Iran : Du pain sur la planche pour le nouveau président Ebrahim Raïssi

Iran : Du pain sur la planche pour le nouveau président Ebrahim Raïssi

Par Arthur Calonne

Le nouveau président iranien, Ebrahim Raïssi, est entré en fonction en août 2021, mettant un terme à la cohabitation entre conservateur et conservatrices et modéré·e·s au sommet de l’État. Pressenti pour être le successeur du Guide suprême, Ali Khamenei, l’hodjatoleslam (rang inférieur à celui d’ayatollah dans la hiérarchie religieuse chiite) de 60 ans a emporté haut la main les élections présidentielles de juin dernier : un scrutin particulièrement boudé par les 59 millions d’Iranien·ne·s appelé·e·s aux urnes, en raison du nombre de candidat·e·s précautionneusement écarté·es par le pouvoir afin de paver la voie à l’ancien chef de l’autorité judiciaire iranienne.

Avec un taux de participation d’à peine 48.78 % (contre 71,04 % en 2017), les élections présidentielles qui ont porté Ebrahim Raïssi au pouvoir ont été les moins populaires depuis l’instauration du régime théocratique en 1979. En cause, la mise à l’écart par le Conseil des gardiens de la Constitution, agissant comme conseil électoral, de plusieurs potentiel·le·s successeur·e·s à Hassan Rohani. Parmi elles et eux, des figures politiques majeures du pays telles que l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad ou encore Ali Larijani, qui a occupé le poste de président du parlement pendant douze années. Ne retenant que 7 candidatures sur 600, le Conseil a effectué un véritable « ménage » qui a permis d’assurer à Raïssi, proche du régime et du Guide suprême qui voit en lui son héritier, de s’imposer sans surprise, qui plus est, au premier tour, avec un score de 61,95 %.

Dans un entretien téléphonique avec L’Esprit libre, le directeur de l’École des affaires publiques et internationales de l’université d’État Virginia Tech, Merhzad Boroujerdi, met le doigt sur le désintérêt croissant du peuple iranien pour les processus électoraux. En effet, les élections législatives de 2020 n’avaient pas non plus mobilisé les électeurs et électrices : « On avait eu le plus bas taux de participation de toute l’histoire des élections parlementaires. Ça dit quelque chose sur le niveau d’insatisfaction de la population vis-à-vis du régime », explique-t-il. Un tel taux de participation remet pour lui en cause la légitimité du futur président, puisqu’en Iran, le certificat de naissance des votant·e·s, leur Shenasnameh, est estampillé lors du vote, ce qui les distingue des abstentionnistes. « Les personnes désireuses d’être employées dans une institution gouvernementale sentent qu’elles ont besoin d’avoir ce coup de tampon (sur leur document). Leur participation aux élections ne devrait pas être lue comme un soutien au régime. »

De nombreux dossiers épineux

L’Iran apparait régulièrement à la une des médias du monde entier dans le cadre des négociations pour un possible retour de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) ou de querelles avec des puissances voisines telles qu’Israël. Parfois, ce sont les activités de ses bras armés à l’étranger, comme le Hezbollah au Liban ou le Hachd al-Chaabi en Irak, qui font parler d’eux. Force est de constater que la République islamique est devenue, avec les années, une puissance mondiale incontournable, qui pèse de tout son poids sur l’échiquier géopolitique, allant jusqu’à donner des maux de tête aux cadors de l’OTAN. Mais si Téhéran investit tant d’efforts dans sa volonté de devenir un acteur majeur et respecté sur la scène internationale, c’est au détriment de la population iranienne qui, au sein de ses frontières, est confrontée à de multiples crises gérées de façon chaotique par le pouvoir.

Avec plus de 87 000 décès, un bilan officiel que même les autorités sous-évaluent, l’Iran est le pays le plus endeuillé par la pandémie de COVID-19 du Moyen-Orient[i]. Le gouvernement est notamment blâmé par le peuple pour sa prise en charge catastrophique de la pandémie de COVID-19 et de la campagne de vaccination. En date du 20 juillet 2021, alors que les autorités, faisant face à une cinquième vague, imposaient aux habitant·e·s de la capitale Téhéran un énième confinement, seul·e·s 2,3 millions d’Iranien·ne·s sur 83 millions avaient été entièrement vacciné·e·s, pour un taux de 2,8 %[ii]. Refusant d’acheter des vaccins aux États-Unis et à l’Europe qui pourraient, selon le guide suprême Ali Khamenei, servir à « contaminer » le pays, l’Iran a décidé de faire confiance aux livraisons de doses de vaccins russes et chinois, trop insuffisantes pour assurer une campagne efficace, et ont misé sur le développement de vaccins locaux. Pour une partie de la population qui se sent prise en otage, ces caprices diplomatiques en situation d’urgence sanitaire ne passent tout simplement pas, d’autant plus que les citoyen·ne·s sont relativement sceptiques quant à l’efficacité des vaccins locaux.

L’Iran éprouve aussi de graves difficultés sur le plan énergétique. « Le pays ressent amplement les changements climatiques », affirme Merhzad Boroujerdi, expliquant que dans beaucoup de régions du pays, la température dépasse par moments les 50°C, entrainant des sécheresses face auxquelles la population se retrouve parfois totalement démunie. « Bien des réservoirs d’eau se sont asséchés à cause d’une mauvaise gestion et de la construction de trop de barrages hydrauliques au fil des années ». La gestion de l’eau potable est un tel désastre que même le gouvernement n’a pas pu cacher sa grande appréhension face aux défis qui attendent le pays qui s’apprête, selon le ministre de l’Énergie Reza Ardakanian, à traverser « l’été (dans le calendrier iranien) le plus sec des cinq dernières décennies. Les inquiétudes ne sont pas récentes : en 2015,

l’ancien ministre de l’Agriculture Isa Kalantari avertissait que plus de la moitié de la population iranienne devrait quitter le pays en raison de la sécheresse. En 2016, il affirmait que la « crise de l’eau » constituait une plus grande menace pour l’Iran que le conflit contre l’Irak de Saddam Hussein[iii]. Le 17 mai 2021, M. Kalantari, qui occupe aujourd’hui le poste de chef du Département de l’Environnement, faisait une autre sortie macabre, évoquant une « guerre de l’eau » qui s’étend d’ores et déjà dans les zones rurales : des conflits entre villages voisins pour l’accès à la ressource.

Un peuple sur les dents

De violentes manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes de la province du Khouzestan, dans le sud-ouest du pays, pour dénoncer une situation gravissime. « Concernant l’agriculture, je dois dire que si la situation continue comme ça, nous en serons bientôt au point où il sera impossible de récolter quoi que ce soit, car il n’y aura plus assez d’eau au Khouzestan. À cause de la pénurie, les rares sources sont devenues trop salées et ont rendu impossible certaines activités agricoles comme l’élevage ou l’entretien des vergers », s’alarme un expert de l’eau en Iran interrogé par France 24[iv]. Dans cette région, peuplée par une grande communauté arabe et où plusieurs villes sont complètement privées d’eau courante, la colère était insurrectionnelle. On pouvait y entendre quotidiennement des slogans appelant à la chute du régime et à la mort du guide suprême, ce qui constitue une relative nouveauté.

« Un retour des manifestations pourrait être le talon d’Achille de Raïssi durant sa présidence », suppose Merhzad Boroujerdi, évoquant le mouvement de contestation majeur qui avait secoué le pays en 2019 et 2020, suite à la hausse des prix des carburants. L’agence Reuters estime, suite à une enquête, que plus de 1500 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre au cours de ces émeutes, alors que les autorités iraniennes ont fait preuve d’une répression féroce et inédite. Les premiers pas du président seront sûrement scrutés de près par l’opposition et une redéfinition des politiques sociales – puisque les conservateurs et conservatrices tiennent maintenant les rênes du pouvoir – pourrait rallumer la mèche au sein des couches populaires. M. Boroujerdi s’inquiète notamment du contraste entre l’ampleur de la tâche qui attend le futur président et son inexpérience politique, lui qui a toujours œuvré dans le secteur judiciaire. « Les gens ont peur d’assister à une sorte de bis repetita de l’ère Ahmadinedjad, où des personnes qui n’avaient aucune expérience réelle ont fait des erreurs stupides », estime le chercheur, qui note, de plus, une faible adhésion du peuple au projet politique hérité de l’ayatollah Khomeini et de sa révolution.

Le spécialiste juge, selon les estimations qu’il a consultées et ses observations personnelles, que le régime ne jouit de l’appui que d’environ 30 % de la population, qui se sent délaissée par la politique expansionniste de ses dirigeant·e·s. Et même s’il observe un durcissement de la position des opposant·e·s politiques, de plus en plus nombreux, il ne considère pas que la République islamique ait à craindre pour sa continuité. « Je n’envisage pas la possibilité que le régime soit menacé parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible », clame le chercheur pour qui l’éventualité d’un vide institutionnel effraie beaucoup de monde en Iran. « Il y a ce danger que personne ne reprenne le flambeau, (…) cette peur de devenir la Libye, ou l’Irak. Il pourrait y avoir des mouvements sécessionnistes du côté des Kurdes, des Arabes, des Turques ; cela pourrait déchirer le pays ».

Raïssi est là pour rester

Il est certain que diriger ce mastodonte du Moyen-Orient ne sera pas une promenade de santé pour Ebrahim Raïssi. En mal de légitimité chez lui comme en Occident, où ses antécédents en matière de violations des droits de la personne[v] ont été condamnés, le conservateur n’aura sur nombre de dossier que peu de marge de manœuvre, et ne sera pour le moment, à l’instar de son prédécesseur, qu’un pantin des Gardiens de la Révolution. Réels détenteurs du pouvoir en Iran depuis plus de 40 ans, ceux-ci devront affronter une crise environnementale imminente afin d’éviter le pire. Pour ressusciter l’économie iranienne, ils devront également parvenir à faire lever les sanctions imposées par la communauté internationale en quittant la liste noire du Groupe d’Action financière (GAFI), où l’Iran figure seul avec la Corée du Nord, et en renégociant l’Accord de Vienne. Président aujourd’hui et potentiellement Guide suprême à la mort de l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de 82 ans, Ebrahim Raïssi incarne en dépit de son impopularité le futur de l’Iran, et aura fort à faire dans les prochaines années pour assurer la prospérité de son pays, mais aussi celle d’un régime théocratique qui pourrait vaciller s’il ne trouve pas des solutions aux problèmes du peuple.

Crédit photo : flickr/photo_RNW

Révision linguistique : Kim Kowtaluk

Révision de fond : Any-Pier Dionne

[1] Noé Pignède, « En Iran, des vaccins « nationaux » contre le Covid-19 », La Croix, 20 Juillet 2021, https://www.la-croix.com/Monde/En-Iran-vaccins-nationaux-contre-Covid-19-2021-07-20-1201167106

[1]« Iran : Une semaine de confinement à Téhéran face à une cinquième vague de COVID-19 », Reuters, 20 Juillet 2021 dans La Tribunehttps://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2EQ1GA/iran-une-semaine-de-confinement-a-teheran-face-a-une-cinquieme-vague-de-covid-19.html

[1] MH/PA, “Kalantari: Water shortage more harmful than Iraq’s war on Iran in 1980s”, Tehran Times, 17 Septembre 2016, https://www.tehrantimes.com/news/406486/Kalantari-Water-shortage-more-harmful-than-Iraq-s-war-on-Iran

[1] « « Nous sommes assoiffés ! » : face à la crise de l’eau en Iran, la police tire à balles réelles », France 24, 20 Juillet 2021, https://observers.france24.com/fr/moyen-orient/20210720-iran-crise-eau-manifestations-khouzestan

[1]  Adina Bresge La Presse Canadienne, « Stephen Harper critique le nouveau président iranien », La Presse, 11 Juillet 2021, https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-07-11/droits-de-la-personne/stephen-harper-critique-le-nouveau-president-iranien.php

Pandémie, pastéis de nata et populisme : quelle communication de crise pour le gouvernement Legault?

Pandémie, pastéis de nata et populisme : quelle communication de crise pour le gouvernement Legault?

Un récent sondage de la firme Léger prêtait 40 % des intentions de vote à la Coalition avenir Québec (CAQ)1, et ce, malgré l’épuisement de la population face aux mesures de confinement et l’impasse économique dans laquelle la crise sanitaire a projeté la province. Une telle popularité s’explique-t-elle par le désir de stabilité politique qu’a engendré la crise ou est-ce plutôt le fruit de « la plus vaste campagne de communication jamais répertoriée dans l’histoire du Québec »2, comme l’a annoncé le gouvernement? À un an près du début de la pandémie, attardons-nous sur les communications de la CAQ et de son chef, le premier ministre François Legault. 

« C’est une crise qui n’est pas comme la crise du verglas qui a duré un mois, un mois et demi et après on est revenus à la normale », souligne Isabelle Gusse, professeure en communication politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « C’est une crise pour laquelle on n’a pas réellement de repères sur sa finalité […] et donc c’est quasiment une communication en état de crise permanente, puisque la crise ne s’essouffle pas, ce qui est aussi nouveau que la pandémie », conclut-elle en riant. 

Un rire jaune, sans doute. Au moment de l’entrevue, le Québec enregistre plus de 2 500 nouveaux cas positifs à la COVID-19, pour un total de 220 518 personnes infectées3. Ce n’est pas faute d’avoir mené une bonne campagne de communication, selon Mme Gusse, qui souligne cependant que la deuxième vague a plus difficilement été appréhendée. « Est-ce que c’est la faute du gouvernement? », s’interroge-t-elle, invoquant la lassitude des gens et le scepticisme de certain∙e∙s face au virus ou à son vaccin. 

Selon les spécialistes, les efforts de communication du gouvernement ont en effet été « globalement réussis »4. Même si l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) insiste, dans un document officiel, sur le fait qu’une bonne stratégie communicationnelle permette de contrer la désinformation et les théories conspirationnistes qui circulent en abondance sur les réseaux sociaux5, la Belle Province n’est pas à l’abri du phénomène. À l’été 2020, l’ INSPQ révélait que près du quart des Québécois∙e∙s croient que le coronavirus a été créé en laboratoire, des chiffres qui grimpent à 28 % dans les rangs des travailleur∙euse∙s de la santé. On peut alors se demander si les fausses nouvelles sont alimentées par les tendances et les failles du discours caquiste, assez fréquemment taxé de populisme6

« Le boss en ce moment, c’est le virus » 

« […] La communication, en donnant sens aux évènements, a un effet considérable sur le niveau de sécurité (ou d’insécurité) d’une société. C’est là le premier des grands paradoxes des crises sanitaires : le succès des efforts des systèmes de santé pour traiter la maladie est dépendant en partie d’impératifs communicationnels, complètement étranges à la sphère médicale. Sans la communication efficace des mesures en place, sans la confiance des populations envers les autorités — construite essentiellement par le discours —, le meilleur système de santé de la planète risque d’échouer », met en garde Olivier Turbide dans un article pour Policy Options7

Le professeur en communication politique à l’UQAM souligne également le dilemme auquel sont confrontées les politiques qui, face aux impératifs de la crise, doivent concilier la vitesse à laquelle les informations évoluent et la rapidité à laquelle doivent être prises les décisions, tout en assurant la fiabilité des informations sur la base desquelles sont prises les mesures gouvernementales8

Mme Gusse rappelle à L’Esprit libre qu’il y a eu des ratés dans la communication des directives. À titre d’exemple, elle cite la recommandation du docteur Horacio Arruda, au début de la pandémie, d’éviter le port du masque : « quand tu as une pandémie, tu ne dis pas aux gens de ne pas porter de masque pour leur dire un mois et demi plus tard qu’il faut le porter, parce que là les gens ils ont capté, en période de crise, que c’était inutile » et prennent donc plus difficilement les consignes contradictoires au sérieux. Ce genre de « cafouillages », souligne-t-elle, témoigne d’une certaine confusion au sein du gouvernement au sujet des informations à divulguer… ou de celles à taire, lorsqu’elles ne sont pas encore confirmées. 

« C’était quasiment impossible de ne pas avoir un certain niveau de confusion », juge quant à lui Frédéric Boily, professeur de science politique à l’Université d’Alberta et auteur de plusieurs livres sur la CAQ et sur les politiques québécoise et canadienne, qui croit que le manque de clarté vaut bien la rapidité d’action qui peut en être gagnée. Selon lui, l’erreur principale du gouvernement provincial a été d’accumuler les fausses promesses. Invoquant une déclaration du premier ministre qui, en avril 2020, a déclaré que « les jours meilleurs s’en viennent »9, M. Boily dit comprendre « que dans un discours politique, un premier ministre doit annoncer que des choses meilleures vont arriver, mais il ne faut surtout pas les annoncer trop rapidement, et ça a été une erreur de mon point de vue du côté du gouvernement du Québec ». Lors de sa conférence de presse pour les enfants, François Legault a promis à ses interlocuteur∙trice∙s qu’ils·elles allaient revoir leurs « ami∙e∙s » dès le 11 janvier 202110, quelques semaines avant d’annoncer la fermeture des écoles et d’autres mesures restrictives11

Sous des apparences de contrôle, M. Legault et son équipe sont soumis, comme tout le monde, aux aléas du virus, les mesures étant prises en fonction de sa progression ou de sa régression. Le tout est emballé d’une bonne dose d’humour et de légèreté, notamment incarnée par la figure sympathique du docteur Arruda12 et de ses pastéis de nata. Qu’est-ce les tartelettes portugaises et la présence du père Noël en conférence de presse aux côtés de François Legault nous disent sur la stratégie communicationnelle du gouvernement? Tout en étant efficace, risque-t-elle de verser dans le populisme et dans la démagogie? 

Populaires ou populistes? 

Même s’il fait souvent la une des journaux et se balade sur toutes les lèvres, le populisme est un phénomène difficile à cerner. Interrogé par L’Esprit libre, Frédéric Boily explique que son association à la droite s’est faite à cause de Donald Trump, devenu figure emblématique du populisme, mais qu’il s’agit d’une erreur. « C’est un style politique qui peut se greffer à toutes les idéologies », soutient-il, un style politique dont les différentes caractéristiques n’adviennent pas toujours simultanément. Parmi ces caractéristiques, une conception du peuple comme unité absolue, le refus du désaccord et l’absence de médiations au sein du peuple et dans le discours public, pour n’en citer que quelques-unes. 

Entre le 12 mars et le 22 décembre 2020, le premier ministre a participé à 115 points de presse. « Cette relation directe entre leader et peuple à travers une émission quotidienne est une caractéristique des néo-populismes, ce qu’on appelle les télépopulismes », nous renseigne Ricardo Penafiel, professeur à l’UQAM et spécialiste de la politique et des populismes latino-américains. En donnant l’exemple de l’émission Aló presidente de l’ex-dirigeant vénézuélien Hugo Chávez, il affirme cependant être mal à l’aise avec le parallèle entre les pratiques du gouvernement Legault et le populisme. « La caractéristique principale du populisme est d’être anti-establishment et en ce sens-là, la CAQ n’a jamais été anti-establishment », rappelle-t-il, insistant sur le fait que même lorsqu’il était dans l’opposition, le parti était une création de l’establishment. 

Une étude menée avant la pandémie auprès de 56 universitaires et 40 expert∙e∙s des médias confirme cette assertion13. La CAQ n’est pas perçue comme antiélitiste par les expert∙e∙s interrogé∙e∙s, mais souscrit cependant à l’autre aspect du populisme observé, soit le fait de tenir un discours axé sur le peuple à des fins électoralistes (people centrism)14. À ce sujet, M. Penafiel explique que le projet de loi 21 sur la laïcité s’est inscrit dans une démarche visant à satisfaire une partie de l’électorat québécois, même s’il allait à l’encontre des chartes des droits et libertés québécoise et canadienne. Une inquiétude corroborée par Mike Medeiros et Jean-Philippe Gauvin : 

« Même si le gouvernement Legault ne propose pas de mécanismes de démocratie directe, il semble souvent ignorer l’aspect délibératif de la démocratie représentative. En effet, il a proposé en quelques mois des projets de loi qui pourraient avoir des conséquences importantes pour la démocratie délibérative. S’il est normal pour un nouveau gouvernement de chercher à se démarquer de son prédécesseur, certaines propositions semblent tout de même s’inspirer davantage du populisme que de la délibération. Par exemple, justifier un projet de loi avec des sondages selon lesquels la majorité des Québécois le soutiennent, c’est revenir essentiellement aux bases populistes de la démocratie directe […]. »15 

« Si on regarde le mot populisme étymologiquement, c’est un système fondé sur le peuple et ça, ce n’est rien d’autre que la démocratie », nuance M. Penafiel. Pour M. Boily, le populisme était plus présent dans le discours caquiste en 2012 et en 2014 que depuis le début de la pandémie, « précisément parce que le populisme servait à la CAQ comme moyen de se distinguer des deux grands partis à ce moment-là (à savoir le PLQ et le PQ) et le populisme est souvent un instrument qui va permettre à un parti politique de troisième ou quatrième position […] de se faire une place au soleil ». 

Maintenant que le parti s’est bel et bien taillé une place, ce ne sont pas les accents populistes du gouvernement qui inquiètent les spécialistes. « Ce qui m’a frappé, ça a été le ton paternaliste de François Legault […], ce ton du bon père qui parle à son peuple, mais qui en même temps n’est pas dans une relation trop verticale », commente M. Boily, pour qui la place donnée aux autres membres du gouvernement dans les communications gouvernementales a contribué à « casser » la verticalité que peut induire au discours la formule des conférences de presse. Isabelle Gusse souligne quant à elle l’emploi de vocabulaire du registre du sacré (les travailleur∙euse∙s de la santé désigné∙e∙s « anges gardien∙ne∙s ») et de la guerre, parfois déplacé : « dans les sociétés démocrates libérales, les gens ont continué de manger, ils ont continué d’avoir un toit, ils avaient la possibilité, même chez eux, d’être dans une chambre à part si quelqu’un était malade », affirme-t-elle, précisant que, même au Québec, la situation n’est pas toujours aussi rose pour les personnes les plus précaires. 

Le vocabulaire guerrier, d’abord introduit par le Président français Emmanuel Macron, a été récupéré par les politiques et les médias d’ici. « Les commodités que nous avons face à la COVID font en sorte que parler de guerre, c’est un peu indécent parce qu’il y a, dans nos sociétés, des infrastructures médicales et gouvernementales pour prendre soin des gens », poursuit Mme Gusse. 

Avec des investissements mensuels de 13 millions de dollars en placements publicitaires, la stratégie communicationnelle d Québec est loin de faire face à une pénurie. En dépit des quelques bavures, elle ne semble pas non plus avoir été contaminée par la vague de populisme qui fait rage chez nos voisins du Sud et ailleurs16

Marco Bélair-Cirino et Marie-Michèle Sioui, « La méthode Legault séduit toujours après deux ans de gouvernement caquiste », Le Devoir, 3 octobre 2020. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/587174/deux-ans-de-gouvernement-caquiste-la-methode-legault-seduit-toujours.  

Guillaume Bourgault-Côté, « François Legault, 115 points de presse plus tard », Le Devoir, 22 décembre 2020. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/592154/legault-115-points-de-presse-plus-tard.  

Gouvernement du Québec, « Données sur la COVID-19 au Québec », 6 janvier 2021. https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec/.  

Guillaume Bourgault-Côté, op. cit.  

5 Institut national de la santé publique du Québec, « COVID-19 : Stratégies de communication pur soutenir la promotion et le maintien des comportements désirés dans le contexte de la pandémie », 23 novembre 2020 (dernières modifications). https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/covid/3026-strategies-communication-promotion-comportements-covid19.pdf.  

Mike Medeiros et Jean-Philipe Gauvin, « La CAQ et le risque du populisme », Policy Options, 6 mars 2019. https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/march-2019/la-caq-et-le-risque-du-populisme/.  

Olivier Turbide, « L’image publique comme outil de lutte contre la COVID-19 », Policy Options, 24 mars 2020. https://policyoptions.irpp.org/magazines/march-2020/limage-publique-comme-outil-de-la-lutte-contre-la-covid-19/.  

Ibid.  

9 Jérôme Labbé, « Legault n’exclut pas de rouvrir les écoles et les garderies avant le 4 mai », Radio-Canada, 10 avril 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1692850/coronavirus-covid-19-malades-hopitaux-chsld-residence-personnes-agees.  

10 Matthieu Paquette, « Le père Noel reconnue comme service prioritaire, dit Legault », La Presse, 20 décembre 2020. https://www.lapresse.ca/noel/2020-12-20/le-pere-noel-reconnu-comme-service-prioritaire-dit-legault.php.  

11 Henri Ouellette-Vézina, « Le gouvernement Legault annonce un nouveau confinement », La Presse, 6 janvier 2021. https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-01-06/couvre-feu/des-amendes-salees-aux-contrevenants.php.   

12 Franca G. Mignacca, « Dr. Horacio Arruda is a media star. What’s making him so popular? », CBC, 21 mars 2020. https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/horacio-arruda-quebec-public-health-1.5505624.  

13 Mike Medeiros et Jean-Philippe Gauvin, op.cit.  

14 Ibid.  

15 Ibid.

16 Guillaume Bourgault-Côté, op.cit. 

Trajectoires et détours migratoires à l’heure de la COVID-19

Trajectoires et détours migratoires à l’heure de la COVID-19

Par Adèle Surprenant

Le 9 septembre 2020, un incendie a ravagé Moria, le plus grand camp de migrant.e.s d’Europe situé sur l’île grecque de Lesbos1. Un évènement qui survient quelques semaines avant l’annonce d’un nouveau Pacte sur les migrations et l’asile par la Commission européenne et alors que les impacts de la pandémie de Covid-19 sur les mouvements migratoires continuent à se faire sentir à l’échelle planétaire. 

C’est poussé.e.s par les flammes que les 12 000 habitant.e.s de Moria ont été contraint.e.s de mettre fin à six mois de confinement et reprendre la route, début septembre, alors que partait en fumée la quasi-totalité du camp, initialement conçu pour héberger un maximum de 3 000 personnes. En mars 2019, le camp et ses infrastructures bancales avaient accueilli jusqu’à 22 000 migrant.e.s, devenant un symbole de l’échec de l’Union européenne (UE) dans la gestion des flux migratoires en Méditerranée.

La source de cet échec se loge, pour certain.e.s, dans le Règlement de Dublin, qui prévoit notamment que la responsabilité envers la personne demandant l’asile dans l’espace Schengen revient au premier pays d’entrée, que cette entrée soit régulière ou non2. Par conséquent, ce sont les pays du sud de l’Europe comme la Grèce, l’Espagne, l’Italie et Malte sur qui repose en grande partie une charge migratoire qu’ils peinent à assumer, faute de moyens économiques et de solidarité de la part des États membres plus favorisés. 

Le Pacte sur les migrations et l’asile dévoilé le 23 septembre tend d’ailleurs à rendre obligatoire le principe de solidarité censé répartir la pression migratoire plus équitablement entre les États de l’UE. Il prévoit un assouplissement des mesures induites par le Règlement de Dublin et un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen afin de filtrer plus rapidement les demandeur.se.s d’asiles susceptibles de voir leurs demandes reçues positivement3.  Surtout, le Pacte inclut la contribution de chaque État membre à l’accueil, la prise en charge matérielle ou la déportation des migrant.e.s, en fonction de leur population et de leurs poids économiques dans l’UE4. Suite à l’échec de l’imposition des quotas de répartitions des nouveaux arrivants entre les États membres lors de la crise migratoire de 2015, Bruxelles tente désormais d’assurer une contribution financière minimale de la part de tous. Les paramètres de cette contribution restent à être déterminés.

« Le Pacte met tout sur les frontières et rien sur ces personnes, qui sont des humains avant d’être des migrant.e.s », réagit la professeure et géographe à l’Université de Montréal (UdeM) Luna Vives, pour qui les annonces récentes de Bruxelles sont loin d’être suffisantes pour répondre aux besoins en matière de migration et reconduit l’approche répressive de l’UE sur les questions migratoires. Par exemple, en 2019, déjà 53 000 étranger.ère.s étaient placé.e.s en rétention en France uniquement, 23% de plus que l’année précédente5.

Selon le New York Times, reste à voir comment la proposition « va survivre au processus d’approbation labyrinthique (de la Commission européenne) et, le cas échéant, comment (s)es failles vont être comblées6 ». Six mois après le début de la pandémie de Covid-19, rien n’est moins sûr. 

Migrations et répressions 

« Les choses ont changé et n’ont pas changés à la fois », commente Mme Vives en référence à la pandémie, ajoutant que « les raisons pour lesquelles les migrant.e.s doivent quitter leur pays d’origines sont encore là, sinon encore plus prégnantes », qu’elles soient économiques ou liées à des violences politiques et sociales. Même si le temps a pour certain.e.s semblé s’arrêter durant le confinement, la crise sanitaire mondiale « n’a pas mis fin aux conflits, aux régimes autoritaires, aux féminicides, à la persécution des militant.e.s des droits humains, des minorités religieuses et sexuelles7 », fragilisant au contraire la situation des populations les plus précaires8

« Ce qui n’a pas changé non plus, continue Mme Vives, est le manque d’engagement de l’UE et de ses États membres à la volonté de se plier aux engagements qu’ils ont pris ». À commencer par la Convention relative aux droits des réfugiés de 1951, contraignant les pays signataires à accepter sur son territoire toute personne demandant l’asile – après évaluation de cette demande. 

Au nom de la sécurité nationale, mise en cause par la crise sanitaire d’après plusieurs gouvernant.e.s européen.ne.s, les engagements internationaux relatifs aux droits des personnes migrantes ont été écartés : de la fermeture des frontières extérieures de l’UE en date du 17 mars 2019 à la suspension des services d’asile en Espagne, en Italie, en Hongrie et ailleurs9, « la pandémie a donné  [aux gouvernements] un prétexte pour proposer des réformes politiques qui étaient impensables il y a quelques mois », d’après Mme Vives. En référence au Pacte sur la migration et l’asile, la spécialiste des contrôles frontaliers en Europe et au Canada soutient qu’ « il y a une idée selon laquelle une situation exceptionnelle nécessite des mesures exceptionnelles, mais malheureusement, les mesures prises et proposées s’inscrivent dans une continuation de l’attaque contre ceux qui sont déjà à risques, déjà vulnérables, donc les personnes racisés ou fuyant des situations de pauvreté ou de violence ».

La précarisation des migrant.e.s n’est donc ni une nouveauté, ni le seul phénomène à connaître une accélération dû à la pandémie de Covid-19. Pour les 270 millions de migrant.e.s internationaux recensé.e.s par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2019, incluant plus de 610 000 demandeur.se.s d’asile en Europe exclusivement10, les perspectives migratoires ont été infléchies par les mesures sanitaires et sécuritaires imposées par les gouvernements depuis mars dernier. 

« Par le passé, la vaste majorité des personnes qui entraient en UE d’Afrique ou du Moyen-Orient le faisaient par avion avec un visa, un document de voyage. Ceux qui arrivaient par la terre ou la mer étaient une fraction minime du total [des migrants, NDLR]. Mais maintenant que les bureaux de visas sont fermés et que les procédures sont beaucoup plus longues, ce qu’il risque d’arriver est qu[e le pourcentage] de personnes qui tentent d’entrer l’espace Schengen illégalement va augmenter », d’après Luna Vives, pour qui l’avenir des migrations en Europe ne présage rien de beau. En répondant aux vagues migratoires avec les outils propres aux gouvernements européens et nord-américains – soit la militarisation, l’externalisation11, la détention et la déportation -, les migrant.e.s sont de plus en plus dirigés vers des trajets risqués12.

Alors même que le nombre de demandes d’asiles déposées en Europe est revenu à celui d’avant la « crise migratoire » de 2015, « on est restés dans ce narratif et dans cet imaginaire de crise », commente le chercheur et spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement François Gemenne, en entrevue à France Culture13. Un imaginaire nourri au racisme et à la xénophobie,  alimentés à leur tour par l’instrumentalisation politique de la pandémie.

Horizons, frontières et limites

D’après Jagan Chapagain, secrétaire général de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), l’inégalité dans les traitements et dans l’accessibilité au futur vaccin pourrait d’ailleurs pousser certain.e.s habitant.e.s du Sud global à migrer, malgré les promesses de l’Organisation mondiale de la santé qui assure un accès « universel, rapide et équitable » à la vaccination14.

Une fuite massive des cerveaux (ou « brain drain ») pourrait également être à craindre dans les pays du Sud global, particulièrement en ce qui concerne les professions médicales : aux États-Unis, plus du quart des médecins pratiquant.e.s sont formés à l’étranger, des chiffres qui s’élèvent à 40% en Irlande15

À moyen-long terme, la pandémie de Covid-19 risque aussi d’avoir des effets catastrophiques sur la situation économique des pays d’origine des migrant.e.s, puisque l’appauvrissement général des migrant.e.s en territoire d’accueil dû au « ralentissement » de l’économie mondiale, entraîne la baisse des envois de fonds vers leurs proches restés au pays. La Banque Mondiale prévoyait, fin avril, une chute de 20% des remises migratoires en 2020, alors que ces remises constituaient, l’an dernier, jusqu’à 37,1% du Produit intérieur brute (PIB) haïtien, 34,4% du PIB au Soudan du Sud et 29,2% au Kirghizistan16

En plus du resserrement des politiques migratoires, la croissance économique atone qui plombe l’Europe depuis plus de six mois risque de rebuter les personnes souhaitant migrer afin d’améliorer leur situation matérielle et celle de leurs proches17. De la même manière, les pays d’Europe occidentale qui dépendaient de la main d’œuvre migrante temporaire dans les secteurs essentiels, comme l’agriculture ou la santé, seront contraints de repenser l’organisation du travail à l’échelle nationale. 

Une remise en cause globale de la mobilité et du travail qui n’est pas la même pour tous.te.s. Certain.e.s entrepreneur.se.s ont profitées de la Covid-19 et de la popularisation du télétravail pour se lancer en affaires. C’est le cas de Yacine Bakouche et de l’agence Best Of Tours (BOT), qui a décidé d’investir dans le teletravel (« télévoyage », en français). Le concept : proposer aux télétravailleur.se.s de partir à l’étranger pour des périodes de 6 à 12 semaines tout en poursuivant leurs activités professionnelles et en « découvr(ant) en même temps une région, un pays, une culture, non pas au pas de course mais en prenant le temps de comprendre un mode de vie, une langue et des coutumes », soutient le directeur général de la BOT18

Dans une vidéo de promotion vantant les avantages du teletravel, la voix suave d’une actrice assure à l’auditeur.trice que « c’est maintenant que commence le vrai voyage », alors que défile les paysages de rêve. En bas d’une illustration de valise pleine à craquer, on peut lire : « n’attendez-pas d’être en vacances pour voyager » . 

La pandémie de Covid-19 a certes agit d’incubateur pour des innovations comme celles-ci. Pour François Gemenne, en l’occurence, certaines choses resteront les mêmes : « de la même manière que Moria existe parce que Moria est à 9 km des côtes turques, rappelle-t-il à l’antenne deFrance Culture, Calais existera toujours en tant que point de départ des migrants tant que Calais restera situé à 35 km des côtes anglaises » .

Farsi, Sepideh. 22 septembre 2020. « À Lesbos, le désespoir des migrants après l’incendie du camp de Moria » dans Médiapart. [En ligne]. https://www.mediapart.fr/journal/international/220920/lesbos-le-desespoir-des-migrants-apres-l-incendie-du-camp-de-moria?onglet=full (page consultée le 24 septembre 2020) 

Néraudau, Emmanuelle. « Qu’est-ce que le règlement Dublin? » dans Migrations en questions. [En ligne]. https://www.migrationsenquestions.fr/question_reponse/667-quest-ce-que-le-reglement-dublin/ (page consultée le 26 septembre 2020)

France 24. 23 septembre 2020. Bruxelles a dévoilé sa nouvelle réforme de la politique migratoire. [En ligne]. https://www.france24.com/fr/20200923-bruxelles-d%C3%A9voile-sa-nouvelle-r%C3%A9forme-de-la-politique-migratoire (page consultée le 23 septembre 2020)

Stevis-Gridness, Matina. 23 septembre 2020. « E.U. Offers Cash and More Deportations in New Plans for Migrants » dans The New York Times. [En ligne]. https://www.nytimes.com/2020/09/23/world/europe/eu-migrants-asylum-deportation.html (page consultée le 24 septembre 2020)

Brahim, Nejma. 22 septembre 2020. « Les étrangers toujours plus nombreux enfermés en rétention » dans Médiapart. [En ligne]. https://www.mediapart.fr/journal/france/220920/les-etrangers-toujours-plus-nombreux-enfermes-en-retention (page consultée le 26 septembre 2020)

Stevis-Gridness, op.cit.

7 Bruel-Courville, Jacob. Canada : l’asile et la gestion des frontières au temps de la Covid-19. [En ligne]. https://dynamiques-migratoires.chaire.ulaval.ca/migration-et-covid-19/3-10-canada/ (page consultée le 23 septembre 2020)

D’après le Programme alimentaire mondial de l’ONU, plus de 265 millions de personnes pourraient connaître des limitations alimentaires à la fin de 2020, ce qui représente 130 millions de personnes supplémentaires à ce qui était prévu en 2019. Poletaev, Dmitry. 23 mai 2020. « What Effect Will the Coronavirus Pandemic Have on Migration Issues? » Dans Modern Diplomacy. [En ligne]. https://moderndiplomacy.eu/2020/05/23/what-effect-will-the-coronavirus-pandemic-have-on-migration-issues/ (23 septembre 2020)

Bloj, Ramona, Olivier Lenoir et Elena Maximin. 11 mai 2020. « Carthographier, comprendre les migrations au temps du Covid-19 : 10 points » dans Le Grand Continent. [En ligne]. https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/11/10-migration-covid-19/ (page consultée le 24 septembre 2020. 

10 Bloj, Ramona, Olivier Lenoir et Elena Maximin, op.cit.

11 L’externalisation est ici entendue comme le fait, pour les pays occidentaux, de rémunérer les pays du Sud global, à la fois pays d’origines et de transits des migrants, pour qu’ils acceptent la responsabilité d’arrêter les mouvements migratoires avant qu’ils pénètrent les frontières européennes, nord-américaines ou encore australiennes. On pense par exemple à la Turquie et la Lybie pour l’Europe ou au Guatemala et au Salvador pour les États-Unis. Ces pays ”manquent de volonté politique ou de ressources pour respecter les droits humains, les droits des migrants et des enfants”, d’après Luna Vives. 

12 Selon l’Organisation mondiale pour la migration (OMM), le taux de mortalité chez les migrant.e.s traversant la Méditerranée centrale est passée de 2,6% en 2017 à 3,5% en 2018, pour atteindre les 10% en avril 2019. Bloj, Ramona, Olivier Lenoir et Elena Maximin, op.cit

13 Erner, Guillaume. 11 septembre 2020. « Les migrations au carrefour des crises » dans L’invité(e) des matins de France Culture. [En ligne]. https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/les-migrations-au-carrefour-des-crises (page consultée le 25 septembre 2020)

 14 Larson, Nina. 24 juillet 2020. « La pandémie pourrait entraîner des migrations « massives », selon la Croix-Rouge » dans La Tribune. [En ligne].  https://www.latribune.fr/economie/international/la-pandemie-pourrait-entrainer-des-migrations-massives-selon-la-croix-rouge-853508.html (page consultée le 24 septembre 2020)

15 Bloj, Ramona, Olivier Lenoir et Elena Maximin, op.cit.

16 Bloj, Ramona, Olivier Lenoir et Elena Maximin, op.cit.

17 Bloj, Ramona, Olivier Lenoir et Elena Maximin,op.cit.

18 Borio, Anaïs. 22 juillet 2020. « Télétravail à l’étranger : Best Of Tours investit dans le ”teletravel” » dans DMC Mag[En ligne]. https://www.tourmag.com/Teletravail-a-l-etranger-Best-Of-Tours-investit-dans-le-Teletravel_a104629.html (page consultée le 29 septembre 2020)

19 Best of Tours. 8 juillet 2020. « Best Of Tour invente le Teletravel! » dans Youtube. [En ligne]. https://www.youtube.com/watch?v=Qv-Kx-fVmfE&feature=youtu.be (page consultée le 29 septembre 2020) 

20 Erner, op.cit

La politique comme continuation du soin par d’autres moyens. Jacinda Ardern, Trump, Bolsonaro et l’OMS

La politique comme continuation du soin par d’autres moyens. Jacinda Ardern, Trump, Bolsonaro et l’OMS

Cet article est publié dans le numéro 85 de nos partenaires, la Revue À bâbord. Un texte de Alexandre Klein, Université d’Ottawa. 

La menace a été mise à exécution. Après avoir annoncé à la fin du mois de mai que les États-Unis cesseraient toute relation avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Donald Trump a confirmé au début du mois de juillet l’arrêt total de la collaboration de son pays avec l’agence onusienne.

Ce retrait des États-Unis et de leur financement annuel de plus de 550 millions de dollars sur un budget total d’environ 4,8 milliards de dollars marque un coup dur pour l’institution dont le déclin était déjà sensible depuis plusieurs années. Mais il témoigne surtout de la « stratégie » géopolitique « disruptive » du président américain qui trouve son champ d’exercice dans des espaces inhabituels, pour ne pas dire inattendus, dont Twitter reste l’exemple paradigmatique.

Géopolitique du virus

En attaquant l’OMS, Trump vise en effet tant une organisation qui critique sa gestion catastrophique de la pandémie que son rival chinois avec lequel il est en « guerre », notamment commerciale, depuis le début de son mandat. Les deux dimensions sont d’ailleurs intimement reliées puisqu’aux yeux de Trump, l’OMS aurait été trop indulgente à l’égard de la Chine, d’où est parti le Sars-CoV-2 – ce « virus chinois » comme il le nomme – à l’origine de la pandémie qui a paralysé la planète au cours du printemps. L’opposition de Trump à l’OMS s’inscrit donc avant tout dans une politique internationale de déstabilisation du multilatéralisme et une stratégie nationale, qui en est le pendant, de valorisation d’un nationalisme à tendance isolationniste. C’est d’ailleurs parce qu’il défend ces mêmes valeurs que le président brésilien Jair Bolsonaro s’est empressé d’imiter son homologue états-unien en annonçant lui aussi le retrait de son pays de l’organisation onusienne (sans toutefois être passé à l’acte à l’heure où j’écris ces lignes). Mais il semble que cette guerre contre l’OMS engagée par certaines grandes puissances témoigne plus profondément d’un rapport particulier à la santé, un rapport d’ordre militaire et guerrier qui montre aujourd’hui ses limites.

On l’ignore souvent, mais la naissance de l’OMS marquait un tournant dans la compréhension que les pays occidentaux se faisaient de la santé. L’organisation fondait en effet sa raison d’être et son action sur une toute nouvelle définition présentée dans le préambule de sa constitution adoptée à New York en juillet 1946 : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité 1». En ouvrant ainsi la santé à des considérations psychologiques, sociales et même politiques, l’OMS rompait avec un discours médical moderne qui l’avait réduite, à mesure de son développement scientifique, à une simple absence de maladie. La santé n’est pas uniquement le résultat physiologique de la lutte que le médecin engage contre la pathologie, elle implique aussi et surtout un vécu, un ressenti et diverses dimensions qui mettent l’accent sur la qualité de vie des personnes. Ce retournement conceptuel n’est pas sans conséquences pratiques : ainsi envisagée, la santé devient moins le résultat d’une guerre contre un virus, une malformation ou un dysfonctionnement physiologique, que le produit d’un souci, d’une attention à soi et à autrui, bref d’une forme de soin (au sens pluriel du care).

La guerre ou le soin

Dès lors, on ne s’étonnera guère de voir que les pays qui fustigent l’OMS sont aussi ceux qui ont tenu un discours particulièrement guerrier face à la COVID-19 (Trump comparant la pandémie à Pearl Harbor, tandis que Bolsonaro appelait son peuple à « affronter » ce virus « la tête haute »). On note d’ailleurs, plus largement, une apparente corrélation entre les pays qui ont mis de l’avant un discours guerrier (et avec lui un nationalisme affiché) et les pays où la pandémie a fait le plus de ravages. C’est le cas de la France dont le président Emmanuel Macron a appelé à la « mobilisation » générale en déclarant « Nous sommes en guerre », mais aussi de la Grande-Bretagne dont le secrétaire à la santé a parlé d’une « guerre contre un tueur invisible », ou encore de l’Espagne dont le chef du gouvernement Pedro Sanchez a annoncé son intention de « gagner la guerre ». François Legault a lui aussi parlé de la pandémie comme de « la plus grande bataille de notre vie ». La chose n’est ni neuve ni surprenante. La métaphore guerrière habite la pensée médicale moderne. L’écrivaine Susan Sontag s’en était d’ailleurs déjà magnifiquement indignée dans son ouvrage de 1978 Illness as Metaphor. Ce qui est plus intéressant ici, c’est de constater l’existence d’une corrélation inverse : les pays avec le moins de cas de contamination ont pour beaucoup tenu un discours différent, plus axé sur le soin que sur la guerre.

La première ministre islandaise Katrín Jakobsdóttir a ainsi rappelé, dès le début de la pandémie, l’importance de mettre son égo politique de côté, de faire preuve d’humilité et d’écouter la science. La chancelière allemande Angela Merkel en a, elle, appelé à la « solidarité commune », tandis que le président Frank-Walter Steinmeier prenait explicitement le contre-pied de ses voisins en affirmant que cette pandémie n’était « pas une guerre », mais « un test de notre humanité ». En Norvège, la première ministre Erna Solberg a pris le temps de répondre aux interrogations et angoisses des plus jeunes au cours d’une conférence de presse spécialement dédiée aux enfants. Certes, ces pays se sont aussi démarqués par la mise en place rapide et massive de mesures de dépistage et de suivi de cas. Mais reste que le ton et le style de gouvernance semblent avoir aussi fait la différence (d’autant que cette approche empathique a pu favoriser la mise en place de larges campagnes de tests plutôt qu’une recherche, par exemple, d’un vaccin à tout prix). L’exemple de Jacinda Ardern, la première ministre travailliste de la Nouvelle-Zélande, est paradigmatique de ce « style de leadership empathique », pour reprendre les mots de Uri Friedman dans The Atlantic2, qui semble avoir fait ses preuves dans la gestion de la pandémie. Une chose est sûre : cette dernière a dessiné une ligne de fracture entre deux types de gouvernance reposant sur deux compréhensions différentes de ce qu’est la santé et par conséquent du rôle que peut y jouer la politique.

Vers une politique du care

Accepter que la santé ne se réduit pas à l’absence de maladie, c’est en effet comprendre que la santé de la population ne se décide pas uniquement dans les hôpitaux et sur les courbes de natalité ou de mortalité, mais dépend aussi d’enjeux sociaux, économiques, politiques et environnementaux plus larges. C’est donc comprendre que la gouvernance de la population ne peut se limiter à sa gestion comme un ensemble biologique, mais doit prendre en compte l’existence et le vécu individuel des personnes. Bref, c’est comprendre que le soin est un souci avant d’être une lutte. Et dès lors, il n’est peut-être pas anodin que les gouvernements qui ont fait preuve de cette approche politique empathique soient tous dirigés par des femmes. Constamment renvoyées dans nos sociétés patriarcales à leur rôle prétendument naturel de soignantes, de celles qui prennent soin, peut-être ont-elles été plus à même d’introduire ce care dans le monde politique où elles sont parvenues, souvent difficilement, à faire leur place. Une chose est sûre, cette politique du care, pour reprendre l’expression de Joan Tronto3, va nous être utile dans notre monde devenu particulièrement vulnérable aux pandémies comme aux dramatiques conséquences du réchauffement climatique. Il est donc temps que la politique, internationale comme nationale, ne soit plus seulement la continuation de la guerre par d’autres moyens, comme l’affirmait Michel Foucault en retournant le célèbre aphorisme de Clausewitz, mais aussi et surtout la poursuite à un autre niveau et avec d’autres moyens de ce travail essentiel de maintien, de perpétuation et de réparation du monde qu’est le soin.

OMS, « Constitution », [en ligne], https://www.who.int/fr/about/who-we-are/constitution

« New Zealand’s Prime Minister May Be the Most Effective Leader on the Planet », [en ligne], https://www.theatlantic.com/author/uri-friedman/

Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009, 238 p.

Les sciences et la liberté contre la santé publique? Regard sur l’opposition au couvre-visage obligatoire

Les sciences et la liberté contre la santé publique? Regard sur l’opposition au couvre-visage obligatoire

À l’aube d’une seconde vague de COVID-19 dans la province, le gouvernement Legault a déclaré, le 26 septembre dernier, un resserrement des mesures sanitaires dans les zones les plus affectées par le virus. Face à cette annonce, des figures de proue du mouvement anti-masque ont organisé des rassemblements à travers la province. 

Le 30 septembre à Montréal au parc Lafontaine, un millier de personnes se sont rassemblées – la très grande majorité sans masques – pour  protester contre ces mesures jugées au mieux excessives, au pire fasciste. Quelques semaines auparavant, ce mouvement a réussi un tour de force en regroupant environ 10 000 personnes à Montréal, pour s’opposer au port du masque obligatoire et aux resserrements des mesures de confinements, comme la fermeture des bars et des salles à manger (Trudel, 2020).

Incontestablement, les mouvements conspirationnistes ont – depuis les dernières années – connu un essor fulgurant, se décomplexant et occupant une part significative de l’espace public. Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication – au premier plan les réseaux sociaux – ont rendu possible le partage à grande échelle de ces théories. Une autre variable importante pour expliquer de cette ascension : la diffusion de ces théories par des figures politiques populistes comme le président américain Donald Trump ou encore le président brésilien Jair Bolsonaro (Dale, 2020). 

Même si les analyses de ces mouvements dans les médias se font nombreuses, elles achoppent lorsqu’il s’agit de les rendre intelligible dans un ensemble sociologisant. Ce billet propose de renverser cette tendance en abordant l’argumentation du mouvement s’opposant au port obligatoire du couvre-visage et des mesures de santé publique. 

Libertés et communs  

L’appel à la liberté est un argument de type péremptoire, c’est-à-dire auquel l’objection est impossible – dans ce cas, parce que c’est une valeur constitutive de la modernité. Qui pourrait ouvertement se positionner contre « la liberté», valeur fondamentale si chère à l’Occident ? Il n’est pas donc surprenant que le présent mouvement s’opposant au port obligatoire du couvre-visage mobilise cet argument pour faire valoir sa position « pro-choix ». Dans ce cas, la liberté individuelle est mise en opposition à « l’oppression » étatique face aux mesures de santé publique.

Dans son ouvrage La démocratie contre elle-même (2002), Marcel Gauchet résume l’état d’esprit individualiste où la liberté prime : « L’individu contemporain aurait en propre d’être le premier individu à vivre en ignorant qu’il vit en société, le premier individu à pouvoir se permettre, de par l’évolution même de la société, d’ignorer qu’il est en société » (Gauchet, 2002, p. 254). La perte de confiance envers les institutions modernes, comme les médias, la démocratie représentative et l’État, laisse un vide politique en ce qui concerne la vie en commun. Cet espace déserté s’est peu à peu comblé par une conception individualiste du vivre ensemble au détriment de la communauté. 

La dissolution de la confiance envers l’État démocratique – figure résiduelle de la vie en commun et du vivre ensemble – s’est transmutée en une conception strictement économique de l’État. La société ne semble plus exister. Les principes de communauté et de vivre ensemble sont remplacés par un État prestataire de services, où la citoyenneté est substituée par le statut de « payeur de taxes ». Dans cette nouvelle genèse sans commun, il n’est pas étonnant que des problématiques comme les changements climatiques ou les mesures de santé publique mises en place pour répondre collectivement à la crise sanitaire en cours  rencontrent une résistance. 

On le rappel, le port du couvre-visage est un geste relevant essentiellement du vivre ensemble, dans la mesure où il ne protège pas celui ou celle qui le porte, mais exclusivement les personnes à proximité. Exiger, au nom de la « liberté » de ne pas porter un couvre-visage revient à réclamer le droit d’être un vecteur d’infection, et ce, au détriment de la vie en commun et des plus vulnérables.

Les sciences : ni pour ni contre, bien au contraire 

La mobilisation de l’argument scientifique est primordiale dans les sociétés occidentales pour convaincre de la légitimité d’une position. La raison scientifique est un pilier des sociétés modernes, face aux anciennes croyances des sociétés traditionnelles. Les savoirs scientifiques dépassent un unique domaine de recherche pour s’insérer dans la doxa, c’est-à-dire en tant que principes plus ou moins conscients qui semblent aller de soi dans une société donnée. Par exemple, nul besoin d’être astronome professionnel pour comprendre les bases de l’héliocentrisme ou que la terre n’est pas plate. En somme, une importante partie de notre conception – consciente et inconsciente  – du monde naturel découle de travaux scientifiques. Discursivement, se positionner contre les sciences revient donc à adopter une position irrationnelle en opposition au progrès, voire à la conception moderne du monde (Freitag, 2002).

Les discours des leaders anti-masques et anti-confinement sont ambigus et voguent sur une ligne entre attaques et mobilisations de l’argument scientifique. Si les grandes institutions demeurent une cible de choix pour les conspirationnistes, la mobilisation de l’argument scientifique fait étonnamment partie intégrante de leur discours. 

En assistant au rassemblement du 30 septembre, j’ai constaté – autant dans les discours des leaders, qu’au cours de conversation avec les manifestant.e.s – que la mobilisation du discours scientifique était systématique. Si cela peut initialement paraître contradictoire avec les positions des manifestant.e.s, cela s’explique par un effort de gymnastique intellectuelle fort intéressant. 

Il s’agit d’attaquer les grandes institutions scientifiques, au premier plan l’Organisation mondiale de la santé, puis les universitaires et les grandes pharmaceutiques. Un exemple probant pour comprendre le rejet des institutions scientifiques en conjonction avec de l’appel aux sciences est le cas du docteur Didier Raoult en France. Infectiologue au style marginal, il a été propulsé à l’avant-plan par le mouvement conspirationniste parce qu’il détiendrait la clé pour lutter contre le virus : la chloroquine. L’utilisation de ce remède miracle serait paralysée par les grandes institutions scientifiques et politiques. Or, les récentes études démontrent que ce médicament – utilisé dans les traitements contre la malaria – n’a pas d’effet clinique bénéfique dans la lutte contre le COVID-19 (World Health Organization, 2020). 

La tirade : « faites vos  recherches [scientifique] » est devenue une devise du mouvement conspirationniste. Elle suppose la possibilité de faire des recherches scientifiques hors de ces mêmes institutions. Or, le processus scientifique est une affaire d’institution, dans la mesure où il doit s’inscrire dans une démarche éthique, méthodologique et procédurale. La publication scientifique révisée par les pairs est considérée comme le produit de ce procès. 

Or, le mouvement conspirationniste associe ces grandes institutions au « discours officiel », ipso facto à la manipulation du peuple par l’élite. Il n’est donc pas étonnant que quand l’argument scientifique est mobilisé, il soit associé à des sources plus ou moins vagues, voire inexistantes. J’en paraphrase ici un exemple, entendu lors du rassemblement du 30 septembre à Montréal : « aucune étude ne prouve que le masque soit utile pour limiter la propagation du virus […] les études montrent que le virus est moins mortel que la grippe saisonnière ». Du côté argumentatif, bien que ces études soient inexistantes, elles permettent d’associer le mouvement anti-masque aux sciences, donc à la raison moderne.  

La conspiration, c’est les autres 

Dans les sociétés démocratiques, la vigilance citoyenne face aux politiques gouvernementales est saine et nécessaire. Elle permet de favoriser le sentiment de redevabilité des élu.e.s, de faire valoir une pluralité d’opinions et d’alimenter le débat public. Il s’agit cependant de reconnaître que les grandes institutions ne sont pas systématiquement en opposition à la population. 

En discutant avec plusieurs personnes lors de la manifestation du 30 septembre, un constat est clair : aucun.e d’entre eux et elles ne veut s’associer explicitement à des théories de la conspiration. Libre penseur.se.s, réveillé.e.s, patriotes, ces manifestant.e.s accusent plutôt les député.e.s, les médias, les partis politiques, les pharmaceutiques – donc l’élite politique et économique – d’être les vrais conspirateurs. 

Je ne doute pas du bien fondé d’une démarche visant à dénoncer l’inacceptable et le comportement des élites. Les mouvements citoyens ont historiquement joué des rôles cardinaux dans les diverses luttes sociales. Or, dans le cas du mouvement anti couvre-visage, son essence individualiste et anti-science va à l’encontre du devoir citoyen et communautaire. Mobiliser des études scientifiques inexistantes et le droit d’être un vecteur d’infection –  au détriment des plus vulnérables – est au mieux égoïste, au pire une attaque frontale faite aux principes du vivre ensemble.

Dale, D. (2020, 2 septembre). Fact check: A guide to 9 conspiracy theories Trump is currently pushing. Dans CNN. Récupéré de https://www.cnn.com/2020/09/02/politics/fact-check-trump-conspiracy-theo…

Freitag, M. (2002). L’oubli de la société: pour une théorie critique de la postmodernité. Québec : Presses de l’Université Laval.

Gauchet, M. (2002). La démocratie contre elle-même. Paris : Gallimard.

Trudel, R. (2020, 12 septembre). Au diable les mesures sanitaires. Dans TVA Nouvelles. Récupéré de https://www.tvanouvelles.ca/2020/09/12/au-diable-les-mesures-sanitaires-1

World Health Organization. (2020). COVID-19 Mythbusters. Récupéré de https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/advice-f…