. La Séléka et ses différentes filières seraient soutenues par certains pays voisins tels le Tchad et le Soudan, qui profitent de la porosité des frontières pour s’approvisionner en armes, en pétrole et en équipements (11).
C’est dans ce climat de tension opposant la minorité musulmane au sein de la Séléka et des milices paysannes favorables au président Bozizé (nommées les anti-balaka), que le pays va d’affrontement en affrontement. Pendant ce temps, la situation s’envenime sans qu’une entente durable semble être envisageable à courte échéance. Des milices de défense chrétienne répondent aux exactions perpétrées par les membres de la Séléka, ce qui envenime les tensions religieuses déjà vives au sein d’une population ravagée par la famine. À cela s’ajoutent les violations des droits de l’Homme liées au recrutement d’enfants soldats parmi les milices locales et au déplacement des populations civiles en zones périphériques de la République centrafricaine (12).
C’est dans ce contexte que plusieurs gouvernements, dans un communiqué en date de 2012, manifestent leur inquiétude face à la situation actuelle en République centrafricaine, évoquant la possibilité d’un conflit susceptible de dégénérer en génocide si aucune intervention n’est envisagée dans les plus brefs délais (13). On organise une coalition entre la France et plusieurs pays africains pour entreprendre une mission de pacification en Centrafrique avec l’aval du conseil de sécurité des Nations unies.
Se pose dès lors la question de la nature d’une telle mission entérinée par l’ONU et menée par des militaires de formation. Une armée nationale dont le mandat est de neutraliser la menace peut-elle effectuer un travail d’assistance auprès des civils? Est-il possible de parler d’une mission de pacification dans un contexte où sont recrutés des soldat(e)s rompu(e)s au maniement des armes, aux tactiques militaires de combat et à l’usage de la force en situation de guerre? Puisque la majorité des soldat(e)s participant aux missions de l’ONU sont issu(e)s d’armées nationales, il convient en effet de s’intéresser à la mentalité prévalant chez les militaires afin de bien se positionner sur le sujet.
L’assistance contre la puissance
Des chercheurs(euses) telles que Raewyn Connell (2009) et Frank Barrett (1996) (14) parlent d’une culture, au sein des armées traditionnelles, qui met de l’avant des valeurs de courage, de force physique et de virilité inculquées aux soldat(e)s (15).. Il s’agit de les former en vue d’opérations consistant à détruire l’adversaire (16). Toutefois, ces valeurs s’inscrivent en faux contre l’idéal d’entraide prôné dans le cadre des missions humanitaires venant au secours de populations victimes de guerres. Une mission de pacification mobilisant des individus entraîné(e)s pour tuer brouille la distinction entre une intervention de type humanitaire et une opération proprement militaire. La politicologue Sandra Whitworth, professeure à l’Université York de Toronto, s’est d’ailleurs intéressée à l’impact des valeurs militaires des soldat(e)s canadien(ienne)s intervenant dans le cadre de missions de paix à travers le monde.
Comment des militaires à qui l’on demande de faire un travail d’assistance humanitaire pour lequel ils n’ont pas été formé(e)s vivent-ils le choc entre ces deux mondes de valeurs? De l’aveu des militaires eux-mêmes, les valeurs guerrières promues par l’armée entrent en contradiction directe avec ce qu’implique une mission de type humanitaire. Ainsi, si l’entraide est incompatible avec le recours aux armes dans le cadre d’une telle mission, la formation reçue par les militaires ne les prépare pas entièrement à leurs tâches sur le terrain. L’aide apportée aux populations éprouvées par les ravages de la guerre tient en effet beaucoup de l’intervention sociale, un domaine rarement pris en charge par des militaires de profession. D’ailleurs, la réaction que suscitent parfois les opérations d’assistance ou de pacification auprès des soldat(e)s de formation abonde en ce sens : « [d]ans la culture militaire traditionnelle, les missions de paix sont souvent ridiculisées ou discréditées; très nombreuses depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le prestige de celles des Casques bleus n’y est cependant pas associé car la majorité des jeunes hommes qui sont déployés dans ces missions sont entraînés au combat » (17).
On se trouve dès lors devant une situation difficile à tirer au clair puisqu’elle contredit les idées reçues à propos de l’ONU, les méfaits dont on accuse certain(e)s militaires venant ternir l’image des Nations unies en plus de renforcer les préjugés souvent reliés au métier de soldat(e). Les accusations de viols dans un contexte de guerre ne disculpent pas les Casques bleus, lesquels ont été le plus souvent associés à une image de respectabilité qui perdure à travers le temps. Cependant, une sensibilité plus grande de la communauté internationale aux questions soulevées plus haut n’est pas sans conséquence sur leur perception par le commun des mortels. En effet, cela pourrait mener à un éventuel « désengagement des nations par rapport aux opérations de maintien de la paix et à une hésitation des pays en difficulté à faire appel à des troupes onusiennes » (18), note Johanne Bournivale, stagiaire et chercheuse au sein des Forces armées canadiennes.
Toute cette problématique met en lumière le défi organisationnel d’une instance telle que l’ONU et, plus particulièrement, celui des missions de paix engageant des soldats dont le métier est de combattre le feu par le feu. C’est ce dont discute la politicologue Marie Saiget dans un livre intitulé L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel (19). L’ouvrage porte sur les défis auxquels l’ONU doit faire face à la lumière des accusations d’inconduites sexuelles chez les soldat(e)s engagé(e)s dans des missions de paix. Le postulat selon lequel les Casques bleus sont censés protéger les gens renforcerait, dit-elle, l’absence de présomptions entourant les militaires mobilisé(e)s dans le cadre de telles missions : « Cette force de légitimation basée sur l’argument « les protecteurs, ce sont eux » expliquerait en partie l’occultation de ces questions, et le fait qu’elles n’aient pas été intégrées à la réflexion plus générale des opérations de maintien de paix » (20). L’auteure parle de 1458 accusations de méconduites sexuelles impliquant des Casques bleus depuis 2003, « année à partir de laquelle le phénomène fait l’objet d’études statistiques internes » (21). Ces méconduites vont de la sollicitation en vue d’obtenir des services sexuels à la traite d’êtres humains en passant par les agressions sexuelles sur des personnes d’âge mineur. Le retentissement de telles accusations vient démentir l’irréprochabilité des missions conduites par l’ONU; cela expliquerait le retentissement de l’affaire des viols en Centrafrique, qui n’est qu’un cas parmi tant d’autres, comme en témoigne l’ouvrage de Saiget. Cependant, bien d’autres missions menées par les Casques bleus se sont déroulées sans qu’en découlent des inconduites ou accusations aussi accablantes que celles reliées à la Centrafrique. On n’a qu’à penser à la force de maintien de la paix des Nations unies menée par le général Roméo Dallaire en 1994 pendant le génocide rwandais, alors qu’il était commandant de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Ici, ce sont plutôt les soldat(e)s qui, n’ayant pu intervenir militairement, sont ressortis bouleversé(e)s et traumatisé(e)s de cette opération d’assistance. Ainsi, au paradoxe d’une mission humanitaire faisant usage de la force là où de l’assistance est requise s’ajoute donc celui d’une armée témoin de massacres face auxquels elle demeure impuissante.
Les Nations unies, une organisation trouble
L’ONU est une organisation complexe qui est soumise au double dilemme de l’impuissance humanitaire et de la puissance militaire dans un jeu de pouvoir dont il est difficile de trouver le juste équilibre. Cela complexifie le rôle joué par un tel acteur politique qui prête facilement le flanc à la critique. Mais l’on assiste, depuis le début des années 2000, à une augmentation des dossiers incriminant des soldat(e)s d’inconduites sexuelles ou de violences infligées aux populations civiles. C’est ce que rapportent régulièrement des organismes non gouvernementaux, en déplorant le fait que l’ONU cherche trop souvent à étouffer les affaires susceptibles de porter atteinte à son intégrité morale. On a affaire à une organisation qui entretient le flou sur son statut véritable lorsqu’elle se retrouve en zone de guerre –ni armée, ni force de répression, ni agent de paix.
D’autres dénoncent aussi le fait qu’elle fasse passer ses intérêts politiques avant ceux des populations éprouvées par la guerre. C’est notamment de ce que soutient Florent Geel, responsable du bureau africain de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), reprochant aux Nations unies « d’éviter de dénoncer certains crimes pour éviter de gêner les négociations de paix » (22). Certes, l’ONU n’est pas une armée au sens conventionnel du terme. C’est pour cela que les allégations de viols font grand bruit; elles concernent une organisation dont le rôle est d’assurer la sécurité même si les lois de la guerre refont parfois surface dans ses rangs. La dure réalité politique rattrape la justesse des principes défendus par une organisation dont la réputation demeure fragile. La légitimité de la force employée implique une colonisation du militaire et des valeurs guerrières au détriment de la pureté des principes défendus.
Vouloir préserver l’irréprochabilité du militaire dans un contexte de guerre contient le risque de masquer les violences perpétrées en silence par ceux et celles censé(e)s assurer la paix. En découle le paradoxe du droit du plus fort dans lequel la force ne fait pas le droit mais perpétue la domination sous le couvert d’une justice qui porte bien mal son nom.
Le 7 juillet dernier, Paris annonce l’envoi de deux magistrats chargés de mener l’enquête sur les viols dont sont soupçonnés 14 militaires(23). Cela fait suite à l’annonce du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian stipulant que l’affaire n’est plus traitée à l’interne par les hautes instances militaires mais prises en charge par la justice française (24). Cela coïncide avec le retrait progressif d’une mission française dont le bilan reste à faire.
(1) http://www.francetvinfo.fr/monde/centrafrique/militaires-accuses-de-viol…
(2) http://www.metronews.fr/info/centrafrique-1600-soldats-francais-sur-le-p…
(3) http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N13/594/44/PDF/N1359444.pdf?O…
(4) http://www.defense.gouv.fr/operations/centrafrique/dossier-de-presentati…
(5) http://la-nouvelle-gazette.fr/la-france-amorce-son-retrait-de-centrafriq…
(6) http://www.centrafriquelibre.info/?p=17180
(7) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/30/ce-que-l-on-sait-de-sou…
(8) http://www.afrik.com/viols-en-centrafrique-l-onu-ouvre-une-enquete-la-fr…
(9) http://www.panapress.com/Les-elections-auront-lieu-aux-dates-indiquees,-…
(10) Frère, Marie-Soleil, Élections et médias en Afrique centrale. Voix des urnes, vois de la paix?, Paris, éditions Karthala, 2009, p.47.
(11) http://www.lemonde.fr/international/visuel/2013/12/20/carte-pourquoi-la-…
(12) http://www.unhcr.fr/520a3bc7c.html
(13) http://www.leparisien.fr/international/laurent-fabius-la-centrafrique-es…
(14) Connell, Raewyn, «Gender politics» in Gender in world perspective, Malden, Polity press, 2009
(15) Voir Connell, Raewyn, «Gender politics» dans Gender in world perspective, Malden, Politiy press, 2009 (Connell est chercheuse australienne et professeure à l’université de Sydney)
Voir aussi Barrett, Frank J. 1996. ‘Gender strategies of women naval officers’, in Women’ s Research and Educatioll Institute: Conference on Women in Uniformed Services. Washington, DC (Barrett est professeur de management et politique publique à la Naval Postgraduate School à Monterey, Californie)
(16) Voir Connell, Raewyn, «Gender politics» in Gender in world perspective, Malden, Polity press, 2009. Et Barrett, J. Frank, «The organizational construction of hegemonic masculinity : the case of US navy» in Gender, Work and organization, V.3 N.3, 1996.
(17) Whitworth, Sandra, MILITARIZED MASCULINITIES AND THE POLITICS OF PEACEKEEPING: THE CANADIAN CASE, Boulder, CO: Lynne Rienner Publishers, 2005, p.91
(18) http://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/296/286/Bournival.pdf
(19) Saiget, Marie, L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel, Paris, L’Harmattan, 2012.
(20) Saiget, Marie, L’ONU face aux violences sexuelles de son personnel, Paris, L’Harmattan, 2012, p.25
(21) Ibid., p.25
(22) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/30/accusations-de-viols-en…
(23) http://www.liberation.fr/monde/2015/07/07/accusations-de-viols-en-centra…
(24) http://centrafrique-presse.over-blog.com/2015/07/soldats-francais-accuse…
par Julien Gauthier-Mongeon | Avr 28, 2015 | Analyses, International
Le Mexique connaît à l’heure actuelle des événements tragiques, mais dont les échos dans l’actualité se font plutôt discrets. En septembre dernier, 43 étudiants de l’école Ayotzinapa d’Iguala ont été enlevés et vraisemblablement exécutés dans des circonstances qui demeurent mystérieuses. Le drame s‘est produit dans la région d’Ayotzinapa, zone rurale se situant dans l’État du Guerrero au sud du Mexique. L’enlèvement est survenu au terme d’un affrontement s’étant déroulé dans la nuit du 26 au 27 septembre 2014 et opposant les étudiants de l’école de Raul Isidro Burgos aux autorités à la solde d’un groupe de trafiquants locaux.
Cette nuit-là, les étudiants se déplaçaient en autobus pour aller protester contre la tenue d’une soirée en l’honneur de la femme du maire d’Iguala, Maria de Los Angeles Pineda. Soupçonnée d’être à la tête du cartel local, la femme du maire tenait une soirée pour inaugurer le lancement de sa campagne électorale (1). Elle souhaitait prendre le relais de son mari à la direction de la mairie d’Iguala (2). La manifestation s’est toutefois rapidement envenimée, les forces de l’ordre et les étudiants de l’école normale d’Iguala s’opposant dans une altercation ayant mené à l’arrestation de plusieurs élèves que la police aurait ensuite livrés à un cartel local du nom de « Los guerrero unidos » (3). Des quelques 60 étudiants présents sur les lieux, seule une poignée a réussi à prendre la fuite. Les autres, ayant été livrés par la police au cartel local, ont été assassinés, brûlés et enfin jetés dans une rivière de la région voisine de Cocula. C’est du moins ce que soutient la version officielle, qui est par ailleurs contestée par les familles des victimes et par plusieurs agences internationales (4). Des experts légistes argentins ont récemment été dépêchés sur les lieux afin de vérifier les preuves qu’avaient recueillies les autorités mexicaines. En effet, malgré la version officielle réitérée par le ministre de la Justice, Jesus Morillo Karam voulant que les corps des disparus aient été jetés dans une rivière de Cocula, les experts étrangers affirment qu’il n’y a pas de preuves scientifiques légales permettant de corroborer cette version des faits (5). Ce qui demeure certain, en revanche, c’est que 43 étudiants ont été enlevés dans un pays où l’enlèvement est devenu monnaie courante depuis plusieurs années.
Rapidement, le bruit court que les étudiants ont été enlevés par les autorités et que l’enlèvement aurait été planifié par la police locale, un cartel mexicain dénommé « Los guerrero unidos » et les deux époux à la tête de la mairie. On attribue au maire José Luis Abarca une responsabilité dans les enlèvements. C’est ainsi que ce dernier a été inculpé, en janvier dernier, du rapt des étudiants, tandis que les familles attendent toujours le retour de leurs proches disparus. Devant l’inaction des autorités, plusieurs manifestations se sont déroulées dans les mois ayant suivi le drame. Le 26 décembre, un rassemblement de 3000 personnes a eu lieu pour souligner le troisième mois de l’enlèvement des 43 étudiants. Les protestations populaires n’ont guère cessé depuis lors; on remarque même une recrudescence du mécontentement depuis que le gouvernement confirmait, dans un communiqué officiel en date du 27 janvier, la mort officielle des 43 disparus.
Ayotzinapa, un cas d’école dans l’histoire du Mexique
L’école normale d’Ayotzinapa est reconnue pour sa vocation militante et a « la réputation de pépinière des guérillas locales » (6). D’ailleurs, la journée ayant précédé le drame, les étudiants de l’école s’affairaient à récolter des fonds pour financer leur déplacement en vue de la manifestation nationale qui se déroule annuellement à Tlatelolco, quartier historique de la ville de Mexico. Chaque année s’y déroule une marche en souvenir d’une tragédie ayant eu lieu en octobre 1968 à la Place des Trois-Cultures. L’armée avait alors massacré des centaines d’étudiant-e-s sans que le gouvernement ne daigne ouvrir une enquête pour trouver et juger les responsables de la tuerie. À l’origine de l’affrontement, la police aurait ouvert le feu sur l’armée qui encadrait le déroulement de la manifestation. L’armée aurait ensuite suivi le pas en tirant directement sur les manifestant-e-s qu’elle croyait responsables d’avoir déclenché les hostilités. À la suite de cet incident, le mouvement étudiant fut brisé après trois mois de mobilisations qui sont demeurées historiques dans la mémoire des Mexicain-e-s (7). Cela avait provoqué une onde de choc parmi les étudiant-e-s du Mexique et particulièrement chez les étudiant-e-s de la région de Guerrero. Plusieurs d’entre eux ont participé à la fondation du Parti des pauvres quelques années plus tard, parti s’étant impliqué dans de nombreuses guérillas armées durant les années 1970. Les plus célèbres de ses représentants sont Lucio Cabañas et Genaro Vázquez, eux-mêmes anciens étudiants de l’école normale d’Iguala et icônes de la lutte populaire dans cette région du Mexique. (8)
L’école de Raul Isidro Burgos a pris naissance dans la foulée des importantes réformes initiées par le président Lázaro Cárdenas au début des années 1920. Fondées en 1922, les écoles normales mexicaines avaient pour objectif d’accroitre le niveau d’alphabétisation chez les paysans pauvres. Il s’agit d’une initiative s’inscrivant dans le mouvement de réappropriation des terres communales (latifundias) qui étaient aux mains des grands propriétaires locaux. Ces mouvements ont été menés par des guérillas locales dont celles d’Emiliano Zapata au Morelos, d’Ambrosio Figueroa au Guerrero et d’Eufemio au nord du pays et sont demeurés célèbres.
Rappelons que la Révolution Mexicaine, qui a débuté en 1910 en réaction à la dictature du général Porfirio Diaz, dirigeant du Mexique depuis 1876, fut au départ prêchée par certains membres issus de l’élite libérale (9). Le 20 novembre 1910, le grand propriétaire Francisco Madero lance un appel au soulèvement dans une volonté de démocratiser le pays suite à plus de trois décennies de dictature militaire. Madero sera ensuite élu président en 1911 avant d’être assassiné par des militaires partisans du général Huerta, qui voulait rétablir l’ordre dans le pays. Ce dernier s’opposait aux velléités démocratiques des acteurs-trices voulant instaurer un système parlementaire durable après des années d’autoritarisme. Cette volonté de changement, forte chez plusieurs personnalités politiques à tendance réformiste, s’affirmait aussi chez les partisans de la réforme agraire, qui souhaitait redonner la totalité des terres aux paysan-e-s. Dans un contexte où le pays a connu pas moins de 9 crises politiques majeures entre 1824 et 1853, la révolution semblait promettre une ère nouvelle pour les Mexicain-e-s. Au 19e siècle, les gouvernements se succédaient au rythme des assassinats politiques perpétrés par les factions rivales cherchant à s’emparer du pouvoir (10). La république fut temporairement rétablie en 1867 avec Benito Juárez avant que ne s’impose la dictature de Porfirio Diaz, en 1876. La fin de cette dictature coïncidera, en 1910, avec le déclenchement de la révolution. C’est donc dire que le Mexique connaît un lourd passé de violence et d’instabilité politique.
C’est pour cette raison et pour d’autres que la situation géopolitique du pays n’a eu de cesse d’évoluer de crise en crise pour finalement connaître une stabilité relative à la fin des années 1920 ; et ce n’est qu’en 1929, année où le parti révolutionnaire institutionnel (PRI) prend le pouvoir, qu’est établi un gouvernement stable qui durera pour les cinq prochaines décennies. Toutefois, en dépit de l’apparente accalmie qui règne durant cette période, les années d’après-guerre voient apparaître une forme de cohabitation entre l’État et les cartels des régions de Sinaloa, de Culiacan et de Tijuana. Certes, il y a toujours eu une proximité entre le pouvoir et le monde des trafiquants dans ces différentes régions, mais les années d’après-guerre consacrent une institutionnalisation des liens entre les cartels et le parti régnant. Il s’agit de ce que José Luis Solís González appelle une nouvelle forme de néolibéralisme à la solde du milieu criminel. Ce modèle a été favorisé par l’implantation d’un régime libéral technocratique. Il a jeté les bases du système économique que l’on connait actuellement au Mexique : « L’actuel modèle économique néolibéral, fondé sur l’ouverture externe, ainsi que le système corporatiste hérité de l’époque du « nationalisme révolutionnaire » ont créé un terrain propice pour l’émergence d’une économie, d’une société et d’institutions pénétrées et contrôlées de manière croissante par le narcotrafic et, en général, par les divers syndicats (cartels) du crime organisé (Smith, 1997). Il s’agit selon nous de l’apparition au Mexique d’une nouvelle forme d’État capitaliste périphérique, qualifiée par nous d’État narco, se manifestant par l’établissement d’un régime politique néolibéral à penchant technocratique (Rodríguez Araujo, 2009), avec une forte présence de représentants du crime organisé au sein de ses différentes institutions, de l’économie et de la finance » (11).
D’autres spécialistes ont une position certes plus nuancée et pondérée que celle soutenant la thèse d’une criminalisation de l’économie marchande. La politologue Shannon O’neil précise l’impact qu’a eu le PRI sur le Mexique, notamment dans la modernisation du pays et dans l’entrée en vigueur d’une nouvelle ère de stabilité. Le parti a entre autres doté le pays d’institutions durables, mais cela ne s’est pas fait sans entacher la crédibilité du gouvernement aux yeux de la population. La mise en place d’une entente à long terme entre le gouvernement et les différents groupes de trafiquants locaux a certainement fragilisé le lien de confiance entre le pouvoir et les citoyen-ne-s mexicain-e-s. Durant plus de trente ans l’État veillait à la répartition des espaces d’influences entre les différents cartels, permettant à ces derniers de s’implanter durablement dans les sept principales régions à l’ouest et à l’est du Pays (voir la carte ci-dessous). Cela fait penser à la manière dont le gouvernement japonais a entretenu, après la Seconde Guerre mondiale, un contrat tacite le liant aux groupes criminels locaux (les Yakuzas), afin d’éviter les guerres internes entre les différentes familles mafieuses (12). Dans le cas du Mexique, cette alliance fut éventuellement rompue, car le parti qui tenait les rênes du pouvoir entre 1929 et 1989 sera remplacé par un autre parti moins conciliant à l’endroit les cartels. Néanmoins, c’est à l’aube des années 2000, lorsque le Parti d’action nationale (PAN) dirigé Vincente Fox remportera les élections, que la situation au Mexique s’envenimera de manière surprenante. On observe alors une recrudescence des règlements de compte entre cartels rivaux; car le gouvernement, ne négociant plus avec ces derniers, fait disparaître en même temps l’instance autrefois régulatrice des tensions entre groupes d’influence. Cela a ouvert la porte à une instabilité politique qu’est venue accroître l’influence grandissante du cartel du Sinaloa sur les autres organisations locales. La région du Guerrero correspond à l’un de ces groupes qui se situent au sud-ouest du pays.
L’arrivée des cartels et la guerre
Lors de l’arrivée du président Calderon en 2006, ce dernier a déclenché une guerre ouverte contre les narcotrafiquant-e-s. Cela représente un précédent dans l’histoire récente du Mexique, car il y avait jusqu’alors une opposition entre les narcotrafiquant-e-s et le gouvernement, mais ce dernier demeurait complaisant avec les cartels. En décembre 2006, le président Calderon envoie 6700 militaires dans la province du Michoacán pour contrer le trafic local (13). Cela a mis le feu aux poudres et a ouvert la voie à des confrontations de plus en plus violentes entre les cartels. Depuis lors, les mafias s’affrontent dans une guerre qui a déjà fait plus de 100 000 morts depuis 2006 (14).
La disparition des 43 étudiants s’inscrit dans le prolongement de cette épopée sanglante. Les sceptiques disent qu’il s’agit d’une rivalité locale, car la région du Guerrero est régulièrement le théâtre d’affrontements qui opposent les étudiant-e-s au cartel « Los guerrero unidos ». Mais ce serait sans compter la collusion complète qui existe entre ce cartel et les élites politiques locales, réalité que l’on retrouve dans plusieurs autres provinces du Mexique (15). Los Zetas, par exemple, est un groupe paramilitaire, dont les activités se concentrent à l’est du Mexique dans la sphère d’influence que l’on appelle le Cartel du Golf. Autrefois membres de l’escouade d’élite de l’armée mexicaine, les Zetas sont désormais actifs dans le trafic de stupéfiants vers les États-Unis et possèdent des moyens militaires comparables à ce que l’on retrouve dans des armées conventionnelles.
Depuis plusieurs années, le pays connaît une vague d’enlèvements qui font dire à certain-e-s, tant journalistes que chroniqueurs-euses, qu’il existe au Mexique une nouvelle forme de narcoterrorisme (16). L’incident entourant l’enlèvement des 43 étudiants mexicains en septembre 2014 semble conforter cette thèse. D’ailleurs, les journalistes Rafael Barajas et Pedro Miguel, dans un article en date du 21 septembre 2014, abondent en ce sens : « Quand, dans un pays, un groupe de policiers arrête quarante-trois étudiants, les fait disparaître et les remet à un groupe criminel organisé lié à la drogue pour que ce dernier, en guise de « leçon », les assassine, un constat s’impose : l’État s’est mué en narco-État, un système où crime organisé et pouvoir politique sont désormais indissociables » (17). Dans les faits, la situation est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît aux premiers abords, car il n’y a pas d’un côté les criminel-le-s et, de l’autre, les civils étant victimes d’exactions perpétrées par les narcotrafiquant-e-s.
Comme en témoigne l’importance de la narcoculture sur la scène musicale mexicaine (18), il y a tout un pan de la mentalité mexicaine qui glorifie le mythe du héros combattant un État spoliateur. Cela permet de faire le lien entre les idoles révolutionnaires d’hier et les justiciers-ières d’aujourd’hui, rôle qu’endosse pour plusieurs le personnage du narcotrafiquant. Cette mentalité se véhicule à travers ce que l’on appelle les narcocorridors, chanteurs-euses qui glorifient le mode de vie des narcotrafiquant-e-s en revisitant l’histoire romantique du Mexique au temps de la révolution (19). Une telle culture n’est certes pas dénuée d’ambivalence comme le fait remarquer Antonio Mejias-Rentas : « Il y a un sentiment contrasté des Mexicains à propos de cette culture; tandis qu’il y a une appréciation pour cette forme d’art, s’y exprime aussi une inquiétude par rapport à la glorification de la violence et à la consommation de drogue, un peu comme ce que l’on retrouve dans le monde du ganster rap » (traduction libre) (20). À cela s’ajoute un deuxième élément important qui caractérise ce treillage entre le milieu criminel et la société mexicaine. Comme le souligne l’anthropologue Dennis Rodgers (21), il existe une proximité étroite entre les différents groupes d’intérêt opérant au sein de l’État (police, services secrets, etc.) et les cartels qui infiltrent ces groupes afin de bénéficier d’une impunité de la part de ces derniers. Vivent en parallèle un système terroriste et un système tout à fait légal, dont il est parfois difficile de dire lequel tire véritablement les ficelles. L’enlèvement des étudiants du Guerrero témoigne de ce contexte singulier où la peur se mélange à la confusion dans un pays où s’exprimer devient un risque permanent.
La démocratie au bord de l’essoufflement
La démocratie s’est traditionnellement constituée en référence à l’idée de droit, avec les imperfections que suppose un tel idéal. En effet, les inégalités concrètes vécues par les minorités ne sont pas toujours prises en compte par les grands principes universels chers à nos démocraties (égalité des chances, liberté de parole, etc.). La situation des Noirs aux États-Unis suffit à démontrer qu’il existe, en démocratie, des citoyen-ne-s de seconde zone, c’est-à-dire des personnes dont les droits ne sont pas reconnus au même titre que ceux qui bénéficient d’une sorte d’impunité à peine voilée. Il y a néanmoins un certain accord qui, en démocratie, permet le maintien d’une liberté de parole dont nul ne remet en doute le bien-fondé. Bien qu’il y ait parfois des désaccords autour de questions délicates, la démocratie ménage un espace de délibération où toutes et tous sont invité-e-s à se prononcer sur des enjeux qui engagent l’ensemble de la société. C’est ce qui oppose la démocratie à un régime totalitaire et qui caractérise, en propre, ce que le philosophe Jürgen Habermas (22) appelle un espace de délibération public permettant la mise en commun des opinions.
Le Mexique est intéressant, car il est sans conteste un pays démocratique, mais ce pays est ébranlé dans ses fondements par les rivalités qui y règnent et par le climat de peur endémique qui y prévaut. Là où, en principe, il est possible de s’exprimer librement mais où, en pratique, cette liberté est menacée par des représailles mortelles se présente une fragilité qui révèle les limites d’un système. De l’impression de beaucoup de Mexicain-e-s, le monopole de la violence n’est pas exercé par l’État, mais par des groupes qui ont réussi à infiltrer les différents organes de l’État. Pour d’autres, au contraire, c’est l’État qui impose une violence injustifiée à l’endroit de personnes n’ayant rien à se reprocher. Le droit est confisqué au nom d’une lutte dont personne ne sait plus où elle commence et où elle se termine. La lutte contre la drogue devient une lutte que l’État se mène contre lui-même en tentant de vaincre le mal qui le gangrène de l’intérieur. C’est ce qui fait dire à plusieurs que la solution mexicaine ne passerait pas par une lutte contre les trafiquant-e-s, mais par une réforme en profondeur de la société et de la culture qui garantirait l’impunité de ceux et celles qui agissent au nom d’une justice sans nom et sans visage. Nous pourrions parler d’une démocratie en souffrance, mais il serait peut-être plus adéquat de parler d’une expérience limite de la démocratie. C’est le double visage d’une violence qui s’exerce au nom d’une légitimité qui masque un jardin où l’engrais des cadavres sème la terreur et suscite le désir de vengeance.
(1) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/11/04/etudiants-disparus-au-mexique-arrestation-du-maire-d-iguala_4517819_3222.html
(2) http://www.bbc.com/news/world-latin-america-29896513
(3) http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/mexique-l-incroyable-et-sordide-affaire-des-disparus-d-iguala_1616392.html
(4) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/01/28/disparus-du-mexique-human-rights-watch-et-amnesty-mettent-en-doute-la-version-officielle_4565461_3222.html
(5) http://www.france24.com/fr/20150209-mexique-ayotzinapa-cocula-enquete-justice-43-etudiants-disparus-eaaf/ (6) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/international/2014/11/17/007-mexique-etudiants-disparus-narcoterrorisme.shtml (7) http://www.reseau-canope.fr/pour-memoire/le-mexique-3000-ans-dhistoire/lhistoire-du-mexique-contemporain/le-massacre-de-tlatelolco-du-2-octobre-196
(8) http://www.trinchera-politicaycultura.com/ediciones/781/info-04.html (9) http://www.universalis.fr/encyclopedie/revolution-mexicaine/
(10) http://www.cosmovisions.com/ChronoMexique.htm
(11) Solís González José Luis, « L’état narco : néolibéralisme et crime organisé au Mexique », Revue Tiers Monde, 2012/4 n°212, p. 173-188
(12) http://www.13emerue.fr/dossier/les-yakuzas-un-pouvoir-rassurant
(13) http://articles.latimes.com/2012/dec/01/world/la-fg-wn-mexico-calderon-cartels-20121130
(14) « Counting Mexico’s drug victims is a murky business » [archive], sur National Catholic Reporter par Claire Schaeffer-Duffy, 01/03/2014
(15) Grayson, G. W. (2009) Mexico: narco-violence and a failed state? New Brunswick, N.J.: Transaction Publishers. (16) http://www.courrierinternational.com/article/2014/10/11/ayotzinapa-l-ecole-militante-des-etudiants-disparus
(17) http://www.monde-diplomatique.fr/2014/12/BARAJAS/51018
(18) http://www.thedailybeast.com/articles/2013/11/24/are-narcocorrido-mexican-drug-ballads-really-that-bad.html
(19) http://www.arte.tv/fr/les-narcocorridos/6355532,CmC=6337372.html
(20)“there is a mixed feeling about them in the Mexican community; while there is an appreciation for the art form, there is also concern about the glorification of violence and drug consumption, much like in the gangsta rap world” (http://latinmusic.about.com/od/tejanonorteno/a/Narcocorrido-Overview-Of-Mexicos-Drug-Ballads.htm) (21) http://www.rts.ch/emissions/geopolitis/3833004-le-mexique-et-la-drogue-u… (22) Habermas, Jürgen, 1986, Morale et communication, Paris, Flammarion.