Québécois LGBTQ+ aux États-Unis : « Notre plan B, c’est de rentrer »

Québécois LGBTQ+ aux États-Unis : « Notre plan B, c’est de rentrer »

Capture d’écran de l’appel avec Shane, depuis sa chambre à Tampa, en Floride.

Lorsque Shane décroche à l’appel vidéo, les rayons du soleil de Floride illuminent immédiatement l’écran. Canadien par sa mère, Shane habite avec ses parents près de Tampa, dans le sud des États-Unis. Devant le mur bleuté de sa chambre, le jeune homme aux cheveux longs affiche une mine assez grave. Étant trans, Shane est particulièrement inquiet dans le contexte politique actuel, marqué par la réélection de Donald Trump et la série de mesures anti-LGBTQ+ qui s’en est suivie. 

Alors que nous l’interrogeons sur son état général, Shane prend une respiration avant de répondre : « Ça ne va pas super bien, honnêtement ». Le vingtenaire évoque alors une « situation effrayante, surtout en Floride, qui est l’un des États les plus à risque pour les personnes trans et LGBT ». Sa mère Johanne, qui lui succède dans l’appel vidéo, confie en riant qu’elle a « besoin de tranquillisants ». Les derniers événements politiques lui causent beaucoup de stress, notamment en raison de la transidentité de son fils.

Les personnes trans dans le viseur de Trump

Lors de sa campagne, Donald Trump a multiplié les attaques contre la communauté trans, promettant de « mettre fin au délire transgenre » et de ne reconnaître que deux genres. À la suite de son investiture, le nouveau président a adopté une série de décrets visant à limiter les droits des personnes trans, avec la suppression des aides publiques pour les traitements de transition de genre des mineur·es ou l’inscription du sexe assigné à la naissance sur les documents officiels du gouvernement.

Lorsque Shane a entendu parler de ces mesures, il a « couru faire renouveler son passeport », craignant ne pas pouvoir obtenir un document de voyage avec le bon marqueur de genre. Lors de la demande, il a dû indiquer si son genre était celui qui lui avait été assigné à la naissance, ce à quoi il a répondu non. L’idée de recevoir un passeport avec l’inscription « F » le rend très anxieux, confie-t-il. Au-delà de la négation de son identité, Shane s’inquiète surtout pour sa sécurité, craignant vivre des discriminations si son apparence ne correspond pas à celle sous-entendue par ses papiers d’identité. « La prochaine étape », nous dit sa mère Johanne, « c’est de demander le passeport canadien » afin d’obtenir la mention de genre adéquate. 

Lorsque nous appelons François*, le soleil de Floride laisse place à la nuit du Wisconsin. Né à Montréal, le jeune de 15 ans a rejoint l’État du Midwest des États-Unis avec sa famille il y a une dizaine d’années. Aux côtés de sa mère Chantale*, originaire de Laval, le jeune homme trans raconte avec satisfaction avoir récemment obtenu un passeport avec la bonne mention de genre, grâce à une demande faite « juste avant qu’il ne signe les décrets ». 

« L’autre stress », ajoute Chantale, concerne l’hormonothérapie, que l’administration Trump souhaite prohiber pour les personnes mineures, au même titre que l’ensemble des traitements de transition de genre. Pour continuer à obtenir les doses de testostérone dont il a besoin, François et sa mère s’approvisionnent autant que les ordonnances leur permettent, pour parer à d’éventuelles restrictions supplémentaires.   

Depuis sa chambre d’adolescent décorée d’affiches colorées, François explique qu’il trouve toutes ces mesures « déshumanisantes ». Sans savoir comment expliquer cette volonté de nuire aux minorités de genre, il estime que les personnes trans, au même titre que d’autres groupes marginalisés, sont victimes d’une « haine qu’il fallait diriger quelque part ». 

L’ensemble de la diversité menacée

Si les personnes trans sont les premières à être visées par ces mesures anti-LGBTQ+, le reste de la communauté l’est aussi. Dans la lancée de ses premières signatures, le président républicain a révoqué des textes adoptés par son prédécesseur Joe Biden, notamment celui combattant les discriminations basées sur le genre et l’orientation sexuelle. Dans le même temps, les programmes de diversité, équité et inclusion (DEI) ont été supprimés dans toutes les sphères du gouvernement fédéral, et les entreprises ont été encouragées à le faire également, sous peine de s’exposer à des enquêtes.

Originaire de Saint-Bruno, Ann a rejoint la Californie en 2002, où elle vit aujourd’hui avec sa compagne. Si en tant que lesbienne elle se sent moins menacée que la communauté trans, elle demeure lucide sur les intentions du nouveau président : « Là, c’est les personnes trans qu’il attaque, mais ça va être nous autres après ». Un rappel qu’elle veut également adresser aux « groupes gays qui soutiennent Trump » : « Si on pense que ça va juste être les personnes trans, on se trompe fortement ». Pour elle, toutes celles et ceux qui ne sont pas « blancs, cisgenres et hétéros » sont ou seront dans le collimateur des politiques trumpistes. 

Capture d’écran de l’appel avec Ann, dans sa maison en Californie.

Une intolérance banalisée

Le contexte politique amène les personnes LGBTQ+ rencontrées à se méfier davantage au quotidien. Si elle se considère chanceuse d’habiter en Californie, un État historiquement démocrate, Ann porte toutefois une attention particulière aux États dans lesquels elle voyage. « C’est certain que je n’irais pas dans des États où les lois me sont défavorables », dit-t-elle en nommant la Floride, fleuron trumpiste, où elle aurait aimé se rendre. 

Shane, lui, habite en Floride, qu’il décrit comme l’État « le plus à risque pour les personnes trans et LGBT » avec le Texas. Bien que les habitant·es de sa ville et les client·es du café où il travaille soient assez « détendu·es », le jeune homme vit tout de même des moments d’anxiété. Comme lorsqu’il fait face à des client·es qui portent des casquettes avec l’inscription Make America great again, le slogan trumpiste. « Je ne suis pas en sécurité avec ces personnes, je ne peux pas être moi-même en leur présence », relate-t-il, confiant adopter une voix plus grave pour ne pas que sa transidentité ne paraisse. 

De son côté, François estime que l’attitude de ses ami·es et camarades a changé depuis le retour de Trump dans la sphère politique et médiatique. À son école secondaire, François a remarqué « plus de regards bizarres », ainsi que des propos discriminatoires auxquels il n’était pas habitué. Il évoque également un ami « convaincu par Trump », faisant des remarques transphobes alors qu’il était « d’accord avec sa transition » quelques mois auparavant. « Je trouve ça fou de voir à quelle vitesse les gens ont été influencés », rapporte le jeune de 15 ans. 

Un retour possible au Canada

Touchée par le récit de son fils, Chantale confie avec un sourire triste que « le plan B, c’est de retourner au Canada ». Bien qu’un déménagement soit contraignant sur de nombreux plans, la mère de famille « ne risquera pas la vie de [son] enfant pour rester aux États-Unis ». François croit que si cette décision devait être prise, il serait probablement triste, car même si le Canada lui manque, il aime beaucoup son école et a grandi ici. 

Shane est confronté au même dilemme, se préparant à la possibilité de déménager au Canada, sans le vouloir réellement : « Je ne veux pas avoir à fuir ma maison. Je veux un avenir où je peux prendre mon temps pour déménager, après avoir trouvé un partenaire et l’endroit parfait pour m’installer. » Le Canado-Américain se considère toutefois privilégié d’avoir la possibilité de quitter le pays en cas de nécessité, contrairement à ses ami·es queer qui n’ont pas la double nationalité. 

Quant à Ann, le sujet est aussi « sur la table », notamment après que sa fille de 17 ans lui a dit ne pas vouloir « rester dans ce pays ». Le retour est cependant difficilement envisageable pour elle, sa compagne et ses beaux-enfants n’ayant pas la nationalité canadienne. Elle se retrouve alors entre les deux pays, sa fille et son cœur au Canada, et sa compagne et sa vie aux États-Unis. Quant à son bras, il est tatoué d’une fleur de lys et d’une feuille d’érable, comme elle nous le montre à l’écran avant de raccrocher.

*Ces personnes ont souhaité conserver l’anonymat.

Vers l’équité hommes-femmes dans le milieu du cinéma

Vers l’équité hommes-femmes dans le milieu du cinéma

Il y a d’abord eu, cet hiver, une tempête d’annonces de la part des institutions de financement, qui souhaitent faire davantage de place aux films par des femmes. Puis, au printemps, la création du premier festival de films féministes de Montréal. Le vent tourne pour les femmes au cinéma, mais est-ce pour de bon?

Au Québec, toute œuvre conçue par un ou une cinéaste et nécessitant un financement de plus d’un million de dollars est soumise à un long processus de sélection. L’œuvre doit d’abord être lue et encouragée par – au minimum – un producteur ou une productrice, un télédiffuseur ou un distributeur avant d’atterrir chez la SODEC ou Téléfilm Canada, où un jury chargé d’évaluer les films selon plusieurs critères choisira de lui attribuer ou non une part de son budget annuel.

Or, malgré un nombre équivalent de femmes et d’hommes diplômé·e·s des écoles de cinéma du Québec, les institutions publiques n’accordent pas plus de 20 % du financement disponible aux films produits par des femmes[i]. C’est donc dire qu’elles se limitent, ou se contentent, d’autoproduire leurs films : bien souvent des courts métrages ou des documentaires de peu de moyens. En ce qui concerne le long métrage de fiction, l’organisme Réalisatrices Équitables estime que les femmes reçoivent entre 11 % et 19 %[ii] des enveloppes budgétaires auprès des organismes qui requièrent l’engagement d’un producteur ou d’une productrice, d’un distributeur ou d’un télédiffuseur.

« En cinéma, il n’y a pas beaucoup de chance pour les nouveaux, et encore moins pour les nouvelles, commente Isabelle Hayeur, présidente de l’organisme Réalisatrices Équitables en entrevue avec L’Esprit libre. Tant que tu travailles avec tes ami·e·s sans un gros budget ça va, c’est quand tu commences à aller voir les producteurs [et productrices] que les difficultés peuvent commencer. »

Obstacles à la diffusion

La réalisatrice Magenta Baribeau s’est butée à de nombreux obstacles même après l’aboutissement de certains de ses projets : s’il lui a été difficile de faire financer ses projets en raison de la « sensibilité » de leurs sujets, il a été tout aussi ardu de les diffuser.

Le financement, qui occupe une grande place dans la réussite d’un projet, a aussi un impact dans la diffusion de l’œuvre, une fois terminée.

« Diffuser un film quand t’as pas eu de financement, c’est pas facile, parce que le fait d’être financée donne de la crédibilité. Si j’avais fait un film financé et vu par des personnes ouvertes a des femmes féministes j’aurais eu une plus grosse vitrine », explique Mme Baribeau.

Pour contrer le problème, et parce que l’idée d’un festival plus inclusif lui faisait envie, la cinéaste a fondé le premier festival de films féministes de Montréal. Un festival ouvert à tou·te·s – femmes, hommes, trans –  à condition que le sujet du film se rattache au féminisme. Car à ses yeux, en festival, la présence de films par des femmes est toujours insuffisante au Québec.

La première édition du festival a fait salle comble, et elle ne sera pas la dernière, promet Magenta Baribeau, qui est bien déterminée à faire des films dont les sujets touchent les femmes et à encourager les projets de collègues qui font de même.

Vent de changement

Les choses pourraient changer pour les femmes avec les nouvelles mesures qu’imposeront les principales institutions de financement public.

Constatant les difficultés auxquelles les femmes font face dans le milieu du cinéma, l’Office national du film (ONF)[iii], la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC)[iv], Téléfilm Canada[v] et le Fonds des médias du Canada (FMC)[vi] ont tour à tour annoncé au cours des derniers mois des mesures qui permettront de tendre vers la parité du milieu.

L’ONF disait l’an dernier vouloir atteindre la parité en annonçant que la moitié de ses films seraient réalisés par des femmes[vii]. Le 8 mars 2017, le président, Claude Jolicoeur, est allé plus loin. D’ici 2020, l’ONF vise à ce que 50 % des monteurs et monteuses, directeurs et directrices photo, scénaristes et autres créateurs et créatrices clefs soient des femmes[viii].

Les autres institutions vont dans le même sens : la SODEC, Téléfilm Canada et le Fonds des médias, qui financent des projets déposés par des producteurs et productrices et télédiffuseurs, demandent désormais qu’un plus grand nombre de projets de femmes leur soient soumis.

C’est donc dire que les producteurs et télédiffuseurs seront fortement incités à aller chercher de nouveaux talents, et à soumettre les films de différentes personnes à ces institutions.

« On sent que le vent est en train de tourner. Je pense qu’on est présentement à un grand tournant pour l’industrie. Ça va remonter la valeur des films de femmes aux yeux de tous ces producteurs [et productrices] », affirme à L’Esprit libre Lucette Lupien, qui a consacré une partie de sa vie à la défense des femmes en cinéma, notamment en tant que porte-parole du comité revendicateur Moitié Moitié dans les années 1980.

30 ans de lutte

Il y a en effet de quoi se réjouir, affirme Mme Lupien, mais tou⸱te⸱s doivent se rappeler que ces revendications ne datent pas d’hier et qu’il est important de considérer les vrais projets de femmes, et pas seulement les films dont seulement quelques-uns des postes sont occupés par des femmes.

Alors qu’Elvis Gratton : Le king des kings prenait l’affiche au Québec (en 1985), la cinéaste collectait les statistiques : à l’époque, pas plus de 16 % des réalisateurs et réalisatrices étaient des femmes. C’est donc dire qu’en plus de 30 ans, ce pourcentage a bougé de seulement 4 points, selon des données qu’elle a conservées depuis.

À l’époque, elle avait fondé avec quelques collègues le comité Moitié Moitié, qui réclamait justement une meilleure répartition du butin dans l’industrie du cinéma. Le comité a fait sa marque dans le milieu, sans toutefois porter fruit auprès des institutions.

« Notre grande fierté, c’est d’avoir sensibilisé les gens. Mais à l’époque, personne ne nous croyait. On était la cible des masculinistes, les gens nous disaient que ces chiffres étaient faux. On nous avait présenté la statistique selon laquelle 60 % des films étaient faits par une réalisatrice, une scénariste ou une productrice. Mais qu’une femme y ait travaillé n’en fait pas nécessairement un film de femme », explique Mme Lupien.

Chose certaine, il faudra quelques années avant de pouvoir mesurer les effets de ces nouvelles politiques de sélection des œuvres.

 

QUELQUES CHIFFRES

Fonds des Médias du Canada[ix] :

En moyenne, les femmes constituent :

17 % des réalisateurs et réalisatrices

34 % des scénaristes

39 % des producteurs et productrices

des projets dans lesquels le FMC investit.

Office national du film[x] :

Pour l’année 2016-2017, les femmes constituent :

43 % des réalisateurs et réalisatrices

27 % des scénaristes

24 % des monteurs et monteuses

12 % des directeurs et directrices photo

13 % des créateurs et créatrices de musique originale

des projets que l’ONF produit.

Statistiques colligées par le comité Moitié Moitié (document fourni par Mme Lucette Lupien, membre fondatrice du comité Moitié Moitié) :

En 1984-85 les femmes réalisatrices ont reçu 16 % de l’enveloppe totale de production de la SODEC ;

En 1985-86 les femmes réalisatrices ont reçu 22 % de l’enveloppe totale de production de la SODEC ;

En 1989-90 les femmes réalisatrices ont reçu 9 % de l’enveloppe totale de production de la SODEC ;

En 1990-91 les femmes réalisatrices ont reçu 22 % de l’enveloppe totale de production de la SODEC ;

En 1995-96 les femmes ont réalisé 18 % des films avec 8 % de l’enveloppe totale de production de la SODEC.

CRÉDIT PHOTO: Anna Lupien

[i] « Un plan d’action pour atteindre la parité d’ici 2020 », Société de développement des entreprises culturelles, 20 février 2017, http://www.sodec.gouv.qc.ca/plan-daction-atteindre-parite-genres-dici-2020/, consulté le 2 avril 2017.

[ii] « La place des créatrices dans les postes clés de création de la culture au Québec », Rapport de la Journée d’étude sur les femmes créatrices du Québec, 19 mai 2016, http://realisatrices-equitables.com/wp-content/uploads/2016/06/rapport-l…, consulté le 28 mai 2017.

[iii] « Journée des femmes 2017 : L’ONF pousse encore plus loin son engagement pour la parité », Blogue de l’Office national du film, 7 mars 2017, http://blogue.onf.ca/blogue/2017/03/07/femmes-2017-onf-engagement-parite/, consulté le 2 avril 2017.

[iv] « Un plan d’action pour atteindre la parité d’ici 2020 », Société de développement des entreprises culturelles, 20 février 2017, http://www.sodec.gouv.qc.ca/plan-daction-atteindre-parite-genres-dici-2020/, consulté le 2 avril 2017.

[v] Téléfilm Canada, « Téléfilm Canada annonce en partenariat avec l’industrie l’adoption de mesures sur la parité hommes-femmes dans le financement de la production cinématographique », CNW Telbec, 11 novembre 2016, http://www.newswire.ca/fr/news-releases/telefilm-canada-annonce-en-parte…, consulté le 2 avril 2017.

[vi] « Parité femmes-hommes dans le financement de contenu audiovisuel », Fonds des médias du Canada, 27 avril 2016, http://www.cmf-fmc.ca/fr-ca/nouvelles-et-evenements/actualites/parite-fe…, consulté le 2 avril 2017.

[vii] « L’ONF va financer 50% de projets de femmes », Radio-Canada, 8 mars 2016, http://ici.radio-canada.ca/emissions/l_heure_de_pointe_toronto/2013-2014…, consulté le 2 avril 2017.

[viii] « Journée des femmes 2017 : L’ONF pousse encore plus loin son engagement pour la parité », Blogue de l’Office national du film, 7 mars 2017, http://blogue.onf.ca/blogue/2017/03/07/femmes-2017-onf-engagement-parite/, consulté le 2 avril 2017.    

[ix] « Le FMC annonce des initiatives pour augmenter la contribution des femmes », Fonds des médias du Canada, 8 mars 2017, http://cmf-fmc.ca/fr-ca/news-events/news/march-2017/cmf-announces-initia…, consulté le 28 mai 2017.

[x] « Journée des femmes 2017 : L’ONF pousse encore plus loin son engagement pour la parité », Blogue de l’Office national du film, 7 mars 2017, http://blogue.onf.ca/blogue/2017/03/07/femmes-2017-onf-engagement-parite/, consulté le 2 avril 2017.

Sujets : 

Cinéma

hommes-femmes

téléfilm canada

SODEC

égalité

télévision

tournage

Femmes et politique

Femmes et politique

La sous-représentation des femmes en politique n’est pas chose nouvelle. Au Canada comme ailleurs, le domaine de la politique demeure nettement dominé par les hommes.

Quelques chiffres

Pour faciliter la comparaison entre les Parlements mondiaux, nous nous concentrerons seulement sur les Chambres basses et uniques, étant donné que la Chambre haute ne fait pas partie de tous les systèmes parlementaires. La Chambre basse du système du bicaméralisme (parlement divisé en deux chambres) et la Chambre unique du système du monocamérisme (parlement à une seule chambre) sont constituées d’élus représentant les citoyens et votant les lois.

Aux États-Unis, le pourcentage de femme à la Chambre basse se situe à 19.4 %, derrière le Pakistan (20.6 %), le Bengladesh (20 %) et le Kenya (19.7 %), entre autres. En France, les femmes représentent 26.2 % de la Chambre basse tandis qu’au Royaume-Uni, ce chiffre se situe à 29.4 %. Aux dernières élections fédérales canadiennes, les femmes ont remporté 88 des 338 sièges à la Chambre des communes, soit une représentation de 26 %, un record pour le Canada (1). Or, nous sommes encore très loin d’une parité des sexes dans l’arène parlementaire. Selon les données de l’Union interparlementaires (2) de 2015, la moyenne mondiale des femmes à la Chambre basse\unique est de 22.9 %, une proportion encore en deçà du seuil minimal de 30 % établi par l’ONU afin d’assurer une masse critique de femmes dans les parlements (3). Pendant ce temps, au Rwanda, les femmes représentent 63.8 % de la Chambre basse, occupant 51 sièges sur 80. Au deuxième rang, la Bolivie, avec 53.1 % de femmes à la Chambre basse, détenant 69 des 130 sièges. Un peu plus d’une trentaine de pays dépassent le seuil de 30 %, et une douzaine dépasse les 40 %, entre autres la Finlande, la Suède, l’Islande, l’Espagne, le Sénégal, le Mexique et la Namibie. (4)

Par région, la moyenne de femmes en Chambre basse\unique se situe à 41.1 % pour les pays nordiques, 27.4 % pour les Amériques, 24.4 % pour l’Europe (excluant les pays nordiques), 23.4 % pour l’Afrique subsaharienne, 19 % pour l’Asie, 19 % pour les États arabes et 13.1 % pour le Pacifique (5).

Le Canada en retard

Le Canada, qui traîne au 48e rang du classement mondial de la représentation des femmes dans les parlements (4), a du pain sur la planche. Plus d’une cinquantaine de pays ont déjà adopté des lois et mis en place des dispositions législatives dans l’objectif d’accroître la présence des femmes dans la sphère politique et de leur assurer une masse critique minimale de 20, 30 ou 40 % selon les pays. Parmi les nations qui ont légiféré sur la question, on note entre autres le Rwanda, la Bolivie, le Sénégal, le Mexique, l’Angola, le Nicaragua, l’Espagne, la Slovénie et la Belgique. Tous font partie des 20 pays en tête de liste du classement mondial de la représentation des femmes dans les parlements (6).

Parmi les différentes mesures qui sont prises, plusieurs pays instaurent des quotas que les partis politiques doivent respecter sous peine d’être sanctionnés. Au Burkina Faso, par exemple, les listes de candidats doivent comprendre au moins 30 % de membres de chaque sexe; si un parti politique ne parvient pas à répondre aux exigences, le financement public de sa campagne électorale sera réduit de 50 %, et s’il atteint ou dépasse le quota de 30 %, il recevra du financement supplémentaire. Au Portugal, les listes de candidats pour les élections à l’Assemblée nationale doivent être minimalement composées de 33 % de membres de chaque sexe et le même type de sanction s’applique en cas de défaut. En Espagne et au Mexique, la liste de candidats des partis politiques doit présenter un minimum de 40 % de femmes tandis qu’au Nicaragua, une loi électorale oblige les partis politiques à présenter 50 % d’hommes et 50 % de femmes dans leurs listes électorales. Le Sénégal, lui aussi, exige la parité dans les listes de candidats pour les élections générales;  les listes qui ne sont pas conforme à la loi ne seront tout simplement pas admises (6).

Le recours aux quotas

Au Canada, les quotas n’existent pas; les partis politiques ne sont donc pas tenus de présenter un minimum de candidates dans leur liste électorale. Ils sont toutefois libres de fixer leur propre quota : c’est le cas du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui vise à atteindre la parité et dont la liste de candidats aux dernières élections était composée de 43 % de femmes environ. À titre de comparaison, ce rapport était d’environ 31 % pour le Parti libéral, de 27 % pour le Bloc québécois et de 18.5 % pour le Parti conservateur (7). Même constat au niveau du Québec : seul Québec solidaire s’est engagé à respecter la parité hommes-femmes en s’imposant des quotas par rapport au nombre de candidates à présenter. En date du 7 mars 2014, à quelques semaines du vote, le Parti libéral a présenté 27 % de femmes parmi ses candidats. Ce chiffre monte à 39 % pour le Parti québécois et descend à 23 % pour la Coalition Avenir Québec (8).

Pascale Navarro, journaliste et auteure du livre Les femmes en politique changent-elles le monde ?, dans lequel elle a interviewé une vingtaine de politiciennes sur les scènes québécoise et canadienne, pense qu’il faut indispensablement légiférer sur la question pour atteindre un équilibre durable. « Je pense que d‘abord il faudrait réformer le mode de scrutin. On pourrait présenter  des candidats par liste et sur les listes, on pourrait mettre une alternance homme-femme. Les partis pourraient se donner des objectifs, comme présenter de 40 à 60 % autant de femmes que d’hommes, ce qui  agrandirait le bassin de femmes candidates. Donc on en retrouverait plus parmi les députés, parmi les ministres, et donc parmi le personnel politique », affirme-t-elle dans une entrevue téléphonique.

Au Québec, l’organisme Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD) qui vise entre autres à promouvoir une plus grande participation des femmes à la vie politique, propose lui aussi comme mesure une réforme du mode de scrutin pour le mode proportionnel mixte et l’inscription dans la Loi électorale du principe de zone de mixité égalitaire (40-60 %) pour favoriser la représentation paritaire des femmes et des hommes dans les lieux de pouvoir. Car non, le Québec ne fait pas tellementt mieux que le Canada en matière d’égalité hommes-femmes au sein de ses instances démocratiques. L’Assemblé nationale du Québec est composée de 22 femmes sur 121 membres (27 %). Si le Québec était un pays, il se situerait au 44e rang mondial selon le pourcentage de femmes élues (9). Le Conseil du statut de la femme, un organisme gouvernemental de consultation et d’études qui veille à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises, suggère lui aussi de fixer à un minimum de 40 % la proportion de candidatures féminines affichées par les différents partis politiques. Dans un communiqué publié en octobre, l’organisme recommande « que la Loi électorale du Québec soit modifiée pour obliger tous les partis politiques québécois à présenter entre 40 % et 60 % de candidates aux élections. Une période transitoire serait prévue : une cible de 35 % serait fixée pour le premier scrutin suivant l’adoption de la politique. Les partis ne respectant pas cette “zone paritaire” s’exposeraient à des pénalités financières importantes. » (10).

L’instauration de quotas a également été proposée par plusieurs élues au niveau municipal comme mesure pour pallier à la sous-représentation des femmes en politique. Lorraine Pagé, conseillère municipale dans le district du Sault-au-Récollet, au Conseil de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville et au Conseil de la Ville de Montréal, croit que le gouvernement du Québec doit modifier la loi afin d’obliger les partis politiques à recruter davantage de candidatures féminines. « Il y a un travail à faire du côté des partis. Il faut leur donner des obligations de résultats en termes de recrutement de femmes », a-t-elle soutenu lors d’une conférence organisée par des conseils de la Ville de Montréal sur les femmes en politique municipale le 11 novembre dernier.

Les quotas –et les sanctions qui les accompagnent– permettraient d’établir et de maintenir un équilibre hommes-femmes tout en visant à mettre un terme à la domination masculine en politique, en terme de représentativité. Ils compenseraient les barrières sociales pouvant défavoriser les femmes et les handicaps des systèmes politiques tels que la surreprésentation des hommes, la culture de certains partis, le manque de moyens financiers et le poids des préjugés et des perceptions culturelles concernant le rôle de la femme. Dans plusieurs cas, l’utilisation de quotas a fait bondir le nombre de femmes élues. C’est le cas du Sénégal, où la représentation des femmes est passée de 22 % à 43 % dès la première élection suivant l’adoption de quotas dans sa Constitution (11). L’Espagne, qui a adopté une loi sur la parité en 2007 obligeant les partis politiques à présenter au moins 40 % de candidatures de l’un des deux sexes, et au plus 60 % de candidatures de l’autre sexe, a vu le nombre candidatures féminines augmenter de 32 % par rapport au scrutin précédent, en 2003 (12). En Argentine, premier pays à avoir adopté en 1991 des quotas légaux pour promouvoir les candidatures féminines sur les listes des partis et assurer ainsi une plus grande représentation politique des femmes, le nombre de femmes élues est passé de 5 % en 1991 à 21 % en 1993. Le pourcentage de femmes députées n’a fait qu’augmenter pour finalement atteindre 40 % en 2007 (13).  

Le recours aux quotas pourrait donc être une solution envisageable pour augmenter le nombre de femmes dans les instances parlementaires. Légiférés et accompagnés de sanction, ceux-ci forceraient les partis politiques à recruter davantage de femmes. Sans dispositions législatives et sans pénalités, chaque parti est libre d’adopter les politiques qu’il veut, et cela peut entrainer une grande disparité hommes-femmes. Aux dernières élections fédérales, par exemple, les femmes représentaient 31 % des candidatures, tandis qu’aux dernières élections provinciales, elles représentaient 29.6 % des candidatures.

Parité d’apparence?

La représentation hommes-femmes au gouvernement du Canada a elle aussi toujours été inégale avant l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, qui a renversé cette tendance en présentant le premier gouvernement fédéral paritaire (14). Quinze femmes et quinze hommes ont ainsi été nommés au Conseil des ministres. On note, cependant, que le tiers de ces femmes sont en fait des ministres déléguées (15). Le rôle de ces ministres est de seconder un ministre en exerçant certaines fonctions sous sa direction. C’est le cas de Kirsty Duncan, ministre des Sciences auprès du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Singh Bains, ou encore de Marie-Claude Bibeau, ministre du Développement international et de la Francophonie, exerçant ses fonctions sous la direction du ministre des Affaires étrangères, Stéphanie Dion (16). Le Parti libéral a réagi à cette remarque en assurant que les cinq femmes qui ont été assermentées comme ministres d’État seront considérées comme des ministres et que leur salaire sera ajusté en conséquence (17). Or, certains avancent que la plupart des femmes ont hérité des postes dits « moins importants », des « petits ministères » qui ont moins de poids. D’autres affirment que cette décision fut davantage prise pour les apparences plutôt que par conviction profonde (18). Pascale Navarro croit que  l’important est qu’elles soient là : «  elles vont faire leurs preuves ou pas, elles vont se démener ou pas, elles vont travailler fort ou pas, on n’a pas à juger avant qu’elles commencent à travailler. Et puis, des ministères moins importants, qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Un ministère délégué pourrait très bien faire quelque chose de très grand et de durable. On juge leur travail avant même qu’elles commencent! Je pense qu’on présume de l’importance des ministères à cause de leur portefeuille », affirme-t-elle. « Un ministère n’est pas nécessairement plus fort parce qu’il est plus financé que les autres. Il y a des décisions émanant d’un ministère dit moins important qui peuvent avoir des conséquences bien plus décisives sur la vie des citoyens », ajoute-t-elle.

Au-delà des discrédits qui peuvent être faits sur la décision du Premier ministre, un gouvernement paritaire permettrait « d’amener des sujets d’intérêt traditionnellement associés aux femmes dans des assemblés mixtes où on peut débattre de façon égale de ces enjeux-là », pense l’auteure. « C’est ce que ça fait lorsque les femmes sont arrivées en politique; elles ont fait des enjeux dit féminins des enjeux mixtes, comme par exemple le congé parental, la Loi sur le patrimoine familial, la Loi sur le viol conjugal et la Loi sur les agressions sexuelles. Tout cela a été débattu parce que des femmes ont fait partie de la politique », souligne-t-elle.

Elle insiste cependant qu’une telle résolution doit aller plus loin : « c’est bien beau d’avoir fait la parité pour quatre ans, mais rien ne dit qu’un prochain gouvernement va le faire. C’est sûr que c’est très bien vu et très bien accueilli, mais ça ne sert pas à grand-chose si ça ne fait pas l’objet d’une règle ou d’une loi durable », pense-t-elle.

Au Québec, par exemple, le gouvernement de Jean Charest avait annoncé en 2007 le premier gouvernement provincial paritaire, décision très bien accueillie par la population, mais cette situation n’aura finalement pas duré avec l’entrée du gouvernement Marois puis du gouvernement Couillard (19). Pour Pascale Navarro, « il faut que ça devienne un enjeu social et une règle démocratique. Il faut que ça fasse partie des institutions. Si c’est institutionnalisé, ça va durer bien plus longtemps, ça va être intégré et ça va avoir des conséquences sur toutes les décisions de tous les ministères et de tous les échelons du pouvoir. C’est ça qu’il faut », soutient-elle.

Pourquoi retrouve-t-on moins de femmes en politique?

Il y plusieurs raisons, mais ce que disent souvent les partis ou les hommes qui essaient de recruter des femmes politiques, c’est qu’elles sont moins tentées par la vie politique à cause des sacrifices qu’elles doivent faire pour leur famille, affirme l’auteure. D’autre part, il y a la vie politique en tant que joute électorale, souligne-t-elle, « [qui] ne les intéresse pas trop parce qu’elles ne veulent pas être devant la scène, elles ne veulent pas être associées à une profession qui manque de crédibilité, elles ne veulent pas être critiquées. Mais c’est de moins en moins vrai », constate-t-elle. Dans le même ordre d’idées, Lorraine Pagé a affirmé lors d’un colloque organisé par le Conseil interculturel de Montréal, le Conseil jeunesse de Montréal et le Conseil des Montréalaises que « les femmes ne sont pas socialisées pour être impliquées politiquement. Elles ont été éduquées à chercher la conciliation et à fuir l’affrontement. Alors que, lorsqu’on fait de la politique active, on est souvent sur le terrain de l’affrontement ». Parmi les multiples obstacles que les femmes doivent affronter pour entrer en politique, on compte également les préjugés sur leur capacité à gagner la confiance du public ou à occuper des responsabilités politiques; le poids de la perception culturelle du rôle de la femme; la socialisation différenciée; la culture des partis et des institutions politiques (le mode de recrutement, la culture de l’exclusion, les « boys club » en politique); et le partage inégal des responsabilités familiales entre femmes et hommes. À cet égard, le Conseil du statut de la femme adresse plusieurs recommandations aux autorités politiques, entre autres la modification de la Loi électorale pour l’imposition de quotas et le respect du gouvernement des normes de l’Organisation internationale du travail en matière de congé de maternité, de paternité et parental, soit au moins 14 semaines de congé, congés qui devraient aussi s’appliquer au palier municipal. Enfin, l’Assemblée nationale devrait être dotée d’une politique d’articulation travail-famille, qui pourrait inclure une salle familiale, le vote par procuration et des services de garde.

(1) http://notesdelacolline.ca/2015/11/04/les-femmes-au-parlement-du-canada-…

(2) L’Union interparlementaire est l’organisation internationale des Parlements. Elle oeuvre en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations Unies. http://www.ipu.org/french/whatipu.htm

(3) http://www.un.org/womenwatch/daw/beijing/pdf/BDPfA%20F.pdf

(4) http://www.ipu.org/wmn-f/classif.htm

(5) http://www.ipu.org/wmn-f/world.htm

(6) http://www.quotaproject.org/uid/search.cfm# 

(7) http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-canada-2015/2015/08/28/004-np…

(8) http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-quebec-2014/2014/03/08/001-ca…

(9) https://www.csf.gouv.qc.ca/femmes-en-politique/

(10) https://www.csf.gouv.qc.ca/article/2015/10/04/communique-parite-en-polit…

(11) http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/vu-dailleurs/201405/17/01-47…

(12) http://www.lactualite.com/actualites/politique/des-quotas-de-femmes-en-p…

(13) http://www.ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/26067/1/BOURQUE%2c%20Andréanne%2020135.pdf

(14) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2015/11/04/001-assermenta…

(15) http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201511/…

(16) http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/2015/11/04/015-nomination…

(17) http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201511/…

(18) http://revuelespritlibre.org/apres-les-liberaux

(19) http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-quebec-2014/2014/03/08/004-ph…

http://apf.francophonie.org/IMG/pdf/2014_07_femmes_rapporfemmesrepresent…