Quelle ville pour demain? L’espace urbain comme lieu de la transition socioécologique

Quelle ville pour demain? L’espace urbain comme lieu de la transition socioécologique

Cet article a été publié dans le recueil Vivre le réel : penser la transition écologique de L’Esprit libre. Il est disponible sur notre boutique en ligne ou dans plusieurs librairies indépendantes.

En mars 2018, à la suite d’une rencontre de trois jours en Alberta, dix organismes internationaux signaient la Déclaration d’Edmonton en faveur du développement de la recherche pour outiller les villes face aux changements climatiques1. Durant cette conférence, mairesses et maires, chercheuses et chercheurs ainsi que représentantes et représentants des instances internationales se sont réuni·e·s pour tenter de mieux comprendre le rôle et les possibilités des villes dans le cadre d’une transition écologique et sociale centrée sur les enjeux climatiques. C’était l’occasion pour des actrices et des acteurs des municipalités d’un peu partout à travers le monde de prendre conscience de la nécessité d’entamer des transformations pour faire face à la crise climatique actuelle. Ce constat est arrivé plus tardivement pour la classe politique municipale du Québec, soit il y a à peine quelques mois. « Vous êtes les élu[·e·]s de minuit moins une », s’est exprimée la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les changements climatiques Catherine Potvin lors d’une rencontre de l’Union des municipalités du Québec en mars 20192.

Devant ces initiatives et ces réactions, il apparaît évident que la ville sera appelée à jouer un rôle de premier plan dans le cadre des transformations socioécologiques à venir. Selon Statistique Canada, les chiffres du recensement de 2016 montrent que 81,3 % de la population du pays habite dans une zone urbaine3. C’est dire que l’essentiel de la pollution et de la consommation de ressources et d’énergie provient des villes. Celles-ci tendent également à être le théâtre d’importantes inégalités sociales dont les effets sont exacerbés par les conditions actuelles de développement urbain. Ce constat nous place devant une réponse, voire une opportunité inespérée : si la lutte aux changements climatiques veut enrayer les problèmes et les iniquités sociales, alors cette transition socioécologique doit passer par la ville, par une redéfinition du cadre de développement social urbain. Très juste, l’intellectuel français François Euvé exprime brillamment cette nécessité d’associer la justice sociale à la transition écologique :

La transition écologique est indissociable d’une transformation sociale qui place au centre le principe de solidarité. Écologie et justice ne sont pas deux priorités concurrentes, car l’une ne peut aller sans l’autre. Rappelons que la science de l’écologie met en exergue la notion de relation. Les organismes sont liés à leur environnement et se développent en interdépendance. Il en est de même pour les personnes et les sociétés4.

La question se pose alors : comment réussir cette transition socioécologique à partir de la ville? Comment la ville, dans sa spécificité, ses enjeux et ses possibilités, peut-elle permettre de lancer cet immense chantier et tenir ses promesses d’un monde plus juste et en phase avec l’environnement? Des initiatives naissent dans les villes, peu importe qu’elles soient petites, moyennes ou grandes. Derrière ces expériences se cachent des enseignements qui permettent de comprendre comment l’urbanité est un terreau fertile pour une éventuelle transition socioécologique.

L’histoire d’un Anglais au Pakistan : la naissance des villes en transition

Pour bien comprendre les possibilités de transformations sociales et écologiques offertes par l’espace urbain, il faut remonter aux sources d’un mouvement beaucoup plus vaste, celui des villes en transition. Dans le petit monde de la transition et du développement des communautés durables, Rob Hopkins fait figure de véritable célébrité. L’homme doit sa réputation à la publication de son Manuel de transition5. Étoffé et accessible, l’ouvrage en question propose une feuille de route pour permettre à n’importe quelle communauté d’effectuer sa transition vers un monde résilient et sans pétrole.

Hopkins doit l’idée de son manuel à un voyage qu’il a effectué en 1990. Quittant son Angleterre natale, il se rend dans la vallée de Hunza, dans le nord du Pakistan. Émerveillé par le paysage et le rythme de vie de la population locale, le Britannique est rapidement frappé par un détail : la communauté locale semble totalement indépendante du reste du monde. De la gestion des déchets à l’alimentation en passant par l’agriculture, la Hunza de l’époque s’organisait en fonction de son environnement et des besoins de sa population. Hopkins entrevoit clairement les avantages que peut représenter la résilience pour cette communauté : « Si (à cette époque) la vallée de Hunza s’était retrouvée coupée du reste du monde et des autoroutes de camions remplis de produits de l’économie mondiale, elle se serait très bien débrouillée6. »

C’est à partir de cette expérience que se développe la philosophie du futur mouvement des villes en transition. La vision d’Hopkins est simple et repose sur deux éléments. D’abord, il est essentiel de revoir notre dépendance aux énergies fossiles et à l’économie mondialisée. L’auteur du Manuel de transition s’appuie sur le principe du pic pétrolier pour justifier la nécessité de s’émanciper du pétrole. Ce concept renvoie à l’idée que la société industrielle va un jour atteindre la limite de la quantité de pétrole à bas prix qu’elle peut extraire du sol – si ce n’est pas déjà fait, comme l’avancent certain·e·s7. À partir de ce moment, le prix du pétrole va constamment augmenter au fur et à mesure que les réserves mondiales vont s’épuiser. Dans cette perspective, tous les produits de la vie courante qui reposent sur le pétrole vont voir leur prix augmenter. Le coût du transport risque d’exploser et, dans le contexte d’une économie mondialisée où l’importation et l’exportation jouent un rôle crucial pour l’approvisionnement des villes, les denrées alimentaires vont devenir de plus en plus difficiles à acquérir à un prix raisonnable. Cette situation ne manquera pas d’avoir de graves conséquences sur les populations vulnérables. Pour Hopkins, l’importance de cesser la consommation de carburants fossiles s’inscrit également dans une volonté de réduire l’impact des sociétés humaines sur le climat. Diminuer l’usage d’énergies fossiles signifie moins de gaz à effet de serre et d’agents polluants dans l’atmosphère.

Mais Rob Hopkins n’est pas un pessimiste. Face à un scénario catastrophique qui entrevoit une destruction irrémédiable de l’environnement et un creusement des inégalités sociales, il propose une solution qui constitue le deuxième aspect de sa philosophie : mettre en place des communautés résilientes. Comme le souligne l’auteur dans l’introduction de son manuel, la résilience « fait référence à l’aptitude d’un système, de l’échelle des individus à celle des économies entières, à maintenir son intégrité et à continuer de fonctionner sous l’impact de changements et de chocs provenant de l’extérieur8 ». À l’image de ce qu’il a vu dans la Hunza en 1990, Hopkins propose de développer des villes et des villages, des espaces urbains, qui, sans être isolés, seront autonomes et capables de faire face aux défis climatiques actuels et à venir. Avec cette idée en poche, Hopkins a décidé de concrétiser sa philosophie dans la réalité. À travers son enseignement de la permaculture9, il a mis sur pied quelques initiatives de transition au début des années 2000. En 2006, la petite localité de Totnes en Angleterre devient la première ville à entamer sa transition socioécologique selon les préceptes de Hopkins : le mouvement villes en transition vient de naître.

L’histoire de Rob Hopkins et de son Manuel de transition montre d’une manière éclairante la nécessité de transformer nos communautés, mais aussi la manière de s’y prendre. Astuces pour mobiliser une communauté, feuille de route pour entamer la transition et théories sur la résilience figurent dans les grands titres de l’ouvrage. Mais ce que cette idée de la transition socioécologique nous montre de plus enrichissant, c’est que la possibilité de transformer la ville n’appartient pas exclusivement aux autorités urbaines ou aux associations municipales. Chacune et chacun, dans sa communauté, peut faire une différence et contribuer à une transformation de sa communauté vers un modèle plus équitable et écologique.

Des idées et des enjeux : exemples concrets de la transition urbaine au Québec

Inlassablement, le mouvement villes en transition suggère une approche locale pour s’attaquer au défi de la transition socioécologique. Hopkins lui-même soutient qu’il est inévitable de « faire petit » afin de favoriser le plus possible le développement de notre capacité « à produire localement les choses que nous pouvons produire localement10 ». À partir de cette perspective, voyons quelles initiatives se développent au Québec. Depuis plusieurs années déjà, des idées concrètes se mettent en place dans les espaces urbains québécois afin de favoriser la transition socioécologique. Notamment, les domaines de l’alimentation, de l’urbanisme et du développement social se trouvent au cœur des expériences actuelles les plus fructueuses.  

L’expérience alimentaire

Notre façon de nous alimenter constitue une formidable opportunité de changer nos manières de vivre et de consommer dans l’espace urbain. L’enjeu alimentaire, même dans les plus grandes villes du Québec, représente un défi de taille. Dans les quartiers qui reçoivent l’épithète de « désert alimentaire », la faible présence de ressources (que ce soit des commerces ou des organismes de redistribution des denrées) et la condition économique de la population rendent difficile l’accès à la nourriture. Malgré tout, il existe des initiatives locales qui viennent répondre à cette situation de façon originale.

L’une de ces initiatives est le frigo communautaire. Installé dans les locaux d’un organisme communautaire ou d’un autre lieu public, il met à disposition de la population des aliments frais et sains. Relevant souvent d’un partenariat entre des organismes ou des commerces locaux, le contenu du frigo est entretenu par une équipe de bénévoles ou un comité. Dans l’arrondissement montréalais de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, les frigos communautaires sont monnaie courante. « Le frigo communautaire, mis sur pied par un mouvement citoyen, répond au besoin de base de se nourrir convenablement en plus de freiner le gaspillage alimentaire », selon Ariane Carpentier, intervenante sociale dans le quartier11. De fait, enrayer le gaspillage alimentaire et répondre à une demande de la population avec des produits locaux devient un moyen efficace de conjuguer conscience écologique et nécessité sociale.

Bien évidemment, une initiative de redistribution comme les frigos communautaires ne répond pas pleinement à l’enjeu alimentaire de la transition socioécologique. Il est aussi nécessaire de revoir notre manière de produire et de s’approvisionner en aliments, à l’instar de la municipalité de Saint-Bruno-de-Montarville en mars 2017. En effet, depuis quelques années, la population montrait « un intérêt marqué pour les enjeux liés à l’achat et à l’approvisionnement local ainsi qu’aux saines habitudes de vie12 ». Cette volonté populaire pour une nouvelle forme de système alimentaire a donné naissance à la politique « ville nourricière » de la municipalité qui vise à « recueillir les connaissances nécessaires pour proposer et mettre en œuvre des initiatives pour faire évoluer la municipalité vers un système alimentaire durable13 ». On assiste alors à une véritable réorientation de l’approvisionnement et de la production alimentaire d’une communauté en faveur de la volonté et des désirs de la population. Le déploiement de la politique alimentaire a suscité l’apparition de nouvelles initiatives, comme l’installation de ruches urbaines par un organisme jeunesse ou une collecte de surplus agricoles en faveur des moins nantis. Ces initiatives trouvent leur origine dans la transformation du rapport de la population avec son environnement et son approvisionnement alimentaire14

Dans un de ses récents ouvrages, Rob Hopkins lui-même témoigne du développement de l’agriculture urbaine montréalaise. À propos du Sommet de l’agriculture urbaine de Villeray en 2012, l’auteur souligne que « le but est de trouver comment favoriser en ville une agriculture qui dépend moins du pétrole, rassemble les gens, les soigne et les rapproche de la nature15 ». Face à cette réappropriation citoyenne de l’espace urbain et de la production, on voit apparaître des initiatives comme les Incroyables Comestibles. Né en Angleterre, ce mouvement fait la promotion de « l’agriculture urbaine participative en invitant les citoyen[·ne·]s à planter partout où c’est possible et à mettre les récoltes en partage16 ». Cette initiative de réappropriation de l’espace en faveur de la population et de l’alimentation prend de l’ampleur au Québec, et ce, bien en dehors de la ville de Montréal. Au Québec, les Incroyables Comestibles fleurissent de Rimouski à Sherbrooke en passant par Alma, Trois-Rivières et Thetford Mines17. Force est de constater que le retour à une production alimentaire locale a le vent dans les voiles sur le territoire québécois. C’est d’ailleurs ce qui fait la force des deux dernières initiatives : elles permettent de repenser l’approvisionnement alimentaire des communautés à la source tout en rapprochant la production des lieux de consommation.   

L’urbanisme autrement

Entre la difficulté d’avoir accès à des espaces verts, l’accent mis sur la voiture dans l’organisation des voies de circulations ou la lutte aux îlots de chaleur, la transformation de l’expérience urbaine peut être à la fois la cause et la solution des iniquités sociales et écologiques. Le Québec propose d’ailleurs d’ambitieuses initiatives pour faire face à cet enjeu.

L’une de ces initiatives, de plus en plus populaire, est l’urbanisme participatif. Le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CÉUM) propose une démarche en six temps qui « insiste sur l’importance de la participation citoyenne pour créer des milieux de vie plus humains qui répondent aux besoins de la population18 ». À travers des rencontres et des consultations publiques, ce processus invite les citoyennes et les citoyens à partager leurs expériences quotidiennes du milieu pour compléter l’expertise professionnelle19. L’urbanisme participatif permet ainsi d’avoir un impact concret sur l’environnement immédiat de la population en l’incluant davantage dans le processus de décision et d’aménagement. Bien entendu, ce type de projet nécessite la collaboration des élu·e·s, mais l’initiative citoyenne demeure au cœur de la mise en place de projets d’urbanisme participatif. Au Québec, on retrouve plusieurs exemples de projets en ce sens, comme la consultation pour les aîné·e·s de Plessisville, le développement de la mobilité durable dans le quartier Saint-Sauveur de Québec ou encore le woonerf20du quartier montréalais Saint-Henri21. Cette approche dans l’élaboration des milieux de vie oblige l’administration municipale et les spécialistes de l’aménagement à tenir compte de la réalité quotidienne de la population tout en favorisant le dialogue démocratique entre les membres du projet22

Revoir l’aménagement urbain de la ville, dans une perspective de transition socioécologique, passe également par la mise en place et le développement d’espaces verts. C’est bien connu, la présence d’espaces verts dans un quartier améliore la santé physique et mentale tout en favorisant l’activité physique et les relations sociales23. Les ruelles vertes sont un exemple concret des possibilités qui s’offrent aux citoyennes et citoyens pour construire des milieux de vie agréables. Apparues dans le paysage montréalais dans les années 1990, les ruelles vertes composent aujourd’hui 14,5 % des ruelles de la métropole24. Ce type d’aménagement s’inscrit parfaitement dans la perspective de l’urbanisme participatif et elle peut favoriser le développement de l’agriculture urbaine. Concernant l’impact des ruelles vertes, Isabelle Mazoyer note leur importance :

Lorsque les citoyen[·ne·]s entament le processus de ruelle verte, il en résulte une participation citoyenne qui engendre des initiatives favorisant la transition écologique dans la ruelle et qui, par le resserrement des liens sociaux et le sentiment d’appartenance au quartier, permettent le renforcement de l’écocitoyenneté25.

Bien qu’il soit difficile pour les individus d’influer sur l’urbanisme de manière isolée sans avoir recours aux instances politiques et administratives, il reste que les initiatives populaires réussissent souvent à avoir une influence sur ces dernières, comme en témoigne l’adoption de certaines politiques municipales. À Montréal notamment, l’arrondissement de Rosemont—La Petite-Patrie a adopté une réglementation stricte concernant les toits qui doivent désormais refléter le soleil ou être végétalisés. Dans l’arrondissement Saint-Laurent, les politiques environnementales s’attardent sur la place des stationnements. 

Le développement social

Inévitablement, réussir la transition socioécologique à partir de la ville passe par la réduction des inégalités sociales et l’amélioration des conditions de vie. Les transformations participant à la transition doivent permettre une plus grande justice et des chances équitables pour toutes et tous. Comme nous l’avons vu, plusieurs initiatives relevant de l’expérience alimentaire et de la transformation de la trame urbaine permettent de pallier les inégalités sociales. Néanmoins, il est essentiel de s’attaquer directement aux inégalités sociales des villes pour favoriser de meilleures conditions de vie pour toutes et tous. Encore une fois, l’espace urbain québécois n’est pas en reste pour tester de nouvelles façons d’améliorer la société, comme en témoignent les trois exemples montréalais suivants.

Dans le domaine des savoirs et des services, le quartier de Villeray à Montréal a vu naître une initiative surprenante. La Remise, bibliothèque d’outils, cherche à renverser les modes de consommations actuels et à renforcer les liens communautaires. L’objectif de l’organisme est « de mettre en commun des appareils utilitaires, des espaces de travail et des connaissances afin d’augmenter la capacité d’agir de ses membres tout en facilitant une transition vers un mode de vie plus résilient, solidaire et écologiquement responsable26. Ainsi, La Remise, en offrant la location d’outils à bas prix, un endroit pour travailler ainsi qu’un lieu d’échange de connaissances et de savoirs, permet de répondre à des besoins que toutes et tous ne peuvent pas nécessairement s’offrir, comme l’expertise d’un menuisier ou d’une menuisière ou encore l’outillage pour entreprendre ses propres travaux. De plus, cette initiative favorise l’entraide communautaire en mettant en relation les citoyens et citoyennes d’un même quartier, qui autrement ne se seraient peut-être pas rencontré·e·s.

Dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, l’éducation rencontre le recyclage. Entreprise sans but lucratif, SOS Vélo a pour « mission fondamentale et prioritaire […] l’insertion sociale et professionnelle d’adultes âgé[·e·]s de 18 à 55 ans27 ». L’entreprise, qui se spécialise dans la récupération et le recyclage de vélos, propose des formations rémunérées dans le domaine de la mécanique, du service à la clientèle, de la peinture et du travail général manufacturier. SOS Vélo facilite donc l’accès au travail et le développement des compétences pour les populations vulnérables tout en œuvrant contre le gaspillage des ressources. Ce genre d’entreprise offre une alternative digne au marché de l’emploi traditionnel sans pour autant négliger son impact écologique.

À Montréal-Nord, la dignité est intrinsèquement liée au marché Bon Accueil28. Les organismes de redistribution alimentaire sont d’excellents exemples de solutions au gaspillage alimentaire. Il n’en demeure pas moins que les personnes qui fréquentent les banques alimentaires doivent faire avec ce qu’on leur donne. Au marché Bon Accueil, c’est différent : il s’agit de la première épicerie gratuite de Montréal. Basé sur le modèle d’une épicerie traditionnelle, l’organisme récolte des produits frais et des produits non périssables grâce au soutien de plusieurs partenaires. Les gens peuvent ensuite s’inscrire pour devenir membres et obtenir l’accès à un certain poids de nourriture selon leurs revenus. Ainsi, à mi-chemin entre l’épicerie conventionnelle et la banque alimentaire, le Marché Bon Accueil permet aux utilisatrices et utilisateurs de choisir les denrées et de garder un contrôle sur leur alimentation. Une autre initiative qui fait socialement du bien tout en évitant les impacts écologiques du gaspillage alimentaire.

Entrevoir le meilleur des mondes 

En entrevue pour le quotidien Le Devoir, René Audet, titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), soutenait ceci : « La transition est une occasion pour refaire la cohésion sociale, refaire la société autour d’un projet de transformation […]. Il faut que ce soit ancré dans la vie des gens. Et, pour ça, il faut qu’on leur parle29. » C’est pourquoi la ville est un espace de choix pour amorcer une transition socioécologique. Malgré ses défis, une transformation de la ville offre, comme nous l’avons vu, une multitude d’opportunités pour changer le monde. Elle offre surtout la possibilité d’entamer le dialogue sur la société que nous voulons pour demain.

Travailler vers la transition socioécologique implique de revoir nos façons de faire et de s’organiser à travers notre environnement. C’est ce que propose l’espace urbain pour démarrer la transition : œuvrer à améliorer notre chez-soi, notre lieu de travail, notre rue, notre quartier, notre communauté. Comme le mentionnait Rob Hopkins, c’est en résolvant les problèmes locaux et en développant la résilience de nos milieux de vie que se fera la lutte aux changements climatiques et la transition vers un monde plus juste pour l’environnement et l’humanité. À l’heure où la classe politique s’intéresse lentement à la question de la transition, il devient de plus en plus évident que le changement doit s’opérer par le bas. Loin des forums internationaux et des rencontres officielles, le monde de demain se joue aujourd’hui chez nous, dans nos villes.

Photo : Pixabay

1 Collectif, « The Science We Need for the Cities We Want : Working Together to Implement the Global Research Agenda on Cities and Climate Change », Cities IPCC and Climate Change Science Conference, Edmonton, 7 mars 2018. citiesipcc.org/wp-content/uploads/2018/03/The-Science-We-need-for-Cities-We-want_March-7_Edmonton-1.pdf.

2 Mathieu Bélanger, « Vous êtes les élus du minuit moins une », Le Droit, 21 mars 2019. www.ledroit.com/actualites/gatineau/vous-etes-les-elus-du-minuit-moins-u….

3 Voir « Tableau 1.7 Répartition de la population selon la taille des centres de population, recensements de 2011 et 2016 » de Statistique Canada, « Centre de population (CTRPOP) », mis à jour le 3 janvier 2019. www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/ref/dict/geo049a-fra.cfm.

4 François Euvé, « L’écologie comme enjeu social », Études, vol. janvier, n° 1, 2019 : 5-6. www.cairn.info/revue-etudes-2019-1-page-5.htm#.

5 Rob Hopkins, Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Montréal : Écosociété, 2010.

6 Ibid., p. 13.

7 Ibid., p. 18-20

8 Ibid., p. 12.

9 Développée dans les années 1970 par Bill Molison et David Holmgren, la permaculture se veut une approche misant sur les lois de la nature pour mettre en place des écosystèmes durables ; Bernard Alonso et Cécile Guiochon, Permaculture humaine : Des clés pour vivre la transition, Montréal : Écosociété, 2016, p. 22.

10 Ibid., p. 12.

11 Ariane Carpentier, propos recueillis par l’auteur le 29 avril 2019.

12 François Grenier, « Ville nourricière : Saint-Bruno-de-Montarville innove et défriche le terrain », Cent degrés, 22 janvier 2018. centdegres.ca/magazine/politique-et-economie/ville-nourriciere-saint-bruno-de-montarville-innove-defriche-terrain/.

13 Anik Fortin et Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, Politique Ville Nourricière 2017, Saint-Bruno-de-Montarville, 2017. stbruno.ca/ville/politiques-et-plans-daction/ville-nourriciere/.

14 Ibid.

15 Rob Hopkins, Ils changent le monde! 1001 initiatives de transition écologique, Paris : Seuil, 2014, p. 74.

16 Les Incroyables Comestibles, « Qui sommes-nous ? », consulté le 1er mai 2019. lesincroyablescomestibles.fr/qui-sommes-nous/.

17 Ibid.

18 Centre d’écologie urbaine de Montréal, L’urbanisme participatif. Aménager la ville avec et pour ses citoyens, Montréal, 2015, p. 2. urbanismeparticipatif.ca/sites/default/files/upload/document/rqv_guide_urba_parti_fra.pdf.

19 Ibid., p. 4

20 Terme néerlandais se rapportant à l’idée de « rue conviviale » ; ibid., p. 11.

21 Ibid., pp. 8-11. 

22 Ibid., p. 5.

23 À ce sujet, voir la recherche suivante : Mélanie Beaudoin et Marie-Eve Levasseur, Verdir les villes pour la santé de la population, Québec : Institut national de santé publique du Québec, 2017. www.inspq.qc.ca/publications/2265,

24 Annabelle Mazoyer, « Analyse sociologique de l’émergence du phénomène des ruelles vertes sur l’île de Montréal », Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal — Département de sociologie, Montréal, 2018, p. 23. archipel.uqam.ca/12250/.

25 Ibid., p. 108.

26 La Remise, « Notre mission », consulté le 5 mai 2019. laremise.ca/la-remise/notre-mission/.

27 SOSVélo, consulté le 5 mai 2019. www.sosvelo.ca/.

28 Mission Bon Accueil, « Marché Bon Accueil », consulté le 5 mai 2019. missionbonaccueil.com/services-fr/nourriture/marche-bon-accueil/.

29 Etienne Plamondon Emond, « Rebâtir la cohésion sociale par la transition écologique », Le Devoir, 21 avril 2018. www.ledevoir.com/societe/environnement/525470/rebatir-la-cohesion-social….

Trans Mountain et les Autochtones

Trans Mountain et les Autochtones

Depuis le 8 avril dernier, la politique canadienne est en ébullition. En effet, la compagnie Kinder Morgan a annulé « toutes les activités non essentielles et toutes les dépenses relatives au projet d’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain » (1). Ce projet de transport d’hydrocarbures vise à agrandir l’actuel réseau Trans Mountain en construisant, parallèlement au tracé actuel, une autre ligne entre l’Alberta et la Colombie-Britannique. Cette décision a été prise en réponse aux mesures adoptées par le gouvernement Horgan de la Colombie-Britannique en janvier dernier. Ces mesures visent, entre autres, à restreindre le transport de pétrole bitumineux le long des côtes et à améliorer la réactivité des autorités en cas d’incidents comportant un déversement de pétrole. Il va de soi que ces mesures viennent faire obstacle au projet d’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan. C’est pourquoi la compagnie soutient qu’elle mettra fin au projet si la situation ne débloque pas avant le 31 mai 2018.

Le gouvernement Trudeau a vivement réagi à cette annonce, arguant que le projet Trans Mountain était dans « l’intérêt national » (2). Ainsi, depuis plusieurs semaines, les gouvernements du Canada et de l’Alberta tentent de convaincre la Colombie-Britannique de la nécessité d’aller de l’avant avec ce projet. Au passage, le gouvernement Trudeau n’a pas hésité à brandir la menace d’une intervention fédérale pour contraindre la Colombie-Britannique à accepter le projet de Kinder Morgan. Outre la mésentente entre le gouvernement fédéral et deux provinces, le dossier entourant l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain soulève de nombreux enjeux, notamment en ce qui concerne les communautés autochtones le long du tracé.

L’oléoduc Trans Mountain, en bref (3)

Construit en 1953, le réseau original de l’oléoduc Trans Mountain est toujours en fonction aujourd’hui. Il trouve sa source à Strathcona County, près d’Edmonton, en Alberta, pour finir sa course à Burnaby, en Colombie-Britannique. Ce tracé constitue près de 1150 kilomètres d’oléoduc. Le projet actuel de Kinder Morgan propose de construire un second oléoduc parallèle au premier. Cet agrandissement du réseau Trans Mountain ferait passer le débit de pétrole transporté de 300 000 à 890 000 barils par jour, ce qui représente une augmentation de 196 %.

Le 19 mai 2016, l’Office national de l’énergie (ONÉ) a approuvé la construction de la nouvelle ligne de Trans Mountain (4). La décision de l’ONÉ a été fortement remise en question lors de sa publication. Un comité ministériel mis sur pied par Jim Carr, ministre fédéral des Ressources naturelles, concluait que « le travail mené par l’Office national de l’énergie comporte de grandes lacunes » et que « les questions soulevées par […] Trans Mountain font partie des plus controversées au pays, voire dans le monde entier […] : les droits des peuples autochtones, l’avenir de l’exploitation des combustibles fossiles face aux changements climatiques, et la santé de l’environnement marin (5) ». Le 29 novembre 2016, le gouvernement Trudeau a à son tour approuvé le projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain « sous réserve de 157 conditions juridiquement contraignantes qui aborderont les répercussions sur les peuples autochtones, les incidences socio-économiques et les impacts environnementaux que pourrait avoir le projet (6) ». L’annonce concernant le projet a suscité de vives réactions un peu partout au Canada, notamment en Colombie-Britannique. Gregor Robertson, maire de Vancouver, n’a pas caché sa déception à la suite  de la décision de Justin Trudeau tandis que des groupes comme l’Union des chefs autochtones de la Colombie-Britannique ont mis en place une pétition pour faire pression sur le gouvernement fédéral (7).

Les travaux préliminaires ont commencé dès septembre 2017. Selon Kinder Morgan, il s’agit d’un projet qui s’élèvera à 7,4 milliards de dollars et qui devrait générer 15 000 emplois durant sa construction et près de 37 000 emplois indirects après sa mise en marche. Ces chiffres ont été avancés dans une étude du Conference Board du Canada, commandé par Kinder Morgan (8). En audience devant l’ONÉ, Kinder Morgan avait pourtant mentionné « qu’en moyenne, 2500 personnes avaient travaillé directement pendant environ trois ans sur la construction du pipeline » tandis que le ministère des Ressources naturelles affirme que l’exploitation de Trans Mountain devrait occuper environ 440 personnes à temps plein (9).

Les droits des peuples autochtones

Bien évidemment, la présence de communautés autochtones sur le tracé de l’agrandissement de l’oléoduc amène de nombreuses questions quant à la légitimité et la pertinence du projet. Ces questions touchent tant à l’acceptabilité du projet par les communautés autochtones qu’aux droits qu’elles possèdent pour s’y opposer ou négocier son passage sur leurs territoires.       

Pour Jean Leclair, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal (UdeM) et spécialiste en droits des peuples autochtones, les positions autochtones concernant l’agrandissement de Trans Mountain doivent être nuancées. « Les non-autochtones ont tendance à percevoir les Autochtones comme un groupe uniforme, alors qu’en réalité, ces communautés sont divisées quant à la nature du projet, sur les mêmes bases que les communautés non-autochtones », explique-t-il. Bien que la plupart des communautés autochtones présentes sur le tracé de Trans Mountain s’opposent au projet, quelques communautés, comme celle de Whispering Pines/Clinton en Colombie-Britannique, y sont favorables (10). Pour le chef Michael LeBourdais, l’abandon du projet Trans Mountain pourrait mener à une action en justice contre le gouvernement de la Colombie-Britannique, qui serait alors responsable de la perte des 300 000 $ de taxes par année promises par Kinder Morgan (11). Il reste cependant que la majorité des groupes autochtones s’oppose au projet.

Le professeur Leclair mentionne au passage que les perspectives sur le projet divergent d’une communauté à l’autre, selon leur emplacement géographique. Pour les communautés autochtones de la côte pacifique, les possibilités de déversements découlant de l’augmentation du débit de Trans Mountain menacent directement leur mode de vie et leur environnement. Au contraire, les groupes autochtones des Prairies sont plutôt favorables au projet d’agrandissement, notamment pour des raisons économiques. « Il ne faut pas oublier que, dans l’Ouest, le secteur de l’extraction offre les meilleurs emplois pour les Autochtones de ces régions. [Elles et] ils ne sont pas différent[·e·]s de nous, [elles et] ils veulent des emplois, mais pas à n’importe quel prix », souligne le professeur Leclair. Selon Statistique Canada, en 2001, les emplois liés à l’exploitation des ressources naturelles figurent parmi les dix principales professions chez les Autochtones de l’Ouest canadien avec 5,7 % contre 1,4 % des emplois pour les non-autochtones. Ce secteur arrive en quatrième position (12).   

Ce genre d’enjeu met en lumière les droits que possèdent les peuples autochtones pour s’opposer au projet ou pour négocier son passage. Selon le professeur Leclair, « les gouvernements fédéral et provinciaux se doivent de consulter les communautés autochtones si le projet porte atteinte à leurs droits prouvés ou potentiels ». Par droit prouvé, M. Leclair entend les droits qui découlent de traités ou encore de jugements de la cour et qui sont actuellement reconnus. Le droit potentiel quant à lui se distingue du droit prouvé par la possibilité d’être reconnu par la loi, la Constitution ou un jugement de la cour. Ces deux types de droits s’ajoutent  aux droits constitutionnels que possèdent déjà les peuples autochtones.

Avec ces droits, les communautés autochtones qui habitent sur le territoire de l’éventuel agrandissement de l’oléoduc sont en mesure de ralentir le processus, mais pas de l’empêcher. Il faut noter que « le gouvernement du Canada a l’obligation légale de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les peuples autochtones s’il a été établi que des droits de peuples autochtones et des droits issus de traités pourraient être enfreints (13) ». Ainsi, le gouvernement a le devoir de consulter les communautés autochtones, mais n’est pas tenu d’obtenir leur consentement pour aller de l’avant avec ce projet. « Procéder à la construction de Trans Mountain sans consulter les peuples autochtones serait une grave erreur politique de la part du gouvernement Trudeau qui vante les bienfaits de la réconciliation avec les Autochtones », souligne M. Leclair. Néanmoins, si la construction de l’oléoduc est faite sans prendre en compte les droits autochtones, il est tout à fait possible que la Cour suprême ordonne la démolition de certaines structures de l’oléoduc afin de respecter les droits reconnus, d’après le professeur Leclair.

En plus des leviers juridiques que possèdent les peuples autochtones, poursuit M. Leclair, ces derniers possèdent un poids politique non négligeable qu’ils peuvent utiliser pour se défendre devant les gouvernements. « Le coefficient de sympathie des communautés autochtones à l’international est une grande force pour elles. Le Canada est très soucieux de sa réputation internationale », explique-t-il. L’absence de prise en considération des droits et de l’avis des peuples autochtones par le gouvernement canadien pourrait avoir des répercussions par rapport à sa réputation à l’international. À titre d’exemple, on retrouve la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont plusieurs articles soutiennent notamment les droits au territoire (art. 10, 26, 27, 28, 29, 30, 32) (14).   

Trans Moutain : une nouvelle « Crise d’Oka »?         

Depuis le début de la saga entourant l’agrandissement de Trans Mountain, certains médias font circuler l’idée que la poursuite du projet par Kinder Morgan pourrait mener à une grave crise entre les communautés autochtones concernées et le gouvernement du Canada (15). Les communautés autochtones de l’Ouest semblent prêtes à faire valoir leur position, si jamais le gouvernement du Canada se refuse à les écouter. Depuis le dépôt du rapport de l’ONÉ favorisant l’acceptation du projet, plusieurs groupes autochtones font entendre leur opposition à la Cour d’appel fédérale (16).   

Pour le professeur Leclair, il est étonnant qu’il n’y ait pas eu d’autres crises majeures depuis celle d’Oka en 1990. « Longtemps, les Autochtones ont été opprimé[·e·]s. Alors, quand on se met à écouter une minorité, celle-ci devient rapidement plus ambitieuse », dit-il. D’après les dires de M. Leclair, les communautés autochtones sont présentement en pleine croissance et une grande majorité de la population autochtone actuelle est jeune. Faisant référence à une discussion qu’il a eu avec un chef autochtone, M. Leclair ajoute que « les jeunes n’ont plus la patience de leurs ainé[·e·]s. La construction de barrages sans consultation et des conventions comme celles de la Baie-James, [elles et] ils n’en veulent plus ». Le professeur Leclair qualifie ces projets de « seconde conquête ».

À la croisée des chemins

Pour Jean Leclair, il ne fait pas de doute que le Canada, avec le dossier de l’agrandissement de Trans Mountain, fait face à des « choix existentiels ». Aujourd’hui, le gouvernement de Justin Trudeau doit décider quel type de relation il veut développer avec les membres des Premières Nations. Les tentatives de réconciliation entre Autochtones et allochtones n’en sont qu’à leurs balbutiements. Les peuples autochtones possèdent des droits ancestraux qui leur permettent de faire valoir leurs intérêts et leurs choix. À la lumière des propos du professeur Leclair, ils semblent désormais plus décidés que jamais à faire entendre leurs voix.  

L’auteur tient à remercier le professeur Leclair pour sa disponibilité et ses réponses.

Crédit photo: Peg Hunter

(1) La Presse canadienne, « Kinder Morgan annonce la suspension des travaux de Trans Mountain », Le Devoir, 9 avril 2018. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/524754/kinder-morgan-cana…

(2) Radio-Canada, « Justin Trudeau réitère son appui au projet Trans Mountain », Radio-Canada, 10 avril 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1094247/kinder-morgan-trans-mountai…

(3) Sauf indications contraires, les détails du projet proviennent de la plateforme en ligne de Trans Mountain. https://www.transmountain.com/

(4) Anne-Diandra Louarn, « Feu vert de l’Office national de l’énergie pour le pipeline Trans Mountain », Radio-Canada, 19 mai 2016. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/782517/neb-one-pipeline-trans-mount…

(5) Alexandre Shields, « Pipeline Trans Mountain : manque de confiance envers l’ONE pour un projet très controversé », Le Devoir, 3 novembre 2016. https://www.ledevoir.com/societe/environnement/483818/pipeline-trans-mou…

(6) Radio-Canada et La Presse canadienne, « Ottawa dit non à Northern Gateway, mais approuve Trans Mountain », Radio-Canada, 29 novembre 2016. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1002927/trudeau-annonce-projets-ole…

(7) Anne-Diandra Louarn, « Approbation de Trans Mountain : onde de choc et déception en Colombie-Britannique », Radio-Canada, 29 novembre 2019. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1002926/approbation-trans-mountain-…

(8) Radio-Canada, « La Vérif : combien d’emplois seront générés par le pipeline Trans Mountain? », Radio-Canada, 11 avril 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1094403/combien-emplois-genere-pipe…

(9) Ibid.

(10) Sébastien Tanguay et Laurence Martin, « Des chefs autochtones favorables à Trans Mountain », Radio-Canada, 17 avril 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1095501/transmountain-kinder-morgan…

(11) Ibid.

(12) Jacqueline Luffman et Deborah Sussman, « La population active autochtone de  l’Ouest canadien », Statistique Canada, janvier 2007. http://www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/10107/9570-fra.pdf

(13) Gouvernement du Canada, « Sables bitumineux : Peuples autochtones », Ressources Naturelles Canada. http://www.rncan.gc.ca/energie/publications/18737

(14) Nations Unies, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mars 2008. http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf

(15) Bernard Barbeau, « Trans Mountain : une autre crise d’Oka pourrait se dessiner, disent des chefs », Radio-Canada, 13 avril 2018. https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/a-la-une/document/nouvel…

(16) Ibid.

Services secrets et provocation policière : entretien avec Alexandre Popovic

Services secrets et provocation policière : entretien avec Alexandre Popovic

En juillet 2017, Sabotart publiait le livre Produire la menace, Agents provocateurs au service de l’État canadien signé par Alexandre Popovic. Il faut remonter en 1992 pour connaitre les débuts du parcours de ce militant de longue date impliqué notamment dans des groupes de défense des droits, dans la lutte antiraciste, les collectifs anarchistes ou encore le comité des sans-emploi de Montréal-Centre. C’est en 1995 qu’il est réellement confronté aux méthodes policières. Lors d’une manifestation contre un groupe homophobe et anti-avortement, Popovic est arrêté par les forces de l’ordre. Il est détenu pendant cinq jours – privé de ses lunettes par le service de police – avant d’être libéré. On lui intime alors de ne plus manifester. C’est à ce moment que Popovic s’engage dans la mise sur pied du comité qui deviendra le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP). Le groupe cherche à soutenir les gens arrêtés lors de rassemblements ou de manifestations. Pendant les dix années suivant la création du COBP, Popovic sera au front pour faire valoir les droits de ses concitoyen·­ne·­s et tenter d’endiguer les abus policiers.

Dans son livre Produire la menace, Alexandre Popovic revient sur près de 150 ans de provocation et d’actions ambiguës de la part des forces de l’ordre et des services secrets, au Canada et au Québec.

Qu’est-ce que la provocation?

Avant toute chose, il est primordial de comprendre à quoi réfère la notion de provocation, d’agent·e provocateur ou provocatrice. Comme l’explique l’auteur en entrevue avec L’Esprit libre : « Un­[·e] agent­­[·e] provocateur[­·trice], c’est d’abord quelqu’un qui est un informateur[­·trice], qui renseigne les corps policiers sur les activités d’un groupe en particulier. Seulement, un[­·e] agent[­·e] provocateur[­·trice] va plus loin que de simplement donner des renseignements. Il s’agit plutôt d’un rôle actif et non plus d’un rôle passif. Sous la prétention d’être solidaire, l’agent[­·e] provocateur[­·trice] va inciter ses camarades à faire des choses illégales, à se compromettre judiciairement ou politiquement. »

Popovic revient sur un exemple tiré de l’introduction de son livre : en 2009, un an après la mort de Freddy Villanueva, abattu par un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le SPVM tente de faire dérailler une marche pacifique en mémoire du jeune homme. Quelques jours avant l’évènement, un mystérieux « Will J » écrit par courriel aux différents groupes qui organisent la marche pour « organizé kelkechose de fucktop » parce que ses « boyz sont près à faire le war ». Les organisateurs­·trices de l’évènement ne se laisseront pas berner. Rapidement, on découvrira que le véritable nom de « Will J » est en fait James Noël, agent du SPVM sous le matricule 5787. En retraçant l’adresse IP des courriels envoyés par « Will J », on apprend que l’ordinateur utilisé est logé au 2580 boulevard Saint-Joseph Est, soit l’adresse du Centre des communications opérationnelles du SPVM. On retrouve là un exemple parmi tant d’autres de la forme que peut prendre la provocation policière, notamment dans une tentative d’infiltrer un groupe, souvent politique, pour l’amener à se radicaliser.   

Produire la menace

C’est dans la foulée du débat sur le projet de loi loi C-51 du gouvernement Harper en 2015 que Popovic décide d’entamer la rédaction de ce livre (1). Rappelons-le, le projet de loi en question allait changer le statut du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en plus d’élargir la portée de ses pouvoirs. Pour Popovic, il ne s’agit ni plus ni moins « de la légalisation de la provocation ». D’autre part, le militant considère que « la population canadienne de façon générale ne sait pas ce qui se passe avec les services secrets ».

C’est donc dans ce contexte qu’il entame la rédaction des quelque 258 pages qui constitueront son ouvrage sur la provocation par la police et les services secrets canadiens. C’est également pour combler l’absence de données dans ce domaine que Popovic mène cette recherche, qui est d’ailleurs loin d’être chose facile comme en témoignent les nombreuses demandes d’accès à l’information qu’il a dû faire. Ce qui illustre, comme nous le dit l’auteur, qu’« il y a un vide à propos de la provocation au Canada ».

Dans son ouvrage, Popovic remonte aussi loin que la Confédération canadienne pour raconter l’histoire de la provocation. Il aborde d’abord les exactions commises par les agent·e·s des services secrets à l’endroit des Cri·e·s, des Méti·sse·s et des Fenian·e·s. Comme on peut s’y attendre, la provocation policière n’épargnait pas les milieux ouvriers tout comme les regroupements socialistes et, plus particulièrement, communistes au tournant du XXe siècle. Popovic revient ensuite sur les opérations entourant les actions du Front de libération du Québec dans les années 1960 ainsi que lors de la Crise d’octobre de 1970. Il fait état par la suite de la surveillance dont ont été victimes les communautés noires du Canada et du Québec. Élaborant sur les diverses commissions d’enquête sur les activités policières (Macdonald en 1977 et Keable en 1981), l’auteur s’intéresse également au contexte de naissance du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le lectorat pourra aussi comprendre comment les services secrets ont été relativement tolérants à l’endroit de groupes d’extrême-droite prônant la violence dans les années 1990. Finalement, l’ouvrage revient sur la manière dont les agent·e·s du SCRS ont contribué à alimenter les craintes envers la communauté musulmane au tournant des années 2000. L’affaire Joseph Gilles-Brault est au cœur de ce chapitre où un agent du SCRS se révèle être l’auteur d’une série de lettres annonçant des attentats à la bombe dans le réseau de métro montréalais.

L’ouvrage est un véritable voyage, rigoureusement documenté, dans l’histoire méconnue du renseignement et de la provocation au Québec et au Canada.         

Le rôle des médias

Durant notre discussion, Alexandre Popovic est revenu à plusieurs reprises sur le rôle que jouent les médias dans la poursuite de la provocation et des bavures des services secrets et de la police. « Il y a un manque de travail des médias », déplore-t-il. « Souvent, les grands médias vont obtenir un document suite à une demande d’accès à l’information et vont ensuite présenter le tout comme un document confidentiel concernant les services secrets. Mais ces documents représentent ce que les services secrets veulent bien laisser paraitre. »

Ainsi, les médias prétendent diffuser une nouvelle à sensation qui dans les faits n’en est pas une, car chaque citoyen·­ne­ peut obtenir ces mêmes documents en formulant une demande d’accès à l’information. Mais surtout, les documents en question sont bien souvent épurés pour ne laisser paraitre que la version officielle des services secrets. Le militant explique que ces documents sont par la suite relayés dans les journaux et sur internet sans que les journalistes en fassent une analyse critique.  

Comme le souligne Popovic, ce genre de traitement médiatique survient seulement lorsque traitement médiatique il y a. Il donne l’exemple d’un ancien agent du SCRS, Michael Cole, dont le livre Smokescreen: Canadian Security Intelligence After September 11, 2001 est passé relativement inaperçu dans les médias malgré sa critique du système en place.

« Dans le monde d’aujourd’hui, si un État n’a pas de services secrets, un autre État va se charger du renseignement sur son territoire. Cependant, il est du rôle des médias de critiquer et de documenter les bavures, les actions illégales et les débordements dont peuvent faire preuve les services secrets. Ils sont là pour éveiller les gens », explique l’auteur.

Changer les choses

Pour améliorer la gestion des services secrets et éviter les bavures, Popovic indique quelques pistes à suivre : « Il existe déjà des dispositions dans le Code criminel concernant l’écoute électronique. Après 90 jours, les autorités doivent aviser les victimes d’écoute ou de surveillance des activités qui ont eu lieu à leur égard. Il devrait en être de même pour l’infiltration. Au-delà d’un certain laps de temps, les personnes [touchées par] une opération d’infiltration devraient être averties. » L’essentiel selon l’auteur reste d’abord et avant tout la reddition de compte. « Il y a beaucoup d’obscurité dans le monde du renseignement, il faut donc s’assurer que les choses soient transparentes une fois l’opération terminée. »

 Aux citoyen­·ne·­s, Alexandre Popovic adresse quelques conseils simples. « Lorsque les gens sont certains d’être confrontés à de la provocation ou à de l’infiltration, il faut dénoncer et documenter. » D’après l’auteur, il ne faut pas attendre le gouvernement pour voir les choses changer; le changement doit plutôt venir de la base.

Notons qu’à la suite d’une demande d’accès à l’information pour savoir ce que le SCRS pensait de son livre, Alexandre Popovic a été informé qu’il ne pouvait avoir de réponse à ce sujet, car son livre avait faisait l’objet d’une étude du service de lutte aux activités subversives.

Pour plus d’information, voir : Alexandre Popovic, Produire la menace, Agents provocateurs au service de l’État canadien, Montréal, Sabotart, 2017, 258 pages.    

Crédit photo: Yannick Gingras

(1) Le projet de loi C-59 est actuellement discuté devant la Chambre des Communes à Ottawa. Ce projet de loi « propose de mieux baliser certains des articles les plus inquiétants de C-51 ». Pour de plus amples détails sur les enjeux liés à C-59, voir Ligue des Droits et Liberté, « Projet de loi C-59 sur la sécurité nationale : des modifications demandées pour garantir les droits et libertés », en ligne, <http://liguedesdroits.ca/?p=4772>.